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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 27 novembre 1997

• 1048

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton-Ouest—Mississauga, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Nous avons l'immense honneur d'accueillir le directeur exécutif de la Fondation de recherche sur le laogaï, M. Harry Wu. Tous les membres du comité seront d'accord avec moi, je pense, monsieur Wu, pour vous dire que nous nous sentons très privilégiés de vous avoir parmi nous aujourd'hui.

M. Wu est accompagné de M. Michael To. Je crois que M. To souhaiterait nous présenter les autres membres de la délégation, et je vais laisser quelques minutes aux représentants de la presse pour leur permettre de quitter la salle.

M. Michael To (président international, Federation for a Democratic China): Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité. Je m'appelle Michael To et je préside actuellement la Federation for a Democratic China.

Les membres de notre équipe sont très heureux d'être parmi vous ce matin pour pouvoir vous faire part de leur point de vue sur la place que devraient occuper les droits de la personne dans les relations commerciales entre le Canada et la Chine. Mais permettez-moi d'abord de vous présenter les membres de notre délégation: le professeur Brian Given, conseiller en recherche auprès du Comité Canada-Tibet; Jume Wangda, président du Comité Canada-Tibet, section d'Ottawa; Tom Mann, journaliste à la pige et président de notre comité sur les relations avec les médias; Frank Woo, qui est actuellement président international de Chinese Alliance for Democracy, dont le siège est aux États-Unis, et qui est venu ici pour nous soutenir dans nos efforts, en particulier pour être de la partie aujourd'hui; et, bien sûr, le plus célèbre des dissidents chinois, Harry Wu, qui est directeur exécutif de la Fondation de recherche sur le laogaï.

• 1050

Les présentations étant faites, je cède maintenant la parole à Harry.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Wu, permettez-moi de vous expliquer la façon dont nous allons procéder. Vous allez d'abord donner votre exposé, après quoi chaque parti vous posera à tour de rôle des questions. Vous aurez droit aujourd'hui, je pense, à certaines questions fort intéressantes—qui, parfois, porteront peut-être à controverse—, car beaucoup d'entre nous sont très préoccupés par la situation des droits de la personne.

Je prierais les gens des médias électroniques de quitter la salle dès maintenant.

M. Harry Wu (directeur exécutif, Fondation de recherche sur le laogaï): Madame la présidente, voici mon témoignage.

Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de comparaître devant votre comité. Je m'en tiendrai à un exposé très bref, ce qui me laissera plus de temps pour répondre aux questions que voudront bien me poser les membres de votre comité.

Je m'appelle Harry Wu, et je suis directeur exécutif de la Fondation de recherche sur le laogaï. Je suis né en Chine et je suis venu aux États-Unis en 1985 pour occuper le poste de professeur invité de l'Université de la Californie à Berkeley.

Depuis lors, je suis retourné en Chine à quelques reprises, notamment en 1991, avec l'équipe de l'émission de télévision 60 Minutes du réseau CBS, puis, en 1994, avec une équipe de la BBC. J'ai essayé de réunir le plus de documentation possible sur l'institution des camps de travail chinois et de dire au public du monde entier que les camps de concentration ou de travail forcé n'ont pas existé uniquement en Europe dans les années 30 et 40 ou en Union soviétique, sous Staline, à l'époque des goulags. La Chine communiste a aussi son immense institution de camps de travaux forcés, qu'on appelle le laogaï.

Comme vous le savez, avant 1974, le mot «goulag» n'existait pas. On le trouve maintenant dans tous les dictionnaires de tous les pays, sauf dans ceux de la Chine communiste. Le mot «goulag» n'y figure pas.

Le mot «laogaï» veut dire «réforme par le travail» ou «rééducation par le travail». C'est le système d'esclavage ou de travail forcé le plus élaboré au monde.

Nous estimons que, depuis 1950, quelque 50 millions de Chinois sont passés par le laogaï. La moitié d'entre eux sont disparus. Encore de nos jours, on dénombre plus de 1 100 camps de travail en Chine continentale. Quelque six millions de personnes sont probablement toujours détenues dans ces terribles camps.

Je suis très heureux d'être ici parmi vous aujourd'hui en tant qu'homme libre. Je suis un survivant de ces camps. Je pense avoir pour mission de vous dire ce qui s'y passe.

Vous avez probablement entendu parler récemment de la mise en liberté par la Chine d'un célèbre dissident, Wei Jingsheng. Sa libération est une victoire pour ceux qui luttent sans relâche pour le respect des droits de la personne. Tous les gouvernements démocratiques du monde, y compris celui du Canada, se sont élevés contre les atrocités que commet la Chine. Mais, comme le dit le dicton chinois, «Celui qui ne voit que l'arbre sans tenir compte de la forêt se cache la vérité». Autrement dit, nous nous réjouissons de ce qu'un homme ait été libéré de cet engrenage, mais nous serions bien plus heureux encore de voir disparaître l'engrenage lui-même.

• 1055

Parler de la façon dont on viole les droits de la personne en Chine aujourd'hui, c'est probablement parler de contrôle des naissances, de négation des droits des travailleurs, de répression contre les militants tibétains, de manifestations d'étudiants et de lutte pour la liberté religieuse. Toute personne qui se montre en désaccord avec le gouvernement est envoyée au laogaï pour y être «rééduquée».

J'espère que le gouvernement du Canada et les Canadiens sont au courant de l'existence de cette imposante institution inacceptable qu'est le laogaï dans notre société, dans notre société qu'on qualifie d'humaine. Si vous dénoncez les goulags, si vous dénoncez les camps de concentration, vous devez absolument manifester au gouvernement de la Chine votre opposition au système du laogaï.

J'ai passé 19 ans de ma vie dans ces camps. À 20 ans, alors que j'étais aux études au niveau collégial, le parti m'a invité—et naturellement, tout le monde sait maintenant que c'était un piège—à exprimer mon opinion. On demandait à tout le monde de le faire.

C'était dans le cadre d'une réunion de classe. J'y ai mentionné que je désapprouvais l'invasion de la Hongrie par l'Union soviétique en 1956 et j'y ai critiqué les membres du parti, qui, selon moi, traitaient les Chinois ordinaires comme des citoyens de seconde zone. On m'a dès lors accolé l'étiquette de contre-révolutionnaire de droite et on m'a privé de ma liberté. C'en était fini de mon avenir.

Mon père est décédé après avoir été humilié et torturé. Ma mère s'est suicidée, parce qu'elle ne pouvait plus supporter la crainte qu'elle éprouvait après avoir appris que je serais arrêté. Mon frère cadet a également été tué. Au début, on l'a roué de coups, et son cerveau a été atteint. Il en a perdu la raison. Finalement, on l'a exécuté en 1981.

Je tiens à vous faire remarquer qu'en 1957, cette persécution, cette opération politique, a été une idée du président Mao dont Deng Xiaopeng s'est chargé d'orchestrer la mise à exécution. À cette époque, Deng Xiaopeng dirigeait le mouvement anti-droite du comité du parti. Il est responsable de mes souffrances, de cette persécution. Dans cette opération politique, un million d'intellectuels chinois, dont moi-même, ont été étiquetés comme des contre-révolutionnaires de droite. Je fais partie de ce million de personnes.

Quand j'ai été libéré, 22 ans plus tard, beaucoup d'entre eux avaient disparu. J'ai vraiment eu de la chance de pouvoir survivre. C'est ce qui me permet d'être parmi vous aujourd'hui dans un pays de liberté.

En Chine, il n'est pas possible d'être traité humainement, car les dictateurs chinois ne traitent jamais les personnes comme des êtres humains. Ils refusent de reconnaître que les êtres humains ont des droits. Ils ne permettent à personne de décider de son avenir, de choisir la société dans laquelle il veut vivre, la religion qu'il veut pratiquer.

• 1100

À l'heure actuelle, la Chine est à un carrefour de son histoire. À la mort de Mao, en 1976, Deng Xiaopeng a accédé au pouvoir. À cause des politiques catastrophiques de Mao, Deng Xiaopeng n'a eu d'autre choix que de donner au peuple une certaine liberté sur le plan économique. C'est pourquoi il a dit: «Peu m'importe que le chat soit blanc ou noir, s'il peut attraper la souris, c'est un bon chat.» Deng Xiaopeng ne luttait que pour une chose, assurer la survie du régime communiste en Chine. C'est pourquoi il a permis au capitalisme de réintégrer la société communiste. C'est ce qui l'a amené, en 1979, à libérer de nombreux prisonniers politiques, y compris moi, Harry Wu.

Vous avez probablement appris que Wei Jingsheng a été libéré. Je vous rappelle que, personnellement, j'ai recouvré ma liberté en février 1979. Le mois d'après, en mars 1979, on arrêtait Wei Jingsheng, et 18 autres années se sont écoulées avant qu'il obtienne sa libération. C'est qu'il représentait alors une nouvelle génération de soi-disant contre-révolutionnaires, et il y en a eu encore une autre plus récemment, celle dont a fait partie le leader étudiant Wang Dan qui croupit encore en prison après avoir été arrêté, en 1989, simplement pour avoir manifesté pacifiquement sur la place Tiananmen.

Il est vrai qu'aujourd'hui les conditions de vie du peuple chinois se sont améliorées. Les Chinois jouissent même de certains droits. Par exemple, ils ont maintenant le droit de choisir leur shampoing. Ils ont le droit d'aller à l'étranger. Mais ils n'ont pas toujours le droit de choisir ce qu'ils veulent, de pratiquer la religion de leur choix, par exemple.

Il n'existe aucune liberté religieuse en Chine. La religion y a été complètement abolie dans les années 50. Une trentaine d'années plus tard, les Chinois ordinaires se sont remis à la recherche de leurs croyances délaissées, et la religion est réapparue en Chine. Aujourd'hui, le gouvernement chinois applique à cet égard une politique à deux volets: d'une part, il continue d'interdire la pratique religieuse, et, d'autre part, il institue son propre réseau, bien encadré, d'Églises dites patriotiques.

L'Église catholique romaine est demeurée illégale en Chine. Même Cuba, pays pourtant communiste, permet la pratique de cette religion. Mais pas la Chine.

Je tiens tout particulièrement à vous faire part aujourd'hui d'un dossier pour le moins barbare. Il s'agit du document chinois que voici. Il émane à la fois de la Cour suprême du peuple, du Bureau du procureur suprême du peuple, du ministère de la Sécurité publique, du ministère de la Justice, du ministère de la Santé publique et du ministère des Affaires civiles.

J'aurais espéré que le gouvernement canadien, le premier ministre du Canada, profitent de la visite de Jiang Zemin ici pour lui montrer ce document, parce qu'il est le président de ce pays et que c'est lui le responsable de cette politique. Il s'agit d'une politique nationale. Cette politique a pour titre: «Sur l'utilisation de cadavres et d'organes de criminels condamnés». Elle a été édictée le 9 octobre 1984.

Madame la présidente, c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité qu'un gouvernement adopte une telle loi, qu'un gouvernement établit une politique l'autorisant à prélever des organes sur les cadavres de prisonniers exécutés pour les vendre dans le pays même ou à l'étranger.

Aujourd'hui, 90 hôpitaux, dont un grand nombre sont des hôpitaux militaires, peuvent pratiquer ces opérations—ces transplantations d'organes—en Chine. Il y a quelques mois, un courtier chinois faisant affaire aux États-Unis a fait publier dans des journaux américains de langue chinoise de la publicité annonçant la vente d'organes. Un documentaire de la chaîne ABC a fait un reportage là-dessus, et ce reportage a été repris par les chaînes BBC et CBC en 1994. C'est la première fois dans l'histoire de la société humaine qu'on fait ainsi le commerce d'organes du corps humain.

Se fondant sur un des buts de la révolution communiste inscrits dans la Constitution, dans le Code criminel, le gouvernement chinois fait arrêter le nombre de dissidents politiques dont il a besoin, les condamne à mort et conclut les arrangements nécessaires avec le milieu hospitalier. Les hôpitaux y sont étatiques; ils appartiennent au gouvernement. Tous les médecins sont des fonctionnaires de l'État chinois. Ils attendent sur place que l'exécution ait lieu, puis prélèvent les organes du cadavre pour les vendre sur le marché, à raison de 30 000 $ le rein, par exemple.

• 1105

Ces deux ou trois dernières années, 47 patients thaïlandais sont venus en Chine pour s'y faire transplanter un rein. Tout le monde est au courant de l'histoire; tout le monde sait que ces organes viennent de prisonniers qui ont été exécutés. Un médecin chinois a mentionné dans un témoignage devant le Sénat américain que les reins étaient prélevés avant l'exécution. Pourtant, aujourd'hui, nous voulons faire affaire avec ce pays. Nous voulons dérouler le tapis rouge pour la venue du président.

Certains essaient de nous convaincre que c'est en faisant des affaires avec les Chinois que nous allons les changer, que l'argent peut venir à bout du régime communiste autoritaire. On se dit: «Faisons-leur faire des affaires, des marchés, faisons-les prospérer grâce au capitalisme, et le socialisme finira par tomber, puis, dans la foulée, la démocratie vaincra». En êtes-vous sûrs? Personne ne prétend que le capitalisme sera synonyme de démocratie. Personne n'aurait idée d'affirmer que le capitalisme qui existe en Chine à l'heure actuelle est le même que le vôtre au Canada ou aux États-Unis. C'est un capitalisme d'État, un capitalisme bureaucratique.

Ces capitalistes appartiennent à une espèce rare. Ils sont membres du parti ou fonctionnaires du gouvernement. Oui, ils ont des propriétés aux États-Unis et au Canada. Ils ont de gros comptes dans vos banques. Mais ils sont membres du parti communiste. Je ne crois pas qu'ils trouvent intérêt à instaurer en Chine la démocratie et une politique de respect des droits de la personne. Votre argent aujourd'hui est comme le carburant dans le réservoir. Il ne fait qu'alimenter le véhicule communiste.

Ce régime communiste s'est presque effondré à la fin des années 70, et aujourd'hui, certaines gens de l'Ouest, comme l'ancien secrétaire d'État des États-Unis, Warren Christopher, disent que la Chine est devenue une superpuissance. En décembre dernier, à Shanghai, il a dit que les États-Unis doivent chercher à travailler en partenariat avec ce pays, car c'est une superpuissance. Comment cela se fait-il? Les gouvernements communistes sont tombés partout ailleurs, le mur de Berlin a été démantelé pacifiquement, mais le régime communiste est demeuré stable en Chine. C'est grâce à votre argent qu'il survit.

Selon moi, vous allez devoir, dans les années qui viennent, débattre sérieusement de votre responsabilité dans la reconstruction de ce géant communiste. N'oubliez pas que derrière ces marchés que vous convoitez, derrière ce géant économique communiste que vous soutenez, il y a un géant militaire et un géant communiste également.

L'argent, c'est vrai, améliore les conditions de vie de la population chinoise. Ces conditions de vie sont aujourd'hui bien différentes de ce qu'elles étaient dans le passé. Mais vous devez comprendre par ailleurs que c'est le gouvernement communiste qui s'approprie le gros des profits que l'Ouest fait réaliser à la Chine. Si votre politique à l'endroit de la Chine ne repose que sur l'argent, que sur le commerce, elle n'a rien de différent de la politique d'apaisement de Munich. L'apaisement n'aboutit jamais à la paix. L'apaisement ne contribue jamais à améliorer la manière dont on traite les droits de la personne.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Grewal.

M. Gurmant Grewal (Surrey-Centre, Réf.): Merci, madame la présidente.

Monsieur Wu, je vous souhaite la bienvenue à vous ainsi qu'aux membres de votre délégation. C'est la première fois, aujourd'hui, que j'ai l'occasion de vous entendre, et j'estime que vous avez fait ressortir éloquemment le mal fait à l'humain par ceux qui ne respectent pas les droits de la personne. On ne peut être que révolté devant ce que vous venez de nous raconter à propos de la façon dont les droits de la personne sont violés dans votre partie du monde ainsi qu'à propos de votre historique personnel, de la torture qu'a subie votre père avant d'être mis à mort, du suicide de votre mère et de l'exécution de votre frère. D'ailleurs, votre famille n'est pas la seule à avoir été ainsi touchée, car nous savons qu'il y en a d'autres à qui ces choses arrivent dans votre pays.

• 1110

Il y a quelque chose que je me dois de souligner, bien qu'il ne me soit pas très agréable d'avoir à le faire, c'est que nous avons remarqué qu'au récent sommet de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique, la question des droits de la personne n'était pas à l'ordre du jour. Notre premier ministre a carrément déclaré qu'il n'y avait pas lieu d'y soulever cette question, alors que le ministre des Affaires étrangères a adopté une toute autre position. Il a en effet affirmé hier que les droits de la personne figuraient parmi les sujets dont on devait discuter au sommet de l'Asie-Pacifique. Nous ne pouvons que déplorer que nos représentants se contredisent de la sorte. Il est odieux de constater qu'on déroule le tapis rouge devant ces brutes qui tuent littéralement leurs compatriotes. Nous voulons faire affaire avec les marchés mondiaux en expansion. Le marché de l'Est asiatique est prometteur, et il est normal que nous voulions y faire affaire, mais ce devrait être là notre seconde priorité, la première étant les droits de la personne.

J'ai deux ou trois questions brèves à vous poser et je vous demanderais d'être également bref dans vos réponses. La libération de M. Wei Jingsheng n'ayant pas été rapportée dans les médias chinois, il y a lieu de se demander si cette libération n'a pas été accordée avant tout à des fins diplomatiques plutôt que par respect pour les droits de la personne. Qu'en pensez-vous? Partagez-vous mon inquiétude à cet égard?

M. Harry Wu: La Chine communiste, tout comme le faisait à l'époque l'Union soviétique, se sert constamment des dissidents, des êtres humains, comme d'objets de marchandage, comme d'une monnaie d'échange. Il ne faudrait pas y voir un phénomène récent, quelque chose de nouveau. Mais la libération de Wei Jingsheng n'en a pas moins représenté une victoire pour ceux qui luttent sans relâche pour la défense des droits de la personne. Elle vous indique également que le régime communiste s'affaiblit, que ses dirigeants cèdent aux pressions internationales. Mais je le redis, la libération de Wei Jingsheng ne signifie nullement que les violations des droits humains vont cesser en Chine.

M. Gurmant Grewal: C'est juste. Mais voulez-vous dire qu'il ne faut même pas y voir un authentique petit pas en avant dans le sens du respect des droits de la personne? Il ne s'agirait donc de la part des Chinois que d'une simple concession pour amadouer leurs interlocuteurs étrangers, d'un tremplin pour marquer des progrès?

Il y a aussi les avortements et les stérilisations forcés qu'on pratique en vertu de la politique de l'enfant unique en vigueur en Chine. Nous savons par ailleurs que d'après Amnistie internationale et Freedom House, il y a en Chine au moins des milliers de prisonniers politiques ou de prisonniers d'opinion. Le gouvernement chinois n'en a pas moins été le bienvenu et accueilli somptueusement au sommet de l'Asie-Pacifique. Que recommanderiez-vous à la Chine et à l'Amérique? Croyez-vous qu'au sommet de l'Asie-Pacifique et qu'à chaque occasion qu'on aura de négocier, les droits de la personne devraient figurer en tête des préoccupations et que les questions commerciales ne devraient venir qu'au second plan? Ou approuvez-vous plutôt l'attitude actuelle de nos gouvernements à cet égard?

M. Harry Wu: Vous venez tout juste de parler des avortements forcés. Permettez-moi de vous communiquer quelques données à ce sujet. Au dire même du gouvernement chinois, on en pratique de 14 à 20 millions chaque année dans ce pays. Quelle est la population totale du Canada, 30 millions? Or, on dénombre chaque année en Chine entre 14 et 20 millions de cas d'avortement.

Au sommet de l'Asie-Pacifique, c'est d'économie qu'on traite. Personne n'est disposé à y parler de droits de la personne. Je ne crois pas que ce soit là une question dont on puisse y discuter. Mais si vous faites fi de la question des droits de la personne en Chine, vous mettez de côté vos propres principes. Nous voulons voir naître une Chine démocratique, pacifique et prospère, et non une Chine communiste prospère. Que ce populeux pays demeure sous la gouverne communiste n'est évidemment ni à l'avantage des Chinois ni à l'avantage de qui que ce soit, y compris des Canadiens.

La Chine est un immense pays que seuls les Chinois ordinaires peuvent changer. Si nous réitérons sans cesse au gouvernement et au peuple chinois nos inquiétudes et notre message concernant les violations des droits de la personne dans ce pays, nous contribuerons à garder en éveil la conscience des Chinois. Les Chinois ne sont pas différents des Canadiens, des Britanniques ou des Japonais. Si on leur reconnaît les droits qu'ont tous les êtres humains, peut-être en viendront-ils à s'opposer à cette dictature. Ce pays pourrait alors accélérer sa marche vers une société démocratique. C'est ce que nous espérons.

• 1115

M. Gurmant Grewal: La veille du début du sommet de l'Asie-Pacifique, j'ai été interviewé par une des chaînes de télévision d'ici. J'y ai affirmé que cette question devrait figurer en tête des préoccupations des participants au sommet de l'Asie-Pacifique. Avant de faire des affaires avec qui que ce soit, ai-je précisé, nous devrions voir à qui nous avons affaire. J'ai soutenu que les droits de la personne devraient y être à l'ordre du jour.

Les autres députés qui étaient présents près de moi ce jour-là pendant l'entrevue ont affirmé que les droits de la personne n'avaient rien à voir avec le sommet de l'Asie-Pacifique. Deux jours plus tard, ces mêmes députés déclaraient que la question des droits de la personne devrait y être soulevée. Autrement dit, on s'est permis de tergiverser sur cette question.

Prenons même l'exemple de notre ministre des Affaires étrangères. Quand il était dans l'opposition officielle, avant 1993, c'est lui qui dénonçait le plus vigoureusement l'incohérence entre les principes que prétendait faire siens le gouvernement conservateur de l'époque en matière de respect des droits de la personne et ses politiques commerciales. Nous notons aujourd'hui les mêmes incohérences chez ceux qui sont censés être responsables de jeter les bases de ce genre de marché. C'est à leur tour d'offrir un tel spectacle.

Qu'est-ce qui importe le plus dans tout cela? Jusqu'où vont nos gouvernements? Qu'il s'agisse des États-Unis, de la Chine ou d'autres pays, jusqu'où va-t-on? Nous avons vu s'écrouler le mur de Berlin, l'ex-Union soviétique se désintégrer, mais la Chine et l'Indonésie demeurent des pays fermés. Quels facteurs devons-nous faire ressortir et sur quels facteurs devons-nous insister pour amener ces pays à parler des droits de la personne?

M. Harry Wu: Il nous suffirait de prévenir nos interlocuteurs chinois que nous ne leur donnerons rien sans condition, strictement rien.

Il faudrait leur répéter que nous tenons mordicus à ce que cessent les violations des droits de la personne, à ce qu'ils améliorent leur régime politique. Si vous exprimez ce message à vos interlocuteurs chinois partout, en toute occasion, tout le monde ne s'en trouvera que mieux, les Canadiens comme les Chinois.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Monsieur Wu, j'aimerais d'abord vous souhaiter, ainsi qu'à vos invités, la plus cordiale des bienvenues à notre comité. Je voudrais également vous remercier chaleureusement de tous ces efforts que vous faites pour sensibiliser le monde entier au respect des droits de la personne en Chine.

J'ai deux questions à vous poser. Je vais essayer de le faire très rapidement. Je vais partir d'un texte que notre ministre des Affaires étrangères a prononcé à l'Université d'Ottawa le 6 novembre dernier, où il a parlé de mesures de diplomatie douce et de mesures de diplomatie dure concernant nos relations avec les pays en ce qui a trait aux droits de la personne.

Les mesures de diplomatie douce concernent le développement de la démocratie, la consolidation de la paix, l'amélioration des relations commerciales, le dialogue bilatéral, etc. Quant à la diplomatie dure, elle consiste principalement dans la condamnation internationale par les différentes résolutions des Nations unies, par des sanctions, etc.

Comme vous le constatez, notre gouvernement a une politique à deux niveaux concernant les pays qui ne respectent pas les droits de la personne. Toutefois, ce qui n'est pas dit dans ce texte-là, c'est que les mesures de diplomatie douce s'appliquent à des cas comme ceux de la Chine et de l'Indonésie, là où le potentiel économique pour le Canada est très fort, et que les mesures coercitives de diplomatie dure s'appliquent dans les pays comme le Nigeria ou la Birmanie, là où le potentiel économique pour le Canada est à peu près inexistant. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette politique à deux niveaux.

Mon autre question concerne le fameux facteur culturel dont nous parlent plusieurs pays qui ne respectent pas les droits de la personne, dont la Chine. On nous dit qu'on doit tenir compte des facteurs culturels dans l'application du respect des droits de la personne dans ces pays. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.

• 1120

[Traduction]

M. Harry Wu: Permettez-moi de répondre d'abord à votre deuxième question.

Tout le monde sait qu'il n'existe qu'une version de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies. Il n'y en a pas deux. On n'y trouve pas une section pour les Chinois, une pour l'Est, une pour l'Ouest ou une pour le Canada. Cette déclaration est la même pour tous. Les droits qui y sont énoncés sont les mêmes pour tous les êtres humains, peu importe la couleur de leur peau, qu'ils soient riches ou pauvres, qu'ils viennent d'ici ou d'ailleurs.

Comment peut-on parler de respect des droits de la personne en Chine et changer soudain de ton en alléguant que nous ne devrions pas imposer notre système de valeurs occidental à ces gens qui ont leur propre culture, leurs propres traditions?

Il est vrai que traditionnellement les dirigeants chinois n'ont jamais fait grand cas des droits de la personne et de la démocratie, mais cela ne veut pas dire que les Chinois, comme êtres humains, ne méritent pas de jouir de ces droits. Affirmer une telle chose reviendrait à sanctionner l'institution d'une double norme. Honte aux politiciens occidentaux qui tiennent un tel discours!

Deuxièmement, vous avez parlé de ce qu'on a appelé le «langage mou» et «langage dur». Je crois que la pratique et les principes sont deux choses différentes. On peut comprendre qu'on puisse agir différemment selon les circonstances, et parfois modifier son attitude ou son approche à propos de certains aspects particuliers. Selon le moment ou la situation, on doit composer avec la réalité, tantôt jouer dur, tantôt y aller modérément. Mais les principes doivent demeurer immuables. Ils ne doivent pas être sacrifiés. Si vous changez vos principes, vous perdez votre crédibilité.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Robinson.

M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci.

Je veux moi aussi souhaiter la bienvenue à M. Wu et à ceux qui l'accompagnent et leur dire—et M. Wu, je suis sûr que vous en êtes conscient—qu'il y a au Canada un mouvement très actif en faveur de la démocratie et des droits de la personne. On trouve ici des gens comme Michael To et d'autres qui, depuis nombre d'années, s'efforcent d'amener notre gouvernement à adopter une position beaucoup plus ferme sur ces questions fondamentales. Je veux profiter de cette occasion non seulement pour remercier M. Wu de son très éloquent témoignage, mais aussi pour rendre hommage à tous ceux qui, ici même au Canada, consacrent tant d'efforts à la poursuite de ces objectifs.

Je me souviens, par exemple, qu'en 1992, j'ai dirigé une délégation de parlementaires canadiens, comprenant des représentants des divers partis, en Chine. Notre visite a coupé un peu court...

Des voix: Oh!

M. Svend Robinson: ... mais l'une des questions que j'ai alors posées aux représentants du gouvernement chinois, à Beijing, avait trait au laogaï. Je leur ai notamment demandé comment ils pouvaient soutenir cette politique. Comme mon amie et collègue, Mme Finestone, l'a rappelé au comité, peu de temps après avoir soulevé cette question, j'ai été expulsé de la Chine. Mais chose certaine, cet incident ne m'aura pas réduit au silence.

Je tiens par ailleurs à revenir sur le fait que M. Grewal a dit avoir noté de l'incohérence dans le discours de certains libéraux sur ce chapitre. Je le félicite de se préoccuper des droits de la personne, mais puisqu'il met cette question sur le tapis, je lui rappellerai simplement, avec toute la délicatesse dont je suis capable, que certains de ses collègues du Parti réformiste ont fait à ce sujet des déclarations qui sont diamétralement opposées aux siennes. L'un d'eux a, par exemple, tenu des propos élogieux et enthousiastes au sujet du commerce avec la Chine sans y faire la moindre allusion à la question des droits de la personne.

[Français]

C'est un peu comme M. Lucien Bouchard qui, à une autre époque, a parlé de l'importance des droits de la personne en Chine, mais qui, quand il s'y est rendu récemment, n'en a pas dit un traître mot et est resté coi sur la question. Pas un mot. Les choses changent quand on est au pouvoir, apparemment.

[Traduction]

J'ai deux ou trois questions brèves à vous poser, monsieur Wu. D'abord, y a-t-il eu en Chine ces cinq dernières années de réelles améliorations en ce qui a trait au respect des droits de la personne, au laogaï et à certains autres problèmes que vous soulevez depuis nombre d'années? Car ce qu'on s'est plu à nous raconter, naturellement, c'est que des engagements constructifs, le commerce et le renforcement des relations commerciales auraient pour effet d'améliorer la situation en Chine en matière de respect des droits de la personne. Pourtant, d'après divers témoignages dont celui d'Amnistie Internationale, ce ne serait pas le cas, ce ne serait pas ce qui s'y est produit. J'aimerais que M. Wu nous dise si, selon lui, on y observe une amélioration significative de la situation.

Peut-être m'en tiendrai-je à une deuxième question, car je sais que d'autres membres du comité voudront certes en poser eux aussi. Ma question a trait au respect des droits de la personne et, plus précisément, aux pressions internes qui s'exercent à cet égard en Chine. Dans votre témoignage, vous avez dit: «En Chine, la seule force qui puisse vraiment changer les choses est la pression venant de l'intérieur». Nous savons par ailleurs qu'on s'y débarrasse impitoyablement de tous les dissidents. J'aimerais donc que vous nous disiez si vous entrevoyez quelque espoir, quelque signe de renouveau de la contestation et de renforcement de la pression interne malgré les risques terribles auxquels s'exposent dans ce pays les contestataires, et aussi que vous nous disiez ce que nous pouvons faire, nous, depuis l'extérieur de la Chine, pour prêter main forte et venir en aide à ceux—des gens comme Wei Jingsheng—qui, en Chine même, essaient si courageusement de provoquer des changements.

• 1125

M. Harry Wu: Sur la question de savoir s'il y a eu amélioration de la situation, on n'y a, à vrai dire, marqué aucun progrès significatif sur ce plan. Le Département d'État américain, dans un rapport qu'il vient de publier plus tôt cette année sur la question des droits de la personne, signale même que si l'économie croît en Chine, le dossier du respect des droits de la personne, lui, y recule. Pendant que l'un monte, l'autre descend, car la croissance économique procure au gouvernement chinois énormément de latitude et de possibilités pour renforcer son pouvoir.

On y observe certes des changements. Le pays évolue rapidement parce qu'il apprend à force d'expérience. En 1950, mon père y était un riche banquier. Quand les communistes ont pris le pouvoir, il a choisi de demeurer en Chine, de ne pas quitter sa patrie. La majorité des Chinois ont à cette époque appuyé le communisme. Il leur semblait alors que le communisme ferait de la Chine un paradis. Nous en étions venus à traiter Mao comme un dieu. Nous avons tout sacrifié pour cette révolution communiste parce que nous estimions que c'était là pour nous la seule voie d'avenir. Il nous a fallu un peu plus de 30 ans pour nous rendre compte que le communisme n'était qu'une farce. Le peuple aujourd'hui ne croit plus au communisme. À l'heure actuelle, la Chine est aux prises avec une crise idéologique très grave. Même les membres du parti ne font plus confiance au communisme. Il s'agit là d'une importante évolution qui se produit aujourd'hui en Chine et qui a des répercussions sur bien des plans.

Dans la deuxième question que vous m'avez posée, vous me demandiez si à mon avis il y avait quelque espoir de changement. Les violations des droits de la personne en Chine touchent de nombreuses catégories de gens—pas seulement les étudiants ou les dissidents. Prenons, par exemple, le cas du Tibet: la lutte interminable que mène inlassablement ce peuple est devenue aujourd'hui un mouvement fort populaire dans le monde entier, appuyé par une multitude de peuples. Les Tibétains n'ont jamais abandonné le combat. Je crois personnellement que s'il est une question sur laquelle le gouvernement canadien devrait intervenir, c'est bien celle-là, parce que vous, les Canadiens, vous savez respecter le peuple québécois qui est en quête de son indépendance. Vous respectez les francophones; vous reconnaissez leurs droits. Je crois que vous devez également reconnaître que les Tibétains ont le droit de décider de leur avenir, d'établir eux-mêmes dans quelle sorte de société ils veulent vivre et quelle religion ils veulent pratiquer. Si vous respectez le peuple francophone du Québec et que vous ne faites rien pour appuyer les Tibétains, où est la logique de votre attitude?

Il y a en outre le mouvement religieux dont il nous faut parler. Jamais dans toute l'histoire du communisme en Chine la religion n'y a été en aussi grande expansion. Il y a cinq ans, on y évaluait à environ quatre millions le nombre d'activités clandestines de l'Église catholique. Aujourd'hui, il s'en tient le double, huit millions, et on pourrait peut-être y dénombrer 10 ou 12 millions d'activités religieuses d'autres confessions chrétiennes. Dès qu'ils ont pris le pouvoir, les communistes ont fait disparaître toutes les organisations religieuses. Ils ont aboli toute liberté de religion. On y a tout remplacé par une seule religion, le communisme. Maintenant qu'on y considère le communisme comme une farce, les gens cherchent à retrouver leur foi, de sorte qu'aujourd'hui, la ferveur religieuse est en plein essor dans toute la Chine.

Je veux que vous sachiez qu'on peut manifester sa dissidence sur la place Tiananmen, affronter aujourd'hui le gouvernement, et peut-être un jour faire volte-face et devenir procommuniste. En effet, beaucoup d'étudiants qui étaient au nombre des dissidents lors des événements de la place Tiananmen se disent aujourd'hui en faveur de la politique de Deng Xiaopeng. Mais souvenez-vous d'une chose: tant que vous êtes catholique pratiquant, vous ne devenez jamais communiste; vous êtes résolument contre le communisme.

Je crois donc que la situation est en train de changer du tout au tout en Chine, et c'est pourquoi je n'ai qu'une phrase en tête: Aujourd'hui, la Chine est à un carrefour de son histoire.

• 1130

M. Svend Robinson: Merci beaucoup.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Madame Finestone.

L'honorable Sheila Finestone (Mont-Royal, Lib.): Je vous remercie beaucoup, madame la présidente, de m'accorder le privilège de me joindre à vous ce matin.

C'est étrange, Svend. Je me vois forcée d'abonder dans votre sens. Ça me fait drôle.

Il y a d'abord une remarque que je tiens à formuler à votre endroit, monsieur Wu. En même temps que vous suscitez chez nous énormément de fierté et que vous nous amenez à nous sentir privilégiés de vous avoir parmi nous aujourd'hui pour nous faire part de votre vision des choses comme dissident de renommée mondiale, vous nous apportez un message d'espoir concernant l'humanité et la force de l'humain dans sa diversité. La ténacité d'esprit et de principe dont vous avez fait preuve dans des circonstances extrêmement éprouvantes pour vous sur les plans personnel, physique et émotionnel font de vous un modèle pour bien des gens.

Vous avez soulevé de nombreux points dans vos propos, dont deux ou trois qui m'ont frappée tout particulièrement. Le premier a trait à la religion. Nous, les Canadiens, sommes peut-être un peu candides; nous formons une jeune nation qui s'est enrichie au contact des très nombreux immigrants chinois, taiwanais, tibétains et cambodgiens que nous avons accueillis. Notre pays faisant partie de la région de l'Asie-Pacifique, nous avons profité de la croissance de ce bloc; notre croissance de l'intérieur est relativement faible, mais nous profitons de l'immigration.

Les Canadiens forment, je crois, une nation qui aime et respecte la diversité, et qui sait en tirer des enseignements. Notre population est très hétérogène. Notre peuple est multiculturel. En fait, je crois qu'il n'y a pas un seul groupe ethnique au monde qui ne soit représenté chez nous et auquel nous n'avons pas,

[Français]

comme on dit en français, étendu notre réseau.

[Traduction]

Nous sommes vraiment d'une splendide texture aux fibres multiculturelles.

Notre âme est imprégnée du sang, de la foi et des espoirs d'une multitude de gens qui nous sont venus de pays où régnaient les tensions, qui ont vécu sous la gouverne de dictateurs, et qui ont des histoires d'horreur à nous raconter. Nous comptons parmi nous des survivants de l'Holocauste, des Somaliens, des Yougoslaves, des Bosniaques. Nous sommes conscients des risques que courent les dissidents et de leur influence sur le cours des événements.

Vous avez indiqué—et je crois que Svend l'a également fait remarquer—que le changement doit venir de l'intérieur. Je ne crois pas qu'il soit de l'intérêt des gens qui sont présents dans cette salle, ni de l'intérêt des Canadiens en général, que nous nous attardions à examiner avec vous les problèmes que nous connaissons au Canada. Ils sont bien menus comparés à ceux que vous avez portés à notre attention et qui touchent une très grande partie de l'énorme population chinoise. Je ne veux pas aborder la question des visions qui sont particulières à chacun de nos partis politiques. Je ne m'en soucie guère, car ce qui m'intéresse ici, c'est ce que vous représentez comme être humain et comme survivant et dissident; c'est, tout particulièrement, le message que vous nous apportez.

Il se trouve que je suis de celles et ceux qui croient que si nous ne daignons pas frapper à la porte de la Chine, si nous refusons de faire affaire avec ce pays et si nous ne prenons pas soin d'afficher fièrement les valeurs canadiennes dans notre façon de faire des affaires—ce qui, à mon avis, est la clé—, nous ne pourrons contribuer à l'amorce de cette remise en question interne et à l'intensification de ce désir de changement venant de l'intérieur. Vous avez souligné la nécessité que la volonté de changement et l'élan voulus viennent de l'intérieur. Vous avez parlé de l'incroyable essor que connaît actuellement la religion catholique en Chine. J'espère que les autorités religieuses catholiques appuient ce mouvement, qui, dites-vous, peut contribuer d'une certaine manière au renforcement de la dissidence intérieure.

Quant à la question du Tibet, le Canada a adopté par le passé des positions très fermes à l'appui du peuple tibétain. Le Dalaï-Lama a été le bienvenu dans notre pays, et nous l'avons accueilli avec tous les honneurs.

Pour revenir à vous, par quels moyens concrets, outre le discours moral dissident, pouvons-nous contribuer à ce qu'on apporte les changements qui s'imposent, à ce qu'on en vienne, par exemple, à traiter les humains avec dignité, à ce qu'on cesse de vendre des parties du corps humain pour faire tourner l'économie? Ce que je veux dire, c'est qu'alors qu'on compte en Chine quelque 1 100 camps de travail—je crois que c'est ce que vous avez dit—où croupissent six millions de prisonniers, les seuls changements qu'on puisse observer découlent de l'amélioration de la situation économique. Le développement économique serait-il donc la seule façon d'amener les Chinois à évoluer?

• 1135

Quel est, à votre avis, outre le discours moral en faveur du respect des droits de la personne...? La Déclaration des droits de l'homme des Nations Unies a été rédigée par John Humphrey, un Canadien de ma circonscription, qui est décédé récemment. Je crois que nous avons contribué de façon très significative au contenu du code des droits civiques, mais...

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Madame Finestone, pourriez-vous...?

L'hon. Sheila Finestone: Oui, volontiers. Je voudrais qu'on m'indique un peu la voie à suivre.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): M. Wu devra être bref lui aussi.

M. Harry Wu: J'aurais une proposition à formuler que les membres de votre comité voudront peut-être examiner. Vous avez mentionné qu'il y avait six millions de personnes dans le laogaï. Dans les énoncés de politiques chinois, les camps de prisonniers portent deux noms différents. Dans le jargon judiciaire, on emploie le terme laogaï pour désigner un établissement du réseau des prisons. L'autre nom est celui qu'on donne à ce même établissement, mais comme entreprise, cette fois—une usine, une mine, une ferme.

Il est vrai de dire que ces établissements sont lucratifs pour l'État. Ce sont des centres de production. D'après les informations émanant du gouvernement chinois, on y fabrique quelque 200 sortes de produits destinés à l'exportation sur les marchés internationaux, y compris sur le marché canadien.

Récemment, les services douaniers américains ont ordonné la saisie de 26 produits illégaux. Aux États-Unis, l'importation de produits fabriqués grâce au travail forcé, quel que soit le pays d'origine, est illégale, mais pas au Canada. Je souhaite que le gouvernement canadien adopte une telle politique, une telle loi, et cesse de permettre l'entrée de ce genre de produits. C'est contraire à l'éthique. Ces produits ont été fabriqués au prix du sang et des larmes d'êtres humains captifs.

L'hon. Sheila Finestone: J'aime ce que vous dites, mais il faut que vous sachiez que le Canada a adopté, en ce qui a trait au travail des enfants, une position ferme que d'ailleurs il maintient toujours.

Mais ce dont nous parlons maintenant, c'est du travail de prisonniers...

M. Harry Wu: de travaux forcés.

L'hon. Sheila Finestone: ... et j'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce propos.

M. Harry Wu: J'ai témoigné en juin dernier devant le Parlement européen. On s'y préoccupe de cette question. J'espère que le gouvernement canadien en fera autant.

Deuxièmement, quand vous offrez au gouvernement chinois de participer aux travaux de construction du barrage des Trois Gorges, pourquoi ne lui dites-vous pas simplement: «Aimeriez-vous profiter de notre argent, de notre technologie, pour la réalisation de votre gros projet? Eh bien, nous avons une petite condition à vous poser. Nous voudrions que des observateurs soient autorisés à se rendre dans votre pays pour s'y entretenir avec des responsables d'activités religieuses clandestines. De même, nous voudrions revoir avec vous votre politique relative aux avortements forcés, au contrôle des naissances, car cette question nous préoccupe. Il y a actuellement au Canada de nombreux militaires qui font des affaires. Nous aimons les affaires, et tous les pays sont invités à commercer avec nous, mais nous n'aimons pas les entreprises militaires».

Les Chinois vendent des vélos de montagne et des chaussures de caoutchouc au Canada, mais le profit qu'ils en tirent sert à aider les militaires, ceux-là mêmes qui, comme vous le savez, ont écrasé de leurs chars les corps des étudiants sur la place Tiananmen.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Comme mes collègues l'ont fait précédemment, je veux vous remercier d'être présent à cette réunion de notre comité. Nous avons tous et toutes un grand respect pour le travail de conscientisation que vous faites, et votre courage mérite toute notre attention. Je crois qu'après votre départ, ce sera aux parlementaires de porter le message auprès des instances concernées.

Je suis d'accord en partie sur ce que Mme Finestone a dit plus tôt, que votre présence ici et le respect des droits de la personne doivent être mis de l'avant. Mais c'est quand même le gouvernement qui met les politiques de l'avant et je crois que c'est à lui qu'il revient de décrier haut, fort et vigoureusement la façon dont sont traités les droits de la personne, surtout dans votre pays, et dans l'ensemble des autres pays avec lesquels on peut faire du commerce.

• 1140

Puisque vous avez été un témoin direct de la situation des prisonniers en Chine et que vous êtes à même de constater la situation dans les camps de travail et les nombreuses violations des droits de la personne, j'aimerais d'abord vous poser deux questions directement liées à ces sujets. Si j'en ai le temps, j'en poserai une troisième.

Voici ma première question. Vous avez mentionné plus tôt, dans votre présentation, que le gouvernement chinois était actuellement au courant du trafic d'organes de condamnés à mort et y occupait une place active. Je crois que tout le monde ici a été scandalisé d'apprendre une chose pareille, que nous considérons tous comme étant très grave. Pouvez-vous nous exposer davantage ce que vous savez à ce sujet et, si c'est possible, nous dire qui sont les étrangers qui participent à ce trafic? Y a-t-il des Canadiens qui achètent ces organes? À votre connaissance, y a-t-il des gouvernements étrangers qui ont manifesté au gouvernement chinois leur désapprobation d'une telle pratique? C'est ma première question.

Voici ma deuxième. Pourriez-vous nous décrire les conditions de vie des prisonniers qui sont forcés de travailler pour fabriquer des biens de consommation vendus en Suisse et au Canada?

[Traduction]

M. Harry Wu: Merci de votre question.

À propos des organes, permettez-moi de vous citer un article du document chinois que voici datant du 9 octobre 1984 et portant sur l'utilisation des cadavres et des organes de criminels condamnés à mort. On y lit à l'article I:

    Les criminels condamnés à être exécutés doivent être fusillés [...]

Article III:

    Les cadavres ou organes des criminels condamnés à mort peuvent être utilisés:

      1. S'ils n'ont pas été réclamés ou si la famille du condamné refuse de les réclamer;

Qu'est-ce que cela signifie? Si, au cours des 19 ans que j'ai passés dans un camp, j'avais commis un acte répréhensible, on aurait pu m'exécuter, et personne n'aurait réclamé mon corps, du moins pas ma famille. Elle m'aurait déjà répudié et condamné. Elle aurait été forcée de se ranger du côté du gouvernement communiste. Mon corps serait donc devenu la propriété du gouvernement.

Paragraphes 2 et 3 de l'article III:

      2. Si le criminel condamné à mort en a volontairement fait don à un établissement médical;

      3. Si les membres de la famille du condamné y consentent.

Il est facile pour les responsables d'un camp de produire un tel document. Je pense que tout le monde comprend ce que je veux dire. Jusqu'à l'an dernier, on y a dénombré près de 20 000 meurtres, pour la plupart sur la personne de prisonniers. Nous ignorons combien d'organes ont ainsi été vendus à des pays étrangers, mais nous avons interviewé des patients du Canada, des États-Unis, du Japon, de l'Indonésie, de Hong Kong, de Taiwan, de la Thaïlande et de la France qui ont reçu des organes de prisonniers chinois condamnés à mort.

Nous avons entendu dire qu'en Inde et aux Philippines, des gens vendent des organes humains pour procurer de l'argent à leur famille. C'est une tragédie humaine. Il paraît qu'au Mexique et dans certains autres endroits comme les Philippines, la mafia tue des gens pour faire de l'argent. Ce sont là de funestes agissements.

Mais les ventes d'organes dont je vous parle sont le fait de la Chine communiste elle-même. C'est une opération gouvernementale, en application d'une politique gouvernementale. Et voilà que Jiang Zemin s'amène ici. Pourquoi ne lui demandez-vous pas tout simplement: «Ce document émane-t-il de votre gouvernement? À quoi sert-il? Combien d'organes sont ainsi effectivement prélevés et vendus? Auriez-vous l'obligeance de nous expliquer ce qu'il en est? Nous ne voulons pas seulement des renseignements sur votre développement économique et vos projets, nous voulons également savoir comment sont traités les êtres humains dans votre pays».

L'hon. Sheila Finestone: Pourriez-vous demander au témoin de déposer ce document auprès du Comité, s'il vous plaît?

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous aimerions que ce document soit déposé auprès du Comité.

M. Harry Wu: Oui, très volontiers.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

• 1145

M. Harry Wu: Votre seconde question portait sur les produits. On mentionne noir sur blanc dans le document que les pensionnaires des camps doivent travailler de 10 à 12 heures par jour. Par exemple, dans mon premier camp de travail, qui était une usine de produits chimiques, il y avait deux postes de travail, de minuit à midi, et de midi à minuit. Puis, on m'a envoyé travailler sur une ferme. Dès l'aube, nous partions aux champs pour n'en revenir qu'au coucher du soleil. Chacun avait une ration entière. Les prisonniers ont une pleine ration. Les gardiens disaient: «Bon travail, bonne nourriture; moins de travail, moins de nourriture; pas de travail, pas de nourriture». Celui qui refusait de travailler se voyait privé de nourriture. Chacun avait quotidiennement un quota de production à atteindre. Celui qui n'y parvenait pas était puni. Voilà comment on prétend réformer les prisonniers dans ces camps.

Un prisonnier n'est pas autorisé à pratiquer sa religion. Il doit renier ses idées politiques. Les communistes chinois disent: «Nous allons vous aider à devenir un nouvel être social». Vous savez probablement qu'il y a un slogan d'affiché à l'entrée des camps du laogaï: «Le travail, c'est la liberté». Je vous signale qu'il y a aussi un autre slogan en Chine: «Le travail fait de vous un homme nouveau». Les produits sont fabriqués au prix du sang et des larmes. Personne, à mon avis, ne devrait les acheter et se cacher cette réalité.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Wu, l'exportation de produits fabriqués grâce aux travaux forcés ou par des prisonniers est interdite depuis 1947 en vertu des règles du GATT. Le problème réside peut-être davantage dans la difficulté de faire appliquer ces règles. La Chine n'est pas membre du GATT, mais elle souhaiterait adhérer à l'Organisation mondiale du commerce, qui a remplacé le GATT.

Croyez-vous que nous ayons là une occasion privilégiée de faire plier la Chine sur cette question? Les produits chinois ont été frappés d'embargo pendant des années. Le problème des violations des droits humains s'est-il aggravé depuis le rétablissement de nos relations commerciales avec la Chine? Je comprends votre point de vue et je vous assure qu'en mon âme et conscience je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faudrait bannir ces produits, mais, dans la pratique, les embargos sur le commerce ne se sont-ils pas révélés inefficaces?

Je vous prie de m'excuser, monsieur Reed, ce sera votre tour tout de suite après.

M. Harry Wu: J'ai déjà mentionné que le Département d'État américain a en main un rapport qui est très clair sur ce point. Alors que l'économie progresse en Chine, le problème des violations des droits de la personne ne fait que s'y aggraver. On y observe un nombre croissant d'actes de violation de ces droits, notamment au Tibet, là où habite la minorité, y compris à Uighurs au Xinjiang. En outre, les activités religieuses clandestines y sont plus répandues qu'avant.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Serait-il efficace de rendre l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce conditionnelle au respect des droits de la personne?

M. Harry Wu: Madame la présidente, en toute franchise, je m'y connais très peu en diplomatie. Qu'est-ce que le GATT, et quel serait l'impact d'une éventuelle adhésion de la Chine au GATT... je n'ai pas de commentaires à formuler à ce sujet pour l'instant.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): D'accord, merci.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, madame la présidente.

Monsieur Wu, nous avons assisté il n'y a pas très longtemps à l'effondrement de l'Union soviétique et à l'écroulement d'un régime totalitaire qui avait été au pouvoir pendant de très nombreuses années. La chute de ce régime a été si totale que le vide ainsi créé n'a encore été vraiment comblé par rien d'autre. On y est donc passé d'un régime anarchique étatique à un autre régime anarchique qui, lui, s'exerce dans la rue.

• 1150

Nombreux sont ceux qui souhaitent voir la Chine libérée du communisme. Reste à savoir, je le crains, dans quelle mesure cette libération se fera brusquement. Vous avez signalé que la Chine se trouve actuellement à un carrefour et que certaines choses commencent à y bouger.

Pourriez-vous nous éclairer un peu sur la façon dont cette transition pourrait s'opérer sans qu'on assiste à une répétition des problèmes qui sont survenus lors de l'effondrement de l'Union soviétique?

M. Harry Wu: L'Union soviétique et le peuple russe paient cher aujourd'hui l'enterrement du régime communiste, mais quand quelqu'un meurt, il faut lui acheter un cercueil. Il y a un prix à payer. Les difficultés, les problèmes, qui existent actuellement en Union soviétique, en Russie, ne viennent pas du nouveau système. Ils viennent de l'ancien système. Ce pays était sous la domination communiste depuis 75 ans. Les Russes doivent maintenant payer le prix de leur libération.

Nous, les Chinois, devons aussi payer le prix économique du passage d'un système de propriété étatique à un système de propriété privée, du passage de la dictature à la démocratie, du passage d'une société dominée par un régime totalitaire et bureaucratique à une société démocratique, à une société dominée par le peuple. C'est tout un défi. Nous devons en payer le prix, et personne ne peut nous l'éviter, qu'il soit élevé ou faible.

Nous souhaiterions que la Chine évalue calmement la situation et choisisse d'évoluer vers une société démocratique. Vous le souhaitez, et je le souhaite également. Le problème, c'est la personne et le parti qui dirigent actuellement le pays. Comme je ne crois qu'ils accepteront d'abandonner tout bonnement le pouvoir, l'avenir de la Chine m'apparaît vraiment imprévisible. Le régime communiste chinois est en réalité une dynastie qui s'inscrit dans notre système traditionnel des dynasties féodales, lequel date de deux ou trois mille ans, et jusqu'à présent, la Chine ne s'est encore jamais écartée de cette voie. Mao et Deng ne portaient pas de couronne, soit, mais ils n'en ont pas moins perpétué ce même régime impérial.

Comment la Chine pourra-t-elle devenir une république populaire, un pays démocratique de liberté? Elle aura un très long chemin à parcourir pour y arriver. Les gens ont été totalement embrigadés, enrégimentés dans le système. Le communisme peut s'écrouler demain, tout comme le mur de Berlin a pu être démoli dans le calme, tout comme ce qui se produit aujourd'hui en Russie et ce qui est arrivé en Pologne. Les communistes ont repris le pouvoir en Pologne. Cela prend du temps.

L'histoire ne se déroule pas de façon rectiligne. Il y a des progrès et des reculs, parfois à répétition, mais, prises dans l'ensemble, les choses évoluent dans le bon sens.

M. Julian Reed: Vos propos nous donnent des motifs d'espoir, mais ce que j'essaie de vous exprimer, c'est le souhait que la transition s'effectue plus harmonieusement que ce ne fut le cas en Russie.

M. Michael To: Puis-je répondre à cette question?

M. Julian Reed: Bien sûr.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Rapidement.

M. Michael To: Nous nous sommes penchés sur deux cas où ce genre de transition s'effectue dans le contexte particulier de la région asiatique; l'un est celui de Taiwan, et l'autre, celui de la Corée du Sud. L'examen de ces deux exemples nous donne une bonne idée des mesures qu'on pourrait prendre pour que cette transition s'effectue en douceur en Chine, pour qu'on y évolue progressivement et systématiquement vers un plus grand respect des droits de la personne et vers la démocratie.

L'une des mesures dont il pourrait être très facile d'obtenir l'adoption consisterait à y libéraliser l'information, avant même d'en venir au multipartisme. Même sans système pluripartiste, l'action conjuguée du peuple et de la presse permettrait d'exercer une surveillance qui devrait normalement mener à la dénonciation des crimes qui sont commis. Puis, bien sûr, les cas de Taiwan et de la Corée du Sud pourront nous guider merveilleusement sur la façon d'amener un parti unique à permettre le multipartisme. Bien que les partis d'opposition n'aient pas encore délogé les régimes depuis fort longtemps en place dans ces deux pays, ce sont quand même là de bons exemples de transition. Mon mouvement et tous mes collègues étudient de près ces questions. Nous cherchons essentiellement des moyens d'assurer que cette transition pourra s'effectuer en toute sécurité.

• 1155

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Monsieur Wu, nous avions prévu terminer notre séance à midi, mais auriez-vous environ cinq minutes de plus à nous accorder? Il y a encore trois autres députés qui aimeraient vous poser des questions.

M. Harry Wu: Madame la présidente, j'ai une demande à vous faire.

La vice-présidente: (Mme Colleen Beaumier): Allez-y.

M. Harry Wu: J'aimerais vous remettre une bande vidéo, qui contient trois documentaires: un du réseau NBC, un autre produit pour la BBC en 1994, et un troisième produit par le réseau ABC en octobre dernier. J'espère que ces documents iront dans votre dossier officiel.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci. Mais aurez-vous quelques minutes supplémentaires à nous accorder?

M. Harry Wu: Oui.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Même dépassé midi? D'accord, merci.

M. Gurmant Grewal: Madame la présidente, j'aurais un commentaire à formuler pour le compte rendu. Mon ami du NPD a laissé entendre qu'un collègue de notre parti n'a aucune considération pour les droits de la personne et que nos déclarations sont contradictoires à cet égard. À ma connaissance, mon collègue a toujours reconnu la responsabilité du gouvernement en cette matière et jugé important que le gouvernement lutte pour le respect des droits de la personne.

Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Turp.

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Je vais poser ma question en anglais. Vous êtes un homme libre; vous avez prouvé que vous l'êtes maintenant. Vous avez démontré que vous être un libre penseur. Vous n'êtes lié à aucun gouvernement. Que pensez-vous de la politique actuelle du gouvernement canadien en ce qui concerne ses relations avec la Chine?

M. Harry Wu: À mon avis, la politique canadienne envers la Chine est essentiellement similaire à la politique d'engagement du gouvernement Clinton. À mon sens, c'est une sorte de politique d'apaisement: les droits de la personne au second plan, et bien souvent, aux oubliettes. La politique canadienne aujourd'hui est principalement axée sur le commerce, sur les affaires.

M. Daniel Turp: Est-ce correct?

M. Harry Wu: À mes yeux, non. Ce ne l'est pas non plus pour les Canadiens en général, je pense. Par exemple, l'administration Bush et l'administration Clinton ont accordé à la Chine, année après année, le statut de la nation la plus favorisée. Mais les sondages montrent que 68 p. 100 des Américains désapprouvent cette politique. Je crois que d'ici deux ou trois ans, tant au Canada qu'aux États-Unis, on sera amené à débattre très sérieusement de la politique à l'égard de la Chine.

M. Daniel Turp: Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): J'avais un certain nombre de questions à vous poser, mais je constate que la séance tire à sa fin. Une bonne part de nos inquiétudes, compte tenu des nombreux défis que nous a posés M. Wu, ou nous a amenés à... J'essaie, monsieur Wu, de me faire une idée claire de ce que nous pouvons faire comme pays, de ce que nous pouvons faire dans le concert des nations, pour presser la Chine d'apporter les changements qui vous apparaissent souhaitables, à part lui reprocher directement ses violations et lui imposer nos vues. Il me semble qu'on contribuerait davantage à accentuer les pressions internes en faveur du changement en permettant à CNN d'aller sur place—et j'en parle dans le sens d'un engagement à faire en sorte que le monde soit témoin de ce qui se passe—qu'en incitant les pays à oser dire aux autorités chinoises qu'ils ne traiteront pas et ne discuteront pas avec elles, ou ne feront quoi que ce soit d'autres, tant qu'elles ne les laisseront pas examiner leurs dossiers et leurs structures.

• 1200

J'ai de la peine à voir clair dans tout cela, à trouver ce que vous voulez exactement que nous fassions, nous les Canadiens, pour que les résultats que vous souhaitez puissent être atteints.

M. Harry Wu: J'ai une idée, ou peut-être une suggestion, à vous soumettre. J'espère que le Canada deviendra le premier pays au monde à condamner publiquement le système chinois du laogaï. Vous n'avez qu'à dire: «Nous connaissons ce système; cessez d'en nier l'existence». La Chine aurait beaucoup de mal à faire face à une condamnation aussi grave concernant la question du respect des droits de la personne.

Deuxièmement, j'espère que le gouvernement canadien adoptera une loi pour interdire et rendre illégales l'importation et la vente de tout produit fabriqué par des gens condamnés aux travaux forcés.

Troisièmement, j'espère que le Canada déclarera très officiellement qu'il condamne fermement la politique de contrôle des naissances.

J'espère que le gouvernement canadien adoptera une politique d'appui aux activités religieuses clandestines, puisque votre pays respecte la liberté religieuse. Il s'impose que vous fassiez savoir au gouvernement chinois que vous n'aimez pas sa politique en matière de religion.

Je ne puis vous faire de suggestions précises, mais je tiens à recourir à un autre exemple. Le gouvernement canadien, à l'instar de beaucoup d'autres gouvernements occidentaux, a refusé d'accéder à la demande de la Chine d'accueillir les Jeux olympiques de l'an 2000 à Beijing. Dans un premier temps, la réaction à l'intérieur de la Chine a été très vive. Les Chinois se sont dit que les pays occidentaux les discriminaient—qu'ils avaient envers eux une attitude impérialiste.

Plus tard, cependant, les Chinois se sont demandé pourquoi l'Occident les boycottait ainsi. Ils ont constaté que c'était parce que les droits de la personne n'étaient pas respectés dans leur pays. Dès lors, le peuple a pris conscience que la Chine avait vraiment un problème de respect des droits de la personne, que si on lui avait refusé d'accueillir les Jeux olympiques, c'était pour cette raison.

Cette mesure s'est donc révélée très efficace.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.

Monsieur Robinson.

M. Svend Robinson: Dans l'esprit de la question de Mme Augustine, je tiens à signaler également qu'à mon avis il est important que tout en concluant des marchés avec la Chine nous profitions de toutes les occasions qui nous sont données sur toutes les tribunes internationales qui se préoccupent des droits de la personne pour manifester notre profonde inquiétude concernant les politiques du gouvernement chinois en cette matière. Nous sommes nombreux à avoir vivement déploré que, dans le cours de cette année, le Canada ait refusé, pour la première fois depuis le massacre de la place Tiananmen en 1989, de coparrainer la résolution de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies condamnant l'attitude du gouvernement chinois.

J'ose espérer que le printemps prochain notre comité sera en mesure d'exercer de très fortes pressions sur notre gouvernement pour l'amener à au moins faire preuve d'un certain leadership dans ce forum international sur les droits de la personne et à joindre sa voix à cet égard à celle des autres pays qui ont tenu, eux, à coparrainer cette résolution. À vrai dire, il s'est agi d'un bien triste épisode de notre historique en matière de politique extérieure.

Je tiens à formuler une brève remarque entre parenthèses, car je ne voudrais pas qu'à cet égard mon silence soit interprété comme... Bien que je respecte profondément la position que vous avez prise sur la question des droits de la personne, certaines des mesures que vous souhaitez voir adoptées par la Chine sur le plan économique susciteront probablement des débats où s'exprimeront des opinions divergentes. N'oubliez pas que, par exemple, l'avalanche de mesures que l'ex-Union soviétique et les pays de l'Europe de l'Est ont adoptées dans le sens de la déréglementation, de la privatisation, etc. ont eu pour résultat d'aggraver énormément le problème de la pauvreté chez les enfants dans ces pays. L'UNICEF a pu constater que la situation y était terrifiante sur ce plan. Je pense donc que nous devons nous montrer prudents à l'égard de cette approche.

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Aujourd'hui même, le président de la Chine est reçu solennellement à dîner par le premier ministre Chrétien. On est actuellement à dérouler le tapis rouge devant votre président à quelques centaines de mètres d'ici. Monsieur Wu, si vous vous trouviez dans cette salle en présence de notre premier ministre et du président Jiang Zemin, quel serait le message le plus percutant que vous voudriez transmettre au président de la Chine à ce moment-ci, en tenant compte naturellement de la terrible tragédie dont vous avez été personnellement victime et de l'extraordinaire courage dont vous continuez de faire preuve en exprimant franchement vos opinions? Que diriez-vous directement à Jiang Zemin à cette occasion?

M. Harry Wu: D'abord, je pense que Jiang Zemin me reconnaîtrait. Voici ce que je lui dirais: «Tout ce temps, vous avez essayé de me détruire, mais vous n'y êtes pas parvenu. Vous ne pouvez donc pas détruire tous les êtres humains. Vous en avez détruit un grand nombre, mais vous verrez finalement que le peuple peut encore se tenir debout. Tirez-en la leçon».

À ce moment-ci, surtout si les Canadiens étaient disposés à interpeller les dirigeants chinois, je demanderais à Jiang Zemin: «Ce document émane-t-il de vous? Vous êtes le président de ce pays. Êtes-vous responsable de cette politique? Parlez-m'en. Combien de personnes ont été exécutées en vertu de cette politique? Dévoilez-m'en le nombre? Combien d'organes de prisonniers ont été prélevés jusqu'à maintenant? Combien de ces organes ont été vendus à des patients de l'étranger?»

Ce serait simple, mais je ne crois pas que les Canadiens accepteront d'intervenir de la sorte.

M. Svend Robinson: Merci.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous vous remercions beaucoup de nous avoir consacré plus de temps que prévu. Votre témoignage a été des plus intéressants. Je crois que vous pouvez compter sur l'engagement individuel et solidaire de tous et chacun d'entre nous. Votre visite aura marqué pour nous le début d'une recherche de solutions qui soient efficaces. Je salue votre courage et je vous remercie beaucoup de votre présence parmi nous aujourd'hui.

M. Harry Wu: Merci. J'en suis très honoré.

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): La séance est levée.