FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 2 juin 1998
[Traduction]
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Je voudrais ouvrir cette séance du comité.
Je souhaite la bienvenue au ministre, M. Boudria, qui a gentiment accepté de nous faire un compte rendu de son voyage en Algérie. Les membres qui ont voyagé avec lui, les sénateurs Comeau et De Bané, sont avec lui.
Madame Alarie, je vous souhaite la bienvenue au comité.
[Français]
Madame Folco, vous préférez être parmi les accusés plutôt qu'avec nous, les membres du comité. Vous nous abandonnez, madame Folco? D'accord. Monsieur le ministre, vous avez une influence impressionnante sur vos collègues.
Monsieur le ministre, s'il vous plaît.
L'hon. Don Boudria (leader du gouvernement à la Chambre des communes, chef de la délégation parlementaire canadienne en Algérie): Je croyais être au banc des témoins et non au banc des accusés, mais comme vous êtes maître de la loi, je suis sûr que vous connaissez cette nuance.
D'abord, j'aimerais remercier le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de nous permettre de faire cette présentation ce matin. Je sais que vous nous aviez invités à deux reprises, je crois, dans le passé. Toutefois, comme vos réunions ont lieu généralement le mardi matin, à la même heure que celles du Conseil des ministres, cela présentait certains défis. Heureusement pour nous, car cela nous permet de témoigner, la réunion du Conseil des ministres a lieu jeudi cette semaine, ce qui a rendu cette rencontre possible.
Du 28 février au 4 mars dernier, les témoins qui comparaissent devant vous ce matin ont eu le grand privilège de visiter l'Algérie. Cette mission se voulait à la fois ministérielle et parlementaire. En ma qualité de ministre, j'avais le plaisir d'agir comme représentant du gouvernement, mais en plus, nous avions une excellente brochette de parlementaires, lesquels m'accompagnent aujourd'hui.
J'aimerais m'attarder à cela pendant deux ou trois minutes. D'une part, comme vous le savez, le sénateur Pierre De Bané est le premier Canadien d'origine arabe à siéger au Parlement de notre pays. Donc, lors de cette visite, le fait d'avoir l'ancien ministre et sénateur De Bané parmi nous nous a beaucoup aidés dans cette mission.
Deuxièmement, Mme la députée Hélène Alarie a elle-même vécu en Algérie. Comme elle nous l'a dit pendant le voyage, l'une de ses filles est née à Alger. D'ailleurs, elle en a informé le maire et gouverneur de la ville d'Alger, parce qu'Alger est à la fois une province et une ville.
Mme la députée Raymonde Folco faisait également partie du groupe. En plus d'être une députée représentant le parti ministériel au Québec, elle est une ancienne juge de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Elle était un élément important du groupe, compte tenu qu'elle connaît bien plusieurs dossiers reliés aux difficultés que vit l'Algérie.
Finalement, et non le moindre, il y avait M. le sénateur Gérald Comeau. Le sénateur Comeau est professeur d'économie, comme on le sait, et les dossiers économiques sont beaucoup reliés à la situation actuelle en Algérie.
Pour ma part, c'était mon deuxième voyage dans ce pays, le premier ayant eu lieu en décembre 1996, à l'époque où j'étais ministre de la Coopération internationale et ministre responsable de la Francophonie. Donc, voilà pour l'introduction.
J'aimerais maintenant vous faire part de certains détails de notre visite. Premièrement, nous avons rencontré en Algérie le premier ministre, cinq ministres et de nombreuses autorités gouvernementales. Nous avons rencontré 50 députés de l'Assemblée nationale populaire et 12 sénateurs membres du Conseil de la nation. Pour la plupart des membres du Conseil de la nation, c'était la première fois qu'ils rencontraient une délégation étrangère, puisque le Sénat a tenu son assemblée inaugurale pendant que nous étions en visite là-bas.
Nous avons rencontré séparément six partis siégeant à la Chambre des députés et des journalistes représentant neuf quotidiens indépendants. Les journalistes indépendants, nous ne les avons pas rencontrés à notre hôtel. Nous avons plutôt choisi d'aller leur rendre visite à la maison de la presse, qui a été bombardée il y a quelques années.
• 1135
Sur place, on nous a montré l'endroit où on
exposait les corps des journalistes assassinés par les
terroristes de l'Algérie. On a vu tout ce
phénomène et on a peut-être, à un moment donné, causé
certaines inquiétudes à ceux et celles qui étaient
chargés de la sécurité, mais on voulait rencontrer les
gens sur place pour ne pas avoir seulement la
perspective
de gens qui ont vu ce pays de leur
chambre d'hôtel.
Nous avons eu des rencontres avec 22 associations de la société civile, plusieurs d'entre elles vouées aux victimes du terrorisme et à leurs familles. Il s'agissait de regroupements de veuves, de représentants de l'enfance en difficulté, de l'enfance victime de violence, des orphelins de gens qui ont été assassinés. De plus, on a rencontré sur place le principal syndicat des travailleurs algériens, l'UGTA. Nous nous sommes rendus sur place. On a monté les mêmes escaliers que leur regretté secrétaire général, lui-même assassiné il n'y a pas tellement longtemps. Donc, on a rencontré une bonne gamme de gens.
Nous avons eu des discussions franches et directes avec tous ceux et celles qu'on a voulu rencontrer. Nous n'avons souffert d'aucune interdiction, et personne n'a tenté de nous empêcher d'aucune façon de visiter qui que ce soit. On a pu voir les gens qu'on voulait voir, là où on voulait les voir. Étant donné les critiques de certains, il est important d'ajouter cet élément-là, surtout lorsqu'on parle de visiter l'Algérie.
[Traduction]
Nous avons également rencontré des parlementaires algériens, et nous avons été très impressionnés par le calibre des gens qui siègent à leur Parlement, leur éducation et leurs opinions sur diverses questions. Quand nous avons rencontré ces gens, nous avons rencontré des organisations complètement laïques. Nous avons rencontré des membres des partis politiques intégristes comme le Hamas et l'Ettahaddi et des groupes semblables, qui avaient des liens beaucoup plus forts avec des cultes que d'autres groupes que nous avons pu rencontrer.
Nous avons rencontré tous ces gens, et nous avons parlé de tout, depuis la situation économique du pays jusqu'aux mesures nécessaires pour renforcer la sécurité en Algérie. Sauf exception, tout le monde nous a dit que les crimes en question, les assassinats, avaient été commis par des terroristes, et en règle générale ils connaissaient ces terroristes personnellement. Autrement dit, une fois leur identité connue, les auteurs des crimes disparaissent dans la nature.
Personne ne nous a dit, directement ou indirectement, que les forces armées ou le gouvernement avaient participé à la Commission ou à l'omission de ces actes criminels.
[Français]
On nous a toutefois souligné plusieurs choses. Premièrement, il faut admettre qu'il y a plusieurs cas de ce qu'on appelle là-bas des dépassements ou, devrais-je dire, d'abus des droits de la personne. Nous avons rencontré l'Observatoire national des droits de la personne, un organisme qui est plutôt affilié au gouvernement, et nous avons rencontré d'autres organismes beaucoup plus distants du gouvernement. Tous s'entendent pour dire qu'il y a des abus. Bien sûr, ceux qui sont plus proches du pouvoir disent qu'il y en a moins en termes de nombre et ceux qui sont plus distants disent qu'il y en a plus. On peut s'attendre à cela.
Dans plusieurs cas, on nous a parlé de jeunes soldats qui procèdent à l'arrestation d'une personne ou qui attrapent sur le fait une personne qui a commis des crimes ou tué des membres de sa famille. Il sont tentés, ce qui n'est pas correct, d'administrer une justice qui est parfois très sommaire.
• 1140
Le gouvernement offre des armes
aux habitants des villages. On les nomme les
patriotes. Plusieurs de
ces villageois armés pour
se protéger contre les actes de terrorisme
n'ont pas de formation en justice ou dans
la façon
de faire de la police, etc. Bien sûr, là aussi,
il y a des gestes qui sont posés pour l'administration
de la justice, gestes qui sont peut-être compréhensibles si on
se met à leur place, mais qui ne sont certainement pas
corrects.
J'aimerais demander à mes collègues membres de la délégation d'ajouter quelques points. Cependant, avant de terminer, j'aimerais vous faire part de deux ou trois observations que nous ont faites les gens de ce pays.
Les gens de l'Algérie trouvent que les reportages—je parle surtout des jeunes, des enfants, des adolescents, des jeunes artistes, des intellectuels, mais surtout des jeunes que nous avons rencontrés—de la communauté internationale donnent un portrait plus ou moins réel de leur pays. Une jeune artiste qui est venue à une rencontre à la maison de la veuve de l'ancien président nous disait: «À la télévision, on montre des Algériens qui meurent, des Algériens qui pleurent, mais jamais des Algériens qui vivent.» C'était une constatation importante.
Les jeunes nous disent également qu'un des graves problèmes de leur pays est le manque d'investissements, le chômage, surtout chez les jeunes, etc. Tant et aussi longtemps que la communauté internationale ne s'intéressera pas à investir davantage dans ce pays... Je pense que nous, au Canada, nous pouvons contribuer beaucoup, parce que nous sommes déjà des partenaires commerciaux importants, à créer de l'emploi pour aider la jeunesse de ce pays. Les autres en parleront à leur tour. Voilà, je voulais faire cette observation au sujet de la jeunesse algérienne.
Il est important de noter aussi que les médias algériens indépendants, de même que les médias gouvernementaux, ont un peu la même opinion au sujet du message véhiculé sur leur pays. Ce n'est pas qu'ils ne veuillent pas que la population des autres pays connaisse la vérité au sujet des grandes difficultés que vit ce pays, mais il ne faut quand même pas une raison pour présenter des faits qui parfois ne sont pas véridiques à propos du pays.
Au sujet de l'initiative internationale de la Commission onusienne des droits de la personne—je pense que je serai généreux en le disant comme cela—, il n'y a pas beaucoup d'appétit en Algérie pour une initiative semblable. D'ailleurs, il n'y en a à peu près pas. Il n'y en a pas dans la population qu'on a rencontrée; il n'y en a pas dans les syndicats; il n'y en a pas dans les groupes de travailleurs; il n'y en a pas dans les partis politiques, au gouvernement, dans l'opposition, etc. Je n'en ai pas vu non plus dans la société civile.
Aux yeux de certains, si on misait plutôt sur une initiative algérienne appuyée par des intervenants internationaux, on aurait peut-être de meilleures chances de succès et on pourrait peut-être mieux contribuer au processus de développement ou d'élaboration de la bonne entente dans ce pays.
Voilà certains éléments. Je suis sûr que les autres voudront en ajouter d'autres. J'en ai oublié plus que j'en ai dit. Après tout, on a passé plusieurs jours dans ce pays et on a rencontré tous les gens que je viens de vous décrire.
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. D'autres membres de votre délégation aimeraient peut-être ajouter quelque chose, après quoi nous passerons directement à la période des questions. Comme vous le savez, on a perdu une demi-heure de notre temps. Donc, nous pourrions peut-être restreindre nos interventions.
• 1145
Monsieur le sénateur De Bané.
Le sénateur Pierre De Bané (De la Vallière, Lib., membre de la délégation parlementaire canadienne en Algérie): Lorsque votre comité a fait une étude, il y a quelques années, sur les axes fondamentaux d'une nouvelle politique des affaires étrangères, l'une des choses qu'il avait recommandées était que le Canada, par le biais sa politique étrangère, fasse la promotion de nos valeurs, l'une d'entre elles étant la démocratie.
Je dois vous dire que lorsque nous sommes allés là-bas, j'ai vécu l'expérience la plus émouvante de toutes celles que j'ai vécues personnellement en 30 ans comme parlementaire: d'une part, une population qui essaie de mettre en place un système démocratique et, d'autre part, des gens qui sont résolus à empêcher la démocratie de prendre racine dans leur pays.
Comme vous le savez, malgré les menaces des terroristes, la Constitution a été approuvée par un pourcentage très important de la population et, malgré les menaces des terroristes, le taux de participation au référendum a été très élevé.
Par la suite a eu lieu l'élection du président. Encore là, au-delà de 76 p. 100 de la population a participé à ces élections supervisées, entre autres par des organisations internationales, où le Canada avait six observateurs.
Comme le disait M. le ministre, nous avons rencontré là-bas tous les partis politiques. Le RND, le parti du président, compte 156 sièges. Le MSP en compte 69; d'ailleurs, le candidat à la présidence de ce parti était ici il y a une semaine. Le FLN en compte 62; l'Ennahda, 34; le FFS, 20; le RCD, 19; les indépendants, 11; et les travaillistes-trotskistes, 4; enfin, de petits partis ont 5 représentants. Cela fait un total de 380.
Ce qui m'a frappé là-bas, c'est de voir que depuis ces élections, il y a maintenant dans les deux chambres une nouvelle génération d'hommes politiques algériens. Beaucoup sont très jeunes et nous disent à nous, les Canadiens: «Vous, vous êtes une vieille démocratie et on a besoin de votre aide.»
En effet, si jamais, par malheur. les terroristes devaient triompher dans ce pays-là, il est clair que non seulement les autres pays du Maghreb arabe mais aussi les 22 pays arabes tomberaient dans le fondamentalisme intégriste totalitaire, qui n'a rien à voir avec la religion, avec une foi sincère. Il s'agit plutôt d'un groupe qui veut établir une dictature. C'est contre cela que la population algérienne lutte.
Il y a eu trop d'informations sur ce qui se passe là-bas et on a eu tendance à mettre dans le même sac les autorités et les tueurs. Évidemment, la population, de toutes tendances, s'est exprimée vigoureusement contre un amalgame de la sorte.
Donc, je suis extrêmement heureux d'avoir fait partie de cette délégation et j'ai été très ému par
[Traduction]
la détermination des gens que nous avons rencontrés, leur volonté de vaincre ces terroristes qui ont commis plus de 10 000 actes de terrorisme au cours des cinq ou six dernières années. Ils ont tué des enfants, des femmes, des journalistes, des médecins. Ils ont incendié plus de 1 000 écoles, plus de 100 hôpitaux. À mon avis, nous avons le devoir de prendre toutes les mesures possibles pour aider ce pays à renforcer cette nouvelle démocratie.
[Français]
Le président: Merci, monsieur le sénateur De Bané.
On va maintenant passer directement aux questions. Monsieur Mills.
[Traduction]
M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Je pense que nous éprouvons tous beaucoup de compassion pour le peuple algérien, qui souffre beaucoup en raison de ces terroristes.
Je suppose que nous avons tous été étonnés de voir comment on avait procédé pour constituer ce groupe. Il y a deux heures, le Comité des affaires étrangères s'est penché sur le problème. J'espère que les choses n'en resteront pas là. Le Comité des affaires étrangères a appris la nouvelle dans les journaux, ce que j'ai trouvé étrange.
• 1150
Je me demande pourquoi les parlementaires de l'Union
européenne ont eu autant de difficultés à rencontrer des gens et à
sortir de la capitale quand ils se sont rendus là-bas. Ils sont
rentrés chez eux, disant qu'il n'y a avait aucun espoir, qu'ils ne
les laisseraient rien faire.
Avez-vous pu aller dans les villages? Avez-vous pu parler aux enfants dans les écoles, aux gens au marché, dans les bars et restaurants des petits villages?
Si les gens étaient si ouverts envers nous, comme vous l'avez indiqué, monsieur Boudria, c'est merveilleux. Je me demande maintenant comment nous pourrions les aider à régler les problèmes des rebelles. Voilà le problème. On tue des innocents. Comment peut-on mettre fin à la tuerie? Qu'est-ce que le Canada peut faire, et est-ce que nous faisons quelque chose?
M. Don Boudria: Tout d'abord, vous avez mentionné la méthode suivie pour sélectionner les parlementaires. Quant à moi, un ministre algérien m'a invité personnellement. Les présidents des deux Chambres du Parlement algérien ont réitéré l'invitation.
Ensuite, j'ai consulté les leaders à la Chambre de tous les partis à la Chambre des communes, en commençant par l'Opposition officielle. Nous voulions avoir des représentants des deux Chambres, de deux partis de chaque Chambre et des deux sexes dans les deux Chambres. Dans le cas du Sénat, le leader du gouvernement à la Chambre a choisi le sénateur De Bané. Il a fallu un peu plus de temps pour que l'opposition suggère quelqu'un; finalement, le sénateur Comeau a accepté de venir.
J'ai consulté notre propre whip, et comme nous avions deux hommes du Sénat à ce moment, j'ai trouvé qu'il nous fallait deux femmes de la Chambre. On avait prévu une délégation de cinq personnes. Le gouvernement a choisi Raymonde Folco, et ensuite j'ai demandé à chaque parti de l'opposition de me proposer quelqu'un. Nous avons dû consulter l'opposition deux fois avant que l'on nous donne le nom d'Hélène Alarie, parce qu'au début, on a suggéré quelqu'un du Parti réformiste et la personne a changé d'avis.
C'est vrai que les députés de l'Union européenne ont connu des difficultés à leur arrivée, mais je crois que vous avez mal analysé leur succès. Je crois que tout le monde est d'accord pour dire que M. Cohn-Bendit n'a pas été tout à fait aimable avec les autorités algériennes quand il est arrivé. Le sentiment était peut-être réciproque. Mais au moment de son départ, il a déclaré que son opinion au sujet de sa visite avait beaucoup changé.
Deuxièmement, quand j'ai atterri à Paris en arrivant d'Alger, j'ai organisé une réunion avec le Dr Soulier, le membre du Parlement européen qui avait dirigé la délégation européenne. J'ai passé en revue la liste de nos déclarations, et je lui ai donné un exemplaire de nos constatations. Il a dit quelque chose comme: «Enfin quelqu'un qui a compris ce qu'on a vu». Autrement dit, il a trouvé que nos constatations étaient presque identiques aux siennes. Nous avons comparé les témoins que nous avions rencontrés, et nous nous sommes rendu compte qu'à l'exception des parlementaires, c'était des gens tout à fait différents. Évidemment, avec divers partis politiques et leurs dirigeants, ce sont les mêmes gens peu importe qui vient pour les rencontrer. Nous sommes arrivés à des conclusions semblables.
On a déjà annoncé quelques initiatives pour aider l'Algérie, et je pense que nous commençons à faire du bien. Je ne prétends pas que notre pays a toutes les réponses, mais comme Canadiens, nous sommes dans une position privilégiée. Nous ne sommes pas une grande puissance coloniale européenne du passé à laquelle ces pays ne font pas confiance.
• 1155
Après avoir été colonisé 132 ans par une puissance européenne
et soumis à 30 ans de dictature, il est normal d'être un peu
réticent envers des étrangers qui vous disent ce qui est le mieux
pour vous.
Les autorités algériennes éprouvent cette méfiance, comme presque tout le monde. Toutefois, peut-être parce que nous sommes venus de loin, peut-être parce que nous parlons la même langue, peut-être parce que nous n'avons jamais envahi un autre pays, parce que le Canada a sa façon de faire et ses intérêts, et peut-être parce que nous avons des liens commerciaux avec l'Algérie, ils nous écoutent et ne se sentent pas insultés.
Je crois comprendre qu'un ministre a dit au sénateur De Bané, «Vous, les Canadiens, vous dites les mêmes choses que les autres, mais quand vous les dites, ça ne sonne pas pareil à notre oreille.» En d'autres termes, ils n'ont pas une crainte naturelle ou artificielle de nous.
Vous m'avez demandé ce que nous avons fait comme pays, et non comme délégation, même si nous avons apporté une contribution. Tout d'abord, nous avons essayé de renforcer les liens entre les deux Parlements. D'après le sénateur De Bané, cette démocratie émergente est comme un arbre sans racines. Si nous voulons qu'il lui pousse des racines, il nous faut l'aider. La semaine passée, un ancien ministre est venu ici nous visiter, et il a signé un protocole d'entente avec notre gouvernement sur la formation des ressources humaines.
Deuxièmement, une délégation algérienne vient au Canada du 8 au 13 juin, dirigée par le président de leur Sénat lui-même.
En troisième lieu, nous avons créé un groupe d'affinités Canada-Algérie. Dans notre pays, nous avons l'impression qu'un groupe d'affinités parlementaires est une bonne chose, mais je vous assure qu'ils trouvent que c'est encore mieux. C'est plus qu'une bonne idée. Pour eux, c'est une initiative très importante qui montre que notre pays se soucie du sort de l'Algérie.
Par ailleurs, des gens d'affaires canadiens ont organisé une initiative commerciale en Algérie, et je crois que l'on va répéter l'expérience ici en septembre, et la réunion sera présidée par mon collègue au cabinet, le ministre Sergio Marchi. Le ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy, a annoncé quelques initiatives, y compris de l'aide à des organismes dans la société civile pour aider les victimes de la violence là-bas, les orphelins et ainsi de suite. On a annoncé des projets là-bas d'une valeur de 300 000 $. Le Devoir et le journal El Watan ont conclu une entente pour travailler en partenariat. En outre, le Canada travaille avec la Norvège pour mettre en oeuvre un projet pour aider les enfants victimes de violence et qui ont des séquelles psychologiques. En janvier, le premier ministre a été le premier à envoyer un émissaire personnel après les élections pour tenir une première réunion avec les Algériens. C'est le Canada qui a agi en premier pour toutes ces initiatives, et le Canada est associé à d'autres initiatives.
[Français]
La Centrale de l'enseignement du Québec a préparé un intéressant rapport sur le terrorisme et l'Algérie. Ce groupe a même parlé de certains changements qui sont en train de se produire dans ce pays et de la contribution canadienne. Je pourrais en parler davantage, mais je pense avoir déjà donné quelques exemples de la différence qu'on a faite et surtout qu'on peut faire en notre qualité de Canadiens et de Canadiennes. Je pense que cela démontre que les parlementaires canadiens représentant leur pays dans une initiative semblable sont écoutés par les peuples de pays comme l'Algérie et d'autres, et qu'on peut faire une différence par notre contribution.
Le président: Merci beaucoup. Madame Folco, vous avez quelque chose à ajouter?
Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib., membre de la délégation parlementaire canadienne en Algérie): Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter mes commentaires à ceux du ministre Boudria sur la question que vient de poser le député, à savoir pourquoi le Canada a réussi à mettre les pieds en Algérie et à rencontrer toutes les personnes qu'il a demandé à rencontrer.
• 1200
Je peux vous dire
que nous avons rencontré trois
organismes des droits de la personne en Algérie, dont un
organisme officiel, bien entendu, mais aussi, ce qui est
peut-être moins évident, un
individu qui a déjà joué le rôle d'avocat auprès des
terroristes islamistes. Nous l'avons rencontré en
privé, tout seul, sans la présence des forces de
l'ordre et des membres du gouvernement.
C'est un élément important. Nous avons aussi
rencontré un troisième groupe qui représentait les
droits des personnes victimes des actes de terrorisme.
Je voulais ajouter cet élément.
Pour revenir sur la question du député, le Canada n'est pas perçu du tout de la même manière que les anciens pays européens, non seulement la France mais aussi d'autres pays comme la Grande-Bretagne et la Belgique. Leur rôle en Afrique, comme tout le monde le sait, a été traumatisant pendant des décennies, sinon des siècles, alors que nous n'avons pas joué ce rôle de pouvoir colonial. Il faut ajouter à cela que, lorsque la guerre d'Algérie a éclaté et que l'Algérie s'est déclarée indépendante de la France, il y a un nombre important de ressortissants algériens et français qui sont repartis en France, qui y sont encore et qui, dans certains cas, jouent un rôle assez important par rapport à l'État algérien.
L'Algérie avait aussi demandé aux délégations européennes de voir le rôle que jouent certains groupes de ce que j'appellerais une certaine diaspora islamiste—je dis bien islamiste—dans des pays comme la Grande-Bretagne, la France et la Belgique, un rôle d'organisation de réseaux terroristes qui enverraient certainement de l'argent et des armes en Algérie.
Que je sache, nous n'avons pas ce genre de grands groupes terroristes bien organisés Canada, et je pense que le fait que nous jouons un rôle beaucoup plus neutre a eu beaucoup à voir avec l'acceptation de notre présence en Algérie et le type de personnes que nous avons pu rencontrer.
Certaines des personnes que nous avons rencontrées étaient presque considérées persona non grata par le gouvernement et, pourtant, nous avons pu les rencontrer seules et elles nous ont dit le fond de leur pensée.
Le président: Monsieur Turp.
M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): D'abord, monsieur le ministre, comme vous le savez très bien, j'attendais impatiemment votre visite et la visite des membres de la délégation devant le comité. Je trouve que le délai a été excessivement long. Vous avez fait rapport et fait une conférence de presse le 11 mars. Vous vous présentez devant ce comité le 2 juin. Je sais qu'un ministre est très occupé, mais je trouve que le délai a été excessif.
Si vous présidez d'autres délégations, j'espère vous aurez à l'esprit l'importance pour un comité comme le nôtre de rencontrer rapidement les membres d'une délégation de façon à ce que vous ayez frais à la mémoire, bien que cela semble être le cas aujourd'hui, les événements que vous aurez vus et les commentaires que vous aurez entendus.
J'ai voulu personnellement éviter que le délai soit aussi long dans le cas de la délégation au Chipas dont j'ai fait partie. Elle sera entendue par ce comité jeudi, dans deux jours, alors que sa mission se terminait il y a à peine 10 jours. C'était une remarque que je voulais faire, parce que j'avais insisté auprès de vous à plusieurs reprises pour que cette réunion ait lieu rapidement après votre retour d'Algérie.
J'aurais aussi des demandes sur la façon dont vous avez fonctionné, pour m'éclairer personnellement et pour éclairer le comité sur les façons de faire lorsque d'autres délégations vont se rendre dans des pays étrangers en mission d'établissement des faits comme dans ce cas-ci, et peut-être même pour nous éclairer, nous qui devons continuer notre travail sur le Chiapas, puisque cela semble être, pour le ministre des Affaires étrangères, une façon de procéder que de créer de telles délégations ou missions parlementaires et ministérielles.
Pour ce qui est de la composition, je comprends ce que vous nous avez dit. Pour ce qui est du rapport que vous avez fait le 11 mars, j'aimerais savoir dans quel contexte il a été fait. A-t-il été fait en consultation avec les membres de la délégation? Comment avez-vous fonctionné?
• 1205
Comment avez-vous fait
part de vos conclusions au ministre des Affaires
étrangères, puisque la date du rapport coïncide avec la
conférence de presse à l'occasion de laquelle le
ministre a annoncé une série d'initiatives? Donc, je
voudrais tout simplement savoir comment, au plan de la procédure,
vous avez fonctionné pour qu'on puisse
évaluer si un tel fonctionnement devrait être utilisé
pour d'autres missions et si vous avez vous-même des
recommandations à faire sur le fonctionnement de telles
délégations et les suites à donner aux missions dans
des pays étrangers.
J'aurais trois questions sur le fond, d'abord sur la délégation européenne de l'Union européenne. J'ai pris connaissance du rapport de M. Soulier et des commentaires qu'avait faits M. Cohn-Bendit à son retour. Il disait une chose assez intéressante sur les massacres, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Dans une intervention que faisait M. Soulier devant le Parlement européen, il disait que, concernant les massacres en Algérie, il notait qu'à part une ou deux exceptions, tous les interlocuteurs algériens n'avaient aucun doute que les massacres avaient été commis par des terroristes. Je voudrais savoir si vous avez entendu parler de ces exceptions.
Ma deuxième question porte sur les médias. Vous avez peu parlé des médias, de leur situation, de leur indépendance. M. Axworthy, dans son communiqué, disait que des mesures allaient être envisagées pour encourager la presse algérienne indépendante. Donc, je voudrais avoir votre évaluation de l'état d'indépendance ou de dépendance de la presse algérienne. Je crois comprendre que la presse n'a le droit de publier que si elle est autorisée à publier. Le gouvernement doit autoriser la publication des journaux.
Ma troisième et dernière question porte justement sur la commission d'enquête. Avant que vous vous rendiez en Algérie, nous avions, comme l'avaient fait les Européens et les Américains, le Department of State américain, évoqué l'idée d'une commission internationale d'enquête.
Après le retour de votre délégation et des discussions avec Mme Alarie, nous avons été sensibilisés à l'argument voulant que le plupart des gens en Algérie ne souhaitent pas une telle commission. Vous venez d'évoquer vous-même l'idée qu'une commission interne où il y aurait des observateurs internationaux pourrait être acceptable pour le gouvernement. Je voudrais savoir s'il y a eu des suites à cela et si, à la lumière du fait qu'il y a d'autres massacres—il y en a eu encore la semaine dernière—, cette question-là doit nous préoccuper.
Pour conclure, je vous demanderais des suggestions sur les questions que nous devrions poser aux parlementaires qui vont se présenter devant notre comité dans une semaine, je crois. J'aimerais avoir vos suggestions à ce sujet.
M. Don Boudria: Tout d'abord, j'ai indiqué au début que je regrettais le délai entre notre visite en Algérie et notre comparution aujourd'hui, délai qui a été causé par plusieurs choses. D'une part, comme je l'ai évoqué plus tôt, vos réunions se tenaient en même temps que celles du Conseil des ministres. Deuxièmement, votre comité a entrepris un projet qui a quelque chose à voir avec le dossier nucléaire. Je n'ai pas les détails. Apparemment, cela a causé une complication au moins pour une date. Il y a eu trois ou quatre contretemps comme ceux-là. Mais c'est noté.
Au sujet de délégations futures, je peux difficilement répondre au nom de M. Axworthy. Dans mon cas, c'était une invitation. J'ai expliqué plus tôt les origines de la mission. D'abord, une invitation a été faite pour un ministre au tout début, en décembre dernier, invitation qui a été faite au sénateur De Bané et à moi-même. Ensuite, cela s'est confirmé par une lettre des présidents des assemblées. C'est comme cela qu'a commencé toute la chose.
• 1210
Vous me dites que
le ministre des Affaires étrangères a tendance à
établir des missions de parlementaires. Alors, il va
falloir que vous lui posiez cette question.
Je ne peux
vous en dire davantage, si ce n'est qu'en général, les
whips ou les leaders parlementaires sont consultés sur
la composition des délégations. C'était le cas quand
je jouais mon ancien
rôle de whip en chef du gouvernement,
avant de devenir ministre. C'est la façon habituelle
de procéder,
nais je peux seulement répondre en termes généraux.
En ce qui a trait au rapport de notre groupe, nous l'avons préparé en Algérie. Avant même de quitter, nous avons eu deux rencontres, si ma mémoire est fidèle: une pour parler d'une ébauche de rapport et une autre pour l'ajuster ou corriger le tir lorsqu'il y avait lieu de le faire, etc. Nous avons par la suite fait une conférence de presse à Alger tous ensemble. Nous savions déjà tout ce que nous voulions dire avant même de mettre les pieds sur le sol canadien.
Après ma rentrée, j'ai contacté mon collègue le ministre des Affaires étrangères pour lui faire état de ce que nous avions constaté, et c'est à ce moment-là qu'il a choisi d'annoncer tout de suite des mesures pour réagir, mesures qui, dans certains cas, ont déjà eu du succès.
Au sujet des commentaires de M. Soulier, nous avons rencontré une personne qui était très près du FIS. On pourrait la qualifier ainsi. Lorsqu'on lui a demandé si le gouvernement ou les militaires auraient pu être coupables de quoi que ce soit, elle a dit: «On ne l'exclut pas» ou quelque chose comme cela. Elle non plus n'a pas accusé le gouvernement. Personne d'autre n'a même utilisé ce langage. Les autres me corrigeront s'il y a des exemples qui sont meilleurs ou plus forts que celui-là. C'est le seul qui me vient à l'esprit.
Au sujet des médias...
Le sénateur Pierre De Bané: Si vous me le permettez, monsieur le ministre, lorsque nous avons rencontré le ministre des Affaires étrangères, M. Attaf, il nous a dit que 73 bavures des représentants des forces de l'ordre avaient été sanctionnées. C'est l'expression qu'il a employée.
M. Don Boudria: Au sujet des médias et de l'indépendance des médias, on a passé près de deux heures en conférence à la maison de la presse. Je dois vous dire qu'on n'était pas très confortables, compte tenu que l'endroit avait été bombardé. Le Canada a acheté des ordinateurs et du matériel pour refaire cet établissement, qui est la maison de la presse indépendante algérienne. On leur a demandé: «Qu'est-ce que vous pouvez écrire? Où est la barre?» C'est ce langage qui revenait constamment. Et les journalistes nous disaient: «Écoutez, il y a un an, si j'avais écrit ce que j'écris aujourd'hui, j'aurais sans doute été jeté en prison. Aujourd'hui, j'écris des choses que je ne pouvais pas écrire.» On sait qu'il y a une barre quelque part, mais on a de la difficulté à la trouver au moment où on se parle, parce qu'elle change constamment. Cette barre est continuellement en train de changer. En d'autres termes, on leur donne une plus grande liberté d'expression.
Plusieurs d'entre eux avaient été emprisonnés jadis pour avoir écrit des textes. Ils nous disaient que non seulement ils pouvaient écrire à peu près ce qu'ils voulaient, mais aussi qu'il y avait toujours une inquiétude. Ils disaient: «Déjà, c'était facile. On savait que si on rapportait un crime ou si on utilisait un certain langage, on serait sanctionnés. C'était clair. Tout ce qu'on avait à faire, c'était de ne pas le faire. C'était clair. C'était facile comme cela.» Maintenant, cela les inquiétait parce qu'il y avait une nouvelle ouverture dont il était encore impossible de connaître les paramètres. En d'autres termes, c'est maintenant beaucoup plus libre qu'autrefois mais, selon eux, cela change constamment. J'invite les autres à en parler davantage.
• 1215
Je vais terminer en faisant un commentaire sur la
commission interne. Il n'est pas assuré qu'une
commission interne fonctionnerait, mais à mon avis, et je
pense que c'est l'opinion de tous, une commission
interne dirigée par des Algériens serait pour eux beaucoup plus
acceptable qu'une commission dirigée à
partir de l'extérieur, compte tenu des 132 ans de colonialisme,
des 30 ans de période totalitaire, etc.
Vous m'avez demandé de vous suggérer des points de discussion intéressants en prévision de votre rencontre avec les parlementaires qui viendront témoigner. Un point intéressant serait le nouveau Parlement, surtout le Sénat, le Conseil de la nation, qui est en train de se tailler une place dans la structure de gouvernance du pays. Ils savent qu'ils doivent avoir des commissions parlementaires, mais ils sont en train d'examiner ce qu'ils feraient au juste dans leurs commissions parlementaires.
Voilà un sujet qui, je pense, serait intéressant. On pourrait, à titre de Canadiens et Canadiennes, faire la promotion de cette cause en en parlant comme d'un travail non seulement intéressant, mais aussi de grande valeur pour les Algériens et pour la communauté internationale, qui aimerait que l'Algérie ait un meilleur système d'imputabilité. Donc, je pense que ce serait un sujet très intéressant à soulever lors de cette rencontre.
J'aimerais que les autres élaborent sur l'indépendance des médias et aussi sur d'autres sujets.
Le président: Mme Alarie avait quelque chose à ajouter. Il faut aussi promouvoir l'existence du Sénat, je crois, madame Alarie. Tel est le but de votre...
Mme Hélène Alarie (Louis-Hébert, BQ, membre de la délégation parlementaire canadienne en Algérie): L'Assemblée nationale est composée de six partis qui sont presque toujours... Il y a une coalition. Donc, tout le monde se surveille. Les débats à l'Assemblée nationale sont très animés.
Ils ont fait une ouverture. Ils ont tenu un débat télévisé de 19 heures sur le terrorisme. C'était la première fois que ce genre de débat était télévisé, et il semble que la cote d'écoute a été aussi bonne que celle du Mondial.
Ils sont tous en compétition. Quand on était là, il y avait beaucoup de congrès de partis. Pour moi, c'est une fenêtre qui était impensable il n'y a pas si longtemps.
Quand je vivais en Algérie, il y a 25 ans, il y avait un journal qui s'appelait le el-Moudjahid. C'était le journal d'État. Il existe toujours. Ils sont déjà montés, nous ont-ils dit, jusqu'à 120 titres, et c'était un abus. Actuellement, il y aurait une trentaine de titres, dont une dizaine qui sont très lus, en tout cas dans les journaux de la capitale. Cela aussi est un changement majeur.
Le président: Merci.
Madame Folco, très brièvement.
Mme Raymonde Folco: Oui, monsieur le président.
J'aimerais ajouter un élément à ce que vient de dire M. le ministre en réponse à la question de M. Turp sur le genre de questions que nous pourrions poser. Je reviens sous mon chapeau de membre du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Le statut de la femme en Algérie est très complexe. D'une part, selon la Constitution, la femme a le droit de vote. D'autre part, il existe un Code de la famille qui ne donne pas à la femme le droit de propriété et qui la met sous la tutelle légale d'un membre mâle de sa famille. Il se trouve que le Code de la famille est en pleine révision. En tout cas, il l'était lorsque nous avons passé ces quelques jours en Algérie.
Par la suite, nous avons rencontré des groupes civils, dont plusieurs groupes de femmes qui ont essayé de nous en parler. Nous avons posé beaucoup de questions. Pour moi, la relation entre le Code de la famille et le rôle de la femme selon la Constitution n'est pas très claire. Étant donné que le code fait encore l'objet de discussions ou vient tout juste d'être approuvé par le gouvernement, je pense que la situation exacte de la femme par rapport à la Constitution et aux membres mâles de sa famille serait une question importante à aborder avec les parlementaires.
Le président: Merci, madame Folco.
Monsieur Paradis.
M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Monsieur le ministre, collègues de la délégation, dans un premier temps, je vous félicite de votre travail et vous remercie de votre rapport.
• 1220
Vous indiquez, monsieur le ministre, que les nouvelles
institutions démocratiques sont maintenant en place et
qu'elles commencent à fonctionner.
Vous nous parlez dans votre
rapport du
système politique. Vous nous parlez aussi de ce qu'on
peut appeler ici le quatrième pouvoir, la
presse.
Ma question porte sur la séparation des pouvoirs dans une nouvelle démocratie qui commence à fonctionner. Est-il trop tôt pour cela? Est-ce qu'on en est rendu au point où on peut parler, par exemple, du judiciaire? Comment fonctionne la séparation des pouvoirs? Quelle sorte de système judiciaire ont-ils? Est-ce qu'il est indépendant? Est-ce que vous avez eu des consultations sur place à cet égard? Ont-ils un régime de droit civil ou de common law? Sommes-nous prêts à les aider au chapitre de la séparation des pouvoirs, ce qui est important pour une démocratie qui démarre?
M. Don Boudria: Quant au pouvoir législatif, comme on parle d'une institution qui n'existait pas, il est inutile de préciser qu'il a à peine dépassé l'état embryonnaire. Premièrement, comme je le disais plus tôt, le Sénat a tenu sa première rencontre lorsque nous étions là. Ils n'ont même pas de commissions parlementaires structurées. Il n'est pas question que l'ancienne commission détienne le pouvoir en attendant la nouvelle, puisqu'il n'y en avait même pas. Donc, tout commence.
Il n'y a pas de doute qu'il y a quelque temps, les militaires détenaient la quasi-totalité du pouvoir, mais depuis lors, la Constitution a été ratifiée. Cela donne un poids à la démocratie.
Par la suite, le président, qui avait déjà été choisi d'avance, a quand même été confirmé dans sa fonction par un mécanisme démocratique. Cela ajoute à la racine démocratique dont je parlais plus tôt. La chambre des députés, l'Assemblée nationale populaire, existe depuis environ un an et demi ou peut-être un peu plus longtemps. Il y a donc là un début de démocratie. Le Sénat, élu indirectement par des grands électeurs, ressemble un peu au système français. Ce n'est pas surprenant puisque les deux pays ont tellement de choses en commun. Cela commence tout juste à s'affirmer. Ce n'est que le début. Il est encore trop tôt pour parler de la séparation de pouvoirs entre l'exécutif et le législatif.
Je me permettrai de faire une observation. Le sénateur De Bané vient de porter à mon attention le fait que nous avons rencontré le Dr Saïd Sadi, le président du RCD. Dans notre système, on dirait que c'est le chef de l'opposition. C'est le chef du parti arrivé en deuxième place aux dernières présidentielles.
M. le sénateur De Bané est intervenu et lui a posé des questions. Il lui a demandé: «Est-ce que le président actuel a été élu démocratiquement d'après vous?» En partie, sa réponse a été: «Oui, bien sûr, il a été élu à près de 80 p. 100 des voix. Quoi qu'on puisse en dire, c'est sûr que c'est lui qui a gagné.» Il a ajouté: «Dans un deuxième temps, le fait que nous sommes en train de tenir cette rencontre aujourd'hui, que je suis en train d'en parler et que je ne suis pas mis en prison parce que j'en parle, c'est déjà beaucoup. La dernière fois que je l'ai fait, j'ai été mis en prison.» Il a fait trois ans de prison après l'avoir fait la dernière fois. Je pense que c'est intéressant comme observation.
Je demanderais au sénateur ou à d'autres de parler du dossier de l'État de droit et des institutions judiciaires.
Le sénateur Pierre De Bané: Là-dessus, le président Zéroual a été extrêmement catégorique: il veut que la nouvelle Algérie soit un pays de la règle de droit. Il a insisté énormément sur cela. Je lisais un des discours qu'il a faits récemment, alors que la magistrature constituée était présente. Il a insisté énormément pour dire que l'Algérie nouvelle devait être un pays où la règle de droit est respectée.
M. Denis Paradis: Vous parlez de la magistrature. Est-ce une magistrature indépendante de l'État? Sont-il nommés à vie, etc.? Cela existe-t-il déjà ou s'il est trop tôt dans leur évolution pour penser à cela? Deuxièmement, je voulais savoir s'ils avaient un régime de droit civil ou pas.
Le sénateur Pierre De Bané: La magistrature est une question que nous n'avons pas fouillée. Évidemment, comme c'est un pays musulman, le droit qui a été adopté là-bas devait refléter les convictions musulmanes de la population. Je n'ai pas la compétence pour parler de ce sujet, mais j'ai été frappé que, dans son discours, le président dise qu'il fallait que l'Algérie nouvelle soit un pays fondé sur la règle de droit. C'était très clair. Au Dr Saïd Sadi, qui nous a dit cela alors qu'on rencontrait les différents parlementaires, on a dit: «Écoutez, certains sont cyniques et disent que la démocratie ici est plutôt artisanale, superficielle.» Il a répondu: «Comme chef d'un parti d'opposition au gouvernement, j'ai déjà passé trois ans en prison.» Il a ajouté: «Je suis aujourd'hui dans le Parlement, je reçois des parlementaires canadiens ici et je leur fais part de mes critiques contre le gouvernement en place. Je dois reconnaître qu'il y a eu du progrès.» Il a dit qu'il fallait reconnaître qu'il y a eu du progrès.
Mme Hélène Alarie: C'est d'ailleurs un homme très intéressant.
Le sénateur Pierre De Bané: Très intéressant.
Le président: Ce serait un progrès même chez nous, monsieur le sénateur.
[Traduction]
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): J'ai des questions sur le profil de l'Algérie, préparé par le ministère des Affaires étrangères.
Dans ce document, on dit «Gouvernement: République unitaire (Gouvernement civil)». Plus loin on dit «Chef d'État: Général». Monsieur le ministre, voyez-vous une contradiction dans un gouvernement civil dirigé par un général?
Ma deuxième question porte sur nos liens commerciaux avec l'Algérie. Je vois que de 1989 à 1993 nos exportations vers l'Algérie ont diminué tandis que nos importations augmentaient. Y a-t-il une raison à ça? Avez-vous soulevé cette question avec eux?
Au bas de la première page, on lit ce qui suit: «En 1990, les premières élections municipales sont remportées par le Front islamique du salut (FIS). En 1992, suite aux succès du FIS lors des élections, celles-ci sont annulées...». Avez-vous débattu de cette question? Ont-ils soulevé la question auprès de vous? Étaient-ils préoccupés par l'annulation des élections, ou est-ce que les partis d'opposition et les forces armées ne sont plus préoccupés par cette question?
M. Don Boudria: Nous avons parlé de toutes ces choses. Comme je l'ai indiqué il y a un moment, au début, le général Zéroual n'a pas été choisi démocratiquement. C'était un chef militaire. Mais j'ai dit que depuis ce temps, il y a eu une ratification constitutionnelle et des élections qui l'ont confirmé dans son rôle de façon démocratique, comme je le dis. Bien sûr, ce n'est pas aussi valable que d'être élu démocratiquement la première fois. Je pense que tout le monde doit l'admettre.
Il y a une différence. Je ne fais que conjecturer, mais maintenant que le président a été confirmé de façon démocratique et que le Parlement a été élu et le Sénat, élu de façon indirecte, et que les élections municipales ont eu lieu et toutes ces choses, je pense que si quelqu'un essayait de renverser le président Zéroual maintenant, ce serait beaucoup plus difficile qu'autrefois. Il jouit maintenant d'une certaine approbation démocratique, pour ainsi dire, qui n'existait pas avant. C'est une question de degré.
Pour ce qui est du commerce avec l'Algérie, nos deux exportations principales vers ce pays sont le blé dur et le lait en poudre. Nos exportations de lait en poudre ont diminué. Nous pourrions développer nos liens commerciaux avec l'Algérie dans bien d'autres domaines, mais je suppose que le problème de la sécurité n'a pas beaucoup aidé à encourager de nouveaux investissements canadiens dans ce pays.
Quant aux exportations venant de l'Algérie, comme ce sont des produits pétroliers pour la plupart, ces produits peuvent donc être encore expédiés à l'étranger.
• 1230
Quant au FIS et aux élections, je vous donne une explication
plus ou moins approximative. La première ronde a eu lieu. La
seconde, jamais. Ensuite, on a apporté une modification à la
Constitution qui disait qu'un parti qui se présente aux élections
ne peut pas promouvoir la destruction du régime démocratique par
lequel il s'est fait élire. On a fait cette modification à la
Constitution parce que le FIS a dit que s'il était porté au pouvoir
il allait détruire l'institution démocratique qui l'avait mis en
place. Cela faisait partie de son programme.
On a modifié la Constitution de cette manière, et c'est une disposition irrévocable. On ne peut pas la modifier avec une majorité de deux tiers. Dorénavant, cette disposition ne peut pas être modifiée.
Je ne sais pas ce que je ferais en tant que Canadien si un de mes compatriotes se présentait aux élections avec l'intention déclarée de détruire la démocratie dans notre pays. Cela donne à réfléchir.
[Français]
Je sais que Mme Folco voulait ajouter quelque chose.
Mme Raymonde Folco: Si vous me le permettez, je veux simplement ajouter que
[Traduction]
nous au Canada voyons cette situation à titre d'étrangers, mais si le FIS était venu au pouvoir en Algérie, comme le ministre l'a indiqué, il avait non seulement l'intention de supprimer la démocratie mais aussi les droits de beaucoup de groupes minoritaires et majoritaires, c'est-à-dire des femmes et de la population berbère et d'autres groupes minoritaires qui se seraient retrouvés sans droit de vote et sans possibilité d'appel concernant leurs droits fondamentaux. C'est une chose dont il faut tenir compte.
Cela semble une situation assez paradoxale pour la défense de la démocratie. Mais il faut adopter une perspective à long terme puisque le pouvoir entre les mains du FIS signifiait l'anéantissement de la démocratie pendant longtemps.
Le sénateur Pierre De Bané: Le Dr Sadi, qui a fait trois ans de prison, ne voulait pas qu'on permette au FIS de prendre le pouvoir.
Aujourd'hui l'Algérie est le partenaire le plus important du Canada de toute la région de l'Afrique, du Moyen-Orient et du Golfe persique. Le ministère des Affaires étrangères estime que 76 p. 100 de la population a participé aux élections du général Zéroual. Il y avait plusieurs candidats. Il a remporté 61 p. 100 des scrutins et d'après le ministère, il a été élu de façon démocratique, comme dans tous les autres pays occidentaux.
M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.): Une question a été posée concernant la nature et le statut de cette délégation. On a posé plusieurs questions à la Chambre et il y a eu des communications privées de la part des députés adressées au ministre pour exprimer des inquiétudes concernant la situation en Algérie. La question a été soulevée directement auprès du ministre algérien des Affaires étrangères à plusieurs reprises. À l'époque le gouvernement de l'Algérie avait beaucoup de réticences concernant des visites de délégations étrangères, surtout de l'Union européenne, mais il a fait savoir qu'il accepterait de recevoir une délégation menée par un ministre.
Je pense que M. Boudria avait déjà fait cette visite en tant que ministre de la Coopération internationale plusieurs mois auparavant. Ils ont reçu la délégation. Je pense qu'une délégation de ce genre établit ses propres règles, c'est un cas sui generis. Il n'y a pas forcément un rapport avec d'autres groupes parlementaires et son succès évident témoigne de l'intérêt de cette méthode.
Mais il n'y a absolument rien qui empêche, par exemple, la visite d'un comité parlementaire canado-algérien, qu'on est en train de créer apparemment, ou de ce comité avec l'autorisation du gouvernement algérien. Si le comité décidait qu'il voulait y aller, nous exercerions certainement des pressions auprès du gouvernement algérien pour qu'il nous reçoive. Nous aurions un mandat différent et peut-être des points de vue et des objectifs différents du comité Boudria.
Je félicite le comité d'avoir réussi à ouvrir la porte. C'était un beau coup pour nous. Je le dis ayant visité deux fois l'Algérie dans les années 70 à titre professionnel pour donner des conférences. Personnellement, je serais ravi si le comité décidait d'accorder la priorité à cette visite. Cela nous permettrait de donner suite aux travaux du comité Boudria.
Le président: Je vous remercie au nom de tous les membres du comité, monsieur le ministre, et je remercie aussi vos collaborateurs. Je me joins à M. McWhinney pour dire que vous avez fait quelque chose de remarquable et j'espère que nous pourrons poursuivre vos efforts avec succès dans les domaines que vous nous avez signalés. Je vous remercie beaucoup de votre travail.
[Français]
Avant de partir, j'aimerais, de la part de M. Turp et de nous tous, souhaiter la bienvenue à trois étudiants de sa circonscription qui sont ici comme observateurs aujourd'hui. Ils seront peut-être un jour députés, sait-on jamais, s'ils ne sont pas trop découragés par les événements dont ils ont été témoins aujourd'hui.
[Traduction]
La séance est levée jusqu'à 15 h 30. Nous nous réunirons à la salle 701 pour entendre parler de la Commission de l'énergie atomique et des restrictions concernant les ventes d'énergie atomique à l'étranger.