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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 11 juin 1998

• 1047

[Français]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Nous revenons à notre étude sur la non-prolifération nucléaire, le contrôle des armes et le désarmement. Je suis très content d'accueillir devant le comité le professeur Grand, qui est venu de Paris malgré la grève d'Air France. Monsieur Grand, je ne sais pas comment vous avez pu venir ici sans l'aide d'Air France, mais on ne vous le demandera pas.

M. Grand est professeur à l'École spéciale militaire de Paris, si je comprends bien.

M. Camille Grand (chargé de cours, École spéciale militaire de St-Cyr Coëtquidan; témoigne à titre personnel): De St-Cyr Coëtquidan.

Le président: De St-Cyr. Vous savez que nous avons entendu par satellite il y a deux semaines sir Michael Quinlan et Harold Mueller de Francfort. Vous êtes donc le troisième et dernier témoin que nous allons entendre pour notre étude sur la non-prolifération nucléaire. Bienvenue.

M. Camille Grand: Merci, monsieur le président. Je suis très honoré d'être ici aujourd'hui devant cette commission, d'autant plus être partie de cette étude, parce que je crois indispensable que le débat sur les questions nucléaires soit à la fois le plus ouvert et le plus démocratique possible et ne soit pas l'apanage d'une petite communauté d'experts à laquelle j'ai le plaisir d'appartenir. C'est beaucoup plus intéressant, à mon avis, quand on s'ouvre vers l'extérieur et quand des institutions démocratiques comme des parlements s'intéressent à ces questions-là de manière à ne pas enfermer ce débat dans un groupe d'experts ou d'officiels ou appartenant au monde des ONG ou des universités. Cela a été trop souvent le cas dans le passé, mais je pense que la situation actuelle, qui n'est pas une situation de confrontation, permet au contraire une plus grande ouverture et une plus grande transparence dans ce domaine. Donc, je ne peux que m'incliner devant cette initiative d'une étude menée aujourd'hui à Ottawa.

J'ajoute, selon l'usage, que je ne m'exprime qu'à titre strictement personnel et que je ne représente ni le gouvernement français ni aucune institution française pour laquelle je travaille ou pour laquelle j'ai eu l'occasion de travailler. C'est important parce qu'il y a de sensibles différences entre mes propos et les propos du gouvernement français. Donc, je ne voudrais pas vous induire en erreur sur ce point. Enfin, je suis également personnellement très heureux d'être là même si les hasards des grèves des compagnies aériennes font que le chemin du Canada passe désormais par New York, mais c'est une chance, de toute manière, d'être ici.

Donc, je vais très rapidement faire ma présentation en insistant sur trois éléments: d'abord, sur l'évolution, qui me paraît substantielle, du rôle des armes nucléaires au cours des 10 dernières années et qui ne me semble pas avoir été suffisamment prise en compte; d'autre part, sur le rôle et les missions qui leur sont dévolus aujourd'hui, en fait sur ce qu'il reste comme fonctions aux armes nucléaires; enfin, sur le progrès qu'on peut faire en matière de désarmement, notamment sur le rôle que peut jouer, très modestement de mon point de vue, un pays comme le Canada, sachant que ce rôle ne sera pas modeste.

• 1050

Le premier constat, c'est d'abord de souligner l'extraordinaire réduction du rôle des armes nucléaires depuis la fin de la Guerre froide, du moins dans les stratégies et dans les arsenaux des grandes puissances.

Je ne vais pas vous rappeler les réductions quantitatives menées par les États-Unis et la Russie, car vous les connaissez fort bien. Je crois que vous avez eu l'occasion de rencontrer des collègues américains qui ont dû vous expliquer cela en beaucoup plus grand détail que je ne saurais le faire. J'insiste aussi sur le fait que ces réductions concernaient également les puissances nucléaires européennes, donc la France et le Royaume-Uni. Je crois que c'est intéressant de relever que des pays qui avaient seulement quelques centaines d'armes nucléaires ont également fait des choix de réduction importants.

Pour la France, l'ordre de grandeur est quand même de 30 p. 100, soit le passage d'environ 500 têtes nucléaires à moins de 400 aujourd'hui, ce qui vous donne une idée de l'ampleur de la différence qui subsiste entre la Russie et les États-Unis d'un côté, et la France et le Royaume-Uni de l'autre. Cela donne également une idée du volume de réduction opéré par un pays comme la France, qui s'est également dessaisie de toute une série d'armes, dont discutent aujourd'hui nos alliés américains. Par exemple, la France ne dispose plus d'aucun missile sol-sol par une série de décisions unilatérales. Elle s'est privée de ce type d'armes, que les gens qui travaillent sur le de-alerting à Washington, comme MM. Blair et von Hippel souhaitent voir les États-Unis mettent hors service également.

En fait, aujourd'hui, dans ce schéma général de réduction, il n'y a que la Chine qui ne suive pas ce mouvement de réduction des arsenaux. Je me permets de le souligner ici parce que ce n'est pas dit. La Chine a un discours très en pointe en matière de désarmement, mais qui n'est pas suivi dans les faits.

Deuxième point de l'évolution: il y a une véritable crise de légitimité du nucléaire. L'arme nucléaire a été très fortement associée à la Guerre froide et sa légitimité a été contestée par une série d'événements internationaux de nature diplomatico-juridique. Je les rappelle brièvement, mais vous avez sans doute eu l'occasion de voir ces documents: l'avis consultatif de la Cour internationale de justice, le rapport de la Commission Canberra, les différentes propositions des pays non alignés dans le cadre de la Conférence du désarmement ou de l'Assemblée générale des Nations unies dans le sens d'un programme d'élimination rapide de toutes les armes nucléaires et surtout, à mon sens, la déclaration de 1995, dite sur les principes et objectifs de la non-prolifération et du désarmement, adoptée lors de la conférence du Traité de non-prolifération à New York qui, me semble-t-il, est le document le plus important dans ce domaine. Tous ces éléments ont réduit à la fois la légitimité et l'espace du nucléaire, même si peu d'entre eux ont une force juridiquement contraignante pour les puissances nucléaires.

On trouve le même constat dans le domaine politico-stratégique avec la fin de la menace soviétique, qui justifiait très largement les programmes nucléaires des pays occidentaux et réciproquement.

Du point de vue strictement militaire, des phénomènes comme la révolution dans les affaires militaires, dont on parle beaucoup aux États-Unis, tendent à délégitimer la qualité et le rôle du nucléaire puisque des armes conventionnelles seraient en mesure de remplacer le nucléaire dans beaucoup de ces missions.

On peut ajouter à tout cela le renforcement des sentiments antinucléaires dans l'opinion publique internationale et dans les opinions publiques des différents pays, mouvement qui a pris énormément d'ampleur depuis Tchernobyl et qui nuit à la légitimité de l'arme nucléaire même si on peut voir une certaine injustice là-dedans, puisqu'on confond un problème nucléaire civil avec l'arme nucléaire elle-même.

Parallèlement, la communauté internationale a adopté un certain nombre de mesures et de traités qui, depuis le début des années 1990, encadrent strictement la place du nucléaire dans nos stratégies. Cet encadrement est très lourd, et on aurait difficilement pu imaginer, il y a une quinzaine d'années, que les États nucléaires accepteraient de telles restrictions. C'est l'interdiction complète et définitive des essais nucléaires, quelle que soit leur puissance. C'est l'arrêt de production de matières fissiles, qui est, pour l'instant, décrété de manière unilatérale par quatre des cinq puissances nucléaires, mais qui pourrait s'élargir et devenir un traité, ce que je souhaite. C'est également le renforcement des assurances de sécurité, en 1995, qui contraint en quelque sorte la stratégie des puissances nucléaires.

• 1055

Enfin, dernier élément de ce tableau de l'évolution du rôle du nucléaire: les concepts ont profondément changé. Aujourd'hui, les positions stratégiques sont beaucoup moins dépendantes du nucléaire qu'elles ne l'étaient auparavant, en particulier pour les pays occidentaux. C'est le cas de la position stratégique de l'OTAN et de l'expression the last resort ou l'ultime recours, qui montre bien l'évolution phénoménale du rôle du nucléaire dans la stratégie de l'Alliance atlantique, qui est passée d'un emploi très précoce à un emploi en ultime recours. On retrouve ce type d'évolution à différents degrés dans les politiques des puissances des pays occidentaux. C'est plus compliqué dans le cas de la Russie et de la Chine, mais peut-être qu'on aura l'occasion d'y revenir dans le débat.

Enfin, il serait incongru de terminer ce tour d'horizon sans évoquer le phénomène de la prolifération nucléaire, qui a pris récemment un tour un peu inquiétant avec les essais de l'Inde et du Pakistan et qui permet de dire, en reprenant l'expression d'un de mes collègues parisiens, que le nucléaire se trouve en voie de marginalisation parmi les puissances nucléaires officielles et, d'une certaine manière, en voie de banalisation dans d'autres parties du monde, notamment en Asie.

C'est peut-être un petit peu caricatural dit sous cette forme, mais je crois que c'est inquiétant de relever ce double mouvement qui nous voit encadrer certains éléments de notre rôle nucléaire et y renoncer—je parle des pays occidentaux—, alors que le nucléaire a tendance à se banaliser en Asie. Je crois qu'on peut aujourd'hui noter qu'il y a davantage de puissances nucléaires actives en Asie qu'en Europe. En Europe, il y a traditionnellement la Russie, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. En Asie, il y a désormais l'Inde, le Pakistan, la Chine, la Russie et les États-Unis, donc une situation où les schémas habituels ont profondément changé ou sont en train de profondément changer.

Certes, c'est la reconnaissance de quelque chose qui était officieux, qui existait de facto. Donc, il ne faut pas s'alarmer outre mesure. Cette existence de la capacité nucléaire de l'Inde et du Pakistan était quelque chose de connu, mais on est quand même devant une évolution tout à fait majeure, qui va faire de l'Asie le centre de nos préoccupations en matière nucléaire dans les années à venir.

Quel est rôle des armes nucléaires aujourd'hui, dans ce contexte réduit? Il me semble qu'on n'a pas encore tiré toutes les conclusions de cette évolution dans la définition du rôle des armes nucléaires, aussi bien au sein de l'Alliance atlantique que dans les stratégies des différentes puissances nucléaires.

Il me semble que les fonctions stratégiques et militaires de l'atome sont aujourd'hui à la fois extraordinairement résiduelles et extraordinairement substantielles. C'est-à-dire qu'on est sur quelque chose qui touche à la sécurité dans ce qu'elle a de plus sensible et qui, en même temps, se réduit vraiment à cet espace-là et ne touche plus l'ensemble de la gamme des problèmes de sécurité tels qu'on avait l'habitude de les concevoir.

Donc, la dissuasion en matière stratégique se trouve encadrée. C'est ce que les Américains appellent la core function, ou la fonction centrale, c'est-à-dire une fonction de réassurance entre puissances nucléaires pratiquement. Essentiellement, il s'agit de se prémunir et de prémunir ses alliés contre un chantage ou une attaque nucléaire émanant d'une puissance nucléaire déclarée ou d'un proliférateur ayant réussi.

L'arme nucléaire joue un rôle de dissuasion à l'encontre de menaces massives. On peut dire que cette fonction a toujours été et demeure pacificatrice. Un auteur français qui s'était intéressé à ces questions et qui est devenu plus connu depuis, qui est Régis Debray, parlait de l'arme de la paix dans les années 1980, ce qui est un paradoxe que beaucoup de nos alliés européens, par exemple, ont du mal à intégrer. C'est une expression qui fait réfléchir, sans doute, et c'est pour cela que je la rappelle.

Donc, on a une évolution des positions stratégiques dans un moindre niveau d'armes et une limitation à cette question des intérêts vitaux et de la protection du territoire national et des alliés contre une attaque qui devra être massive. Je pense que tous les pays évoluent dans cette direction.

• 1100

C'est, par exemple, le sens de la PDD-60, la presidential decision directive dont on a eu une connaissance l'hiver dernier, adoptée par le président Clinton. Elle réduit substantiellement, d'après ce qu'on en sait—on sait qu'elle existe, mais on n'a pas le détail—, les plans de ciblage un peu délirants qui étaient ceux des États-Unis pendant la Guerre froide.

Il reste donc un problème assez épineux. C'est la question des armes chimiques et biologiques qui préoccupe beaucoup les États-Unis. Je crois que l'éventualité d'une riposte nucléaire à une attaque chimique ou biologique est à la fois improbable et inefficace. Improbable, parce que je ne vois pas dans quelle condition un des pays occidentaux dotés de l'arme nucléaire utiliserait l'arme nucléaire en premier, même les États-Unis. Si les États-Unis étaient les premiers et les deuxièmes dans l'histoire à utiliser l'arme nucléaire, et les troisièmes, pourrait-on dire, après Hiroshima et Nagasaki, cela poserait, à mon avis, un problème politique majeur. Ce serait donc très délicat.

Ensuite, cette menace est très difficile à... Comment définir les représailles? Si c'est du terrorisme chimique ou biologique, on ne va pas, sur un soupçon, répondre par une attaque nucléaire contre une puissance extérieure du Moyen-Orient ou que sais-je encore. Elles me semblent également militairement inefficaces pour deux raisons, d'abord parce que ces représailles risqueraient d'être disproportionnées et perdraient donc de leur sens militaire, et ensuite parce que les objectifs qu'on peut assigner à ce type de représailles pourraient, à mon avis, être largement atteints dans un avenir très prochain avec des moyens conventionnels.

C'est pour cela que je ne crois pas que ce soit nécessaire d'entrer dans ce débat qui ne se pose, à mon avis, que dans des cas absolument extrêmes d'une utilisation massive d'armes biologiques contre un autre État, qui aujourd'hui relève largement de la science-fiction, malgré les romans à succès dans ce domaine.

J'ajoute que, bien entendu, le fait que les armes chimiques et biologiques soient interdites par les deux conventions de 1972 et de 1993 peut poser un problème dès lors qu'on évoluera vers une limitation supplémentaire des armes nucléaires, dans la mesure où il faudra bien que ces conventions soient universelles au même titre qu'une éventuelle réduction ou élimination de l'arme nucléaire.

Les armes nucléaires ont enfin une fonction que je qualifierais de symbolique, qui pose un problème aujourd'hui. À mon avis, c'est un des échecs du travail de la communauté internationale au cours des dix dernières années que de ne pas avoir su réduire cette fonction symbolique, dans la mesure où, par exemple, le lien artificiel et historiquement récent entre la capacité nucléaire et l'appartenance au Conseil de sécurité des Nations unies en qualité de membre permanent est maintenant tenu pour une évidence et trop souvent avancé par les puissances nucléaires.

Je crois très sincèrement, pour être allé par exemple en Inde, que si on avait su répondre aux demandes de statut des Indiens avant qu'ils ne procèdent aux essais du mois dernier, on aurait peut-être—je dis bien peut-être—évité ces essais. Si l'on n'avait pas continué en quelque sorte à expliquer par notre attitude que c'était l'arme nucléaire qui faisait la différence entre les grands et les petits, l'Inde n'aurait peut-être pas ressenti de façon aussi urgente le besoin de procéder à ces essais.

Il faut aussi que nous, puissances nucléaires—et là je parle également pour la France—, sachions démontrer que les avantages apparents de la possession d'armes nucléaires sont avant tout des responsabilités et ne nous donnent pas un prestige ou des droits supérieurs à ceux d'autres pays. C'est pour cela que j'insistais en ouverture sur le fait que les États nucléaires et non nucléaires doivent travailler ensemble sur ces questions et que cela ne doit pas rester un domaine d'exclusivité des États nucléaires. Je me méfie toujours un petit peu quand j'entends des officiels français ou américains expliquer qu'on ne peut en parler qu'à cinq parce qu'on est entre gens sérieux, alors qu'il me semble que, notamment, les pays de l'Alliance atlantique ont une vocation à participer à ces débats, même si on peut imaginer que techniquement, pour certains points, le cadre des cinq soit le plus approprié.

Les armes nucléaires sont cantonnées. La question de l'interdiction et de l'élimination se pose même si, à mon sens, elle pose des problèmes stratégiques et techniques si complexes que la mise en place rapide d'un processus d'élimination me paraît improbable, voire même contre-productive.

• 1105

Je le dis à la fois en manifestant mon admiration pour le processus d'Ottawa, qui a conduit à l'interdiction des mines, mais en pensant—et je le dis très franchement—qu'une telle initiative dans le domaine nucléaire est vouée à l'échec aujourd'hui, même si elle émane d'un pays aussi respecté et responsable que le Canada, cela pour une série de raisons.

D'abord, je crois qu'avec ce type de prohibition, contrairement à celle des mines, on ne peut attendre 20 ans que les États-Unis aient résolu leurs problèmes stratégiques avec la frontière coréenne. En attendant, les autres se priveraient de l'arme nucléaire jusqu'à ce que les États-Unis aient résolu leur question des garanties à l'OTAN. De la même manière, on ne peut imaginer un système dans lequel un certain nombre d'États proliférants ou susceptibles de l'être resteraient en dehors d'un tel traité pour une période indéfinie. Donc, je crois que l'approche, souvent retenue pas les ONG, d'une convention d'interdiction avec des dates butoir, qui a été défendue par les pays non alignés, me paraît inefficace et contre-productive dans l'état actuel des choses. En tout cas, elle se heurtera—et j'ai eu l'occasion d'en discuter un petit peu avant de venir devant votre comité—à l'opposition à peu près immédiate, aussi bien du gouvernement français que du gouvernement américain et même du gouvernement britannique, le Parti travailliste ayant fait son agiornamento nucléaire une vingtaine d'années après le Parti socialiste français, comme quoi on est parfois en avance sur nos amis britanniques.

Une voix: N'êtes-vous pas toujours en avance?

M. Camille Grand: Donc, que peut-on faire aujourd'hui? Il faut d'abord déterminer les priorités, et ce sont des priorités qui impliquent très directement des pays comme le Canada.

D'abord, après les essais indiens et pakistanais, il me semble indispensable de sauver ce qui reste du régime de non-prolifération et de désarmement. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement?

Cela veut dire préserver le TNP. J'ai beaucoup de sympathie et d'amitié pour l'Inde, mais je crois que pour préserver le TNP, on ne peut pas envisager aujourd'hui d'ouvrir le TNP à de nouvelles puissances nucléaires, parce que c'est ouvrir une boîte de Pandore. Il faut donc trouver un mécanisme autre pour ce problème de l'Inde et du Pakistan, mais cela ne peut passer par une révision du TNP, sinon demain, d'autres États pourront vouloir forcer cette porte aussi.

Je suis conscient de tout ce que cette porte peut avoir d'arbitraire. Après tout, 185 États sont aujourd'hui signataires du TNP, dont 180 qui sont des États non nucléaires, dont de grands États industriels qui ont librement accepté cela. Je ne vois donc pas pourquoi on ferait une exception aujourd'hui. Sinon, c'est permettre à toute une série de pays ayant des raisons au moins aussi légitimes et peut-être parfois plus de s'engouffrer dans cette brèche le jour venu.

Le président: À quels pays pensez-vous?

M. Camille Grand: J'ai entendu très récemment des déclarations tout à fait officielles de l'Iran à la conférence du désarmement, qui a dit que le régime de non-prolifération était mis en cause par les décisions indienne et pakistanaise et que l'Iran se devait de garder cette possibilité d'un retrait du TNP, etc.

Je pense qu'un pays comme Taïwan a des motifs de sécurité extrêmement évidents, qui pourraient le conduire à se doter de l'arme nucléaire s'il avait le sentiment que sa sécurité n'était plus garantie par les États-Unis face à une Chine qui est particulièrement agressive.

Dans un environnement asiatique aussi instable, à partir du moment où on peut imaginer... Je le dis avec précaution, d'abord parce que le pire n'est jamais sûr et ensuite parce que je pense que cela ne se passera pas comme cela puisque tout le monde est décidé à empêcher que cela se passe comme cela, mais il y a au moins quatre pays asiatiques qui, légitimement, peuvent être tentés par cette option nucléaire en passant par un retrait du TNP et dire: «Écoutez, au bout d'un an, vous avez admis l'Inde et le Pakistan. Quant à nous, cela prendra peut-être cinq ans, mais on juge qu'on en a besoin.»

Je pensais à l'Iran, à Taïwan et aux deux Corées, qui sont également concernées. Dans ce cas-là, si j'étais le conseiller du gouvernement japonais, j'aurais beaucoup de mal à leur conseiller de se contenter d'une position de retrait. C'est un scénario catastrophe, mais je crois qu'il n'est pas tout à fait exclu dans une échéance à moyen terme.

• 1110

C'est la même chose avec le Traité d'interdiction des essais nucléaires, le fameux CTBT. Il est indispensable aujourd'hui. D'une part, il faut éviter que dans les pays signataires, il y ait un arrêt du processus de ratification. Ce traité est un traité favorable à la non-prolifération, favorable à tout le monde, favorable au désarmement, et je crois que si demain le Sénat américain devait ne pas ratifier le CTBT, prétextant les essais indiens, ce qui est déjà en train de se faire, ce serait vraiment un coup porté à ce système de désarmement, un coup très regrettable.

De la même manière, il faut inciter par tous les moyens, y compris par des menaces de sanctions, l'Inde et le Pakistan... Je crois que dans le cadre d'un compromis avec l'Inde et le Pakistan, qui est inéluctable, et je le pense vraiment, l'entrée dans le CTBT me paraît être la clé de la réussite de ce compromis, puisque ce serait démontrer, pour l'Inde et le Pakistan, une vraie volonté d'arrêter ici le développement de leur arsenal nucléaire après avoir fait cette démonstration de capacité.

Enfin, cela concerne également l'arrêt de la production de matière fissile, le Fissile Material Cut-Off Treaty, qui est bloqué à Genève depuis des années et qui doit sortir de ce blocage. Je crois qu'un pays comme le Canada a un rôle à jouer dans un processus de type Ottawa, parce que c'est vrai que les puissances nucléaires sont peut-être mal placées pour pousser un traité de ce type.

En revanche, les États non nucléaires disposant d'une industrie nucléaire puissante, comme le Canada et l'Allemagne, ont un rôle à jouer pour sortir ce traité de l'espèce d'ornière dans laquelle il est bloqué à Genève, pour des questions de procédure qui sont extraordinairement regrettables. Si on ne veut pas que la Conférence du désarmement soit dissoute faute de moyens, parce que tous les gouvernements retirent les diplomates qui y sont parce qu'il ne s'y passe plus rien, il faut sauver ce traité. Je crois qu'une vraie poussée de la part d'États occidentaux non nucléaires avec une tradition de désarmement pourrait être bénéfique.

Le président: J'aimerais bien que nous ayons beaucoup de temps pour les questions.

M. Camille Grand: Je conclus en une minute, si vous me le permettez.

Le président: D'accord. Merci.

M. Camille Grand: La deuxième étape qui me paraît importante, c'est la question de la transparence et des mesures de confiance à l'échelle des cinq États nucléaires et des États à capacité nucléaire, comme on dirait aujourd'hui. C'est la clé de toute évolution du désarmement vers des chiffres très faibles. Ensuite, ce serait une réduction accélérée vers des plafonds plus raisonnables. Cela n'a plus de sens aujourd'hui, pour les États-Unis, d'avoir 7 000 armes nucléaires. Il est temps de passer à des seuils de l'ordre du millier d'armes, qui sont largement suffisants pour brûler la partie utile de la Russie, de la Chine, de l'Irak, de l'Iran et de la Corée du Nord. Je crois qu'il faut aller vite et que toutes les propositions qui permettent d'accélérer ce processus sont bienvenues.

Également, pour les armes tactiques, cela n'a plus de sens aujourd'hui d'avoir des stocks d'armes tactiques. Il faudrait que ce retrait unilatéral qui a eu lieu en 1991 soit formalisé sous forme de traité de manière à ce qu'on n'ait pas la crainte d'un chantage russe de redéploiement d'armes tactiques en réponse à un nouvel élargissement de l'OTAN. Cela me paraît être une chose positive et qui, en plus, permet de ne pas entrer dans des débats qui n'ont pas de sens sur le déploiement d'armes tactiques en Pologne, qui n'a pas d'utilité stratégique et qui ne fait qu'inquiéter les Russes.

Ensuite, une fois qu'on a atteint ce seuil de 1 000 têtes, il faut s'interroger sur la faisabilité d'une élimination, d'une prohibition de l'arme nucléaire. Je ne crois pas que ce soit faisable dans l'environnement actuel. Je dis, et c'est un grand point de désaccord avec mon ami Harold Mueller, que vous avez auditionné là-dessus, que ce n'est pas faisable. Cela me paraît poser un certain nombre de problèmes, et je crois qu'en conclusion et peut-être pour lancer les débats, je vais souligner ces problèmes.

C'est d'abord la question du non-emploi en premier, qui est demandé par beaucoup d'ONG et qui pose, à mon avis, de gros problèmes, à la fois en termes de concept et de doctrine, parce que c'est contraire à la logique de la dissuasion, qui est une logique pacifique, et parce que cela pose la question des garanties données par les États-Unis aux alliés de l'OTAN et aux alliés d'Asie orientale. Pour moi, cela pose un vrai problème. Cela va être un des gros débats. Il va falloir trouver des formules verbales qui permettent de sortir de cette question de non-emploi en premier qui provoque de vrais blocages, même si c'est une tentation apparente.

• 1115

La deuxième question est celle de la vérification. Je crois que la question indo-pakistanaise est l'occasion d'avancer dans ce domaine, parce qu'il est clair qu'on ne pourra pas obtenir de réduction très substantielle ou d'élimination des armes nucléaires sans que la question dite du break-out, de l'apparition d'un proliférateur clandestin ne soit résolue. C'est pour moi d'ailleurs la justification de conserver des arsenaux nucléaires minimaux avec toutes sortes de garanties et de limitations dont on va peut-être parler.

Enfin, il y a la question des seuils de crédibilité. Je crois qu'il ne faut pas lancer des chiffres à tort et à travers. Pour un pays comme la France, qui est aujourd'hui quelque part autour de 400 têtes nucléaires, ou pour le Royaume-Uni, la question de la crédibilité se pose quelque part entre 200 et 100 têtes. Il faut avoir une capacité de seconde frappe pour avoir cette tranquillité qui fait qu'on peut avoir une politique très sereine et centrée sur la dissuasion.

Je vous remercie de m'avoir écouté. J'attends vos questions avec impatience.

Le président: Merci, monsieur. Je ne sais pas si, à l'école militaire, vous permettez des questions de la part des élèves, mais ici les parlementaires aiment beaucoup poser des questions.

Monsieur Mills.

[Traduction]

M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): Bienvenue à notre comité.

En écoutant ce que vous avez à dire, je pense que la seule chose au sujet de laquelle vous n'avez pas commenté et qui pourrait être pertinente serait les raisons pour lesquelles les pays s'engagent et se servent d'armes nucléaires.

Je crois que je commencerais par la France. Il me semble que comme nationaliste en France, je voudrais voir mon pays faire des essais d'armes nucléaires parce que le message qu'on enverrait à l'Allemagne serait «Hé les gars, ne nous devancez pas trop et n'oubliez pas qu'on a la bombe» Je pourrais sentir une montée nationaliste en moi.

Je pourrais ensuite aller en Russie et, en tant que nationaliste russe, dire «Nous voulons avoir de l'importance sur la scène internationale, nous sommes en chaos, nos armes conventionnelles ont disparu, mais au moins nous avons la bombe». Cela nous donnerait une présence internationale.

J'irais en Inde, ou 90 p. 100 des gens ont dit: «Essayez la bombe». C'est la chose la plus populaire. Il y a une coalition de 19 partis. Surtout si je suis un fasciste là-bas, comme l'est le gouvernement, si je voulais consolider l'opinion nationale, une façon de le faire serait de devenir important sur la scène internationale.

Au Pakistan, c'est évidemment «Eux ils ont la bombe, donc nous devrions l'avoir et si nous pouvons y aller et l'appeler une bombe musulmane pour créer l'équilibre regardez comme nous serions populaires dans le monde arabe et dans cette partie du globe». Mais alors Israël dirait: «Nous devons nous assurer qu'ils savent ce que nous avons parce qu'alors nous serons en position».

Je pense que je n'ai pas à en ajouter, je crois que vous comprenez.

Permettez-moi d'aller à un autre endroit. Vous dites qu'il y en a 7 000 aux États-Unis et qu'il devrait y en avoir 1 000. Eh bien, si je siégeais au congrès américain, et je voyais toutes ces autres choses autour de moi, il serait difficile de me convaincre que nous, la super-puissance du monde, devrions réduire le nombre après tout, parce que tous les autres augmentent leur arsenal et qu'alors nous devrions réduire le nôtre. Ça ne passerait pas d'un point de vue nationaliste.

Je ne dis pas que c'est une erreur. Je pense qu'on devrait se débarasser de toutes les armes nucléaires, que c'est dommage qu'elles ont été découvertes, mais nous les avons et nous avons du nationalisme. Je ne suis pas convaincu que nous ne sommes pas à contre-courant à ce moment-ci et qu'il ne serait pas préférable de dire que nous ne devrions pas désamorcer les choses en disant «D'accord, l'Inde et le Pakistan, on va régler le problème du Cachemire, quoique cela prenne, pourvu que vous réduisiez et éliminiez votre arsenal nucléaire.» Cela désamorce alors des questions du genre de l'Iran.

Il me semble que c'est là que devrait être la non-prolifération nucléaire et la réduction en 1998. Est-ce que je me trompe ou est-ce que je vois les choses différemment des autres? Qu'est-ce que vous en pensez?

• 1120

M. Camille Grand: Afin de respecter le statut bilingue de votre Parlement, je répondrai en anglais aux questions posées en anglais.

Le président: Avant que vous alliez plus loin, je dois vous avertir qu'ils devront passer par ici pour apporter quelque chose dans l'autre pièce. C'est gênant. Ils feront passer du café derrière nous. S'il y a un peu de bruit, nous allons l'ignorer.

Même une guerre nucléaire doit arrêter pour le café. Ça semble être la vie autour d'ici.

[Français]

M. Camille Grand: Ça va.

[Traduction]

Je dois dire que vous avez absolument raison lorsque vous soulignez la prolifération possible des armes nucléaires si tous veulent suivre un point de vue nationaliste. J'espère que les quatre cinquièmes des pays du monde n'ont pas les moyens d'obtenir une arme nucléaire et que c'est pourquoi ils appuient la non-prolifération. Je sais que si j'étais le Cameroun, mon principal souci serait de voir à ce que le Nigéria n'obtienne pas la bombe et non de m'assurer que les États-Unis ou la France réduise leur arsenal. Je pense que c'est la clef de la non-prolifération.

Aujourd'hui, par exemple, un petit pays comme le Bangladesh ne se sent pas très en sécurité et aurait espéré que ces deux voisins n'aient pas procédé à cette série d'essais nucléaires.

Quelle devrait-être notre tâche? Je suis tout à fait d'accord avec vous que la sécurité régionale et des mesures qui augmentent la confiance sont notre principal objectif de nos jours, pour une raison fort simple. Évidemment, ce qui me trouble le plus dans le sud de l'Asie, c'est le Cachemire parce que c'est le point chaud. C'est là que la guerre peut éclater. Je suis très certain que notre objectif commun devrait être d'éviter une autre guerre frontalière entre l'Inde et la Chine, de voir à ce que la Chine donne certaines assurances à l'Inde au sujet de leurs frontières.

J'étais à Delhi en janvier et on m'a montré la carte de la frontière indo-chinoise environ 12 fois et les différences entre les cotes chinoises et indiennes. C'était très épeurant parce qu'on voit des petites parties de l'Inde qui serait en Chine, selon cette dernière, ou vice-versa. De toute façon, elles appartiennent à l'Inde présentement. Lorsqu'on tente de désamorcer le problème en disant à nos amis de l'Inde «Regardez comme ce n'est qu'une très petite partie de votre territoire; vous pourriez peut-être arriver à une entente là-dessus», ils nous répondent «à peu près de la même dimension que l'Alsace-Lorraine» selon les normes françaises, et il y a eu environ trois guerres pour l'Alsace-Lorraine.

Je pense que résoudre ces problèmes est la question clef; appuyer l'Inde quand elle veut régler ses problèmes frontaliers avec la Chine, et appuyer le Pakistan quand il veut un engagement international au sujet du Cachemire parce que c'est la question-clé

Alors je suis tout à fait d'accord avec vous à ce sujet.

M. Bob Mills: Très brièvement—le président va me couper la parole—vous avez dit que nous devrions bloquer le transfert des matières fissibles. Est-ce que cela veut dire que ne devrait pas vendre des réacteurs nucléaires où que ce soit dans le monde?

M. Camille Grand: Je sais que c'est une question difficile ici.

Certains membres: Oh, oh.

M. Camille Grand: D'abord, ce que j'ai à dire au sujet de la vente de réacteurs nucléaires s'applique autant à la France qu'au Canada. Nous sommes tous les deux les exportateurs principaux, y compris à la Chine.

• 1125

La cessation de la production de matériel fissible porte en fait sur la production de matériel fissible ayant une fin explosive. C'est donc une question très militaire. Le London Club, le groupe de fournisseurs nucléaires, a des lignes directrices très précises au sujet des exportations nucléaires et ces lignes directrices ont été renforcées après le problème iraquien.

Je ne suis pas convaincu que de cesser de vendre de la technologie nucléaire est la meilleure idée parce que lorsque nous en vendons maintenant, sauf dans le cas de la Chine—qui est un cas compliqué parce qu'elle a des armes nucléaires—nous imposons tous, c'est-à-dire tous les exportateurs, des sauvegardes complètes sur les exportations nucléaires. Cela veut dire que l'Agence internationale de l'énergie atomique, de Vienne, peut aller dans les installations nucléaires pour vérifier ce qui se passe.

Anciennement, lorsque ni vous ni nous n'appliquiez des sauvegardes complètes, c'était un grand problème. Je me demande si c'était la chose la plus intelligente à faire que d'arrêter de vendre des réacteurs de type CANDU à l'Inde et de voir ce pays les reproduire à partir de ses moyens nationaux. Maintenant ils sont en position de...

C'est la même chose avec les missiles. C'est la même chose dans beaucoup de domaines. Le reniement technologique, surtout dans le cas de pays comme l'Inde ou la Chine, mène parfois au paradoxe qu'après quelques années le pays obtient la technologie par ses propres moyens et nous n'avons aucune façon de la contrôler.

Il s'agit donc d'une question difficile. Nous devrions, surtout lorsqu'il s'agit d'une technologie strictement civile, nous mettre d'accord sur le principe des transferts, y compris avec des pays qui sont des pays à risque, dans la mesure où nous obtenons ce que nous voulons—des sauvegardes complètes.

Le président: C'est exactement ce que les Pakistanais nous ont dit l'autre jour lorsqu'ils étaient ici.

M. Bob Mills: Mais les techniciens sont les mêmes pour le militaire et le civil. C'est là le problème. Au Pakistan et en Inde, ce sont les mêmes personnes. Ils travaillent dans une usine une journée et dans l'autre le lendemain. C'est là le problème.

Le président: Oui.

Je passe la parole à M. Turp.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Monsieur Grand, merci beaucoup pour votre intervention. Je pense qu'elle est d'un tel intérêt que je souhaiterais que la greffière nous en donne la transcription. Je vous ai vu donner votre exposé à partir de notes, mais j'aimerais bien que nous ayons la transcription intégrale de votre témoignage aujourd'hui. Je pense que vous avez, en cette fin de série de témoignages, fait une synthèse tout à fait intéressante de plusieurs témoignages que nous avons entendus, et je vous en remercie au nom du Bloc québécois et des autres membres de ce comité.

J'ai trois questions. Je pense que la chose la plus intéressante que vous avez dite, en tout cas à mes yeux, c'est d'évoquer l'idée très importante du sauvetage du régime de non-prolifération, surtout à la lumière de ce qui vient de se passer en Inde et au Pakistan. Vous avez dit qu'il fallait trouver un autre mécanisme. Lequel? J'aimerais vous entendre réfléchir à voix haute là-dessus pour nous éclairer sur les recommandations que nous allons devoir faire.

J'ai aussi trouvé intéressante cette distinction sur ce à quoi pourrait s'appliquer un processus analogue à Ottawa. Vous avez dit qu'il ne pourrait s'appliquer véritablement qu'à l'égard de la question de la réduction des matières fissiles. J'aimerais que vous précisiez vos vues là-dessus, sur la façon de procéder, sur la façon de s'y prendre pour qu'un processus d'Ottawa soit possible à nouveau dans ce domaine particulier. J'aimerais aussi que vous disiez si le leadership du Canada serait suffisant ou s'il faudrait peut-être élargir le processus à un certain nombre d'autres États.

Ma dernière question portera sur un mot que vous avez utilisé. J'aimerais que vous en précisiez la portée et que vous nous disiez en définitive ce que vous pensez des récents événements en Inde et au Pakistan, de leur impact global sur toute la question. Vous avez parlé de la banalisation des armes nucléaires en Asie. Je suis un peu curieux de savoir pourquoi vous placiez les États-Unis dans l'Asie, et une partie de la Russie peut-être. Pour vous, qu'est-ce que la banalisation? Quelles sont les conséquences de la banalisation telle que vous l'entendez?

• 1130

M. Camille Grand: Je vais prendre vos questions dans l'ordre inverse.

Sur la question de la banalisation, je pars d'un constat qui, me semble-t-il, n'a pas encore été tout à fait suffisamment fait. C'est que la dissémination des armes nucléaires a lieu en Asie aujourd'hui, et c'est l'évidence, et que les risques de conflit nucléaire, qui ne sont pas seulement indo-pakistanais, concernent avant tout l'Asie aujourd'hui.

Si j'ai cité les États-Unis, c'est que les États-Unis sont une puissance militaire asiatique sans être un État asiatique dans la mesure où c'est la garantie américaine, y compris la garantie nucléaire américaine, qui est derrière la question taïwanaise, la question japonaise et la question de la Corée du Sud. On pourrait peut-être même élargir cela à d'autres États de la région comme les Philippines, où c'est beaucoup moins évident, mais on peut imaginer une situation où les conflits en mer de Chine du Sud et tout le conflit autour des îles Spratly et des îles Paracel, qui impliquent la Chine, le Vietnam, les Philippines, l'Indonésie, Bruneï, Taïwan, etc., amènent les États-Unis à s'impliquer dans la région. C'est pour cela que je citais les États-Unis.

Par banalisation, j'entends deux choses. J'entends ce phénomène de dissémination et le phénomène qui fait qu'on a l'impression qu'en Asie, aujourd'hui, être un grand, c'est être nucléaire. C'est ce qui fait que la Russie est encore un État qui compte un petit peu dans le jeu asiatique. C'est ce qui l'amène à protéger les États d'Asie centrale contre les velléités chinoises et c'est ce qui l'amène à être impliquée dans des mécanismes de sécurité régionaux qu'on peut imaginer qui existent déjà avec l'APEC. Cela fait que la Russie reste un état d'Asie-Pacifique bien que ce soit le fin fond de la Russie et non la région la plus prospère, si j'en crois ce qu'on raconte sur Vladivostok.

Il faut, à mon avis, enrayer cette banalisation. Si la dissémination conduit à la banalisation, la banalisation peut conduire à l'emploi. Dans une situation où l'arme est banalisée, quelqu'un finira par l'employer.

Je ne crois pas que ce soit du tout assuré, mais je crains que ce ne soit une possibilité, d'autant plus que les doctrines des États en question et les systèmes de confiance, de communication qui permettent d'éviter qu'une crise ne dégénère ne sont pas en place en Asie, à la différence de ce qu'il y avait en Europe à l'époque de la Guerre froide. Je veux dire par là que les mécanismes qui feraient que la Chine et l'Inde, dans le cadre d'une tension frontalière, seraient sûrs de pouvoir se parler, d'éviter qu'un décollage d'avion soit mal interprété, que le test d'un missile soit mal interprété, etc., ne sont pas aussi rodés et efficaces qu'ils l'étaient en Europe ou entre les États-Unis et l'Union soviétique.

Il est donc important de penser des systèmes régionaux. Je crois qu'il ne faut pas se limiter à l'Asie méridionale. Ce n'est pas une affaire indo-pakistanaise. C'est une affaire qui implique la Chine, évidemment, et qui implique sans doute d'autres petits États de la région et les puissances qui jouent un rôle dans la région, dont les États-Unis et sans doute la Russie.

Il s'agit de mettre en place quelque chose qui permette d'avoir un dialogue, de réduire la tension, d'envoyer un observateur dans telle région, d'avoir une discussion sur les doctrines nucléaires. Les Chinois appellent l'arme nucléaire tactique la deuxième artillerie. Dans les revues militaires chinoises, on a des documents qui disent que dans le conflit frontalier avec le Vietnam en 1979, s'ils avaient eu des armes nucléaires tactiques comme ils en ont aujourd'hui, ils auraient dû les utiliser. Je ne dis pas que c'est le...

Le président: Les Chinois ou les Vietnamiens?

M. Camille Grand: Les Chinois contre le Vietnam.

• 1135

M. Daniel Turp: Il faudrait que soit créé un lieu.

M. Camille Grand: Voilà. Je pense qu'un mécanisme comme la CSCE, un mécanisme remarquable à certains égards, qui permet de réduire les tensions conventionnelles et d'augmenter la confiance, etc., devrait exister pour la région et avoir une dimension nucléaire, ce qui était la réponse à votre première question, c'est-à-dire la question du régime de non-prolifération. On ne peut sans doute pas inclure ces États dans le TNP, mais on peut peut-être imaginer un mécanisme régional qui, sans les reconnaître comme des puissances nucléaires, admette qu'ils ont fait des essais nucléaires, qu'ils ont donc des matières fissiles, et qui leur reconnaisse leur capacité nucléaire à défaut de les reconnaître comme puissances nucléaires.

Le meilleur mécanisme est un mécanisme régional. Par exemple, la France, qui a adhéré au TNP seulement en 1992, était depuis 1957 membre de Euratom et donc participait activement à un mécanisme de non-prolifération. L'OTAN elle-même a été un mécanisme de non-prolifération à sa manière, qui a évité qu'un certain nombre d'États occidentaux ne se dotent de l'arme nucléaire, comme l'Allemagne, l'Italie et peut-être même le Canada, en offrant un mécanisme qui leur permettait d'être rassurés là-dessus.

M. Daniel Turp: C'est un mécanisme OTAN ou un mécanisme OSCE?

M. Camille Grand: Non, je pense plutôt à l'OSCE dans la mesure où on est dans une situation de conflit, mais peut-être qu'il faudrait ajouter à cela d'autres systèmes qui viennent rassurer, par exemple, les États du Sud, pour que l'ASEAN ou le Japon puisse avoir des garanties renouvelées de la part des États-Unis dans certains domaines. En fait, c'est une combinaison des deux, suivant les États.

Ensuite, sur la question du processus analogue à Ottawa sur l'arrêt de la production de matières fissiles, c'est une discussion technique, mais je crois que c'est surtout une discussion qui demande une volonté politique forte.

Aujourd'hui, quatre des cinq puissances nucléaires déclarées sont favorables à l'adoption d'un tel traité et ont pris des mesures unilatérales d'arrêt de la production d'uranium hautement enrichi ou de plutonium de qualité militaire.

Je crois qu'un certain nombre de pays comme le Canada, qui sont des puissances nucléaires civiles... J'insiste là-dessus parce que cela va poser les mêmes problèmes au Canada qu'à la France quand il y aura des inspecteurs qui vont venir voir ce qui se passe dans les réacteurs si, au moment où on décharge un réacteur, on sort du plutonium militaire ou du plutonium non militaire. Ces pays-là peuvent, sans doute pas seuls—si c'est une initiative occidentale, car on sait que les occidentaux à Genève sont favorables à la négociation de ce traité—, mais peut-être avec des États qui ont déjà fait la preuve de leur volonté de faire avancer les choses, comme l'Afrique du Sud...

M. Daniel Turp: Ou d'autres?

M. Camille Grand: Ou d'autres.

M. Daniel Turp: Lesquels?

M. Camille Grand: L'Afrique du Sud, en tout cas. Je pense qu'un pays comme l'Inde n'est pas opposé à cela. À Delhi, j'ai entendu dire que c'était possible de travailler sur cela, parce que les Indiens considèrent qu'ils ont une avance sensible sur les Pakistanais dans le domaine de la production de matières fissiles et ils voient donc leur intérêt là-dedans. On peut trouver un système où, pour différentes raisons, on retrouve ces coalitions gagnantes qui ont fonctionné pour le renouvellement du Traité de non-prolifération ou pour la signature du CTBT, c'est-à-dire des coalitions qui permettent de faire avancer le traité. Cela veut-il dire extraire le Traité de Genève? C'est peut-être dangereux pour l'avenir de la Conférence de Genève. Je crois qu'il faut voir un peu avec les diplomates ce qu'ils en pensent, parce que c'est quand même le principal traité en négociation à Genève aujourd'hui.

M. Daniel Turp: C'est ce qu'on avait fait pour les mines antipersonnel.

M. Camille Grand: Voilà. Vous l'aviez fait pour les mines. Renouveler cette destruction du processus de Genève est peut-être un peu délicat, mais peut-être que... À Genève même, il y avait eu une initiative en 1993, à partir d'une déclaration du président Clinton, qui avait conduit à l'adoption d'un mandat pour l'ambassadeur Shannon. Peut-être qu'il y a des mécanismes de comités ad hoc, de rapporteurs spéciaux, etc. permettant de sortir un peu de l'ordre du jour de la Conférence du désarmement et de dire: Faisons un caucus, travaillons sur un système qui permette de faire avancer rapidement les choses, proposons une ébauche de traité tout de suite et ensuite obligeons tout le monde à prendre position par rapport à cela.

Je crois que c'est vraiment quelque chose où il faut pousser. Très honnêtement, je pense que les puissances nucléaires sont mal placées pour le faire et qu'il appartient à des États non nucléaires de le faire.

• 1140

M. Daniel Turp: Vous avez peu parlé de la France. Nous étions intéressés à connaître la position de la France aussi, parce que les Américains nous ont dit un tas de choses sur ce que les Européens pensaient.

Dans le document que vous nous avez distribué, vous avez parlé de la notion de dissuasion minimale que je trouve assez intéressante. Pourriez-vous nous dire quelques mots, mais très rapidement, sur l'état de la réflexion sur ce concept de dissuasion minimale?

M. Camille Grand: Je vais en dire quelques mots et, si vous le voulez, je mettrai à la disposition du comité deux exemplaires du rapport que j'ai fait aux États-Unis et qui s'appelait A French Nuclear Exception?. Je suis désolé, c'est en anglais seulement.

M. Daniel Turp: On le fera traduire.

M. Camille Grand: Le document vous donnera un certain nombre d'éléments supplémentaires là-dessus. «Dissuasion minimale» n'est pas exactement du langage français. C'est plus une manière de parler des experts français pour décrire la situation française qui ne se décrit pas comme telle. Le gouvernement français parle de suffisance raisonnable, de suffisance très raisonnable, de dissuasion du faible-fort, etc.

Par dissuasion minimale, que peut-on dire? La dissuasion minimale, d'abord en termes de chiffres, c'est une dissuasion qui peut fonctionner avec très peu d'armes nucléaires. Je crois que nous sommes tous convaincus, autour de cette table et de manière générale, que l'arme nucléaire est suffisamment terrible pour que la menace d'emploi de quelques dizaines ou de quelques centaines de têtes soit suffisante pour dissuader la plupart des agressions, et même sans doute la totalité des agressions. Pendant la Guerre froide, on a longtemps pensé que la perspective de la destruction de 100 millions de citoyens soviétiques devait suffire à convaincre de ne pas attaquer la France. L'objectif français a toujours été d'arriver à tuer quelque part entre 50 et 100 millions de Russes, ce qui paraissait suffisant pour dissuader les Russes. Donc, la dissuasion minimale, c'est d'abord cela. C'est un nombre réduit, défini comme suffisant pour cela. C'est la suffisance raisonnable.

Ensuite, c'est aussi, à mon avis, une pratique. Cela veut dire que les armes nucléaires ne sont pas des armes du champ de bataille. On ne va pas utiliser des armes nucléaires pour régler un problème de supériorité conventionnelle de chars irakiens dans une deuxième guerre du Golfe. Elles n'ont pas leur place dans ce cadre-là.

Donc, c'est le pendant stratégique du domaine militaire. La dissuasion minimale ne fonctionne que pour défendre des intérêts vitaux qui ne sont pas exclusivement, me semble-t-il, le territoire national. Je pense que la dissuasion minimale peut s'appliquer avec des alliés. Il me semble évident que, pour les États-Unis, la défense du Canada fait partie de ses intérêts vitaux. On imagine mal le Canada victime d'une attaque nucléaire sans réaction américaine, pour des raisons évidentes de proximité géographique.

C'est la même chose pour la France et l'Allemagne, et on l'a dit par des déclarations très officielles, par le texte de Nuremberg en décembre 1996. On a des intérêts vitaux qui sont conjoints, de la même manière pour la France et le Royaume-Uni. C'est une déclaration de 1995.

Je pense que cette pratique de la dissuasion minimale peut sans doute même être encore minimalisée, si j'ose dire. On peut aller plus loin dans l'existence si on peut se contenter d'une capacité nucléaire très limitée qui permette de dire: Voilà, si vous vous en prenez, qui que vous soyez... Dans le cas français, on ne désigne même pas l'adversaire. Dans la doctrine la plus pure, l'adversaire n'est même pas désigné. L'Union soviétique n'était pas citée dans les documents officiels français jusqu'au milieu des années 1980. C'est vous dire qu'on a parfois du retard, pour répondre à la question de tout à l'heure.

On arrive à une situation où on peut protéger le territoire national, où on peut protéger des alliés avec juste une capacité nucléaire. J'ai même défendu en Inde l'idée que l'Inde avait une forme de dissuasion avec seulement le fait qu'on savait qu'elle était capable de construire une bombe. C'est pour cela que je crois que c'était superflu et dommage de faire ces essais. Finalement, l'Inde avait déjà une forme de dissuasion vis-à-vis de la Chine, tout simplement parce qu'on savait qu'elle savait fabriquer une bombe.

Vous voyez jusqu'à quel point cela peut aller. Je crois qu'il ne faut pas que cela devienne virtuel pour autant, mais que cela peut être très très réduit. Je crois que c'est une tendance très lourde et que des pays comme les États-Unis ou la Russie, même s'ils sont des superpuissances, vont s'orienter vers des postures où le nombre d'armes comptera moins et où les cas d'emploi seront très limités, parce que c'est le sens du temps, heureusement.

M. Daniel Turp: Merci.

Le président: Merci.

• 1145

[Traduction]

M. Assadourian.

M. Sarkis Assadourian (Brampton Centre, Lib.): Merci beaucoup.

Je me joins à mes collègues en vous souhaitant la bienvenue. J'apprécie beaucoup les points de vue qui nous viennent de l'autre côté de l'Atlantique.

J'ai deux questions. Au cours des 30 ou 40 dernières années, nous avons essayé d'empêcher des pays au seuil du développement, Israël, l'Inde et le Pakistan d'avoir des armes nucléaires. Maintenant, les trois en ont, ce qui veut dire que nous n'avons pas réussi dans nos efforts pour empêcher la prolifération de la bombe nucléaire. Évidemment le Traité de non-prolifération des armes nucléaires n'a pas fonctionné. Que pouvons-nous faire, en tant que société, de façon bilatérale et internationale, à partir du Conseil de sécurité des Nations unies? Qu'avez-vous pour assurer que les autres pays qui sont au seuil du développement, comme les trois que vous avez mentionnés, n'auront pas des armes nucléaires?

Ma deuxième question porte sur le fait que vous avez mentionné que le Cachemire est la dernière question entre l'Inde et le Pakistan. Maintenant, imaginez que le Cachemire est Berlin. L'OTAN veut l'alliance entre l'Inde et le Pakistan parce qu'après la guerre froide l'OTAN avait des armes nucléaires, la Russie avait des armes nucléaires et ils essayaient de se surpasser et nous avons réussi à maintenir la paix au cours des 40 ou 50 dernières années. Quand je parle de paix, je parle dans le contexte d'une guerre mondiale. Ne peut-on pas dire la même chose à propos de la situation au Cachemire et de l'Inde et du Pakistan?

Il y a quelques semaines un de nos collègues a dit: «Laissons tout le monde avoir des armes nucléaires et ainsi nous aurons la paix». Est-ce que cet argument a du poids, ou est-ce une fiction que cela garantira la paix et la sécurité si tout le monde en a puisqu'elles nous ont garanti la paix et la sécurité pour prévenir la troisième guerre mondiale dans le cas de la situation à Berlin? Pourquoi la même politique ne réussirait-elle pas au Kashmir et dans les autres cas sur la liste, et ainsi de suite?

M. Camille Grand: En ce qui a trait à votre dernière question, il y a eu une tendance, dans la pensée nucléaire française, à croire que la prolifération des armes nucléaires promouvait la paix. Le général Gallois, par exemple, a beaucoup écrit à ce sujet. Je crois qu'il est intéressant de noter que la principale personnalité politique qui a défendu l'idée de donner des armes nucléaires à tous les pays était feu le président Idi Amin Dada, qui n'est pas reconnu comme étant un humaniste. Il a réellement écrit cela.

Une farce faite par un diplomate éclaire bien la situation. Lorsque le jeu nucléaire est joué par deux intervenants, c'est exactement comme les échecs: vous connaissez les règles et il y a peu de place pour la chance; vous pouvez faire des erreurs, mais habituellement vous êtes dans un petit espace de 36 cases noires et blanches. Lorsque vous jouez à cinq, c'est plutôt comme une partie de cartes, quelque chose comme le poker, où il y encore des règles, mais le risque d'un problème est plus élevé et vous devez vous fier à votre chance d'avoir les bonnes cartes et de trouver les bonnes réponses. Mais il y a encore beaucoup de règles.

Lorsque nous sommes dans un monde où il y a 36 pays ayant des armes nucléaires, ce qui est probablement le nombre de pays qui pourraient faire avancer la technologie nucléaire à ce point, c'est le monde de la roulette, où il n'y a que le hasard et c'est par pur hasard si vous n'utilisez pas des armes nucléaires.

Un membre: Ce n'est pas par pur hasard.

M. Camille Grand: —ou par mauvaise fortune. Nous nous plaçons dans une situation ou une bombe éclatera et nous ne savons pas...

M. Sarkis Assadourian: Accidentellement, aussi.

M. Camille Grand: —qui l'a envoyée, pourquoi, et ainsi de suite. C'est pourquoi nous devrions garder le régime de non-prolifération, même si les armes nucléaires maintiennent la paix dans certaines régions.

Au sujet de votre deuxième question, celle de la situation au Cachemire, ou la situation indo-pakistanaise, à savoir si elle pourrait devenir une situation de guerre froide avec une forme de dissuasion nucléaire pacificatrice, je crois que c'est une possibilité. Je crois que les deux pays ont assez de maturité et de responsabilité. Les élites des deux pays sont très sérieuses, et il serait raciste de dire que les blancs—les Européens, les Nord-américains et les Russes—pourraient s'en occuper et que les gens du sous-continent indien ne sont pas assez sages pour s'occuper de la bombe.

• 1150

Toutefois, comme je le disais, il y a des difficultés techniques à cause du manque de systèmes de communication appropriés, à cause du manque de mesures qui accroissent la confiance. C'est donc une possibilité, mais je ne suis pas certain que je voudrais l'essayer. Si nous l'essayons, nous aurons quelques mois ou quelques années d'incertitude parce que chaque fois que l'un ou l'autre de ces pays fait un tir d'essai d'un missile, qu'est-ce que l'autre pensera? Est-ce qu'un général pakistanais pourrait devenir très inquiet parce qu'il voit ce missile partir du sud de l'Inde sur son pauvre système de radar et décider qu'il est temps de riposter à une attaque nucléaire—par erreur? Je ne parle pas de folie ou de choses de ce genre.

Cela pourrait évoluer vers de la dissuasion réciproque, mais je n'en suis pas certain. Alors quelles seront les conséquences pour le Traité de non-prolifération et les états au seuil du développement? Je ne suis pas convaincu que le Traité a échoué parce qu'après tout, nous en sommes aux trois problèmes que nous avions au départ, celui des trois pays que nous savions poseraient un problème pour le Traité lorsqu'il fut signé—en fait, lorsque vous l'avez signé, car la France était un des seuls autres à avoir un problème avec le Traité. Alors ce fut un succès mondial. Nous avons mangé toute le viande et nous en sommes à l'os, et on ne peut pas faire grand chose avec. Il faut s'y attaquer par d'autres moyens.

Je suis très certain que le TNP est encore une bonne mesure, qu'on devrait le conserver et l'améliorer, y compris sa vérification et un système de 93-plus-2 de sauvegardes par l'AIEA qui nous permettra d'aller en Iran et vérifier ce qui se passe dans le laboratoire, et d'aller en Corée du Nord de façon plus efficace, avec des inspections-surprise et ainsi de suite. Cela et les sauvegardes, c'est très important.

Le président: Merci.

M. Cannis, nous aimerions faire adopter notre résolution ICC. Tout le monde partira à midi, alors avez-vous une question relativement brève?

M. John Cannis (Scarborough Centre, Lib.): Cela n'a pas d'importance, monsieur le président. Je me fais couper la parole. Tout le monde a son temps. Nous respectons cela. Je ne me donnerai pas la peine de poser la question.

Le président: Est-ce que ça vous convient? Je regrette, je ne voulais pas vous couper la parole.

M. John Cannis: Ça me convient. Nous pouvons poursuivre.

Le président: Il y a une question que nous devons clarifier pour notre rapport...

M. John Cannis: Mais je veux soulever une question, monsieur le président. Lorsque le temps accordé aux autres membres était terminé, ils ont dit «une petite question» et nous avons poursuivi pour un autre cinq minutes. Je ne veux certainement plus participer à ce comité. Merci.

Le président: Je le regrette, mais nous avons besoin de réponses à nos questions.

Professeur, pourriez-vous nous parler rapidement de la France? La Russie et les États-Unis parlent de START II. À quel point est-ce que la France et le Royaume-Uni participent, et quand la discussion devient-elle multilatérale plutôt que bilatérale entre les États-Unis et la Russie.

M. Camille Grand: Je pense qu'ils participeront à un certain point; cela est certain. Il n'est pas clair à l'heure actuelle si cela sera entre un START II et un START III, ou entre un START III et un START IV, ou plus tard. Je pense que la bonne réponse serait qu'ils devraient s'engager dès maintenant en termes de transparence et de mesures pour accroître la confiance. Ils l'ont fait de façon unilatérale, par exemple, par le ciblage, et ils devraient continuer de le faire.

Quant aux mesures de désarmement réelles, la chose à faire, lorsque les États-Unis et la Russie auront décidé de la prochaine étape, qui est déjà presque planifiée, 1500 armes—le processus a commencé à Helsinki—la France, la Grande-Bretagne et la Chine devraient affirmer qu'ils vont se limiter à un certain niveau. Cela pourrait être 500; cela pourrait être 400; cela pourrait être le niveau qui existe à ce moment-là. Ils devraient prendre position publiquement et la fixer à ce moment-là.

• 1155

Alors, lorsque la Russie et les États-Unis seront en-deça du seuil de 1000 armes nucléaires, nous devrions probablement accepter un plafond moins élevé. Ensuite, lorsque nous seront tous dans les centaines, nous devrions décider s'il devrait y avoir une différence entre la France et les États-Unis. Il devrait probablement y en avoir une parce que nous n'avons pas les mêmes responsabilités. Et s'il y a une différence, devrait-elle être un rapport de un à deux ou de deux à trois? Je ne le sais pas. Je crois que cela dépend de la situation générale. C'est de cette façon que je vois l'évolution de la situation. Et je crois que nous devrions continuer notre participation unilatérale dans le processus au complet.

Le président: Merci beaucoup. Cela est très utile.

Sur ce, professeur Grand, je mets fin à cette partie de la discussion.

[Français]

Merci beaucoup d'être venu parmi nous.

M. Camille Grand: Merci de votre invitation.

Le président: Si vous pouvez rester quelques minutes, on pourra peut-être vous parler par la suite.

M. Camille Grand: Volontiers.

Le président: Nous allons maintenant passer à la question de notre résolution sur la cour internationale criminelle.

[Traduction]

Pendant que nous avions un quorum, je crois comprendre qu'il n'y avait pas de problème au sujet de cette résolution de la part du gouvernement. J'en ai parlé à M. McWhinney.

M. Turp, j'espère que vous n'avez pas d'amendements à proposer.

[Français]

M. Daniel Turp: Oui, j'ai un amendement à proposer. Mais d'abord juste une chose.

[Traduction]

Le président: S'il s'agit d'une discussion au sujet d'un amendement qui durera après midi, nous partons. Moi, au moins, je dois partir; nous partons. Tout le monde part à midi, c'est-à-dire dans deux minutes, alors si vous avez un amendement ou une question complexe, je suggère que nous remettions toute cette question à plus tard. Nous ne pourrons pas en traiter aujourd'hui. Si vous avez quelque chose qui peut être traité rapidement, nous pouvons nous en occuper.

[Français]

M. Daniel Turp: D'accord. M. Mills avait aussi des amendements.

Le président: Je lui accorde la parole juste pour...

M. Daniel Turp: Je voudrais savoir ce que M. Mills a en tête.

[Traduction]

Le président: M. Mills.

M. Bob Mills: Ma préoccupation de base porte sur la méthodologie que nous utilisons ici. Nous avons reçu cette information hier—ceci se passe depuis beaucoup plus longtemps—et si nous voulions produire quelque chose comme ceci, nous aurions dû avoir plus de temps pour faire des recherches, pour y travailler. Je m'objecte autant à la méthodologie qu'à autre chose. Je ne connais pas le coût. Je ne connais pas la structure proposée pour cette cour. Je ne connais pas le détail des objectifs énoncés. Je n'aime tout simplement pas cette méthodologie de lancer sur la table et de dire oui, ça semble correct. Je n'ai pas d'objection à cette cour. Là n'est pas la question. La question est que je n'aime pas travailler de cette façon et je pense qu'il faut le dire, et ainsi de suite.

C'est de que j'ai à dire.

[Français]

Le président: Est-ce que vous avez un amendement?

M. Daniel Turp: Écoutez, je partage le sentiment sur le processus, mais en même temps, je trouve tout à fait important que ce comité, avant que ne commencent les négociations, puisse mettre son poids derrière le gouvernement et lui donner quelques indications.

Monsieur le président, vous savez très bien ce que nous pensons et continuons de penser sur la question des traités et sur le rôle du Parlement à l'égard des traités. C'est pour cela qu'à part beaucoup d'améliorations au texte en langue française, qui est vraiment très mauvais et qui bat tous les records en la matière, on aurait voulu que, parmi les questions relatives au suivi, au troisième paragraphe du dispositif, on ajoute que le gouvernement s'engage à présenter le texte du traité pour approbation au Comité permanent et à la Chambre des communes avant sa signature.

[Traduction]

Le président: M. Mills.

M. Bob Mills: Ce sera signé d'ici le 17 juillet. Hier, ils ont dit ici qu'ils le signeraient s'ils peuvent l'accepter. La réponse, et je ne sais pas qui me l'a donnée—je pense que c'était M. McWhinney—a dit qu'ils rapporteraient l'accord signé à des fins de discussion. Alors, vous savez...

Un membre: Comprenez-vous les règles parlementaires?

M. Daniel Turp: Oui, nous comprenons les règles parlementaires, et nous voulons les modifier.

Le président: Même aux États-Unis, dans le système du congrès, ils le ramènent pour approbation. Ils ne font pas...

M. Bob Mills: Mais ils ont beaucoup de consultations.

Le président: S'ils vont négocier et qu'ils vont signer un traité à Rome, suggérer que les Canadiens vont revenir à ce comité avant que nous signons signifie que le traité ne sera jamais signé parce que tout le monde va dire que les Canadiens ne sont pas de la partie, que nous ne savons pas si c'est signé ou non.

M. Daniel Turp: Ce n'est pas vrai.

Le président: Bien sûr que c'est vrai.

• 1200

M. Daniel Turp: Surtout dans le cas de l'histoire.

[Français]

Dans le cas de ce traité, je ne vois pas d'objection sérieuse à ce qu'on aille d'abord sur le fond du traité. Mais vous savez qu'il est important, et on a fait un débat avec M. Mills hier à la Chambre des communes hier sur les opérations de maintien de la paix, que le Parlement soit davantage impliqué dans le processus de conclusion des traités avant la signature ou avant la ratification. Mais nous tenons beaucoup, et on le fera constamment, à demander à ce que ce comité et la Chambre soient saisis des projets de traités avant leur signature et avant leur ratification. Je pense que c'est très important.

Le président: Je comprends ce que vous dites, mais vous voulez accomplir un changement radical dans la Constitution du Canada par le biais de ce que nous faisons ici. Si vous voulez ajouter cela, je trouve que cette résolution est beaucoup trop importante...

M. Daniel Turp: On l'a déjà fait. Il y a un précédent. Nous l'avons fait pour l'Accord multilatéral sur l'investissement devant ce comité. Nous avons demandé à ce que le gouvernement présente l'AMI devant ce comité avant sa signature. Il y a donc un précédent.

[Traduction]

Le président: De toute façon, c'est un amendement proposé. Pourquoi ne pas tenter de voir si nous pouvons faire ceci? Si la résolution en vaut la peine, essayer de voir si nous pouvons le faire. Proposons votre amendement. On peut le passer au vote, et s'il passe, il passe; s'il est défait, il est défait. Ensuite on poursuit.

Il faudra rappeler nos membres, et nous n'aurons pas assez de temps parce que nous devons partir. Il est midi. C'est dommage; nous n'aurons pas de résolution sur la cour criminelle internationale.

Ce sera probablement la dernière réunion de notre comité. Il semble que nous ajournerons demain.

M. Sarkis Assadourian: Y a-t-il une autre façon de présenter une résolution au gouvernement si on n'a pas le temps?

Le président: Je ne connais pas de façon de le faire. Si nous avions le temps...

M. Sarkis Assadourian: Je pense que c'est une bonne résolution. Elle n'est peut-être pas parfaite, mais c'est une très bonne résolution. Elle reflète...

Le président: Je le sais. C'était aussi mon opinion.

M. Sarkis Assadourian: Rien n'est parfait...

Le président: Mais tout le monde veut y rattacher leur...

M. Sarkis Assadourian: —mais il serait dommage de l'arrêter maintenant et ensuite...

Le président: C'est le système de valeurs américain... au sujet de l'avortement ou quelque chose.

Nous ne réglerons pas cette question. Nous devrons partir.

La séance est levée. Nous nous reverrons à l'automne. Bon été, tout le monde.