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CC38 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité législatif chargé du projet de loi C-38


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 6 juin 2005




¹ 1535
V         Le président (M. Marcel Proulx (Hull—Aylmer, Lib.))
V         M. Daniel Cere (professeur, Université McGill, Institute for the Study of Marriage Law and Culture, à titre personnel)

¹ 1540
V         Le président
V         M. Chris Kempling (à titre personnel)

¹ 1545

¹ 1550
V         Le président
V         M. Alan Brudner (à titre personnel)

¹ 1555

º 1600

º 1605
V         Le président
V         M. Jonas Ma (président, Chapitre d'Ottawa, Conseil national des canadiens chinois)

º 1610
V         Le président
V         M. Vic Toews (Provencher, PCC)

º 1615
V         M. Alan Brudner
V         M. Vic Toews
V         M. Alan Brudner
V         M. Vic Toews
V         Le président
V         M. Alan Brudner

º 1620
V         M. Vic Toews
V         M. Alan Brudner
V         Le président
V         M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ)
V         M. Alan Brudner
V         M. Richard Marceau

º 1625
V         M. Alan Brudner
V         M. Richard Marceau
V         Le président
V         M. Bill Siksay (Burnaby—Douglas, NPD)
V         M. Alan Brudner
V         M. Bill Siksay

º 1630
V         M. Jonas Ma
V         M. Bill Siksay
V         M. Jonas Ma
V         Le président

º 1635
V         L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.)
V         M. Daniel Cere
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Daniel Cere
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Daniel Cere

º 1640
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         M. Daniel Cere
V         Le président
V         M. Brian Jean (Fort McMurray—Athabasca, PCC)

º 1645
V         M. Alan Brudner
V         M. Brian Jean
V         M. Alan Brudner
V         M. Brian Jean
V         M. Alan Brudner
V         M. Brian Jean
V         M. Alan Brudner
V         M. Brian Jean
V         M. Alan Brudner
V         M. Brian Jean
V         M. Daniel Cere

º 1650
V         Le président
V         L'hon. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell, Lib.)
V         M. Daniel Cere
V         L'hon. Don Boudria
V         M. Daniel Cere
V         L'hon. Don Boudria
V         M. Daniel Cere
V         L'hon. Don Boudria
V         M. Daniel Cere
V         L'hon. Don Boudria

º 1655
V         M. Daniel Cere
V         L'hon. Don Boudria
V         Le président
V         M. Richard Marceau

» 1700
V         M. Daniel Cere
V         M. Richard Marceau
V         M. Daniel Cere

» 1705
V         Le président
V         Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.)
V         M. Daniel Cere

» 1710
V         Mme Anita Neville
V         Le président
V         M. Bill Siksay
V         M. Daniel Cere
V         M. Bill Siksay
V         M. Daniel Cere
V         M. Bill Siksay
V         M. Daniel Cere
V         M. Bill Siksay
V         M. Daniel Cere
V         M. Bill Siksay
V         M. Daniel Cere

» 1715
V         M. Bill Siksay
V         Le président
V         Mme Françoise Boivin (Gatineau, Lib.)
V         M. Daniel Cere
V         Mme Françoise Boivin
V         M. Daniel Cere
V         Mme Françoise Boivin

» 1720
V         M. Daniel Cere
V         Mme Françoise Boivin
V         M. Daniel Cere
V         Le président
V         M. Gord Brown (Leeds—Grenville, PCC)
V         M. Chris Kempling
V         M. Gord Brown
V         M. Chris Kempling
V         M. Gord Brown
V         M. Chris Kempling
V         M. Gord Brown
V         M. Chris Kempling

» 1725
V         M. Gord Brown
V         M. Jonas Ma
V         Le président
V         M. Gord Brown
V         M. Jonas Ma
V         Le président
V         L'hon. Paul Harold Macklin
V         Le président
V         M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville)

» 1730
V         M. Daniel Cere
V         M. Garry Breitkreuz
V         M. Chris Kempling
V         M. Garry Breitkreuz
V         M. Chris Kempling
V         M. Garry Breitkreuz
V         M. Chris Kempling

» 1735
V         Le président










CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-38


NUMÉRO 012 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 6 juin 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¹  +(1535)  

[Français]

+

    Le président (M. Marcel Proulx (Hull—Aylmer, Lib.)): Bon après-midi, mesdames et messieurs. Bienvenue au Comité législatif chargé du projet de loi C-38.

[Traduction]

    Bonjour, mesdames et messieurs.

    Bienvenue au Comité législatif chargé du projet de loi C-38.

    Nous accueillons quatre témoins aujourd'hui, dont trois à titre personnel et un représentant du Conseil national des canadiens chinois. Nous allons procéder en suivant l'ordre du jour : M. Cere, M. Kempling, M. Brudner et M. Ma.

    Chaque témoin a 10 minutes pour faire une déclaration préliminaire. Lorsque tous les témoins auront fait leur déclaration, nous passerons aux questions et réponses. Le premier tour est de sept minutes pour chaque parti, en incluant les réponses, et les tours suivants seront de cinq minutes chacun, incluant également les réponses.

    Nous allons commencer avec M. Daniel Cere.

+-

    M. Daniel Cere (professeur, Université McGill, Institute for the Study of Marriage Law and Culture, à titre personnel): Dans son ouvrage The Rights Revolution et dans les cadre des conférences Massey, Michael Ignatieff fait remarquer qu'une nouvelle tendance de libéralisme a fait entrer le discours sur les droits dans les chambres à coucher de la nation. Ce néo-libéralisme vise à transformer l'institution sociale la plus fondamentale de la société, le mariage. Ignatieff mentionne parmi les répercussions un accroissement du nombre des divorces, une plus grande liberté sexuelle, une diversification accrue de la famille, la diminution du nombre d'enfants et une plus grande instabilité conjugale.

    Depuis ses débuts pratiquement, le libéralisme a insisté sur la nécessité que l'État garde ses distances par rapport aux institutions de base de la société civile, le mariage, la religion et l'économie. John Rawls qualifie cette longue tradition de libéralisme politique. Les valeurs libérales de justice et d'égalité régissent le domaine politique. Toutefois, ce libéralisme rejette l'imposition de toute idéologie globale, y compris des idéologies libérales, à la société civile. Il s'attend à ce que la Constitution et les tribunaux servent de boucliers et protègent les institutions vulnérables de la vie sociale contre toute ingérence de l'État.

    Le combat pour protéger l'institution du mariage de la manipulation politique apparaît clairement dans le texte fondamental de la tradition libérale. Le fameux Two Treatises of Government de John Locke soutient que le mariage est une institution pré-politique indispensable au bien-être de l'être humain. « La société conjugale », écrit Locke, « a été formée par un accord volontaire entre l'homme et la femme;... elle consiste particulièrement en une communion et dans le droit que l'un a sur le corps de l'autre, ce qui est nécessaire à sa fin principale, la procréation ». La société entre les parents et les enfants—et les droits et les pouvoirs distincts qui leur appartiennent—est différente d'une société politique.

    Plus récemment, John Rawls reformule ce point de vue et définit la famille comme une institution fondamentale visant la production ordonnée et la reproduction de la société et de sa culture d'une génération à l'autre. La vie familiale doit être protégée contre toute ingérence du gouvernement. Rawls fait remarquer que les principes politiques du libéralisme ne s'appliquent pas à la vie interne de la famille.

    Le libéralisme a donc débuté par une lutte pour l'indépendance du mariage, l'institution sur laquelle repose la société civile. Le néo-libéralisme franchit cependant la frontière entre le politique et le social. Le libéralisme social veut s'immiscer profondément dans les domaines sociaux de la vie afin d'adapter de force la famille, le mariage et la culture aux valeurs libérales. Les tribunaux sont maintenus à l'écart de leur rôle essentiel de bouclier protégeant la société civile pour devenir des épées de l'État, appliquant de force les normes libérales dans le domaine non politique.

    Le fleuron du néo-libéralisme est la reconstitution de l'institution la plus fondamentale de la société. La nouvelle doctrine affirme que le mariage doit être libéralisé et défini comme un engagement intime entre adultes consentants. Le mariage doit demeurer aveugle à la différence sexuelle, à la procréativité et aux liens naturels entre parents et enfants. Le sens historique donné au mariage, si cher à la tradition libérale classique, est qualifié de discriminatoire et quitte la place publique. Ces changements sont non seulement un accroc à la tradition libérale, mais ils ont sans contredit des répercussions sur l'institution du mariage, les droits des enfants et les libertés civiques.

    Parlons de l'incidence sur le mariage. Les meilleures études interdisciplinaires sur les institutions concluent que les institutions sociales sont façonnées par leur signification publique commune. Selon un récipiendaire du prix Nobel, Douglass North, les institutions établissent les normes publiques ou les règles du jeu qui guident et façonnent la conduite sociale. Les institutions sont des toiles de signification publique. Cela permet d'expliquer la nature hautement complexe des conflits sur la définition publique et les objectifs fondamentaux des institutions comme le mariage. Changer la signification publique d'une institution, c'est changer la réalité sociale de cette institution.

    Quelles sont les implications pour le mariage? Les tribunaux et le gouvernement veulent dépouiller le mariage de sa signification reconnue et le réduire à une idéologie du couple axée sur les besoins d'intimité des adultes. Trois éléments fondamentaux du mariage disparaissent : combler les différences sexuelles, promouvoir la procréation et relier les enfants à leurs parents naturels.

    La recherche indique que les segments de la société favorables à ce modèle de relations intimes semblent marqués par une diminution du nombre des mariages, une baisse de la natalité, un accroissement de l'instabilité maritale et une fragmentation des liens parents-enfants; c'est ce que montre l'ouvrage du sociologue canadien David Hall. Alors, si on impose cette idéologie à l'ensemble de la société canadienne comme étant la norme qui fait autorité, on peut s'attendre à encore davantage.

    Il faut se poser la question suivante : est-ce bien là ce que souhaitent les Canadiens? Selon une récente étude nationale, les aspirations des Canadiens sont encore traditionnelles. L'étude menée par Reg Bibby montre que la grande majorité des Canadiens souhaitent encore se marier, avoir des enfants, être de bons parents et entretenir des relations durables. Plus de 90 p. 100 des adolescents ont l'intention de se marier, d'avoir des enfants et de vivre avec le même partenaire toute leur vie.

    Toutefois, le pendant de cette étude montre que les tendances sociales actuelles—y compris la baisse du nombre des mariages, l'importance de l'instabilité maritale et la baisse de la natalité—sonnent le glas de ces aspirations. Bref, en donnant pleine force de loi à ces tendances, nous conduisons les générations futures à l'échec. L'État doit travailler au renouvellement du mariage conjugal, au lieu de le dénoncer comme étant discriminatoire.

    En ce qui a trait à l'incidence sur les enfants, le projet de loi C-38 exige une redéfinition fondamentale de la parentalité, en supprimant de la loi le concept de parent naturel pour le remplacer par celui de parent légal. Pourquoi? Parce que donner un poids juridique aux parents naturels compromettrait les revendications parentales des couples de même sexe. Selon un juriste, la tradition à « privilégier la parentalité biologique » constitue une contrainte « hétérosexuelle » sur « le vaste éventail de formes et de pratiques familiales ». En rejetant le lien biologique du mariage conjugal et en faisant de la diversité familiale la norme fondamentale à promouvoir, l'État s'érige contre l'idéal de la famille intacte. Il embrasse les tendances sociales qui contribuent à son érosion. En appuyant le maintien des mariages conjugaux dans leur intégralité, on promeut le droit de naissance des enfants d'être reliés à leur mère et à leur père. Rejeter cette norme publique revient à rejeter l'ensemble complexe des droits enchâssés dans l'institution.

    Pour ce qui est de l'incidence sur la liberté, permettez-moi de dire que l'État libéral moderne est maintenant confronté à des conceptions solidement ancrées et contradictoires sur le mariage. Certains segments de la société s'identifient au principe de relation intime, tandis que d'autres sont favorables à la conception historique du mariage, soit l'union de conjoints de sexe opposé. Prendre parti et imposer la doctrine de la relation intime du mariage est contraire au principe libéral d'impartialité. Le projet de loi C-38 qualifie de discriminatoire la signification historique du mariage, si essentielle aux communautés religieuses et culturelles du Canada. Les libéraux socialistes soutiennent que cette vision du mariage doit être soustraite au débat public pour trouver refuge derrière le voile de la liberté religieuse. Mais ce voile a-t-il un pouvoir de protection? La progression du libéralisme social provoque inévitablement une anxiété au sujet de la liberté culturelle et religieuse. Le projet de loi C-38 promet de ne pas s'immiscer dans les sanctuaires religieux pour obliger les ministres du culte à célébrer des mariages qui heurtent leur conscience. Le fait que ce projet de loi brandisse le spectre d'un geste aussi draconien devrait sonner l'alarme.

    Qu'en est-il des autres champs de compétence fédérale auxquels le gouvernement aurait pu offrir des protections tangibles : le statut des organismes de bienfaisance, les communications, la liberté universitaire, la liberté de professer et de promouvoir la conception historique du mariage sur la place publique? Jusqu'à présent, pas un murmure.

    À mon avis, il est probablement impossible de corriger certaines des lacunes fondamentales du projet de loi par voie d'amendement. Toutefois, certains amendements pourraient en assouplir la portée.

    Premièrement, je supprimerais les amendements corrélatifs concernant la parentalité. Il s'agit d'une tout autre question; la redéfinition de la parentalité exige un débat public de fond.

    Deuxièmement, il faudrait supprimer le long préambule argumentatif qui tente d'associer la charte à une idéologie particulière du mariage.

    Troisièmement, il faudrait inclure de solides dispositions affirmant la liberté religieuse, académique et publique de professer et de promouvoir la définition historique du mariage au sein de la société canadienne.

    Quatrièmement, il faudrait protéger le statut d'organisme de bienfaisance des institutions religieuses, culturelles et universitaires qui adhèrent à cette conception.

    Cinquièmement, il faudrait prévoir un financement adéquat des communautés religieuses et culturelles, de la part du gouvernement fédéral, pour leur permettre de se défendre lors des contestations judiciaires inévitables que suscitera la position qu'elles auront exposée.

    Sixièmement, il faudrait reconnaître l'existence des conceptions du mariage légalement valables, mais certainement contradictoires au sein de la société canadienne. Vous pourriez inclure une disposition reconnaissant et affirmant la place vitale et l'importance de la conception conjugale historique du mariage au Canada—prévoir une certaine bi-conjugalité, pourrait-on dire, dans la loi.

    Merci.

¹  +-(1540)  

+-

    Le président: Monsieur Kempling, vous avez dix minutes.

+-

    M. Chris Kempling (à titre personnel): Merci, monsieur le président.

    Je m'appelle Chris Kempling. Je suis conseiller scolaire à Quesnel, en Colombie-Britannique. Je suis aussi thérapeute en pratique privée sur le mariage et la famille. Je le suis à temps partiel depuis 15 ans.

    Je suis un professionnel du système scolaire public en plus d'être un Chrétien fervent et sincère. Mon inquiétude n'a cessé de croître depuis 1996, lorsque tout a commencé, pour ce qui est de l'intention, à ce qu'il semble, de normaliser le comportement homosexuel dans le système scolaire public. Je suppose que le projet de loi sur le mariage est la dernière étape dans ce processus.

    J'ai écrit des lettres d'opinion pour exprimer mon point de vue en tant que professionnel, Chrétien et citoyen, et je suis puni très sévèrement pour cela. J'ai été suspendu pour un mois du British Columbia College of Teachers. Je n'ai toujours pas subi cette suspension, parce que j'interjette appel de cette décision dans le système judiciaire. J'ai été suspendu pour avoir écrit des essais savants où j'expliquais mes points de vue et donnais beaucoup de citations érudites pour appuyer mes dires. J'ai été suspendu pour avoir écrit des notes privées à mon propre superviseur, qui ne s'est pas plaint de moi. J'ai été suspendu pour avoir écrit des lettres privées aux représentants élus du conseil de ma propre ville.

    Je viens tout juste d'adhérer au Parti de l'Héritage Chrétien du Canada. Il s'agit d'un parti politique fédéral enregistré. Il représente de près mes opinions. Je suis le porte-parole de ce parti dans la circonscription de Cariboo—Prince George, et c'est en cette qualité que j'ai écrit une lettre d'opinion pour expliquer la position de notre parti sur le mariage entre personnes de même sexe, pour expliquer pourquoi nous nous opposons en toute déférence à ce type de mariage et nous pensons qu'il n'est pas dans l'intérêt du public de changer la définition du mariage. Pour cette lettre, j'ai été suspendu trois mois sans rémunération. Je suis ici aujourd'hui justement parce que je n'ai pas besoin de prendre congé pour venir vous parler. Je suis en congé, sans travail, depuis deux mois.

    Je trouve qu'il n'y a pas beaucoup de liberté d'expression dans ce pays, du moins pour les Chrétiens qui occupent des postes professionnels, et je suis très inquiet, non seulement pour moi-même, évidemment, mais pour tous les autres professionnels chrétiens qui pourraient choisir d'exprimer une opinion professionnelle qui s'avère teintée de leurs croyances morales ou religieuses. Je pense que nous nous engageons sur une pente glissante, donc oui, j'aimerais qu'il y ait des mesures de protection supplémentaires pour les professionnels qui ont des points de vue contraires à l'esprit du siècle actuel.

    Mes autres soucis sont de nature professionnelle. Je suis un membre clinicien de la National Association for Research and Therapy of Homosexuality, et j'ai effectué quelques études à ce titre.

    Il y a une étude réalisée en Hollande qui a capté mon attention. Le mariage y est légalisé depuis 2001. En mai 2003, le service de santé municipal d'Amsterdam a publié, sous la direction du Dr Maria Xiridou, une étude dans la revue AIDS. Le Dr Xiridou et ses collègues ont eu la surprise de constater que le taux de transmission du VIH le plus élevé ne s'observait pas chez les partenaires occasionnels homosexuels, mais chez ceux qui ont des relations stables. C'était toute une surprise pour eux. Ils se sont rendu compte que 86 p. 100 de tous les nouveaux cas de transmission du VIH s'observaient chez des couples stables. La durée moyenne de ces relations était d'un an et demi, et ce taux s'expliquait parce qu'ils avaient de six à dix partenaires externes par année.

    Pouvez-vous imaginer que l'un d'entre nous annonce à sa conjointe qu'il va avoir de six à dix partenaires externes en un an?

¹  +-(1545)  

    Il me semble que le concept du mariage soit altéré de façon si radicale qu'il ne semble plus signifier ce qu'il signifie pour les hétérosexuels depuis des générations, je suppose, c'est-à-dire une relation exclusive, monogame et durable.

    Je suppose que cela a été très bien illustré en 1999, lorsque le premier ministre Ujjal Dosanjh a offert les services du gouvernement de la Colombie-Britannique comme intermédiaire dans une affaire sur le mariage qui allait être entendue devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le couple en question était un couple de lesbiennes. Un journaliste intrépide a interrogé les deux femmes et a découvert qu'elles ne vivaient pas ensemble et n'avaient pas l'intention de vivre ensemble, même après leur mariage, si elles gagnaient leur cause. Autrement dit, cela m'a semblé être un véritable tour de force de publicité. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement de la Colombie-Britannique choisirait d'agir comme intermédiaire dans une affaire comme celle-ci, mais cela semblait rabaisser l'un des attributs essentiels du mariage.

    Je ne sais pas ce qui va advenir de moi. Pour l'instant, je travaille comme camionneur. C'est tout ce que je peux trouver. Il n'y a pas beaucoup de travail pour des conseillers sans emploi dans une petite ville comme la mienne.

    J'aimerais seulement conclure par une citation d'un homme du nom de William Barclay. Il l'a écrite ne 1971 :

Faute de chasteté, de pureté et de fidélité s'ensuivra la destruction du foyer, et la destruction du foyer signifierait la fin de la société comme nous la connaissons. [Traduction]

    Il y a des gens qui sont prêts à vivre des vies qui vont à l'encontre de toute norme morale, mais ils dépendent en même temps des centaines de personnes ordinaires décentes, qui vivent conformément aux normes de la moralité chrétienne. Il y a des milliers de personnes qui abandonnent toutes les normes chrétiennes et qui dépendent très consciemment de celles qui acceptent les normes chrétiennes pour préserver la société et la civilisation. C'est pourquoi la responsabilité de l'Église d'être le levain de la société n'a jamais été aussi grande qu'elle ne l'est aujourd'hui. L'Église est la gardienne de ces normes, et même ceux qui les enfreignent ne voudraient pas les voir détruites.

    Un homme homosexuel du nom de John McKellar a dit ceci :

La plupart des Canadiens croient que toute relation sexuelle entre conjoints consentants devrait être permise, ainsi que toute forme de relation nous rend heureux; de la même manière, la plupart des gais et des lesbiennes laïques n'ont aucune difficulté à concéder que l'hétérosexualité est et demeurera toujours la norme humaine. C'est un contrat social parfaitement civilisé. Je rejette vivement le point de vue activiste que nous devons aller plus loin, que notre dignité et nos relations seront dévalorisées tant que l'État ne légalisera pas le mariage entre personnes de même sexe.

    Je ne pense pas qu'il y ait de preuve concluante que la majorité des homosexuels veulent vraiment de l'institution du mariage. Il semble qu'en Hollande, où ce type de mariage est autorisé depuis quatre ans, seulement 2,5 p. 100 des homosexuels se sont mariés, bien que quiconque le souhaite puisse se marier.

    Je demanderais donc aux membres du comité d'examiner attentivement les points de vue non seulement des Canadiens conservateurs—et je me considère dans cette catégorie—, mais aussi d'un grand nombre d'homosexuels qui ne semblent pas appuyer cette initiative non plus, selon les articles que j'ai lus dans des publications comme le journal XTRA! West de Vancouver.

    Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer. C'est avec plaisir que je vais répondre à toutes vos questions.

¹  +-(1550)  

+-

    Le président: Merci.

    M. Brudner est le suivant. Vous avez 10 minutes.

+-

    M. Alan Brudner (à titre personnel): Merci, monsieur le président.

    Je vais limiter mes observations à la question de savoir si la législation, en vertu de la common law, de la définition du mariage civil comme l'union exclusive d'un homme et d'une femme nécessiterait le recours à la disposition d'exemption. Je présume que c'est la question à laquelle je suis invité à répondre. Je ne vais aborder que superficiellement les mérites du projet de loi C-38, bien que je sois personnellement en faveur du changement qu'il engendrera.

    Je dois aussi mentionner avant d'entrer dans le vif du sujet que d'après moi, l'édiction de la définition du mariage selon la common law serait inconstitutionnelle et constituerait une violation injustifiable de l'article de la Charte sur les droits à l'égalité. Cependant, comme aucun tribunal hors Québec ne s'est encore prononcé sur la constitutionnalité d'une restriction législative du mariage aux couples hétérosexuels, la question demeure ouverte sur le plan juridique, pour le gouvernement fédéral, ou c'est du moins le point de vue que je vais présenter à l'instant. Si la question demeure ouverte sur le plan juridique, non seulement serait-il inutile que le Parlement invoque la disposition d'exemption s'il souhaite édicter la définition du mariage en vertu de la common law, mais à mon avis, il serait inopportun qu'il le fasse, parce qu'en procédant ainsi, le gouvernement soustrairait une loi présumée inconstitutionnelle d'un examen judiciaire, et cela serait contraire aux principes de la démocratie constitutionnelle.

    Je suis ici pour faire la preuve que même si les tribunaux d'appel de la majorité des provinces et du Yukon ont statué que la restriction du mariage aux couples hétérosexuels en vertu de la common law est inconstitutionnelle, la constitutionnalité de l'adoption législative de la même définition demeure tout de même une question ouverte, même pour ces tribunaux. Comment cela se fait-il?

    Je me dois de commencer mon plaidoyer par deux exemples que les membres de ce comité connaissent sûrement. Le premier est celui de l'affaire R. c. Swain, qui portait entre autres sur la constitutionnalité de la règle de common law qui autorise les poursuites et les procès criminels menant à la preuve d'aliénation mentale contre le gré de l'accusé. Dans ce cas-là, la Cour suprême a dit que lorsque la constitutionnalité d'une règle de common law est remise en cause, le tribunal ne montre pas la même déférence à l'égard de la règle de politique générale qu'à l'égard d'une loi, parce que cela ne soulève pas de question sur le respect de la volonté démocratique. Plus précisément, ce tribunal n'aura pas besoin de se demander si une violation des droits est justifiable parce qu'elle est nécessaire pour favoriser l'atteinte d'un but important pour une société libre et démocratique. De plus, même s'il se pose la question, il n'aura pas besoin de trancher sur les désaccords raisonnables concernant la règle remise en question. La mesure accessoire sera telle que lorsque la constitutionnalité d'une loi est remise en question, le tribunal montrera plus de déférence envers la règle de politique générale qu'il ne le ferait si la même règle avait été établie par un juge, en ce sens que ces désaccords raisonnables à savoir si une politique est urgente et importante ou si une limite à un droit est la moins invasive possible seraient résolus en faveur de ceux qui sont tenus responsables de leurs jugements politiques devant l'électorat.

    L'autre arrêt pertinent est celui de R. c. Daviault, dans lequel la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la règle de common law qui exclut la preuve d'intoxication pour les crimes d'intention de base. Le Parlement a répondu à l'arrêt Daviault par l'adoption d'une nouvelle loi rétablissant la règle de common law dans les cas de crimes violents et il l'a fait sans invoquer la disposition d'exemption. Il importe de souligner que le Parlement a fait précéder sa loi d'un long préambule, où il précise clairement ses objectifs sociaux et pourquoi il les considère importants. Ce faisant, il a donné aux juges de la Cour suprême un texte à prendre en considération qu'il n'avait pas lorsqu'il a annulé la règle de common law

    Il est donc très clair, du moins comme principe général, qu'il y a place à un résultat judiciaire différent lorsqu'une règle de common law invalidée est rétablie par une loi. Il faut ensuite se demander s'il y a place à un résultat judiciaire différent dans le cas précis du rétablissement législatif de la définition du mariage en vertu de la common law. Autrement dit, compte tenu du raisonnement présenté par les tribunaux d'appel provinciaux qui ont annulé la définition du mariage en vertu de la common law, y a-t-il place à un résultat différent si l'on envisage l'édiction de cette même définition? Je crois que oui.

    Prenons l'exemple du raisonnement de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Halpern. Après avoir déterminé que l'exclusion des couples de même sexe du mariage en vertu de la common law contrevenait à l'article 15 de la Charte, le tribunal s'est demandé si cette violation pouvait se justifier à titre de limite raisonnable en vertu de l'article 1. Pour répondre à cette question, il faut se demander, entre autres, si les objectifs de cette règle sont suffisamment importants pour justifier l'annulation d'un droit.

¹  +-(1555)  

    Dans la première partie de son argument, le procureur général du Canada a dû établir les raisons justifiant la définition du mariage en vertu de la common law, qui décrit simplement une ancienne pratique sociale traditionnelle, donc il a dû émettre des hypothèses sur les raisons de cette pratique historique. Le procureur général n'a pas pu donner la raison consciente pour laquelle une nouvelle loi serait adoptée. Il n'a pu qu'avancer les objectifs inconscients et tacites d'une coutume sociale qui prévaut depuis longtemps. Le procureur général en a donné trois. Il a dit que le mariage avait pour but d'unir des sexes opposés, de favoriser la procréation et le soin des enfants ainsi que de favoriser la vie commune.

    Le fait est que l'objectif tacite d'une ancienne pratique sociale qui admet et exclut des personnes sur la base de l'orientation sexuelle est voué à être contestable et discriminatoire, c'est-à-dire qu'il se fonde sur un stéréotype ou qu'il sous-entend la dévalorisation du groupe exclus.

    Comme le but est contestable, le tribunal n'a à juste titre pas tenu compte de l'articulation qu'en a faite le procureur général. Qui dit que la procréation est l'objectif principal du mariage? Les gens ne se marient-ils pas pour diverses raisons louables, des raisons qui valent tout aussi bien pour les couples homosexuels que les couples hétérosexuels? Même si la procréation a déjà été considérée comme le point central du mariage, il ne fait aucun doute que la common law doit s'adapter au changement d'attitude sociale sur le mariage.

    De plus, comme l'objectif tacite d'une coutume sociale qui exclut les homosexuels de l'accessibilité à un statut offert aux hétérosexuels est probablement discriminatoire, c'est une cible facile pour les tribunaux. Pourquoi devrait-on se préoccuper d'unir seulement des personnes de sexes opposés? Cela n'envoie-t-il pas le message que les unions entre personnes de même sexe ne valent pas qu'on s'en préoccupe autant?

    Pour ce qui est de favoriser la procréation et l'éducation d'enfants, n'y a-t-il pas maintenant des couples du même sexe qui éduquent des enfants qu'ils ont conçus artificiellement ou qu'ils ont adoptés? Pourquoi la reconnaissance des unions de couples du même sexe ferait-elle réduire la procréation et l'éducation des enfants par les couples de sexes opposés? Pourquoi la vie commune des couples du même sexe n'aurait-elle pas la même valeur que celle de couples de sexes opposés?

    En somme, comme une règle de common law était en jeu, le tribunal n'a porté aucune attention à l'opinion du procureur général sur la règle de politique générale et n'a eu aucune difficulté à juger cette politique discriminatoire en soi et injustifiable à ce titre.

    Supposons maintenant que le Parlement légifère sur la définition du mariage en vertu de la common law. Il pourrait présenter l'argument suivant : nous ne nous soucions pas de l'objectif historique de la restriction du mariage aux couples hétérosexuels ni des raisons pour lesquelles les gens se marient ou des attitudes que la société a sur l'objectif du mariage. Rien de cela n'est pertinent, parce que nous avons dorénavant nos propres raisons de reconnaître seulement les unions hétérosexuelles, et ces raisons ne sont pas discriminatoires ni avilissantes pour les homosexuels.

    Le gouvernement pourrait dire qu'il n'est pas de son devoir de solenniser des unions conjugales. Le gouvernement pourrait en toute légalité se retirer complètement du mariage.

    Quoi qu'il en soit, il est dans l'intérêt de l'État de faire en sorte que l'activité sexuelle pouvant produire des enfants se fasse dans des relations stables, où les enfants seront bien encadrés. Comme l'État n'a pas le devoir de reconnaître les unions conjugales, il n'a pas le devoir non plus d'aller au-delà de ses intérêts. Les unions conjugales entre conjoints du même sexe, même si elles valent autant que celles des conjoints hétérosexuels, ne vont pas dans le sens de l'intérêt de l'État, parce que contrairement aux couples hétérosexuels, les couples homosexuels ne peuvent procréer des enfants sans la participation et la supervision de l'État.

    Bien sûr, les couples homosexuels peuvent produire des enfants artificiellement et en adopter, mais dans ce cas-là, l'intérêt de l'État de garantir un environnement propice à l'éducation des enfants est satisfait par le règlement juridique sur l'adoption. Comme l'État contribue déjà à régir la façon dont les homosexuels peuvent obtenir des bébés en couple, la canalisation de leur activité sexuelle dans le mariage n'est pas nécessaire à l'atteinte du seul objectif que peut avoir l'État de reconnaître les unions conjugales. Il est vrai que les couples hétérosexuels incapables de procréer n'apportent rien non plus qui satisfasse les intérêts de l'État, mais il est justifié que le gouvernement veille à ses intérêts en interférant le moins possible dans la vie privée des gens.

    Je tiens à souligner que je n'adhère pas personnellement à cet argument. Je suis plutôt d'avis que le gouvernement a le devoir de solenniser les unions conjugales, parce qu'il est du devoir de l'État qui a pour objectif la dignité humaine de favoriser les relations engagées et durables dans lesquelles l'estime de soi est validée mutuellement. Les relations conjugales entre conjoints du même sexe ne diffèrent pas de celles entre conjoints de sexes opposés à cet égard. De plus, comme les lois peuvent avoir pour effet et même pour objectif d'être avilissantes, le gouvernement ne peut pas être indifférent aux interprétations sociales contemporaines de l'objectif du mariage ni à la question de savoir si la distinction entre les homosexuels et les hétérosexuels est irrationnelle du point de vue de cet objectif.

º  +-(1600)  

    Mon argument, c'est qu'il serait possible (en toute logique) qu'un tribunal en arrive à une conclusion différente sur la constitutionnalité du mariage réservé aux hétérosexuels, si cette restriction était enchâssée dans une loi dans le type de but que j'ai mentionné. Dans ce cas, il serait inutile d'invoquer la disposition d'exemption pour permettre l'adoption d'une telle loi.

    J'aimerais conclure par l'observation qui suit.

    Les acteurs de l'arène politique qui appuient le mariage entre conjoints du même sexe devraient logiquement appuyer ma position sur la disposition d'exemption, parce que cette position permettrait aux tribunaux de revoir tout rétablissement législatif de la règle de common law. Cependant, compte tenu de la stratégie malheureuse, à mon avis, du parti au pouvoir de débattre du choix qui le préoccupe, mes observations sur la disposition d'exemption profiteront plutôt aux partis dont la majorité des points de vue sur le mariage entre conjoints du même sexe sont contraires aux miens. Quoi qu'il en soit, je suis venu ici pour vous faire part de ces observations, parce que je pense qu'il y a quelque chose en jeu dans le débat sur la disposition d'exemption qui est au moins aussi important que les droits à l'égalité des gais et des lesbiennes.

    L'enjeu est le constitutionnalisme lui-même, faute duquel les droits à l'égalité ne seraient pas protégés du tout. L'invocation de la disposition d'exemption là où les tribunaux pourraient conclure à la constitutionnalité serait un usage préventif afin de soustraire une loi à un examen judiciaire en vertu de la Charte des droits et libertés. Il est vrai qu'il n'y a rien dans le libellé de l'article 33 qui nous empêche d'utiliser cet article de façon préventive, et la Cour suprême a établi qu'il était possible de l'utiliser ainsi, mais à mon avis, les hommes et les femmes d'État qui admettent cette règle de droit ne voudraient pas exploiter cette possibilité.

    Merci.

º  +-(1605)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant passer à M. Ma, qui représente le Conseil national des Canadiens chinois. Monsieur, vous avez dix minutes.

+-

    M. Jonas Ma (président, Chapitre d'Ottawa, Conseil national des canadiens chinois) : Je vous remercie infiniment, monsieur le président, ainsi que tous les honorables députés membres du comité.

[Français]

    Je vais faire ma présentation en anglais, mais je pourrai répondre en français aux questions que vous me poserez dans cette langue.

[Traduction]

    Merci de nous donner l'occasion de présenter nos vues sur la question.

    Je m'appelle Jonas Ma. Je fais partie de l'exécutif du Conseil national des canadiens chinois. Je dirige la section d'Ottawa. Je ne suis pas le président national de l'association.

    Le Conseil national des canadiens chinois, ou le CNCC, est un organisme national sans but lucratif qui a été créé en 1980. Il regroupe 27 sections à l'échelle nationale. Le Conseil a pour mandat de promouvoir les droits à l'égalité et d'encourager la pleine participation des Canadiens d'origine chinoise à tous les aspects de la vie canadienne. D'après le recensement de 2001, la communauté chinoise canadienne compte plus de un million de membres. Elle représente un groupe hétérogène où l'on retrouve une saine pluralité d'opinions sur divers sujets qui intéressent la communauté et la société canadienne.

    La question du mariage entre conjoints de même sexe ne constitue pas une exception. Toutefois, certains groupes au franc parler et reportages médiatiques ont peut-être amené le public à croire que notre communauté a adopté une position unanime sur la question. C'est faux. Malheureusement, les points de vue divergents exprimés par notre communauté sont mal interprétés, ce qui donne lieu à une certaine racialisation du dossier. J'espère que notre exposé atténuera cet effet et qu'il permettra, dans une certaine mesure, de remettre les pendules à l'heure.

    Concernant notre mandat, le Conseil national des canadiens chinois s'attache à défendre les droits à l'égalité de tous les Canadiens, y compris des différents groupes minoritaires comme les gais, les lesbiennes, les bisexuels et les transsexuels, également présents au sein de la communauté chinoise. Le Conseil collabore depuis 10 ans avec ces personnes, leurs familles et d'autres groupes de soutien en vue de promouvoir la compréhension et de mettre un terme à l'homophobie qui existe au sein de notre communauté et de la société en général.

    Comme vous le savez, la communauté chinoise canadienne a été victime de racisme pendant 62 ans en vertu de la taxe d'entrée et de la loi d'exclusion. Ce n'est qu'en 1947 que ces mesures discriminatoires ont été abrogées. Il nous a fallu beaucoup de temps, de courage et de détermination pour faire reconnaître nos droits. La communauté chinoise sait à quel point les droits à l'égalité sont importants; elle sait aussi à quel point ils sont fragiles. Nous en avons eu l'exemple il y a à peine deux ans, lors de la crise du SRAS à Toronto, quand notre communauté a été ciblée.

    Pour ces raisons, nous sommes fermement décidés à défendre les protections accordées par la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte fournit des garanties à tous les groupes minoritaires et protège leurs droits. Si les droits d'un groupe peuvent être affaiblis ou remis en question, ceux d'autres groupes minoritaires peuvent l'être aussi. La Charte nous sert également de pierre angulaire. De nombreux Chinois ont immigré au Canada au cours des deux dernières décennies parce qu'ils voulaient vivre dans un pays où leurs droits et ceux de leurs enfants seraient respectés. Or, certains craignent que l'octroi de droits à l'égalité aux minorités sexuelles sur la question du mariage ne vienne affaiblir les valeurs auxquelles ils croient. Le projet de loi et le jugement de la Cour suprême montrent que cette crainte n'est pas justifiée. En fait, nous devrions plutôt craindre les conséquences que risque d'entraîner la non-reconnaissance des droits à l'égalité de ceux qui sont différents.

    Certains d'entre vous ont peut-être lu l'histoire de Mme Velma Demerson dans les journaux. Elle a plus de 80 ans si je ne m'abuse. Dans les années 40, les relations interraciales étaient interdites, mais l'amour ne connaissant aucune frontière, Mme Demerson est tombée amoureuse d'un Canadien d'origine chinoise. À cause de cela, elle a été placée en détention et a perdu la garde de son fils. Bien sûr, nos vues sur le mariage interracial ont, depuis, évolué, mais Mme Demerson a subi des torts irréparables. Elle continue de souffrir et cherche aujourd'hui à obtenir justice en intentant des poursuites contre le gouvernement du Canada.

º  +-(1610)  

    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous raconte cette histoire dans l'espoir que la société tire des leçons des erreurs commises dans le passé et qu'aucun autre Canadien ne souffre ou ne soit jugé moins égal que les autres parce qu'il est différent.

    Merci.

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons entreprendre un premier tour de sept minutes.

    Nous allons commencer par le Parti conservateur. Monsieur Toews, la parole est à vous.

+-

    M. Vic Toews (Provencher, PCC): Merci, monsieur le président.

    Je tiens à remercier les témoins pour leurs exposés très savants. Je suis conscient de l'effort que chacun d'entre vous a mis dans sa présentation.

    Je vais laisser aux collègues le soin d'interroger les autres témoins, mais avant cela, je voudrais dire quelques mots à M. Brudner.

    Je tiens à dire, professeur, que les arguments juridiques que vous nous avez présentés figurent parmi les plus intéressants qu'il m'ait été donné d'entendre. J'aurais été fier d'être l'un de vos étudiants. Il est essentiel que les avocats et les juges sachent comment exposer clairement leurs arguments juridiques. Ils ne doivent pas uniquement se contenter de défendre des positions de principe. Malheureusement, comme on le voit si souvent dans le domaine du droit constitutionnel, les avocats préfèrent opiner sur des questions d'ordre politique au lieu de s'exprimer en termes juridiques clairs et précis, comme vous l'avez fait aujourd'hui. Pour revenir à ce que vous avez dit, bien que je ne partage pas votre position sur le plan politique, je pense que, en ce qui concerne la Law Society et le Barreau canadien, c'était une bonne chose qu'un avocat parle de la loi et non pas de ses vues politiques. Pour cela, je vous dis merci.

    Vous avez laissé entendre que l'objet de la loi, qui peut être exposé dans le préambule, constitue pour le Parlement un moyen très important d'exprimer sa volonté, de formuler un choix politique précis. Dans le cas qui nous intéresse, c'est-à-dire le projet de loi C-38, le Parlement a choisi, politiquement parlant, de reconnaître légalement le mariage entre personnes de même sexe.

    Il y a deux choses qui me dérangent dans ce projet de loi. D'abord, le préambule précise, et je cite :

    Attendu que seule l'égalité d'accès au mariage civil respecterait le droit des couples de même sexe à l'égalité sans discrimination, et que l'union civile, à titre de solution de rechange à l'institution du mariage, serait inadéquate à cet égard et porterait atteinte à leur dignité, en violation de la Charte canadienne des droits et libertés ;

    Encore une fois, ce que fait le gouvernement du Canada dans ce projet de loi, ce n'est pas d'exprimer une position en droit, mais plutôt d'exposer une position politique relativement au mariage entre conjoints de même sexe. Il soutient que l'absence d'une telle égalité d'accès violerait la Charte canadienne des droits et libertés, alors que, comme vous l'avez mentionné, le plus haut tribunal du pays n'a pas conclu de façon probante que le fait de ne pas étendre la définition de mariage aux conjoints de même sexe porterait atteinte à la Charte des droits et libertés.

    Ensuite, l'article 3 dispose, et je cite :

    Il est entendu que les autorités religieuses sont libres de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses.

    La Cour suprême du Canada, comme nous le savons fort bien, a déclaré que cet article était inconstitutionnel et ultra vires—ultra vires au sens du partage des pouvoirs et non de la Charte des droits et libertés. Qu'il s'agisse d'une disposition de fond ou une disposition déclaratoire, cet articule est ultra vires.

    Je me demande si vous avez d'autres observations à formuler au sujet du préambule que je viens de vous citer, et de l'article 3 du projet de loi.

º  +-(1615)  

+-

    M. Alan Brudner: Je ne pense pas pouvoir faire de commentaires sur l'article 3. Je ne sais pas vraiment ce que la cour a dit à ce sujet.

    Concernant le préambule, il semble essentiellement exprimer une opinion sur la constitutionnalité du projet de loi C-38 et la présenter comme un fait juridique. Cela pose problème, en ce sens que le Parlement, à mon avis, ne devrait pas s'arroger le droit de déterminer la constitutionnalité des lois puisqu'il se trouverait, en fait, à être à la fois juge et partie, ce qui va à l'encontre du principe du partage des pouvoirs. Vous êtes d'accord? Il revient à la Cour suprême du Canada de décider de la constitutionnalité des lois.

    On pourrait, en toute légitimité, recourir à la clause dérogatoire par suite du jugement de la Cour suprême, mais encore là, il ne faudrait invoquer comme prétexte le fait que la Cour suprême a déclaré la loi inconstitutionnelle et que nous ne partageons pas cet avis. Ce désaccord ne devrait pas justifier le recours à la clause dérogatoire parce que, encore une fois, le Parlement s'arrogerait le pouvoir de juger de la constitutionnalité des lois, tâche qui revient aux tribunaux.

    On pourrait, pour justifier le recours légitime à la clause dérogatoire, affirmer que la cour, en déclarant une loi inconstitutionnelle, a négligé de s'en remettre au jugement politique du Parlement. Par exemple, si la Cour suprême jugeait que la violation d'un droit n'était pas justifiée en vertu de l'article premier parce que la loi contestée ne constituait pas un moyen très efficace d'atteindre le but recherché, elle empiéterait, à mon avis, sur le champ de compétence du Parlement. Les jugements politiques sont l'affaire du Parlement.

    Donc, oui, on peut en toute légitimité utiliser la clause dérogatoire, mais pas pour signifier son désaccord avec le tribunal qui juge une loi inconstitutionnelle.

+-

    M. Vic Toews: Vous avez raison.

+-

    M. Alan Brudner: Pour revenir à votre question, le préambule exprime une opinion juridique et la présente comme un fait, ce qui pose problème. Par ailleurs, on pourrait dire que l'on sait qu'il ne s'agit là que d'une opinion et...

+-

    M. Vic Toews: C'est ce qui me préoccupe, professeur, le fait qu'on exprime une opinion juridique. Si l'on se fie à vos propos, ce sont là les raisons de principe que le Parlement a choisi d'évoquer pour défendre sa position. Or, il semble non seulement faire sienne la responsabilité du tribunal de déterminer ce qui est constitutionnel ou pas, mais il présente la décision de principe qu'il devrait prendre sous forme de cadre juridique ou constitutionnel, ce qui lui permet de dire aux Canadiens, désolé, ce choix politique ne vous appartient plus, les tribunaux en ayant décidé ainsi. Non seulement s'arroge-t-il la responsabilité du tribunal, mais il abdique également sa propre responsabilité sur le plan politique. C'est ce qui me dérange le plus dans ce préambule.

    Comme vous l'avez si bien expliqué, le préambule constitue un moyen efficace de défendre un choix politique.

    Ai-je mal interprété vos propos, professeur?

+-

    Le président: Brièvement, s'il vous plaît.

+-

    M. Alan Brudner: Il est malheureux que le parti au pouvoir ait choisi de définir sa stratégie de cette façon. Apparemment, il veut que les électeurs pensent qu'il a les mains liées sur le plan constitutionnel.

º  +-(1620)  

+-

    M. Vic Toews: C'est exact.

+-

    M. Alan Brudner: Juridiquement, cela reste à déterminer. Nous n'avons aucune raison de croire que ses mains sont liées sur le plan constitutionnel. Cela ressemble à une stratégie politique. À mon avis, le débat de fond entourant le projet de loi C-38 reste entier.

[Français]

+-

    Le président: Thank you.

    Nous passons maintenant au Bloc québécois.

    Monsieur Marceau.

+-

    M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je remercie les témoins de leurs présentations fort instructives. J'ai le plaisir de revoir certains d'entre vous. Professeur Cere, ça me fait plaisir de vous revoir. Nous nous étions vus il y a quelques années et nous avions discuté de cette question.

    Je vais d'abord m'adresser à M. Brudner.

    J'ai écouté avec beaucoup d'attention la présentation que vous avez faite et j'ai été un peu étonné que vous évacuiez très rapidement, en une phrase, une décision juridique assez importante dans ce débat, celle de la Cour d'appel du Québec qui, ne l'oublions pas, ne se penchait pas sur une définition de common law du mariage, mais bien sur la définition adoptée par le Parlement fédéral, selon laquelle le mariage est l'union d'un homme et d'une femme. La cour a bel et bien dit que cette définition adoptée par le gouvernement fédéral était inconstitutionnelle.

    J'ai de la difficulté à comprendre. Ce n'est quand même pas la Cour municipale de Saint-En-Arrière-de-la-Carte qui a parlé: c'est la Cour d'appel du Québec. Je suis surpris que vous ayez complètement évacué cette décision importante de votre analyse.

    Pouvez-vous nous éclairer là-dessus, s'il vous plaît?

[Traduction]

+-

    M. Alan Brudner: Si je me souviens bien, la Cour d'appel du Québec ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé de l'appel. Elle n'a pas accordé qualité pour agir à l'appelant putatif, parce que le procureur général du Canada avait demandé à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur la question. Donc, est-ce que la décision de la cour supérieure, du tribunal inférieur concernant la définition du mariage dans le Code civil est définitive, du moins au Québec? Est-ce que la restriction limitant le mariage aux couples hétérosexuels est inconstitutionnelle? On pourrait le soutenir. Par ailleurs, si la Cour supérieure ne s'est pas prononcée sur la différence qui existe entre la définition du mariage selon la common law, et la définition législative du mariage—et je ne crois pas qu'elle l'ait fait—alors le débat entourant la constitutionnalité de la restriction législative demeure entier, même au Québec.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Je ne suis pas sûr de comprendre.

    D'abord, la décision de la Cour d'appel du Québec, notamment au paragraphe [56], a ordonné qu'on permette à des conjoints de même sexe de se marier. Cependant, la juge de la Cour supérieure — je me souviens que c'était une dame — s'est penchée sur la définition législative du mariage. Elle n'avait pas à se prononcer sur la définition de la common law du mariage, et c'est bel et bien en vertu de l'article 5 de la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, votée par ce Parlement-ci, qu'elle a déclaré que le mariage entre conjoints de même sexe devait être permis. J'ai de la difficulté à comprendre votre raisonnement, car le résultat net de ces deux décisions, celle de la Cour supérieure et celle de la Cour d'appel du Québec, est que la définition législative du mariage a été déclarée inconstitutionnelle à cause de l'article 15 de la Charte. Il me semble qu'au Québec à tout le moins, la définition législative, selon laquelle le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, a été déclarée inconstitutionnelle. Si le Parlement disait aujourd'hui que le mariage doit être l'union d'un homme et d'une femme à l'exclusion de tout autre, pourquoi le raisonnement qui s'est appliqué au Québec ne s'appliquerait-il pas dans le reste des provinces?

º  +-(1625)  

[Traduction]

+-

    M. Alan Brudner: Encore une fois, la situation est différente au Québec, étant donné que la restriction législative limitant le mariage aux couples hétérosexuels a été jugée inconstitutionnelle. La situation est donc différente au Québec.

    Par ailleurs, je tiens à préciser que la décision du juge dans l'affaire Hendricks, au Québec, ne faisait pas état de la différence qui existe entre une règle de common law et une règle législative, et qu'on peut toujours adopter une loi pour réintroduire la définition de la common law, mais en s'appuyant sur les arguments que j'ai invoqués. Sur ce point, la question d'une restriction législative limitant le mariage aux couples hétérosexuels n'a pas été abordée. Elle n'a pas été examinée par le tribunal inférieur dans l'affaire Hendricks. L'argument n'a pas été évoqué. Donc, il y a toujours-là matière à débat. Mais je suis d'accord avec vous. La situation est différente au Québec, où la loi a été contestée.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Merci.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci. Nous allons céder la parole au NPD. Monsieur Siksay.

+-

    M. Bill Siksay (Burnaby—Douglas, NPD): Merci, monsieur le président, et merci à tous les témoins d'être venus nous rencontrer.

    Ma question s'adresse également à M. Brudner. Elle porte sur le préambule. J'ai entendu ce que vous avez dit plus tôt à M. Toews. Vous avez parlé de l'affaire Daviault, un cas qui ne m'est pas tellement familier. Toutefois, vous avez précisé que le long préambule, dans ce cas-là, avait été fort utile. Je voudrais en savoir un peu plus là-dessus. Si ce préambule est différent de celui qui figure dans le projet de loi C-38, pourquoi a-t-il été jugé utile et pourquoi celui-ci ne l'est-il pas, bien que vous ayez dit qu'il pourrait également être assimilé à une opinion. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

+-

    M. Alan Brudner: Le préambule dans l'affaire Daviault portait uniquement sur les objectifs précis de la loi, laquelle visait à réintroduire l'exclusion de l'intoxication comme moyen de défense en vertu de la common law dans le cas de crimes violents. Donc, sur le fond, le préambule ici ne nous aide pas. Si j'ai utilisé cet exemple, c'est parce qu'il montre que, dans l'affaire Daviault, le Parlement a exposé des objectifs—pourquoi il jugeait cette mesure importante—que le tribunal n'avait pas en main quand il a annulé la règle de common law. Mais sur le fond, le préambule portait spécifiquement sur la question de l'intoxication, ce qui n'a rien à voir avec le cas qui nous intéresse.

+-

    M. Bill Siksay: Merci.

    Monsieur Ma, je tiens à vous remercier d'avoir soulevé le cas de Mme Demerson, de nous avoir parlé de la situation dans laquelle elle s'est trouvée du fait de cette relation interraciale dans les années 40. Cela me rappelle certaines histoires. Mon grand-père possédait, à la même époque, quelques logements qu'il louait à Oshawa, en Ontario. Il avait été le seul à accepter de louer un logement à un couple interracial formé d'une personne d'origine chinoise et d'une personne de race blanche. Leur histoire l'avait ému : ils avaient beaucoup de mal à trouver un logement à Oshawa; ils se sentaient frustrés et stressés; ils étaient l'objet d'insultes parce qu'ils essayaient de trouver un endroit où vivre ensemble. Ma famille avait toujours l'habitude de venir en aide aux personnes qui se trouvaient dans ce genre de situation.

    Je me demande si vous pouvez nous parler du changement d'attitude qui s'est opéré dans la société canadienne à l'égard du mariage interracial, si vous savez quand ce changement est survenu, et si cela peut nous aider dans le débat actuel?

º  +-(1630)  

+-

    M. Jonas Ma: Il est utile de rappeler le contexte historique. Les Chinois, à leur arrivée au Canada, n'arrivaient pas à interagir avec le reste de la société. Ils étaient ghettoïsés. On leur donnait des emplois que personne d'autre ne voulait. Le niveau d'interaction était donc très limité. Par ailleurs, à cause de la taxe d'entrée et de la loi d'exclusion, deux mesures discriminatoires, il y avait très peu de femmes au sein de la communauté chinoise. Il y avait des Chinois, à Vancouver, qui fréquentaient des femmes autochtones, mais ces personnes n'étaient pas reconnues comme formant des couples. Les hommes étaient censés avoir des épouses en Chine, des femmes qu'ils n'avaient pas vues depuis 10 ou 15 ans parce qu'ils ne pouvaient se permettre de rentrer au pays.

    L'intégration s'est accrue par suite de l'abolition de la loi d'exclusion. Cela a permis aux Canadiens d'origine chinoise de deuxième ou de troisième génération de s'inscrire à l'université, de pratiquer des métiers qui leur étaient auparavant interdits. On a alors assisté à une plus grande interaction, à une diminution de la crainte de tout ce qui est étranger. Un certain rapprochement s'est opéré, et c'est ce qui explique peut-être l'effondrement des barrières. L'abrogation de la loi d'exclusion a amélioré la compréhension entre les deux peuples; elle a contribué à favoriser l'interaction, à apaiser les craintes, l'anxiété. Voilà le contexte.

+-

    M. Bill Siksay: Vous avez parlé des liens qui existaient entre la communauté chinoise et la communauté autochtone à l'époque où les femmes chinoises ne pouvaient immigrer au Canada. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Nous entendons souvent dire que les relations entres gais, entre lesbiennes sont instables, qu'elles ne durent pas. Or, ces relations se créent sans le soutien du réseau social habituel. Une fois que les systèmes de soutien disparaissent, les couples se déforment. Pourquoi s'en étonner? Est-ce que la communauté chinoise a vécu la même chose au cours de cette période?

+-

    M. Jonas Ma: J'ai deux amis d'origine autochtone et chinoise. Ils ne parlent pas beaucoup de leur passé. Vous avez probablement raison de dire qu'ils ont beaucoup souffert du fait qu'ils n'étaient pas reconnus comme formant des couples. Bon nombre d'entre eux sont restés ensemble même si la société ne reconnaissait pas leur relation.Toutefois, je pense que cela leur a causé beaucoup de problèmes.

    L'Office national du film a réalisé un film intitulé A Tribe of One, qui parle d'une mère qui a été obligée de se séparer de son mari d'origine chinoise en raison des pressions sociales que subissaient le couple. Ils ont souffert. Mais quand ils étaient ensemble, ils semblaient très heureux.

+-

    Le président: Merci.

    Nous passons maintenant au parti ministériel. Nous allons entendre le secrétaire parlementaire, M. Macklin.

º  +-(1635)  

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci aux témoins d'être venus nous rencontrer.

    Vous avez été épargné, jusqu'ici, monsieur Cere. Nous avons entendu plus de 500 témoins, que ce soit de façon directe ou indirecte et vous êtes sans doute la personne que l'on cite le plus souvent, si l' on se fie aux témoignages que vous avez effectués dans le passé. Or, vous êtes venu nous parler aujourd'hui du projet de loi, des amendements qu'il faudrait y apporter, et je trouve cela fort intéressant.

    Dans votre première recommandation, vous proposez qu'on élimine les modifications corrélatives qui ont trait à la notion de parent. Vous ajoutez que la redéfinition de cette notion a des conséquences graves et complexes, et que cette question doit faire l'objet d'un débat public sérieux. Pouvez-vous nous dire quelles sont les dispositions du projet de loi que vous souhaitez voir modifier, et pour quelles raisons?

+-

    M. Daniel Cere: Quand j'ai lu le projet de loi la première fois, j'ai été surpris de voir que la redéfinition de la notion de parent figurait dans les modifications corrélatives et non dans les dispositions essentielles. Vu l'importance de la question, j'ai pensé que cette définition devait figurer dans les dispositions essentielles pour illustrer l'importance du changement. Si vous jetez un coup d'oeil aux modifications corrélatives, vous allez voir que le concept de parent naturel disparaît de toute une série de lois existantes et qu'il est remplacé par le concept de parent juridique. De plus, si vous jetez un coup d'oeil au site Web du ministère de la Justice, vous allez voir qu'on y précise que, si nous voulons être justes envers les couples de même sexe, il faut éliminer la notion de parent naturel. Vous pouvez voir la logique dans cet argument.

    Toutefois, je pense que la notion de parent est liée, de façon étroite, à l'intérêt des enfants et à la question fondamentale de savoir si le droit d'un enfant d'être lié à son parent naturel constitue essentiellement un droit de naissance—en ce sens qu'il n'y a aucune exception à la règle. Nous avons toujours considéré l'adoption comme un moyen de composer avec ces exceptions. Toutefois, la question de la parentalité dans le mariage, surtout au cours des 30 dernières années, a été considérée séparément dans le droit familial. Dans un sens, les deux éléments sont à nouveau liés ici.

    Je pense qu'il s'agit de questions distinctes, compte tenu de l'orientation adoptée par la loi, et qu'elles doivent faire l'objet d'une discussion distincte—l'affiliation à la loi et ses incidences sur la société canadienne. Il faut débattre de ces questions séparément. Le fait d'inclure cette notion dans la loi, dans les modifications corrélatives, ne fait que compliquer les choses. Dans un sens, comme cette notion figure dans les modifications corrélatives, on pourrait l'éliminer sans difficulté. La question plus vaste serait, elle, abordée dans une autre loi.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Il faut bien comprendre que chaque modification faite dans le projet de loi, ou le projet de loi lui-même, est complet en soi. Je ne crois pas que, parce qu'elle est corrélative, une modification ne fait pas partie intégrante du projet de loi.

+-

    M. Daniel Cere: Alors, dans ce cas, il devrait en être question dans les dispositions de fond du projet de loi, selon moi.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Pas nécessairement, parce qu'il faut bien trouver une façon de modifier toutes les autres lois touchées. Il vaut mieux procéder de cette façon que d'en faire état simplement dans les premières dispositions du projet de loi.

+-

    M. Daniel Cere: Alors, il aurait été intéressant qu'il en soit question à la fois dans les dispositions de fond du projet de loi et dans les modifications corrélatives. Il reste que la question des droits et des responsabilités des parents doit faire l'objet d'un grand débat public au Canada. Je ne sais pas si on en a discuté dans le contexte de la redéfinition du mariage. Cela a une incidence sur les technologies de reproduction et d'autres enjeux importants. Pour moi, vous séparez les deux sujets.

º  +-(1640)  

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Je ne suis pas nécessairement de votre avis, mais je vais changer de sujet pour connaître votre point de vue sur autre chose.

    Vous proposez de supprimer le long préambule argumentatif qui tente d'associer la Charte à l'idéologie particulière du mariage. Pourriez-vous nous donner plus de précisions? Proposez-vous d'éliminer toutes les références faites au début à la Charte, y compris celles sur la protection des droits individuels?

+-

    M. Daniel Cere: Je crois que le problème—qui touche d'ailleurs l'ensemble du projet de loi—c'est que, même dans le préambule, comme le professeur Brudner l'a laissé entendre, on a le sentiment d'avoir les mains liées. Il y a une contrainte, compte tenu de la Charte, qui nous pousse dans cette direction, qui nous amène à redéfinir fondamentalement le mariage.

    Je trouve que le projet de loi pose un problème que j'appellerais de reconnaissance. Le projet de loi présente une conception du mariage qui est partagée par d'importants segments de la société canadienne actuellement, une conception qui définit le mariage comme une relation intime.

    Certains Canadiens sont à l'aise avec cette conception du mariage, mais beaucoup d'autres Canadiens ne le sont pas et ne retrouvent pas dans le projet de loi l'institution qui est au coeur de leur vie. Le préambule doit peut-être être reformulé pour tenir compte, dans un sens, de l'existence de deux conceptions légalement valables mais vraiment divergentes du mariage au sein de la société canadienne. Il faut en quelque sorte le préciser dans le projet de loi, pour que les communautés culturelles et religieuses et les universitaires comme moi, qui considèrent que le mariage est une institution sociale de tradition libérale, ne se retrouvent pas, comme le projet de loi le laisse entendre, à fonctionner selon une conception discriminatoire du mariage qui va fondamentalement à l'encontre de la Charte. Je crois que c'est hélas la conclusion à laquelle le projet de loi nous mène.

    Ce projet de loi grandement litigieux ne permet pas une diversité réelle respectant les valeurs libérales. Il y a une conception qui domine et l'emporte au détriment d'une autre. La conception du mariage que bien des gens partagent est maintenant jugée discriminatoire, et je pense que cela entraîne toutes sortes de difficultés.

    Si le projet de loi pouvait être modifié pour permettre une double conception du mariage, on tiendrait compte du fait qu'il y a des conceptions divergentes du mariage au sein de la société canadienne qui sont aussi valables l'une que l'autre, mais on reconnaîtrait que la conception traditionnelle du mariage reste importante. Elle est et restera dominante dans la société canadienne.

+-

    Le président: Merci.

    Nous passons maintenant au deuxième tour. Comme je l'ai déjà dit, tous les intervenants ont droit à cinq minutes. Je vais commencer par les conservateurs.

    Monsieur Jean, allez-y.

+-

    M. Brian Jean (Fort McMurray—Athabasca, PCC): Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins.

    Ma question s'adresse à M. Brudner.

    Monsieur, j'ai trouvé votre exposé excellent. Je trouve votre objectivité très éclairante. J'accepte votre postulat. Je crois que vous avez dit que le gouvernement a le devoir de célébrer les unions. Je suis d'accord avec vous et j'approuve aussi vos remarques sur l'article 33, à savoir qu'il n'est pas nécessaire d'invoquer la clause dérogatoire.

    Je suis curieux parce que vous avez parlé d'une loi pour rétablir la définition utilisée en common law. Vous avez dit que ce serait dans notre mandat et du ressort du gouvernement fédéral de légiférer là-dessus. Je me demande si c'est possible, monsieur, de nous en dire davantage à ce sujet.

    Dans vos explications, j'aimerais que vous pensiez qu'il faut tenir compte des intérêts divergents des deux groupes, ce qu'on pourrait appeler à juste titre les pour et les contre dans cette affaire, ainsi que respecter les droits individuels garantis par la Charte. Peut-on tenir compte des intérêts divergents de chacun en rétablissant la définition utilisée en common law?

º  +-(1645)  

+-

    M. Alan Brudner: Je souligne que, pour moi, rétablir cette définition serait contraire à la Charte. C'est mon opinion. J'estime que ce serait inconstitutionnel. Je dis simplement que les tribunaux pourraient logiquement conclure qu'il est constitutionnel de rétablir dans la loi la définition utilisée en common law.

+-

    M. Brian Jean: C'est ce que je demande, monsieur.Que proposez-vous dans ce cas?

+-

    M. Alan Brudner: Tout ce qui en découle, c'est qu'une loi rétablissant cette définition n'exige pas le recours à la clause dérogatoire. Je ne veux pas vraiment me prononcer sur la façon de rétablir cette définition.

+-

    M. Brian Jean: Mais vous dites que c'est sûrement possible.

+-

    M. Alan Brudner: Oui. Le gouvernement fédéral pourrait le faire sans invoquer la clause dérogatoire. C'est tout ce que je dis.

+-

    M. Brian Jean: Et il pourrait respecter les intérêts divergents sans violer les droits individuels?

+-

    M. Alan Brudner: À mon avis ...

+-

    M. Brian Jean: Je veux votre avis d'expert, monsieur.

+-

    M. Alan Brudner: À mon avis, une loi rétablissant la définition utilisée en common law serait contraire à la Charte. Par conséquent, ce ne serait pas constitutionnel même en tenant compte des intérêts divergents de chacun, en reconnaissant, disons, les soi-disant unions civiles et en offrant aux couples de même sexe les différents avantages accessoires des unions.

    À mon avis, une loi rétablissant cette définition serait inconstitutionnelle et il est impossible de concilier les deux points de vue de façon constitutionnelle. Je dis simplement qu'il est possible logiquement de conclure que c'est constitutionnel et que le recours à la clause dérogatoire n'est par conséquent pas nécessaire.

    Je ne peux pas vous aider à rédiger cette définition pour qu'elle soit constitutionnelle, parce que je ne pense pas qu'elle le serait.

+-

    M. Brian Jean: Monsieur Cere, pour poursuivre là-dessus, j'ai lu votre document avec intérêt et constaté les coûts que le projet de loi aurait pour la société. Pourriez-vous, à partir de ce que M. Brudner a dit, nous indiquer quels en seraient les coûts à long terme? J'en vois quelques-uns mais, plus précisément, quels sont les coûts sociaux et économiques pour la société?

+-

    M. Daniel Cere: Je dirais que ce projet de loi est davantage pour nous un élément dans un ensemble en constante évolution. Un mouvement s'est dessiné sur le plan culturel pour qu'il y ait redéfinition du mariage, et on constate que c'est associé aux grandes tendances sociales des 30 dernières années.

    L'enjeu pour le gouvernement, c'est de se demander s'il doit suivre ces tendances sociales ou essayer de renouveler la culture du mariage dans la société canadienne. Je pense que le projet de loi C-38 montre encore une fois qu'on suit le courant au lieu de chercher à trouver comment améliorer et renouveler la culture conjugale au sein de la société.

    Nous savons, d'après les nombreuses données recueillies, que les enfants s'en sortent mieux dans un foyer uni composé d'une mère et d'un père. Il y a une grande quantité de données qui vont dans ce sens. Notre société prend-elle l'engagement de promouvoir ce type de relation, de situation? Les lois, surtout en ce qui concerne la parentalité, semblent indiquer que non; le sujet n'est pas à l'ordre du jour.

    La question de liberté est cruciale pour moi, comme mon mémoire le fait bien ressortir, je pense. La façon dont le projet de loi est structuré a de grandes répercussions pour la liberté étant donné que continuer à promouvoir la conception traditionnelle du mariage est jugé discriminatoire.

º  +-(1650)  

+-

    Le président: Merci.

    C'est maintenant au tour des libéraux et à M. Boudria.

+-

    L'hon. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Je veux moi aussi souhaiter la bienvenue aux témoins d'aujourd'hui. Je pourrais peut-être poser des questions à M. Cere cette fois-ci.

    J'aimerais d'abord expliquer comment le projet de loi est rédigé pour dissiper toute confusion. Évidemment, le préambule d'un projet de loi a toujours moins de poids que les dispositions comme telles. C'est reconnu, et je suis sûr que d'autres en conviendront. Pour le reste, les articles 1 à 4 constituent une nouvelle loi.

+-

    M. Daniel Cere: Tout à fait.

+-

    L'hon. Don Boudria: Ensuite, cette nouvelle loi modifie des lois en vigueur, ce qui est prévu dans une autre partie. Cette deuxième partie dépend de la première et c'est pourquoi on parle de modifications corrélatives. Leur valeur n'est pas moindre ou quelque chose du genre.

+-

    M. Daniel Cere: Je comprends.

+-

    L'hon. Don Boudria: Pour que ce soit bien clair, c'est parce qu'elles modifient des lois existantes dans certains cas—et d'autres vont en parler plus tard—peut-être pour diverses raisons.

    Mais je veux revenir sur les quatre amendements que vous nous proposez. J'essaie de comprendre l'amendement d) qui dit : « Réaffirmer la reconnaissance libérale historique de l'importance unique et irremplaçable du mariage conjugal traditionnel pour la société canadienne ».

    J'aimerais savoir comment vous aimeriez qu'on le fasse. Voudriez-vous, par exemple, qu'il y ait une disposition indiquant que, pour plus de précision, la reconnaissance historique du mariage conjugal est affirmée? Est-ce le genre de formulation qui vous conviendrait?

+-

    M. Daniel Cere: Dans un sens, le projet de loi privilégie une conception du mariage. Je pense qu'il faut, à tout le moins, indiquer qu'il y a d'autres conceptions du mariage profondément ancrées dans la société canadienne. L'une d'elles est énoncée à l'article 2, c'est-à-dire l'union de deux personnes, la conception de la relation intime.

    Mais comme les audiences l'ont fait remarquer, il y a d'autres conceptions bien répandues du mariage, et le texte du projet de loi laisse entendre que ces autres conceptions sont discriminatoires. Il est important d'indiquer qu'elles ne le sont pas.

+-

    L'hon. Don Boudria: D'accord. J'essaie de comprendre. Corrigez-moi si je me trompe parce que je ne veux pas vous faire dire ce que vous ne voulez pas dire, mais vous voudriez que le projet de loi énonce une définition et ajoute, pour plus de précision, que l'autre définition est aussi valable. Est-ce ce que vous aimeriez voir?

+-

    M. Daniel Cere: Je crois que le projet de loi doit à tout le moins affirmer qu'il y a deux conceptions divergentes du mariage au sein de la société canadienne et qu'elles sont toutes les deux valables.

+-

    L'hon. Don Boudria: Parlez-vous d'un énoncé déclaratoire, un peu comme celui de l'article 3 du projet de loi?

    Notre comité, qui est un comité législatif et non permanent, veut obtenir des conseils d'ordre technique sur le projet de loi. C'est la raison pour laquelle j'essaie de savoir quelles modifications les témoins aimeraient apporter. Ensuite, nous déciderons quoi faire, évidemment. Des témoins à qui on a demandé comment améliorer le projet nous ont proposé de le rejeter. Ce n'est pas pertinent, parce que ce n'est pas notre objectif. Nous essayons de savoir comment l'amender et, concernant votre proposition d), ce serait utile d'en savoir un peu plus.

º  +-(1655)  

+-

    M. Daniel Cere: L'essentiel, c'est que ces articles de fond reconnaissent que la conception traditionnelle du mariage est un aspect important de la réalité canadienne et qu'elle n'est pas discriminatoire. Je trouve que, dans ce débat, on a opposé une conception à l'autre. La conception traditionnelle du mariage est non seulement perdante, mais elle pourrait violer la Charte et être fondamentalement discriminatoire.

    Cela va inévitablement causer toutes sortes de problèmes parce qu'un ombre plane sur ceux qui défendent cette conception publiquement. Comment faire disparaître cette ombre laissée par le projet de loi? En affirmant de façon percutante que la conception traditionnelle du mariage est importante dans la culture canadienne, et qu'il faut lui accorder la place nécessaire à son épanouissement.

    Il existe une autre conception du mariage. Est-ce que cette conception est plus limitée et ramène le mariage à une relation amoureuse intime entre adultes? Je crois que le projet de loi fait place à cette conception, mais il ne faudrait pas qu'elle existe au détriment de...

+-

    L'hon. Don Boudria: Merci beaucoup.

[Français]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    C'est maintenant au Bloc québécois. Monsieur Marceau.

+-

    M. Richard Marceau: Merci encore une fois, monsieur le président.

    Monsieur Cere, je suis convaincu que vous saviez que je ne pouvais pas m'empêcher de vous interroger quelque peu sur le débat qui nous intéresse.

    J'ai lu beaucoup de choses que vous avez transmises, soit au précédent Comité de la justice, soit à l'actuel comité. J'ai également lu les documents que vous avez fait publier à différents endroits.

    En relisant aujourd'hui votre texte intitulé « Le libéralisme, le mariage et le projet de loi C-38 », j'ai été une fois de plus un peu surpris par votre tendance à considérer le mariage comme une institution statique, comme si cette institution n'avait pas changé au cours du temps, comme si la polygamie n'avait pas existé il y a quelques siècles — elle existe encore dans certaines sociétés —, comme si la femme qui se marie perdait son statut de femme majeure, ce qui a été le cas jusqu'au milieu du XXe siècle, une époque que mes parents ont connue et que vous avez peut-être aussi connue.

    Le mariage n'est pas une institution statique et n'a pas toujours été défini de la même façon. Est-ce si compliqué ou exagéré de voir dans le projet de loi C-38 une évolution de l'institution qui change avec la société, qui change avec le temps? Ce ne serait pas un changement à la conception même du mariage, mais simplement un changement qui accompagne ce qu'on pourrait appeler les changements sociologiques: une plus grande acceptabilité de l'homosexualité, les couples qui se marient et qui ne veulent pas d'enfants. Maintenant, la femme et l'homme ont une vie professionnelle. Ils ne veulent faire aucun compromis quant à leur carrière. Tout en aimant l'autre personne, ils font le choix de se dire que leur mariage est centré sur eux-mêmes et que leur but n'est pas d'avoir des enfants.

    Bref, j'ai de la difficulté à comprendre votre conception du mariage, que je trouve statique.

»  +-(1700)  

[Traduction]

+-

    M. Daniel Cere: Ce n'est pas une conception statique. Je reconnais tout à fait que le mariage est en constante évolution. L'époque moderne a fait évoluer considérablement le mariage, parfois de façon positive et parfois de façon négative.

    Le problème, c'est que le projet de loi offre peut-être de nouvelles possibilités, mais il impose un modèle unique, un paradigme, une conception qui convient très bien à certains groupes de la société canadienne. Des homosexuels se reconnaissent dans cette conception du mariage qui est essentiellement un engagement amoureux entre adultes consentants, et le projet de loi est taillé sur mesure pour eux parce qu'il affirme leur conception du mariage et l'accepte.

    Par ailleurs, le projet de loi formule des réserves sérieuses à l'égard de l'autre conception du mariage qui est pourtant déterminante pour beaucoup de communautés culturelles et religieuses du pays. Vous avez probablement entendu beaucoup de leurs représentants au cours de vos audiences. C'est un paradigme différent du mariage. C'est une conception du mariage qui est vraiment significative dans leur vie et au sein de leur communauté et qui est très importante pour eux.

    Je ne veux pas nécessairement qu'on s'en tienne à une conception statique du mariage, mais où est l'ouverture d'esprit du projet de loi? Il me semble qu'un segment de la société canadienne se retrouve très bien dans le projet de loi, mais pas les autres.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Il y a là un effet miroir, surtout quand on parle de mariage civil. Vous avez parlé des gens des différentes religions. À l'heure actuelle, ce n'est pas seulement une question de ne pas se reconnaître dans la définition actuelle, la définition dite traditionnelle: il y a aussi des gens qui n'ont pas accès au mariage. Si on change la définition en adoptant le projet de loi C-38, on dira que le mariage est l'union de deux personnes, mais cela n'empêchera pas la personne qui croit que le mariage est pour la vie et exclut le divorce de penser ce qu'elle veut, surtout si c'est basé sur des valeurs religieuses, ou d'avoir accès au mariage. En conservant la définition traditionnelle du mariage, on exclurait une partie importante de la population, qui non seulement ne se reconnaît pas dans cette définition, mais n'a même pas accès au mariage.

[Traduction]

+-

    M. Daniel Cere: Mes amendements ne proposent pas simplement de réaffirmer la conception traditionnelle du mariage; ce n'est pas le cas. Ils proposent de créer beaucoup de place pour que ceux qui croient en la conception traditionnelle du mariage puissent s'y retrouver et n'aient pas le sentiment, comme c'est le cas maintenant, que l'autre conception a le dessus et que leur conception traditionnelle du mariage est essentiellement discriminatoire et viole l'intention de la Charte.

    Je pense qu'il faut à tout le moins élargir un peu le projet de loi pour permettre qu'il y ait des conceptions différentes du mariage au sein de la société canadienne et indiquer qu'elles sont toutes aussi valables les unes que les autres, sans parti pris... Parfois la simplicité pose un problème dans les lois, n'est-ce-pas? Parfois, une loi plus complexe et diverse qui n'impose pas un modèle unique mais permet la dualité peut en fait répondre mieux et davantage aux objectifs d'inclusion.

    Je pense que ceux qui se sentent exclus—les communautés culturelles, les communautés religieuses et tous ceux qui se reconnaissent dans la conception traditionnelle du mariage... Les conceptions divergentes ne peuvent pas être réconciliées dans un sens. La procréation n'entre pas ou à peu près pas en ligne de compte pour ceux qui voient le mariage comme une relation intime alors que c'est un aspect essentiel pour ceux qui privilégient la conception traditionnelle du mariage. Ce sont des points de vue très différents.

    Je ne crois pas qu'on veuille qu'une conception l'emporte sur l'autre qui serait discriminatoire; je crois plutôt qu'on veut élargir le cadre pour que notre société diversifiée puisse s'affirmer de diverses façons.

»  +-(1705)  

[Français]

+-

    Le président: Merci.

    Nous revenons aux libéraux.

    Ms. Neville.

[Traduction]

+-

    Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci beaucoup.

    Monsieur Cere, M. Marceau a à peu près posé la question que je voulais vous adresser, mais je vais poursuivre là-dessus parce que j'ai du mal à comprendre vos arguments même si j'écoute attentivement.

    Vous exposez deux conceptions divergentes du mariage. Pour moi, le projet de loi énonce une vision plus large du mariage qui n'exclut pas nécessairement une autre conception, mais fait simplement l'élargir. Je ne sais pas si vous pouvez m'aider à mieux comprendre ce que vous dites.

    Vous avez aussi parlé des modifications corrélatives concernant les parents naturels et les parents légaux. D'après moi, ces modifications ont été apportées dans le projet de loi C-23, qui modernise les avantages, qui reconnaît les parents adoptifs et le projet de loi ne fait que combler les lacunes de cette mesure.

    Je vous demande donc de m'aider à comprendre pourquoi le projet de loi oppose, d'après vous, deux conceptions du mariage au lieu d'élargir la conception actuelle.

    J'ai du mal à comprendre comment le fait d'élargir la définition du mariage nuit à la forme plus traditionnelle du mariage.

+-

    M. Daniel Cere: S'il n'y avait pas ces deux conceptions contradictoires du mariage, ce débat n'aurait pas lieu.

    Il y a différentes conceptions du mariage au sein de la société canadienne. Il y a deux grandes notions, dont une selon laquelle le mariage est une union d'amour entre deux adultes consentants. Pour les groupes où la conception historique du mariage est profondément ancrée, cette notion est problématique puisqu'elle enlève certaines dimensions essentielles, comme la dimension sexuelle...[Inaudible]...et son lien avec l'écologie procréative de l'union qui relie les enfants à leurs parents naturels. Ce sont des points importants.

    Le projet de loi établit clairement, à l'article 2, le type de relation intime dont il est question et laisse entendre, sous l'angle des droits de la personne, que la conception historique du mariage n'est pas appropriée, qu'elle est exclusive, qu'elle est discriminatoire et qu'elle doit être supprimée sur le plan législatif.

    Ces collectivités se retrouvent-elle dans ce projet de loi? Je ne le pense pas. Elles ont de sérieuses préoccupations concernant la liberté d'expression car si leur conception du mariage est considérée publiquement comme étant discriminatoire, elles auront évidemment des problèmes. En voulant faire valoir ce point de vue ou cette conception du mariage, ces groupes auront inévitablement des difficultés. Une ombre plane sur cette définition, et je crois qu'il faut qu'on l'éclaire, si je puis m'exprimer ainsi, à la lumière du droit canadien pour faire reconnaître cette conception du mariage comme un autre point de vue valide. En un sens, la loi ne prend ainsi pas parti.

    Ce que vous voulez éviter dans ce projet de loi, et ce que beaucoup de collectivités culturelles et groupes confessionnels craignent, c'est le rejet sur le plan juridique de quelque chose qui est aussi essentiel à leur vie et à leur identité; le défi est de bien doser les choses.

»  +-(1710)  

+-

    Mme Anita Neville: D'accord, merci.

+-

    Le président: Nous revenons au NPD.

    Monsieur Siksay, vous avez cinq minutes.

+-

    M. Bill Siksay: Merci, monsieur le président.

    Monsieur Cere, puisque nous sommes sur ce sujet, êtes-vous en train de dire que nous devrions faire allusion dans ce projet de loi à la fonction procréative du mariage ou à la complémentarité des sexes? Ce sont deux autres points que vous avez soulevés.

+-

    M. Daniel Cere: Oui, on peut le faire d'une certaine manière. On peut affirmer qu'il y a des définitions contradictoires du mariage au sein de la société canadienne que la loi reconnaît.

+-

    M. Bill Siksay: Mais comment faire puisque ces conceptions n'obtiennent pas l'assentiment de la majorité?

+-

    M. Daniel Cere: Que ce soit une ou l'autre, aucune n'obtient l'appui de la majorité.

+-

    M. Bill Siksay: Je pense toutefois que la plupart des gens s'entendent pour dire que le mariage est l'union de deux personnes. Au-delà de ça, je ne sais pas comment obtenir l'assentiment des gens.

+-

    M. Daniel Cere: Ça ne fonctionne pas comme ça. Vous ne pouvez pas faire valoir cet argument. Quelle serait l'analogie? À l'heure actuelle, dans notre société libérale moderne, le mariage est un sujet très sensible. Il y a des conceptions contradictoires. Au XVIIe siècle, il y avait des idées contradictoires concernant la religion. En Angleterre, au XVIIe ou au XVIIIe siècle, on a tenté, en vain, d'imposer la notion la plus libérale de la religion, c'est-à-dire l'élément commun à tous, soit que Dieu existe. On s'est alors retrouvé avec une vision plutôt unitarienne de la religion, une approche latitudinale. Ça n'a pas marché parce que c'était une vision ou une conception partagée par certaines collectivités qui s'y identifiaient, alors que ce n'était pas le cas du tout pour d'autres.

    De même, sur un sujet aussi névralgique que le mariage, il y a des vues contradictoires. La société canadienne peut-elle laisser cohabiter au moins deux conceptions contradictoires du mariage? La polygamie serait aussi une autre façon de concevoir le mariage. Toutefois, la loi actuelle l'interdit : elle décide qu'une telle conception l'emportera sur une autre qui la contredit, dans ce cas-ci le concept d'union conjugale historique, et la supprime.

+-

    M. Bill Siksay: Pouvez-vous me donner un exemple pour illustrer pourquoi vous pensez que le libellé de ce projet de loi a une connotation gagnant-perdant? Où peut-on lire qu'une conception du mariage l'emporte sur une autre?

+-

    M. Daniel Cere: Ça ne le dit pas, mais le résultat est le même. Le projet de loi y parvient en enchâssant une seule définition du mariage.

+-

    M. Bill Siksay: Cependant, le projet de loi ne dit nulle part qu'une conception l'emporte, écarte ou supplante quoi que ce soit.

+-

    M. Daniel Cere: Non, évidemment que le projet de loi n'utilise pas un langage incendiaire puisqu'il peut arriver aux mêmes fins en faisant appel d'une façon particulière à la Charte pour laisser sous-entendre qu'une des conceptions du mariage est conforme à la Charte alors que les autres ne le sont pas et qu'une respecte les droits de la personne, mais pas les autres. Au lieu d'avoir recours à l'arsenal de la Charte et des droits de la personne, il suffirait d'élargir le projet de loi pour qu'il puisse inclure des définitions contradictoires mais tout aussi valides du mariage. Ainsi, on pourrait éviter de menacer les libertés religieuses et culturelles.

»  +-(1715)  

+-

    M. Bill Siksay: Merci.

[Français]

+-

    Le président: Thank you.

    Nous revenons aux libéraux.

    Maître Boivin.

+-

    Mme Françoise Boivin (Gatineau, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Cere, je vous dirai franchement que j'ai un peu de mal à vous suivre. Je vais poser différemment la question que mes collègues vous posaient. Je ne suis pas certaine de me satisfaire de la réponse ou de la comprendre.

    J'essaie de comprendre en quoi l'octroi d'un droit à une minorité enlève quoi que ce soit à la majorité. C'est l'aspect que j'ai le plus de difficulté à comprendre. Quand je rencontre des gens, dans mon comté ou ailleurs, qui me disent que leur mariage ne sera plus jamais pareil, je me demande en quoi il ne sera plus pareil. C'est ce que j'essaie de comprendre, puisque je ne vois nulle part dans la loi que cela enlève quoi que ce soit à la majorité.

    L'autre question que j'aimerais vous poser a trait aux éléments fondamentaux de la définition du mariage dont vous parlez. Dans le texte que vous nous avez remis, vous dites ce qui suit aux pages 3 et 4:

Trois éléments fondamentaux du mariage disparaissent. Premièrement, le mariage lutte pour combler les différences sexuelles et établir un lien stable entre les hommes et les femmes. Deuxièmement, le mariage confère un contexte social pour l'écologie de procréation de ce lien. Enfin, le mariage essaie de former une communauté de vie stable qui ancre solidement le droit de naissance des enfants [...]

    D'après vous, ces  trois éléments fondamentaux  sont-ils intrinsèques à la définition du mariage? Faut-il qu'un mariage comporte ces trois éléments pour qu'il soit conforme à votre vision? Peut-être pourriez-vous m'expliquer ce que vous entendez par ces notions.

[Traduction]

+-

    M. Daniel Cere: Ces éléments disparaissent sur le plan juridique en raison de ce projet de loi. La loi influence la façon dont la population conçoit les institutions, c'est d'ailleurs son but. La signification que l'on accorde aux institutions sociales joue un rôle central dans leur survie.

    Lorsque vos électeurs vous disent qu'ils se sentent menacés...

+-

    Mme Françoise Boivin: Pour que les choses soient claires, j'aimerais préciser qu'une seule personne m'a fait ce commentaire.

+-

    M. Daniel Cere: Ce sentiment de menace est attribuable à la façon dont ce débat et le projet de loi évoluent. Cette conception du mariage qui est fondamentale à cette personne, comme à nombre de Canadiens, est obnubilée sur le plan juridique car elle est perçue comme étant exclusive et discriminatoire et doit être exclue du droit public et remplacée.

    J'ai regardé cette question sous divers angles. Comment faire en sorte que de grandes tranches de la population ne se sentent pas exclues de cette mesure législative? Au début, il avait été notamment proposé que l'État se retire du mariage. J'ai d'ailleurs écrit un article à ce sujet pour un magazine destiné aux gais et aux lesbiennes, le Capital Xtra. Certains des plus ardents défenseurs de cette proposition, comme Gareth Kirkby, font partie de la communauté gaie et lesbienne. Cette approche comporte toutefois des lacunes aussi. Qu'en est-il des enfants? Je pense que c'est un enjeu qui devrait être débattu séparément.

    Récemment, j'ai pensé qu'une autre façon de procéder serait d'élargir davantage la loi pour inclure des définitions contradictoires du mariage. Les collectivités et les groupes confessionnels qui sont en faveur de la conception historique du mariage ont une large assise. C'est une définition à laquelle adhère de nombreuses collectivités culturelles pourtant très différentes les unes des autres. Elles se rejoignent sur ce point. C'est une notion qui les rassemble. Comment faire pour que la loi stipule que la conception historique du mariage fait partie intégrante de la réalité canadienne? Comment pouvons-nous leur dire que s'ils veulent adhérer à cette conception du mariage, qui est commune à bon nombre de gens, ils peuvent le faire car nous lui avons laissé de une place?

+-

    Mme Françoise Boivin: Ces opinions ne sont-elles pas toutefois fondées surtout sur des croyances religieuses?

»  +-(1720)  

+-

    M. Daniel Cere: Non, diverses collectivités culturelles adhèrent à cette définition, pas nécessairement pour des raisons religieuses. C'est une notion. Le mariage est important pour ces gens, même s'ils ne sont pas religieux. La religion ne représente peut-être rien pour eux, mais l'union conjugale peut quant à elle revêtir beaucoup d'importance et être en quelque sorte une pierre angulaire dans leur vie.

+-

    Mme Françoise Boivin: J'aimerais simplement m'assurer de bien comprendre ce que vous voulez dire au sujet des trois éléments. Dès qu'un de ces éléments est mis de côté, vous dites que ça menace la définition du mariage, n'est-ce pas? Prenons par exemple la procréation, si ce n'est pas là...

+-

    M. Daniel Cere: Ça menace la conception historique du mariage. C'est un tout. Dans un certain sens, la conception contradictoire du mariage en tant que relation intime entre deux adultes qui s'aiment et sont engagés est également un tout. Ne peut-on pas inclure ces deux notions dans le projet de loi plutôt qu'une seule?

+-

    Le président: Merci.

    Nous revenons au Parti conservateur. Monsieur Brown.

+-

    M. Gord Brown (Leeds—Grenville, PCC): Merci, monsieur le président.

    Nous avons eu deux témoins. Les questions ont été principalement adressées à l'un d'entre eux. Je vais donc essayer de rétablir un peu l'équilibre. J'aimerais demander à M. Kempling de nous en dire davantage sur certains des problèmes qu'il vit.

    Une de mes plus grandes craintes concernant ce projet de loi touche la liberté de religion et la liberté d'expression. Vous êtes un exemple d'une personne victime de discrimination. Pouvez-vous nous en dire davantage?

+-

    M. Chris Kempling: J'ai écouté Daniel qui disait que la conception contradictoire du mariage était tassée de l'arène publique ou cataloguée de façon à ce que l'expression de cette opinion soit considérée comme étant discriminatoire. C'est exactement ce qui m'est arrivé.

    J'ai cherché un parti politique qui partageait mes opinions religieuses sur le mariage ainsi que sur d'autres questions, et je l'ai trouvé. Quand j'ai choisi de m'engager activement—j'ai le droit en tant que citoyen canadien de m'exprimer librement, de participer activement au sein d'un parti politique et de faire valoir publiquement ou de promouvoir un point de vue particulier dans une circonscription non représentée—, j'ai été sévèrement réprimandé par mon employeur.

    Mon employeur m'a ordonné de ne pas donner publiquement mon opinion sur l'homosexualité. Évidemment, j'ai combattu ça. J'ai d'ailleurs intentionnellement omis de dire à mon employeur que je venais ici aujourd'hui parce que ça pourrait me coûter mon emploi. Je suis très sérieux; c'est ce qui se produit après une suspension de trois mois.

+-

    M. Gord Brown: Quel était le point de vue que vous exprimiez? Était-ce au sujet de ce projet de loi?

+-

    M. Chris Kempling: Oui. En janvier dernier, j'ai écrit une lettre au nom de mon parti politique au rédacteur en chef. Je n'ai nullement fait allusion aux autres rôles que je joue dans la collectivité, mais j'ai dit que notre parti était contre ce projet de loi. J'ai donné quelques raisons et ai proposé qu'il y ait un référendum national. C'est cette lettre qui m'a mis dans l'eau chaude.

    Une voix : Incroyable.

+-

    M. Gord Brown: Aimeriez-vous ajouter quelque chose d'autre?

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    M. Chris Kempling: Disons que ça fait longtemps que je me bats; en somme, depuis 1996.

+-

    M. Gord Brown: Avez-vous pris des mesures pour combattre votre employeur?

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    M. Chris Kempling: J'ai soumis une plainte contre mon employeur auprès du Tribunal des droits de la personne; l'audience aura lieu le 25 octobre. J'allègue la discrimination religieuse puisque je ne peux pas exprimer publiquement un point de vue qui est conforme à mes croyances religieuses sans risquer de perdre mon emploi, mon moyen de subsistance.

    Mon employeur n'a fourni aucun élément pour prouver que ce que j'ai dit a occasionné des problèmes au travail. Après tout, j'ai exprimé mon opinion en dehors du travail. Rien n'indique que cela a causé un problème au travail, mais on prend quand même des mesures disciplinaires contre moi et on me demande de me taire.

    C'est inacceptable dans une société ouverte. Ça ne me dérange pas que les gens qui ont une opinion différente de la mienne s'expriment, mais j'aimerais avoir le même droit aussi.

»  +-(1725)  

+-

    M. Gord Brown: Merci beaucoup.

    Je vais maintenant m'adresser à M. Ma. J'aimerais aussi qu'on vous pose des questions.

    Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre organisation? Vous dites que vous, tout comme votre organisation, êtes en faveur du projet de loi. J'ai pu voir quelques manifestations sur la Colline parlementaire où il y avait beaucoup, pour ne pas dire des milliers, de Canadiens d'origine chinoise en faveur de la définition traditionnelle du mariage. Peut-être pouvez-vous nous donner un aperçu de ce que ressent la communauté chinoise canadienne et nous en dire un peu plus sur votre organisation et sur le nombre de membres que vous avez actuellement?

+-

    M. Jonas Ma: Je vous remercie de me poser des questions.

    Je pense que ça revient à ce que j'ai dit au début, c'est-à-dire qu'il y a divers points de vue au sein de notre collectivité. Ce qu'on voit à la télévision n'est souvent le reflet que d'une partie de la collectivité, qui dans ce cas-ci se prononçait contre le projet de loi. Nous ne voyons pas les autres groupes qui pourraient être en faveur du projet de loi, ne pas avoir d'opinion à ce sujet ou être tout simplement indifférents. C'est ce que j'essayais de vous faire comprendre, c'est-à-dire qu'il y a des membres de notre collectivité qui ne sont pas en faveur du projet de loi. Il s'agit d'une collectivité composée d'un million de personnes; j'insiste donc sur le fait qu'il y aura donc diverses opinions.

    Pour ce qui est de notre organisation, nos efforts portent sur les droits à l'égalité qui sont protégés par la Charte. Je pense qu'il s'agit des principaux éléments qui nous interpellent en tant de groupe qui s'efforce de défendre les droits de la personne.

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    Le président: Monsieur Brown, soyez bref.

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    M. Gord Brown: Comment fait-on pour devenir membre de votre organisation?

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    M. Jonas Ma: Nous avons un site Web et organisons diverses activités. Nous invitons les gens à se joindre à nous s'ils appuient notre objectif, qui figure sur notre site Web, au www.ccnc.ca

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    Le président: Merci.

    Nous revenons maintenant aux libéraux.

    Monsieur Macklin.

+-

    L'hon. Paul Harold Macklin: Je laisse la parole à M. Breitkreuz.

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    Le président: Monsieur Breitkreuz, vous avez cinq minutes.

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    M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville): Merci beaucoup, monsieur Macklin, de me céder la parole.

    J'ai écouté très attentivement tous les témoins et je crois, monsieur Kempling, que votre témoignage met bon nombre des gens qui sont en faveur de ce projet de loi mal à l'aise.

    J'aimerais revenir sur les troisième et cinquième recommandations de M. Cere. Dans votre troisième recommandation, vous dites que le projet de loi devrait renfermer des dispositions solides affirmant la liberté religieuse, académique et publique de professer et de promouvoir la définition historique de l'institution sociale du mariage au sein de la société canadienne.

    Je m'adresse à M. Cere et M. Kempling. Bon nombre de Canadiens et de Canadiennes craignent de vivre ce que vit M. Kempling et de ne plus être en mesure d'enseigner à leurs enfants la signification traditionnelle du mariage ni les valeurs éthiques de leurs croyances religieuses ou encore de ne plus avoir leur mot à dire dans l'éducation de leurs enfants.

    Certains croient qu'ils ne pourront pas exprimer leur opinion sur le mariage entre personnes de même sexe. Beaucoup de gens au Canada font partie de groupes religieux où on leur enseigne qu'ils sont comme leur ministre du culte. Ces groupes religieux disent que leurs membres ont le devoir de s'exprimer publiquement sur ces enjeux, au même titre que leurs dirigeants religieux. Je sais qu'on défend ce projet de loi grâce à l'article 3, à la page 2, qui dit, « Il est entendu que les autorités religieuses sont libres de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses », mais ces groupes ne croient pas que ça suffit à protéger leurs droits.

    Voici donc ma question. Ces personnes religieuses et groupes culturels ont l'impression que si le projet de loi est adopté, ils en subiront les conséquences. Je dois aussi ajouter que beaucoup de Canadiens qui s'intéressent peu à la culture ou à la religion ne comprennent pas les préoccupations de ces gens. Pouvez-vous me dire quelles seront les conséquences, d'après vous, de ce projet de loi sur les personnes appartenant à ces groupes confessionnels pour ce qui est de leur droit de s'exprimer librement, que ce soit dans leur foyer, dans des établissements d'enseignement ou dans des tribunes publiques?

»  +-(1730)  

+-

    M. Daniel Cere: J'en vois dans les établissements d'enseignement.

    Vu la façon dont le débat est structuré, il se crée un climat malsain dans lequel un certain point de vue est considéré comme une violation des droits de la personne. Par conséquent, les gens qui partagent cette opinion hésitent à se faire entendre.

    Je connais des universitaires qui sont beaucoup préoccupés par le projet de loi. Mon ancien mentor, M. Charles Taylor, a de sérieuses réserves, mais il ne le dit pas publiquement. Ses réserves s'apparent aux miennes, si je puis me permettre de parler en son nom. L'inclusion est nécessaire. Nous devons concevoir ce projet de loi de façon à ce que les diverses collectivités puissent s'identifier avec celui-ci et ne pas avoir l'impression d'en être exclues, pour ne pas dire expulsées sur le plan juridique.

    Il ne sera pas facile de modifier ce projet de loi, de le rendre plus généreux qu'il ne l'est actuellement. En taisant une opinion qui doit se faire entendre publiquement...

    Comme vous le dira la communauté gaie et lesbienne, les collectivités ne peuvent pas survivre si elles se cachent. Voilà pourquoi je crois que la conception historique du mariage doit pouvoir être exprimée publiquement. Elle ne peut pas survivre non plus dans un placard juridique. Je crois que le ton du projet de loi crée justement un tel placard.

+-

    M. Garry Breitkreuz: Merci beaucoup.

    Monsieur Kempling, avez-vous aussi quelque chose à dire? J'aimerais savoir si vous avez reçu du financement pour vous défendre dans le cadre de ces diverses audiences. Vous m'avez dit que votre cas a été entendu lors d'audiences. Avez-vous eu de l'aide pour vous défendre?

+-

    M. Chris Kempling: J'ai un fonds en fiducie auquel des gens peuvent faire un don. J'obtiens aussi de l'aide financière de mon syndicat pour couvrir certaines dépenses.

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    M. Garry Breitkreuz: Mais vous n'avez pas reçu d'argent du gouvernement ou des fonds publics?

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    M. Chris Kempling: Non.

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    M. Garry Breitkreuz: D'accord. Pouvez-vous répondre à ma question?

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    M. Chris Kempling: Si vous me le permettez, j'aborderais ce point de façon plus générale. Je suppose que les groupes évangéliques ou catholiques craignent en partie l'impact qu'aura la normalisation des unions entre conjoints de même sexe sur le système d'éducation publique.

    Je suis devenu un défenseur de l'autre point de vue, si on peut dire, en 1996, après avoir vécu une certaine expérience. Je participais à une conférence où on recommandait de mettre le journal Xtra West dans les salles d'attente des conseillers. On nous conseillait de ne pas lire les annonces classées, et je me demandais bien pourquoi. Je n'avais jamais lu ce journal auparavant. Évidemment, lorsque j'ai pris connaissance des annonces classées, j'ai constaté quelles étaient très pornographiques. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi on recommandait de mettre à la disposition des élèves des écoles publiques du matériel pornographique. Lorsque j'ai écrit aux responsables pour leur faire part de mes préoccupations, on m'a tassé du revers de la main ou on m'a dit qu'il n'y avait pas vraiment de problème. Bref, on m'a écarté. C'est alors que j'ai décidé de m'impliquer et de laisser savoir aux parents ce qu'on proposait à leurs enfants.

    Prenons par exemple ce qui s'est passé le mois dernier au Massachussets, où un dépliant très explicite intitulé « The Little Black Book » a été remis aux élèves, même à ceux de la sixième année. C'était très explicite et pornographique. On dirait qu'on vise à normaliser ce type de comportement. Les préoccupations et les craintes des parents ayant des valeurs plus traditionnelles seront ignorées ou reléguées au bas de la liste.

    On a vu un parent d'un élève de la maternelle se faire arrêter dans une école du Massachussets pour s'être opposé à ce qu'on proposait d'enseigner à son fils.

    C'est arrivé chez nos voisins du sud, et je pense que ces préoccupations sont valables ici aussi.

»  -(1735)  

-

    Le président: Merci.

    La séance tire à sa fin. Au nom de tous les députés de tous les partis, j'aimerais remercier les témoins d'être venus aujourd'hui. Merci beaucoup.

    Pour ceux et celles qui aimeraient savoir quand se tiendra notre prochaine séance, elle aura lieu dans exactement 25 minutes.

    La séance est levée. Merci.