JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 29 février 2000
Le président (l'honorable Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Mesdames et messieurs, je déclare la séance ouverte.
Nous accueillons ce matin des témoins qui vont nous parler du projet de loi C-3, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.
[Français]
Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Tout à l'heure, de façon informelle, j'ai parlé au greffier de l'avis de convocation de ce matin. J'aimerais bien qu'on en prenne note pour l'avenir. Étant donné que l'avis de convocation mentionnait le projet de loi C-3 pour les travaux futurs—en fait, c'était le titre général—, j'ai donc écrit qu'on allait discuter de ce projet de loi et des travaux futurs. Or, il s'agissait du projet de loi C-23. Il s'agit d'un simple détail technique, mais j'aimerais bien qu'on en tienne compte à l'avenir pour ne pas que les députés se déplacent pour rien, étant donné que ce ne sont pas toujours les mêmes députés qui siègent au comité pour l'étude des divers projets de loi.
Le greffier m'a dit que les travaux futurs étaient pour l'ensemble du comité. J'aimerais qu'on précise de quoi on va parler à l'avenir pour ne pas que les députés se déplacent pour rien. Merci.
[Traduction]
Le président: Nous le ferons à l'avenir, mais je voudrais faire remarquer à l'honorable députée, ne serait-ce que pour la rassurer, que nous avons discuté ce matin de l'ensemble de nos travaux futurs. Nous avons parlé du crime organisé. Nous avons parlé du projet de loi C-3, et nous avons également parlé du projet de loi C-23.
[Français]
Je souhaite la bienvenue aux témoins de la Coalition pour la justice des mineurs: Mme Hélène Le Brun, conseillère, Centrale de l'enseignement du Québec; M. Alain Boisvert, Centrale de l'enseignement du Québec; et M. Normand Bastien.
[Traduction]
Selon la procédure que nous suivons en comité, les témoins disposent de
[Français]
10 minutes pour une présentation et le témoin a l'occasion de discuter de la question avec nous.
Nous pouvons maintenant commencer.
Mme Hélène Le Brun (conseillère, Centrale de l'enseignement du Québec, Coalition pour la justice des mineurs): Bonjour, je m'appelle Hélène Le Brun. Je serai la porte-parole de la coalition pour la présentation, et mes collègues—j'ai amené mes gardes du corps, comme vous pouvez le voir—seront là pour compléter et pour répondre aux questions. Je tiens à préciser que M. Boisvert est un éducateur en exercice dans un centre de réadaptation jeunesse. Donc, il connaît très bien le milieu de la jeunesse.
Nous allons aussi travailler avec les deux mémoires. La présentation portera sur le mémoire de la Coalition pour la justice des mineurs, mais nous allons également faire quelques liens avec le mémoire de la CEQ, qui est membre de la coalition et qui n'avait pas été entendue précédemment, mais dont les positions sont sensiblement les mêmes.
• 0950
Je prends d'abord une petite minute pour vous présenter la coalition.
La coalition regroupe environ 25 individus ou organismes oeuvrant
auprès des jeunes en très grandes difficultés, tant dans le milieu des
services sociaux, particulièrement dans les centres de réadaptation
jeunesse, que dans le milieu de la justice et dans le milieu de
l'éducation, en particulier avec la CEQ, qui regroupe une série de
fédérations, dont vous trouverez les noms dans le mémoire et qui sont
autant du milieu de l'éducation que des services sociaux.
D'entrée de jeu, nous tenons à préciser que la coalition n'a pas adopté une approche juridique dans l'examen du projet de loi C-3. Nous avons fait cela volontairement et nous entendons démontrer au comité qu'il n'aura pas, au terme de ses consultations, à faire l'étude article par article de ce projet de loi, étude qui, à notre avis, serait inutile.
Comme vous allez pouvoir le constater, c'est à l'esprit, au fondement même, au principe même du projet de loi que la coalition s'est attardée dans son examen, pour mieux s'en détacher. Bien sûr, je ne lirai pas le document de la coalition. Je vous invite simplement à suivre avec moi la table des matières, qui se trouve en page 2 du document. Nous pourrons passer aux rubriques de cette table au fur et à mesure que nous progresserons.
En introduction, nous nous sommes d'abord demandé quelle était la motivation majeure de ce projet de loi. Nous nous sommes dit que ça relevait beaucoup des perceptions erronées à l'égard des adolescents de la part de certaines catégories de la population. Nous avons donc pensé que c'était peut-être, finalement, la peur des adolescents qui était au centre de ce projet de loi.
Il est vrai qu'actuellement, la marginalité adolescente s'exprime plus crûment, plus radicalement. On le voit avec les groupes d'adolescents marginaux, les squeegees, les jeunes de la rue, etc. C'est une caractéristique des adolescents que l'on n'avait pas l'habitude de voir avant les années 1980, et sans doute que cela fait davantage peur. Mais il reste qu'en général, les comportements déviants des adolescents—qu'on pense à l'usage des drogues ou à la prostitution juvénile—restent quand même beaucoup plus dangereux pour eux-mêmes que pour la société en général.
Par ailleurs, il nous faut convenir que les conditions sociales dans lesquelles vivent ces adolescents nous révèlent beaucoup de choses sur les conditions de société qui sont faites aux jeunes marginaux et font ressortir notre responsabilité sociale. On pense ici à la pauvreté en général, à l'abandon parental, aux mauvais traitements, aux abus, aux troubles mentaux et à la toxicomanie, qui sont très souvent présents dans les déviances adolescentes.
Selon nous, ce n'est pas en poussant davantage ces jeunes dans la marge sociale, en les incarcérant davantage, par exemple, que nous allons régler le problème. Une loi, selon nous, punit, point. Et le projet de loi C-3 entend punir davantage. Cette loi ne résout pas les problèmes comme tels. Pour la Coalition pour la justice des mineurs, la seule façon efficace de combattre la criminalité, c'est de la comprendre et non pas de la tolérer. On ne veut pas la tolérer. On ne veut pas l'accepter. On veut la comprendre et comprendre le comportement qui les motive pour tenter de trouver des solutions à moyen et à long terme.
Pour cela, selon nous, un système de justice des mineurs doit être équilibré, responsabilisant et éducatif. Il doit viser la protection de la société, la réprobation sociale du crime et la prise en compte de la situation des victimes. Mais il doit viser aussi la responsabilisation du jeune délinquant, sa réadaptation et sa réinsertion sociale en tenant compte de ses caractéristiques et de ses besoins. Selon nous, bien appliquée—ce n'est pas toujours le cas—, c'est ce que fait l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants.
• 0955
Le projet de loi C-3, lui, ne le fait pas. Il comporte un vice de
fond quant à la rationalité de sa théorie et, selon nous, ce ne sont
pas un examen article par article et des amendements qui en feraient
une bonne loi.
Nous considérons que le projet de loi C-3 est en fait un recul, un grand bond en arrière par rapport à l'approche traditionnelle de la société canadienne. J'en suis à la première partie de la table des matières. La société canadienne a toujours dit qu'il était important d'aborder la criminalité des mineurs dans un esprit autre, avec des balises qui lui soient propres par rapport à celles de la criminalité pour adultes. Ce n'est pas vers cela que nous conduit le projet de loi C-3.
Le principe premier dans l'approche canadienne a toujours été la prise en compte des caractéristiques et des besoins particuliers des jeunes en fonction de leur manque de maturité. Quand ils ont moins de 18 ans, ils manquent de maturité et leur développement est inachevé. Il n'est pas vrai que le développement d'un jeune, aussi criminel soit-il, est achevé à 15 ans.
L'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants permet de sanctionner mais permet aussi le soutien et l'encouragement et met l'accent sur la nécessité d'assumer les conséquences de ses gestes. La loi actuelle peut reconnaître le progrès accompli par les jeunes et surtout garder en perspective un projet de vie pour le jeune ou l'adolescent, ce qui n'est pas tout à fait le cas du projet de loi C-3. On voudrait aujourd'hui rompre avec cette tradition.
Le présent projet de loi, au contraire, fait de la protection de la société le principe dominant selon lequel les tribunaux devront interpréter les dispositions pénales de la loi. Dans la pratique, cette loi ne prévoit pas un système de justice pénale pour adolescents; c'est une loi d'application aux adolescents du système pénal adulte. Cela procède d'un esprit vraiment très différent. Désormais, nos jeunes de 14 ans ne seront pas assez vieux pour voter, pour conduire une automobile et pour consommer dans les bars, mais ils seront bien assez vieux pour être punis comme des adultes.
Nous avançons aussi que la partie 2 cette loi punit en aveugle, en ne tenant pas compte de celui qui commet l'infraction. Le projet de loi propose d'assurer la protection de la société en soumettant davantage les jeunes délinquants aux règles en vigueur dans le système pour adultes. Il se concentre sur la nature de l'infraction et choisit d'ignorer la nature de celui qui la commet, sa nature étant ses caractéristiques et ses besoins.
En fait, pour nous, quand on permet l'imposition de peines pour adultes à des jeunes de 14 ans et plus reconnus coupables de crimes violents, c'est comme si le système des jeunes excluait de sa compétence la clientèle pour laquelle il a été institué; c'est comme si la Loi sur les jeunes contrevenants n'était plus bonne quand elle doit être appliquée aux jeunes qui ont commis des crimes; c'est comme si ce n'était plus une loi pour adolescents. En fait, c'est comme si de tels crimes ne pouvaient être commis par de véritables adolescents immatures et au développement inachevé. C'est comme si on présumait que seuls des adultes peuvent commettre de tels crimes alors que, même si on souhaite que la jeunesse adolescente soit parfaite et idéale, ce sont quand même des adolescents immatures qui commettent de tels crimes.
Il sera aussi présumé que cette mesure s'applique dans tous les cas de crimes violents de cette nature, à moins que la preuve ne soit faite que le jeune doit être traité en adolescent. C'est effectivement ce qu'une jurisprudence pancanadienne risquerait d'introduire. C'est là tout un revirement de situation parce que la Convention internationale des droits de l'enfant, la convention des Nations Unies, elle, présume tout à fait le contraire: tout jeune doit être traité en adolescent, selon les caractéristiques et les besoins de son âge, à moins que preuve soit faite que son intérêt supérieur exige qu'il soit traité en adulte. C'est donc tout un revirement de situation.
En durcissant les conséquences significatives des délits avec violence, on espère dissuader les adolescents de les commettre. C'est l'objectif qu'on vise. Mais rien dans les connaissances scientifiques actuelles ne vient étayer cette thèse. On n'a pas de preuve scientifique que cela dissuade les adolescents de les commettre. Les recherches empiriques démontrent que les peines lourdes, incluant l'incarcération, n'ont aucune incidence sur la récidive chez les adultes. Pourquoi en serait-il autrement des adolescents?
• 1000
Par contre, les recherches ont prouvé que les programmes de
réadaptation, étant donné leur nature et leur contenu, étaient plus
efficaces. Ils ne font pas de miracles, mais ils sont certainement
plus efficaces. Il est prouvé qu'ils réduisent la délinquance de 15 p.
100 dans l'ensemble, qu'ils améliorent le fonctionnement psychologique
de 30 p. 100 quand un jeune est suivi en réadaptation et qu'ils
favorisent l'intégration sociale dans une proportion de 10 à 15 p.
100. Ce sont là des gains d'ensemble. Dans certains cas, pour les
individus, le pourcentage peut monter de beaucoup.
Même si ce ne sont pas là des chiffres mirobolants, ils sont bien davantage mirobolants que l'efficacité zéro de l'incarcération, qui abaisse même parfois le pourcentage, augmente la délinquance et augmente les difficultés de fonctionnement et les difficultés d'intégration sociale.
Toute la logique du projet de loi repose sur la proportionnalité entre la peine et la gravité de l'infraction. Cependant, on ne peut pas en dire autant de la responsabilisation de l'adolescent. La responsabilisation ne peut être assimilée à une responsabilité pénale. Les deux ne vont pas forcément ensemble. C'est l'approche éducative et la rééducation qui amènent le jeune délinquant à se développer et à assumer ses responsabilités sociales, qui le soutiennent vers une démarche d'autonomie qui soit respectueuse de la société. Sans accompagnement, sans un traitement de réadaptation très adapté et très pointu, ce n'est pas l'importance de la peine qui va mener à une plus grande responsabilisation.
Selon la coalition, il est clair que seule une approche différenciée de la conduite délinquante permet de cerner les facteurs contribuant à l'agir délinquant, de mesurer les risques de récidive et de mettre en place un traitement approprié. Or, dans le projet de loi, les mesures extrajudiciaires sont toujours conçues comme une punition en fonction de la gravité de l'infraction et non en fonction des besoins des jeunes. Pour nous, il faut une approche plus nuancée.
Pour être efficace, une mesure ou une peine doit être appropriée au délit, bien sûr, et à la gravité de l'infraction, bien sûr, mais doit aussi être appropriée aux besoins du jeune. Elle doit être significative pour le jeune pour pouvoir pénétrer dans son esprit et avoir une véritable signification. Surtout, elle doit arriver au moment opportun dans la trajectoire délinquante du jeune. On appelle cela la bonne mesure au bon moment. La bonne mesure ne doit pas servir avant tout à sanctionner. Elle doit contribuer à la fois à corriger l'agir délinquant et à favoriser la réadaptation. Nous ne pensons pas que l'harmonisation des peines sur l'ensemble du territoire, telle qu'elle est décrite, va conduire à cela. Il peut arriver, par exemple, qu'une infraction mineure exige une mesure plus contraignante dans le cas d'un récidiviste et qu'au contraire, une première infraction soit mieux servie par une démarche de réadaptation.
Le projet de loi ne permet pas cette souplesse, et cela risque plus souvent d'entraîner de l'inefficacité.
Le président: Madame Le Brun, est-ce que...
Mme Hélène Le Brun: J'ai presque terminé. Nous n'avons que quelques toutes petites remarques sur les parties 3 et 4.
Selon nous, le projet de loi déposé prévoit un système très complexe réservé à des initiés. Il enlève au jeune l'appropriation du système de justice, et son interprétation sera réservée aux juristes. Il est très complexe. On simplifie le principe, mais, par contre, on complexifie les règles d'interprétation et d'application.
Pour ce qui est de la partie 4, nous nous demandons pourquoi il faut chambarder ce qui fonctionne. Est-ce qu'on a l'énergie et les ressources pour mettre en place un nouveau système, alors que celui que nous venons de roder est en mesure de produire des bénéfices équivalents et même plus substantiels? Dans le fond, on pourra vous dire que beaucoup d'autres volets assortis à la stratégie de la justice pour les mineurs pourraient être introduits dans l'application actuelle de la loi.
Revenons à la question posée en introduction: quels sont les véritables motifs à l'origine de ce projet de loi? Manifestement, il a été proposé pour apaiser le sentiment d'insécurité d'une partie du public, qui aura bonne conscience et croira que justice a été faite.
• 1005
L'adopter, c'est se plier aux préjugés, aux perceptions erronées
d'une partie de la population qui ignore le fonctionnement du système
et la réalité de la criminalité des mineurs. Il fait fi des
connaissances actuelles sur la criminalité. Adopter ce projet de loi,
ce serait laisser l'idéologie triompher quant aux fondements. Ce
serait faire table rase de 16 ans de pratique et de jurisprudence.
Selon nous, ce ne serait pas dans l'intérêt supérieur des adolescents.
Assumer un véritable leadership, selon nous, c'est le retirer et
appliquer les énergies au renforcement de la loi actuelle.
Le président: Merci beaucoup à vous et à votre collègue, madame Le Brun. M. Cadman sera le premier à poser des questions. Il dispose de sept minutes.
[Traduction]
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Merci infiniment de votre présence aujourd'hui.
Nous entendons beaucoup parler de l'intérêt supérieur des enfants, et jusqu'à un certain point, je suppose que tout le monde serait d'accord là-dessus. Mais à votre avis, est-ce qu'il arrive un moment où l'intérêt supérieur de la collectivité, et le droit des citoyens de vivre dans un milieu sûr et sécuritaire l'emportent sur l'intérêt supérieur de l'enfant?
[Français]
Mme Hélène Le Brun: Vous semblez les mettre en opposition, ce que nous ne faisons pas. On les considère toujours en concomitance. On peut à la fois protéger la société et les intérêts de la société et viser la réadaptation et la réinsertion sociale du jeune.
Le projet de loi les met en opposition et, pour nous, c'est tout aussi dangereux. Il ne faut pas les opposer car, selon nous, il n'y en a pas un qui prévaut sur l'autre. Les deux sont en concomitance; ils vont toujours de pair. Il est vrai que cela a conduit à des difficultés parce que ce sont les objectifs de la Loi des jeunes contrevenants actuelle. Il est vrai que cela demande plus d'efforts, mais il ne faut pas les opposer. Il faut chercher à atteindre ce double objectif.
[Traduction]
M. Chuck Cadman: Dois-je donc comprendre qu'à votre avis, la sanction ne doit pas être proportionnelle à l'infraction?
[Français]
Mme Hélène Le Brun: Nous l'avons exprimé très clairement dans le mémoire de la coalition. Comme je l'ai dit plus tôt, la sanction doit être appropriée à la gravité du délit, ce qui veut dire qu'elle doit tenir compte de la gravité du délit, mais elle doit aussi avoir une signification pour le jeune et elle doit tenir compte des caractéristiques du jeune.
Donc, encore une fois, on ne voit pas d'opposition entre les deux.
Me Normand Bastien (avocat, Coalition pour la justice des mineurs): Si vous me le permettez, j'apporterai un complément de réponse sur le sujet.
On parle de proportionnalité dans le contexte des sanctions du Code criminel. Quand on parle de proportionnalité, on repère un délit parmi ceux qui apparaissent dans un tableau et on obtient le mode d'intervention à appliquer. Il nous a fallu 12 ou 13 ans pour apprendre, à la suite du jugement J.J.M. de la Cour suprême, en 1996 ou 1997, qu'en matière de jeunes contrevenants, on peut actuellement intervenir. Le crime nous permet de définir la période d'intervention eu égard au crime qui a été commis.
Mais à partir du moment où on connaît le mode d'intervention et la durée de l'intervention, celle-ci devient liée à l'individu. Le genre de programme ou de mise sous garde—s'il doit y en avoir une—est organisé en fonction du jeune, de ses besoins et de sa réalité. L'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants comporte un certain degré de proportionnalité. Toutefois, à partir du moment où vous en faites un principe premier, en fonction d'un objectif premier qui est la protection de la société, cela devient le principe unique et il sera associé à celui de l'harmonisation des peines et ainsi de suite. Le message sera que la sanction prime, que c'est d'abord une sanction.
• 1010
Dans le cas des crimes relativement mineurs, on prévoit des sanctions
extrajudiciaires et des mesures extrajudiciaires autres. Or, même ces
autres mesures, qui sont le renvoi aux services communautaires,
l'avertissement ou la mise en garde, sont désignées comme des
sanctions. On parle toujours de sanctions et de sanctions. Le mot
«sanction» est présent partout. Quand vous joignez sanctions et
proportionnalité, il s'établit un lien direct qui se transforme en une
directive qui sera et devra être suivie.
Nous pensons qu'il serait préférable de revenir en arrière, de mettre l'accent à nouveau sur le jeune et de fonctionner avec les paramètres actuels, à savoir la durée de la peine et les besoins.
[Traduction]
Le président: Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Vous avez affirmé à plusieurs reprises que le projet de loi C-3 ne cherche qu'à répondre aux préjugés et aux craintes de certains segments de la population. Pourriez-vous me dire de quels segments de la population il s'agit, à votre avis?
[Français]
Me Normand Bastien: Dans son énoncé de politique et dans le Livre blanc, la ministre parlait du manque de confiance et de la méconnaissance de la population du système de justice pour les jeunes. C'est un constat qu'elle faisait. C'est aussi un constat que le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la justice applicable aux jeunes avait fait. Toutes les personnes qui ont travaillé sur l'avant-projet de loi ou les avant-projets de loi et tous ceux qui ont fait des recherches là-dessus ont constaté que la population connaissait mal la Loi sur les jeunes contrevenants et ses possibilités.
C'est aussi malheureusement le constat qu'on peut faire quand on rencontre des parents, des journalistes ou qui que ce soit. Les gens ne comprennent pas; ils ne voient pas les avantages de cette loi-là. On nous en présente souvent les aspects négatifs. Cependant, quand on s'arrête aux possibilités de la loi actuelle, on voit qu'elle mériterait que quelques moyens soient consacrés à la faire bien connaître et bien paraître, parce qu'elle a eu de bons effets dans plusieurs endroits et continue d'en avoir.
Malheureusement, pour toutes sortes de raisons, historiques ou autres, il arrive qu'on mette beaucoup l'accent sur ses côtés négatifs ou sur la perception négative que les gens en ont et qu'on les accentue. Aujourd'hui, on souhaite faire savoir aux gens qu'on va devenir plus exigeant et plus dur.
Il y a des gens qui mettent beaucoup d'espoir dans le projet de loi C-3 à partir des annonces qu'on en fait, parce qu'on dit qu'on va devenir plus exigeant envers les jeunes. Par exemple, les gens s'imaginent qu'on va détenir des personnes que la loi actuelle n'oblige pas à détenir. Pour ces gens, il faudrait punir toute transgression à leur liberté par une sanction de mise sous garde.
Or, ce n'est même pas le cas de ce projet de loi parce que les contrevenants ne seront pas détenus. Ce ne sont pas ceux-là qui vont être détenus. Ceux qui seront détenus en vertu du projet de loi C-3 sont ceux qui sont déjà détenus, qui sont déjà mis sous garde, mais ils le seront pendant plus longtemps et probablement dans des milieux d'adultes.
Quand on explique aux gens qu'on va devenir plus sévère afin de les satisfaire, on les leurre parce que, dans le fond, on ne les satisfera pas. Ils seront encore plus déçus dans quelques années et en demanderont encore un peu plus. Nous nous retrouverons encore ici dans quatre ans pour trouver des amendements à cette loi-ci, comme nous étions venus le faire en 1995, en 1994 et en 1992 je pense. Nous sommes ici pour donner satisfaction à une partie de l'opinion publique et nous ne réglons jamais rien.
Quand M. Rock a présenté son premier projet, en 1994 ou 1995, et qu'il a voulu introduire le renversement du fardeau de la preuve, c'était pour satisfaire les mêmes personnes. Nous sommes encore ici pour satisfaire ces mêmes personnes alors que, dans les vrais faits, leur opinion n'est pas conforme à la réalité. Elles ne seront pas plus rassurées, car les personnes qui ont à être détenues le sont déjà.
Le président: Merci, monsieur Cadman.
Madame Venne.
Mme Pierrette Venne: Bonjour, madame. Bonjour, messieurs.
Continuons un peu dans le même sens, regardons la situation d'ensemble et pensons au cas récent des cinq jeunes qui ont battu à mort une femme de 81 ans. Cela s'est passé à Chambly, et j'en ai parlé dernièrement à d'autres témoins. Trois de ces jeunes ont écopé, si je me rappelle bien, de 18 mois de garde fermée. C'est évident qu'un cas comme celui-là ne favorise pas la sympathie envers les jeunes. Cela est sûr et certain.
• 1015
Évidemment, les médias en font des gorges chaudes ou, en tout cas,
s'en gargarisent. Cette partie de la population qui lit un tel fait
divers en est très affectée. Elle se demande comment il se fait que
ces jeunes n'ont pas écopé davantage. Ce n'est certainement pas ce
qui nous aide.
Mais je me dis qu'il ne se peut pas que la ministre de la Justice se soit basée uniquement sur des cas comme ceux-là pour plaire à cette partie de la population. Il devait certainement y avoir quelque chose d'autre dans la loi qui lui déplaisait, dans son application ou dans son administration. Si vous en avez eu quelque écho, j'aimerais que vous nous le disiez.
Si vous pensez que c'est uniquement en pensant à cette partie de la population dont vous parliez tout à l'heure, eh bien, je trouve cela vraiment très décevant, d'autant plus, comme vous devez le savoir, que la ministre de la Justice n'a pas l'intention de retirer son projet de loi, non plus que le gouvernement.
Donc, si vous aviez des commentaires là-dessus, ils répondraient à ma première question.
Il y a un autre point dont j'aimerais discuter avec vous. Vous dites que le système de justice pour les jeunes est très mal connu. C'est vrai, mais est-ce que vous ne devriez pas, vous aussi, en faire un peu la publicité, y affecter un budget? Honnêtement, chacune des personnes qui sont venues ici nous a dit à peu près la même chose que vous, à savoir que c'était très mal connu et que c'était très difficile à expliquer.
J'imagine que la prochaine loi, le projet de loi étant très difficile à lire, sera encore plus difficile à expliquer. Il y a certainement quelque chose qui a manqué quelque part. Comment se fait-il que les parents ne soient même pas au courant des applications de la loi actuelle? Il me manque des éléments d'information.
Voici ma dernière question. Si vous aviez un amendement à proposer au projet de loi, mis à part son retrait, qu'est-ce que vous auriez à suggérer?
Me Normand Bastien: Tout d'abord, je ne voudrais pas commenter les cas de Chambly parce que c'est encore sub judice en ce sens que deux jeunes attendent encore les décisions à leur sujet. Cependant, je voudrais au moins corriger un fait. De mémoire, deux des jeunes ont écopé de 18 mois, mais il y en a un qui a été condamné à 10 ans. Il a été condamné à six années, suivies de quatre autres années. Il est à l'Institut Philippe-Pinel pour cette période. La Couronne a même retiré sa demande de renvoi dans ce dossier quand elle a pris connaissance des divers rapports existants. Alors, la loi le permettait en théorie.
S'il avait été renvoyé au système pour adultes, on l'aurait probablement condamné à 25 ans au minimum. Cependant, il aurait été admissible à la libération après 10 ans. De toute façon, il serait sorti de prison au bout de 10 ans, car aucun pénitencier n'aurait fait d'efforts pour le garder après cette période. Dès qu'il aurait été admissible à la libération conditionnelle, on se serait probablement arrangé pour le libérer. Et ces 10 années, il les aurait faites dans un milieu non structuré pour un jeune.
Cela dit, je ne peux pas répondre à la place de la ministre et dire quels étaient ses objectifs, mis à part pallier la méconnaissance. Je me souviens cependant qu'en plus de celui de la méconnaissance, il y avait d'autres objectifs. Il y avait aussi la nécessité d'une intervention rapide. Je vous dis que cette loi fera exactement le contraire si elle est appliquée telle quelle. En effet, quand vous voyez toutes les décisions qui devront être prises, ne serait-ce que lors de l'audition sur la détermination de la peine... Il y en a pour quelque 80 articles. Il est clair que la nécessité de faire vite... Ensuite, il y aura peut-être des procès devant jury, etc.
Donc, il faut oublier l'intervention rapide, la bonne intervention au bon moment. Ce sera peut-être possible pour les cas de vol à l'étalage ou autres, mais on intervient déjà rapidement dans ces cas-là.
Quant à l'incapacité de s'occuper des contrevenants récidivistes, techniquement, on s'en occupe au moment où on se parle. Avec ce projet de loi, si on s'en occupe, ce sera en dehors du système juvénile.
Des principes et des objectifs clairs s'avéraient nécessaires. Un jugement de Cour suprême, celui de J.J.M., nous avait permis de comprendre un article de la loi après 12 ou 13 ans de son application. Là, on défait tout et on répartit les principes et les objectifs dans quatre articles qui contiennent des contradictions. Ce n'est pas évident. Il y a des principes à l'article 3, à l'article 37, à l'article 85 et à l'article 4 concernant les mesures extrajudiciaires. Il y a des objectifs et des principes partout dans cette loi. Donc, il m'est difficile de vous dire que cet objectif sera atteint.
Vous nous invitez à faire connaître cette loi aux parents, aux jeunes dans des écoles, etc. Nous allons régulièrement dans des écoles donner des conférences sur les applications de ce genre de loi. Je ne vais pas pouvoir expliquer aux gens que la loi est claire. Ce n'est pas vrai que je vais la leur expliquer de façon à ce qu'ils puissent la comprendre. Je suis avocat depuis 27 ans. Nous sommes huit avocats à avoir passé une partie de l'été à essayer de comprendre ce qu'il y avait là-dedans et nous ne comprenons toujours pas.
• 1020
Vous imaginez que ce n'est pas une loi simple. On avait réussi à
mettre 75 articles en ordre pour comprendre où on s'en allait. Après
12 ou 13 ans d'application et de multiples amendements, on nous arrive
avec 190 autres amendements. Ce n'est pas une loi simple. C'est une
loi très compliquée, et ce n'est pas vrai qu'on va pouvoir l'expliquer
aux gens et les rassurer là-dessus. Dès que l'on va affirmer une
chose, le lendemain, il y aura une décision pour dire le contraire, et
on va banaliser encore.
Je vous dis tout simplement que j'aimerais comprendre exactement l'objectif réel du projet de loi. Je ne le comprends pas. Je comprends que la loi actuelle n'a pas été appliquée partout de la même façon. C'est vrai qu'il existe des lois de protection sociale qui ne sont pas les mêmes dans certaines provinces et qui n'ont donc pas les mêmes effets. Je pense entre autres à la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec, dans laquelle il existe une possibilité d'intervention pour des jeunes qui ont des problèmes de comportement. Beaucoup de cas de crimes mineurs sont traités en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse parce qu'elle nous permet d'intervenir dans les problèmes de l'individu.
Si on intervenait de la façon dont on intervient pour un jeune contrevenant, on le ferait pour un mois, parce que le crime est relativement mineur, mais on ne réglerait rien. Quand on intervient en protection de la jeunesse, compte tenu de la possibilité que nous avons d'intervenir pour un problème de comportement, cela nous permet d'intervenir au niveau de ce problème et de le régler. On peut intervenir sur une période d'un an ou deux. Cela nous permet aussi d'impliquer les parents.
Évidemment, à partir du moment où on fonctionne avec cette réalité, on ne peut pas, si cette réalité n'existe pas ailleurs, avoir le même objectif. Mais, au lieu de tout refaire, je pense qu'il serait plus simple de rendre les mêmes outils à tout le monde.
Quant au dernier aspect de votre question, à savoir quels sont les amendements, on pense, à la coalition, qu'on ne peut pas faire une bonne loi à partir de ce projet de loi-là.
Je vais vous parler à titre personnel. Par exemple, si vous voulez absolument rendre ce projet de loi moins mauvais, il faudra que les principes de l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants s'y retrouvent totalement. Je vous mets au défi de prendre les trois premiers paragraphes du préambule et de les inclure dans les principes.
Si le préambule veut dire quelque chose et si on veut le respecter, soyons conséquents: mettons les articles du préambule dans les principes. Je suis convaincu que les légistes vont vous dire que si vous faites cela, vous reviendrez exactement à l'actuelle loi.
Il y a un autre objectif majeur. À partir du moment où on décidera d'assujettir un jeune aux peines d'adultes, il faudra absolument qu'on revienne au test que nous connaissons, à savoir le test de la conciliation entre la réhabilitation et la protection du public; il ne faut pas s'attacher strictement à la protection du public, comme c'est le cas présentement.
Dans le texte du projet de loi C-3, on trouve le critère de la suffisance; allez voir à l'article 37. Est-ce que la peine spécifique est suffisante pour protéger le public? Toujours en vertu des principes de l'article 37, sur l'harmonisation des peines et la proportionnalité, si on répond non à la question précédente, c'est une peine d'adulte. Revenons aux critères de la conciliation entre les deux objectifs, et je pense que nous commencerons à avoir une loi un peu moins mauvaise. Et, surtout, soyons simples: réduisons les concepts.
Voici un dernier détail. L'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants actuelle, qui porte sur le programme des mesures de rechange, a été jugé tellement valable que le législateur canadien, en 1995, l'a incorporé intégralement dans le Code criminel. On a maintenant des mesures de rechange pour les adultes dans le Code criminel, avec tout ce que cela implique.
Ici, on élimine les mesures de rechange. On n'en veut plus. On aura des mesures extrajudiciaires avec des sanctions extrajudiciaires. On aura un renvoi, renvoi qui, depuis 40 ou 50 ans, consiste à transférer des jeunes chez les adultes. Maintenant, c'est la mesure la plus mineure; un policier pourra décider de renvoyer un jeune aux organismes communautaires. La mesure de rechange est maintenant devenue une mesure de rechange à l'emprisonnement.
On change tous les concepts et on prétend être clair. Je vous dis que c'est la confusion totale. On se dirige vers des situations où on ne sera pas capables d'expliquer aux gens que les mesures de rechange qui existaient jadis pour les jeunes contrevenants ont donné des résultats tellement bons que l'on a décidé d'en faire l'application chez les adultes, mais que, par ailleurs, cela n'existe plus pour les jeunes contrevenants et a été remplacé par des mesures extrajudiciaires.
Le président: Merci, monsieur Bastien et madame Venne.
Peter Mancini.
M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Merci, madame et messieurs.
Je suis d'accord avec bon nombre des points que vous avez soulevés dans votre exposé, mais j'ai tout de même des questions à vous poser. La clé de voûte de ce nouveau projet de loi est la reconnaissance que certains crimes sont graves et qu'il existe des récidivistes chroniques. Pour moi, la ministre a cherché à équilibrer les mesures visant les jeunes qui commettent des crimes moins graves et ceux qui commettent à répétition des crimes beaucoup plus graves.
J'ai deux questions à vous poser. Que faut-il faire au sujet des multirécidivistes? Deuxièmement, comment peut-on lutter contre le phénomène des bandes de jeunes qui recrutent des enfants âgés de moins de 12 ans? Faut-il les traiter différemment?
[Français]
Me Normand Bastien: Le premier aspect de ma réponse portera sur les récidivistes. Le problème qui se présente ici, c'est qu'on cible les crimes graves. Une grande proportion des personnes qui commettent un crime très grave, tel un meurtre ou un homicide involontaire, n'ont pas d'antécédents judiciaires. On ne peut donc pas les qualifier de récidivistes.
Lorsqu'on se retrouve face à une personne qui a commis 22 introductions par effraction et une multitude de vols d'autos, mais qui n'a pas eu recours à la violence, cette loi nous dit qu'il faut procéder par étape. Avant de décider d'imposer une mise sous garde, il faut consulter toutes les dispositions de l'article 37 et les articles suivants pour savoir quelles circonstances justifient l'envoi d'un récidiviste en mise sous garde. C'est super compliqué. Cette personne a commis une série de vols à l'étalage, une série de vols d'autos et une série d'introductions par effraction, mais il n'y a pas eu de violence. Par contre, face à un individu qui a commis un acte grave, intolérable et inacceptable, c'est le processus de la sentence pour adultes, de la présomption, qui s'applique. Si on veut traiter les récidivistes, traitons le récidiviste, mais oublions le critère du crime comme point départ. Faisons une évaluation de l'individu. Grâce à cette loi, le récidiviste du vol à l'étalage ne sera jamais traduit devant les tribunaux ou à peu près jamais, bien qu'il soit peut-être déjà rendu à sa huitième infraction. Il essaie peut-être de nous passer un message, et nous pouvons peut-être faire certaines interventions afin d'éviter qu'il passe aux étapes suivantes. Mais ici, on nous dit d'oublier cette personne-là et de l'envoyer dans la communauté. On n'aura pas les ressources nécessaires ni l'énergie pour régler un vol à l'étalage ou 12 vols à l'étalage, mais on va mettre tous nos efforts pour régler les problèmes de meurtre. Je reconnais qu'il est important de déployer tous ces efforts, mais il arrive souvent qu'un concours de circonstances soit relié à des crimes passionnels ou autres. Alors, je vous dis de ne pas vous concentrer sur le crime commis, mais plutôt sur le jeune et sur ses besoins. C'est important.
Quant aux bandes, malheureusement, encore là, ce sont bien plus souvent des adultes qui recrutent les jeunes. La semaine dernière, nous avons fait une saisie dans une école de Montréal et arrêté 20 jeunes qu'on soupçonnait de trafic de drogues. Nous savons tous que ces jeunes étaient reliés à des adultes. Oui, nous les avons arrêtés; oui, nous sommes intervenus; et oui, nous les avons mis en dehors de l'école. Mais les adultes qui leur vendaient la drogue en vendent encore et en vendront encore.
Qu'a-t-on réglé? Notre société s'est donné comme moyen d'intervention de passer le message qu'elle ne tolère pas de tels actes. Par contre, il y a d'autres personnes qui trouvent le moyen de profiter de cette situation, et la plupart d'elles sont des adultes. Lorsqu'on arrête un jeune de 17 ans plus quelques jours qui est actif et qui fait du recrutement, on peut le traiter. La loi nous permet actuellement d'avoir recours au renvoi dans un tel cas, et c'est généralement ce qu'on fait. La prochaine loi fera en sorte qu'on limitera le recours au renvoi à de tels cas. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'établir des prérequis et de s'en servir comme principe de base. Donnez-nous plutôt les moyens de faire en sorte qu'on puisse, après la condamnation, traiter un individu qui satisfait à certains critères de cette nature en tenant compte de ses propres circonstances.
Dans la justice pour adultes, il existe une disposition relative aux criminels dangereux. Avant même qu'une personne ne soit déclarée coupable, on peut faire une requête au tribunal et faire une preuve afin que l'individu soit déclaré criminel dangereux pour nous permettre de faire de la détention préventive. Pourquoi? On n'a pas renversé de fardeau. Pourquoi ne ferions-nous pas la même chose avec les jeunes? Il me semble qu'il y a moyen de régler les problèmes tout en réservant l'exception à l'exception, et non pas en en faisant la règle générale.
Le président: Je crois que M. Boisvert voudrait ajouter quelque chose.
M. Alain Boisvert (Centrale de l'enseignement du Québec, Coalition pour la justice des mineurs): Les critères doivent être axés sur les besoins du jeune, sinon on abandonne tout espoir pour ces jeunes de 14 ou 15 ans. Il existe des programmes de réadaptation structurés à l'intention des jeunes. Il y a, à Montréal, un institut de recherche sur la violence qui fait des recherches empiriques et qui développe et analyse des programmes de réadaptation pour les jeunes.
Il ne faut pas que le seul espoir pour un jeune soit d'arriver à 18 ans et d'aller en prison parce qu'il a participé de près ou de loin—souvent de loin—à un crime. Il peut arriver qu'il ait été une des cinq personnes qui ont perpétré un crime, qu'on ait tenu uniquement compte de la lourdeur du crime, qu'il ait été un complice de loin ou de près, qu'il ait cogné à une porte, qu'il ait attiré l'attention, ne sachant pas trop dans quoi il s'embarquait. Ce jeune n'a pas fini de développer sa personnalité, il y a certains choix qu'il n'a pas encore faits et les valeurs criminelles ne sont pas ancrées en lui. Ne pourrait-on pas le sortir des milieux criminels, le traiter et le retourner dans la société, au lieu de bâtir un criminel adulte et de lui apposer sur le front un collant qui indique qu'à 18 ans, de toute façon, il ira en prison, à l'université du crime? Ne pourrait-on pas éviter de se concentrer uniquement sur le crime et plutôt fonder nos décisions sur les besoins du jeune, sur sa maturité et sur ses possibilités de réadaptation?
Le président: Merci. Poursuivons maintenant nos discussions avec les autres membres du comité.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup de votre présentation.
[Traduction]
Merci infiniment de votre présence.
J'ai quelques questions à vous poser. Pour faire suite à la question posée par mon éminent confrère, je trouve un peu contradictoire, pour vous dire la vérité, que vous affirmiez, d'une part, que ce projet de loi est trop sévère, mais que vous favorisiez, d'autre part, les demandes de déclaration de délinquant dangereux, étant donné que cette désignation, une fois accordée, permet aux autorités de garder une personne en détention indéfiniment, même si en l'occurrence, il s'agirait d'une autre catégorie d'âge, soit les jeunes.
En ce qui concerne la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, nous savons très bien que dans certains pays, tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne, il existe des dispositions législatives qui rendent passibles de poursuite au criminel des enfants aussi jeunes que sept ans; donc, il existe déjà des précédents à cet égard.
Quant à votre affirmation générale selon laquelle ce serait tout à fait inadmissible de traduire un enfant de 14 ans devant un tribunal pour adultes, je pense qu'il ressort globalement de votre exposé et de vos remarques que la dissuasion ou la dénonciation ne devrait pas s'appliquer aux jeunes.
J'aimerais vous raconter l'histoire d'un jeune que j'ai eu l'occasion de connaître dans le cadre d'une affaire dont j'ai été chargé. Ne prenez surtout pas ça pour l'apologie de la peine capitale, mais j'ai connu effectivement une famille qui gardait toujours un cuir à rasoir sur le mur de la cuisine. Ce cuir restait toujours accroché au mur, et on ne s'en servait jamais, mais les enfants qui ont grandi dans cette maison savaient toujours qu'il était là.
Je donne cet exemple simplement pour illustrer qu'il peut être utile, notamment aux jeunes, de savoir que de telles dispositions existent. À mon avis, personne—ni les rédacteurs législatifs, ni aucun intervenant du système de justice pénale—n'envisage de traduire un jeune de 14 ans devant le système de justice pénale pour adultes, étant donné que ce dernier finirait au pénitencier à Kingston. À mon avis, ce n'est pas du tout ce qui est prévu. Ce serait exceptionnellement rare, et je ne crois même pas que cela pourrait se produire, même dans le pire des scénarios.
Donc, êtes-vous d'avis que nous ne devrions aucunement tenir compte de la dissuasion et de la dénonciation dans le cadre du système de justice pénale pour les adolescents?
Me Normand Bastien: Je vous remercie d'avoir précisé la question. Lorsque je vous parlais du modèle du criminel d'habitude, je ne vous recommandais pas de faire en sorte que des jeunes deviennent des criminels d'habitude et soient détenus à perpétuité. Je faisais allusion au mécanisme de renvoi automatique actuel et vous proposais de le remplacer, lorsqu'un jeune est déclaré coupable dans certaines circonstances, par un mécanisme semblable à celui qu'on utilise dans le cas d'une peine pour adultes. Je ne vous recommande pas la détention à vie. Je vous dis tout simplement qu'il existe un mécanisme auquel on peut avoir recours dans le cas d'une requête précise et qui nous permet de décider, après requête, d'assujettir un jeune aux dispositions prévues pour les adultes. Bien que le mécanisme qui existe chez les adultes poursuive un objectif différent, on pourrait utiliser un mécanisme semblable pour assujettir un juvénile à une peine pour adultes. C'est le premier aspect.
Le deuxième aspect est la dissuasion. Vous nous avez donné l'exemple d'un milieu familial où on s'assure, par des moyens dissuasifs qu'on a énoncés, de ne pas tolérer la transgression. Il est évident que si les moyens que vous prenez dans votre famille sont dissuasifs pour vos enfants, ils ne le seront pas pour les enfants de vos voisins. Lorsqu'une sentence est donnée à un juvénile, ce ne sont que ce dernier et les personnes qui l'entouraient au moment où le crime a été commis qui risquent d'être dissuadés par la peine, qui recevront un message de dissuasion. Vous ne réussirez pas à dissuader tous les autres jeunes qui sont dans les rues ou ailleurs lorsque vous prononcerez une sentence, aussi sévère soit-elle. Vous allez affecter les personnes directement impliquées, mais aucune autre personne. D'ailleurs, c'est exactement ce que l'arrêt J.J.M. nous indiquait. On y disait que la dissuasion devait être importante, mais que sa portée se limitait à la cellule qui avait commis un crime X et que la dissuasion n'était malheureusement pas générale. Je pense que la dissuasion est importante, oui, mais encore là...
On doit soulever un autre élément. Je reviens à votre exemple en milieu familial. Ce qui faisait en sorte que votre dissuasion était valable, c'est que vous interveniez immédiatement après la transgression et non pas six mois plus tard. Ainsi, dès qu'il y a transgression d'une règle familiale, on exerce une sanction ajustée le lendemain matin, sinon le soir même. Lorsque vous appliquez toutes les dispositions de cette loi à un juvénile et que vous n'imposez une sanction qu'un an ou deux plus tard, vous perdez tout effet de dissuasion. Il faut prévoir un processus simple et intervenir au bon moment, avec le bon degré. Lorsqu'on se dote de systèmes qui ne nous permettent d'intervenir auprès des adolescents qu'un an ou deux plus tard, on manque notre coup.
[Traduction]
M. Peter MacKay: Pourrais-je y répondre brièvement?
Le président: Oui, brièvement.
M. Peter MacKay: Est-ce que c'est lié à votre crainte générale, en tant que criminaliste en exercice—ou du moins, ce que je perçois comme tel—que cette nouvelle Loi ne fasse que retarder les choses, et que du moment qu'il y a du retard, l'effet potentiel de dissuasion et même l'efficacité du régime sont compromis; autrement dit, êtes-vous d'avis qu'elle empêchera les victimes de participer directement au processus, tout en évitant de communiquer aux jeunes qu'ils seront tenus responsables de leurs actes dans le cadre de notre système judiciaire?
Je suis entièrement d'accord avec vous, même si cela m'attriste, pour dire que la complexité générale de la Loi et l'interconnectivité des différents articles ont fini par créer, malgré de très bonnes intentions, un système qui est impossible à appliquer. À titre d'information, je précise que nous avons reçu devant le comité de nombreux juges qui nous ont dit, comme vous, qu'ils ne comprenaient rien aux dispositions relatives aux transferts qui entraîneraient des audiences—c'est-à-dire, le fait de déterminer si l'infraction est grave et violente. La question du transfert est à présent fort complexe, pour ce qui est de savoir où a lieu le procès et ensuite qui est responsable de la détermination de la peine.
Je me permets donc de répéter la question que vous a posée Mme Venne. Y a-t-il moyen d'améliorer ce projet de loi, ou faut-il repartir de zéro?
[Français]
Me Normand Bastien: Quant au degré de complexité de cette loi-là, je crois que cela va de soi. Aucune personne qui a lu ce projet de loi de A à Z n'a pu m'en expliquer le cheminement. Les rédacteurs législatifs qui l'ont rédigée pourraient peut-être nous aider. Je pourrais vous poser de nombreuses questions et vous pourriez peut-être y répondre. J'éprouve encore beaucoup d'incertitude face à son contenu.
• 1040
On a reproché à la Loi sur les jeunes contrevenants d'être complexe,
et je reconnais qu'elle est très complexe. Vous savez cela aussi bien
que moi. Il y avait des contradictions au niveau des principes et
nous ne savions pas comment les interpréter. Il fallait toujours les
interpréter en même temps et en invoquer certains autres. C'était
très complexe. Il aura fallu 13 ou 14 ans avant que la Cour suprême
vienne finalement nous expliquer, par son arrêt J.J.M., comment nous
devions interpréter ces principes qui s'opposaient en soi. Nous avons
actuellement un excellent guide.
À l'article 3, on énonce des principes d'application générale, mais qui seront défaits par les principes énoncés à l'article 37, qui seront amoindris par certains principes inscrits à l'article 4, et ainsi de suite à l'article 84 ou 85. Un principe d'application générale s'applique, s'il n'est pas contredit par un autre, dans un chapitre particulier. L'interprétation va devenir encore plus complexe. On pourrait réincorporer dans notre loi les principes énoncés à l'article 3 et au moins sauvegarder l'interprétation que l'arrêt J.J.M. avait donnée. On perdrait ainsi moins de temps à ce niveau.
Je suis avocat depuis plusieurs années et j'ai travaillé pendant 23 ou 24 ans dans le domaine des jeunes contrevenants et de la protection de la jeunesse comme praticien. Si j'oubliais les jeunes et ne parlais qu'en tant qu'avocat, je vous dirais que c'est une excellente loi pour les gens de ma profession. Nous irons plaider en cour, à la cour d'appel et à la Cour suprême pour y défendre tous les dossiers que nous voudrons bien défendre. Nous allons faire fortune grâce à cette loi, mais les jeunes n'en sortiront pas gagnants, pas du tout.
Je vous le dis: soyons clairs et soyons simples. Conservons les principes qui ont été interprétées de façon positive.
[Traduction]
Le président: Merci.
[Français]
Monsieur Boisvert.
M. Alain Boisvert: J'aimerais préciser quelques éléments au sujet de la question précédente. Bien que la courroie qui est attachée au mur ait un impact, on sait que chacun des adolescents aura, avant de subir l'impact de la courroie, déjà mangé quelques coups. On a amené les jeunes à être responsables. Le travail que chaque adolescent a à faire, c'est de devenir responsable et d'apprendre lui-même la conséquence de ses actes sur les autres et sur lui-même. Apprendre au jeune à devenir un adulte responsable, c'est l'objectif qu'on poursuit dans un centre de réadaptation. C'est ce qu'on a à faire avec les jeunes, et non pas leur apprendre à éviter des conséquences pénales. C'est là-dessus qu'on travaille avec les jeunes directement sur le plancher, là d'où je viens, directement sur le plancher. C'est pour cela que je vous en parle de cette façon-là.
Le président: Merci, monsieur Boisvert.
Jacques Saada.
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Monsieur Boisvert, madame Le Brun et monsieur Bastien, je vous remercie d'être venus ici et de nous avoir présenté vos points de vue.
J'ai trois questions; vous avez répondu partiellement à une ou deux d'entres elles. Madame Le Brun, dans votre présentation, vous avez dit que le premier objectif étant la sécurité du public, les juges allaient en tenir compte dans leur comportement vis-à-vis des jeunes délinquants.
Je vais poser mes trois questions l'une après l'autre pour vous laisser le temps de structurer vos réponses.
Premièrement, si le projet de loi C-3 rééquilibrait ses objectifs, s'il maintenait l'objectif de sécurité du public, qui est évident pour tout le monde, et mettait sur un pied d'égalité les besoins du jeune et la réadaptation, est-ce que vous pensez que ça suffirait pour que les juges tirent les conclusions nécessaires quant à ce qu'on souhaite faire par ce projet de loi?
Deuxièmement—et je fais ici allusion à ce qu'autant Mme Le Brun que M. Bastien ont dit—, vous avez parlé de conséquences significatives. Vous avez dit que la peine devait être significative. Ce n'est pas le seul élément, mais ça entre dans le cadre de l'ensemble. Dans le préambule, on parle en anglais de meaningful consequences, qui n'est pas traduit exactement comme cela, mais qui signifie cela. On dit que la société se doit de répondre aux besoins des adolescents. On dit qu'il devrait y avoir des prises de mesures multidisciplinaires par le milieu, les parents et ainsi de suite. On ne parle pas de sanctions, mais plutôt de prise de mesures. Et puis, bien sûr, on fait allusion à la Convention internationale des droits de l'enfant et ainsi de suite.
Afin de confirmer ce que j'ai cru comprendre des propos qu'a émis M. Bastien à deux reprises, pour que cela soit très clair—il me faut parfois un peu de temps pour comprendre—, j'aimerais lui demander si en intégrant le préambule à la loi, on donnerait l'heure juste sur ce qu'on tente faire de cette loi-là et ce à quoi elle doit servir?
• 1045
Ma troisième question est plus délicate. J'ai parlé avec beaucoup de
gens en dehors de ce comité. Comme vous le savez, je viens du Québec
et j'ai parlé à des juges, des gens du milieu scolaire—j'ai été actif
dans le milieu scolaire pendant près de 10 ans moi-même—et ainsi de
suite. J'ai parlé avec des gens des commissions scolaires et des
enseignants, qui m'ont dit qu'il y avait certains problèmes.
D'ailleurs, même des juges ont évoqué la chose: il y a des problèmes
certains de disponibilité de la DPJ par rapport aux problèmes qu'on
décèle chez les jeunes et il y a des difficultés à établir un contact
très suivi et très constructif entre, d'une part, les intervenants du
milieu scolaire et, d'autre part, les intervenants du milieu social ou
du bien-être de l'enfance.
J'ai deux sous-questions à vous poser à ce sujet-là. D'abord, est-ce que je pourrais savoir quelles mesures la CEQ—je fais allusion à la CEQ en particulier, mais ça pourrait s'étendre aux autres—a prises pour faciliter la relation et le financement, parce que c'est du domaine provincial, et quelles interventions ont été faites par elle pour signifier aux commissions scolaires son opposition, si opposition il y a, à toutes les pratiques de tolérance zéro.
Mme Hélène Le Brun: Je vais donner des bouts de réponses à certaines de vos questions, et M. Bastien complétera. Je répondrai d'abord à votre première question. Si le projet de loi C-3 rééquilibrait les deux objectifs, est-ce que ça suffirait? Comme l'a dit M. Bastien, il est certain que ce serait une amélioration. Mais à notre avis, tant à la coalition qu'à la CEQ, cela ne suffirait pas, parce qu'il reste deux problèmes très difficiles dans ce projet de loi en rapport avec l'harmonisation des peines au niveau pancanadien, ce qui nous empêche de faire ce qu'on a appelé une approche différenciée.
M. Jacques Saada: Pourquoi subirait-on les conséquences du durcissement des peines au Québec plutôt que de favoriser une approche plus québécoise ailleurs?
Mme Hélène Le Brun: Parce qu'il y a une jurisprudence qui va s'appliquer.
M. Jacques Saada: Oui?
Mme Hélène Le Brun: Mais la jurisprudence s'applique tous azimuts. À notre avis, avec son approche actuelle et sa pratique, le Québec pourrait aller donner de l'information quant à ses programmes de réadaptation qui sont un peu mieux appliqués et un peu plus adaptés, puisque le Québec a une longue tradition de psychoéducation. Selon moi, ce n'est pas une question de société distincte, mais bien une question de pratique, car on a une école de psychoéducation.
Au niveau de la jurisprudence, selon nous, cette loi risque d'amener des jurisprudences pancanadiennes avec des pratiques tellement différentes que si neuf provinces sur 10 se mettent à faire de l'harmonisation des peines, les juristes québécois n'auront d'autre choix que d'appliquer cette proportionnalité qui aura fait jurisprudence. Ils n'auront pas le choix d'harmoniser la proportionnalité d'une peine en fonction de la loi, etc. Par la suite, il sera très difficile d'adopter une approche différenciée pour un premier délit mineur, comme on le disait dans notre mémoire.
Dans nos pratiques, il peut arriver que, dans le cas d'un récidiviste, on doive décider de le mettre tout de suite en centre fermé et de faire tout de suite sa réadaptation en centre fermé, mais ce n'est pas toujours le cas.
De plus, dans tous les programmes de réadaptation, il y a des fluctuations. On avance, on recule, puis il y a des périodes de stagnation. Il faut aussi tenir compte des libérations conditionnelles: M. Bastien pourra en dire un peu plus là-dessus. Comment, par exemple, harmoniser les programmes de réadaptation avec le calendrier des libérations conditionnelles? Dans le cas d'un jeune qui aurait eu des peines pour adultes, ce serait, à mon avis, très compliqué. La jurisprudence et l'harmonisation rendraient cela complexe.
Il est sûr que si les deux objectifs étaient inscrits dans la loi, le risque de désappropriation serait moindre. Je voudrais donner un bout de réponse, puisque vous m'avez interpellée directement.
• 1050
Vous avez parlé d'un point important, que j'allais d'ailleurs
mentionner, et je vais faire l'arrimage avec l'intervention de Mme
Venne concernant l'information du public.
Il est effectivement vrai qu'il y a présentement des problèmes d'arrimage entre la protection de la jeunesse, le milieu scolaire et le milieu des jeunes contrevenants. Tout cela s'arrime difficilement.
Au début des années 1980, quand la Loi sur la protection de la jeunesse a été instaurée et, par la suite, la Loi sur les jeunes contrevenants, j'étais une professionnelle en milieu scolaire. Nous étions, à ce moment-là, une dizaine à faire ce travail sur le territoire de chacune des commissions scolaires. Les conseillers à la DPJ avaient, eux aussi, des quotas de travail assez équilibrés. Il ne se passait pas, monsieur Saada, une seule semaine, ou parfois même pas une seule journée, sans que les intervenants de la DPJ et les intervenants scolaires ne se parlent et sans qu'il y ait des discussions de cas. Pour cela, il faut des ressources humaines et financières suffisantes partout. Quand on les avait, et j'ai vécu cette situation pendant cinq ou six ans, c'était comme cela toutes les semaines.
Du jour au lendemain, le rayon d'action des psychologues est passé de quatre écoles à six ou sept écoles par semaine, et les intervenants de la DPJ ont passé de 15 dossiers à 30 ou même 45 dossiers par semaine. On ne peut plus faire de l'information comme à cette époque. On ne peut plus faire de la concertation de la même manière, non plus. Et cela, c'est un problème d'arrimage dans ce milieu.
À l'automne, la CEQ a instauré une vaste campagne contre la violence dans les écoles. On a associé à cela les divers partenaires des commissions scolaires et des services sociaux—parce que la CEQ représente aussi des intervenants des services sociaux—, et toute cette dimension-là, celle de la protection de la jeunesse et toutes les autres dimensions pertinentes y sont.
J'oserais même dire que l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants a permis, tant dans les réseaux de prévention des services sociaux que dans les écoles, de faire des programmes de prévention et des programmes de responsabilisation des adolescents qui sont conformes à leurs besoins.
Elle est toute récente, cette pratique-là. Elle a à peine 15 ans. Elle est en cours. Il y a des avancées scientifiques qui se basent sur cette pratique-là. Pourquoi faudrait-il qu'une nouvelle loi vienne mettre en péril ces avancées? C'est comme faire un nouveau programme de français dans les écoles: il faut recommencer, alors que l'on pourrait miser sur des fondements sûrs.
[Traduction]
Le président: Je redonne la parole à M. Cadman. Nous commençons à manquer de temps.
M. Chuck Cadman: J'ai une très brève question. Merci, monsieur le président.
Pour ce qui est du meurtre au deuxième degré, par exemple, ou en vertu des dispositions actuelles—et ce serait encore vrai aux termes du projet de loi C-3—la peine prévue est de sept ans, soit quatre ans de garde en milieu fermé, trois ans de garde en milieu ouvert et plus aucune conséquence par la suite pour un jeune contrevenant; pourriez-vous m'expliquer en quoi cela répond aux intérêts des survivants de la victime, s'il n'y a plus de conséquences au bout de sept ans?
[Français]
Me Normand Bastien: Je ne suis pas certain d'avoir exactement compris la question, mais une chose est certaine: à partir du moment où... Je sais que vous parlez des peines spécifiques prévues dans le projet de loi C-3: pour un meurtre au deuxième degré, c'est six ans, quatre ans, trois ans... Est-ce exact?
[Traduction]
M. Chuck Cadman: Oui, et il n'y a plus aucune conséquence pour l'auteur du crime. Est-ce dans l'intérêt des survivants, à votre avis?
[Français]
Me Normand Bastien: Quand on intervient auprès d'un jeune contrevenant et qu'on convient de le garder au niveau des juvéniles, que ce soit dans le système actuel ou dans le futur système, c'est qu'on a décidé qu'il pourra profiter des ressources offertes aux juvéniles. À partir du moment où on fait ce choix-là, on croit que les programmes qui sont disponibles pour cet individu lui permettront d'acquérir certains éléments qui nous permettront de le mettre en liberté surveillée au bout de quatre ans.
Évidemment, la liberté surveillée, ce n'est pas une fin de sentence. C'est très lourd. Une personne qui n'en respecterait pas les conditions et qui donnerait la preuve qu'elle n'a pas totalement acquis tout ce qu'on pensait qu'elle avait acquis serait ramenée dans un centre.
• 1055
Il y a une autre question à laquelle on devrait s'intéresser.
Lorsqu'une personne a obtenu une sentence chez les adultes pour un
meurtre au deuxième degré, si ma mémoire m'est fidèle, elle est
admissible à la libération conditionnelle après sept ans. Encore là,
vous avez la même dynamique: vaut-il mieux que nous concentrions nos
efforts sur un individu en le mettant dans un programme intensif de
quatre ans adapté aux juvéniles, avec un suivi très sérieux pendant
trois ans, ou que nous le mettions dans une institution carcérale
pendant sept ans et le mettions plus tard en liberté conditionnelle,
compte tenu des difficultés quotidiennes que nous posent ensuite les
libérations conditionnelles et de tout ce qu'il aura appris pendant
les sept années passées dans une institution carcérale? Je crois qu'à
partir du moment où on a des ressources adéquates et des programmes
adéquats, il est préférable d'investir dans cet individu-là.
S'il a 17 ou 18 ans au moment du crime, il en aura 35 lorsqu'il sera admissible aux libérations conditionnelles et remis en liberté, même pour un crime aussi crapuleux que le meurtre au deuxième ou au premier degré. Il lui restera 50 ans à vivre et au moins 30 ans de vie active. Je pense qu'on ne peut pas se permettre de manquer notre coup et qu'il faut absolument investir dans des programmes adaptés aux juvéniles.
Ce n'est pas parce que la sentence est de quatre ans plus trois ans qu'on baisse les bras. Toutefois, il faut expliquer aux gens que quatre ans plus trois ans, c'est sérieux. Si on ajoute à cela une libération conditionnelle après le tiers et les deux tiers de la sentence, avec des automatismes, il est clair qu'à partir de ce moment-là, la situation sera encore pire que celle qui prévaut maintenant et que l'on va discréditer cette loi-là.
Des gens sont admissibles aux libérations conditionnelles après le sixième de leur peine pour des crimes de trafic de drogue importants sous prétexte qu'ils n'ont pas usé de violence. Je vous avoue que si l'on ne nuance pas et qu'on crée des automatismes dans des situations aussi importantes, on va se retrouver avec les mêmes inconvénients et avec la même mauvaise réception de la part du public. Alors soyons sérieux et adoptons les bons programmes pour les bonnes personnes. Par contre, appliquons-les et donnons-nous les ressources nécessaires pour les appliquer.
Avant de terminer, je voudrais faire allusion à l'équilibre entre la réhabilitation et la réinsertion tel qu'on le suggère. C'est déjà inclus dans l'actuelle déclaration de principe, parce que la protection de la société comme objectif premier, ce n'est pas nouveau. C'est déjà à l'alinéa 3(1)c) de la Loi sur les jeunes contrevenants. Le problème, c'est qu'on en importe des petits bouts, mais que le paragraphe précédent, qui parlait de responsabilité diminuée, est éliminé. Le paragraphe précédent, qui parlait des besoins des jeunes contrevenants et non pas des besoins des adolescents, est aussi éliminé.
Dans le préambule, là où on vous parle des besoins des adolescents, on vous dit:
-
[...] la société se doit de répondre aux besoins des
adolescents, de les aider dans leur développement et
de leur offrir soutien et conseils jusqu'à l'âge
adulte;
Que fait-on quand ils ont atteint 18 ans? On les laisse tomber? Par ailleurs, dans la loi actuelle, on parle des besoins des jeunes contrevenants. Le jeune contrevenant, c'est la personne qui a été déclarée coupable d'une offense, d'une infraction, et qui a des besoins spéciaux. On s'en occupe tant qu'il est sous notre juridiction.
Dans le projet de loi à l'étude, on a un préambule qui nous dit qu'à l'âge de 18 ans, à l'âge adulte, on ne s'en occupe plus. Au minimum, le préambule devrait être remis, mais personnellement, je préfère les principes tels qu'ils sont.
Évidemment, si vous voulez prendre le préambule et le remettre dans la loi, je vais vous demander de ne pas y mettre le deuxième paragraphe, parce qu'il stipule qu'on doit substituer ce projet de loi à la loi actuelle, ce qui, me semble-t-il, serait un moyen d'atteindre un objectif que je ne partage pas.
Cela étant dit, je suis sûr que certains des paragraphes qui sont là, avec des ajustements quant aux besoins requis à l'âge adulte, amélioreraient ce projet de loi. Ils le rendraient moins mauvais. Mais on resterait quand même avec des objectifs de sanction partout: sanctions, sanctions, sanctions.
On a actuellement une loi qui est fondée. Notre système de justice juvénile nous permet actuellement d'intervenir en fonction des besoins du délinquant. Ce n'est pas d'aujourd'hui; c'est comme ça depuis 1984. Tout notre système d'intervention a été développé en fonction de cela. Quand on reçoit un jeune, on détermine d'abord quels sont ses besoins.
En 1995, le rapport Jasmin ont voulu perfectionner l'intervention pour l'adapter aux besoins et pour permettre la bonne intervention au bon moment. On n'a pas dit que la loi et son application étaient parfaites. On a écrit je ne sais combien de centaines de pages pour suggérer des améliorations à l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants qui permettraient d'intervenir au bon moment et ainsi de suite. Donc, je ne vous dis pas que la situation actuelle est parfaite. Mais là on préconise un système qui fait du délit le point de mire, et, en conséquence, on devra revoir toutes nos approches et nos organisations. Notre système d'intervention devra être revu et redéfini, parce qu'on aura des objectifs différents. C'est pour cela que nous revenons au principe qui veut qu'on accorde la priorité aux besoins. Nous espérons qu'il n'y aura pas trop de contradictions dans la loi.
Le président: Merci.
[Traduction]
Je donne la parole à Mme Venne pour poser une dernière question.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Je sais que vous n'avez pas eu une approche juridique, mais je me rends compte que Me Bastien connaît assez bien les articles du projet de loi. Il pourrait certainement me répondre. À l'article 18, on parle d'un comité de justice pour la jeunesse. Ce comité de justice peut être établi par le lieutenant gouverneur, etc. et les objectifs sont très valables. C'est quand même nouveau et il pourrait, en vertu de l'alinéa 18(2)d):
-
renseigner le public sur les dispositions de la présente loi et
sur le système de justice pénale pour les adolescents;
Pour nous, cet article présente un intérêt. Donc, je me demandais si vous y aviez regardé d'un peu plus près et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. J'ai posé la question aux juges qui sont venus témoigner la semaine passée, dont le juge Jasmin d'ailleurs, et ils n'avaient pas l'air plus enchantés qu'il ne le faut de ce comité de citoyens. J'aimerais avoir votre opinion maintenant.
Me Normand Bastien: Les comités de citoyens sont prévus dans la loi actuelle, mais pas sous cette forme-là. Il n'y en a pas eu beaucoup. Le seul exemple que je connais est celui de la Cour supérieure du Québec, district de Kirkland, qui n'existe plus maintenant, où il y avait un comité de citoyens. Mais les objectifs étaient différents: il s'agissait d'accueillir les gens et de les rassurer.
Le problème des comités de citoyens, mis à part l'objectif d'informer les citoyens de la loi et d'ainsi faire ce que le législateur ou les autorités provinciales ou autres devraient peut-être faire, c'est qu'ils auront des pouvoirs importants. N'importe quel juge pourrait leur demander un rapport pour des mesures extrajudiciaires, pour les sentences, etc. Je vous avoue qu'on risque de créer, avec toutes les fonctions de ces comités, plus de déception que d'encouragement. À partir du moment où un tel comité viendra recommander une solution à un juge et que ce dernier ne la suivra pas, parce que le juge n'est pas tenu de le faire, il pourra arriver que le rapport sur lequel le comité de citoyens a travaillé énormément puisse conduire à des déceptions majeures. Et les avocats n'iront pas plaider devant le comité de citoyens, mais devant le juge. Si on veut que le groupe consultatif ou le comité de citoyens soit un groupe pour publiciser, informer et donner des conseils au législateur ou à l'autorité provinciale pour améliorer un cas, on peut le garder. Je pense que ça pourrait être de la compétence de ce genre de comité. Mais à partir du moment où on lui donne des fonctions quasi judiciaires, personnellement, j'ai de la difficulté à accepter cela.
Vous comprendrez que je vous parle à titre personnel. La coalition n'a pas abordé ce sujet. Je pense qu'il y aurait lieu de laisser aux comités de citoyens des fonctions qu'ils sont aptes à bien remplir. J'ai l'impression que, quand on donne des fonctions judiciaires à un comité de citoyens, on s'en sert pour faciliter la tâche des administrateurs de la justice. C'est de toute beauté: lorsque qu'un comité de citoyens vient dire qu'on devrait donner une chance au jeune contrevenant, je suis mort de rire. Ce n'est pas tout à fait comme cela dans la réalité. On a des décisions à prendre et on doit les prendre. Il ne faut pas commencer à faire des sondages pour savoir si on devrait aller de l'avant ou pas. Cela risque de retarder les décisions et ce n'est pas le moment.
Le président: Merci, monsieur Bastien et madame Venne. Merci également à M. Boisvert et à Mme Le Brun.
[Traduction]
Je vais maintenant demander aux autres témoins de venir s'installer à la table; je remercie également nos témoins pour leur excellent exposé.
Nous allons faire quelques minutes de pause pour nous organiser.