JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 23 février 2000
Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): Comme nous avons le quorum, je déclare la séance ouverte.
Je m'excuse auprès des témoins. Nous avions quelques questions de régie interne à régler avant la réunion, et c'est ce qui explique notre retard. N'empêche que nous sommes impatients de vous entendre.
Je suis prêt à recevoir des motions. On me dit qu'il y en aura au moins une.
M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Il y en aura au moins une, monsieur le président, si vous me donnez la parole.
Monsieur le président, nous avons la chance aujourd'hui d'avoir avec nous des représentants du Manitoba, le sous-ministre de la Justice et le nouveau ministre de la Justice de cette province. Si je ne m'abuse, notre comité a pour principe de ne pas entendre d'élus comme témoins. Cette politique, je crois, a été adoptée en novembre dernier. Je n'étais pas présent à cette occasion.
Cela dit, nous avons avec nous le ministre de la Justice, qui a fait le voyage du Manitoba jusqu'ici. J'aurai probablement besoin du consentement unanime des membres du comité pour faire adopter cette motion, mais je m'attends à l'obtenir. Je sais que mon collègue qui représente ici le Parti réformiste...
Nous savons que les élus sont les porte-parole de la population. On dit toujours que les juges et les employés de l'État n'ont pas de comptes à rendre, mais les élus en ont. Nous avons ici des membres du gouvernement.
Nous savons que l'application de cette loi exigera que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, notamment les ministres de la Justice et les procureurs généraux, travaillent en partenariat.
Je propose, monsieur le président, que nous prenions le temps d'entendre aujourd'hui le ministre de la Justice de la province du Manitoba, qui a fait le voyage jusqu'ici pour nous faire part de ses préoccupations. Je dois dire au départ que je ne partage pas nécessairement toutes ses opinions, mais il m'apparaît important que nous écoutions ce qu'il a à nous dire au nom des gens qu'il représente.
Je propose donc que nous entendions le témoignage du ministre de la Justice.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je suis bien prêt à accueillir votre motion, mais je me dois également de vous rappeler qu'une motion de fond doit être précédée d'un avis de 24 heures. Avez-vous satisfait à cette condition?
M. Peter Mancini: Non, monsieur le président, on n'a pas donné de tel avis. Je crois que la question a fait l'objet de discussions entre mon bureau et les fonctionnaires, mais aucun avis écrit n'a été déposé. Toutefois, avec le consentement unanime du comité, je pense que nous pouvons déroger à la règle de l'avis de 24 heures.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Merci, monsieur le président.
Je respecte... et j'ai été partie à cette décision. Je comprends pourquoi nous n'acceptons pas d'entendre des personnalités élues à notre comité, et je souscris à cette politique.
Je suis prêt à appuyer cette motion à la condition qu'on étende cette invitation à tous les autres procureurs généraux. C'est la seule bonne façon d'agir, parce que c'est la seule qui soit équitable. J'estime que, si nous permettons à l'un d'eux de comparaître, il serait normal que nous donnions à tous les autres la possibilité d'au moins décider s'ils souhaitent venir s'entretenir avec nous.
C'est donc à cette condition que j'appuierai la motion.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Si j'ai bien compris, vous avez été l'auteur de la motion initiale visant à...
M. Chuck Cadman: Non, je n'étais même pas député quand cette décision a été prise à l'origine. Cela remonte à la dernière législature.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Il me semble que nous avons adopté en novembre dernier une motion établissant que notre comité n'entendrait pas de procureurs généraux provinciaux.
M. Chuck Cadman: J'en suis conscient. Je le répète, j'ai été partie à cette décision. Il va sans dire que je respecte cette politique et que j'y suis favorable, mais je serais quand même prêt à appuyer cette motion pourvu que cette condition soit respectée. À ce qu'on m'a dit, et je le conçois fort bien, une fois que la nouvelle loi sera adoptée, ce sont les procureurs généraux qui devront la défendre auprès de leur assemblée législative et de leur population.
Je le répète, je comprends fort bien pourquoi nous ne voulons pas entendre de personnalités politiques ici, mais je serais d'accord pour qu'on déroge à cette règle dans le cas précis de cette mesure législative, pourvu qu'on étende cette ouverture à tous les procureurs généraux provinciaux. Autrement, je n'appuierai pas la motion.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Oh! absolument. Ça irait de soi.
Je vous le dis bien franchement, je vais fonder ma décision sur le fait que nous n'avons pas reçu d'avis de 24 heures tel que requis. Bien entendu, ma décision pourra être renversée par un vote unanime des membres du comité.
Monsieur McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Avant que vous rendiez votre décision, il serait peut-être utile d'entendre l'opinion de tous les membres du comité, monsieur le président.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je ne crois pas avoir à demander l'opinion des membres du comité pour faire appliquer le Règlement.
M. John McKay: Je suppose que le problème, c'est d'établir si la motion est recevable ou non.
Je tenais à manifester mon appui à cette motion, tout en étant conscient qu'en novembre, nous avons effectivement adopté une motion portant que nous n'entendrions pas d'élus, en partie parce que nous ne croyions pas qu'ils sauraient produire des témoignages que nous ne pourrions autrement obtenir de fonctionnaires. Mais à la lumière des témoignages que nous avons entendus ces derniers mois, il est apparu on ne peut plus clairement que notre pays est en réalité formé de 13 principautés, que nous avons là une mesure législative qui appelle automatiquement le partenariat, et qu'il y a des différences notoires d'une province ou d'un territoire à l'autre dans la façon dont on traite des réalités semblables.
Il est également tout à fait manifeste que diverses législatures provinciales ont virtuellement la capacité de saboter littéralement tout ce que le gouvernement fédéral voudrait faire dans ce domaine.
Par conséquent, je crois que nous sommes essentiellement placés dans une situation où nous ne pourrons pas aller bien loin avec cette mesure législative si nous n'obtenons pas un appui substantiel de la part des législatures provinciales. À vrai dire, nous sommes, de ce fait, placés dans une situation qui m'apparaît regrettable, car je crois qu'il y a de plus en plus consensus sur l'orientation à donner à cette réforme législative. Plus j'écoute les témoins, plus j'aime ce projet de loi. Mais il ne s'agit là que de ma propre opinion, à ce moment-ci.
Cela dit, je vois que le comité est dans une position inconfortable. Nous avons ici devant nous un nouveau ministre de la Justice, qui aurait probablement des choses intéressantes à nous communiquer. S'il ne s'agissait que de donner notre consentement unanime pour l'entendre, je n'hésiterais pas à appuyer la motion. Par ailleurs, je partage le point de vue de M. Cadman, qui soutient qu'une fois qu'on aura dérogé à cette règle pour entendre un procureur général, il nous faudra le faire pour tous les autres.
Je crois qu'en définitive, c'est probablement ce que le comité devrait faire, mais si la motion devait simplement prévoir que nous allons permettre à ce ministre de la Justice de témoigner, je l'appuierais quand même.
Pour ma part, donc, je consens à ce que cette motion soit reçue.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur McKay.
Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Monsieur le président, bien honnêtement, je ne peux pas donner mon consentement dans les circonstances, car, de toute façon, je n'appuierais pas cette motion.
Sauf le respect que je dois à M. Mackintosh, je vois mal comment je pourrais appuyer cette proposition. Avant de se présenter ici aujourd'hui, M. Macintosh connaissait très bien la politique de notre comité à cet égard. Or, il a opté pour se présenter quand même.
Dès le début de nos audiences sur ce projet de loi, M. Bellehumeur avait demandé que le ministre de la Justice du Québec puisse comparaître. Si je me souviens bien, c'est à cette occasion que M. Cadman a présenté sa motion réaffirmant la politique de notre comité de ne pas entendre de personnalités élues. Nous sommes placés devant le même genre de situation aujourd'hui. Il ne serait pas juste envers le ministre québécois d'acquiescer à la demande qui nous est faite ici.
Nous avons d'ailleurs pris la même position à l'égard du ministre de la Justice, du procureur général, et du ministre du Solliciteur général et des Services correctionnels de l'Ontario.
Je ne vois donc pas pourquoi nous ferions exception ici. Nous avons prévu entendre un certain nombre de témoins. Ouvrir davantage le processus à cet égard aurait pour conséquence de retarder l'entrée en vigueur de cette mesure législative. Je sais que le ministre de la Justice a d'autres moyens de faire valoir ses points de vue. À ma connaissance, notre propre ministre de la Justice a rencontré ses homologues provinciaux et territoriaux à ce sujet à au moins trois occasions. Cette possibilité leur est offerte et ils en ont profité.
Cette politique de notre comité ne vaut pas seulement pour l'étude de ce projet de loi. Nous avons appliqué le même principe dans le cas de l'étude de la mesure législative relative à la conduite avec facultés affaiblies. Vous vous souviendrez peut-être que le ministre Clément de l'Ontario avait lui aussi fait cette même demande. Il s'était aussi présenté ici et il avait demandé la même chose aux membres du comité, quoique, cette fois-là, aucune motion n'avait été proposée en ce sens.
Qu'allons-nous faire dans ce cas-ci? Comment pouvons-nous... Nous devons opter pour l'égalité de traitement.
J'ai lu le mémoire qu'on nous a remis. Je l'ai trouvé fort intéressant. Je suis sûr que les représentants du ministre qui sont ici présents vont faire un excellent exposé et que, le moment venu, ils répondront correctement à nos questions.
Je le répète, je ne voudrais pas que M. Mackintosh se sente personnellement visé par la position que j'adopte. C'est tout simplement que nous sommes maîtres de notre procédure, et je crois qu'à cet égard, pour toutes les raisons que je vous ai données, nous avons établi qu'il n'était pas indiqué que nous entendions des élus.
Merci.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Maloney.
Afin de permettre à chacun de s'exprimer, je donne la parole à M. Saada.
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Merci, monsieur le président.
[Français]
Mon collègue Maloney a invoqué des arguments qui me paraissent importants. Sur le plan du contenu, je vois mal qu'il y ait une différence de point de vue entre la personne représentant le ministère et le ministre lui-même. Il existe d'autres forums d'expression pour les ministres. Je pense qu'on ne peut pas créer de précédent sur la base d'un fait accompli. On a déjà pris une décision dans le passé dans une situation parallèle, où un projet de loi ou des modifications au Code criminel mettaient en jeu des relations fédérales-provinciales.
Je suis convaincu que la coopération qui doit exister entre le gouvernement fédéral et les provinces ne peut pas être assujettie au fait que nous soyons en position d'être obligés d'accepter une présentation par le ministre lui-même. Je salue et je le remercie de sa présence, mais, malheureusement, je serai obligé de me rallier à mon collègue Maloney pour m'opposer à sa participation.
[Traduction]
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Saada.
Je vais réaffirmer ma décision initiale, à savoir que, puisque nous n'avons pas reçu l'avis de 24 heures...
M. Peter Mancini: J'aimerais faire clarifier...
Le vice-président (M. Ivan Grose): Juste un instant, monsieur Mancini.
Je vais déclarer la motion irrecevable. Bien entendu, ma décision peut être renversée par le comité. N'est-ce pas merveilleux, la démocratie?
Une dernière intervention.
M. Peter Mancini: J'aimerais faire clarifier un point. Je pense que quelqu'un a signalé que le ministre était bien au fait de notre politique—et je sais que mon collègue, M. Maloney, n'a pas voulu blesser qui que ce soit en disant cela. J'aimerais faire consigner au compte rendu que le ministre a écrit au président du comité à ce sujet le 17 février, et qu'il a reçu une réponse, sauf erreur, le 22 février.
Par conséquent, pour ce qui est de dire qu'il n'y a pas eu d'avis de 24 heures, je crois qu'en réalité, le ministre manitobain a donné avis au comité qu'il souhaitait être invité à nous exposer son point de vue. Je voulais simplement apporter cet éclaircissement.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je tiens à rappeler à M. Mancini que le ministre n'est pas habilité à proposer une motion à notre comité.
M. Peter Mancini: Je le sais, et c'est ce que je veux dire. C'est précisément pour cette raison que je m'en suis fait le porte-parole en apportant cet éclaircissement.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je maintiens ma décision. Je déclare la motion irrecevable. À moins que le comité veuille renverser ma décision, nous allons poursuivre nos travaux.
• 1555
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités. Je suis
désolé que vous ayez été forcés d'assister à cette petite
discussion de régie interne. Je présume que la plupart d'entre vous
ont déjà été témoins de ce genre de chose. Ce n'est rien
d'inhabituel. C'est ainsi que fonctionne la démocratie—ou ne
fonctionne pas, parfois.
Quoi qu'il en soit, je vais demander à M. Bruce MacFarlane, sous-ministre et sous-procureur général de la province du Manitoba, de faire sa déclaration préliminaire.
L'hon. Gord Mackintosh (ministre de la Justice et procureur général du Manitoba): Je me demande simplement si le comité ne pourrait pas m'accorder l'autorisation d'aborder très brièvement la question précise de permettre aux procureurs généraux de venir présenter au comité leur point de vue sur ce projet de loi.
Je me demande s'il n'y aurait pas possibilité qu'on m'y autorise. Je serais très bref.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Et qui êtes-vous, monsieur?
M. Gord Mackintosh: Gord Mackintosh, procureur général du Manitoba.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je crois que nous avons déjà réglé cette question, monsieur Mackintosh. Le comité ne vous entendra pas.
Monsieur MacFarlane.
M. Bruce A. MacFarlane (sous-ministre de la Justice et sous-procureur général, province du Manitoba): Merci, monsieur le président.
J'ai une déclaration à faire au nom de la province du Manitoba. Elle me prendra environ dix minutes. Ensuite, je demanderais au comité de me permettre d'inviter deux hauts fonctionnaires à se joindre à moi, le sous-ministre adjoint responsable des services correctionnels au Manitoba et le sous-ministre adjoint responsable des poursuites. Le moment venu, je vais vous les présenter et vous demander la permission de les inviter à se joindre à moi à la table.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je m'excuse de vous interrompre, monsieur MacFarlane.
Monsieur Mackintosh, je ne veux pas que vous preniez place à la table des témoins. Vous n'êtes pas un témoin, et je vous demande d'aller vous asseoir dans la section réservée aux observateurs.
M. Gord Mackintosh: J'aurais un point à soulever.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Maloney.
M. John Maloney: Monsieur le président, je ne vois pas d'objection à ce que d'autres témoins prennent place à la table maintenant. Nous voulons les entendre tous.
Je ne crois pas que vous ayez à demander la permission.
M. MacFarlane a demandé s'il était possible que d'autres personnes se joignent à lui...
Le vice-président (M. Ivan Grose): Cette permission a déjà été accordée.
M. Bruce MacFarlane: Merci.
Je vous présente donc mes collègues: M. Robin Finlayson, sous-procureur général adjoint responsable des poursuites pour la province du Manitoba, et M. Gregory Graceffo, sous-ministre adjoint responsable des services correctionnels pour la province du Manitoba.
Messieurs les membres du comité, monsieur le président, au Canada, le droit pénal relève conjointement du gouvernement fédéral, qui est responsable de la fonction législative, et des procureurs généraux provinciaux, qui sont responsables de l'administration de la justice. La prévention du crime, les poursuites, les services de police et la prestation des programmes correctionnels dans les établissements pour adolescents et dans la collectivité incombent aux provinces.
Ce partenariat unique auquel participe le gouvernement fédéral doit fonctionner dans le respect des champs de compétence provinciale et reconnaître que ce sont les procureurs généraux provinciaux, et non le ministre fédéral de la Justice, qui ont à rendre compte de l'application de la loi dans ce domaine.
C'est donc dire que l'adoption d'une loi fédérale qui impose aux provinces un fardeau financier accru devrait normalement s'accompagner de dispositions prévoyant un partage à parts égales des dépenses supplémentaires encourues.
Or, comme le projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents omet de tenir compte de ces rapports, on devrait y apporter de substantielles modifications pour rétablir l'équilibre qui s'impose dans l'administration du système de justice pénale pour ce groupe.
Le mémoire du gouvernement du Manitoba met en relief certains problèmes ou aspects généraux de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, donne des exemples particulièrement éloquents à l'appui de ces divers aspects, et propose des approches ou modifications susceptibles de remédier aux problèmes relevés. Nous entendons donc non seulement souligner les problèmes, mais également proposer des solutions.
Voici les principaux aspects problématiques que j'aimerais aborder aujourd'hui: premièrement, la confiance de la population dans le système; deuxièmement, la complexité des procédures et du libellé du projet de loi; troisièmement, les conséquences négatives qu'auront, selon nous, certains aspects de la loi pour les victimes d'actes criminels; quatrièmement, le cas des délinquants de moins de 12 ans; et cinquièmement, la gestion des peines sous le régime proposé.
La première question que j'aimerais que nous examinions de près est celle de la confiance de la population dans le système. Plutôt que de restaurer la confiance, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents amènera inévitablement la population à se montrer encore plus critique à l'égard du système de justice pour les adolescents. C'est que ce projet de loi ne propose pas de remèdes aux problèmes qui sont à l'origine des critiques dont fait actuellement l'objet la Loi sur les jeunes contrevenants.
• 1600
Il y a notamment deux importants aspects sur lesquels le
projet de loi contient des dispositions qui ne feront vraiment rien
pour redonner confiance à la population.
Premièrement, le projet de loi prévoit que, dès l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, le délinquant qui purge une peine de détention en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants sera admissible à une mise en liberté surveillée conformément à la nouvelle formule des deux tiers/un tiers décrite dans le projet de loi. Le lieu précis où devra résider, pendant qu'il purgera le reste de sa peine, le délinquant mis en liberté dépendra, bien entendu, des faits particuliers à son cas. Mais il demeure qu'avec la nouvelle loi, la mise en liberté de nombreux adolescents dans tout le Canada sera considérablement devancée.
À elle seule, cette incidence de la nouvelle loi n'aura pas l'heur d'inspirer confiance à la population. Pour de nombreux Canadiens, ce sera leur première occasion de prendre connaissance d'un changement concret attribuable à l'application de la nouvelle loi, et, je vous prie de m'en croire, cette constatation suscitera dans la population de vives inquiétudes.
En raison de cet écueil, nous recommandons que les jeunes contrevenants qui seront déjà sous garde au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi soient tenus de purger leur peine conformément aux dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants plutôt qu'à celles de la nouvelle loi. Autrement dit, ils devraient purger leur peine aux conditions originellement prévues par le tribunal et en conformité avec la loi alors en vigueur.
Le deuxième aspect qui pose problème sur le plan de la confiance de la population concerne les peines de placement sous garde et sous surveillance. Le projet de loi prévoit l'imposition d'une peine maximale de trois ans pour toute infraction pour laquelle un adulte pourrait encourir une peine à perpétuité. Quant aux infractions pour lesquelles un adulte pourrait être passible d'une peine d'une durée moindre qu'à perpétuité, un adolescent pourrait être condamné à une peine d'au plus deux ans de détention. La durée maximale des peines prévues dans ces cas, à savoir trois ans et deux ans respectivement, ne diffère pas de celle que prescrit actuellement la Loi sur les jeunes contrevenants. Il y a par ailleurs un régime spécial pour les adolescents accusés de meurtre, mais je ne veux parler ici que des infractions autres que le meurtre.
La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoit en outre que le dernier tiers d'une peine de placement sous garde et surveillance sera purgé sous surveillance dans la collectivité. Par conséquent—et c'est vraiment ce point que je veux faire ressortir—un adolescent qui serait condamné à une peine de trois ans ne demeurerait sous garde en définitive que pendant deux ans. La peine maximale de placement sous garde qui pourrait être imposée aux termes de la nouvelle loi serait donc en réalité d'une durée moindre qu'aux termes de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Les dispositions que je viens de décrire en ce qui concerne la détermination de la peine risquent de miner la confiance du public dans le système judiciaire parce qu'elles ne protègent pas adéquatement la société contre les jeunes délinquants dangereux et donnent une fausse impression de la durée réelle de la peine à purger sous garde.
La mise en liberté des jeunes contrevenants après qu'ils ont purgé les deux tiers de leur peine est tout à fait arbitraire, puisqu'elle n'est conditionnelle ni à ce que le délinquant ait réalisé des progrès en participant à des programmes de réadaptation ni à ce qu'il présente un risque moindre pour la société. Le Manitoba croit que la mise en liberté anticipée d'un jeune délinquant, si jamais on maintenait cette disposition, devrait dépendre de la conduite du délinquant pendant sa période de placement sous garde, de la stratégie de réduction du risque qu'on aurait appliquée dans son cas, et de la capacité de la collectivité de réintégrer le jeune contrevenant en question et de gérer le risque qu'il présente.
Compte tenu de ces deux préoccupations concernant la confiance de la population, nous faisons les recommandations suivantes: premièrement, que le projet de loi contienne une déclaration de principes qui inclurait bien clairement la dénonciation de tout comportement criminel; deuxièmement, que, dans le cas des infractions pour lesquelles un adulte peut se voir imposer une peine d'emprisonnement à perpétuité, la durée maximale de la peine susceptible d'être infligée à des jeunes contrevenants soit portée à cinq ans moins un jour; troisièmement, que la disposition accordant la libération aux jeunes délinquants une fois qu'ils ont purgé les deux tiers de leur peine soit retirée du projet de loi.
Passons maintenant au deuxième aspect important dont j'aimerais que nous discutions, à savoir la complexité du libellé du projet de loi et des procédures qui y sont prévues. La complexité de ce projet de loi est peut-être la première chose qui frappe quiconque y jette un coup d'oeil. Cette complexité, qui est littéralement navrante, a deux conséquences indésirables: elle rend la loi extrêmement difficile à comprendre et elle risque d'aggraver le problème d'engorgement des tribunaux.
En ce qui a trait à la complexité des procédures, je dirais ceci: L'établissement d'un lien direct entre un comportement donné et ses conséquences est un principe fondamental dans le développement de l'enfant, et un principe dont on devrait tenir compte dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Malheureusement, ce projet de loi prévoit toute une batterie d'avertissements, de mises en garde et de renvois de la part de la police, de mises en garde par le procureur général et de sanctions extrajudiciaires. Les comités de justice pour la jeunesse peuvent être consultés pour obtenir de l'information concernant les mesures à prendre, on peut constituer des groupes consultatifs, et le délinquant a le droit de se faire représenter par un avocat à chaque étape du processus.
• 1605
Le projet de loi permet en tout temps à qui que ce soit de
demander la constitution d'un groupe consultatif aux fins de rendre
toute décision requise aux termes du projet de loi. Le concept des
groupes consultatifs est bien compris dans le système de justice
pour adolescents de nombreuses provinces, mais tel que conçu dans
ce projet de loi, il ne pourra que retarder encore considérablement
le processus. À première vue, ce projet de loi semble même
permettre à une tierce partie qui, sans être impliquée dans les
procédures, viserait un quelconque objectif de demander la
constitution d'un groupe consultatif.
Le projet de loi prévoit en outre que les tribunaux pour adolescents tiendront des audiences préliminaires. Cette disposition aura pour conséquence de compliquer encore davantage les procédures judiciaires en y ajoutant une occasion de litige de plus. La nécessité que les tribunaux pour adolescents tiennent des audiences préliminaires est fortement discutable étant donné les obligations accrues que s'est vu imposer la Couronne, ces dernières années, en matière de divulgation. Compte tenu du fait que la Loi sur les jeunes contrevenants et la Loi sur les jeunes délinquants ont été appliquées pendant des décennies sans qu'on ait senti le besoin de tenir des audiences préliminaires, et vu la tendance qu'on observe depuis un certain temps dans les tribunaux pour adultes de restreindre les types de circonstances où on juge nécessaire de tenir des audiences préliminaires, ce projet de loi semble s'orienter autrement, voire aller à contre-courant.
Les nombreuses «rampes de sortie», comme je vais les appeler ici, du genre de celles que j'ai décrites tout à l'heure, à savoir les groupes consultatifs et les mises en garde, etc. pour toute une variété de processus, de procédures, d'audiences, d'appels et d'examens, sont toutes contre-productives au regard des principes énoncés dans la loi. C'est pourquoi nous avons quelques recommandations à faire à cet égard.
Premièrement, le traitement des causes avec diligence devrait être clairement érigé en principe dans la loi et présider à son application ainsi qu'au fonctionnement du système de justice pénale pour adolescents.
Deuxièmement, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents devrait être modifiée de manière à en retrancher les dispositions prévoyant la tenue d'audiences préliminaires par les tribunaux pour adolescents. Nous ne voyons rien qui puisse justifier la tenue de telles audiences préliminaires. Comme je vais l'expliquer dans un moment, cet ajout serait lourd de conséquences pour les victimes d'actes criminels.
Troisièmement, on devrait retirer du projet de loi les dispositions relatives à la constitution de conseils consultatifs ou, à tout le moins, en restreindre considérablement l'importance et limiter la fréquence à laquelle on peut y recourir.
La deuxième partie du volet de notre déclaration portant sur la complexité porte sur la complexité du libellé. Le projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est rédigé de telle sorte qu'on s'y retrouve difficilement. Partout, les termes employés sont compliqués, les sections sont trop longues, et le projet de loi comporte trop d'articles et de paragraphes. Un des principes fondamentaux de l'écriture limpide consiste à s'efforcer de s'en tenir à des phrases courtes. On n'a pas observé ici ce principe.
À titre d'exemple, messieurs les membres du comité, j'attire votre attention sur l'article 60 du projet de loi. À mon humble avis—et j'oeuvre dans le système judiciaire depuis quelque 25 ans—cet article est virtuellement incompréhensible. Il comporte de si nombreux renvois que c'est à en perdre haleine.
En ce qui touche le libellé, nous recommandons deux choses. Premièrement, qu'on remédie aux difficultés qui résultent des définitions fautives, soit en incluant dans le projet de loi une annexe où seraient énumérées les infractions sans violence, les infractions avec violence et les infractions graves avec violence, soit en définissant ce qu'on entend par «infraction grave avec violence», comme on le fait à l'article 752 du Code criminel.
Deuxièmement, on devrait reprendre le libellé du projet de loi pour le rendre, si possible, deux fois plus court, en en simplifiant la formulation, en s'en tenant à des renvois vraiment importants, et en indiquant entre parenthèses les renvois nécessaires.
J'aimerais passer maintenant à la question de l'intérêt des victimes et des conséquences négatives qu'elles subiraient si ce projet de loi était adopté tel quel. Compte tenu du rôle que jouent et doivent jouer les victimes dans notre système de justice pénale, cet aspect préoccupe vivement le Manitoba, tout comme il devrait préoccuper au plus haut point le Parlement du Canada.
L'une des principales choses dont me parlent régulièrement les victimes d'actes criminels, c'est la nécessité que mieux coordonner le déroulement des procédures judiciaires. Elles constatent que certaines causes pénales traînent dans le système à n'en plus finir. Pour pouvoir reprendre leur vie normale, les victimes souhaiteraient que les procédures judiciaires se déroulent de manière expéditive. Le projet de loi contient de nombreuses dispositions qui auront pour conséquence de retarder considérablement les procédures, ce qui, selon nous, causera énormément d'ennuis aux victimes.
Alors que les principes ne parlent que de courtoisie et de compassion pour les victimes, de nécessité de faire en sorte qu'elles subissent le moins d'inconvénients possible, et de respect pour leur dignité et leur vie privée, différentes dispositions du projet de loi, dans sa forme actuelle, ne reflètent pas ces principes. On énonce des principes qu'on ne met pas en pratique.
Nous assisterons forcément à un accroissement du nombre de reports et d'assignations à comparaître, ainsi qu'à une aggravation du problème d'engorgement des tribunaux. Nous entrevoyons déjà des cas où les victimes devront se déplacer à répétition pour témoigner à des audiences multiples, un processus qui ne pourra que leur être extrêmement pénible.
• 1610
Nous recommandons à cet égard deux ou trois choses.
Premièrement, que la loi permette que les coaccusés soient traduits
ensemble devant un tribunal pour adultes, le cas échéant, car c'est
là un exemple de situation où les victimes devront se présenter à
des occasions multiples.
Deuxièmement, que la loi prévoie que toutes les procédures contre un même accusé relativement à des infractions commises avant et après son dix-huitième anniversaire de naissance se déroulent devant un tribunal pour adultes. Si le délinquant est finalement reconnu coupable des accusations portées contre lui, le tribunal pourra alors décider si c'est une peine pour adultes ou une peine pour adolescents qui doit lui être infligée.
Nous croyons que ces modifications permettraient de réduire au minimum le nombre d'audiences auxquelles les victimes seraient tenues de se présenter.
J'aimerais maintenant...
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je suis désolé de devoir vous interrompre, monsieur MacFarlane. J'ai dû oublier de vous prévenir que nous n'allouons que dix minutes pour les exposés. Cela dit, vous pouvez poursuivre, mais, si possible, veuillez accélérer un peu. Nous aimerions qu'il nous reste du temps pour vous poser des questions.
M. Bruce MacFarlane: Merci, monsieur le président.
En ce cas, je ne vais traiter que sommairement des deux points qu'il me reste à aborder plutôt que de continuer la lecture de mon texte.
Mon prochain point porte sur la question des délinquants de moins de 12 ans. À l'égard de cette catégorie de contrevenants, nous aimerions dire ce qui suit. Premièrement, qu'un comportement délictueux grave chez un adolescent de moins de 12 ans est souvent symptomatique d'un grave malaise auquel on doit s'attaquer, et que, selon nous, le remède doit venir du système de justice pénale—afin de tuer le mal dans l'oeuf, pour ainsi dire. Voilà pour notre première préoccupation.
La deuxième chose qui nous préoccupe à cet égard, c'est que, dans le cas d'infractions très graves, des accusations seront portées publiquement contre les enfants qui ont été mis en cause dans ces actes criminels, mais ceux-ci n'auront pas la possibilité de faire la preuve de leur innocence par la voie du processus normal.
Pour ces deux raisons, nous estimons que, dans des circonstances exceptionnelles, où des actes criminels graves ont été perpétrés, un enfant inculpé devrait être traduit devant un tribunal de justice pénale. Naturellement, avant d'en arriver à une telle décision, le pouvoir judiciaire devrait, sur demande de la défense ou de la poursuite, procéder à un examen minutieux du cas, les critères étant la nature de l'infraction, la maturité du délinquant ainsi que son intérêt à long terme.
Enfin, en ce qui a trait à la gestion des peines, notre position, en résumé, consiste à rappeler que, par tradition, la gestion de la peine relève de la personne la plus près de l'adolescent, le directeur provincial des services correctionnels. Celui-ci est à même de tenir compte de l'évaluation du risque, du comportement du délinquant pendant son incarcération et d'une foule d'autres éléments.
Ce projet de loi propose de retirer cette entière responsabilité aux gens qui sont le plus près du délinquant. Essentiellement, il crée toute une série de mesures réglementaires, de contrôles obligatoires sur le processus, dont la gestion n'en relève pas moins du pouvoir judiciaire. Nous craignons fortement que ceux qui sont les mieux placés pour gérer la peine d'un jeune délinquant de manière à favoriser au maximum ses chances de réadaptation... Le projet de loi propose qu'on arrache carrément cette responsabilité des mains de ceux qui sont les plus près du jeune contrevenant, pour la confier aux tribunaux, au Parlement du Canada, à Ottawa.
Nous recommandons que ce projet de loi soit modifié de manière à en supprimer l'obligation de désigner des lieux comportant divers niveaux de garde, et qu'on s'en tienne à l'imposition de peines de détention, comme c'est le cas dans le système pour adultes.
Deuxièmement, il faudrait modifier le projet de loi de manière à confier la gestion des peines aux directeurs provinciaux plutôt qu'aux juges.
Le Manitoba demande à votre comité parlementaire de proposer les mesures qui s'imposent pour remédier aux graves lacunes que comporte ce projet de loi, lacunes que nous mettons en lumière dans notre mémoire. Nous souhaitons collaborer avec le gouvernement fédéral pour faire en sorte que le nouveau régime de justice pénale pour les adolescents qui ont un comportement délinquant puisse reposer sur une procédure qui soit efficace, rapide, humaine et simple.
Les modifications que nous proposons d'apporter au projet de loi sont nécessaires pour que la population ait davantage confiance dans notre système de justice, pour que les délinquants assument comme il se doit les conséquences de leurs actes, pour que les victimes aient un rôle significatif à jouer dans la résolution des affaires criminelles et pour que la société soit mieux protégée.
C'était là, monsieur le président, le mémoire que j'avais à vous présenter au nom de la province du Manitoba. Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci beaucoup, monsieur MacFarlane. Je vous suis reconnaissant d'avoir été bref. Je suis désolé d'avoir oublié de vous prévenir dès le départ de la limite de temps qui vous était imposée.
Nous nous déplaçons maintenant un peu plus à l'Ouest, car nous avons avec nous, de la Saskatchewan, M. John Whyte, sous-ministre de la Justice et sous-procureur général, et Mme Betty Ann Pottruff, directrice des Politiques, de la planification et de l'évaluation.
Si vous voulez vous partager le temps, libre à vous. Nous vous allouons le même temps qu'à M. MacFarlane.
M. John Whyte (sous-ministre de la Justice et sous-procureur général, province de la Saskatchewan): Merci, monsieur le président.
Au nom du procureur général de la Saskatchewan, je tiens à remercier les membres du comité de nous donner ainsi la possibilité de leur faire part de nos points de vue sur la criminalité juvénile et sur le projet de loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
• 1615
D'abord un mot à propos de la criminalité juvénile. Selon une
maxime bien connue, on juge du degré de civilisation d'une société
à la façon dont elle traite ses membres les plus vulnérables et
ceux qui sont rejetés et méprisés. Le traitement qu'elle réserve à
ses enfants, fussent-ils délinquants et impénitents, indique non
seulement dans quelle mesure elle est policée, mais également dans
quelle mesure elle se soucie de son propre avenir et de la qualité
de vie de l'ensemble de ses citoyens.
C'est pourquoi nous croyons que l'État a le devoir de traiter ses jeunes contrevenants d'une manière constructive et humaine, même si, dans les faits, nous sommes souvent portés à agir tout autrement. Il existe à cet égard de nombreuses théories. Le développement d'un enfant nous préoccupe moins quand nous avons de la peine à concevoir qu'il pourra un jour se réaliser pleinement. C'est par ce même principe que nous avons du mal à entrevoir pour le jeune délinquant un avenir prometteur.
De voir maintenant de jeunes enfants bousculer l'ordre public nous perturbe d'autant plus que, déjà, le cynisme et la violence de notre jeunesse et son sentiment d'aliénation nous effraient—d'ailleurs à juste titre—nous subissons les conséquences dévastatrices de l'instabilité et de la dissolution de nombreuses familles—et nous ne faisons d'ailleurs, à mon avis, que commencer à mesurer l'ampleur des coûts sociaux liés aux blessures psychiques qu'engendrent les conflits familiaux—et nous éprouvons de l'amertume devant l'érosion du bien-être matériel de nombreuses familles et l'incertitude qui caractérise notre propre avenir économique.
Notre grande inquiétude devant la déviance de certains de nos jeunes enfants procède donc d'une profonde anxiété sociale. C'est pourquoi nous nous réjouissons vivement de la tentative de la ministre McLellan d'amener les Canadiens à s'attaquer au problème de la délinquance chez les enfants et de donner au Parlement et aux divers gouvernements de notre pays cette occasion de débattre de la façon de mettre sur pied un système de justice qui réponde mieux à nos besoins sur ce plan.
Nous savons que la délinquance juvénile ne vient pas de nulle part. D'ailleurs, une enquête menée par les services sociaux sur le passé des jeunes qui se trouvaient placés sous garde à Regina en mai 1997 nous a permis de constater que chacun d'eux avait eu un vécu marqué par la négligence, l'instabilité absolue ou de mauvais traitements. Nous savons donc que la délinquance est le résultat d'une carence sur le plan de la satisfaction des besoins sociaux et qu'il nous faut aborder le problème de la délinquance juvénile avec une approche qui tienne compte de cette réalité.
Mais, naturellement, il y a un tout autre aspect qu'il nous faut également prendre en considération dans notre approche de la délinquance juvénile, à savoir le sentiment d'anxiété qu'éprouve bien légitimement la société devant ce phénomène. Il se trouve que nous, de la Saskatchewan, sommes singulièrement bien placés pour témoigner de ce qu'il en est. En effet, alors que, dans le reste du Canada, la criminalité juvénile diminue, en Saskatchewan, elle augmente de manière passablement spectaculaire. Notre taux de criminalité juvénile est actuellement de 53 p. 100 plus élevé que dans le reste du pays.
Le texte de notre déclaration renferme certaines observations à propos de l'origine et des causes de cet état de choses. Naturellement, cette situation découle du dysfonctionnement général de la société, qui est lui-même le résultat de la dislocation radicale qu'ont entraînée nos politiques colonisatrices. Mais plutôt que de m'attarder ici sur cet aspect, je me contenterai d'affirmer qu'il y a en Saskatchewan comme ailleurs une inquiétude bien palpable dans la population à propos de la capacité de notre système de justice pénale pour adolescents d'assurer la sécurité de notre société, de nos biens, de nos personnes et de nos demeures. C'est donc également à cette augmentation de la criminalité et de l'anxiété que nous demandons à notre système de justice pénale de parer.
Quatre principes devraient, à mon avis, nous guider à cet égard. La solution au problème de la criminalité juvénile devra être humaine et constructive. Elle devra pouvoir apaiser les craintes légitimes de la population à propos de sa sécurité. Elle devra être efficiente, en ce sens qu'il faudra que les régimes que nous mettrons sur pied répondent effectivement aux attentes qu'ils auront suscitées. Enfin, ces régimes devront inspirer confiance et être bien compris, car des régimes juridiques qui n'inspirent pas confiance et qui sont mal compris sapent à sa base même la règle de droit.
La proposition fédérale est déficiente au moins dans une certaine mesure sur chacun de ces rapports, mais tout particulièrement, je crois, sur le dernier. Ce qu'on nous propose ne décrit pas un système qui serait efficace, applicable, cohérent, fiable ou bien compris. Le régime proposé créera de la confusion chez les avocats, les juges, les victimes et les délinquants, se révélera pratiquement sinon carrément ingérable, et ne portera pas les gens à faire confiance à notre système de justice.
Permettez-moi d'examiner plus en détail chacun de ces quatre objectifs.
• 1620
Premièrement, la solution proposée pour contrer la criminalité
juvénile est-elle humaine et constructive? Non, elle ne l'est pas,
pour autant que la réaction du système sera exclusivement fonction
du type d'infraction perpétrée—infractions non violentes,
infractions avec violence et infractions graves avec violence—sans
égard aux particularités du délinquant. Par exemple, le vol
d'aliments ou d'argent sera considéré comme une infraction avec
violence, voire une infraction grave avec violence, et, partant,
exclura tout recours à des sanctions extrajudiciaires, alors que,
généralement, le trafic de drogue, le vandalisme à l'école, le
harcèlement criminel, l'incendie criminel ou l'outrage à la pudeur
ne seront pas considérés comme comportant de la violence et ne
pourront pas, indépendamment des conséquences ou du contexte,
entraîner une peine de placement sous garde. De plus, la
perpétration d'infractions multiples, en l'absence de constantes
liant les diverses infractions entre elles—comme l'exige le projet
de loi—ne pourra pas mener à un placement sous garde.
Nous serons donc placés dans une situation problématique où on nous imposera une classification qui, du fait qu'elle ne tient compte que de la violence physique et qu'elle fait abstraction tant de la gravité de l'infraction au regard du contexte social et personnel du délinquant, de ses besoins et de son comportement dysfonctionnel que des circonstances particulières de la victime, rendra le régime ingérable.
Cette classification appellera une rigidité excessive et, surtout, créera des inégalités inadmissibles dans la façon d'administrer la justice. Les objectifs de réadaptation seront compromis par ces inégalités dans l'application de la loi. Une définition plus claire des infractions graves s'impose donc pour faire en sorte que le processus de déclenchement des procédures applicables aux adultes puisse se dérouler correctement. Autrement, il vaudrait mieux abandonner cette classification. La classification proposée engendrera des réactions inappropriées et des inégalités monstrueuses dans l'application de la loi.
Le projet de loi tient-il compte des craintes de la population concernant sa sécurité? Ce qui nous préoccupe avant tout à cet égard—et je fais ici écho à l'exposé de M. MacFarlane—ce n'est pas qu'à propos de dénonciation et de dissuasion, le projet de loi soit vague, mais qu'il soit muet sur ce chapitre. Nous savons fort bien que c'est pourtant là un sujet de préoccupation pour quiconque s'intéresse à la justice pénale pour adolescents, puisque quand les gens parlent de la criminalité juvénile, presque d'emblée ils disent: «Allons donc, ils ne font que rire de nous».
Tout le monde le dit. C'est une croyance très répandue en milieu urbain. Cette croyance est peut-être un mythe, elle peut être fausse, mais elle n'en est pas moins généralisée. C'est le genre de considération qui vous vient spontanément à l'esprit à propos de la justice pour adolescents.
La loi sera-t-elle efficace? Rendra-t-elle nos collectivités plus sûres? À notre avis, le projet de loi n'annonce rien qui vaille à cet égard en raison de son manque de clarté sur la question des objectifs qu'on dit viser dans le processus de détermination de la peine. D'ailleurs, la Loi sur les jeunes contrevenants manque déjà de clarté sur ce chapitre.
Après dix ans, la Cour suprême du Canada est finalement intervenue dans l'affaire La reine c. J.J.M et a rappelé aux Canadiens que la dissuasion est l'un des objectifs que doit poursuivre tout système de justice pénale, même quand il a à juger un jeune délinquant. Elle a même dit «a fortiori»...
Mes excuses pour le latin; ça me rappelle mes études à la faculté de droit.
Oui, a fortiori, car la fonction de dissuasion du système de justice pénale est d'autant plus importante pour contrer la criminalité juvénile que, comme nous le savons tous, les jeunes ont fortement tendance à adopter des comportements de groupe et à commettre des infractions en groupe. Faire complètement abstraction de ce paramètre dans le calcul de la peine est une grave omission.
Il ne s'agit pas ici d'être obsédés par le maintien de l'ordre public. Notre proposition vise simplement à demander qu'on crée un environnement propice à la réadaptation et à la réinsertion sociale des jeunes délinquants, tout en reconnaissant que, dans des cas où il est approprié de le faire, nous ne devrions pas hésiter à bien signifier à tous nos jeunes qu'il y a des limites sociales que nous sommes tous tenus de respecter, que le contrat social que nous souhaiterions voir présider à nos vies exige de la société qu'elle prenne les moyens d'assurer la protection de ses membres.
Je vais me garder de trop insister sur la notion de dissuasion, qui est absente de la loi et qui, selon moi, devrait y être incluse—je ne voudrais pas non plus trop appuyer sur ce point—mais le fait qu'il n'en soit pas question dans la loi rend celle-ci indifférente au nécessaire équilibre social qui doit exister entre les intérêts du délinquant, d'une part, et ceux de la victime et de la société, d'autre part.
Posons-nous de nouveau la question de savoir si le projet de loi tient compte de la nécessité de dissiper les craintes de la population à propos de sa sécurité? Nous estimons que la libération d'office pose problème à cet égard. On fixe déjà la barre très haute en ce qui concerne les conditions qui peuvent donner lieu à un placement sous garde—la nécessité que le sujet soit un délinquant violent ou un récidiviste chronique, qu'il présente des facteurs de risque sérieux pour la collectivité et qu'il ait des besoins considérables.
• 1625
Même dans le cas des délinquants qui répondent à ces critères,
la mise en liberté est automatique à moins que le directeur des
services correctionnels pour adolescents puisse convaincre un
tribunal pour adolescents que le délinquant commettra probablement
une infraction grave avec violence, et c'est précisément ce qui
pose problème: nous ne savons pas ce qu'il faut entendre par
infraction grave avec violence.
Le Code criminel parle, par exemple, d'agression sexuelle avec lésions corporelles. L'agression peut être passablement grave, mais on utilise l'expression «lésions corporelles». Dans le projet de loi, on emploie l'expression «infraction grave avec violence». On semble vouloir monter la barre d'un cran. Peut-être qu'il n'est pas suffisant d'avoir commis un acte d'agression sexuelle avec lésions corporelles. Peut-être faut-il maintenant qu'il s'agisse d'une agression sexuelle avec mutilation. Nous ne savons pas ce que cette expression englobe. Chose certaine, elle ne semble pas s'appliquer à des délits du genre poursuite en automobile à grande vitesse ou encore, introduction par effraction en série, par exemple, pour financer ses besoins irrépressibles de consommation de drogue.
Quoi qu'il en soit, pour pouvoir priver un délinquant de son droit à la libération d'office, le directeur provincial devra démontrer de manière extrêmement convaincante la probabilité que le délinquant commette une infraction grave avec violence.
Nous voulons parler ici, soit dit en passant, de jeunes qui risquent fort de récidiver, et pourtant, nous ne pouvons nous prémunir contre ce risque en raison des dispositions de l'alinéa 97(3)a).
Qui plus est, ces dispositions font que, même si tout indique que le jeune contrevenant a repoussé du revers de la main toute proposition qu'on lui a faite d'évaluer ses besoins ou toute invitation à participer à des programmes qui puissent lui permettre de régler ses problèmes de dysfonctionnement, ou encore s'il a refusé d'essayer d'atteindre quelque objectif de son plan de réadaptation, le directeur provincial des services correctionnels ne peut pas, sur la base de ces faits, recommander qu'on retarde sa mise en liberté. Il en résulte que le jeune contrevenant n'a rien qui l'incite à améliorer sa capacité de vivre en société ou à écourter la durée de sa période de placement sous garde.
Le 8 février dernier, l'Institut Philippe Pinel de Montréal a fait valoir cet argument dans son mémoire avec beaucoup plus de vigueur que je ne le fais moi-même. Je vous exhorte à revoir ce mémoire, dans lequel, je le répète, ce point a été soulevé on ne peut plus éloquemment. L'alinéa 97(3)a) est une erreur. Le projet de loi ne saurait amener la population à se sentir mieux protégée, car, dans sa forme actuelle, il ne tient pas compte du risque réel que peut présenter le délinquant.
Troisièmement, cette loi permettra-t-elle d'atteindre les objectifs qu'elle dit viser? Est-elle complexe? Oui. Crée-t-elle de la confusion? Oui. Est-elle applicable et compréhensible? Non. Sera-t-il possible de l'administrer? Je serais tenté de dire «j'en doute», mais je suis très sensible à l'affirmation que d'aucuns font parfois—et il semble bien que le juge Heino Lille l'ait faite hier—selon laquelle les provinces seraient en mesure de torpiller la loi fédérale.
Nous ne le ferons pas. Nous sommes tout à fait respectueux des lois. Si le Parlement adopte une loi, nous allons l'administrer on ne peut plus scrupuleusement. Nous avons incité les citoyens à obéir à la loi fédérale sur l'enregistrement des armes à feu et nous allons continuer de le faire. Vous n'avez jamais entendu la Saskatchewan soutenir que cette loi était discrétionnaire. Nous soutenons que c'est une loi inconstitutionnelle, mais...
Des voix: Oh!
M. John Whyte: Je ne voudrais pas trop insister sur l'impossibilité d'administrer cette loi, car, ce faisant, je pourrais avoir l'air de confirmer le bien-fondé de la crainte qu'a exprimée le juge Lille, alors que ce n'est pas du tout notre intention de contrecarrer cette loi. Nous tenons à appliquer toutes les mesures législatives que nous sommes tenus d'appliquer, de le faire de bonne foi et efficacement.
Mais abordons brièvement la question de la détermination de la peine. Le problème avec ce système, c'est qu'il est fondé sur le système fédéral de détermination de la peine qui, comme vous le savez, touche les détenus qui doivent purger une peine de plus de deux ans.
Dans nos provinces, 63,5 p. 100 des jeunes contrevenants qui sont condamnés à la détention écopent des peines d'une durée inférieure à trois mois, et 20 p. 100 encourent une peine d'environ un mois. Le gouvernement fédéral a un système national—et non 13 systèmes provinciaux—qui dispose d'un réseau national d'information. Il administre son système non pas par l'intermédiaire de tribunaux, mais par l'intermédiaire d'un ministre, ce qui est bien différent.
Notre système, soit dit en passant, traite les cas de 9 000 délinquants par année, dont 6 000 se voient infliger une peine. Le système fédéral, lui, accueille 3 000 délinquants par année. Or, dans notre système déjà extrêmement complexe, le volume augmente, nous avons de moins en moins de temps pour traiter les cas, et la procédure nous amène à être tributaires des tribunaux, donc à devoir composer avec leurs problèmes d'engorgement. Par exemple, à La Loche, les prochaines dates d'audience disponibles sont en décembre 2000.
• 1630
Les problèmes de retard dans la disponibilité des avocats
susceptibles de représenter les clients, les énormes problèmes que
pose la consignation des données, problèmes que ma province
n'arrive pas à surmonter—nous n'avons même pas de moyen de
canaliser les données à l'échelle provinciale—et...
Vous me faites signe de conclure.
Permettez-moi de vous raconter une anecdote. À une certaine époque de ma vie, j'étais directeur général en titre du centre de droit correctionnel de l'université QueenÂs. J'occupais un poste d'office, mais il y avait en réalité quelqu'un d'autre qui faisait fonctionner le centre.
Cet organisme, ce service, était extrêmement occupé, constamment, et le gros de son travail consistait à calculer des peines fédérales. Ces calculs étaient si complexes qu'on ne pouvait confier à un étudiant le traitement d'un seul cas sans qu'il ait besoin de supervision. La faculté a d'ailleurs finalement dû organiser, non sans frais, des séances de travaux pratiques en calcul de peines.
Le calcul des peines est le régime législatif le plus complexe qui soit au Canada—mais je crains fort que ceux qui s'y connaissent en matière fiscale ne s'empressent de me contredire.
Des voix: Oh!
M. John Whyte: Il serait impraticable qu'on nous impose ce système pour le traitement du cas des 6 000 jeunes contrevenants que nous prenons en charge chaque année dans notre province. Nous ne parviendrions pas à administrer le système de manière cohérente. Nous n'arriverions pas à le faire en toute justice. Je soutiens avec la dernière énergie que votre comité se doit absolument de faire un examen critique de la praticabilité de notre système de détermination de la peine et d'interpeller le ministère fédéral de la Justice à cet égard.
Enfin, nous savons que cette réforme législative ne résoudra pas le problème de la criminalité juvénile. En réalité, il est étonnant de constater que les réformes législatives sont aptes à ne régler que peu de choses dans la vie. Ce qui permet d'apporter remède aux problèmes, je crois, c'est l'établissement d'objectifs et d'engagements communs. Je répète ce que je vous ai dit plus tôt à cet égard, à savoir que nous avons en commun la responsabilité de faire appliquer la loi du Canada, quelle qu'elle soit.
Nous espérons que, pourvu que certaines modifications soient apportées à ce projet de loi, nous aurons une loi qui fonctionnera bien et dont nous pourrons avoir le sentiment de respecter l'esprit dans notre façon de l'administrer. Nous nous engageons résolument à l'appliquer, et nous sommes confiants de pouvoir déployer tous les efforts voulus pour atteindre les objectifs que le Parlement a le plus à coeur de poursuivre dans la lutte contre ce problème social auquel nous devons nous attaquer de toute urgence.
Merci.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Whyte.
Si les témoins se demandent pourquoi tous les membres du comité se sont mis à saliver, c'est que la sonnerie d'appel se fait entendre et que nous sommes tous terriblement anxieux d'aller voter.
Il nous reste suffisamment de temps pour donner à M. Cadman un petit cinq minutes, et ensuite, vous allez devoir nous excuser, mais nous vous reviendrons. Pendant notre absence, vous aurez tout le loisir de parler de nous.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier tous de votre présence parmi nous et de vos excellents exposés.
J'aimerais simplement avoir votre point de vue et entendre vos commentaires à propos des dispositions portant sur les infractions désignées. Quelle est votre position concernant le choix des quatre infractions désignées, et de la cinquième catégorie?
N'importe lequel d'entre vous.
M. John Whyte: Nous approuvons l'établissement de ces cinq catégories d'infractions qui pourraient justifier l'application d'une peine pour adultes. Elles répondent à notre souhait de protéger la société.
M. Rob A. Finlayson (sous-procureur général adjoint, Division des procureurs de la Couronne, ministère de la Justice, province du Manitoba): Je crois que le gouvernement du Manitoba est lui aussi d'avis que les infractions les plus graves sont correctement visées dans la disposition sur les infractions désignées. Nous avons toutefois des réserves à propos de la définition d'infraction grave avec violence et nous croyons qu'il y aurait lieu de dresser une liste des infractions et d'en faire l'objet d'une annexe, ou encore d'adopter une formulation qui concorde avec l'article 752 du Code criminel.
M. Chuck Cadman: Je vois.
Une autre question à vous tous. Croyez-vous que la disposition prévoyant le transfèrement après jugement aura un impact sur le fonctionnement actuel de vos systèmes correctionnels et, le cas échéant, de quelle nature sera cet impact? Quelle incidence aura le fait que ce transfèrement se fera à la fin plutôt qu'au début du procès?
M. John Whyte: Je crois qu'il est heureux qu'on puisse prendre ce genre de décision après la tenue d'un procès en bonne et due forme et une fois qu'on a pris connaissance de tous les éléments du dossier.
M. Rob Finlayson: Je pense que nous pourrions souscrire à ce principe, même si, sauf erreur, notre position était de donner au tribunal le pouvoir d'ordonner l'audition d'une demande de transfèrement à la fin d'une audience.
• 1635
C'est tout simplement qu'il pourrait arriver que l'audition de
la cause soit reportée pour une raison quelconque, par exemple un
litige entre les parties, ou survenir des circonstances où, en fin
de compte, le tribunal pourrait juger indiqué en l'occurrence
d'ordonner le transfèrement.
Nous sommes donc d'avis que, oui, il est préférable d'attendre à la fin du procès, quoique, d'un autre côté, il devrait être possible d'ordonner le transfèrement même si le procureur de la Couronne n'a pas signifié dès le début son intention de demander l'application d'une peine pour adultes.
M. Chuck Cadman: Très bien.
Ma dernière question a trait au rôle des parents. Les juges qui ont comparu hier ont formulé des observations à propos de la participation des parents au processus, au tribunal. Croyez-vous que le fait que cette mesure législative accorde aux parents la possibilité de jouer un rôle plus actif dans ce processus aura une incidence négative ou positive, ou aucune incidence?
M. John Whyte: Si j'ai bonne mémoire, certaines dispositions du projet de loi permettent au tribunal d'ordonner aux parents de participer. Il y a également une disposition qui prévoit faire assumer par les parents une partie des frais judiciaires. Nous sommes favorables à l'adoption de ces deux mesures. Je crois que le principe sur lequel repose l'objectif de restaurer la confiance de la collectivité qui a été traumatisée par la perpétration d'un crime commence par le rétablissement de relations positives, espérons-le, entre l'adolescent et sa famille, puis avec la collectivité à laquelle nous tentons de redonner confiance.
Nous sommes toujours un peu réticents à l'idée d'obliger carrément les parents à assumer une certaine part de responsabilité, car certaines études montrent que cette obligation nuit parfois aux chances de réconciliation du délinquant avec sa famille. Mais, à mon avis, cette disposition du projet de loi est formulée avec suffisamment de sensibilité pour qu'elle se révèle utile.
M. Bruce MacFarlane: Une de mes craintes, c'est qu'il se trouve qu'en vertu de l'ancienne loi, qui était plus simple, les parents étaient déjà appelés à jouer un rôle très actif dans le processus. Ils devaient être présents, suivre le déroulement des procédures, etc. Or, dans un système aussi fortement réglementé que celui qu'on nous propose actuellement, où les rampes de sortie sont si nombreuses et où l'accent est mis sur la procédure, il se pourrait, croyons-nous, que les parents soient davantage laissés à l'écart et ne soient pas appelés à participer ou à s'impliquer autant qu'auparavant, et ce, principalement à cause du labyrinthe extrêmement compliqué qu'on a créé ici.
Donc, bien que nous n'ayons pas de boule de cristal pour prédire l'avenir, ce que nous craignons, c'est que les parents ne se sentent moins impliqués qu'ils le souhaiteraient, malgré leurs efforts.
M. Chuck Cadman: Ça va.
Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Cadman. Vous avez deux minutes en banque.
Monsieur MacKay, nous avons juste assez de temps pour une de vos longues questions «brèves».
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Il me faudra donc céder mon tour à M. Mancini.
M. Peter Mancini: Et j'aurai le temps de poser quatre de mes courtes questions brèves.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Vous allez manquer de temps.
M. Peter Mancini: D'accord.
En ce qui concerne les ressources financières qui seront allouées aux provinces pour administrer la loi, dites-moi, pour le bénéfice du compte rendu, si j'ai tort de croire, d'après ce que j'entends ici aujourd'hui, que les provinces auront énormément de difficulté à administrer la loi, compte tenu de son extrême complexité et du niveau actuel de financement que leur accorde le gouvernement fédéral.
M. John Whyte: Je crois que nous devrions attendre après que vous aurez voté pour répondre à cette question.
Des voix: Oh!
M. John Whyte: Nous en aurons long à dire.
M. Peter Mancini: Très bien. Je tenterai de nouveau ma chance plus tard.
Il y a deux choses qui m'intriguent un peu.
Ma question s'adresse au sous-ministre du Manitoba. Quand vous parlez de jeunes de moins de 12 ans qui sont accusés d'avoir commis un crime et à qui on ne permet pas de répondre de leurs actes, et de gens qui les pensent automatiquement coupables parce que rien n'est prévu pour les traduire devant un tribunal, selon moi, c'est la présomption d'innocence qui est mise en cause. Si j'ai bien compris, ce que vous dites en réalité, c'est que la présomption d'innocence ne veut plus rien dire, qu'il suffit qu'une accusation soit portée pour que la personne visée soit considérée comme coupable.
Certes, la solution n'est pas de traduire l'adolescent devant un tribunal, mais bien de sensibiliser les gens sur ce que veut vraiment dire la présomption d'innocence, n'est-ce pas?
M. Bruce MacFarlane: Il serait drôlement utile, à mon avis, de sensibiliser les gens à cette question, mais la présomption d'innocence existe dans notre système judiciaire depuis trois ou quatre siècles. Je pense en particulier au cas terriblement tragique de ces deux jeunes qui ont assassiné un bambin en Angleterre. L'affaire a créé tout un émoi non seulement dans cette localité et dans toute l'Angleterre, mais dans le monde entier.
• 1640
Si l'on n'avait pas eu, pour le bien de la société mais aussi
pour la protection des droits individuels, la possibilité de tenir
un procès ordonné, contrôlé et minutieusement adapté aux
circonstances, ces deux enfants se seraient retrouvés dans une
sorte de monde irréel, où personne n'aurait jamais su s'ils étaient
responsables ou non de ce crime particulièrement haineux.
Ce que nous proposons ici ne vise qu'une catégorie très restreinte d'actes criminels; il ne s'agit pas d'amener tous les délinquants de moins de 12 ans à être pris en charge par le système judiciaire.
M. Peter Mancini: Mais cette proposition a pour objet de soumettre au système judiciaire les jeunes qui sont coupables—et sa formulation aurait pu être plus explicite à cet égard—et non de faire en sorte que ceux qui ne sont pas coupables soient injustement stigmatisés.
M. Bruce MacFarlane: Peut-être que je ne me suis pas exprimé aussi clairement que j'aurais dû le faire. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a une certaine catégorie d'infractions qui devraient tomber sous le régime du système de justice pénale à cause de leur extrême gravité et du fait que le jeune avait un certain degré de maturité lorsqu'il a commis l'infraction. Il devrait y avoir une évaluation pour déterminer si l'individu peut être inculpé ou non.
M. Peter Mancini: Je vois.
Ce sera ma dernière question brève.
Certains témoins que le comité a entendus on soutenu qu'en permettant que des enfants de moins de 12 ans soient traduits devant une instance du système de justice pénale, nous irions à l'encontre des obligations du Canada en tant que signataire de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et qu'en autorisant les déclarations d'enfants et leur admissibilité en preuve dans un procès, le projet de loi affaiblirait ces droits et, partant, contreviendrait à l'engagement du Canada de se conformer aux règles du droit international.
Avez-vous une opinion sur ce sujet?
M. Bruce MacFarlane: Peut-être devrions-nous attendre après la tenue du vote pour répondre à cette question.
M. Peter Mancini: Bien sûr.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci.
Nous vous reviendrons dès que possible. Nous serons alors un peu plus en forme que nous ne le sommes maintenant, car nous avons une longue marche à faire.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Nous reprenons nos travaux.
Monsieur Saada, vous êtes le prochain. Êtes-vous prêt? Vous n'avez pas oublié vos questions?
M. Jacques Saada: Oh non! Je n'ai pas oublié mes questions. J'en ai même un bon nombre. Vous allez prendre soin de m'arrêter, j'en suis sûr, quand mon temps sera écoulé.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je ferai de mon mieux pour vous arrêter. J'ai habituellement beaucoup de mal à y parvenir.
À propos, j'ai commencé par M. Saada puisque vous n'étiez pas présent. Je vais vous donner la parole immédiatement après lui.
M. Peter Mancini: Je suis impatient d'avoir mes réponses.
M. Jacques Saada: Ma première question s'adresse à M. MacFarlane.
Merci pour votre exposé. Je l'ai écouté très attentivement. Je vous ai entendu parler de peines, de procès, de victimes, d'engorgement des tribunaux et de gestion des peines. Comment expliquer que vous n'ayez employé le mot «réadaptation» qu'une seule fois?
M. Bruce MacFarlane: Nous estimons qu'à bien des égards, en particulier en ce qui concerne la réadaptation, le projet de loi est acceptable, voire excellent. Notre déclaration portait principalement sur les points qui, à notre avis, devraient être profondément modifiés.
• 1715
Sans pour autant nier ou minimiser l'importance de la
réadaptation, nous voulions attirer votre attention sur les points
précis à propos desquels nous avions des réserves.
M. Greg Graceffo (sous-ministre adjoint, Division des services correctionnels, ministère de la Justice, province du Manitoba): Si vous me permettez d'intervenir, il faut, à mon avis, prendre également en considération le fait que les grands thèmes que nous avons voulu faire ressortir ont une incidence sur la réadaptation.
Songez, par exemple, à l'impact d'un retard dans la gestion d'un cas—autrement dit, de la mise en accusation à la condamnation, et de la condamnation à la remise en liberté—: tout le temps qui s'écoule avant la tenue du procès est du temps où on ne fait aucun travail de réadaptation. Le jeune délinquant ne suit encore aucun programme, car il est présumé innocent. Plus cette période se prolonge, moins il reste de temps au bout du compte, notamment pour faire du travail utile de réadaptation et de réinsertion sociale.
On peut même soutenir, je crois, que des mesures comme la libération d'office peuvent avoir une incidence nuisible sur la réadaptation. Par exemple, si l'on tient compte du fait qu'au Manitoba, le jeune délinquant ne passe en moyenne que 90 jours en détention, il ne vous reste que 60 jours pour le soumettre à un programme de réadaptation axé sur la prise en compte des facteurs qui sont à l'origine de ses démêlés avec la justice. Le problème, c'est que si l'adolescent sait que dans 30 jours il aura droit à une remise en liberté indépendamment des efforts qu'il aura faits pour corriger son comportement à risque, il ne fera rien pour se réadapter.
Selon nous, les thèmes que nous avons abordés comportent des aspects qui poseront problème à ceux qui seront chargés d'administrer les services correctionnels ou les tribunaux pour adolescents. En insistant sur ces points, nous ne voulions pas exclure les questions de réadaptation, mais bien faire ressortir le lien qui existe entre ces thèmes et les questions de réadaptation.
M. Jacques Saada: Merci.
Vous avez parlé du temps qui s'écoule, ou plutôt qu'on perd, avant le prononcé de la sentence. Quand vous avez commencé à aborder ce sujet, j'étais à l'aise avec vos arguments, jusqu'à ce que j'aie l'impression—et je suis sûr que c'est parce que je vous ai mal compris—que vous considériez que les mesures extrajudiciaires retardent le placement sous garde.
M. Greg Graceffo: Non.
M. Jacques Saada: Vous ai-je mal compris?
M. Greg Graceffo: Oui. L'an dernier, le Manitoba a appliqué près de 2 300 mesures extrajudiciaires qui ont eu pour effet de soustraire des jeunes à la détention. Nous croyons fermement que les jeunes qui commettent des infractions mineures devraient être traités ailleurs que dans le système judiciaire, et les mesures extrajudiciaires sont de bons moyens de le faire.
Ce qui pose problème, à notre avis, c'est davantage le fait que, si l'on recourt à des groupes consultatifs aux autres fins mentionnées dans le projet de loi—intervention à l'étape de l'audience préliminaire, recommandations sur certaines questions—, on risque de retarder les procédures dans les cas où le tribunal aurait à juger d'une infraction grave. Mais quant aux mesures extrajudiciaires proposées, c'est un volet du projet de loi auquel nous souscrivons.
M. Jacques Saada: Très bien.
J'aurais une question à propos de ce que vous dites à la page 12 de votre mémoire. Je n'ai pas eu le temps de le lire en entier, et je m'en excuse, mais j'y ai jeté un coup d'oeil. Je vous adresse cette question, mais je vais en même temps m'attarder au principe qui lui est sous-jacent.
À la page 12, en parlant de la publication des noms des jeunes contrevenants, vous dites:
-
Cette disposition devrait englober aussi les cas où l'adolescent
n'a pas encore été trouvé coupable, mais a été libéré sous caution.
Ma première réaction, c'est que je me prends à songer à des scènes de livres ou de films où l'on voit le public assister aux exécutions pour voir comment elles se déroulent. Vous devez sûrement avoir des motifs autres que ceux-là pour proposer ce genre d'élargissement des règles.
Pourriez-vous m'expliquer comment vous allez mieux protéger la population en permettant non seulement que les noms soient publiés, mais qu'ils le soient avant même la déclaration de culpabilité? Comment le fait d'exposer la famille du jeune délinquant à l'ostracisation ou à l'exclusion contribuera-t-il à mieux protéger la population?
M. Rob Finlayson: Je crois, monsieur, que ce que nous cherchons à faire ici, c'est trouver le juste milieu—c'est-à-dire faire en sorte qu'en matière de publication, l'intérêt d'une partie ne prime pas celui de l'autre. Or, s'il est dans l'intérêt public de publier les noms, et si l'intérêt public l'emporte sur celui de l'individu, qu'on fasse savoir au public que cette publication sera permise.
M. Jacques Saada: Qu'entendez-vous par «intérêt public»?
M. Rob Finlayson: Par intérêt public, j'entends la sécurité du public. Les règles de publication doivent être conçues de manière à sauvegarder l'intérêt public, c'est-à-dire dans le but de permettre à la population de se sentir en sécurité, et non de protéger la vie privée des individus. À notre avis, c'est le juste milieu qu'il faut viser.
Selon nous, la décision de publier ou non les noms pourrait relever des tribunaux. À la lumière des éléments d'une situation donnée, les tribunaux pourraient juger si la nécessité de protéger la société l'emporte sur les droits de l'individu.
M. Bruce MacFarlane: J'aimerais, si vous me le permettez, ajouter une observation à ce que vous venez de dire, monsieur.
Nous convenons que la règle générale devrait être d'interdire la publication, pour une foule de raisons. Vous en avez mentionné quelques-unes, à savoir la présomption d'innocence, le tort causé à la famille, etc. Mais il se trouve que, parfois, ces valeurs, ces principes, ces besoins sont contrebalancés par d'autres.
Nous estimons, comme nous l'avons laissé entendre, que l'équilibre est rompu quand la sécurité du public est menacée. Ce dont il faut convaincre le tribunal, c'est que la sécurité du public l'emporte alors sur les mérites de la non-publication.
M. Jacques Saada: Monsieur Whyte ou madame Pottruff, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus. Nous nous entendons tous pour dire qu'il existe une différence fondamentale entre la publication de noms, l'affichage public de noms et la communication de renseignements sur l'identité de personnes à des fins professionnelles.
Mme Betty Ann Pottruff (directrice, Politiques, planifications et évaluation, ministère de la Justice, province de la Saskatchewan): En règle générale, nous sommes favorables aux modifications que vise à apporter ce projet de loi, notamment pour clarifier ce qu'on entend par publication.
Les représentants de la Saskatchewan, de même que notre ministre, ont laissé entendre il y a quelques moments qu'en réalité, il y aurait peut-être lieu de se demander si l'on ne devrait pas, après que l'adolescent a été reconnu coupable, adopter un système, comme nous en avons un pour les adultes, nous permettant, dans de très rares cas, de publier les noms d'individus extrêmement dangereux.
Pour l'essentiel, nous sommes toutefois satisfaits des règles de publication énoncées dans ce projet de loi.
M. John Whyte: Pour reprendre le point soulevé par M. Mancini à propos des normes internationales sur les droits de la personne, ces normes doivent nous servir de balises sur la question de la publication des noms, tout comme sur celle de l'âge, bien que nous soyons convaincus qu'un pays devrait pouvoir définir lui-même le régime de sécurité publique dont il a besoin. Nous sommes en réalité très conscients de la responsabilité que nous avons de nous conformer à ces normes. C'est un facteur dont nous devons tenir compte, un facteur qui limite en quelque sorte notre marge de manoeuvre comme pays.
J'aimerais, si vous me le permettez, formuler aussi un commentaire à propos du point que vous avez soulevé concernant les mesures extrajudiciaires. Je ne voudrais pas paraître trop sur la défensive, mais nous avons parfois l'impression, en examinant ce projet de loi, que le gouvernement fédéral nous perçoit comme des gens qui n'ont pas fait d'efforts pour évoluer sur ce chapitre. En réalité, nous avons adopté des mesures de rechange très progressistes pour soustraire les jeunes délinquants au système judiciaire.
Là où nous avions les fonds requis, nous avons mis en place un système de tri des accusations qui nous permet d'éviter qu'on inflige des mesures correctionnelles dans des cas où l'application de mesures de rechange serait plus utile. Notre province est déterminée à adopter des solutions constructives pour contrer la criminalité en rétablissant la paix dans les collectivités qui ont été victimes du crime.
Nous avons quelques objections de forme concernant le libellé de l'article 4, qui se superpose aux lignes directrices du procureur général de notre province sur les mesures extrajudiciaires. Je pense et je crois savoir, du moins comme porte-parole du gouvernement de la Saskatchewan, que les mesures extrajudiciaires, les politiques et les solutions de rechange à l'incarcération que nous avons mises en place sont avant-gardistes et responsables et que nous n'avons pas besoin qu'on les redéfinisse pour nous dans ce projet de loi.
Nous n'avons cependant rien contre le fait que l'obligation de privilégier les mesures extrajudiciaires soit une idée maîtresse du projet de loi. En fait, cet objectif concorde en tout point avec les politiques que nous appliquons déjà concrètement.
C'est d'ailleurs ce qui explique ma tendance à prier les parlementaires fédéraux de ne pas croire qu'ils ont le monopole de la sagesse.
M. Jacques Saada: Je me réjouis de votre mise au point.
En fait, ma question s'adressait à de nombreuses personnes pour une raison bien simple.
Je vais maintenant m'exprimer en français parce que mes tableaux sont en français.
[Français]
En termes du nombre de renvois à un tribunal pour adultes au Canada, on constate qu'en 1997-1998, il y a eu en Saskatchewan un renvoi, tandis qu'au Manitoba, il y en a eu 23.
• 1725
Pour ce qui est du recours à la
mise sous garde dans les cas d'infractions commises
avec violence et sans violence, le taux en Saskatchewan
est de l'ordre de 10 à 12 p. 100, alors qu'au Manitoba,
il est de 22 p. 100, et il n'est dépassé que par celui de
l'Ontario. Donc, il est difficile de comparer des
choses qui sont... Je comprends très bien les
distinctions.
Je suis préoccupé par le ton de la présentation. Il s'agit non pas d'une question personnelle, mais d'une question de philosophie fondamentale.
[Traduction]
J'ai une dernière question—ce sera ma dernière à cause des contraintes de temps et non par manque de questions.
Monsieur MacFarlane, vous avez mentionné que la mise en liberté d'office devrait être conditionnelle au bon comportement de l'adolescent pendant son placement sous garde. Je pensais que, dans votre optique, les mesures correctionnelles, qu'il s'agisse ou non de peines de détention, devraient viser avant tout à assurer la sécurité du public, ce que je comprends fort bien.
Pourriez-vous me dire comment le fait de punir un adolescent pour non-respect des conditions de son ordonnance de placement—le placement étant déjà un châtiment en soi—pourra contribuer à assurer la sécurité publique?
M. Bruce MacFarlane: Je vais formuler quelques observations sur cette question, après quoi je vais demander à M. Graceffo d'ajouter quelques remarques complémentaires.
Nous avons fait référence au comportement en établissement comme n'étant qu'un des facteurs qui, selon nous, doit être pris en considération dans l'octroi de la mise en liberté. Il y a également l'évaluation du risque, à laquelle nous procédons dans tous les cas. C'est là un aspect important. Il y a aussi les antécédents criminels, ou le dossier du délinquant, pour ainsi dire.
Il y a tout un éventail d'aspects qu'à notre avis, nous devons prendre en considération. Il ne s'agit pas de dire simplement et arbitrairement: «Voici, le moment est venu de vous rendre votre liberté, indépendamment des circonstances, de vos antécédents, de votre comportement pendant votre période de détention, et de notre propre évaluation du risque que vous présentez pour la société».
Je vais demander à M. Graceffo s'il a quelque chose à ajouter.
M. Greg Graceffo: Je pense que ce que vous venez d'entendre résume notre point de vue. L'idée, c'est que si vous entendez assurer le succès de la réinsertion sociale de l'adolescent, la première chose que vous devez faire, c'est de vous demander: Quels sont les efforts que déploie le jeune pour s'attaquer aux problèmes qui l'ont amené à avoir des démêlés avec la justice? À quel genre de programmes a-t-il participé à cette fin? Ces programmes ont-ils contribué à sa rééducation? Que se passe-t-il dans sa collectivité? Celle-ci est-elle prête à l'accueillir de nouveau? A-t-on mis sur pied dans la collectivité les services voulus pour être en mesure d'aider un adolescent à réussir sa réinsertion sociale?
Nous rendrions un mauvais service à l'adolescent si au lieu de tenir compte de ces choses nous nous contentions simplement de lui dire: «Voilà, le moment est venu de vous libérer».
Selon nous, l'idée, c'est qu'au lieu de simplement établir que la mise en liberté se fera à telle date, il faudrait laisser les gens qui sont le plus proches du cas, c'est-à-dire les conseillers à la jeunesse qui s'occupent de ces adolescents quotidiennement en consultation avec les psychologues et les psychiatres qui travaillent dans nos établissements pour jeunes, de même que les membres de la famille, en venir à un consensus sur la façon dont se réalisera la remise en liberté. Nous pensons que c'est là une approche qui vise le même objectif, mais qui tient compte d'un certain nombre d'autres variables.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci.
Monsieur Mancini, en toute équité, nous allons vous allouer un plein sept minutes. Je sais qu'on a interrompu le fil de vos idées.
M. Peter Mancini: Merci. Je croyais que j'aurais droit à une demi-heure pour le temps que nous avons passé à aller voter, mais je vais prendre les sept minutes.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Prenez tout le temps qu'on vous alloue.
M. Peter Mancini: C'est ce que je fais.
Je vais revenir sur les deux questions que j'ai posées plus tôt. L'une des deux, celle qui portait sur la Convention internationale des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, a déjà été abordée par le représentant de la Saskatchewan. Vous vous souvenez sans doute de la question. La deuxième avait trait aux ressources. Je demandais si le financement que vous accorde le gouvernement fédéral était suffisant pour vous permettre d'appliquer la loi.
J'ai deux autres questions brèves à vous poser à l'intérieur du temps qui m'est alloué. Dans le cas des peines applicables aux adultes, le Code criminel prévoit un traitement spécial pour les délinquants autochtones. L'Association du Barreau canadien nous a recommandé de prévoir une disposition similaire dans la nouvelle loi sur les jeunes délinquants.
Je suis bien au fait des problèmes du centre de la ville de Winnipeg, où, par exemple, un certain nombre d'Autochtones de l'extérieur de la réserve vivent dans état de pauvreté lamentable et connaissent de graves problèmes.
À votre avis, la nouvelle loi devrait-elle contenir, en matière de peines, de telles dispositions spéciales concernant les jeunes délinquants autochtones?
Cette question s'ajoute à ma question concernant les ressources et à celle sur la Convention des Nations Unies.
Deuxièmement, monsieur Whyte, en me référant à mes notes, je constate qu'au début de votre exposé, vous vous êtes montré plutôt critique à l'égard du fait que la classification était fondée sur la nature de l'infraction. Vous avez dit que nous devrions abandonner cette classification, ou encore la remplacer par une disposition qui laisserait toute discrétion aux juges à cet égard.
Voilà pour mes quatre questions.
M. John Whyte: Je vais demander à Mme Pottruff de répondre à votre question à propos des budgets.
Toutefois, permettez-moi d'abord de vous dire qu'en ce qui concerne l'alinéa 718.2e) du Code criminel, oui, sans équivoque, le projet de loi devrait être modifié. Une façon de le faire serait d'inclure dans le projet de loi la même disposition que celle qu'on retrouve dans le Code criminel.
Nous essayons de créer, à l'intérieur de nos contraintes budgétaires habituelles, un programme inspiré de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Gladue. Il n'y pas la moindre raison qui justifierait que ce que nous faisons déjà pour les adultes ne soit pas repris dans le cas des jeunes contrevenants. Que vous changiez la loi ou non, c'est ainsi que nous allons traiter les jeunes délinquants, mais vous pouvez quand même modifier la loi.
En ce qui a trait à la classification fondée sur la nature des infractions, il nous faudrait aussi une classification similaire pour la cinquième catégorie d'infractions désignées. Même là, la catégorie des infractions graves avec violence posera problème, puisque, comme je l'ai répété à maintes reprises, nous n'avons aucune idée de ce qu'elle englobe. Après chaque condamnation, le procureur de la Couronne devra se demander si l'infraction pour laquelle l'adolescent a été condamné n'entrerait pas dans la catégorie des infractions graves avec violence pour pouvoir, en cas d'infractions multiples, réclamer plus tard l'application de la cinquième catégorie d'infractions désignées, une fois l'adolescent devenu adulte...
Ce processus, il va sans dire, sera lourd. Je le répète, cette disposition sera appliquée de façon fort inégale dans l'ensemble du pays, tout comme dans l'ensemble de la province. Il y a certes lieu de s'inquiéter à cet égard. Mais c'est ainsi qu'il faudra agir, à moins qu'on établisse une liste, et ce serait peut-être là la façon de parvenir à l'égalité en ce qui a trait aux infractions susceptibles d'être considérées comme faisant partie de la cinquième catégorie.
Quant à la distinction entre les infractions sans violence et les infractions avec violence, sur laquelle porte votre question, je crois qu'on peut compter que la poursuite et la défense s'entendront là-dessus. Selon moi, c'est là un aspect important dans la détermination de la peine, car on doit alors examiner en profondeur le contexte dans lequel la victime a subi l'infraction, les besoins et la situation du délinquant, de même que le tort qui a été causé à la collectivité. Chose certaine, il ne suffit pas de se demander s'il y a eu des lésions corporelles. Le moment idéal pour examiner toutes ces choses, c'est celui où l'on détermine la peine.
Je reconnais que l'inconvénient de cette option, c'est qu'elle fait qu'en principe, toute infraction peut entraîner une peine de détention, alors qu'on voudrait recourir le moins possible à ce type de mesure correctionnelle, ce à quoi nous souscrivons. On peut prévoir, je pense, qu'un tel énoncé de préférences dans la loi à propos de la détermination des peines serait pris tout à fait au sérieux par les juges et que nous aurions alors une analyse des faits et du contexte qui nous permettrait de tenir adéquatement compte de tous les facteurs pertinents.
J'ai donc pris un long détour pour vous répondre que nous devrions nous en remettre à cet égard à la discrétion des juges.
Mme Betty Ann Pottruff: Sur la question des ressources, les membres du comité sont sans doute au courant que le financement, qui était auparavant partagé à parts égales entre le gouvernement fédéral et les provinces, a été plafonné en 1989. Depuis lors, la part du gouvernement fédéral dans le financement des services correctionnels provinciaux pour adolescents n'a cessé de décroître. Dans le cas de la Saskatchewan, elle représente maintenant environ 29 p. 100 de ce qu'il en coûte réellement pour les services correctionnels pour adolescents.
Et nous ne sommes malheureusement pas au bout de nos peines. Alors que nous craignons de plus en plus de ne pas être en mesure de financer adéquatement nos services correctionnels pour adolescents et que nous réclamons sans cesse en vain le rétablissement à 50 p. 100 de la proportion de financement assumée par le gouvernement fédéral dans ce domaine, voilà que s'ajouteront de nouveaux coûts pour appliquer cette loi. Compte tenu de la multiplicité des nouvelles procédures prévues dans cette mesure législative, il faudrait reconnaître que la part des coûts que le gouvernement fédéral assume n'a jamais servi à défrayer les coûts des poursuites par la police devant les tribunaux, et que celle qu'il assume pour l'aide juridique, qui a été elle aussi plafonnée en 1989, est actuellement terriblement insuffisante.
Toujours à propos du partage des coûts et de la question des ressources, notre principale crainte, c'est que nous soyons contraints, pour financer la mise en oeuvre de la loi, de puiser à même les maigres fonds dont nous disposons pour les programmes. Une telle approche compromet notre capacité de répondre aux besoins des jeunes et n'est pas celle que nous trouvons souhaitable.
• 1735
En collaboration avec les autres instances correctionnelles,
nous avons élaboré un cadre national d'évaluation des coûts pour
tenter de prévoir combien il nous faudra débourser réellement pour
appliquer les dispositions de la nouvelle loi. Nous sommes déçus de
constater qu'il semble bien que le gouvernement fédéral n'a de son
côté nullement calculé ce que coûterait la nouvelle mesure
législative. D'après nos estimations, il nous en coûtera au moins
2 millions de dollars pour la mettre en oeuvre. Ce chiffre est
probablement prudent en ce qui a trait au système. À cela, il
faudra vraisemblablement ajouter quelque 6 millions de dollars en
coûts annuels d'administration de cette loi.
Naturellement, ces chiffres sont appelés à être revus, car nous devons fonder nos hypothèses sur notre prévision de la façon dont les choses vont se passer au tribunal. Il va sans dire qu'en modifiant un aspect ou l'autre de ce projet de loi, il se peut qu'on aggrave ou qu'on atténue le problème des coûts et des ressources que son adoption entraînera. Bien sûr, la libération d'office est un facteur qui pourrait jouer. L'ensemble des procédures qui sont prévues dans la loi pourrait entraîner des coûts considérables.
M. Bruce MacFarlane: Il me reste trois questions à aborder, que je trouve importantes—celle du financement, celle des délinquants de moins de 12 ans, et celle des jeunes délinquants autochtones. Je vais en traiter dans cet ordre.
En ce qui a trait au financement, comme nos observations et nos opinions s'apparentent de près à celles de la Saskatchewan, je vais tout simplement y aller de quelques réflexions complémentaires. À plusieurs rencontres consécutives des ministres de la Justice, on a discuté de cette question, et on a convenu que l'annonce des principales initiatives fédérales devrait s'accompagner d'une estimation au moins approximative de leur coût pour que les provinces puissent avoir une idée de ce qui les attend au bout du compte. On ne l'a pas fait dans ce cas-ci. Selon nos prévisions les plus conservatrices, cette mesure législative entraînerait pour le Manitoba des coûts supplémentaires d'environ 5 millions de dollars par an. C'est un montant considérable pour la taille de notre budget.
Cela dit, nous ne savons pas ce que deviendra en fin de compte le projet de loi. Par exemple, si on éliminait les audiences préliminaires, les coûts seraient moindres. Si on apportait d'autres modifications au projet de loi, les conséquences pourraient être tout autres sur le plan des coûts. Donc, nous ne savons pas en quoi consistera le produit final, mais d'après nos calculs, qui sont fondés sur le projet de loi actuel, les coûts additionnels pour le Manitoba s'élèveraient à quelque 5 millions de dollars.
Nous réclamons en fait le retour à un partage des coûts à parts égales comme c'était le cas auparavant. Nous ne voyons pas pourquoi, en principe, nous ne retournerions pas à cette proportion originelle. Voilà notre position sur cette question.
Sur la question des jeunes délinquants âgés de moins de 12 ans au regard des accords internationaux ou des instruments des Nations Unies, il va sans dire que nous nous conformons aux prescriptions du droit international, mais comme c'est toujours le cas en matière juridique, il est capital de viser le juste milieu.
En ce qui touche le cas des jeunes délinquants de moins de 12 ans, nous croyons que, si on trouvait le moyen de restreindre à des circonstances vraiment exceptionnelles la possibilité d'accuser un enfant d'avoir commis une infraction très grave, en se servant à la fois du critère relatif à la gravité de l'infraction et de celui relatif aux caractéristiques personnelles de l'enfant, la sélection étant faite par des juges—et il va sans dire qu'un très petit nombre de jeunes délinquants entreraient dans cette catégorie—on concilierait alors assez bien, d'une part, le respect d'autres critères que celui du seul droit pénal, et, d'autre part, la protection du public. Nous estimons donc qu'en tenant compte de l'ensemble de ces facteurs, on atteindrait un juste milieu.
Enfin, en ce qui a trait à la question qu'on a soulevée concernant les jeunes délinquants autochtones, nous ne voyons rien qui justifie, en principe, qu'on ait, dans le cas des jeunes délinquants, une approche différente de celle qu'on a dans le cas des adultes. Nous ne voyons aucune raison de faire une telle distinction.
Je tiens simplement à vous faire remarquer à cet égard que les tribunaux ont vraiment du mal à interpréter cet aspect dans le système correctionnel pour adultes. Dans un récent arrêt, la Cour suprême a indiqué que, dans le cas des infractions graves, elle ne voyait aucun motif évident de faire une distinction entre les délinquants autochtones et les délinquants non autochtones.
Mais c'est là une question d'interprétation. Au niveau du principe, nous ne voyons pas de justification à cette distinction.
M. Peter Mancini: Je crois que, dans votre rapport, vous affirmez que vous n'invoquerez pas automatiquement cet article.
M. Bruce MacFarlane: C'est juste.
M. Peter Mancini: Merci.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Mancini.
Monsieur MacKay, sept minutes.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.
Je vous remercie tous pour vos exposés très bien présentés et succincts. Votre évaluation de cette mesure législative nous a vraiment fait faire un bon bout de chemin.
J'aimerais que nous revenions sur la question des transfèrements, si vous le voulez bien, et sur les arguments que vous avez avancés en donnant les raisons pour lesquelles nous devrions, selon vous, prévoir dans notre système une sorte de mécanisme pour que les enfants de 10 ou 11 ans...
• 1740
Les statistiques montrent, et je crois qu'il est bon de le
rappeler ici, que seul un nombre relativement restreint de jeunes
délinquants seraient visés par un tel mécanisme, mais ce que je
propose et que je vous demanderais de commenter, c'est un
mécanisme, similaire à celui que nous avons actuellement, qui
permettrait le transfèrement d'adolescents vers le système
judiciaire pour adultes.
Sauf erreur, monsieur MacFarlane, vous avez fait allusion à cette hypothèse dans vos observations. Vous avez précisé qu'il incomberait à la Couronne ou à la défense, naturellement, de justifier un tel transfèrement en se fondant sur les circonstances particulières du délinquant et la nature de l'infraction—le type d'infraction, ses conséquences, la disponibilité de services pour venir en aide à l'adolescent. Il ne s'agirait pas d'enfermer un enfant de 10 dans un pénitencier pour adultes, mais de lui permettre de profiter de ce que ce nouveau système de justice pénale pour adolescents pourra, croyons-nous, faire pour eux.
Une intervention précoce, des mesures de rechange, toutes ces possibilités dont il est question dans le projet de loi ne sont actuellement pas offertes aux jeunes délinquants de 10 et 11 ans. Il y bien sûr des gens qui mentiront grossièrement en disant que voilà une tentative de l'extrême droite pour mettre les enfants de 10 ans à leur place. Mais nous sommes habitués à ce genre de discours.
Il m'intéresserait vraiment d'entendre vos observations à propos de l'adoption d'un mécanisme qui permettrait ce genre de transfèrement après un examen minutieux du cas et en comptant beaucoup sur le discernement des juges.
M. Bruce MacFarlane: Je vais commencer par signaler qu'on observe dans la population un grand agacement devant cette notion de limites arbitraires, où, à propos de rien, en deçà d'un certain seuil, on n'est plus responsable de ses actes. L'origine de cette façon de voir les choses remonte à quatre siècles, à l'époque où le droit coutumier comportait de telles limites arbitraires.
Je vous rappelle qu'il ne nous intéresse pas du tout de viser toute une foule de jeunes qui ont commis des infractions. Ce n'est pas ce que nous cherchons. Nous songeons peut-être à 0,1 p. 100 de cas graves. Nous vous exhortons toutefois à envisager sérieusement de concevoir un système qui comporterait des mécanismes de freins et contrepoids propres à nous assurer que seuls les bons types d'enfants et d'infractions—autrement dit, les enfants qui présentent un très haut niveau de risque et qui commettent des infractions graves—seront pris en charge par le système pénal, la décision étant prise par un juge, pour nous assurer, encore une fois, qu'on trouve le juste milieu...
En d'autres termes, notre objectif, c'est d'éviter qu'on protège une catégorie d'individus qui enfreignent les lois, sans pour autant pourchasser bêtement une foule de jeunes. On veillerait à n'appliquer ce traitement que dans le cas des jeunes criminels qui commettent des infractions vraiment graves. D'ailleurs, s'il faut appliquer ce traitement dans de tels cas, c'est en partie parce que, d'après nos informations, la perpétration d'infractions vraiment graves à un âge précoce dénote l'existence d'un problème beaucoup plus ample qui devra être traité tôt ou tard par nos services de santé ou nos services sociaux. Pour être en mesure d'identifier le problème et de s'y attaquer de bonne heure, il est important d'adopter une approche d'intervention précoce.
De plus, comme je l'ai mentionné plus tôt, dans le cas de ce genre d'actes criminels très graves et très visibles, où une accusation a été portée, le fait de soumettre le prévenu à un procès en bonne et due forme permettrait d'établir s'il est coupable ou non. J'ajoute cet élément simplement pour faire état d'un autre facteur à prendre en considération.
M. Peter MacKay: Je serais porté ici à soulever de nouveau la question du financement, mais vos deux exposés m'ont semblé porter en grande partie sur celle de la confiance de la population dans notre système de justice. On observe effectivement dans la collectivité une montée des attentes et un certain degré de ce que je décrirais comme étant un «faux espoir» que cette loi sera la fin de tout et apportera le remède universel contre la criminalité juvénile dans notre pays.
Or, les statistiques de Juristat révèlent qu'en réalité, la criminalité juvénile n'est pas en régression. Après votre comparution, nous allons d'ailleurs entendre un exposé qui viendra le confirmer. La criminalité juvénile augmente légèrement chaque année non seulement dans vos deux provinces, mais dans tout le Canada. Depuis 1993-1994, elle a augmenté de près 10 p. 100 dans l'ensemble du pays.
Il est effectivement très important que la population ait confiance dans le système. Or, devant la perspective de l'instauration d'un nouveau régime avec lequel il faudra composer bien qu'il sera lourd et virtuellement ingérable et qu'il requerra pratiquement de tous les intervenants qu'ils fassent plus et mieux avec moins et qu'ils assument des responsabilités additionnelles, le moment n'est-il pas venu de nous demander—et je vous invite à vous interroger là-dessus—s'il ne vaudrait pas mieux améliorer le système actuel plutôt que d'imposer ce système tout à fait nouveau et incroyablement compliqué et coûteux, et sous-financé de surcroît, à une population qui s'attend à tout autre chose et dont nous aurons de ce fait aggravé le cynisme et anéanti les espoirs?
M. John Whyte: J'ignorais, quoique j'aurais dû le savoir, que les données de Juristat viendraient nous dire que la criminalité juvénile est en progression dans notre pays, mais je ne suis pas étonné de constater que les problèmes de développement de la jeunesse canadienne s'aggravent et qu'ils sont de plus en plus répandus. Dans ma déclaration, j'ai cerné, me semble-t-il, certains des facteurs qui expliquent ce phénomène. Je ne crois pas que nous offrons aux jeunes dans nos collectivités et nos familles les services sociaux dont ils ont besoin, et je ne m'étonne pas qu'il en résulte de la déviance.
Pour ce qui est de l'hypothèse d'améliorer plutôt la loi actuelle, je conviens avec vous qu'il est trompeur de prétendre que ce projet de loi propose un nouveau régime qui s'attaquera au coeur même du problème, surtout si on lui conserve son profil actuel. Loin de redonner confiance aux Canadiens dans notre système de justice, un tel régime ne pourra que les aigrir davantage.
Quant à savoir si nous devrions prendre ce projet de loi tel quel, avec ses nombreux postulats louables, y compris celui... Bien que nous nous élevions énergiquement contre la mise en liberté d'office, nous ne sommes pas du tout déconcertés—en réalité, nous y sommes plutôt favorables—par l'idée qu'il ne doit pas y avoir de temps passé en détention sans qu'on l'emploie à des efforts de réadaptation. Nous ne sommes certes pas opposés à la présomption en faveur du recours le plus fréquent possible à des solutions de rechange et à des mesures de déjudiciarisation.
Je ne sais pas si nous ferions mieux de nous inspirer de ces principes positifs sous-jacents et de les appliquer dans un système qui retourne l'autorité et le pouvoir là où ils se sont exercés dans le passé, à mon avis, avec compassion et imagination dans les diverses provinces—et avec un succès remarquable, je crois, dans la province de Québec, où l'on utilise une approche exemplaire de lutte contre la délinquance juvénile—ou de revoir ce projet de loi de manière à laisser aux provinces un pouvoir discrétionnaire, une autorité et une marge de manoeuvre en ce qui concerne l'administration de la justice, des services correctionnels et des services de protection de l'enfance, ou encore de remanier la Loi sur les jeunes contrevenants, mais je crois que ces trois options sont valables sensiblement au même titre. Je vous concède toutefois que de présenter cette loi dans sa forme actuelle comme devant produire des résultats positifs pour notre pays ne pourra qu'aigrir les Canadiens.
M. Bruce MacFarlane: J'aurais peut-être quelque chose à ajouter là-dessus. Comme notre vision des choses est très proche de celle de M. Whyte, je vais m'en tenir à quelques observations complémentaires.
Je suis frappé de l'ampleur du sentiment de déception qu'on observe dans la population depuis cinq ou six ans à propos de la Loi sur les jeunes contrevenants. La question, pour moi, n'est pas tellement de savoir s'il faut modifier de fond en comble la loi actuelle ou s'il faut introduire une nouvelle loi, car je crois que l'important, c'est d'arriver avec des changements fondamentaux.
Nous pensons que de nombreux aspects du projet de loi sont louables, et nous les appuyons. Mais une des principales craintes que nous avons à l'égard de ce projet de loi, c'est que la population, devant la promesse d'un nouveau régime porteur d'une nouvelle approche—par exemple en matière d'attribution des peines—ne soit désolée d'apprendre que trois ans signifient deux ans. Ce pourrait être le signal d'une érosion encore plus spectaculaire de la confiance de la population envers le système. Les gens s'attendent à ce que l'adoption de ce projet de loi apporte remède aux problèmes, mais ce ne saurait être le cas.
M. Peter MacKay: Merci.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Comme vous pouvez le constater, nous sommes maintenant déjà en retard sur notre horaire. Nous avons été une grosse demi-heure—à ne rien faire, je pense...
Des voix: Oh!
Le vice-président (M. Ivan Grose): ...en ce sens que nous avons perdu ce temps pour nous rendre à l'édifice du Centre et en revenir. Quoi qu'il en soit, je suis sûr que les membres du comité conviendront qu'il serait souhaitable que nous utilisions le temps qu'il nous reste pour recueillir le plus de points de vue possible de la part de nos témoins.
Monsieur Cadman, si vous êtes bref, je pourrai donner la parole à deux ou trois autres personnes.
M. Chuck Cadman: Oui. Je n'ai qu'une question à poser, pas plus.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de certaines inquiétudes que d'aucuns nous ont exprimées à propos du risque que le recours accru à des mesures extrajudiciaires ne favorise la récidive chronique.
Par exemple, un policier donne un avertissement à un jeune délinquant, et trois semaines plus tard, un autre agent de police, dans une autre partie de la ville, ou encore, disons, entre Winnipeg et Portage La Prairie, fait de même avec la même personne. Le jeune contrevenant déménage—encore des mesures extrajudiciaires, parce que personne ne sait qu'il a déjà reçu des avertissements ou qu'il s'est déjà vu imposer des mesures extrajudiciaires.
• 1750
Trouvez-vous qu'il y a là un problème? Je m'attends à ce que,
cette fois encore, on nous ramène à la question du manque de
ressources et à la nécessité que les diverses instances se
communiquent les renseignements. Quelle conséquence, à votre avis,
une telle situation pourrait-elle avoir?
M. Rob Finlayson: Je crois, monsieur, qu'il y a certes là un problème, qui nous préoccupe d'ailleurs. Pour s'assurer que les dossiers sont tenus à jour, les services de police locaux et la GRC devront veiller à ce qu'on mette sur pied un système complet de gestion des dossiers où seront consignées toutes ces interventions extrajudiciaires. Concrètement, cela signifie qu'il leur faudra également s'assurer que ces dossiers demeurent confidentiels, qu'ils ne sont pas rendus publics.
En réalité, cela se ramène encore à une question de ressources, à la nécessité de veiller à ce que nous ayons les fonds et les effectifs voulus, et à ce que les corps de police les aient aussi, pour consigner ces renseignements. En définitive, c'est nous qui devons démontrer que nous sommes justifiés de recommander qu'un cas fasse l'objet de procédures extrajudiciaires. Si le public constatait qu'on applique une même mesure extrajudiciaire pour la cinquième fois, alors que nous avions l'impression de le faire pour la première ou la deuxième fois, sa confiance en prendrait encore un coup.
Mme Betty Ann Pottruff: Je crois qu'un des problèmes qui se pose aux diverses instances correctionnelles, c'est d'établir comment elles doivent organiser le système de consignation des dossiers en collaboration avec les services de police et le CIPC ou en utilisant une autre méthode pour pouvoir assurer le suivi des incidents de manière à éviter de favoriser l'apparition du syndrome de la récidive.
Je crois que l'article 9 du projet de loi pose un autre problème, en ce qu'il restreint la possibilité d'utiliser ou de communiquer, à des fins de mise en preuve dans des procédures judiciaires ultérieures, l'information concernant le recours à des mesures extrajudiciaires. Cette disposition va causer des ennuis aux services de police et au procureur général au moment de déterminer la peine dans les cas où, en fait, des mesures extrajudiciaires ont déjà été utilisées sans succès. Ces renseignements sont indispensables dans certaines circonstances, notamment au moment d'établir les conditions d'une ordonnance de probation, parce qu'ils permettent de connaître les antécédents du jeune contrevenant. Par conséquent, je crois qu'il s'agit là, dans la loi, d'une lacune à laquelle il faudrait remédier.
M. Chuck Cadman: Vous estimez donc que l'article 9 pose problème?
Mme Betty Ann Pottruff: Oui.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Cadman.
Monsieur McKay.
M. John McKay: Je dispose de combien de temps?
Le vice-président (M. Ivan Grose): De trois minutes.
M. John McKay: Je vais poser deux questions en trois minutes.
Le paragraphe 10(2) du projet de loi dit notamment ceci:
-
(2) En outre, il [le recours à une sanction extrajudiciaire] est
assujetti aux conditions suivantes:
-
a) la sanction est prévue dans le cadre d'un programme autorisé
soit par le procureur général, soit par une personne désignée par
le lieutenant-gouverneur en conseil de la province ou faisant
partie d'une catégorie de personnes...
Premièrement, ne croyez-vous pas qu'il s'agit là d'un «transfert»—à défaut d'un meilleur terme—de pouvoir constitutionnel en matière de droit pénal? Êtes-vous d'avis qu'il peut fort bien s'agir là d'un transfert d'autorité en matière de droit pénal à un procureur général provincial? C'était ma première question.
La deuxième est de portée plus générale et a trait à ce que vous recommanderiez à vos procureurs généraux respectifs de prévoir en matière de programme de sanctions, compte tenu, comme vous l'avez mentionné, de vos «contraintes budgétaires».
Ma deuxième question—il s'agissait en réalité des alinéas a) et b) de ma première...
Des voix: Oh!
M. John McKay: ...porte sur l'interaction du régime de protection de l'enfance dans vos provinces respectives. Aux termes de l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants, naturellement, ce régime s'applique aux enfants d'environ 12 ans. Y a-t-il une raison qui expliquerait pourquoi, en principe, les enfants de moins de 12 ans ne pourraient pas être traités aux termes de vos lois sur la protection de l'enfance? Existe-t-il une raison qui explique pourquoi les enfants ne pourraient pas être confiés au système de protection de l'enfance comme on le fait au Québec, ce qui vous amènerait vraisemblablement à réduire votre recours à la Loi sur les jeunes contrevenants ou à cette nouvelle loi?
Le vice-président (M. Ivan Grose): Vous disposiez de trois minutes pour la question et la réponse, et non de trois minutes pour la question.
M. John McKay: Oh! est-ce ainsi que ça fonctionne? Vraiment? Eh bien! nous allons parler de ces choses dans une minute.
M. John Whyte: D'abord, en plus de la compétence fédérale en matière de droit pénal, il y a, naturellement, la compétence provinciale en matière d'administration de la justice, y compris de la justice pénale. Cela vaut pour les poursuites fédérales et pour le pouvoir d'engager des poursuites, y compris le pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Nous estimons que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre inclut le pouvoir discrétionnaire de ne pas porter d'accusation quand la province dispose d'autres moyens pour répondre au besoin cerné.
• 1755
Ce qu'on cherche à faire ici, en réalité, c'est de se servir
largement de ce pouvoir discrétionnaire de poursuivre pour mettre
sur pied un système qui nous apparaît constituer une réponse
constructive à la délinquance. Je crois que cela s'inscrit dans
l'esprit des articles 91 et 92 de la Constitution en ce qui touche
la coordination fédérale-provinciale. Je n'y vois pas de problème.
Je crois que c'est ce qu'on fait déjà dans l'application du droit
pénal dans son ensemble.
C'est particulièrement le cas, si nous passons maintenant à la question 1b), en ce qui a trait aux infractions commises par les enfants et à la compétence provinciale en matière de protection de l'enfance. En ce qui touche la question 1b), nous convenons avec vous que nos lois sur la protection de l'enfance habilitent les provinces à intervenir dans la vie des enfants quand ils ont commis ce qui serait une infraction s'ils étaient adultes et à assurer leur protection dans de telles circonstances.
Sauf erreur, il y avait une autre question.
Mme Betty Ann Pottruff: Pour contribuer à clarifier ce point, je n'ai pas ce document dans les deux langues officielles, et je sais que le comité exige le bilinguisme, mais je vais simplement vous laisser une copie de l'énoncé de politique de la Saskatchewan en matière de mesures de rechange, pour que vous puissiez voir comment nous appliquons cette politique aux jeunes contrevenants.
De même, en ce qui a trait à la question de la protection de l'enfance, notre loi reconnaît explicitement que notre régime de protection de l'enfance doit prendre en charge les enfants de moins de 12 ans qui sont impliqués dans des actes criminels.
M. John McKay: Le Manitoba voit-il ces choses autrement?
M. Rob Finlayson: En ce qui touche la première question, monsieur, je crois que ce qu'on propose ici est semblable à ce qu'on a déjà concernant le traitement des délinquants adultes. Nous sommes d'accord avec la Saskatchewan en ce qui concerne le fait qu'en matière d'administration de la justice pénale, les provinces ont effectivement cette responsabilité, et nous ne voyons aucun problème à l'assumer. Encore là, s'il est un problème, c'en est un de ressources ainsi que d'attribution des sanctions appropriées tant dans le cas des jeunes contrevenants que dans celui des adultes.
En ce qui a trait à la question des moins de 12 ans, encore là, je vous dirai franchement que nous convenons que les services sociaux ont à cet égard un rôle très important à jouer et qu'ils devraient le jouer dans le cas de la majorité sinon de tous les contrevenants de moins de 12 ans. Je crois qu'il est capital qu'ils jouent ce rôle. Toujours à propos des moins de 12 ans, dans notre exposé de cet après-midi, nous nous sommes efforcés d'insister sur le fait que ce n'est que dans de très rares cas qu'on demanderait que des enfants soient assujettis au régime de justice pénale pour adolescents. Ce recours serait limité aux enfants qui présentent un risque extrêmement élevé et qui commettent des infractions très graves ou haineuses, mais, encore là, seulement après qu'une demande aurait été présentée soit par la poursuite soit par la défense et seulement après que le tribunal aurait établi que, oui, l'enfant devrait être pris en charge par le système de justice pénale pour adolescents.
Nous en convenons donc avec vous, les services sociaux ont un important rôle à jouer. Notre position à propos des moins de 12 ans, c'est que le recours au système de justice pénale pour adolescents devrait être très limité.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Finlayson.
Je crains qu'il me faille maintenant mettre un terme à notre demi-heure de loisir, que nous avons utilisée, je crois, d'une manière fort productive.
Merci beaucoup à nos témoins, merci beaucoup de nous avoir permis de nous retirer au signal des voyants lumineux et du timbre. J'en suis désolé, mais je vous redis merci pour les renseignements que vous nous avez communiqués.
Le comité ajourne ses travaux pour cinq minutes.