JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 13 juin 2000
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne est ouverte.
Aujourd'hui, nous étudierons le projet de loi C-244, loi permettant le prélèvement d'échantillons de sang au profit des personnes chargées de l'application et de l'exécution de la Loi et des bons samaritains et modifiant le Code criminel.
Nous accueillons nos premiers témoins, après avoir entendu le parrain du projet de loi, M. Strahl. Il s'agit de M. David Hoe et du Dr Ronald St. John, du ministère de la Santé; et de M. Yvan Roy, de Mme Patricia Dunberry et de M. Peter Sankoff, du ministère de la Justice.
Sans plus attendre, je demanderais à nos témoins de prendre la parole dans l'ordre figurant sur l'ordre du jour, soit M. Hoe et le Dr St. John, du ministère de la Santé.
Je constate à l'expression des témoins que ce n'est pas l'ordre prévu et que d'autres arrangements ont été pris. Nous sommes toujours disposés à faire preuve de souplesse.
Monsieur Roy.
M. Yvan Roy (conseiller juridique principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Merci, monsieur le président, je vous en suis reconnaissant.
Je m'appelle Yvan Roy et je travaille au ministère de la Justice. Nous avons pensé qu'il serait utile de vous communiquer ce matin, au sujet de la mesure à l'étude, certains renseignements, certaines préoccupations et certains faits qui pourraient aider les parlementaires à déterminer s'il convient ou non de l'appuyer.
Une mesure comme celle-là pose toujours un problème aux fonctionnaires qui comparaissent devant le comité car, du moins au premier abord, ça semble être une bonne idée que d'aider quelqu'un qui a été exposé à une maladie aussi terrible que le VIH, l'hépatite C ou l'hépatite B. En règle générale, il semble aller de soi que nous devrions appuyer l'idée d'aider ces personnes à prendre la médication appropriée pour lutter contre ces maladies.
• 0940
Nous aimerions attirer votre attention sur certaines
préoccupations qui, à notre avis, ne doivent pas vous échapper.
Nous nous proposons de lancer le débat en soulevant certains
problèmes liés au partage des pouvoirs, à la Charte des droits et
libertés et à de grandes questions de politique pénale qui ne
manqueront pas d'intéresser le comité.
Ensuite, je demanderais au Dr St. John de fournir au comité certains renseignements concernant les tests envisagés dans la mesure proposée. Pour sa part, M. Hoe, qui travaille aussi au ministère de la Santé, nous précisera les mesures que l'on prend actuellement pour aider les personnes infectées ou susceptibles d'être infectées et de contracter ces trois maladies.
Collectivement, nos exposés ne devraient pas prendre plus d'une demi-heure, après quoi nous serons tout disposés à répondre à vos questions. Si cela convient aux membres du comité, c'est ainsi que nous proposons de procéder ce matin.
Le président: Non seulement les députés acceptent, mais ils semblent très enthousiastes.
M. Yvan Roy: Merci.
Le projet de loi est relativement simple. D'après mon analyse, il énonce deux séries de variables qui, ensemble, permettront l'émission d'un mandat autorisant l'obtention d'échantillons de sang. Les variables en question sont les suivantes.
Le projet de loi vise trois types de maladie, le SIDA, l'hépatite A, l'hépatite B et l'hépatite C, et les personnes visées par la mesure sont les pompiers, les médecins qualifiés ou les personnes qui, par profession, soignent des malades et s'en occupent, les agents de la paix, les agents de sécurité et les personnes mêlées à l'arrestation de certains individus.
Aux termes du projet de loi, si ces personnes ont des motifs raisonnables de croire qu'elles ont été exposées, dans le cadre de leur travail, à l'un ou l'autre de ces virus, elles pourraient demander à un juge de paix de décerner un mandat autorisant le prélèvement d'échantillons de sang auprès de la victime à laquelle elles tentaient de porter secours.
Dans le cas d'un pompier, on suppose que cela se produirait dans le contexte d'un incendie. À ce moment-là, le pompier tente de venir en aide à quelqu'un dans des circonstances particulièrement difficiles. Si un pompier pense que cette personne risque d'être porteuse du VIH par exemple, il lui serait possible de demander une analyse pour vérifier qu'elle n'est pas atteinte du SIDA.
À cet égard, deux questions se posent. Premièrement, même si l'on admet que c'est une bonne idée—et nous pouvons discuter à savoir si c'est ou non le cas—, le comité est à mon avis tenu de se demander si le Parlement est habilité à adopter ce genre de loi.
J'ai lu avec énormément d'intérêt le témoignage du parrain du projet de loi devant le comité, et je pense que tous les participants autour de la table ont compris que nous tenterions de justifier cette mesure en nous fondant sur le pouvoir conféré au Parlement en matière de droit criminel aux termes du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Le problème auquel nous risquons de nous heurter, c'est que d'après mon interprétation de la mesure, à tout le moins, on n'y trouve pas grand-chose qui relève du droit criminel.
Les tribunaux ont donné une définition très large du pouvoir en matière de droit criminel. En fait, la Cour suprême se prononcera jeudi sur le projet de loi concernant les armes à feu, ce qui lui donnera l'occasion de préciser davantage sa définition de ce pouvoir. Cela dit, depuis deux ou trois ans, la Cour suprême a rendu des arrêts importants au sujet de la portée du pouvoir en matière de droit criminel et chaque fois, elle a réitéré que ce pouvoir découle de la prohibition d'un certain comportement auquel est associée une sanction.
• 0945
Je renvoie le comité à la décision de la cour dans l'affaire
RJR-Macdonald c. Canada, qui remonte à 1995. Cette affaire portait
sur la publicité des sociétés de tabac et elle posait clairement la
question suivante: Le Parlement était-il habilité à adopter la
mesure qu'il avait adoptée à l'époque en se fondant sur le
paragraphe 91(27)? Les députés se souviendront que cette mesure
visait à interdire certaines formes de publicité. La cour a examiné
la jurisprudence, et il ressort clairement qu'elle a fondé son
analyse sur la prémisse qu'un acte est prohibé et qu'à cet acte
sont associées certaines sanctions pénales.
Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le président, ce n'est pas le cas de la présente mesure. Elle dit simplement que l'on peut obtenir un mandat sans qu'il existe de lien ou de rapport avec le droit criminel au sens où nous l'entendons habituellement. En l'occurrence, nous ne visons ni à recueillir des preuves ni à réunir des renseignements concernant des activités criminelles. Nous envisageons plutôt de communiquer des renseignements à certaines personnes en particulier pour des motifs liés à la santé publique.
Monsieur le président, j'estime qu'on peut faire valoir que cela ne s'inscrit pas dans le champ de ce qui ressort habituellement au domaine du droit criminel. Par conséquent, le premier obstacle qui se pose au comité est de déterminer s'il peut invoquer le pouvoir énoncé au paragraphe 91(27) pour adopter une mesure de ce genre.
J'invite également les députés du comité à prendre connaissance d'une autre décision de la Cour suprême, qui remonte cette fois à 1997. Il s'agit d'une affaire mettant en cause le procureur général du Canada contre Hydro-Québec, qui avait donné lieu à la même analyse de la part de la cour. À ma connaissance, ce sont là les deux décisions les plus récentes concernant le recours au pouvoir en matière de droit pénal.
Deuxièmement, le comité doit se demander si une telle atteinte à certains droits constitutionnels fondamentaux peut se justifier aux termes de la Charte des droits et libertés. Il ne fait aucun doute—et encore une fois, je pense que le parrain du projet de loi a avancé cet argument dans son exposé devant le comité—, que les articles 7 et 8 de la Charte des droits et libertés sont mis en cause par cette mesure. La question est donc de savoir si une telle violation des droits peut et doit se justifier sur le plan constitutionnel.
Monsieur le président, pour être autorisé à agir ainsi, nous devrions avancer une justification concernant le recours à ce pouvoir. On pourrait fort bien avancer que les tests médicaux qui seraient effectués sont tellement fiables qu'ils permettraient de communiquer des renseignements importants à la victime, au pompier et à l'agent de la paix. Les tests leur fourniraient le genre de renseignements qui leur permettraient de prendre des décisions de leur propre chef. Si les tests en question étaient d'une telle fiabilité, nous aurions les arguments voulus pour justifier la violation de ces droits.
Mes collègues de Santé Canada qui sont ici vous expliqueront certaines difficultés liées aux tests en question. Par conséquent il faudra se demander si nous sommes justifiés de porter atteinte aux droits de simples citoyens qui n'ont commis aucun crime, qui ne sont impliqués dans aucune activité criminelle nous autorisant à obtenir d'eux des renseignements pouvant être utiles à l'État.
Dans ce contexte, j'estime qu'il faudrait avoir des arguments percutants faisant intervenir la protection de la santé publique. Il faudrait que nous puissions avancer avec beaucoup d'assurance que ces tests médicaux sont fiables et qu'ils peuvent être utiles.
En conclusion, j'attirerai votre attention sur certains enjeux politiques dignes d'intérêt. J'ai laissé entendre qu'il pouvait y avoir un problème en ce qui concerne le partage des pouvoirs—le recours au paragraphe 91(27). Ce n'est peut-être pas une mesure que peut adopter le Parlement. Il vaut peut-être mieux en laisser le soin aux provinces pour qu'elle soit d'une utilité quelconque. À cela, j'ajoute qu'il existe certains problèmes liés à la Charte qu'il faut régler.
• 0950
Voici les questions de politique qu'il convient d'examiner, du
moins à mon avis. Il y a lieu de se demander si, dans les
circonstances, il suffit qu'un juge ou un juge de paix soit
convaincu d'avoir des motifs raisonnables de croire que quelque
chose va se produire. En droit, un tel libellé relève de l'art. Ce
n'est pas la même chose que de convaincre quelqu'un qu'il y a lieu
d'agir. On est plutôt en présence de la possibilité qu'il se passe
quelque chose, sur la foi de certains facteurs. On pourrait
considérer que la barre est peut-être un peu basse pour ce qui est
de justifier ce genre d'atteinte aux droits fondamentaux.
Vous voudrez sans doute vous demander également s'il est raisonnable, dans la perspective de la politique publique, de limiter un tel mécanisme aux pompiers, au personnel médical et aux agents de police. Autrement dit, si ces tests sont d'une telle fiabilité, pourquoi la victime ne pourrait-elle pas exiger que le pompier, l'agent de police ou le personnel médical y soit aussi soumis? Pourquoi les pompiers seraient-ils les seuls bénéficiaires d'une telle mesure? Cela ne devrait-il pas aller dans les deux sens?
Et à propos d'aller dans les deux sens, pourquoi limiter cette disposition uniquement à ces six catégories de personnes? Pourquoi ce mécanisme ne serait-il pas disponible à tous les citoyens, chaque fois qu'ils se retrouvent dans des circonstances où ils estiment avoir couru le risque d'être exposés à l'une de ces trois maladies?
Ce sont là des questions qui relèvent davantage du domaine de la politique. Il se peut fort bien qu'aux yeux du Parlement et du comité, il soit suffisant de viser ces six groupes, et personne d'autre. Mais j'estime que c'est une question qu'il faut examiner. Pourquoi le mécanisme est-il limité à ces personnes? Ce n'est pas non plus une option offerte aux deux parties. Au bout du compte, pourquoi ne pas offrir cette possibilité à tous les Canadiens?
La dernière question de politique sur laquelle j'aimerais attirer votre attention est celle de savoir s'il est bon qu'une telle décision soit prise par un juge de paix. Je sais que le parrain du projet de loi a laissé entendre qu'il était ouvert à certains changements afin de rendre la mesure plus acceptable à cet égard. Peut-être pourrait-il envisager que l'on demande à un juge d'une cour supérieur ou à un juge d'une cour provinciale de décerner le mandat. Ce sont là des juges qui ont davantage d'expérience et de compétences dans ces domaines. Voilà les choses sur lesquelles le comité devrait se pencher.
Je vais m'en tenir là, monsieur le président. Je rappelle que le comité devrait examiner la question du partage des pouvoirs; la question de la Charte et par conséquent du respect des droits de la personne; et diverses questions de politique.
Comme je viens de le dire, en particulier au sujet des préoccupations liées à la Charte, il se peut fort bien que nous puissions justifier l'intrusion que constitue le prélèvement d'un échantillon de sang—pour peu que l'on puisse avancer que les tests médicaux en question sont fiables et significatifs.
Nous sommes accompagnés ce matin du Dr Ron St. John, un expert en la matière, qui fera le point sur l'état d'avancement de la science en ce qui a trait à ces tests. Le Dr St. John déclinera ses titres et qualités et fera ensuite un bref exposé concernant les analyses médicales qui nous intéressent.
Une fois qu'il aura terminé, M. David Hoe vous donnera de plus amples informations sur les mesures qui sont prises pour lutter contre ces trois maladies dans la perspective de la santé publique.
Docteur St. John.
Dr Ron St. John (expert-conseil principal sur le VIH/SIDA, Laboratoire de lutte contre la maladie, ministère de la Santé): Merci beaucoup.
Merci, monsieur le président. La présidence tient-elle à ce que je décline mes titres et qualités maintenant?
Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): Non.
Dr Ron St. John: Merci. C'est parfois embarrassant.
• 0955
J'ai apporté seulement un petit document de trois pages qui,
je l'espère, vous aidera à suivre mon exposé. J'ose croire que le
président me permettra de consacrer quelques minutes à revoir
certains concepts de base car il y a certains points critiques à
considérer. Premièrement, le concept de l'exposition; deuxièmement,
le concept de la prévention, ou ce que nous appelons la
prophylaxie; et troisièmement, le concept des avantages qu'il est
possible de tirer de mesures de prévention ou d'intervention.
Par le biais du premier diagramme, je veux simplement rappeler que nous sommes tous exposés. Chaque jour, nous sommes tous exposés à de multiples agents infectieux. Lorsque quelqu'un éternue ou nous serre la main, dans nos contacts quotidiens nous sommes tous exposés, mais nous ne tombons pas tous malades. C'est un point crucial. En effet, il faut que certaines conditions soient présentes. Il ne s'agit pas simplement d'être exposé à un organisme; il faut y être exposé à une quantité suffisante d'organismes et d'une façon qui leur permet de pénétrer dans le corps.
Tout organisme infectieux déclenche ce qu'on appelle la période d'incubation, c'est-à-dire la période entre l'exposition, ou plutôt l'entrée de l'organisme dans le corps, et l'établissement de l'infection. La période d'incubation varie énormément d'un organisme à l'autre. Une fois passée la période d'incubation, la personne devient infectée, sans être nécessairement malade, car certaines infections qui durent pendant de longues périodes ne génèrent pas immédiatement la maladie. Cependant, vous pouvez tout de même demeurer infectieux pour d'autres personnes.
Les tests biologiques que nous menons pour tenter d'identifier si une personne est infectée peuvent être réalisés uniquement après qu'une certaine période s'est écoulée—la période d'incubation. Si l'on tente de faire des analyses pour déceler la présence de l'infection pendant la période d'incubation, il arrive souvent que ces dernières ne soient pas concluantes, selon le genre d'analyse utilisé.
Passer d'une condition négative ou d'un test négatif à une condition positive ou à un test positif exige une interaction complexe entre l'organisme infectieux et l'hôte. Cette interaction exige du temps. Dans le cas du VIH, par exemple, nous ne pouvons déceler la maladie, une fois qu'elle est établie, que six à douze semaines après le début de l'infection.
Les tests biologiques gagnent en précision avec le passage du temps car il faut du temps pour que le corps humain réagisse à la présence d'un organisme infectieux et produise un anticorps ou qu'un résultat puisse être décelé en laboratoire.
La prévention de l'infection après l'exposition—ou, dans notre jargon, la prophylaxie post-exposition, ou PEP—peut être efficace pour contrer certaines infections, mais uniquement lorsque nous disposons des vaccins appropriés ou de traitements dont l'efficacité a été démontrée relativement à la prophylaxie post-exposition. Parfois, nous pouvons réagir plus rapidement que l'organisme. Un bon exemple de ce dont je parle est la rage. Dans le cas d'une personne mordue par un chien enragé qui reçoit promptement un vaccin sur une certaine période de temps, nous pouvons être plus rapides que le virus de la rage et prévenir une maladie pratiquement toujours mortelle.
Dans le tableau suivant, j'ai essayé de définir le scénario visé dans le projet de loi. Vous trouverez dans le coin supérieur gauche ce que j'ai appelé les intervenants, c'est-à-dire les personnes susceptibles de porter secours à une victime. Je les ai divisés en deux catégories: les professionnels—ambulanciers, techniciens médicaux, pompiers et, à l'occasion, policiers qui ont suivi une formation; et les profanes ou les non-professionnels, les simples citoyens qui, en bons samaritains, se portent au secours d'une personne blessée.
À droite, se trouve la personne blessée que j'ai inscrite dans la catégorie grand public. La personne blessée, à titre de membre du grand public, peut être très ou très peu susceptible de contracter la maladie, selon son mode de vie. Nous ne savons pas à priori quel est exactement le risque associé à cette personne. Par conséquent, j'ai choisi de considérer qu'elle faisait partie de la population en général.
Il s'ensuit certaines questions. Quel risque court l'intervenant, au contact de la personne blessée infectée, de contracter le VIH, le virus de l'hépatite B, ou VHB, ou le virus de l'hépatite C, ou VHC? Cela dépend. Cela dépend de la diffusion de la maladie dans la population, ce qui est fort variable. Cela dépend de la géographie, des comportements humains et des antécédents d'exposition à la maladie.
• 1000
Deuxième question: quel est le mécanisme de transmission? Dans
le cas de ces trois maladies, il s'agit de ce que nous appelons des
pathogènes à diffusion hématogène. Ces pathogènes vivent dans le
sang. Ils sont uniquement transmis lorsqu'une personne entre en
contact avec un liquide organique et uniquement lorsque ce liquide
organique peut être appliqué de façon à pouvoir pénétrer dans le
corps. Ils ne sont pas transmis par un contact occasionnel. La
peau, lorsqu'elle est intacte, est une très bonne barrière contre
l'infection—lorsque du sang est répandu sur la peau, il n'est pas
infectieux. Lorsque le sang est répandu dans l'oeil ou dans la
bouche, là où il y a contact avec une membrane muqueuse, un
pathogène à diffusion hématogène peut être transmis.
Il importe de se rappeler qu'il s'agit dans tous les cas d'infections causées par des pathogènes à diffusion hématogène; par conséquent, l'exposition doit être d'un type particulier pour qu'il y ait transmission effective.
En pareil cas, il s'agit ensuite de déceler l'infection chez la personne blessée. Cela soulève de nombreuses questions relatives aux analyses, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, et j'y viendrai dans un instant.
Enfin, quels sont les avantages pour l'intervenant liés au fait de connaître l'état de santé de la personne blessée?
Dans le tableau figurant à la page suivante, j'ai tenté de résumer, à l'égard des trois maladies, deux éléments fondamentaux. Les deux premières rangées traitent du problème de l'exposition, la troisième des tests et la quatrième des avantages.
Premièrement, l'exposition. Quel est le degré d'infection dans la population générale? Autrement dit, quelles sont vos chances d'être infecté en portant secours à une personne blessée?
Pour le VHB, c'est environ 0,5 p. 100—autrement dit, cinq personnes sur 1 000 ont le virus de l'hépatite B. Il s'agit d'une estimation car nous n'avons pas fait des tests auprès de tous les citoyens canadiens pour savoir dans quelle mesure ils étaient infectés par le VHB. Pour le VHC, c'est un petit peu plus élevé, avec 0,8 p. 100, et pour le VIH, cela oscille entre 0,1 et 0,15 p. 100. Nous avons une bien meilleure idée de la prévalence du VIH dans la population canadienne en raison des tests de dépistage effectués par les autorités provinciales.
Pour ce qui est du mécanisme d'exposition à la transmission, pour un professionnel l'exposition au VHB—en fait, pour les trois maladies—est très faible. Pourquoi? Parce que le professionnel a reçu une formation et la première chose qu'il aura apprise au cours de cette formation, c'est l'application des précautions universelles, ainsi que la prudence ou la méfiance qui s'impose en cas de contact avec des liquides organiques. L'intervenant professionnel utilisera des gants et, selon la nature de la blessure, une protection oculaire, et il aura été immunisé contre le virus de l'hépatite B s'il a suivi toutes les recommandations de Santé Canada.
Dans le cas d'un profane, je considère également que l'exposition à un véritable mécanisme d'infection est très faible. Comme je l'ai déjà dit, il faut que ce soit une exposition à un liquide organique ayant accès à des parties protégées du corps. Il est peu probable que des profanes s'exposent eux-mêmes à une personne gravement blessée et soient infectés par son sang. En outre, la quantité de la maladie chez la personne blessée—la prévalence de la maladie, le niveau de la maladie—est très faible. Par conséquent, ce risque, s'il n'est pas inexistant, est tout de même très faible.
Pour ce qui est des analyses médicales, nous disposons pour le VHB de tests rapides et précis. Ce sont de bons tests. Mais encore là, une analyse biologique prend un certain temps. Les tests du VHB sont habituellement effectués dans les 48 heures. Pour ce qui est du VHC, il existe également des tests rapides, mais il convient de faire un second test pour vérifier les résultats du premier—encore là, un processus qui prend du temps.
La même chose est vraie pour le VIH. Il existe à l'heure actuelle un test rapide qui prend 15 minutes à effectuer, mais qui ne permet pas d'identifier de façon concluante le statut de l'infection. C'est uniquement un test de dépistage. Il permet seulement de déterminer s'il faut ou non effectuer le second test, le test de confirmation, qui est beaucoup plus compliqué et qui exige beaucoup plus de temps.
• 1005
Grâce à l'arrivée des nouveaux tests rapides, on a réussi à
réduire de 10 à 14 jours à 7 ou 8 jours la période dont a besoin un
laboratoire de santé publique pour obtenir un résultat définitif.
Quant aux avantages que pourraient retirer les intervenants professionnels du fait de savoir que la victime souffre d'hépatite B, ils sont plutôt faibles étant donné que tout le personnel d'intervention d'urgence est censé avoir été vacciné contre l'hépatite B.
Je vais passer en revue tous les cas mettant en cause des professionnels. Pour l'hépatite C, il n'y a aucun avantage car il n'y a aucune intervention, ni aucun traitement ou vaccin disponible pour l'hépatite C. Pour le VIH, il y a certains avantages possibles liés au fait de connaître l'état de santé de la personne blessée. Cependant, la prophylaxie pour le VIH exige qu'une décision soit prise dans les deux ou trois heures. Si la médication n'est pas administrée dans les heures suivant l'infection, c'est trop tard. Même en ayant recours à un test rapide, il faudrait des heures pour déterminer le statut de la personne blessée. Par conséquent, il faut décider de recourir ou non à la médication en se fondant sur l'exposition en soi et non sur un test effectué sur la personne blessée.
Les avantages pour les profanes sont plutôt similaires. Si le profane a été soumis à une exposition importante—par là j'entends une véritable exposition déterminée par une évaluation de la situation—, alors il serait utile de savoir si la victime était atteinte du VHB car nous pourrions vacciner le bon samaritain. Dans le cas de l'hépatite C, il n'existe aucun vaccin. Pour ce qui est des avantages pour le profane en cas de VIH, ils sont analogues à ceux que peut tirer l'intervenant professionnel, mais encore là, la rapidité du test n'est pas un facteur dans la décision d'avoir recours ou non aux traitements prophylactiques post-exposition disponibles. En l'occurrence, le plus important est le type d'exposition.
Je vais m'arrêter là et demander à M. Hoe d'expliquer comment nous réagissons concrètement dans de telles situations car nous avons pris en compte ces éléments.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Hoe.
M. David Hoe (conseiller en politiques, Division des politiques, de la coordination et des programmes sur le VIH/SIDA, ministère de la Santé): Bonjour. Je m'appelle David Hoe et je suis conseiller principal en politiques sur le VIH à Santé Canada.
Dans tous les pays, on cherche des moyens d'empêcher la transmission du VIH ou d'autres maladies pour permettre aux personnes qui croient avoir été infectées par le VIH de recevoir les meilleurs soins possibles et, le cas échéant, le meilleur traitement possible.
L'idée d'avoir pu être exposé au VIH suscite généralement la peur. La peur de la mort, la peur de la maladie, la peur des bouleversements dans les relations interpersonnelles et la peur d'un avenir perdu. Il s'agit là de craintes importantes et ce sont des problèmes qu'il faut manifestement gérer.
Conformément aux recommandations des Nations Unies, le Canada a institué, à la suite d'une analyse fédérale, provinciale et territoriale, des programmes en vue d'aider les personnes qui craignent d'avoir été infectées par l'une ou l'autre de ces maladies. Comme le Dr St. John l'a expliqué, il appartient aux autorités provinciales et territoriales de prendre les mesures voulues pour déterminer les cas d'infection.
Jusqu'ici, après des discussions avec les autorités provinciales et territoriales, nous avons estimé que le dépistage obligatoire ne répond pas aux objectifs de santé publique et ne crée pas un environnement national rassurant et porteur de sécurité pour les personnes qui envisagent de subir un test. La façon la plus sûre, par exemple, de déterminer la séropositivité est de subir soi-même un test de détection des anticorps anti-VIH si l'on croit avoir été infecté, de prendre cette décision de subir le test de son propre chef. Il existe dans toutes les provinces et tous les territoires des programmes de dépistage qui offrent la meilleure information possible ainsi que du counselling aux personnes qui doivent prendre cette décision.
• 1010
On cite souvent en guise de référence les lignes directrices
de l'Association médicale canadienne, qui stipulent que des
analyses ne peuvent être faites qu'avec le consentement spécifique
de la personne. En 1994, il s'est produit un cas où l'on s'est
demandé s'il y avait lieu de procéder à un dépistage obligatoire.
Cette question a été envisagée par un comité interministériel sur
les droits de la personne et le VIH. Il s'agissait d'un cas
d'agression sexuelle ce qui, vous le comprendrez, est sans doute le
cas où cette initiative est la moins perturbatrice et le risque de
transmission de maladies le plus grand. On a alors conclu que le
dépistage obligatoire ne permettrait pas d'offrir aux victimes
d'agression sexuelle l'information et le soutien dont elles avaient
besoin. Il a été recommandé d'offrir des analyses et du
counselling, sur une base volontaire, aux personnes convaincues
d'avoir couru le risque d'être exposées au VIH et à d'autres
maladies.
La plupart des gens à qui l'on offre la possibilité de subir un test tout en bénéficiant en parallèle de counselling, décideront d'aller de l'avant à la fois dans leur intérêt personnel et par compassion pour autrui.
À mon avis, trois questions se posent. Premièrement, quelle est la façon la plus efficace de garantir la paix de l'esprit à ces personnes et de leur fournir des renseignements précis qui leur permettront de comprendre l'infection? Deuxièmement, comment réagir à l'infection ou à l'absence d'infection, le cas échéant? D'abord et avant tout, nous convenons généralement que le counselling est une nécessité. La personne qui pense avoir été à risque a de graves décisions à prendre. Nous devons en outre offrir les tests donnant les résultats les plus précis. Et ces résultats, comme le Dr St. John vous l'a appris, sont le fruit de tests de confirmation, ce qui relève d'un laboratoire provincial ou territorial.
La troisième question est la suivante: le dépistage et les tests rapides sont-ils utiles? Le dépistage et les tests rapides peuvent aider une personne qui, après avoir donné son consentement aux tests, comprend que l'information qu'elle en retirera sera probablement fausse, à prendre une décision qui l'engage à décider—et c'est le plus important—à subir un test de confirmation ou à adopter les diverses méthodes de prévention et de traitement dont a parlé le Dr St. John.
Troisièmement, le fait qu'une personne subit un test nous apprend-il quoi que ce soit au sujet d'une autre? La réponse est non. Dans le cas du VIH, la meilleure façon de déterminer si l'on est infecté est de subir le test soi-même et de bénéficier parallèlement de counselling car une telle démarche donne lieu à de multiples décisions. Mais dans le cas des personnes qui croient avoir été infectées, il est aussi important de gérer la peur, le malaise et l'anxiété qui s'ensuivent que de connaître les conséquences d'une possible infection.
Après avoir reçu ultérieurement du counselling et de l'information, la personne doit alors prendre la décision du traitement à suivre, lorsque c'est possible. Dans le cas du VIH, les médicaments sont extrêmement toxiques; ils sont déplaisants, ont de multiples effets secondaires et une efficacité incertaine. Par conséquent, on recommande actuellement une arborescence pour le processus décisionnel en matière de counselling: premièrement, une personne a besoin de counselling au sujet de la transmission; deuxièmement, elle doit comprendre le risque de transmission—un bref sommaire de ce que le Dr St. John a dit; troisièmement, les gens doivent comprendre les risques qui peuvent être associés à la médication ou au traitement; et quatrièmement, la personne doit être préparée à suivre ce traitement.
Je vais m'arrêter là. Je suis certain que nous sommes tous disposés à répondre à vos questions. Merci.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Si personne d'autre ne veut prendre la parole, monsieur Strahl, je vous invite à amorcer la discussion.
M. Chuck Strahl (Fraser Valley, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Je voudrais remercier tous les témoins d'être venus aujourd'hui. Je pense que nous commençons aujourd'hui et demain l'étude de cette mesure, et j'ignore ce que l'avenir nous réserve, mais je vous remercie de votre participation.
Pour ce qui est des arguments que l'on a avancés ce matin, je les ai déjà entendus et examinés, et il faudra voir si nous pouvons trouver des façons d'atténuer certaines de ces préoccupations, comme je l'ai dit au ministre. Je vais argumenter avec vous au sujet de certaines observations, mais pour d'autres, il faudra peut-être apporter des amendements. Par exemple, quant à savoir si un tel mandat devrait être décerné par un juge de paix ou un juge de la Cour suprême, on peut toujours en débattre.
• 1015
J'ai deux ou trois questions à vous poser, tout d'abord au
sujet de la constitutionnalité de cette mesure. Le projet de loi
comprend en fait deux dispositions. La première traite des gens qui
appliquent des lois fédérales; ce sont essentiellement des employés
fédéraux qui appliquent des lois fédérales. Y a-t-il une
différence, à votre avis, entre la constitutionnalité d'un projet
de loi de ce genre, visant ces gens-là, par opposition au champ de
compétence peut-être provincial, comme vous l'avez dit, des
travailleurs de la santé en général?
M. Yvan Roy: Je ne suis pas certain que cela dépende tellement de l'identité des bénéficiaires de cette mesure. Il me semble que ce que le comité devra examiner, c'est vraiment l'essence même du projet de loi, c'est-à-dire le but que le Parlement tente d'atteindre. Or, après avoir lu le projet de loi, il me semble qu'il ne renferme pas grand-chose qui ait un rapport avec le droit criminel. Le seul élément qui pourrait rappeler le droit criminel, c'est le fait qu'un mandat doit être décerné, mais franchement, cela pourrait prendre la forme d'une ordonnance judiciaire quelconque. Il n'est pas nécessaire de l'appeler un mandat.
Puisque le but est de protéger la santé d'une personne, on pourrait être tenté de conclure que cette mesure relève beaucoup plus de la législation provinciale, un peu comme dans le cas de la législation sur la santé mentale que l'on peut invoquer pour interner une personne qui peut être dangereuse ou qui est incapable de subvenir à ses besoins de base. La mesure met en cause non pas une question de droit criminel fédéral, mais bien une question de santé et c'est pourquoi bien des gens vous diront qu'elle relève des compétences provinciales.
Par conséquent, qu'il s'agisse d'un pompier, d'un agent de la paix ou d'un membre du personnel médical, je ne pense pas que l'identité du bénéficiaire détermine si c'est de ressort fédéral ou provincial. Il faut plutôt voir ce que vous tentez de faire avec cette mesure. Et comme j'ai tenté de le préciser, il ressort très clairement de la jurisprudence de la Cour suprême sur les compétences en matière de droit criminel que, pour qu'une affaire soit considérée criminelle, il faut qu'elle comporte un comportement quelconque qui est interdit et qui est passible d'une sanction pénale. On ne trouve rien de tel dans le projet de loi à l'étude.
M. Chuck Strahl: Dans les autres exemples que j'ai utilisés—j'ignore si j'en ai parlé devant le comité—j'ai certainement tenté de soutenir qu'il y a d'autres cas dans lesquels un juge impose une sanction ou une obligation à une personne, même si celle-ci n'a pas commis de crime, même si aucune accusation n'a été portée. Un juge peut simplement intervenir et dire: «Je vais vous interdire certains comportements ou vous imposer certaines obligations, même si vous n'avez pas encore commis d'acte criminel. Je vais vous imposer une obligation.»
Est-ce que c'est pertinent? Y a-t-il une différence entre les lois actuelles...? Je songe notamment à l'article 810, l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, qui est appliqué en prévision d'un éventuel méfait ou acte illégal. Quelle est la différence entre cette disposition et la mesure proposée dans ce projet de loi, qui, je m'en rends compte, vise expressément un comportement qui n'est pas criminel? Quelqu'un a mentionné que l'on pourrait étendre la mesure aux victimes d'agressions sexuelles, etc. J'ai délibérément exclu tout cela, parce que même si c'est un débat valable, ce n'est pas le débat que je veux sur ce projet de loi. Y a-t-il une différence entre la situation que j'ai décrite, quand un juge intervient et oblige une personne à faire quelque chose avant que celle-ci n'ait effectivement commis un crime ou fait quelque chose de mal...?
M. Yvan Roy: Vous faites allusion à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public qui est prévu à l'article 810; il y a aussi les articles 810.1 et 810.2. Je crois que nous en avons actuellement trois ou quatre dans le Code criminel. La justification de ces dispositions est que ces engagements doivent être pris pour éviter que soit troublée la quiétude du roi. C'est pour éviter que quelqu'un commette une infraction et c'est ce qui en fait une mesure de droit criminel.
Je ne suis pas certain, monsieur Strahl, que vous ayez un lien semblable dans votre mesure législative. Rien n'évoque la possibilité que soit troublée la quiétude du roi—c'est plutôt la quiétude de la reine en cette époque de notre histoire. Rien n'indique que cela met en cause une infraction qui peut être commise, qui a été commise, ou qui risque d'être commise. Il n'y a pas un tel lien avec un comportement criminel, contrairement aux dispositions 810, 810.1, etc.
M. Chuck Strahl: J'aurai des questions à poser aux médecins dans un instant.
Je suis d'accord avec ce que les professionnels de la santé ont dit, à savoir que c'est une occasion rare, un incident rare. Je pense qu'un juge, et encore plus un juge d'une cour supérieure hésitera beaucoup avant de décerner un tel mandat, parce que, j'en suis très conscient, il se traduit par une ingérence très marquée dans la vie privée d'une personne. Mais si l'on peut soutenir que la mesure a des avantages pour une autre personne, sur le plan médical, financier ou psychologique, ne peut-on mettre dans la balance les droits de deux personnes et conclure que le temps est venu d'adopter une telle mesure?
Je pourrais vous citer des dizaines, peut-être des centaines de cas où des professionnels de première ligne ont évoqué les conséquences bouleversantes d'un incident qui a marqué leur vie, quand ils ont été exposés à des liquides organiques de façon suffisamment importante qu'ils craignaient d'avoir été contaminés et que c'était une expérience tellement traumatique que nous devrions intervenir et leur reconnaître certains droits, notamment le droit de savoir si, oui ou non, ils ont effectivement été contaminés par un liquide organique infecté. Est-il possible de soutenir que c'est une question d'équilibre des droits—oui, c'est une intrusion, oui, c'est important, et oui, la situation devrait se produire rarement, mais elle demeure néanmoins possible?
M. Yvan Roy: Ne vous méprenez pas sur mes paroles. Si c'était moi qui avait été impliqué dans un tel incident, je serais vivement intéressé à obtenir toute l'information possible pour savoir si j'ai été infecté. Tous partagent ce sentiment. De ce point de vue, tout ce que nous pouvons faire devrait effectivement être fait. Du point de vue juridique, par contre, la question est de savoir dans quelle mesure ces tests sont fiables, afin d'établir l'équilibre des droits dont vous parlez.
Je devrais peut-être demander à mon ami M. Sankoff, qui est un expert de la charte, de vous en dire un peu plus long sur les droits qu'il faut mettre dans la balance pour qu'un tel recours puisse être disponible à notre avis. Peter.
M. Peter Sankoff (avocat, Section des droits de la personne, ministère de la Justice): Merci.
Je pense que vous avez tout à fait raison, monsieur Strahl, de dire que cela met en cause un équilibre des droits. Toute situation mettant en cause la Charte des droits exige de mettre dans la balance, comme la cour l'a dit, la nature de l'intrusion et, d'autre part, l'intérêt supérieur de l'État.
Dans ce domaine, il y a certains éléments du droit qui sont très clairs. Le premier est que la cour a répété à plus d'une reprise, dernièrement encore dans une affaire appelée R. c. Stillman, que les fouilles corporelles constituent une atteinte à la vie privée qui l'emporte sur toutes les autres. Les juges ont dit que le prélèvement d'un échantillon de sang est une intrusion beaucoup plus grave que la fouille d'un bureau ou même du domicile. Il est clair que pour justifier le prélèvement d'un échantillon de sang, il faut des preuves probantes. Il ne suffit donc pas de chercher à peut-être fournir un renseignement quelconque. La cour a dit de nouveau, dans une affaire appelée R. c. Dyment, que des motifs impérieux doivent présider à une telle intervention.
Je pourrais peut-être attirer votre attention sur le Code criminel, simplement pour vous donner un exemple de ce qui existe actuellement pour le prélèvement d'échantillons de sang. À ma connaissance, il y a deux cas où nous prenons des échantillons de sang. Le premier est lorsqu'il y a possibilité de conduite en état d'ivresse. On prélève un échantillon de sang seulement lorsqu'il n'est pas possible de prendre un échantillon d'haleine. Donc, encore là, il faut qu'il y ait des raisons impérieuses de soupçonner fortement qu'il y a conduite en état d'ébriété; autrement dit, qu'un crime a été commis et qu'il n'y a aucun autre moyen d'en obtenir la preuve.
Il y a toutefois un autre cas qui ressemble davantage à ce que l'on propose ici, bien que je reconnaisse que le crime et la santé sont complètement différents, à savoir la possibilité d'obtenir un échantillon de sang pour une analyse de l'ADN. Je crois qu'il est très intéressant de s'attarder à ceci: l'un des critères pour le prélèvement d'un échantillon en vue de l'analyse de l'ADN est que l'analyse médico-légale de l'ADN fournit un élément de preuve permettant d'établir si les substances corporelles sont associées au crime qui a été commis. Autrement dit, pour pouvoir prélever l'échantillon, il faut des motifs impérieux de croire que l'on obtiendra ainsi les éléments de preuve dont on a besoin. L'un des critères qui, à mes yeux, est intrinsèque pour réaliser un juste équilibre des droits en cause, c'est que l'analyse de l'ADN elle-même permettra d'obtenir une preuve valable.
• 1025
Je ne suis pas médecin ni spécialiste de la question, mais
d'après ce que j'ai entendu le Dr St. John dire, je pense qu'il est
difficile de supposer qu'en pareil cas, vous obtiendrez la preuve
qu'il vous faut. Dans au moins deux des situations qu'il a
décrites, il semble qu'on n'obtienne pas grand-chose en retour de
l'empiétement sur la vie privée. D'après ce que j'ai compris de son
témoignage, dans un cas, il n'y a pas de traitement, et dans le
deuxième cas, il n'est pas nécessaire d'obtenir une analyse
immédiate parce que la plupart des gens sont déjà infectés ou
peuvent l'être. Dans le troisième cas, et je renvoie encore au
témoignage du Dr St. John, il me semble qu'il faut avoir des
preuves solides que l'on obtiendra quelque chose d'égale valeur, en
retour de l'empiétement sur la vie privée. Le comité doit peser le
pour et le contre dans cette situation.
M. Chuck Strahl: Il y a toute une liste de questions médicales que je veux aborder. Peut-être que l'un des médecins pourrait m'expliquer quelque chose. J'ai trouvé un passage intéressant dans un document de l'Association médicale canadienne. En 1998, l'assemblée générale de l'association a adopté une résolution, et je cite:
-
[...] l'AMC recommande que tous les patients qui font l'objet d'un
acte médical quelconque où un travailleur de la santé pourrait être
accidentellement exposé aux liquides organiques du patient soient
tenus de signer une dispense permettant que l'on fasse un test
sérologique pour dépister le VIH et l'hépatite, le cas échéant,
tout en garantissant la confidentialité du dossier médical du
patient.
J'ai ici une foule de déclarations au moment de l'admission, y compris une qui émane du département de médecine de l'Université de l'Alberta. Quiconque est admis à l'hôpital doit signer la déclaration suivante:
-
J'accepte que l'on fasse une analyse sanguine pour déceler la
présence dans mon sang de virus véhiculés par le sang, de
l'hépatite B, de l'hépatite C et du VIH, dans l'éventualité où un
travailleur de la santé est exposé à mon sang ou mes liquides
organiques, pourvu que les résultats [...] soient tenus
confidentiels
Comment se fait-il que les médecins tiennent tellement à avoir cette information si elle n'est d'aucune valeur particulière? Pourquoi les travailleurs de la santé veulent-ils avoir cela dans leur dossier?
Dr Ron St. John: Le risque est élevé dans le cadre hospitalier. Pendant les opérations chirurgicales, le médecin peut se piquer avec une aiguille ou se couper avec son scalpel et il est en contact direct avec les liquides organiques. En même temps, la fréquence du VIH dans le milieu hospitalier est différente de la fréquence du VIH chez des membres du public qui peuvent avoir été blessés dans un accident, en partie parce que les gens malades vont à l'hôpital et que les personnes séropositives sont souvent malades. Par conséquent, l'équation du risque est différente en milieu hospitalier. Il y a un risque élevé d'exposition et beaucoup plus d'agents pathogènes parmi les gens qui sont à l'hôpital.
Je pense que le facteur critique pour décider s'il y a lieu d'utiliser une prophylaxie postérieure à l'exposition pour un agent comme le VIH tient davantage à une analyse critique de l'exposition, plutôt qu'aux résultats d'un test, parce qu'on n'a que deux ou trois heures pour prendre sa décision. Une fois qu'on a décidé d'utiliser les médicaments disponibles, il faut les utiliser pendant environ 12 semaines, parce qu'on ne sait pas si le patient vient tout juste d'être infecté et est en période d'incubation de la maladie. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a une période d'incubation pendant laquelle nos tests ne sont pas fiables et nous ne pouvons souvent même pas détecter que la personne a été infectée. Il faut donc attendre au minimum pendant la durée de cette période. Une fois que vous avez décidé de prendre les médicaments, vous êtes engagé pour une période d'à peu près 12 semaines, peu importe le résultat du test, et c'est une décision que vous devez prendre dans les heures qui suivent.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Strahl.
Monsieur Hoe.
M. David Hoe: Merci.
Votre question m'a frappé, monsieur Strahl, quand vous avez parlé des avantages médicaux, financiers et psychologiques.
Pour revenir à ces politiques de l'Association médicale canadienne et de l'Université de l'Alberta, je ne connais pas bien ces deux politiques, mais je suppose qu'elles s'accompagnent toutes les deux de lignes directrices pour leur mise en oeuvre. Donc, avant que quelqu'un signe une telle dispense permettant que l'on fasse une analyse de son sang, il y aurait un processus en place pour permettre à cette personne d'être informée exactement de ce qu'elle signe. À ce moment-là, la personne pourrait prendre une décision éclairée et c'est un élément clé de ce processus. Mais nous pouvons faire la recherche et vous le laisser savoir.
M. Chuck Strahl: Au sujet de Santé Canada, puisque vous travaillez à Santé Canada, dans un document publié en octobre 1995 et intitulé Relevé des maladies transmissibles au Canada, je lis le passage suivant:
-
Le fait de ne pas prélever un échantillon de sang du patient pour
déceler la présence éventuelle d'anticorps du VIH peut signifier
qu'un travailleur de la santé subit inutilement une période
prolongée d'anxiété, avant que l'on puisse conclure à la suite de
tests sérologiques répétés que le travailleur n'a pas été infecté.
Santé Canada ne dit-il pas dans ce document qu'il est important, pour le travailleur de la santé, d'obtenir du sang du patient pour y déceler la présence éventuelle d'anticorps du VIH? Autrement, ajoute-t-on, le travailleur de la santé subit inutilement une longue période d'anxiété.
Dr Ron St. John: Je n'ai pas abordé la question de l'anxiété. J'ai tenté de me concentrer surtout sur les aspects médicaux de l'infection. Il n'y a pas de doute qu'il y a un élément émotif dans tout ce processus, quelle que soit la maladie en cause. Il y a des façons de gérer cela, comme David l'a souligné, en appliquant nos processus de counselling.
Le résultat du test n'aide pas vraiment à dissiper l'anxiété. Si le résultat est négatif, vous ne savez pas si la personne est dans la période d'incubation. Si le test est positif, vous ne savez pas, du moins à la suite du test de dépistage, si c'est un résultat faussement positif. Même si c'est positif, vous ne savez pas si vous avez été infecté tant que vous n'aurez pas vous-même subi des tests sur une période de trois mois. Par conséquent, à mon avis, la batterie de tests ne permet pas vraiment de dissiper l'angoisse autant que les gens se l'imaginent.
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Ménard.
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Monsieur le président, je compte sur votre aimable collaboration et votre sens de la justice sociale, qui vous a amené à faire une thèse de doctorat sur Karl Marx, pour m'assurer que j'aurai autant de temps que mon prédécesseur.
J'ai cinq questions pour les témoins. D'abord, j'ai une inquiétude face à l'article 5 et plus particulièrement quant au libellé des alinéas 5a) et 5b). Je voudrais demander à M. Roy, qui est une de mes idoles en matière de droit criminel, comme il le sait, si je me trompe quand je dis que ce ne serait pas un libellé facile d'interprétation pour la magistrature et qu'il y aurait même une part d'ambiguïté et de discrétionnaire si le projet de loi était adopté tel que libellé. Il me semble qu'il y a une part de discrétionnaire et d'ambiguïté qui pourrait subsister pour les personnes qui sont autorisées à émettre des mandats ou à en autoriser l'émission. Je poserai mes cinq questions en rafale et on aura l'occasion d'y revenir.
Deuxièmement, je voudrais demander à M. Sankoff de nous faire un petit peu l'état du droit concernant l'obligation de divulguer son état sérologique. Je me rappelle bien toute la controverse qui a eu lieu en septembre 1998, quand la Cour suprême a étudié, dans le cadre de l'arrêt Cuerrier, la possibilité que soit considéré comme voie de fait le fait de ne pas divulguer son statut sérologique dans certaines circonstances. Je me rappelle surtout évidemment la réaction des organismes qui interviennent auprès des personnes séropositives ou atteintes du VIH. On a rappelé à juste titre que, dans notre société, être une personne atteinte ne peut pas être considéré comme quelque chose de criminel.
• 1035
Alors, j'aimerais qu'on précise l'état du droit tel qu'on
pourrait nous en témoigner. Ce serait peut-être
intéressant qu'on ait une
petite synthèse, monsieur le
président. Est-ce que le ministère de la
Justice, un ministère qui aime faire des
synthèses, ne pourrait pas nous produire un petit
document sur les sept ou huit arrêts les plus
importants?
Ma troisième question porte sur le manque d'uniformité. M. Hoe pourrait nous faire un peu l'état de la situation, mais il n'y a pas uniformité d'une province à l'autre quant à l'obligation pour les professionnels de la santé de déclarer qu'une personne est séropositive ou atteinte du sida. Ce n'est pas en toutes circonstances une maladie à déclaration obligatoire dans l'un ou l'autre des cas, et je sais qu'il y a des variations selon les provinces. J'aimerais donc qu'on nous fasse part de l'état de la situation là-dessus. Commençons par ces questions-ci et je reviendrai en poser d'autres.
M. Yvan Roy: J'ai l'impression que c'est moi qui dois répondre à la première. Vous me demandiez si le libellé de l'article 5 pouvait être problématique. Je ne suis pas certain que ce soit le cas. Cet article est rédigé selon la bonne vieille méthode pour les mandats de perquisition, c'est-à-dire que l'on requiert l'existence de motifs raisonnables de croire en un certain nombre de faits précis. En cela, ce n'est pas particulièrement problématique.
Je disais dans mes commentaires d'introduction que ce standard n'est pas aussi élevé que l'est un standard requérant que le juge soit convaincu de certaines choses. Il suffit qu'il y ait des motifs raisonnables de croire en une situation. Mais à proprement parler, à mon avis, ce n'est pas problématique.
Vous me demandiez aussi, monsieur Ménard, s'il est souhaitable qu'il y ait une forme de discrétion. Une question semblable a été présentée devant la Cour suprême en 1992 ou 1993, dans l'affaire Baron. En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, on prévoyait que lorsque le juge était satisfait de certaines choses, il ou elle devait émettre un mandat. La Cour suprême du Canada a dit qu'il fallait laisser une discrétion judiciaire et qu'on ne pouvait pas ordonner l'émission d'un mandat, parce qu'il doit y avoir un équilibre des intérêts, ce qui ne peut se faire que lorsqu'il y a une discrétion résiduelle. Donc, dans le cas de cet article 5, il est, à mon avis, souhaitable qu'il y ait une discrétion judiciaire qui reste en bout de ligne.
[Traduction]
La deuxième question s'adresse à M. Sankoff.
M. Peter Sankoff: Je crois que vous faites allusion à l'affaire R. c. Cuerrier qui porte sur la divulgation. La décision Cuerrier porte sur une situation complètement différente, par exemple dans le cas d'une personne qui commet une agression sexuelle et qui peut avoir transmis le VIH. Je pense que dans cette affaire, la cour a jugé que c'est une circonstance dont on peut tenir compte pour décider si le consentement est valide. Mais quant à forcer quelqu'un à divulguer son état, comme je l'ai dit tout à l'heure, tenter d'imposer un test à quelqu'un pour savoir si cette personne est séropositive soulève une vive controverse. Je le répète, le prélèvement d'un échantillon de sang pour quelque raison que ce soit est extrêmement controversé et il faut qu'il y ait un objectif valable pour justifier le prélèvement et le test.
Il est certain que si l'on imposait à tous les Canadiens de subir un test, on obtiendrait davantage de renseignements. Est-ce justifié dans notre société, compte tenu de ce que j'ai dit tout à l'heure au sujet de l'intrusion extrême dans la vie privée que constitue le prélèvement d'échantillons de sang? Je pense que les tribunaux auraient énormément de difficulté à accepter une telle mesure.
Et j'ajouterais, en me fondant sur ce que le Dr St. John a dit tout à l'heure, qu'il faut encore une fois tenir compte des exigences établies par les tribunaux pour des intrusions de cette nature pour le prélèvement d'échantillons de sang. J'ignore si le prélèvement d'un échantillon de sang dissipe l'anxiété ou non. Je n'en suis pas certain, d'après ce que le Dr St. John a dit. Néanmoins, même si le fait d'atténuer l'anxiété est un objectif valable et louable, fait-il contrepoids à l'intrusion dans la vie privée de quelqu'un que l'on force à donner un échantillon de sang, violant ainsi son intégrité physique d'une manière que les tribunaux ont jugé tellement importante? Je crois que les tribunaux examineraient cet aspect de très près.
[Français]
M. Réal Ménard: J'aimerais qu'on parle un peu de votre réponse. De fait, lorsque j'ai fait allusion à cet arrêt, qui a fait l'objet d'une étude assez exhaustive du Réseau juridique canadien VIH/sida, qui est lui-même financé par Santé Canada, je comprenais bien que c'était dans un contexte substantiellement différent de celui dont on a à traiter aujourd'hui.
• 1040
Mais la question demeure: si on avait à répondre à
cette question de manière assez tranchée, pourrait-on
dire que la jurisprudence existante
nous amène à tirer une conclusion à l'égard de
l'obligation d'une personne de divulguer
son statut sérologique?
Je sais qu'il faut y
mettre des nuances, mais il reste qu'on considère
encore, dans
l'état actuel du droit, que c'est quelque chose qui
relève plutôt des renseignements personnels et
qui pourrait être extrêmement
attentatoire à la vie privée.
Est-ce qu'il existe, au ministère de la Justice, un document des arrêts les plus assimilables aux préoccupations qu'a exprimées notre collègue de l'Alliance canadienne et dont on pourrait prendre connaissance sous forme de résumés d'arrêts? Est-ce que je me trompe quand je conclus que, si les parlementaires adoptaient un projet de loi comme celui-là, on irait beaucoup plus loin en matière d'obligation de divulguer son statut sérologique que l'ensemble des cours canadiennes ne l'ont commandé jusqu'à maintenant, et que cela pourrait poser un précédent pour lequel nous devons réfléchir comme parlementaires?
[Traduction]
M. Yvan Roy: Je pense que vous avez entièrement raison. J'ai mis l'accent principalement sur la question de la sécurité et de l'intégrité du corps humain, mais le respect de la vie privée joue aussi un rôle extrêmement important dans ce dossier et les tribunaux l'ont d'ailleurs signalé. Vous avez tout à fait raison. Dans certaines des affaires dont j'ai fait mention, notamment l'affaire Stillman, les juges ont signalé que l'ingérence de l'État dans l'intégrité du corps d'une personne est une atteinte à la vie privée de cette personne et le fait de tenter d'obtenir ce renseignement de quelqu'un... Vous avez tout à fait raison, à mon avis: la jurisprudence s'applique. Elle protège effectivement notre vie privée.
Je dirais qu'à ce jour, le fait de tenter de forcer quelqu'un à donner ce renseignement est tout à fait sans précédent, quoique cela ait déjà été fait. Comme je l'ai dit, les échantillons d'ADN qui sont prélevés... Encore une fois, si la justification est extrêmement sérieuse, si l'on prélève des échantillons d'ADN d'une personne pour tenter d'établir un lien entre cette personne et un crime, je n'irais pas jusqu'à dire que cela ne peut pas se faire—quoique je devrais peut-être mentionner que la Cour suprême n'a pas été appelée à trancher cette question.
Mais je pense que dans d'autres circonstances, tout au moins pour le prélèvement d'échantillons de sang pour établir si une personne est en état d'ébriété, la cour a décidé que cette façon de faire était acceptable, même si elle révèle certains renseignements personnels. Donc, cela peut se faire, mais je suis d'accord avec vous pour dire que c'est une atteinte extrême à la vie privée d'une personne et que la justification doit être très solide.
[Français]
M. Réal Ménard: Monsieur le président, je poserai une dernière question. Vous avez été pas mal slack avec le témoin précédent, et je compte vraiment sur vous pour que vous fassiez en sorte que le ministère de la Justice nous remette...
[Traduction]
Le président: Je devrai peut-être vous interrompre bientôt, alors allez-y.
[Français]
M. Réal Ménard: Oui. Donc, je souhaite que le ministère de la Justice nous remette les documents pertinents.
Pourriez-vous répondre à ma question concernant la variation qui existe dans les provinces quant à la déclaration obligatoire ou non obligatoire pour le caractère séropositif et pour le sida?
[Traduction]
M. David Hoe: C'est une question controversée qui découle de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Cuerrier. La décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Cuerrier a modifié le paysage juridique dans le dossier de ce que l'on appelle la divulgation de l'état sérologique relativement au VIH. Dans cette décision, la Cour suprême a dit aux gens qui sont séropositifs que, en particulier dans le cas de la transmission du VIH pendant les relations sexuelles, la personne séropositive est tenue de divulguer son état sérologique.
Si elle ne le fait pas—et je m'en remets ici à mes amis juristes—elle commet une fraude et peut donc être inculpée de voies de fait graves.
Les provinces et les territoires réfléchissent actuellement à la manière dont ils vont s'y prendre pour donner suite à cette décision. À l'heure actuelle, on estime que la meilleure solution est de voir comment on peut aider les gens séropositifs à apprendre à vivre avec le VIH, parce que c'est une infection qui dure toute la vie, et de leur donner le counselling nécessaire et le soutien qui permettront à la personne visée de prendre les mesures voulues pour protéger sa santé et celle des autres.
Par conséquent, les provinces et les territoires se penchent sur ce dossier et devront examiner leurs programmes de counselling et de soutien pour aider les gens qui vivent avec le VIH. Comme c'est une infection qui dure toute la vie, il faut que les gens apprennent à gérer cette situation pendant le reste de leur vie.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Merci.
Merci beaucoup pour votre exposé qui a été très utile.
• 1045
L'année dernière, j'ai assisté à la réunion de l'Union
interparlementaire sur le SIDA, tenue sous les auspices de l'ONU,
dans le cadre de laquelle on a tenté de trouver les meilleures
pratiques en matière de législation sur le VIH. Je pense qu'il
s'est dégagé assez clairement un consensus de tous les pays
participants: nous sommes gagnants si nous adoptons face au VIH une
approche fondée sur les droits de la personne, en particulier des
personnes séropositives, par opposition à l'approche traditionnelle
d'hygiène publique. C'est une bien meilleure façon d'envisager la
question.
Je crois bien que j'ai quelques réserves au sujet de ce projet de loi relativement aux éléments que vous avez énoncés, que ce soit pour les victimes d'agression sexuelle ou les professionnels de la santé.
Quand je pratiquais la médecine familiale à l'hôpital Women's College, il nous arrivait à l'occasion de constater qu'un bébé avait été remis à une femme qui n'était pas sa mère, laquelle l'avait allaité pendant une demi-heure avant de se rendre compte que ce n'était pas son bébé. Nous devions alors enclencher toute la procédure relativement au VIH, et je crois que cela se faisait avec énormément de compassion et de façon bénévole, avec la collaboration de tous, peu importe... Les pantoufles Gucci ne faisaient rien à l'affaire; les gens tenaient à passer le test.
Voici ce qui me préoccupe: ce projet de loi a-t-il une valeur quelconque, s'il ne change rien à ce que nous faisons actuellement?
Je pense que vous avez dit très clairement que le résultat d'un test effectué sur l'autre personne ne veut rien dire pour moi, en tant que victime, à moins que je sois testée moi aussi et que je... Voici ce que j'ai compris de ce que j'ai entendu. Supposons que je suis un policier ou un pompier, que je poursuive un fuyard et que je me fasse mordre. J'ai deux heures pour décider si je veux la prophylaxie post-exposition.
Il me faudra quatre ou cinq heures pour avoir le résultat du test. En fait, si la personne en question venait tout juste d'être infectée par le VIH la veille au soir, il peut s'écouler de six à douze semaines avant que le test soit positif de toute façon. Donc a) je n'ai pas le résultat, et b) le résultat peut être faussement négatif de toute façon. Je dois donc décider si je veux la prophylaxie en me fondant sur une foule d'autres facteurs, y compris la perspective de me sentir malade pendant 12 semaines. Le seul renseignement qui est pertinent pour moi n'est pas disponible.
Donc, sur le plan des précautions universelles, ça ne changera rien à ce qui se passe, quoi qu'il arrive. C'est pourquoi je ne vois aucun avantage à ce projet de loi, sinon une sorte de traitement de l'anxiété; or pour moi, le traitement de l'anxiété consiste en du réconfort. Je ne vois pas en quoi le fait de faire tester la personne qui m'a mordue fera la moindre différence pour l'une ou l'autre des décisions que je vais devoir prendre. Cela peut vouloir dire que si j'apprends que le résultat est positif, je voudrai peut-être subir un autre test dans un an simplement pour me rassurer davantage et me convaincre que le résultat était vraiment négatif, mais je ne vois pas...
Pouvez-vous seulement me dire si ma vision des choses est correcte? Par ailleurs, si nous le faisons pour ce groupe de gens, pourquoi ne pas le faire aussi pour les victimes d'agression sexuelle, pour les travailleurs en santé, pour tout le monde, de sorte que cela deviendrait obligatoire?
Dr Ron St. John: Je suis d'accord avec votre analyse.
M. David Hoe: À mon avis, le seul résultat de ce projet de loi sera d'élever le débat. Quant aux scénarios que vous décrivez, la personne qui a été mordue peut maintenant être renseignée et bénéficier d'une discussion sur l'ensemble de la question. Après avoir écouté toutes les interventions, elle peut décider de prendre des médicaments qui sont pénibles, au cas où. Je pense que c'est le seul élément qui se trouve là-dedans.
Mme Carolyn Bennett: Mais ne le faisons-nous pas déjà pour la rage? Comme c'est tellement horrible, nous tenons à trouver le chien et à en avoir le coeur net.
Mais ne devrions-nous pas avoir une telle conversation avec tout être humain qui a été mordu, peu importe que cette mesure législative soit adoptée ou non? Enfin, je veux dire que dans l'intérêt de renseigner le public et de faire des choix éclairés, cette conversation devrait avoir lieu de toute façon avec toute personne qui est dans cette situation, qu'elle soit ou non en uniforme.
M. David Hoe: Je le crois. Si l'on veut aider quelqu'un à prendre la meilleure décision relativement à sa santé, alors c'est la meilleure solution possible.
Mme Carolyn Bennett: Devrait-on en faire plus de façon différente, comme les spécialistes du SIDA à Santé Canada?
M. David Hoe: Pour la rage, je ne sais pas. Je vais laisser au Dr St. John le soin de répondre.
Pour le VIH, nous devons faire encore mieux en matière de counselling. Nous devons apprendre à mieux comprendre l'expérience que vit une personne dans cette situation et à mieux réagir à son anxiété. Avec chaque nouveau cas, nous devons modifier et adapter notre intervention. Cela a toujours été la meilleure façon de réagir et c'est actuellement considéré conforme aux règles de l'art.
M. Peter Sankoff: Pourrais-je ajouter une observation? Il y a d'autres considérations d'ordre pratique qui viennent à l'esprit.
Vous soulevez un point valable au sujet de l'échéancier. Je signale que l'obtention d'un mandat de ce type ne serait pas une procédure rapide et facile. Il est clair, d'après l'article 4, que toutes les parties doivent comparaître devant le juge de paix. Il n'y a aucun doute dans mon esprit qu'une telle procédure ferait appel aux principes de justice naturelle et qu'une personne aurait le droit d'être représentée par un avocat. En fait, il est très probable que les parties auraient ce droit aux termes de la Constitution, ce qui soulève un certain nombre de questions relatives à l'aide juridique.
Il s'agit d'une instance qui n'est pas ex parte et qui vise à l'obtention d'un mandat aux fins de mener une enquête; c'est une procédure très différente de l'enquête prévue au Code criminel, pour laquelle l'audition doit absolument être ex parte parce que la personne visée peut disparaître. Ce n'est pas le cas en l'occurrence. Toutes les parties devront comparaître devant un juge de paix et auront le droit de se faire représenter par un avocat. Ce ne sera donc pas une procédure rapide et facile, pour autant que je puisse voir, de la façon dont c'est rédigé. Je me demande comment concilier cela avec les échéances que l'on a évoquées pour obtenir un renseignement utile.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Strahl, vous avez trois minutes.
M. Chuck Strahl: Oui, je vois. Je viens maintenant de me faire sermonner sur la nouvelle procédure.
Je tiens à contester un instant, ou plutôt à tenter d'apporter des précisions sur la question de la valeur. Comme M. Sankoff l'a dit, ce que nous devrons démontrer, c'est que cette mesure a réellement une certaine valeur ou des avantages. Si nous ne pouvons pas en faire la preuve, ce projet de loi sera sérieusement compromis.
Je ne suis pas médecin, mais d'après les témoignages que j'ai recueillis et les anecdotes qui m'ont été rapportées, par exemple par Mme Anderson, qui se trouve aujourd'hui dans l'auditoire, selon lesquelles les gens tiennent vraiment à connaître les résultats des tests sanguins qu'ils peuvent obtenir, il semble que le test influe sensiblement sur leur décision de continuer ou d'arrêter le traitement.
Je vais vous lire quelques citations. La première est d'un certain Dr Moran, qui a écrit un article dans la revue Annals of Emergency Medicine sur la gestion du sang et des liquides organiques. Je cite:
-
L'analyse sérologique du patient source est le moyen le plus fiable
d'évaluer le risque de transmission d'infections hématogènes. Si
son identité est connue, le patient source doit subir des tests
pour l'hépatite B, les anticorps de l'hépatite C, et les anticorps
du VIH [...] Un résultat négatif est un indicateur fiable de
l'absence d'anticorps du VIH.
J'ai cité tout à l'heure un document de Santé Canada qui dit que lorsqu'il y a exposition importante, la meilleure chose à faire est de faire subir un test à cette personne pour voir si elle a ces infections. Selon le Service canadien du sang, même s'il y a en effet une période d'incubation, comme nous le savons tous, si l'analyse sanguine pour déceler la présence du VIH donne un résultat négatif, selon les statistiques, les chances d'être infecté sont inférieures à une sur 913 000 une fois le test réalisé. Il y a une possibilité, mais après avoir eu un test négatif, la probabilité est quasi littéralement d'une chance sur un million.
Un autre médecin dans une autre affaire criminelle, le Dr Lalonde, qui est un médecin praticien spécialisé dans les maladies infectieuses et professeur agrégé de médecine à McGill, a écrit... Je ne vous lirai pas le passage en entier, mais il conclut en somme que même lorsque le résultat du test de dépistage est négatif, celui-ci est extrêmement fiable. Aux fins de la discussion, il peut être considéré fiable à 100 p. 100, car même s'il y a effectivement possibilité que le sujet soit en période d'incubation, il y a littéralement une chance sur un million que ce soit vraiment le cas.
Il me semble, et je pourrais en donner comme exemple le cas de Mme Anderson, que lorsque quelqu'un doit commencer le traitement tout de suite... Tout le monde le dit. Quiconque se fait piquer par une aiguille ou se fait mordre ou quoi que ce soit, s'il est le moindrement prudent, doit commencer le traitement. Mais le traitement est très sérieux. Certaines personnes doivent s'aliter pendant des semaines. Donc, si elles ont l'avantage de connaître le résultat d'une analyse sanguine...
• 1055
Dans l'affaire de Mme Anderson mettant en cause un agent de
police, une personne a donné un échantillon de sang en échange d'un
hamburger McDonald, rien de plus, parce que c'était un sans-abri
qui réclamait un repas. Le marché a donc été conclu et l'affaire
s'est faite. Le résultat du test a été négatif et la personne a
cessé le traitement, sur la recommandation de son médecin. Ce
dernier a dit que si le test était négatif, oui, c'est vrai, il y
a une période d'incubation, mais les chances que ça arrive...
Premièrement, les chances que vous soyez infecté sont déjà très
faibles parce que c'est une maladie tellement difficile à
transmettre. Mais il a recommandé de cesser le traitement dès
réception d'un résultat négatif. N'attendez pas 12 semaines,
arrêtez après trois ou quatre jours, a-t-il dit, c'est dans votre
intérêt, parce que ce cocktail que vous prenez est en soi une
intrusion dans votre organisme.
N'est-il pas vrai, compte tenu de tout ce que je viens de dire et de la loi des grands nombres, que c'est un énorme avantage de connaître le résultat du test? C'est pourquoi les médecins veulent le savoir à l'hôpital. Je pourrais lire les listes. J'ai ici une liste de tous les hôpitaux qui ont appuyé ce projet de loi parce que les médecins disent que c'est un énorme avantage que de connaître le résultat. Ce n'est pas une garantie absolue, mais le seul fait de savoir est un avantage énorme, car on peut alors adapter le traitement en conséquence. N'est-ce pas très avantageux que d'avoir cette information?
Le président: Merci, monsieur Strahl.
Dr Ron St. John: À mon avis, le meilleur renseignement que l'on puisse avoir concerne la nature de l'exposition. Dans notre document, que vous avez cité et que j'ai en main, ce paragraphe commence par «Lorsqu'il y a exposition importante à du sang...». Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, l'exposition importante signifie qu'il y a eu contact réel avec du sang infecté et possibilité que ce sang infecté pénètre dans l'organisme par une coupure, une perforation de l'épiderme, ou encore à travers une membrane muqueuse. C'est ainsi que l'on peut être infecté. En l'absence de telles conditions, il n'y a pas exposition importante, et en pareil cas, il faut porter un jugement quant à la recommandation que l'on va faire au patient en termes de prophylaxie.
S'il y a exposition importante et que vous puissiez obtenir des détails sur ce qui s'est passé, vous pouvez aussi tenter d'obtenir des renseignements sur la source de l'exposition. La personne en question faisait-elle partie de ce que l'on appelle le groupe à haut risque? Était-ce une personne qui se livre à des comportements à haut risque? Parfois, on peut le déterminer, parfois non. Ces éléments d'informations supplémentaires aident le clinicien à prendre une décision quant à ce qu'il faut recommander à la personne affectée.
Après avoir réuni le plus d'informations possible, il faut examiner les mesures prophylactiques potentielles. La prophylaxie envisagée est-elle toxique? Quels sont les inconvénients? Dans le cas qui nous occupe, c'est très toxique. L'efficacité de cette mesure prophylactique est-elle prouvée? Non, elle ne l'est pas. Contrairement au vaccin contre la rage, contrairement au vaccin contre l'hépatite et la gammaglobuline, ce n'est pas une mesure prophylactique dont l'efficacité est prouvée. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est très difficile à étudier.
Il faut alors tenir compte de tous ces facteurs et tenter d'en arriver à la meilleure recommandation possible. À quoi vous servira un test quand vous avez quelques heures pour vous décider et que vous n'aurez pas les résultats du test avant deux ou trois jours? En quoi cela va-t-il vous aider? Le test va-t-il vraiment vous aider à mettre fin au traitement s'il y a eu exposition à un niveau significatif? Je n'en suis pas certain. Il me faudrait réfléchir longuement à la question et en discuter avec le patient avant de recommander d'y mettre fin.
Une fois que vous croyez avoir des raisons suffisantes de vous lancer dans cette thérapie, dont l'efficacité n'est pas prouvée et qui est fortement toxique, vous êtes mieux d'avoir d'assez bonnes raisons avant d'y mettre fin. Il faudrait des raisons tout aussi valables pour y mettre fin après avoir décidé d'entreprendre la thérapie. Je ne suis pas sûr que le résultat du test vous y aidera.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Saada.
[Français]
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): J'ai deux questions très terre à terre.
Est-ce que j'ai raison de comprendre que les dispositions du projet de loi C-244 vont faire en sorte que, si je suis un criminel ou que je suis soupçonné d'avoir commis un crime, j'aurai une meilleure protection de ma vie privée que si je suis seulement victime d'un accident quelque part? Je parle au niveau de l'intrusion qui consiste à prélever quelque chose en moi pour faire un test.
• 1100
Quand quelqu'un
commet une infraction de conduite avec facultés
affaiblies, il y a un processus. Ce
processus garantit une
certaine protection de la vie privée. Ai-je
raison de comprendre que s'il y avait une espèce de test
automatique qui pouvait se faire selon le processus
prévu dans le projet de loi, il serait plus
facile, dans ce cas, d'obtenir un échantillon de la
victime qu'il ne le serait d'obtenir un échantillon d'une
personne soupçonnée d'avoir commis un crime?
M. Yvan Roy: Je ne suis pas certain que l'on puisse dire que le processus prévu dans le projet de loi C-244 fournit une protection moindre que lors d'une autre forme d'intrusion du même type. Prenons l'exemple de l'ADN. Il faut un mandat d'un juge de la cour provinciale sur la base de motifs raisonnables, si je me souviens bien, et on ne peut utiliser ce test que pour des fins d'identification, ce que le projet de loi prévoit aussi; c'est-à-dire que cette étude ne peut être utilisée que pour déterminer si la personne testée souffre d'une maladie.
Je ne suis pas certain que j'irais jusqu'à dire que la vie privée d'un accusé est mieux protégée que celle d'une victime, monsieur Saada.
M. Jacques Saada: Est-ce vrai même si la question des motifs raisonnables est beaucoup plus difficile à établir dans ce cas qu'elle ne l'est dans le cas d'un acte criminel?
M. Yvan Roy: Lorsque l'on parle d'un acte criminel, il faut établir le lien entre la preuve obtenue de cette manière et l'infraction qui est censée avoir été commise. Ici, vous n'avez rien de tel. Dans ce sens-là, je partage votre point de vue. Si c'est le point que vous vouliez marquer, je suis d'accord avec vous.
M. Jacques Saada: L'autre question est purement statistique. Je pense que c'est le Dr St. John qui avait fait allusion au fait que le pourcentage de la population en général qui est affectée par l'hépatite B est de 0,5 p. 100. Pour l'hépatite C, il est de 0,8 p. 100 et pour le HIV, il est de 0,15 p. 100. D'accord?
Les chances qu'une personne tombant dans l'une de ces catégories se trouve dans une situation où, par exemple, elle reçoit l'aide d'un bon samaritain font que l'échantillon est infiniment plus petit que l'échantillon de gens infectés dans la population en général. Les chances que les circonstances soient telles que cela permette une transmission font que l'échantillon est encore plus petit. D'accord? Or, si on va comme ça tout le long de la chaîne, combien de personnes pourrait-on aider grâce à un projet de loi comme celui-là, concrètement parlant?
[Traduction]
Dr Ron St. John: En l'absence de données, tout ce que je peux dire, c'est que ce serait un très petit nombre de personnes, à mon avis. Vous avez raison de dire qu'il faut tenir compte des probabilités. Ce sont des probabilités. La prévalence d'une maladie représente une probabilité, une moyenne: huit personnes sur 1 000 ont l'hépatite C, et la probabilité que l'une de ces personnes soit blessée dans un accident, et ensuite la probabilité qu'il y ait, pendant qu'on soigne cette personne, exposition importante, et ensuite la probabilité qu'à la suite de cette exposition importante, l'organisme ait été réellement transféré d'un organisme à l'autre et que l'infection soit déclenchée. Toutes ces probabilités se superposent, se multiplient. Si l'on essaie d'établir la probabilité réelle d'être infecté par le virus de l'hépatite B ou de l'hépatite C, on aboutit à une probabilité vraiment très faible.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Saada.
Monsieur Ménard.
[Français]
Une voix: M. Roy voulait dire quelque chose.
Le président: Oui.
[Traduction]
Monsieur Roy. Je suis certain que M. Ménard permettra à son idole de prendre la parole.
M. Yvan Roy: Merci, monsieur le président.
Il me semble avoir entendu le Dr St. John dire qu'il n'y a rien pour l'hépatite C, qu'il n'existe aucun vaccin, ce qui indique qu'il n'y aurait vraiment pas grand-chose à gagner à faire subir un test à une personne pour savoir si elle a l'hépatite C, puisque nous ne pouvons rien faire pour empêcher l'infection. J'en conclus que c'est seulement pour l'hépatite B et le VIH que l'on peut faire quelque chose pour tenter d'empêcher la progression de la maladie.
Le président: Monsieur Ménard.
M. Réal Ménard: J'ai deux courtes questions à poser. J'essaie d'imaginer une situation où un projet de loi comme celui qu'on nous propose pourrait être utile. Le fait que cela s'adresse à un petit nombre de personnes ne constitue pas pour moi un facteur suffisant pour ne pas tenir un vote sur un projet de loi. J'essaie de trouver un cas classique.
Je prends pour exemple le cas d'un policier qui fait une intervention dans un quartier de prostitution d'une grande ville du Canada et qui veut maîtriser une personne. Disons que cette personne le morde lors de l'altercation et qu'on ait des raisons de croire que cette personne est infectée et qu'elle a infecté le policier. Une situation comme celle-là, dans le cadre d'une intervention policière, est plausible. C'est un exemple qu'on pourrait prendre en considération comme législateurs. Êtes-vous d'accord là-dessus?
Ma deuxième question est d'ordre juridique. Au niveau de la Charte canadienne des droits et libertés, qu'est-ce que l'on peut appréhender comme contestation, et en vertu de quel article?
Commençons par le sang et finissons par le bon sens.
[Traduction]
Dr Ron St. John: Je peux répondre à la question sur le policier qui s'est fait mordre dans un secteur à risque élevé. Ma façon de voir les choses, c'est qu'il y a eu exposition importante, à cause de la morsure. La peau a été perforée et un liquide organique, la salive, a été injecté dans la plaie.
La deuxième partie de l'analyse de la situation consiste à examiner le cas de la personne qui a mordu l'autre pour s'apercevoir que c'est peut-être une personne qui, par définition, en raison de son comportement—injection de drogues intraveineuses, prostitution, etc.—a un risque élevé d'être infectée. Cela change toute l'équation. La prévalence de la maladie est beaucoup plus forte que dans la population dans son ensemble et il y a blessure notable.
À ce moment-là, je pense que nous avons suffisamment d'éléments de preuve pour recommander que la personne commence tout de suite la prophylaxie en prenant ces médicaments. Là encore, je n'ai pas besoin d'un test pour m'apprendre cela.
M. David Hoe: Je serai très bref.
Je vais répondre à votre question, monsieur Ménard, au sujet de l'urgence dans le cas d'une personne qui a peut-être été infectée. Je pense que les provinces et les territoires assument une certaine responsabilité à cet égard. Dans le cas du personnel des salles d'urgence, il existe un protocole en vertu duquel les employés doivent obtenir du counselling et avoir accès à la prophylaxie, au besoin. Je ne suis pas certain qu'une disposition législative soit la meilleure façon d'aider la personne potentiellement infectée.
[Français]
M. Yvan Roy: Monsieur Ménard, pour ce qui est des articles de la Charte canadienne des droits et libertés qui pourraient être invoqués pour s'opposer à un projet de loi comme celui-là, les deux articles qui viennent à l'esprit sont les articles 7 et 8. L'article 7 stipule que nous avons tous le droit à la sécurité de notre personne et qu'on ne peut y porter atteinte qu'en conformité des principes de justice fondamentale. L'article 8, lui, porte sur le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, ce qui a été établi par la Cour suprême comme étant essentiellement le droit à la vie privée.
Comme M. Sankoff l'indiquait, la Cour suprême et nos tribunaux ont reconnu une très haute expectative de vie privée lorsque l'on parle de l'intégrité du corps humain. Évidemment, l'expectative peut varier selon les situations, mais l'habitation a toujours bénéficié d'une telle protection et il semble se dégager de la jurisprudence que le corps humain va bénéficier d'une protection encore plus élevée. Donc, si vous portez atteinte à cette expectative de vie privée, à cette protection contre les fouilles abusives, vous devez avoir une justification qui est à la même hauteur, d'où la difficulté de procéder à une saisie comme celle-là lorsque les bénéfices sont un peu incertains ou ne sont pas à la hauteur de l'intrusion.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Ménard.
Monsieur Strahl.
M. Chuck Strahl: Je veux seulement revenir sur deux ou trois points.
J'ai des lettres d'appui à ce projet de loi du Syndicat des employés du solliciteur général et de l'Association canadienne des policiers, et les deux organisations invoquent l'argument qu'à l'instar des médecins dans une salle d'urgence, leurs membres sont eux aussi exposés à un risque beaucoup plus élevé—je ne dirais peut-être pas d'infection, mais à coup sûr d'exposition—que le citoyen moyen. J'en reviens à ce que l'on a dit tout à l'heure, quand vous avez demandé pourquoi on devrait choisir certaines personnes au lieu d'englober toute la population.
Il me semble qu'en fin de compte, dans cette affaire, il faudra en revenir à la notion de probabilité. On ne peut pas dire qu'il suffit de faire passer le test à 33 millions de personnes. Aucun chiffre, aucune moyenne ne permet de dire que ce serait raisonnable. Mais il me semble que l'Association canadienne des policiers et le Syndicat des employés du solliciteur général invoquent l'argument suivant: dans le cadre de leur travail, à l'emploi du gouvernement fédéral, ils sont souvent appelés à appliquer des lois fédérales, ce qui les met dans des situations où ils sont exposés à un risque élevé de diverses situations, notamment blessures avec perforation, morsures, échanges de liquides organiques, ce qui est très grave car ils sont fréquemment en contact avec un sous-groupe de population à risque élevé. Ces gens-là demandent une certaine protection ou une aide quelconque pour savoir quand il convient de subir un traitement, et jusqu'à quel point.
Je pense que personne ne conteste que le traitement sera souvent administré de toute façon; c'est souvent affaire de choix personnel et les gens doivent décider s'ils veulent continuer pendant 12 semaines ou arrêter. De toute évidence, la prévention et l'éducation sont également des éléments clés.
Mais dans certains cas limités, les gens disent simplement «Je suis policier et je patrouille l'est de Vancouver, où le taux d'infection parmi la population que je côtoie est astronomique en comparaison du grand public. Voilà mon problème. Alors quand je vais prendre un type par le bras et que je me fais piquer par une aiguille, même si j'ai tenté de prendre toutes les précautions, même si j'ai fait tout ce que je pouvais, je me rends bien compte que j'ai affaire à un utilisateur de drogues injectables dans un secteur de la Colombie-Britannique où le taux d'infection est le plus élevé au Canada. Je veux seulement savoir, et cela m'aidera à prendre des décisions concernant ma santé, parce que ce que j'essaie de faire, c'est appliquer la loi, protéger la société et faire respecter des lois fédérales, sauver des vies et fournir un service à tous les Canadiens.»
Il me semble que c'est un groupe qui a besoin d'un traitement spécial. J'ai identifié seulement certains groupes. Je suppose que la liste pourrait être plus longue ou plus courte. Mais c'est une tentative sincère d'offrir un certain degré de sécurité à ces gens-là qui font partie de ce groupe à risque élevé.
S'ils sont victimes d'intrusion du genre de celle dont on parle, n'est-il pas vrai que ces agents de police ont au moins autant de chances de contracter une maladie que quelqu'un qui travaille dans un hôpital? N'est-il pas compréhensible qu'un policier qui patrouille le secteur est du centre-ville de Vancouver soit assez inquiet à ce sujet?
M. David Hoe: Absolument. La prévalence de l'infection au VIH est certainement plus élevée dans le secteur est du centre-ville de Vancouver. Nous le savons, à cause du grand nombre d'utilisateurs de drogues injectables qui habitent ce quartier.
L'agent de police ou le personnel des salles d'urgence peuvent-ils être mieux informés sur la probabilité d'avoir été infectés, et y a-t-il moyen de le faire? Si je comprends bien, c'est là que vous voulez en venir avec votre question. Compte tenu des éléments de preuve que nous avons actuellement, je pense que le meilleur moyen de le faire est d'avoir une discussion avec cette personne et de reconnaître la prévalence du VIH ou d'autres maladies dans le secteur visé. Il faut dire à la personne que la probabilité est plus grande que si elle se promenait à la campagne, et lui dire que, compte tenu de toutes les variables, il pourrait être nécessaire, avec son consentement, de lui faire suivre un traitement contre l'une ou l'autre de ces maladies.
• 1115
Je pense que la meilleure décision à prendre, après tout cela,
serait d'accepter de subir un test de dépistage, afin d'avoir
confirmation dans un sens ou dans l'autre. Si l'information que
l'on pouvait obtenir en faisant subir un test à quelqu'un d'autre
était suffisante pour aider le personnel de l'urgence à prendre une
décision, alors ce serait une autre histoire. Mais pour donner la
meilleure aide possible à cette personne à ce moment précis, les
intervenants doivent être renseignés sur l'évaluation qui a été
faite de la prévalence de la maladie à cet endroit précis, et sur
les options de traitement ou les interventions qui s'offrent à la
personne vivant cette situation.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett: Pour donner suite à l'argument de M. Strahl—peut-être les juristes devront-ils répondre à cette question. Si l'on faisait cela pour le policier dans cette situation, quels seraient les droits de l'infirmier qui a immobilisé cette personne, ou des professionnels de la santé, lesquels ne bénéficieraient pas de ces droits si cette mesure législative assez limitée était adoptée... Ou le simple citoyen qui a également donné la chasse à un suspect et qui s'est retrouvé dans la même situation?
M. Yvan Roy: Je comprends certainement l'argument de M. Strahl, quand il dit qu'il vise avec son projet de loi à établir une certaine proportionnalité. Ces gens-là sont dans une situation où ils subissent des risques plus élevés, et ils doivent par conséquent être «protégés». Je ne suis pas certain que cette question puisse donner lieu à d'autres contestations aux termes de la Charte—par exemple aux termes de l'article 15 interdisant la discrimination. Je ne pense pas que ce soit en cause. Peut-être que Peter ne sera pas d'accord avec moi, mais je pense que nous sommes d'accord là-dessus.
M. Peter Sankoff: De mon point de vue, le fait de limiter la portée du projet de loi est simplement une question de politiques—lesquelles on veut protéger et lesquelles on veut exclure. Je n'ai aucune opinion dans un sens ou dans l'autre quant à savoir qui doit être inclus ou exclus. Je comprends certes votre argument, à savoir que certaines personnes en bénéficieront et d'autres pas. C'est une question que vous devez aborder sous l'angle de la politique, mais je ne vois pas que cela puisse donner lieu à des contestations aux termes de la Charte.
Le président: Merci beaucoup.
Y a-t-il d'autres questions?
M. Chuck Strahl: On en revient toujours au fait qu'un grand nombre d'hôpitaux, d'associations de travailleurs paramédicaux, de pompiers, de policiers, d'employés du solliciteur général disent tous qu'ils veulent ce projet de loi parce qu'ils estiment qu'il leur donnerait une information importante et utile.
Un grand nombre de spécialistes de la santé disent également que l'on ne peut jamais savoir à 100 p. 100 à cause de la période d'incubation. Mais compte tenu de la loi des grands nombres, quand on a le résultat d'un test, d'une analyse sanguine, étant donné que le sujet a un risque très faible de toute façon, et que l'intrusion doit être d'une certaine ampleur pour qu'il y ait probabilité sensible d'infection, et que le test est négatif, le médecin peut recommander un traitement différent, en fonction de tous ces facteurs.
Tout est affaire de degré. Il y a une différence entre «du sang s'est répandu sur ma main, mais c'est pas grave, ma peau me protège», et quelqu'un qui dit «j'ai les mains gercées, avec des plaies ouvertes, et j'ai été exposé de façon prolongée, pendant une heure, alors que je fermais l'artère carotide d'un blessé». C'est un degré différent d'exposition.
Ce n'est pas la panacée universelle, c'est seulement un renseignement qu'il est très utile d'avoir pour aider à la fois le médecin et le patient, collectivement, à s'entendre sur le type de traitement qui convient dans les circonstances. Je dis cela à cause de l'adolescent de ma circonscription qui est à l'origine de ce projet de loi. Il a 17 ans et a subi le traitement en entier, pendant 12 semaines. Il ne sait toujours pas si la personne dont le sang l'a aspergé avait ou non le VIH. Mais il n'avait aucun réconfort—et ce n'est pas seulement une question de réconfort; cela a influé sur son traitement, parce qu'il s'est dit: «Eh bien, je dois y aller, je n'ai pas le choix, parce que je n'ai aucune autre source d'information. Je dois prendre ma décision de façon aléatoire.» Mais quand on possède ce renseignement—et il n'y a qu'une chance sur une million que le renseignement soit faux—c'est un renseignement immensément utile.
• 1120
C'est pourquoi les médecins disent: «J'aimerais le savoir,
mais je suivrais peut-être quand même le traitement». Mais,
Seigneur, quelle différence pour ceux qui disent: «Tous les
facteurs sont en place dans mon cas—le type de blessure, le type
d'injection ou de contamination, la durée de l'exposition, les
conseils de mon médecin, et le résultat négatif du test—et tout
cela, collectivement, fera une différence quant au traitement que
je vais subir et tout le reste, par exemple le degré d'intimité
dans mes relations avec mon conjoint et ma famille».
Je sais que l'on parlait seulement d'anxiété, mais je dirais que c'est plutôt une question de santé mentale, pas seulement d'anxiété. Ces personnes subissent le même traumatisme que tous les patients qui contractent le VIH. Au début, ils s'interrogent: «Et si je l'avais?» Ensuite: «Devrais-je avoir des relations avec mon conjoint?» Toutes ces questions leur passent par la tête, et un simple test sanguin peut les dissiper—pas entièrement, mais cela aide. J'ignore si c'est à nous de poser la question.
Ce sont là des anecdotes que j'ai entendues de la part de centaines de gens qui ont communiqué avec moi et m'ont dit: «Si seulement j'avais su, cela aurait influé sur le traitement que je me suis forcé à subir». Qu'ils aient raison ou qu'ils aient tort, c'est un fait que l'obtention de ce renseignement aurait fait une différence.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Strahl.
Quelqu'un veut-il répondre? Dans la négative, je remercie beaucoup les témoins d'avoir été présents ici aujourd'hui.
Je demanderais aux membres du comité de rester pendant quelques instants. Je voudrais faire le point, à l'intention des membres du comité, sur les travaux qui nous attendent pour le reste de la semaine. Nous étudierons encore ce projet de loi demain après-midi, comme vous le savez. Ensuite, le Sous-comité sur le crime organisé se réunira de nouveau jeudi après-midi.
Pour votre lecture de chevet pendant l'été, le comité est actuellement saisi du projet de loi C-3, qui nous a été renvoyé en novembre 1999. Nous avons le projet de loi C-244, que nous étudions aujourd'hui. Nous avons le projet de loi C-223, pour lequel nous avons déjà entendu le premier témoin; il s'agit de la Loi sur le programme de protection des témoins, c'est-à-dire le projet de loi d'initiative parlementaire de Jay Hill. Par ailleurs, le projet de loi C-17, sur la cruauté envers les animaux, en est à l'étape de la première lecture à la Chambre. Nous avons aussi le projet de loi C-36, qui traite du harcèlement criminel et de la violation de domicile.
Nous pourrions par ailleurs entreprendre deux études, simplement parce que nous ne sommes pas très occupés. Il y a l'étude, prévue par la loi, des dispositions du Code criminel sur les troubles mentaux—nous savons tous que cette question est portée à notre attention de temps à autre—et les dispositions du Code criminel sur les condamnations avec sursis, en plus de nos travaux sur le crime organisé qui, j'en suis certain, prendront beaucoup d'ampleur.
Je lance tout cela simplement pour que chacun sache à quoi s'attendre à notre retour.
Une voix: Simplement pour gâcher notre été.
Le président: Oui. Quoi qu'il en soit, nous nous reverrons tous demain après-midi.
La séance est levée.