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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 23 mars 2000

• 0939

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Chers collègues, nous entamons aujourd'hui la deuxième de nos audiences sur la question des sanctions contre l'Iraq. Nous accueillons aujourd'hui divers experts, et je crois qu'ils ont des points de vue divergents sur ces sanctions, leur utilité et leur fonctionnement. Je vais leur demander de bien vouloir faire leurs interventions dans l'ordre où ils figurent sur notre ordre du jour.

Si vous avez eu l'obligeance de préparer un texte écrit, ne le lisez pas s'il vous plaît. Nous avons déjà le texte. Je vous demanderais aussi de vous limiter à 10 minutes car vous êtes assez nombreux. Vous constaterez que ce qui est le plus intéressant, c'est la discussion avec les membres du comité car vous pouvez alors développer votre point de vue. Si quelqu'un parle pendant 20 minutes, personne ne peut lui poser de questions et il n'y a pas vraiment de débat. J'essaie donc de limiter vos exposés à 10 minutes pour que nous puissions ensuite poser des questions.

• 0940

Merci à tous d'être venus nous rencontrer. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir nous présenter votre point de vue.

Je vais inviter M. Cleminson, ancien commissaire à la CSNU, à commencer.

M. Ron Cleminson (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président, de m'avoir permis de comparaître aujourd'hui. Je le fais en tant que simple citoyen, mais je m'appuie sur d'assez bonnes connaissances sur l'Iraq et le Moyen- Orient que j'ai accumulées pendant 30 ans. Ce que j'ai constaté, c'est que ces régions sont très mal connues. Je veux donc vous prévenir que c'est dans cette optique que je m'adresse à vous, bien que j'aie aussi travaillé en collaboration avec la Commission spéciale des Nations Unies et le groupe chargé d'évaluer cette commission. Le secrétaire général m'a aussi confié récemment une affectation auprès de la nouvelle organisation.

Je voudrais dire trois choses. Je vous ai distribué un très court exposé. J'espère qu'il contient les informations dont vous avez besoin. Je voudrais simplement faire ressortir trois points.

Tout d'abord, les sanctions n'ont pas été imposées par le Conseil de sécurité en 1991 à la légère ou par pure méchanceté. Elles ont été imposées après une évaluation très soigneuse du problème et des réponses à y apporter. Je crois personnellement qu'en 1991, personne ne pensait que ces sanctions demeureraient en vigueur pendant huit ans. Comme je le dis dans mon document, je crois que la plupart des gens pensaient qu'elles dureraient peut-être dix-huit mois ou deux ans, car tout le monde était convaincu que les autorités iraquiennes coopéreraient pleinement pour pouvoir revenir à la normale et reprendre la production de pétrole. Pourtant, ce n'est toujours pas le cas huit ans après.

Je précise aussi qu'au cours de cette période, le Conseil de sécurité a reçu les rapports et les a acceptés à l'unanimité. Ce n'est qu'au cours des 15 à 24 derniers mois que des divergences sont apparues au sein du Conseil de sécurité.

En deuxième lieu, je souhaiterais dire que durant l'intérim, durant les 15 mois qui se sont écoulés depuis que les inspecteurs ont dû quitter l'Iraq, il y a eu beaucoup de communications entre le Conseil de sécurité et le gouvernement iraquien ainsi qu'entre les membres du Conseil de sécurité eux-mêmes. À la suite de ces consultations, le Conseil de sécurité a créé un groupe d'experts. En fait, il a mis sur pied trois groupes d'experts, mais celui auquel je participais s'occupait du désarmement et du contrôle des armes.

N'oublions pas le rôle que le Canada a joué dans la constitution de ces groupes d'experts. C'est l'ambassadeur Fowler, avec l'appui de ses collaborateurs à New York et ici à Ottawa, qui a présenté cette proposition. Les groupes d'experts ont ensuite été présidés par le Brésil.

Ces groupes d'experts n'ont pas cherché à savoir qui avait tort et qui avait raison. Il est certain que les Nations Unies ont créé leurs propres problèmes et que la CSNU s'est créé ses propres problèmes aussi. Après tout, il y avait plus de 3 000 inspecteurs, et il est bien évident qu'avec un nombre pareil, il faut s'attendre à ce que certains ne soient pas tout à fait à la hauteur et à ce que d'autres au contraire soient supérieurs à la norme. En conséquence, il y a eu la résolution 1284 du Conseil de sécurité en 1999, une résolution qui englobe tout.

Ce qui m'intéresse, c'est la constitution de la nouvelle organisation, la COCOVINU, et la nomination de M. Hans Blix. J'espère que les parlementaires reconnaîtront qu'il était essentiel d'avoir quelqu'un comme M. Blix, quelqu'un d'extrêmement talentueux qui a été secrétaire général de l'AIEA pendant 12 ans, qui a énormément participé à tout le processus depuis le début... Certes, leur façon de travailler était un peu différente de celle la CSNU, mais c'est simplement parce qu'ils s'occupaient de systèmes d'armes différents.

• 0945

Ma troisième remarque est la suivante: Il est inutile de se tourner vers le passé et d'essayer de trouver des coupables. Ce qu'il faut faire maintenant, c'est lire cette résolution pour comprendre ce que souhaite réaliser le Conseil de sécurité, bien comprendre que le Conseil de sécurité a adopté cette résolution sans opposition, ce qui ne veut cependant pas dire naturellement qu'il y a eu consensus. Il reste que les 15 membres du Conseil de sécurité ont accepté cette résolution et que des membres de chacun des pays du P-5 ont été nommés à la COCOVINU.

Nous avons donc les moyens de trouver une solution au problème, mais tout dépend de l'attitude des autorités iraquiennes face à cette résolution. Le Conseil de sécurité a fait un très grand pas. Il a ouvert une nouvelle voie à un accord. J'estime personnellement, et c'est encore une fois très subjectif, que si l'Iraq coopérait pleinement, il faudrait 18 ou 24 mois pour que cette résolution soit pleinement respectée à l'avenir.

Je recommande aux parlementaires que vous êtes de suivre très soigneusement l'évolution de cette situation et d'appuyer pleinement cette initiative. Je ne saurais dire suffisamment que cette résolution est à maints égards un dernier recours et la meilleure solution possible. J'ai une grande confiance en M. Blix. Je l'ai vu travailler pendant très longtemps. C'est un homme d'une intégrité totale, axé sur l'action. J'espère que nous allons donc saisir cette occasion de régler le problème.

Nous allons certainement discuter de préoccupations humanitaires ce matin, et ce sont des préoccupations importantes certes, mais je voudrais que vous compreniez bien que les sanctions ont été imposées aussi pour d'autres raisons, et je ne vais en mentionner que trois.

Il y a tout d'abord la stabilité régionale. Les Iraquiens sont en guerre depuis près de 20 ans, si vous incluez les 10 dernières années qui n'ont pas vraiment été des années de paix pour eux. Il y a eu la guerre avec l'Iran, puis l'invasion du Koweit, et l'incendie des champs pétrolifères. Depuis 10 ans, on s'efforce de remédier à tout cela et de tourner la page.

Les sanctions sont aussi liées à la sécurité internationale. Je suis sûr que d'autres personnes vont parler du pétrole et je ne vais donc pas le faire; je me contenterai de dire que puisque nous parlons d'armes de destruction massive—et c'est le seul aspect de la CSNU qu'examine l'AIEA, les armes de destruction massive—si ces programmes ne sont pas opérationnels, si on les abandonne, si on renonce à ces armes—et je crois qu'on y a renoncé—c'est très grave pour la sécurité internationale.

Enfin, il y a l'argument de la non-prolifération. Je sais que le gouvernement canadien a fait de la non-prolifération sa priorité numéro un. Le Conseil de l'Atlantique Nord le reconnaît aussi. En 1992, le Conseil de sécurité, présidé par le Royaume-Uni, a décrété que la non-prolifération était la question la plus importante en matière de sécurité internationale.

Je dirais donc que nous avons là pratiquement une étude de cas. Peut-on s'assurer que ces programmes fonctionnent? J'invite fortement les députés à s'intéresser de près à cette question, à appuyer l'initiative du Conseil de sécurité, à reconnaître le rôle qu'ont joué le groupe canadien et les Nations Unies pour nous amener à la situation présente, et à donner leur appui entier à toute cette activité.

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Cleminson. C'est très utile.

Nous passons maintenant à Mme Morgan, porte-parole de la Campagne pour mettre fin aux sanctions contre le peuple iraquien.

Mme Linda Morgan (porte-parole, Campagne pour mettre fin aux sanctions contre le peuple iraquien): Monsieur Graham, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de tenir cette audience sur le problème important et urgent que pose la politique de notre gouvernement à l'égard de l'Iraq.

Je sais que vous avez entendu et que vous allez encore entendre de nombreux témoins experts. Je sais aussi que vous avez pris connaissance de nombreux rapports tels que les récents rapports de l'UNICEF ou de la Croix-Rouge, mais j'aimerais vous parler de notre propre expérience et de nos préoccupations.

• 0950

La Campagne pour mettre fin aux sanctions contre le peuple iraquien est un groupe de citoyens de Vancouver appuyé par de nombreux groupes pacifistes. Nous avons créé ce groupe en novembre 1997 quand nous avons appris que 4 500 enfants mouraient chaque mois à cause des sanctions imposées par les États-Unis et l'ONU. Nous estimions impensable qu'une politique puisse cautionner la mort de 4 500 enfants par mois. Nous avons été scandalisés et épouvantés d'apprendre que notre gouvernement appuyait une telle politique.

La Campagne pour mettre fin aux sanctions contre le peuple iraquien—CESAPI—cherche depuis à sensibiliser la population aux ravages que font les sanctions dans la population iraquienne. En avril dernier, sept membres de la CESAPI sont allés en Iraq, et nous avons pu constater de nos propres yeux les effets de ces sanctions inhumaines. Nous avons entendu de nombreux témoignages déchirants.

Nous avons appris que l'Iraq avait auparavant un régime d'éducation gratuite et obligatoire jusqu'au niveau universitaire, qui était de très grande valeur. Au lieu de cela, nous avons vu de nombreux enfants qui traînaient dans les rues. Ils mendiaient, ils essayaient de vendre diverses choses, ils se jetaient devant les voitures pour essayer de vendre ce qu'ils avaient aux conducteurs. Ces enfants devraient être à l'école. Quant à ceux qui y étaient, ils n'avaient pas grand-chose. Depuis 10 ans, on les empêche d'avoir des pupitres et du bois pour fabriquer des pupitres. Il n'y a plus beaucoup de fournitures scolaires non plus.

Hans von Sponeck a dit à notre délégation qu'il craignait que ce soit un véritable génocide culturel qui se produise actuellement en Iraq. Les privations dont souffrent les jeunes, et qui les empêchent de devenir des citoyens responsables, sont inquiétantes pour l'avenir.

On nous a aussi dit que l'Iraq avait autrefois des hôpitaux de haut niveau et un régime médical universel analogue au nôtre, alors que les hôpitaux actuels semblent sortis du tiers monde. Les toits fuient, le matériel est vieux et se détériore, les intérieurs sont décrépits, et il n'y a plus de moustiquaires aux fenêtres, de sorte que les mouches envahissent les salles.

Nous avons vu cette petite fille que vous voyez sur la photo ici. Elle s'appelle Ahiam. Elle a 19 mois. On ne le voit pas sur cette photo mais elle n'avait pas la force de s'asseoir; elle était sous-alimentée et avait manifestement la diarrhée. Son père, qui était assis à côté d'elle, était démoralisé et n'avait même pas eu le courage de changer sa couche, de sorte que tout le bas de son corps était couvert de mouches. Vous voyez une de ces mouches qui s'est posée sur sa figure.

Il ne reste plus beaucoup d'infirmières ou d'infirmiers en Iraq. Le gouvernement n'a plus les moyens de leur payer un salaire décent. Beaucoup de ces infirmières venaient des Philippines et y sont reparties.

On nous a dit qu'une délégation canadienne était allée en Iraq en novembre et qu'au retour quelqu'un avait dit qu'il n'y avait pas de problème, que les magasins d'alimentation regorgeaient de denrées. C'est vrai. Il y a beaucoup d'aliments en vente au marché noir, mais l'Iraquien moyen n'a pas les moyens de l'acheter. Avant les sanctions, le dollar iraquien valait 3 $ américains. Maintenant, un billet de 250 dinars ne vaut plus que 12.

Sur le marché noir, on trouve le même genre de produits alimentaires que chez nous. En fait, cette alimentation était bon marché avant les sanctions. Mais si un médecin ne gagne que 5 $ par mois, et le citoyen 2 $ à 3 $ par mois, ils n'ont pas les moyens de s'acheter des oranges à 50 le kilo par exemple.

Il y a donc beaucoup de malnutrition, et les mères sous- alimentées donnent naissance à des bébés sous-alimentés. Nous l'avons constaté cette année dans les maternités de Basra. De nombreux enfants ressemblent à celui que vous voyez sur cette photo. Vingt-cinq pour cent des enfants qui naissent ont une insuffisance pondérale. Avant les sanctions, il n'y en avait que 4 p. 100. C'est scandaleux—à la fin des années 80, on nous disait que le plus gros problème que posaient les enfants aux médecins iraquiens, c'était l'obésité.

• 0955

La douleur des Iraquiens est sans bornes. Quand nous étions là-bas, dans un des hôpitaux, cette petite fille est morte. Voici son certificat de décès. Elle avait deux ans seulement, elle est morte parce que les médecins ne pouvaient pas se procurer un bout de tube qui vaut 50 à cause des sanctions. Quand son père est parti, il s'est retourné vers nous en nous disant: «C'est à cause de vous».

Mais quand nous faisons part au gouvernement de la détresse que nous inspirent les ravages de ces sanctions, les hauts fonctionnaires nous disent qu'ils estiment que c'est la faute du gouvernement iraquien et ils soulignent les différences de situations entre le nord et le sud de l'Iraq. Ce n'est pas la même version que nous avons entendue de la bouche des représentants de l'ONU ou des ONG là-bas. On nous a dit que le gouvernement iraquien faisait son possible, mais qu'il n'avait pas d'argent. Hans von Sponeck, qui est l'ancien coordonnateur des opérations humanitaires en Iraq... C'est le deuxième qui a démissionné. Denis Halliday, qui est ici, a aussi démissionné, vous le savez. Tous deux ont mis fin à des carrières d'au moins 34 ans à l'ONU à cause de cette situation.

Hans von Sponeck nous a expliqué que la situation dans le Nord était nettement meilleure pour toutes sortes de raisons. D'une part, les revenus par habitant de la formule «pétrole contre nourriture» y sont plus élevés. Il y a plus d'ONG qui s'occupent de distribuer l'aide humanitaire dans cette région. L'ONU y a plus de véhicules à sa disposition—l'Iraq en manque et il a du mal à trouver des pièces détachées pour réparer ceux qu'il a conservés. En outre, il y a une économie de marché. C'est une région proche de la Turquie, il y a des denrées qui entrent dans le pays et des échanges commerciaux.

Mais même dans ces conditions, la situation du Nord n'est pas aussi prospère qu'autrefois. Deux des membres de la CESAPI sont kurdes. Ils viennent tous deux du village de Halabja, un village sur lequel Saddam Hussein avait fait déverser des bombes chimiques. Évidemment, les habitants de ce village ne portent pas Saddam Hussein dans leur coeur car il a tué beaucoup de leurs parents. Mais juste avant que notre délégation parte en Iraq, l'un d'entre eux a dit lors d'une réunion publique qu'avant les sanctions les gens avaient de quoi se nourrir, avaient des chaussures et avaient une bonne éducation. Maintenant, ils n'ont plus rien de tout cela. Par conséquent, s'il devait choisir entre les sanctions et la protection imposées par les États-Unis et Saddam Hussein, il choisirait Saddam Hussein.

On nous dit que la résolution 1284 va régler ce problème et permettre la levée des sanctions. Nous estimons en fait que si l'on pouvait rédiger un document qui permettrait de prolonger indéfiniment les sanctions en accusant le gouvernement iraquien d'en être la cause, la résolution 1284 serait certainement le coup fourré diplomatique le plus remarquable pour y parvenir.

La résolution demande que la COCOVINU atteste que l'Iraq ne possède pas d'armes de destruction massive ni n'a la capacité de les produire. Ce genre de vérification constitue un objectif inatteignable. Le gouvernement canadien l'a reconnu en mai 1999 lorsqu'il a proposé de ne plus faire de la vérification une condition préalable à la levée des sanctions. La résolution 1284 ne constitue donc pas une solution au problème qui se pose puisqu'il est impossible de vérifier la non-existence d'armes de destruction massive ou de la capacité de les produire.

On ne peut cependant trop insister sur la situation critique dans laquelle se trouve le peuple iraquien. Les sanctions ont entraîné la mort de plus d'un million de personnes et ont imposé de grandes souffrances à un nombre encore plus élevé de gens. Le comité doit accorder la priorité à cette question et non pas concentrer son attention sur la question hypothétique de savoir s'il n'existe pas en Iraq deux ou trois missiles qui risqueraient de tuer quelques gens. Les sanctions tuent 200 ou 300 Iraquiens chaque jour. En outre, les Américains et les Britanniques continuent de terroriser et de tuer des Iraquiens dans les zones d'exclusion aériennes.

Nous pressons le comité de recommander au gouvernement d'appuyer la levée immédiate et inconditionnelle des sanctions et de se dissocier de cette politique de génocide en se joignant à la France, à la Russie et à la Chine pour réclamer publiquement la levée immédiate des sanctions. En outre, nous espérons que le comité conseillera au gouvernement libéral de collaborer avec les Nations Unies afin d'obtenir l'arrêt immédiat des sorties illégales des Américains et des Britanniques dans les zones d'exclusion aériennes et de contribuer aux efforts en vue de réparer les dommages que les sanctions ont causés à l'Iraq et à sa population.

• 1000

Merci.

Le président: Je vous remercie beaucoup, madame Morgan. Nous vous savons gré de votre témoignage.

Nous accueillons maintenant M. Chouaib du Conseil national des relations Canada-arabes.

Je vois que vous êtes accompagné de M. Ian Watson que bon nombre d'entre nous connaissent.

M. Mazen Chouaib (directeur exécutif, Conseil national des relations Canada-arabes): Oui. Je vous remercie.

J'aimerais d'abord remercier le comité d'examiner la question des sanctions contre l'Iraq et de donner l'occasion aux Canadiens de faire part de leurs préoccupations à cet égard au Parlement, et par votre intermédiaire, au gouvernement du Canada.

Le Conseil national des relations Canada-arabes cherche activement des solutions permettant de mettre fin aux sanctions illégales et inhumaines qui ont été imposées à la population iraquienne. En continuant d'appuyer l'imposition de sanctions même si les inspections d'armes ont presque pris fin, le Canada se fait complice d'un désastre humanitaire qui continue de toucher la population civile iraquienne. Le Canada doit réévaluer son rôle dans la mise en oeuvre des sanctions. Nous pressons le comité d'adopter une position qui soit conforme au rôle que le Canada a toujours joué dans le domaine de l'édification et du maintien de la paix.

Étant donné que le comité étudiera le rôle des sanctions dans les conflits futurs, leurs conséquences juridiques et leurs incidences sur les populations civiles, j'aimerais attirer votre attention sur deux questions que mettent en lumière les exemples de cas où l'on a déjà eu recours à l'imposition de sanctions.

Premièrement, bien des gens ont fait des comparaisons entre les sanctions imposées à l'Iraq et les sanctions imposées à l'Afrique du Sud pendant la période de son histoire marquée par l'apartheid. On peut notamment comparer le prétendu succès de ces sanctions dans l'un et l'autre cas. Comme vous le savez, le Canada a joué un rôle de premier plan dans l'imposition des sanctions contre l'Afrique du Sud. On donne souvent en exemple le cas de l'Afrique du Sud pour montrer que les sanctions sont préférables à la guerre militaire. Or, ce n'est pas tenir compte de la particularité de l'exemple sud-africain.

Il existe des différences entre le cas iraquien et le cas sud-africain. La population sud-africaine réclamait l'imposition de sanctions contre les dirigeants du régime qui imposait l'apartheid. Malgré cela, la Grande-Bretagne et les autres pays ont maintenu leurs relations avec le gouvernement sud-africain de l'époque. Les sanctions imposées à l'Afrique du Sud ne découlaient pas non plus d'une guerre militaire.

En Iraq, c'est d'abord une guerre qui a ravagé le pays et endommagé son infrastructure sociale et économique. Le pays a également fait l'objet d'un siège dont la population a grandement souffert. On voit donc que ces deux cas ne se comparent pas du tout.

Deuxièmement, au moment de l'imposition des sanctions, les États-Unis, le Canada et leurs alliés ont déclaré que le tort que causeraient ces sanctions rigoureuses au pays amènerait la population à se révolter contre le gouvernement et à le renverser. Cette hypothèse ne s'est pas du tout révélée juste avec les conséquences tragiques que l'on sait. Comme le montre clairement le coût terrible des sanctions économiques, la population iraquienne est trop occupée à essayer de se nourrir pour chercher des moyens de renverser le gouvernement.

Si l'on en juge par de nombreux rapports publiés par les Nations Unies et de nombreuses études indépendantes provenant d'organismes humanitaires, les sanctions ont un effet destructeur en Iraq dans tous les domaines: environnement, santé, éducation, patrimoine culturel et cohésion sociale.

Rappelons-nous quelle était la situation de l'Iraq avant l'imposition des sanctions. Cela nous permettra de nous faire une idée de la situation dans laquelle se trouverait maintenant le pays si les sanctions n'avaient pas été imposées. Parlons de l'embargo dans le domaine intellectuel.

Les fonds provenant du programme «pétrole contre nourriture» suffisent à peine à répondre aux besoins matériels urgents et immédiats des Iraquiens. Rien n'est prévu pour répondre à leurs besoins intellectuels. La population est complètement privée de tous les moyens lui permettant de se développer intellectuellement. À titre d'exemple, les écoles se détériorent et les manuels scolaires qui sont utilisés de l'école élémentaire à l'université en Iraq datent tous de 10 ans.

D'après l'UNESCO, l'Iraq fournissait autrefois aux étudiants des bourses d'étude, des installations de recherche et des soins médicaux. En 1989, le taux d'inscription dans les écoles primaires et secondaires représentait 75 p. 100 alors que le taux d'inscription moyen dans les pays en développement était de 70 p. 100. Ces chiffres proviennent du Rapport sur le développement humain de 1991. L'éducation représentait 5 p. 100 du budget de l'État iraquien en 1989. À titre de comparaison, l'éducation représentait alors 3,8 p. 100 du budget des pays en développement. Ces chiffres sont également tirés du Rapport sur le développement humain.

En 1999, le rapport de l'UNESCO préparé pour le Comité du Conseil de sécurité étudiant les questions humanitaires, comité qui a notamment été mis sur pied à la demande du Canada, signale que le taux d'alphabétisation atteignait 80 p. 100 en 1987 en raison du succès de la campagne d'alphabétisation de masse menée à la fin des années 70 et au début des années 80. En 1995, le taux d'alphabétisation était estimé à 42 p. 100, ce qui constitue une détérioration importante de la situation dans ce domaine.

• 1005

En 1993, l'UNESCO faisait ressortir les graves conséquences des sanctions pour le système éducatif. Depuis, l'état du système éducatif s'est encore détérioré. Permettez-moi de vous citer ce rapport:

    Au cours de la guerre du Golfe et dans sa foulée, plus de 5 500 établissements d'enseignement iraquiens ont été grandement endommagés [...] En raison de l'embargo, les matériaux nécessaires pour réparer les établissements endommagés n'ont pas pu être importés—à moins qu'ils ne le soient à titre d'aide humanitaire [...]

Le président suppléant (M. Ted McWhinney (Vancouver Quadra, Lib.)): Compte tenu du nombre de témoins que nous devons entendre, nous ne pouvons vous accorder que sept minutes et vous en avez déjà pris cinq. Vous semblez lire un mémoire qui est très bon, mais je vous signale que nous l'avons tous lu. Vous devez aussi prévoir du temps pour M. Watson. Pourriez-vous résumer votre déclaration au lieu de nous la lire?

M. Mazen Chouaib: Il ne me faudra pas plus de cinq minutes pour terminer.

En ce qui touche la résolution 1284 du Conseil de sécurité, il est très important de noter que dès le départ quatre pays se sont abstenus de voter sur la résolution, soit la France, la Chine, la Russie ainsi que l'Indonésie parmi les pays qui sont des membres non permanents du Conseil de sécurité. Ces pays exprimaient ainsi clairement leur mécontentement envers la nouvelle proposition et le maintien des sanctions. Le Canada, pour sa part, s'est résolument rangé en faveur de la résolution. L'Iraq l'a catégoriquement rejetée.

Une étude minutieuse de la résolution montre que celle-ci comporte de nombreux pièges, donne lieu à des interprétations multiples et ne tient pas suffisamment compte du désir de l'Iraq qu'on mette fin aux sanctions.

Permettez-moi de revenir seulement sur quelques points abordés dans cette résolution. J'ai remis au comité une bonne analyse de cette résolution dont l'auteure est Mme Phyllis Bennis.

La résolution 1284 demande la création d'un nouveau régime d'inspection, la modification du programme actuel de production pétrolière en échange de nourriture et la levée des sanctions.

Pour ce qui est de la création d'un nouveau régime d'inspection, la COCOVINU devra recommencer à zéro et non là où s'est arrêté son prédécesseur l'CSNV qui était infesté d'espions. Les Iraquiens devront donc accepter les inspections envahissantes et politiquement motivées de cet organisme nouvellement créé.

J'aimerais vous citer les propos tenus par M. Tariq Aziz, le ministre des Affaires étrangères de l'Iraq:

    Nous accepterions une surveillance visant à confirmer le désarmement [...] Si les inspections ne visaient que les installations militaires et avaient pour but de mettre fin aux sanctions, la population ne comprendrait pas que nous les rejetions.

Cette déclaration montre que l'Iraq est prêt à collaborer avec la COCOVINU et accepte la nouvelle résolution.

Certains changements superficiels seraient apportés au programme de production pétrolière en échange de nourriture et ils n'auraient pas pour effet de modifier considérablement la façon dont l'Iraq obtient ses denrées alimentaires.

Enfin, les sanctions seront levées pendant une période renouvelable de 120 jours seulement si l'Iraq se conforme entièrement aux demandes de la COCOVINU et de l'Agence internationale de l'énergie atomique. La levée des sanctions pourrait être annulée si l'un ou l'autre des directeurs de ces organismes estimaient que l'Iraq ne se conformait pas à leur demande.

L'article 33 de la résolution énonce ceci:

    pendant une période de 120 jours [...] de suspendre [...] les interdictions visant l'importation de marchandises et de produits provenant d'Iraq, ainsi que les interdictions visant la vente et la fourniture à l'Iraq et l'acheminement et la livraison en Iraq de marchandises et de produits destinés à la population civile [...]

Cet article pourrait être interprété de façon large par les membres du Conseil de sécurité pour mettre immédiatement fin aux sanctions.

Nous recommandons ce qui suit: se prononcer clairement en faveur de la levée des sanctions économiques contre le peuple iraquien et prendre les mesures voulues pour mettre fin à ces sanctions; tenir compte de bonne foi des doléances de l'Iraq; et accepter le désir maintes fois exprimé par l'Iraq, notamment par la bouche de M. Tariq Aziz, qu'on maintienne les sanctions militaires et qu'on supprime les sanctions économiques.

Nous vous demandons aussi de recommander au gouvernement du Canada que comme il l'a fait ailleurs il rouvre l'ambassade qu'il avait en Iraq ou qu'il y ouvre un bureau diplomatique afin de faciliter l'échange d'information et la recherche de solutions au problème; d'encourager le gouvernement du Canada à aider l'Iraq et les États-Unis à régler leurs différends et à faciliter les discussions entre ces deux pays dans le but de trouver une solution au problème qui se pose. Les États-Unis et la Grande-Bretagne se retrouvent dans une impasse en raison des positions intransigeantes qu'ils ont adoptées et nous devons les aider à trouver une solution à cette crise.

Je vous remercie encore une fois de nous avoir permis de vous faire part de nos préoccupations.

Le président suppléant (M. Ted McWhinney): Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Watson, bienvenue encore une fois sur la Colline parlementaire. Si je ne m'abuse, vous avez été élu lors de la révolution de 1968, n'est-ce pas?

M. Ian Watson (conseiller principal, Conseil national des relations Canada-arabes): Non, c'était en 1963.

Le président suppléant (M. Ted McWhinney): C'était donc en 1963, c'est-à-dire avant la révolution. Vous avez été député pendant environ 16 ans, n'est-ce pas?

M. Ian Watson: Pendant 21 ans.

Le président suppléant (M. Ted McWhinney): Vingt et un ans. Nous vous souhaitons bon retour. Nous sommes heureux de vous entendre.

M. Ian Watson: Merci de cette présentation, monsieur le président.

J'aimerais aussi remercier le comité de nous donner l'occasion de lui faire part de nos voeux et de nos préoccupations au sujet des sanctions contre l'Iraq.

Nous ne sommes pas ici pour défendre le régime actuel en Iraq, mais nous estimons cependant que la population iraquienne ne mérite pas le traitement que lui infligent les Nations Unies, la communauté internationale, y compris le Canada, depuis neuf ans.

Lorsque la guerre entre l'Iran et l'Iraq a pris fin, la population iraquienne espérait un retour à la paix et à la prospérité mais a été entraînée par Saddam Hussein dans une guerre contre le Koweit en 1990.

• 1010

Cinquante et un ans plus tôt, Hitler a mené à la guerre une population enthousiaste qui l'appuyait presque sans réserve et lorsque l'Allemagne s'est rendue sans condition en 1945, les vainqueurs n'ont pas continué à punir le peuple allemand. Avec sagesse et clairvoyance, les alliés, dirigés par les États-Unis avec leur plan Marshall, ont décidé de reconstruire l'infrastructure de l'Allemagne et l'aider à édifier à partir de rien la démocratie moderne que nous connaissons aujourd'hui. Neuf ans après que l'Iraq se soit retiré inconditionnellement du Koweit, sa population continue d'être punie parce qu'elle a été obligée de participer contre son gré à la guerre contre le Koweit.

D'autres témoins vous ont décrit en détail l'effet dévastateur des sanctions sur les structures de base de la société iraquienne. Nous devrions tous clairement comprendre qu'en maintenant les sanctions pendant si longtemps après qu'elles aient atteint leur objectif initial qui était d'empêcher l'Iraq de se remilitariser, nous incitons la population à se sentir opprimée par le reste du monde.

La position de l'Ouest sur les sanctions alimente aussi un sentiment anti-Occident dans le monde arabe. Le sort du peuple iraquien, le fait qu'il existe deux poids deux mesures puisqu'aucune sanction n'est prise contre Israël qui a enfreint non seulement la Convention de Genève, mais de nombreux autres textes du droit international... Cette situation attise le fondamentalisme dans cette partie du monde, pas seulement dans le monde arabe, mais aussi en Iran.

Votre comité demande qu'on lui fasse des suggestions quant à la nouvelle position que le Canada devrait adopter au sujet des sanctions contre l'Iraq. Je demande au comité la permission, après que le président et le comité directeur les auront examinés, d'annexer au procès-verbal de la réunion les deux documents dont Mazen et moi nous sommes largement inspirés—l'un par Ranya Masri et l'autre par Phyllis Bennis—. Je ne sais pas si cette pratique a toujours cours, mais vous pourriez envisager d'annexer ces deux excellents travaux de recherche qui méritent d'être diffusés.

J'aimerais très brièvement soulever deux questions qui n'ont pas vraiment été abordées par d'autres témoins. La première est celle de l'uranium appauvri et l'autre, celle de l'impact des sanctions sur l'agriculture et la santé animale.

Pour ce qui est de l'uranium appauvri qui a été largement utilisé dans la fabrication des obus lancés contre les blindés durant la guerre du Golfe, l'Iraq signale une augmentation alarmante des cas de cancer, de mutations et d'anomalies congénitales. Les militaires canadiens et des forces alliées qui ont participé à la guerre du Golfe soutiennent également être atteints de maladies inexplicables.

D'après un document qui porte la signature de la Maison- Blanche et du Pentagone, l'armée américaine a été exemptée de se conformer à la National Environmental Protection Act dans ses activités militaires dans le Golfe. Cela montre clairement que le Pentagone savait quelles seraient les conséquences environnementales de ses activités.

• 1015

L'uranium appauvri est utilisé pour recouvrir les balles et les obus parce qu'il permet de mieux percer les cibles visées. Il conviendrait d'étudier plus à fond l'usage qui a été fait de l'uranium appauvri dans la guerre contre l'Iraq. Comme je pense que vous le savez tous, l'OTAN a aussi utilisé de l'uranium appauvri dans sa guerre contre la Serbie, guerre dans laquelle l'aviation canadienne a joué un rôle important.

Le Canada devrait étudier de très près les conséquences juridiques de l'utilisation d'un élément radioactif. Voici ce qu'énonce le protocole de 1997 de la Convention de Genève:

    Il est interdit d'attaquer, de détruire, d'enlever ou de rendre inutiles les objets indispensables à la production des denrées alimentaires, aux cultures, au bétail, à l'eau potable, aux installations et aux fournitures, aux travaux d'irrigation [...]

etc.

Il est maintenant devenu évident que l'uranium appauvri se retrouve dans la chaîne alimentaire en Iraq. Entre 5 000 et 6 000 cartouches d'uranium appauvri ont été utilisées pour percer des blindés par l'aviation britannique et américaine. L'aviation aurait utilisé 50 000 cartouches d'uranium appauvri dans la guerre du Golfe.

On estime que 300 tonnes métriques d'uranium radioactif couvrent de vastes régions en Iraq et au Koweit. Le Projet des produits toxiques militaires et M. Hari Sharma de l'Université de Waterloo ont récemment conclu qu'on pouvait attribuer à l'utilisation par l'armée américaine de cartouches contenant de l'uranium appauvri dans la guerre du Golfe le fait que les cancers mortels chez les anciens combattants de la guerre du Golfe et les citoyens iraquiens étaient passés de 20 000 à 100 000. Et ce n'est pas tout.

Permettez-moi de vous parler des effets les plus dévastateurs de l'utilisation de cet élément radioactif sur l'agriculture.

Le président suppléant (M. Ted McWhinney): Compte tenu du nombre de témoins que nous devons entendre, puis-je vous demander, monsieur Scott, de bien vouloir terminer votre déclaration.

M. Ian Watson: Vous trouverez tous les détails à ce sujet dans l'étude de Ranya Masri. Je vais maintenant simplement vous mentionner les éléments que nous pensons que votre comité devrait prendre en compte lorsqu'il formulera des recommandations au gouvernement.

Nous aimerions que votre comité recommande au Canada de jouer un rôle de chef de file comme il l'a fait dans le cas des mines terrestres dans des négociations en vue de la signature d'un traité international interdisant l'utilisation de l'uranium appauvri dans la fabrication d'armes.

Nous aimerions également que le Canada réponde à l'appel lancé dans la résolution 1284 aux membres des Nations Unies et aux ONG d'accorder à l'Iraq une aide humanitaire additionnelle à celle qui est prévue dans le programme «pétrole contre nourriture». Les Nations Unies mettent déjà en oeuvre un programme d'aide alimentaire, mais le Canada devrait essayer d'en faire davantage.

Nous recommandons fortement, notamment dans le domaine de l'agriculture et de l'épuration de l'eau, que le Canada offre son aide sous forme de vaccins, de matériel et de savoir-faire, et qu'il cherche en même temps à obtenir le retrait des sanctions qui touchent l'agriculture, la santé humaine et animale, et la purification de l'eau.

Plus je réfléchis à toute cette question des sanctions, plus il me semble qu'il n'y a d'autre solution que de les retirer presque toutes et de limiter peut-être celles qui resteraient à l'interdiction d'importer des armes et du matériel qui pourrait de toute évidence être utilisé dans la fabrication d'armes de destruction massive. À part cela, il me semble que nous devrions maintenant envisager de lever les sanctions de manière générale.

Merci.

Le président suppléant (M. Ted McWhinney): Merci, monsieur Scott.

Nous allons faire distribuer aux membres du comité le document de M. Masri, et nous le porterons à l'attention du comité directeur conformément aux règles du comité.

Une voix: Il s'agit de M. Watson.

Le président suppléant (M. Ted McWhinney): Ah, M. Watson. Je suis désolé. C'est ce que nous ferons.

Je crois que le témoin suivant est M. Halliday.

• 1020

M. Denis Halliday (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président. C'est un honneur pour moi d'être ici ce matin.

Outre le texte de mon exposé, qui a été distribué, j'ai apporté un exemplaire du documentaire de Carlton Television, de Londres, qui a été réalisé par John Pilger et qui a été vu par plus de trois millions de personnes en Grande-Bretagne. Je recommande fortement au comité de regarder ce documentaire avant qu'il ne termine ses travaux. J'ai aussi le document d'accompagnement du documentaire, qui a été rédigé par John Pilger, du Guardian.

Distingués membres du comité, je sais bien que vous avez été bien informé des conséquences humanitaires terribles des sanctions qui sont venues s'ajouter aux bombardements de la guerre du Golfe qui ont détruit l'infrastructure civile—la situation n'ayant toujours pas été rétablie. Vous savez que les taux de mortalité se sont accrus. Vous savez que la malnutrition est très répandue. Vous savez quelles sont certaines des conséquences sociales et les dangers politiques qui touchent la population. Nous venons d'entendre parler des dangers politiques qui suivront maintenant cette période de l'histoire iraquienne.

En résumé, les Nations Unies maintiennent les conditions socio-économiques qui conduisent à des pertes de vies massives en Iraq et à l'état de famine qui y sévit, comme vous l'a signalé Mme Sheila Zurbrigg, de Calgary, il y a à peine quelques jours. La communication qu'elle a rédigée est tout à fait brillante.

Nous avons là un programme de génocide qui est causé par le fait que le Conseil de sécurité maintient délibérément les sanctions économiques depuis presque 10 ans, tout en sachant parfaitement quelles en sont les conséquences meurtrières pour les enfants et les adultes de l'Iraq. L'embargo économique que les Nations Unies imposent à l'Iraq depuis bien des années et dont l'envergure et la durée sont sans précédent est devenu une forme de guerre silencieuse qui, en violation des conventions et des protocoles de Genève, cible tout particulièrement des enfants et des adultes innocents. Le gouvernement de Bagdad a peut-être réduit les droits politiques et civils de la population iraquienne, mais ce sont les Nations Unies qui lui ont enlevé ses droits humains fondamentaux, y compris même le droit à la vie.

Vous me répliquerez peut-être: Mais qu'en est-il du programme «pétrole contre nourriture»? Non seulement ce programme ne satisfait pas aux droits humains fondamentaux du peuple iraquien, tels qu'ils sont énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme, mais il a réduit le pays à l'état d'immense camp de réfugiés et a fait des Iraquiens un peuple de mendiants, troquant de la nourriture contre des vêtements pour leurs enfants, des médicaments essentiels, des biens ménagers, de la viande, des oeufs et d'autres denrées essentielles. Ce programme, mis en place dans le cadre de l'embargo des Nations Unies, foule aux pieds tant la lettre que l'esprit de la Charte des Nations Unies.

Qu'en est-il de la nouvelle résolution 1284 qui promet la suspension des sanctions? C'est trop peu et trop tard. Ce n'est pas une solution, comme l'ont montré la Chine, la Russie et la France par leur abstention. Le délai de 24 mois dont M. Cleminson a parlé est tout simplement trop long. Le Canada peut-il permettre la mort de 100 000 autres enfants iraquiens?

Cette résolution manque de sincérité, étant donné les déclarations de Washington: Les sanctions ne seront pas levées tant que Saddam Hussein n'aura pas été démis de ses fonctions. La résolution établit des objectifs mal définis, qui sont par conséquent irréalisables. Elle maintient le principe voulant que seul l'Iraq soit tenu au désarmement, tout en continuant à faire fi du paragraphe 14 de la résolution 687. Elle maintient le caractère excessif des pressions en ciblant et en tuant la population alors que c'est le gouvernement qui est vraisemblablement la cible.

Les résolutions 687 et 1284 sont considérées comme illégales par beaucoup d'avocats spécialisés dans le droit international, y compris, si je ne m'abuse, Richard Falk, de l'université Princeton. Comme l'ont dit Linda Morgan et d'autres Canadiens, la nouvelle résolution mal conçue, qu'il a fallu un an pour rédiger et qui peut même paraître éclairée, du fait qu'elle relève le plafond pétrolier, ne fait guère plus que maintenir indéfiniment les effets meurtriers, le régime meurtrier, des sanctions économiques des Nations Unies. Elle constitue le moyen de maintenir un embargo indéfini. Elle contredit les déclarations de l'Occident selon lesquelles seul le renversement du président permettra d'obtenir la levée de l'embargo.

On peut se demander à qui les sanctions économiques des Nations Unies, l'embargo contre l'Iraq, font le plus de torts. L'embargo économique contre l'Iraq ne fait pas de gagnants et n'a pour effet que de causer la mort de centaines de milliers d'innocents et de nuire considérablement à la réputation des Nations Unies, dont la Charte, tant la lettre que l'esprit de la Charte, et la Déclaration universelle des droits de l'homme se trouvent gravement compromises. De même, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada—qui, par le passé, s'était taillé une réputation d'indépendance par rapport à la politique étrangère américaine—ont ainsi un leadership et une autorité morale grandement réduits.

• 1025

Que peut-on faire? Y a-t-il des solutions? J'ai certaines idées dont je voudrais vous faire part.

Les États membres du Conseil de sécurité des Nations Unies doivent reconnaître que leur régime de sanctions économiques prolongées est à l'origine d'un génocide en Iraq. Le Conseil doit aussi admettre que son embargo qui vise des enfants et des adultes iraquiens innocents est inacceptable sur le plan moral et juridique et incompatible avec l'intention de la Charte et des autres lois humanitaires internationales.

S'il est vrai que les Nations Unies doivent conserver tous les moyens à leur disposition pour assurer l'inspection et le contrôle des armements et des armes de destruction massive, non seulement en Iraq, mais aussi dans les pays du Moyen-Orient, conformément au paragraphe 14 de la résolution 687, et ce, à l'aide des mécanismes existants de surveillance internationale, elles doivent lever immédiatement les sanctions économiques et l'embargo militaire destiné à en assurer le respect. Il n'y a aucune raison valable, sur le plan juridique ou moral, de maintenir cet embargo meurtrier.

En outre, l'Iraq doit reconstruire son infrastructure civile et son économie afin de pouvoir rétablir le niveau de vie qu'avait la population en 1990, et les Nations Unies doivent lui faciliter la tâche. Des pays comme le Canada doivent mettre à sa disposition les moyens financiers dont il a besoin pour ses projets d'immobilisations.

Les bombardements illégaux auxquels se livrent les États-Unis et le Royaume-Uni dans les zones d'interdiction aériennes et qui terrorisent les enfants et la population de l'Iraq doivent cesser. Il faut engager un dialogue ouvert et établir des communications avec le gouvernement et la population de l'Iraq, comme cela commence à se faire dans le cas de la Corée du Nord avec les bienfaits que l'on sait.

En résumé, en ce qui a trait à l'Iraq, les États membres du Conseil de sécurité doivent mettre fin à leur programme de génocide, doivent lever les sanctions économiques visant les enfants et doivent mettre plutôt l'accent sur les inspections et les sanctions militaires ainsi que sur le dialogue et l'aide à la reprise de l'économie iraquienne ainsi qu'au rétablissement du niveau de vie en Iraq.

Pour ce qui est du Canada, les parlementaires canadiens peuvent et doivent exercer leur influence, en passant par les tribunes internationales auxquelles participe le Canada, notamment celle des Nations Unies, fidèles à l'illustre réputation qu'ont value au Canada ses prises de position empreintes d'indépendance et de leadership moral sur des questions d'importance mondiale, comme le génocide qui se poursuit en Iraq en raison de la mauvaise application prolongée de la Charte de l'ONU et de l'omission de l'ONU de se conformer à sa propre Déclaration des droits de l'homme. Il est particulièrement critique que les parlementaires canadiens jouent maintenant ce rôle étant donné le manque d'empressement tragique du ministère canadien des Affaires étrangères à mettre fin à l'effet meurtrier des sanctions économiques.

Les parlementaires canadiens peuvent et doivent insister sur le renversement de la politique canadienne de sanctions économiques et insister sur l'ouverture d'un nouveau dialogue avec l'Iraq, de même que sur la réouverture de la mission diplomatique canadienne à Bagdad.

Il me semble que le Canada doit cesser d'appuyer aveuglément la résolution 1284 de l'ONU, qui est si mal conçue et qui ne témoigne d'aucune urgence pour ce qui est de mettre fin à la crise humanitaire qui frappe jour après jour la population iraquienne, la condamnant à la malnutrition, à la mort, voire à l'anéantissement.

Enfin, j'estime que le Canada devrait montrer la voie et exiger qu'on lève dès demain l'embargo économique, tout en maintenant les inspections et les sanctions militaires à l'égard de l'Iraq et des pays du Moyen-Orient conformément aux traités de non- prolifération et à toutes les autres dispositions existantes en droit international.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Halliday.

Les applaudissements ne sont pas la règle à notre comité—en tout cas pas quand c'est un des membres du comité qui prend la parole—, mais je crois que, dans ce cas-ci, ils montrent le respect qu'on a pour le courage dont vous avez fait preuve en démissionnant de votre poste dans les circonstances que l'on sait et pour votre intégrité professionnelle. Merci beaucoup pour cet exposé.

Monsieur Millholland.

M. Arthur Millholland (président, Oilexco): Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, merci beaucoup de m'accueillir ici aujourd'hui. Je m'appelle Arthur Millholland, et je suis de Calgary.

Je suis allé beaucoup de fois en Iraq depuis 1997. J'ai un mémoire que j'ai écrit avec mon coeur. Je n'ai pas l'intention de le lire. Vous y trouverez des choses auxquelles nous devrions tous réfléchir.

Tout ce qu'on a dit ici aujourd'hui au sujet de la situation humanitaire en Iraq, de la population iraquienne, est rigoureusement exact. Depuis que je m'y suis rendu pour la première fois en 1997, j'y suis retourné une dizaine de fois—ou plus; j'ai perdu le compte. La dernière fois, j'y suis allé au début de février pour un séjour de 10 jours.

• 1030

Ma situation en tant que Canadien est un peu différente. Je crois que j'ai de bien meilleurs contacts, à des niveaux bien plus élevés du gouvernement iraquien, que même notre gouvernement peut en avoir. J'ai quelqu'un à Bagdad en tout temps pour que nous puissions savoir ce qui se passe dans le pays.

Grâce à cette personne et à mes efforts pour trouver des réponses—parce que j'ai lu toutes les opinions sur la question pour essayer de découvrir la vérité et de trouver réponse à mes questions—, je suis parvenu jusqu'au niveau des principaux conseillers de M. Saddam Hussein lui-même, mais grâce à cette quête personnelle, j'ai aussi eu accès, en tant qu'étranger et de Canadien, à l'Iraq, au pays, à la population, comme on n'y arrive généralement pas à moins d'avoir gagné la confiance des gens. J'y ai trouvé une population de gens qui ne sont pas monstrueux, qui se regardent et qui se demandent ce qu'ils ont fait pour mériter ce qu'on leur fait subir.

En réponse à ce qu'a dit M. Cleminson sur la position du Canada relativement au traité de non-prolifération, voici ce que m'a dit M. Tariq Azziz, le vice-premier ministre en janvier: Nous savons que la position de M. Axworthy sur le traité de non- prolifération est une des plus énergiques au monde. Il y a trois pays qui n'ont pas signé ce traité de non-prolifération, Cuba, la Corée du Nord et Israël—et je crois que tous ceux qui sont ici présents savent qu'Israël a des armes nucléaires. Pourquoi donc nos enfants meurent-ils à raison de 3 000 à 5 000 par mois quand le gouvernement du Canada ne prend pas Israël à partie en lui disant: admettez que vous avez des armes nucléaires et signez le traité de non-prolifération?

C'est un cas flagrant de deux poids deux mesures. Les Israéliens ont entre 200 et 400 armes nucléaires tactiques. Les Iraquiens reconnaissent parfaitement qu'ils étaient à un cheveu de fabriquer une arme nucléaire—une seule.

J'estime que c'est là une injustice, et je crois que les Canadiens valent mieux que cela. Nous valons mieux que de nous contenter d'appuyer simplement la politique des États-Unis—c'est de cela finalement qu'il s'agit—, qui consiste à influencer la région afin d'obtenir du pétrole bon marché pour faire tourner leur économie. Nous valons mieux que de ne pas nous récrier quand on tue des enfants... Nous ne le faisons pas. Nous ne l'avons jamais fait en tant que pays. J'ai honte de prendre la parole ici pour vous dire ce qui se passe là-bas et que nous en sommes complices.

Je ne peux pas vous dire combien de fois je me suis présenté au 125, promenade Sussex, pour offrir mes services, pour offrir les gens que je connais, les contacts, le dialogue—voilà ce qui permet de régler les problèmes. On refuse carrément de parler même aux Iraquiens. Ils ont une ambassade avec du personnel diplomatique au 215, rue McLeod, ici. Ils y ont du personnel—pas à un niveau très élevé, cependant. Il est possible de dialoguer. Tout ce qu'on me dit aux Affaires étrangères, au 125, Sussex, c'est: ah oui, le dialogue peut se faire à New York.

Il n'y a pas de dialogue à New York. Les conversations à sens unique ne constituent pas un dialogue. Bombarder un pays comme cela s'est fait en décembre 1998—j'y ai moi-même échappé à peine huit heures avant que cela ne commence—, ce n'est pas dialoguer. Ce qui s'est passé là-bas est criminel.

Alors, comment s'y prendre pour résoudre le problème? Je suis d'accord avec M. Cleminson pour dire que nous ne pouvons pas revenir en arrière. Il y a trop de méfiance des deux côtés.

Par exemple, les Iraquiens ont soutenu pendant des années que la CSNU était une opération de renseignements de sécurité des États-Unis. Mme Albright, la secrétaire d'État adjointe James Rubin et Richard Butler l'ont catégoriquement nié. Que s'est-il passé en janvier 1999? On a avoué que la CIA recueillait effectivement des renseignements de sécurité par l'entremise de la CSNU.

Ce n'est pas facile pour les Iraquiens de faire confiance à un nouveau régime d'inspection des armes et de l'accepter. M. Azziz m'a dit en janvier, tout comme un des conseillers principaux de M. Saddam Hussein, qui est un premier cousin à lui: «Nous accepterons la COCOVINU en Iraq»—c'était le lendemain du jour où M. Blix avait donné son approbation—«mais nous aimerions qu'on tienne compte de ce que nous avons fait par le passé et de ce qui va arriver à l'avenir.»

• 1035

La résolution 1284 dit que nous allons décider s'il y a lieu de lever les sanctions. Ce n'est pas suffisant. Si le gouvernement central à Ottawa disait au gouvernement de l'Alberta, «Adoptez votre projet de loi sur les soins de santé et nous allons décider s'il y a lieu de le contester», nous savons tous ce que cela signifierait: la loi serait sans doute contestée en vertu de la Loi canadienne sur la santé.

Il n'y a qu'à voir ce qui est arrivé à l'Iraq. Quand la résolution 1284 de l'ONU dispose expressément que «nous allons décider s'il y a lieu de lever les sanctions», cela indique aux Iraquiens, aux Jordaniens, aux Syriens ou aux Arabes qu'on ne les lèvera jamais, car il n'y aura pas de raison de le faire. Notre ambassadeur Fowler a déclaré, dans le discours qu'il a fait au Conseil de sécurité après l'adoption de la résolution 1284, que le Canada s'en tiendrait au libellé de la résolution. Notre mandat au Conseil de sécurité vient à échéance le 31 décembre, mais nous n'avons toujours pas donné d'assurance en ce sens aux Iraquiens.

Sommes-nous pour la levée des sanctions si les Iraquiens font ce qu'ils ont à faire? Je n'arrive pas à obtenir de réponse du 125, promenade Sussex. Êtes-vous en mesure d'en obtenir une? M. Axworthy a-t-il déjà expliqué quelle est sa politique? Il ne veut même pas me rencontrer; il refuse de me rencontrer. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a deux semaines, il a dit à une amie de Mme Morgan, qui est dans la salle aujourd'hui, que tant que son gouvernement serait au pouvoir, les sanctions ne seraient jamais levées. On croirait entendre Mme Albright. La personne en question est Linda Murphy. Arthur Clark, qui est venu ici mardi, m'a envoyé un... Je ne sais pas si la conversation était confidentielle. Je n'en ai pas parlé à l'intéressée, mais je le crois, parce que je n'ai toujours pas réussi, après trois ans, à savoir quelle est la politique.

J'ai offert pas plus tard que la semaine dernière... Je suis venu à Ottawa et j'ai rencontré un de ses conseillers, M. John Clarke. Je lui ai transmis un message de M. Azziz, qui est premier cousin avec Saddam Hussein. Il a dit qu'ils étaient prêts à envoyer M. Azziz ou M. Nuzzar Hamdoon, l'ancien ambassadeur de l'Iraq aux Nations Unies, au Canada.

J'ai invité M. Azziz à venir à Calgary l'an dernier pour participer à un forum à l'Université de Calgary sur les conséquences pour le droit international des sanctions contre l'Iraq—afin qu'il puisse présenter le point de vue iraquien. On lui a refusé l'accès; on a refusé de lui accorder un visa. On m'a dit la semaine dernière que le gouvernement du Canada ne permettra pas à des diplomates iraquiens de venir participer à des rencontres au Canada.

Comment pouvons-nous dialoguer si nous ne pouvons pas nous rencontrer? C'est honteux. Lester Pearson a été lauréat du Prix Nobel de la paix pour la diplomatie, mais notre gouvernement se refuse à toute discussion diplomatique sur cette question.

Vous n'aimerez peut-être pas ce qu'ils ont à dire. Nous n'avons pas besoin d'aimer ce qu'on entend les autres dire. Vous n'aimez peut-être pas ce que j'ai à vous dire aujourd'hui, mais nous sommes à tout le moins en train de dialoguer. Nous échangeons puisque vous allez me poser des questions, ou du moins, j'espère que vous allez m'en poser.

Le président: Pas si vous continuez trop longtemps encore.

M. Arthur Millholland: Très bien, j'ai compris.

Je vais conclure en disant simplement qu'il y a lieu de tenir compte, non seulement de la question du désarmement, mais aussi de la dimension humanitaire. Les problèmes humanitaires sont réels, mais ils ne devraient pas être liés à la question du désarmement. C'est ce que me disent les Iraquiens.

Ainsi, j'espère que vous ferez quelque chose des témoignages que vous entendez ici aujourd'hui, que vous en assurerez la diffusion, car les Canadiens doivent savoir ce qui se passe là-bas.

• 1040

Mesdames et messieurs les membres du comité, n'oubliez pas que vous êtes élus par la population pour la représenter. Vous n'êtes pas élus par les Américains et vous n'avez pas de comptes à rendre non plus à cette ambassade qui ressemble à s'y méprendre à une forteresse qu'ils ont construite ici. M. Axworthy n'a pas non plus de comptes à leur rendre.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur. Je suis sûr que M. Axworthy ne demandera pas mieux que de relever le défi. Je ne veux toutefois pas laisser subsister l'impression que nous n'avons jamais élevé la voix contre Israël. La politique canadienne a toujours été de dire qu'Israël devrait signer le Traité de non- prolifération.

Récemment, notre comité a fait une étude sur le désarmement nucléaire et il a, lui aussi, invité fortement Israël à signer le traité. Je ne suis toutefois pas en désaccord avec vous. Il y a effectivement contradiction, parce qu'Israël a en fait une arme nucléaire et que cela se répercute assurément sur tout l'équilibre de la région. Cela ne fait aucun doute.

Pour ce qui est de vos déclarations, je suis sûr qu'il y a ici un représentant du ministère qui les a entendues. J'espère que, quand les fonctionnaires viendront témoigner mardi, ils sauront répondre à certaines de vos observations relativement au manque de communication et de certitude pour l'avenir.

Notre dernier témoin est M. Scott.

[Français]

M. Doug Scott (président, The Markland Group): Merci, monsieur le président. Je vous remercie de m'avoir invité à venir ici pour vous parler au sujet des sanctions.

Je m'appelle Douglas Scott. Je suis un avocat à la retraite. J'ai fondé le Markland Group en 1987 et je crois comprendre que vous avez devant vous un dépliant dans lequel vous trouverez des renseignements sur notre groupe. Je regrette que ma maîtrise du français parlé soit aussi limitée. Par conséquent, s'il y a des questions en français, je préfère y répondre en anglais.

[Traduction]

Je vais aujourd'hui vous présenter des arguments en faveur des sanctions. Ceux qui s'y opposent invoquent notamment leur inefficacité et disent que cela devrait être une raison suffisante de les éliminer, puisqu'elles n'ont pas produit les résultats escomptés.

Après la guerre du Golfe, le Conseil de sécurité a décidé que l'imposition de sanctions était nécessaire pour forcer l'Iraq à se départir de ses armes de destruction massive. On ne peut guère douter que les sanctions ont effectivement persuadé l'Iraq de détruire, sous la surveillance de l'ONU, une grande partie de ses armes chimiques, de ses armes biologiques et de ses missiles et de ses missiles de longue portée ainsi que la presque totalité de sa capacité en matière d'armes nucléaires. Malgré ces réalisations, les sanctions n'ont pas encore atteint leur objectif ultime.

En effet, l'Iraq possède encore des armements prohibés, et c'est pour cette raison qu'il importe de maintenir les sanctions. Les détracteurs des sanctions affirment que, même si les sanctions étaient nécessaires, elles ont un prix trop élevé dans la mesure où elles infligent des souffrances excessives à la population. Cela supposerait que les sanctions sont la cause de ces souffrances. Or, au Groupe Markland, nous avons étudié le problème de très près pour déterminer si les sanctions sont effectivement à l'origine des souffrances.

Nous sommes arrivés à la conclusion que c'était peut-être vrai durant la première phase d'application des sanctions, avant l'adoption de la formule «pétrole contre nourriture», mais maintenant, depuis l'adoption du programme «pétrole contre nourriture» en 1997, on ne peut plus affirmer que le peuple souffre à cause des sanctions.

Le programme «pétrole contre nourriture» permet à l'Iraq d'exporter tout le pétrole qu'il peut produire, tout en exigeant que les recettes seront dépensées pour le bienfait du peuple iraquien et non pour le profit de l'élite ou pour acheter des armes. L'effet net du programme est que la totalité des recettes pétrolières est consacrée à la population iraquienne. Des milliards affluent maintenant dans l'économie iraquienne—un peu moins de 10 milliards de dollars américains, selon le rapport de l'ONU du 30 novembre.

• 1045

Nous ne nions pas que la population souffre encore, mais nous soutenons que depuis l'adoption de la formule «pétrole contre nourriture», les souffrances sont maintenant attribuables à d'autres facteurs. Il y en a trois. Le premier est la sécheresse qui sévit dans ce pays depuis deux ans. Le deuxième est un ensemble de politiques que le gouvernement iraquien a jugé bon d'adopter. Nous les groupons généralement sous la rubrique délit d'action.

En voici deux exemples. Le premier est le gaspillage de précieuses ressources pour acquérir des armes, des palais et de luxueux établissements de villégiature pour l'élite. L'autre est le peu de collaboration accordée pour distribuer les vivres et les médicaments dans le cadre du programme «pétrole contre nourriture», qui fait en sorte que la population ne reçoit pas tout ce à quoi elle a droit.

Le troisième facteur est sans doute le plus important, à savoir les répercussions des sanctions d'origine qui existaient avant 1997. Nous oublions parfois que l'économie iraquienne a été entièrement dévastée par la guerre du Golfe. Entre 1991 et 1996, les premières sanctions ont entravé ou empêché la reconstruction des infrastructures endommagées pendant la guerre. Je songe ici aux centrales électriques, au système de transport et aux installations de traitement de l'eau, qui sont autant d'éléments critiques au bien-être de la population iraquienne.

La formule «pétrole contre nourriture» autorise l'affectation de sommes à ces dépenses d'infrastructure. Le gouvernement iraquien a choisi de consacrer 61 p. 100 de son budget «pétrole contre nourriture» à ces postes de dépense. La situation est donc en voie d'amélioration, mais l'infrastructure physique comporte encore des lacunes considérables. Qu'elles touchent la production d'électricité ou d'autres éléments, ces lacunes sont responsables dans une large mesure des souffrances actuelles de la population iraquienne. Le fait qu'elles perdurent, malheureusement, tient surtout aux sanctions initiales qui existaient avant 1997.

C'est peut-être de là que vient la confusion. Il est tout à fait juste de dire que les souffrances que connaît aujourd'hui la population iraquienne sont causées par les sanctions, pas celles qui suivent la nouvelle formule, mais les sanctions initiales. On consacre maintenant des milliards aux dépenses d'infrastructure, et la situation s'améliore. Les sanctions initiales...

Avant de continuer, je concède qu'on puisse s'interroger sur le bien-fondé des sanctions initiales. Ron Cleminson a dit qu'il ne servait à rien de ressasser le passé, mais il ne faut pas oublier que, dès le départ, le Conseil de sécurité de l'ONU avait exempté les denrées alimentaires et humanitaires. Cela n'était pas suffisant de toute évidence parce que les Iraquiens n'avaient pas assez d'argent pour acheter ces denrées.

Il n'a pas fallu attendre longtemps, deux mois à peine après la fin de la guerre du Golfe, en avril 1991, pour que l'ONU offre à l'Iraq d'échanger du pétrole contre de la nourriture. L'Iraq devait accepter le marché; il devait collaborer pour pouvoir produire du pétrole et distribuer les aliments et les médicaments. Or, il n'a pas accepté le marché. Il s'est écoulé bien des mois et bien des années avant qu'il finisse par dire qu'il étudierait la possibilité en 1996, et le programme a pu enfin être mis en oeuvre au début de 1997.

Ainsi, il est très clair que les sanctions initiales devaient agir indirectement sur les dirigeants de l'Iraq par la voie de pressions sur la population. Les sanctions actuelles, dites de la nouvelle génération, épargnent toutefois la population et agissent directement sur les dirigeants, parce qu'elles les privent du droit d'acheter des armes, du droit de reconstruire les armements détruits, du droit d'acheter des produits de luxe pour l'élite et même du droit de gérer l'économie.

• 1050

Grâce aux sanctions, l'ONU peut dicter l'affectation d'environ 60 p. 100 du PIB de l'Iraq. Néanmoins, les dirigeants de l'Iraq détestent cet arrangement. Nous les entendons certainement protester depuis des années maintenant, et leurs plaintes se font chaque jour plus véhémentes. C'est ce qui donne leur pouvoir aux sanctions actuelles, le pouvoir d'agir, non pas sur la population, mais directement sur les dirigeants.

Autrement dit, nous estimons que les sanctions actuelles limitent considérablement la marge de manoeuvre des dirigeants. Elles ne sont plus inhumaines. Elles ont permis d'atteindre de nombreux objectifs dans le passé et elles demeurent nécessaires.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Scott. Nous l'apprécions.

Monsieur Martin.

M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président.

J'aimerais d'abord remercier tous nos témoins d'être venus aujourd'hui. Nous apprécions grandement votre témoignage sur cette question très importante.

D'abord, étant donné les événements que nous connaissons, les souffrances du peuple iraquien ne font aucun doute. Personne ne souhaite voir souffrir les civils en Iraq. Par ailleurs, nous savons que nous faisons naître le ressentiment contre l'Occident et que c'est à l'élite du pays que cela profite.

Il me semble qu'il y a deux extrêmes et un terrain mitoyen qui nous permettrait d'aider la population. Le statu quo est manifestement inacceptable mais dans le monde de la realpolitik, la levée des sanctions aujourd'hui serait aussi inacceptable. La solution moyenne consisterait à améliorer rapidement les conditions de vie des Iraquiens sans sacrifier les objectifs en matière de sécurité de la communauté internationale face au régime iraquien.

Si nous levions les sanctions frappant l'eau, les services sanitaires, l'alimentation en électricité, la santé et l'éducation et si nous commencions petit à petit à lever les sanctions économiques de sorte que la population iraquienne puisse relancer l'économie, nous pourrions y arriver sans faire fi des préoccupations de ceux qui s'inquiètent de la menace que fait peser Saddam Hussein sur la région. Nous pourrions aussi permettre aux inspecteurs du désarmement d'aller sur place.

J'aimerais que M. Cleminson et M. Halliday, notamment, me disent si ce ne serait pas une première étape qui pourrait être rapidement mise en oeuvre pour aider la population.

Voici ma deuxième question: quelles cibles ont été bombardées aujourd'hui? Ma troisième question: pourquoi le régime iraquien ne permet-il pas les inspections et n'accède-t-il pas aux requêtes de la COCOVINU? Pourquoi le régime iraquien refuse-t-il d'accéder aux requêtes de la COCOVINU?

J'aimerais que M. Halliday et M. Cleminson tentent de répondre à ces questions. Je peux vous les répéter si vous le voulez.

Le président: Voulez-vous commencer, monsieur Halliday?

M. Denis Halliday: D'accord. Merci, monsieur le président.

À première vue, votre proposition de modifier le régime de sanctions afin de satisfaire à certains besoins de la population iraquienne est attrayante. Mais je crois qu'il faut aussi voir quelle est la situation réelle. Il s'agit ici d'un État souverain qui a parfaitement le droit de gérer sa propre économie.

Les dépenses budgétaires récurrentes mentionnées dans le cadre du programme humanitaire «pétrole contre nourriture» étaient inadéquates dès le départ. Comme l'a dit très clairement notre collègue Doug Scott, les Iraquiens l'ont rejeté en 1991 parce que le programme représentait 20¢ par jour, par personne. Quand ils ont enfin accepté avec réticence la résolution 986 en 1996, cela représentait 21¢ par jour, par personne. Aujourd'hui, le programme «nourriture contre pétrole» représente 50¢ par jour, par personne. Est-ce acceptable pour un pays de 23 millions d'habitants dont le niveau de vie était comparable à celui de l'Europe méridionale? Pas du tout. Votre proposition contribuerait clairement à améliorer la situation. Cela ne fait aucun doute. J'espère que vous incluriez la fin des bombardements dans la zone d'exclusion aérienne, qui terrorisent l'Iraq, et que vous reporteriez, peut-être, les réparations imposées. Vous comprenez bien que si l'on en croit les chiffres cités aujourd'hui, 30 p. 100 des revenus sont retenus pour être reversés à ceux qui ont perdu des biens et des marchandises au Koweït alors même que des enfants iraquiens meurent.

• 1055

Le problème que pose votre suggestion c'est que, si elle représente un certain progrès et que l'Iraq pourrait l'accepter, ne serait-ce qu'avec réticence, c'est qu'elle interdit toute stabilité, tout investissement en capital, ce qui est absolument essentiel pour une économie comme celle de l'Iraq. Comme l'a très bien exprimé M. Scott, les dommages de la guerre du Golfe n'ont toujours pas été réparés. Les investissements reprennent mais pour investir dans un système d'adduction d'eau, il faut se priver de médicaments qui sont peu abondants. Il est très difficile de choisir entre les aliments, l'adduction d'eau, et l'infrastructure. C'est une décision déchirante. Voilà pourquoi votre proposition ne me plaît pas tout à fait.

M. Keith Martin: Si vous me permettez de vous interrompre un instant, monsieur Halliday, comme vous l'avez reconnu, j'essaie d'accélérer un peu les choses pour que nous puissions améliorer très rapidement les conditions de vie des Iraquiens. Bien sûr, je reconnais toute l'importance de l'investissement. Si nous faisons avancer les choses, si l'on peut rétablir la confiance de la communauté internationale et si le régime iraquien peut manifester une certaine ouverture envers les inspecteurs du désarmement, alors peut-être, espérons-nous, pourrons-nous lever certaines sanctions. Mais c'est un pas dans la bonne direction, de tenter de rapprocher les gens pour que la confiance puisse être rétablie entre les deux groupes, au lieu de viser des concessions qui ne seraient pas acceptables ni aux uns ni aux autres.

M. Denis Halliday: C'est un excellent argument qui serait très bien reçu, à mon avis. Je crois que le gouvernement iraquien est ouvert à la possibilité d'inspections militaires. Il sait très bien que c'est inévitable. Cependant, il est récalcitrant à l'idée d'accepter la résolution 1284 et de permettre à M. Blix, un homme intègre... J'appuie ce que Doug Scott a dit. Le fait est qu'ils ne veulent pas de la situation que créerait la résolution 1284, où Washington, Londres et d'autres capitales imposeraient des conditions qui ne se trouvent pas dans la résolution et notamment le remplacement du chef de l'État. Cela ne marchera pas. On ne peut pas demander le remplacement du chef de l'État et s'attendre à une coopération amicale. C'est irréaliste.

M. Keith Martin: Est-ce l'une des conditions pour la levée des sanctions?

M. Denis Halliday: C'est une condition voulue par Washington, Londres et de nombreuses autres capitales.

M. Keith Martin: Ce n'est pas dans la résolution 1284.

M. Denis Halliday: Bien sûr, ce n'est pas dans 1284: il y a des conditions non écrites liées à la résolution 1284, et le remplacement de Saddam Hussein est manifestement l'une de ces conditions, ce qui à mon sens prive la résolution tout entière de toute crédibilité.

M. Doug Scott: Puis-je réagir à ce qu'a dit M. Martin.

Le président: Désolé, monsieur Scott, j'allais donner la parole à M. Cleminson.

M. Keith Martin: Désolé. Merci.

M. Ron Cleminson: Monsieur Martin, je crois que votre idée de faire avancer les choses correspond exactement à l'esprit de la nouvelle résolution et qu'en nommant M. Blix comme directeur de l'initiative pour laquelle il a réclamé et attend probablement un maximum de souplesse... M. Blix est associé aux armes de destruction massive et au Traité de non-prolifération du fait qu'il a dirigé l'AIEA pendant plus de 12 ans. Il connaît très bien les dirigeants et le peuple iraquiens et il a visité le pays à maintes occasions. Il a aussi visité l'Iran.

Je me souviens que quelqu'un m'a un jour parlé du complexe de Blix. J'ai dit à l'époque que je ne savais pas si Blix était une personne ou une maladie. Mais je l'ai appuyé parce que M. Blix a toujours été tourné vers l'avenir, habile à régler les problèmes, ce que démontre le rôle qu'il a joué en Corée du Nord. Si l'Iraq accepte la résolution et décide d'accéder à votre proposition, c'est-à-dire qu'il accepte les inspections relatives aux armes, alors oui cela pourrait faire débloquer la situation.

Il ne faut pas oublier que l'Iraq est partie à la résolution originale, la résolution 687. Tous les pays sont parties à cette résolution en raison du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, mais l'Iraq a accepté ces responsabilités et ce ne sont que les armes de destruction massive—pas les autres systèmes de défense du pays mais uniquement la capacité des armes de destruction massive—que l'AIEA vérifie pour l'aspect nucléaire et que vérifie la CSNU pour ce qui est des missiles chimiques, biologiques et balistiques d'une portée de plus de 150 kilomètres.

• 1100

La COCOVINU se conforme aujourd'hui aux principes établis, mais cette résolution ouvre à tout le moins une nouvelle voie. J'ai dit avoir trouvé—et c'est une opinion personnelle—que le Conseil de sécurité avait fait preuve d'ouverture et c'est, je crois, ce dont vous parlez.

On a laissé entendre que ni les Français, ni les Russes, ni les Chinois ne l'avaient acceptée. En fait, les Français, les Russes et les Chinois l'ont acceptée. J'ai dit qu'il y avait eu acceptation sans dissidence. S'il y avait eu rejet, on aurait voté contre.

J'ai également expliqué qu'il y a une différence entre une décision acceptée sans dissidence et une décision acceptée de façon consensuelle; et lorsque l'ambassadeur Ekeus était à la CSNU, il a toujours visé le consensus, et a réussi à l'avoir au Conseil de sécurité pendant au moins les six ans de son mandat.

J'imagine que ce sont là le genre d'idées que peut avoir M. Blix. L'important, c'est que les choses bougent, et c'est aujourd'hui au gouvernement de l'Iraq à agir.

Quant à remplacer le chef d'État actuel, entre autres choses, vous avez raison de dire que ce n'est pas là une politique onusienne. Il est certain que l'on peut entendre ce genre de déclaration aux États-Unis et même ailleurs, mais ce genre de mesure n'est pas préconisé dans la résolution et n'a donc rien à voir avec ce dont nous discutons.

Ce que vous et moi suggérons, je crois, c'est qu'il faut examiner la situation actuelle, étudier la proposition, la mettre en oeuvre, puis déterminer s'il nous est possible de nous rendre là-bas. Quand j'ai parlé de deux ans, c'est parce que je le ressentais personnellement, étant donné qu'au début de la CSNU, je croyais qu'avec la collaboration pleine et entière de l'Iraq—et à bien des égards, l'Iraq nous a offert une solide collaboration—nous pourrions en deux ans en arriver à une surveillance et une vérification permanentes, ce qui correspond à l'objectif d'aujourd'hui.

M. Keith Martin: Vous avez demandé, au sujet de...

Le président: Monsieur Martin, vous n'avez plus de temps.

M. Keith Martin: Ma question est toute simple: Je voulais savoir ce que l'on bombardait en Iraq.

M. Denis Halliday: Vous savez sans doute que les États-Unis et le Royaume-Uni, de façon artificielle et illégale, et sans tenir compte des résolutions onusiennes—comme nous venons tout juste de l'entendre avec la suggestion de supprimer Saddam Hussein—ont effectué 30 000 sorties au-dessus de l'Iraq l'année dernière. Oui, 30 000! Ce faisant, il semble qu'ils aient largué du matériel de guerre à 16 000 reprises dans les zones dites d'exclusion aérienne. Autrement dit, ils ont survolé la plus grande partie du pays, sauf pour une petite bande de territoire qui inclut Bagdad.

M. Keith Martin: Et quelles étaient les cibles, monsieur Halliday?

M. Denis Halliday: On visait supposément tout ce qui peut tirer en retour, comme des canons ou de l'artillerie, mais on visait également des structures. Environ 150 personnes ont été tuées, de même que des moutons et d'autres têtes de bétail. C'est effarant, quand on pense que ces mesures étaient illégales!

M. Keith Martin: Je vous serais reconnaissant de déposer auprès du comité tout renseignement documenté que vous auriez là-dessus, et je parle des cibles civiles qui auraient été bombardées.

M. Denis Halliday: M. Millholland voudrait intervenir, car il a failli être la cible de ces attaques.

Le président: Monsieur Millholland.

M. Arthur Millholland: J'ai vu ces attaques. Vous voudrez peut-être annexer à vos délibérations le rapport du secrétaire général au Conseil de sécurité en date du 10 mas 2000. Le secrétaire général écrit des rapports de ce genre tous les 180 jours pour expliquer les fonds qui sont dépensés et à quelle fin.

Les principales cibles dans la zone d'exclusion aérienne étaient le système iraquien de télécommunications, à l'époque où M. Halliday occupait son poste, et quand M. von Sponeck, qui a démissionné d'un poste semblable récemment ici... Ces bombardements rendent l'acheminement de nourriture et de médicaments difficile vers une ville comme Basra, qui compte 2,5 millions de population.

Basra est à six heures de Bagdad par l'autoroute. Le système iraquien de télécommunications fonctionne surtout par micro-ondes, avec des stations de répéteurs situées partout dans le désert. L'Iraq a déjà eu un système de fibre optique de première génération qui fonctionnait, lui aussi, avec l'aide de répéteurs.

Voilà le genre de cibles que visent constamment les États-Unis et le Royaume-Uni. D'après ce que je peux conclure à la lecture de l'information en provenance des États-Unis que je peux me procurer parce qu'elle est non classifiée, ces pays justifient leurs actions par le fait qu'en attaquant le potentiel de télécommunications du sud de l'Iraq, ils réussissent en fait à mettre hors d'état son système de défense aérienne. Mais du point de vue de l'aide humanitaire, l'ennui, c'est qu'il devient presque impossible pour les travailleurs onusiens de faire des appels téléphoniques jusqu'à Basra et ailleurs dans le sud de l'Iraq.

• 1105

Le président: Merci. C'est utile.

Je me dois de vous couper la parole, car nous avons largement dépassé le temps imparti.

Madame Debien.

M. Doug Scott: Puis-je répondre à M. Martin...?

Le président: Non. Je dois vous interrompre, car nous avons dépassé de beaucoup le temps prévu pour cette question. Vous aurez peut-être votre chance plus tard, au fur et à mesure qu'il y aura d'autres questions.

[Français]

Madame Debien.

Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bonjour, madame, bonjour, messieurs, et merci beaucoup. Nous vous remercions beaucoup d'avoir accepté de venir témoigner devant notre comité. J'ai quelques questions que je vais lancer comme ça à tout le monde, et ceux qui voudront bien y répondre ou qui auront l'information la plus précise pourront y répondre.

J'aimerais, dans un premier temps, vous parler de la fameuse résolution 1284. On a dit beaucoup de choses au sujet de cette résolution, entre autres que la Russie, la France et la Chine, et aussi l'Indonésie, je crois, avaient refusé de la signer. J'aimerais savoir pourquoi. Quelles raisons ces pays ont-ils invoquées pour refuser de signer cette résolution? Par contre, le Canada, lui, l'a signée. Pourquoi le Canada l'a-t-il signée? J'aimerais que vos réponses couvrent ces deux aspects de la même question.

Par contre, je sais, pour en avoir entendu parler, que l'une des principales modifications à la résolution 1284 par rapport à la résolution 687 et à la résolution 715 précédentes consiste en un changement structurel; c'est-à-dire que désormais, c'est le secrétaire général qui est responsable de l'application de la résolution et non plus le Conseil de sécurité, ce qui me semble être une certaine amélioration. J'aimerais aussi vous entendre là-dessus. Quelle est la différence entre les résolutions 687, 715 et 1284? Quels sont les changements les plus importants par rapport à la dernière résolution?

Mon autre question porte sur la résolution 1284. On sait que l'Irak la refuse. Certains d'entre vous nous ont donné des raisons, dont celle de l'asservissement presque permanent de l'Irak aux sanctions. Cela touche à la souveraineté nationale.

Depuis 1998, il n'y a pas eu pas eu d'inspections de l'armement en Irak. Est-ce que certains d'entre vous peuvent nous parler de l'état de l'armement irakien? Est-ce que vous avez des informations sur l'état actuel de l'armement irakien? Des témoins sont venus nous dire qu'à peu près 95 p. 100 de l'armement irakien était détruit en ce moment, c'est-à-dire le nucléaire et les missiles. Quant aux armes biologiques, on n'en était pas certain, parce que ce sont des armes qui peuvent être produites très facilement. Est-ce qu'il y a des renseignements que vous pourriez nous donner concernant l'état actuel de l'armement irakien?

Monsieur Scott, j'ai un petit peu de difficulté à partager votre mémoire ou vos opinions, surtout quand vous dites que l'état des sanctions actuelles ne pose pas de problème en Irak. La plupart des témoins qui sont ici—pas tous—nous ont dit le contraire. Je crois que nous en avons entendu sept ou neuf hier, qui nous ont aussi dit totalement le contraire.

J'ai une question à vous poser, monsieur Scott, et c'est sans préjudice et sans intention de vous blesser. Est-ce que quelqu'un de votre groupe est allé voir la situation en Irak récemment?

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton- Ouest—Mississauga, Lib.)): Monsieur Scott.

• 1110

M. Doug Scott: Laissez-moi d'abord vous expliquer ce que vous ne semblez pas comprendre: vous dites ne pas saisir comment il se fait que tous les autres témoins blâment les sanctions pour toutes les souffrances de la population iraquien, tandis que nous disons, pour notre part, que ce ne sont pas les sanctions actuelles qui en sont responsables mais plutôt les sanctions originales. Je vous répondrai que les autres témoins n'ont pas relevé notre argument. Nous disons simplement ceci: les sanctions actuelles expliqueraient d'autres souffrances. Mais il est plus important encore de comprendre que—j'aurais peut-être dû en parler de façon spécifique, et je réponds là-dessus à M. Martin—les Iraquiens exportent déjà autant de pétrole qu'ils peuvent en produire. M. Halliday disait que cela ne représente que 50c. par habitant. Je ne sais pas si son chiffre est correct, mais peu importe que ce soit peu, le fait est qu'il n'y en a pas plus. Dix milliards de dollars par année sont consacrés à des fins humanitaires, et je ne vois pas d'où viendra le reste de l'argent.

M. Martin propose de lever les sanctions qui s'appliquent à certains aspects structurels de l'économie. Il serait bon qu'il y ait en Iraq plus d'éléments structurels, tels que des centrales hydroélectriques ou électriques, mais je ne sais pas d'où viendra l'argent nécessaire pour les construire. Ce ne sont plus les sanctions imposées qui empêchent de les construire. Ce l'était au début, mais ce ne l'est plus aujourd'hui. On ne peut donc plus blâmer les sanctions actuelles.

Vous vous demandiez pourquoi la France n'appuyait pas la résolution 1284. Je n'en sais rien. Je n'ai pas parlé aux Français, mais j'ai lu avec soin la position de ce pays, et j'ai lu avec grand soin ce qu'on a dit immédiatement avant l'adoption de la résolution le 17 décembre. La France proposait une autre solution à mi-chemin, à laquelle M. Martin faisait allusion: elle proposait non pas de lever ou d'abolir les sanctions, mais de les suspendre conformément à une entente portant qu'elles seraient automatiquement imposées à nouveau sans que le Conseil de sécurité ait à voter à nouveau là-dessus, si jamais l'Iraq se montrait déterminé à ne pas coopérer avec les inspecteurs. L'entente prévoirait que nous suspendons les sanctions immédiatement dans la mesure où l'Iraq laisse revenir les inspecteurs, mais prévoirait qu'elles seraient imposées de nouveau automatiquement advenant la non-coopération de l'Iraq.

Je trouvais l'idée très bonne, et je l'explique plus en détail dans un document dont je fais mention dans notre brochure. Il s'agit d'un article intitulé «Getting the Inspectors Back Into Iraq». L'idée pourrait refaire surface, car on en fait mention dans la résolution 1284. On n'en fait peut-être pas mention de façon très musclée, et c'est pourquoi elle est passée inaperçue. Je crois qu'elle se trouve au paragraphe 36. L'une des difficultés que pose cette idée, c'est que l'on ne sait si elle peut être concrétisée en même temps que l'on cherche à maintenir les restrictions sur l'armement. Cela pourrait être problématique.

Le président: Monsieur Halliday, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Denis Halliday: J'aimerais répondre très précisément aux questions, mais j'aimerais d'abord corriger une déclaration inexacte qu'a faite M. Scott. Les 10 milliards de dollars par année représentent un chiffre brut. Comme je l'ai expliqué, 30 p. 100 servent aux réparations et 5 p. 100 aux frais généraux; autrement dit, cela représente bien moins que ce qu'il a indiqué.

M. Doug Scott: Ça, ce sont les 66 p. 100. Ce n'est pas le montant brut. Le brut représente 15 milliards de dollars.

M. Denis Halliday: C'est inexact, mais ne pinaillons pas sur les détails.

La question des abstentions est très intéressante. Mais que je sache, la Russie s'est abstenue de voter parce qu'elle ne voulait pas faire face à des questions embarrassantes au sujet de la Tchétchénie et qu'elle voulait le soutien des Américains. Quant à la France, nous avons entendu évoquer quelques théories, que je ne reprendrai pas. En ce qui concerne la Chine, elle ne veut pas être interpellée au sujet du Tibet. Au Conseil de sécurité, on a affaire à un réseau de solidarité, au système de copinage. C'est la corruption à son meilleur. Le seul membre honnête du clan, c'est la Malaisie, qui s'est abstenue de voter à cause de ses principes. En ce qui concerne le Canada, lorsque j'ai voulu rencontrer M. Axworthy, on m'a permis de parler à son personnel. On m'a expliqué très clairement que le Canada ne pouvait s'opposer à la politique de Washington à cause des liens existant entre nos deux pays, et à cause des échanges commerciaux entre les deux qui étaient beaucoup trop importants. J'imagine que le Canada a pour les mêmes raisons mis de l'eau dans son vin au Conseil de sécurité.

• 1115

Pourquoi l'Iraq a-t-il refusé la résolution 1284? Même si l'on croit naïvement que supprimer Saddam Hussein n'a rien à voir avec cela parce que ce n'est pas inscrit dans la résolution de l'ONU, ce qui est vrai, le fait est que lorsque l'on parle de Clinton, d'Albright et de Blair, cette éventualité est prise au sérieux.

Le fait est que la résolution 1284 ne va pas assez loin. Après neuf ans et demi de sanctions, elle ne va pas assez loin. Elle brandit la menace de la suspension, mais cela ne suffit pas. La suspension n'aura peut-être jamais lieu, car la COCOVINU pourrait ne pas pouvoir la justifier. De plus, une suspension de 120 jours ne garantit pas des investissements ni la relance de l'économie. On reste donc pris entre l'arbre et l'écorce et la suspension ne fait qu'être retardée. La résolution a pour effet de maintenir le statu quo, ce que souhaitent malheureusement les États membres du Conseil, et ce qui est, vous en conviendrez, effroyable.

[Français]

Le président: Merci. Il faut qu'on passe maintenant à Mme Davies.

Mme Maud Debien: Est-ce que Mme Picard va avoir un petit moment?

Le président: Oui. Je reviens à vous après, madame Picard. Les dix minutes sont terminées. On revient au prochain tour.

Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): D'accord.

[Traduction]

M. Denis Halliday: Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Je vais accélérer un peu, sans quoi les autres membres du comité n'auront pas le temps de poser leurs questions. Nous passons maintenant à Mme Davies, suivie de Mme Beaumier.

Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci, monsieur le président.

J'aimerais d'abord remercier les témoins d'avoir comparu et leur faire mes excuses pour toutes mes allées et venues. J'essaie d'assister à deux comités à la fois. M. Robinson, qui nous représente habituellement ici, ne peut malheureusement pas être présent aujourd'hui car il doit assister à un autre comité. Je vais tenter de le remplacer.

Je n'ai pas entendu les exposés de tous les témoins, mais j'ai lu tous les documents que vous avez envoyés.

Je voudrais d'abord souhaiter la bienvenue à Linda Morgan qui nous vient de la Colombie-Britannique. Ce qui me préoccupe fortement et préoccupe aussi beaucoup de gens, c'est de voir les instruments de politique étrangère que sont les résolutions onusiennes et celles de la communauté internationale se transformer en armes de destruction massive.

Laissez-moi vous dire que la campagne entreprise par votre groupe est très courageuse. Il est remarquable de voir des citoyens ramasser des fonds et obtenir toutes les autorisations nécessaires pour pouvoir se rendre en Iraq et voir de leurs yeux ce qui s'y passe réellement. Cela reflète ce que pensent beaucoup de Canadiens, à savoir que le Canada devrait se faire le porte-parole de la communauté internationale et demander la fin de ces sanctions terribles. Voilà, je voulais vous féliciter de votre travail remarquable.

L'une des difficultés rencontrées, c'est que cette question-ci ne semble pas avoir beaucoup de visibilité. J'ai lu avec intérêt ce que vous avez dit au sujet de la désinformation provenant du ministère des Affaires étrangères. Votre petit groupe tente de combattre cela, mais il fait face à un appareil gouvernemental massif qui propage continuellement cette information.

Avez-vous pu discuter avec les Affaires étrangères de la résolution 687, par exemple? Cela me semble être un exemple frappant de deux poids deux mesures! Le Canada est en parfaite contradiction avec lui-même quand il s'agit de l'Iraq: d'une part, il prône des sanctions tout en fermant les yeux sur les besoins de l'ensemble de la région et, d'autre part, il prône le désarmement et la démilitarisation. Je serais curieuse de savoir si vous avez pu en discuter avec le ministre ou son ministère, et j'aimerais que vous me suggériez des façons de mieux informer les Canadiens. Notre propre gouvernement pratique les deux poids deux mesures, et il emboîte le pas aux autres pays du globe. J'aimerais aussi savoir ce qu'en pense Mazen.

Notre rôle à nous, c'est d'interpeller notre propre gouvernement; et si notre propre gouvernement se fait lui-même l'apôtre des deux poids deux mesures, c'est très grave. Comment peut-on lutter contre ce phénomène, et appliquer une politique étrangère plus juste et cohérente?

Voudriez-vous commencer, ainsi que M. Mazen?

Mme Linda Morgan: Merci de vos aimables remarques.

• 1120

Nous avons tenté de joindre les gens du cabinet de M. Axworthy au ministère des Affaires étrangères, et nous avons communiqué avec des fonctionnaires du bureau de l'Iraq. Ces gens reconnaissent qu'il y a une incohérence dans la façon dont ils appliquent les normes, si on compare ce qui se fait en Israël et ce qui se fait en Iraq. Ils reconnaissent aussi qu'Israël a enfreint les règles et ce, impunément, contrairement à l'Iraq. Mais nous ne sommes pas allés plus loin.

Ils ont fait preuve de beaucoup d'agressivité à notre égard. Ils ont même attaqué certains des membres de notre groupe qui ont appelé au ministère lors de nos campagnes téléphoniques. Nous avons eu des gens de partout au pays qui appelaient au ministère, depuis Halifax jusqu'à l'île de Vancouver, et les réponses ont été très négatives.

Il existe à Montréal un groupe qui s'appelle «Les voix de la conscience» et qui essaie de rencontrer M. Axworthy, mais sans succès.

M. Mazen Chouaib: Nous avons essayé nous-mêmes et avons réussi à rencontrer des fonctionnaires des Affaires étrangères il y a maintenant deux jours, tout juste après les réunions que nous avions eues ici. Malheureusement, cela n'a abouti à rien, étant donné que les Affaires étrangères maintient toujours que la résolution 1284 est la meilleure solution qui soit. Elle constitue en un certain sens la solution miracle pour l'Iraq, et c'est à celui-ci d'accepter de s'y conformer et de livrer la marchandise.

Cela m'a beaucoup déçu, car j'ai habituellement de très bonnes relations avec le ministère des Affaires étrangères sur d'autres dossiers. Mais cette fois-ci,—et veuillez m'excuser si je m'échauffe un peu—la situation est plus délicate étant donné que je suis un Canadien d'origine arabe. Il était très inconfortable pour moi de faire face à quatre fonctionnaires assis de l'autre côté de la table. Vous pouvez m'imaginer en train de leur parler des enfants arabes, des petits Iraquiens, de nos petits-enfants, alors qu'ils s'en fichent complètement. Tout ce qui leur importe, c'est que l'apport calorique augmente pour la population, que le panier d'alimentation est mieux garni désormais en Iraq, et que cela suffira pour faire vivre la population iraquienne. C'est bon pour l'instant. Tant que l'Iraq peut respecter ses promesses, ça va. La suspension des sanctions pourra intervenir ensuite, et si un jour on devait décider de lever les sanctions, on le ferait. Vous me voyez en train de faire face à quatre fonctionnaires des Affaires étrangères qui sont en train de décider du sort des petits Iraquiens! Vous comprenez que j'y mette un peu de passion et que je sois très déçu de cette visite en tant que Canadien. En effet, je suis très fier d'être Canadien, mais lorsque je vois ce qui se passe au ministère des Affaires étrangères, dans notre propre pays, je suis obligé de conclure que le Canada est responsable de la mort des petits Iraquiens.

Merci.

Le président: Merci.

Madame Morgan.

Mme Linda Morgan: Ce qu'on entend dire au ministère, c'est que l'Iraq serait une menace pour ses voisins. L'un de nos membres, Steve Staples, s'est rendu en août dernier à une réunion à Dhaka, au Bangladesh, où siégeait le Comité parlementaire asiatique. Tous les membres de ce comité ont voté à l'unanimité pour la levée des sanctions. Si les voisins de l'Iraq ne le craignent pas, pourquoi donc le Canada le craindrait-il?

Mme Libby Davies: Justement, je voulais vous interroger là- dessus, madame Morgan. Je ne sais pas s'il s'agissait d'une grande conférence, mais la réunion semblait importante. Savez-vous s'il en est ressorti quelque chose et s'il y a eu un suivi?

Mme Linda Morgan: Non. N'eût été la présence de nos membres, nous n'en aurions jamais entendu parler.

Mme Libby Davies: Vous n'auriez jamais rien su.

Mme Linda Morgan: Quant à l'importance de la réunion, la plupart des chefs d'État de cette région y assistaient, sauf les dirigeants de l'Inde et d'Israël.

Le président: Merci.

Madame Beaumier.

Mme Colleen Beaumier: Merci, monsieur le président.

Je me demande si nous ne devrions pas convoquer les Affaires étrangères.

Laissez-moi vous expliquer l'une des choses qui me chiffonne, monsieur Cleminson. Je ne crois pas que les Canadiens soient naïfs lorsqu'ils entendent de l'information en provenance des Nations Unies. Je crois que la plupart des Canadiens croient qu'on a laissé la situation en Iraq traîner en longueur, et ils ne savent pas vraiment pourquoi.

Dès le début de la guerre du Golfe, nous étions nombreux à ne pas comprendre pourquoi la guerre avait été déclenchée. Étant donné le principe des deux poids deux mesures qui est très fréquent dans le monde d'aujourd'hui, aucun d'entre nous ne croyait vraiment, à mon avis, que la guerre visait à défendre les droits des Koweitiens. Pendant cette guerre, non seulement nous avons tué des civils, mais nous avons également détruit toute une infrastructure.

Il n'y a pas si longtemps, j'assistais à une réunion où était invité M. McNamara, qui a gagné ses titres de gloire au Vietnam. Il racontait qu'il avait tué je ne sais combien de gens, mais il était tout fier d'expliquer qu'il n'avait rien fait d'immoral parce qu'il n'avait pas servi à détruire une nation. Il parlait de l'infrastructure.

• 1125

Nous savons que les résidus d'armes américaines et britanniques ont contaminé l'environnement pendant la guerre.

J'aimerais savoir comment l'Iraq peut prouver qu'elle ne fabrique plus d'armes de destruction massive. Prouver cela relève, à mon avis, de l'impossible ou presque. Combien de fois encore les Iraquiens devront-ils ouvrir leurs portes? Combien de fois encore devront-ils se soumettre à des perquisitions, tout particulièrement à partir du moment où nous savons que la CIA est maintenant dans le tableau?

Nous savons que les sanctions ne donnent pas de résultats. Nous ne les imposons à aucun autre pays où on viole systématiquement les droits de la personne. Pourquoi pensez-vous que la situation pourrait être différente ici, et comment l'Iraq doit-il prouver qu'il a respecté les conditions américaines?

M. Ron Cleminson: Je répondrai d'abord que j'ai, quant à moi, confiance dans les Nations Unies. Ne pas faire confiance aux Nations Unies, c'est créer un énorme problème à l'échelle mondiale. Les représentants des Nations Unies sont des fonctionnaires dévoués à la tâche et qui font de leur mieux, mais qui sont souvent coincés par les priorités des autres pays. Autrement dit, lorsque nous critiquons les Nations Unies, c'est nous-mêmes que nous critiquons.

Si vous voulez savoir comment l'Iraq peut fournir des preuves, c'est très simple. Ainsi, pour ce qui est des armes nucléaires, les rapports de l'AIEA font état du fait que, à sa connaissance, il n'y a pas en Iraq d'armes nucléaires ni de programme clandestin d'armes nucléaires. S'il devait y en avoir un, l'AIEA pourrait le découvrir, peut-être pas en un an, mais elle le découvrirait néanmoins.

Si l'on en juge par le niveau de coopération offert par les Iraquiens dans ce domaine, et s'ils devaient coopérer tout autant dans les trois autres secteurs, cela permettrait au groupe... On ne peut jamais être sûr à 100 p. 100. Quiconque s'attend à ce que le contrôle et la vérification soient efficaces à 100 p. 100 sera déçu; mais il vient un temps où vous pouvez tirer des conclusions, au meilleur de vos connaissances et en vous fondant sur l'information à votre disposition.

Je crois que du côté des armes chimiques, si on vérifiait tous les documents, il serait sans doute possible en peu de temps d'obtenir les preuves que l'Iraq se conforme à la résolution. Dans le cas des missiles balistiques, l'Iraq s'y conformerait sans doute encore mieux. Mais on ne peut pas en dire autant pour les armes biologiques. Dans le cas de celles-ci, on parle au fond de terrorisme international. Que je sache, le gouvernement iraquien a affirmé pendant des années qu'il n'avait pas de programme d'armes biologiques. Chaque fois que la question a été soulevée auprès des Iraquiens, ils ont répondu avoir effectué de la recherche dans ce domaine mais sans rien produire. Puis, lorsqu'ils ont finalement avoué avoir produit quelque chose, ils ont dit ne l'avoir jamais utilisé pour fabriquer des armes. Enfin, une fois qu'il a été démontré que l'Iraq avait bel et bien armé ses outils biologiques, elle a répliqué qu'elle ne les avait pas déployés.

Voilà pourquoi je dis qu'il vaudrait mieux ne pas revenir sur le passé. Je crois que tout montre que l'Iraq et la COCOVINU peuvent en arriver à une entente. Je pense qu'on peut se reporter à cet égard au document de l'AIEA sur les armes nucléaires. Je crois qu'il faut saisir l'occasion qui se présente. Je parle de la résolution 1284. Nous avons un excellent représentant qui a la confiance du gouvernement iraquien. L'Iraq et la COCOVINU doivent donc s'entendre sur ces inspections.

À mon avis, les sanctions ne peuvent pas être maintenues pendant huit ans de plus. Bien qu'il s'agisse de mon opinion personnelle puisque je ne fais pas partie du gouvernement, je pense cependant qu'avec la collaboration de l'Iraq, il ne faudrait pas plus de 18 mois à deux ans pour savoir à quoi s'en tenir. Il suffit de se reporter à l'étude de cas.

Mme Colleen Beaumier: Je vous remercie.

Le président: MM. Halliday et Scott veulent brièvement répondre à la même question.

M. Denis Halliday: Oui. Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

• 1130

Je voudrais très brièvement faire remarquer que je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Cleminson. Le Canada doit appuyer l'action des Nations Unies. Cette organisation se compose évidemment d'États membres. Le personnel des Nations Unies ne fait qu'appliquer les consignes qui lui sont données par les États membres. Une Canadienne est responsable du programme de mise en oeuvre des sanctions contre l'Iraq. La sous-secrétaire générale des Nations Unies est Louise Fréchette, une Canadienne. Nous avons accès à quelqu'un qui exerce une grande influence aux Nations Unies et dont le travail est de suivre quotidiennement ce qui se passe en Iraq.

Je ne suis cependant pas d'accord avec ce que dit M. Cleminson au sujet de la situation biologique. MM. Butler et Ritter nous ont dit que l'Iraq n'est plus en mesure de produire des armes nucléaires. Je pense comme eux. Nous savons que 817 missiles à longue portée ont été détruits. Comme M. Blix l'a honnêtement admis, il est cependant plus difficile de vérifier qu'il n'existe plus d'armes chimiques et biologiques. La question à laquelle il n'a cependant pas répondu et à laquelle il voudra peut-être répondre est de savoir qui a fourni à l'Iraq ces armes chimiques et ces armes biologiques. Ce sont les Américains par l'intermédiaire d'entreprises du Maryland qui ont obtenu l'approbation du ministère du Commerce. Nous sommes en partie responsables du problème qui se pose.

Je vous remercie, monsieur le président.

M. Ron Cleminson: Puis-je ajouter quelque chose? L'Iraq possédait une usine, l'usine al-Muthanna, qui était la plus importante usine de production d'armes chimiques au monde. Nous n'en sommes pas sûrs, mais il semblerait qu'on produisait aussi dans cette usine des armes biologiques.

J'insiste sur le fait qu'il s'agit du passé. Le Conseil de sécurité a maintenant adopté une résolution, la résolution 1284. Cette résolution n'a été rejetée par aucun pays, ni par la France, la Russie ou la Chine. La Malaisie non plus ne l'a pas rejetée. Je ne pense pas qu'on puisse parler d'un grand complot. C'est ce que prétend l'Ottawa Citizen au sujet du fonctionnement du Conseil de sécurité, mais c'est le meilleur outil d'intervention dont nous disposons. Nous devons utiliser le meilleur outil dont nous disposons. La résolution montre la voie à suivre et si les Iraquiens acceptent de participer à des consultations avec M. Blix, je pense que nous devons nous engager dans cette voie. Nous devons aller de l'avant au lieu de nous enfermer dans le passé.

Le président: Je vous remercie.

Il nous reste environ une minute. Je vais donc demander à M. Scott et à Mme Morgan d'être brefs.

M. Doug Scott: Je voulais simplement répliquer à ce que disait Mme Beaumier parce que c'est une question qui nous a préoccupés pendant un certain temps. Les armes qui restent ne peuvent pas être très importantes. Comment l'Iraq peut-il prouver qu'il n'existe absolument plus d'armes de destruction de masse puisqu'on lui demande d'apporter des preuves de quelque chose qui n'existe pas?

C'est très difficile à faire. Il y a cependant une façon par laquelle l'Iraq pourrait montrer que sa politique a vraiment beaucoup changé, et j'en parle dans mon mémoire. L'Iraq pourrait adopter la loi que la résolution 715 exige qu'elle adopte pour que les sanctions qui lui ont été imposées soient levées. L'Iraq pourrait adopter une loi obligeant tous les Iraquiens, y compris les fonctionnaires, à collaborer avec les inspecteurs.

En outre, bien qu'il n'en soit pas question dans la résolution 715, l'Iraq pourrait abolir les décrets qu'il a adoptés immédiatement après la guerre du Golfe. Ces décrets exigeaient que tous les citoyens iraquiens refusent de collaborer avec les inspecteurs et les obligeaient même à priver les inspecteurs de toute l'information qu'ils pouvaient. L'Iraq pourrait abolir ces décrets, ce qu'il n'a pas fait. On lui a demandé de le faire, mais il a toujours refusé de le faire. L'Iraq a dit qu'il abolirait ces décrets, mais il ne l'a jamais fait.

Certains soutiendront que ce genre de loi ne sera pas appliquée dans un État autoritaire. Je conviens que c'est un risque. Le fait que l'Iraq n'ait pas annulé ces décrets me frappe cependant. Apparemment, cette loi serait appliquée. C'est très intéressant. Si l'Iraq adoptait cette loi, nous attacherions de l'importance à ce geste qui indiquerait que le gouvernement en a assez de ces jeux et qu'il va cesser d'essayer de conserver ses dernières armes de destruction de masse parce qu'il souhaite vraiment la levée des sanctions. Nous savons que le gouvernement pourrait le faire facilement et rapidement. Il ne s'agit pas pour lui de prouver quelque chose qui n'existe pas. Par son attitude et son comportement, le gouvernement pourrait faire la preuve de sa bonne foi.

Le président: Madame Morgan, je vous demande d'être brève.

• 1135

Mme Linda Morgan: Je pense que toute la question des armes de destruction massive est vraiment une fausse question. N'importe quelle université dans le monde pourrait fabriquer des armes chimiques. On me dit même qu'on peut apprendre à fabriquer des armes chimiques sur l'Internet. Comme les gens d'Oklahoma l'ont appris, on peut même se servir d'engrais pour en faire. On peut même dire que ces sanctions sont des armes de destruction de masse. Elles ont tué plus d'un million de gens.

Le président: Je vous remercie.

[Français]

Madame Picard, cinq minutes.

Mme Pauline Picard: Oui, je serai brève, monsieur le président. J'adresse ma question à qui pourra y répondre.

Je voudrais parler du Programme pétrole contre nourriture. En 1995, le programme approuvé permettait à l'Irak de vendre pour 2 milliards de dollars de pétrole. En 1998, on a augmenté ce montant à 5,2 milliards de dollars, mais on a mis cet argent dans un compte sous séquestre à l'ONU.

Trente pour cent de ce compte allait dans un compte compensatoire pour le Koweït. Il y en avait aussi une partie qui était pour les diverses activités de l'ONU, pour le désarmement, et une autre partie qui servait pour les besoins humanitaires. Comment cette aide humanitaire parvenait-elle à l'Irak?

[Traduction]

Le président: Monsieur Halliday.

M. Denis Halliday: Je vous remercie, monsieur le président.

Madame, comme vous le savez, j'ai été responsable pendant un an du programme pétrole contre nourriture en Iraq. Ce programme a donné de bons résultats parce que le gouvernement a collaboré avec les Nations Unies. Les Nations Unies à elles seules n'auraient jamais pu mettre en oeuvre ce programme. Le gouvernement s'en est servi pour créer son propre système. Comme nous l'avons appris aujourd'hui et comme le fait ressortir l'étude de Sheila Zurbrigg, le gouvernement iraquien a commencé à mettre en oeuvre un programme d'aide sociale bien avant que nous lui proposions le nôtre.

Tous les citoyens iraquiens ont une carte. Cette carte leur donne accès à de la nourriture en vertu du programme «pétrole contre nourriture» et ils n'ont à cet égard qu'à s'adresser à l'un des 49 000 mandataires du gouvernement. Le personnel des Nations Unies surveille la répartition de la nourriture. Cent cinquante de mes employés surveillent en Iraq toutes les opérations de distribution de la nourriture par l'intermédiaire des mandataires. Ils interviewent même les bénéficiaires. Jusqu'ici, grâce aux Iraquiens, le programme a donné de bons résultats.

Dans le nord, où vivent quelque trois millions de Kurdes iraquiens, la nourriture est directement distribuée à la population par l'intermédiaire du Programme alimentaire mondial conformément à une entente sur l'autonomie partielle de cette région. Le programme a donné de bons résultats.

Il y a eu quelques dérapages du côté médical. Il y a beaucoup de retards dans la distribution des médicaments. On a accusé le gouvernement de constituer des stocks, ce qui est une pratique normale qu'appuie même l'Organisation mondiale de la santé.

Dans le cas de la nourriture, le programme est extrêmement efficace. Le malheur, c'est qu'il n'avait pas été conçu pour réussir, il avait été conçu pour cesser toute détérioration de la situation. Peut-être y est-on parvenu et même ça, ce n'est pas très certain parce que les taux de mortalité et de malnutrition continuent d'augmenter malgré la formule «pétrole contre nourriture». C'est là la tragédie. De sorte que la mortalité et la malnutrition persistent.

[Français]

Mme Pauline Picard: Certaines personnes que nous avons rencontrées hier nous ont mentionné qu'avec la distribution de l'aide humanitaire, il pouvait y avoir certains marchés noirs qui s'installaient. Est-ce que vous êtes conscient de ce problème?

[Traduction]

M. Denis Halliday: Oui, tout à fait. C'est un des grands dangers. Quand on entend parler de 1 500 ou de 2 000 calories, cela semble merveilleux, mais nous savons que nous n'avons d'approvisionnement que pour trois semaines par mois environ.

Deuxièmement, les Iraquiens n'ont pas d'autre monnaie d'échange. Leur devise est presque sans valeur. Le revenu moyen d'un professionnel iraquien est peut-être de 10 $ par mois. Cela ne permet pas d'acheter les nécessités de la vie. Ce qui se passe, c'est que les Iraquiens sont forcés de vendre une partie de ces vivres pour payer leur loyer, pour acheter des livres pour leurs enfants, des chaussures, pour simplement continuer à vivre.

Ils doivent aussi acheter des aliments de remplacement parce que le panier à provisions de l'ONU ne contient pas de protéines animales, à l'exception d'une très petite quantité de poudre de lait entier et de fromage, qu'on a commencé à fournir quand j'y étais. Les protéines animales font gravement défaut. On ne trouve pas non plus de vitamines ni de sels minéraux. On achète donc des oeufs et de la viande et du poulet et d'autres choses si on peut se le permettre, mais cela veut dire qu'il faut l'échanger contre du riz et de la farine de blé pour essayer de faire en sorte que tout cela fonctionne. Je pense que c'est ce qui contribue à la détérioration de la qualité de la nutrition, sans compter tous les autres problèmes. Naturellement, les problèmes sous-jacents des dommages causés par la guerre du Golfe aux systèmes d'approvisionnement en eau sont critiques.

• 1140

[Français]

Le président: Merci. Monsieur Paradis.

M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Dans un premier temps, je voudrais tous vous remercier pour vos présentations.

Avant de commencer, j'aimerais faire une petite mise au point en réponse aux propos de M. Chouaib. Je dois vous dire que ce ne sont pas quatre fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères qui décident de l'ensemble de la politique étrangère du gouvernement canadien. Vous pouvez constater le fonctionnement très ouvert de ce comité-ci. Cette étude que nous faisons sur les sanctions en Irak est, bien sûr, acceptée par tous les députés qui sont présents à ce comité dont la majorité est libérale, donc gouvernementale. Donc, je souhaite rétablir un peu les faits et dire que nous sommes très ouverts et très intéressés à entendre tout ce que vous avez à nous dire sur la situation en Irak.

D'ailleurs, et vous l'avez mentionné, monsieur Halliday, le Canada a une place particulière à l'ONU par l'entremise de Mme Fréchette, et à partir du mois d'avril, nous assumerons la présidence du Conseil de sécurité. Donc, je pense que nous jouons un rôle important et que vous êtes bien placé pour porter l'Irak à l'ordre du jour, à la veille de notre accession à la présidence du Conseil de sécurité.

[Traduction]

Un bon nombre de gens nous ont dit que la formule «pétrole contre nourriture» ne fonctionne pas vraiment, ou qu'elle devrait être meilleure; qu'elle devrait être améliorée. Peut-être qu'on devrait échanger du pétrole pour répondre aux besoins des gens, pour assurer une aide humanitaire, pour soutenir la vie—élargir le champ d'action. Peut-être devrions-nous établir une distinction entre les sanctions qui visent la population et les inspections qui visent le gouvernement ou le régime de Saddam.

Ma question s'adresse à M. Halliday. Y a-t-il d'autres outils auxquels nous devrions penser et qui viseraient davantage le régime de Saddam que la population?

M. Denis Halliday: Une discussion a été entreprise et se poursuit depuis de nombreuses années sur l'idée des sanctions intelligentes, c'est-à-dire des sanctions qui visent davantage ceux qui sont responsables de la prise de mauvaises décisions. Ainsi ceux qui ont commis l'erreur d'aller au Koweït et qui devraient assumer la responsabilité de la calamité qu'a représentée l'invasion du Koweït, par exemple, devraient être sanctionnés plus directement.

Autrement dit, on évite de punir les masses, la population, qui n'a bien sûr pas été consultée sur l'invasion du Koweït. Bon nombre de ces gens n'étaient même pas nés quand on a envahi le Koweït. Ils ne devraient pas être visés par toutes ces sanctions et on ne devrait mettre l'accent que sur le gouvernement et les décideurs, l'élite, quel que soit le nom qu'on veut bien leur donner. Cette discussion se poursuit actuellement à l'ONU.

Un bon document rédigé par le bureau du Secrétaire général traite de certaines de ces questions. En somme, malheureusement, il est extrêmement difficile de concevoir des sanctions intelligentes qui vont viser les responsables plutôt que la population. C'est pourquoi les sanctions ne donnent jamais rien. C'est triste à dire, parce qu'elles sont un outil légitime du Conseil de sécurité prévu dans la Charte, au chapitre VII. Personne ne peut soumettre d'exemple de sanctions qui ont vraiment donné des résultats, et ce sont toujours les innocents qui en font les frais.

Il n'y a pas de solution simple, je le crains. Je crois que la seule façon de faire, c'est d'établir une distinction, comme vous l'avez laissé entendre. Séparez les militaires et les civils. Levez les sanctions économiques, maintenez les inspections militaires et toutes les autres garanties qui peuvent être nécessaires, mais laissons l'Iraq rebâtir son économie et remettre la population au travail. C'est la seule façon de faire. Il n'y en a pas d'autre, il me semble.

M. Denis Paradis: Merci.

Le président: Monsieur Chouaib.

[Français]

M. Mazen Chouaib: Monsieur le président, je vous remercie bien pour votre sentiment.

[Traduction]

Je comprends ce que vous dites, et c'est la raison de notre présence ici aujourd'hui. Nous estimons que les autorités canadiennes ne se contentent pas d'étudier la situation depuis le fond de leurs bureaux. Nous sommes convaincus que le gouvernement canadien a un grand rôle à jouer, et nous sommes convaincus que vous pouvez énormément contribuer à le convaincre de la nécessité de modifier cette politique.

Je voudrais souligner ce que M. Halliday a dit. On ne peut pas séparer les sanctions économiques des sanctions militaires. Les Iraqiens eux-mêmes, leur gouvernement, l'ont demandé aussi. Prenons cette main tendue au lieu de refuser de leur parler, et de chercher à les isoler.

Je vous remercie.

Le président: Monsieur Martin.

• 1145

M. Keith Martin: Très brièvement, monsieur Halliday, pourquoi la situation est-elle bloquée parce que le gouvernement iraqien ne veut pas accepter la présence d'inspecteurs? S'il faisait ce geste de bonne volonté, nous aurions beaucoup plus de poids politique pour réclamer la levée d'une partie des sanctions.

Deuxièmement, à votre avis, quels sont les leviers les plus efficaces dont notre comité pourrait se servir pour promouvoir des solutions constructives qui permettraient d'améliorer la santé et le bien-être des Iraquiens? Vous en avez mentionné un—Mme Fréchette—mais s'il y en a d'autres, nous aimerions le savoir.

M. Denis Halliday: Merci. Je suis désolé d'accaparer la discussion, mais c'est involontaire. J'espère que vous le comprendrez.

Il y a un malentendu. Quand l'équipe d'inspection, la CSNU, a quitté l'Iraq en décembre 1998, on a eu l'impression que c'était l'Iraq qui l'avait expulsée. C'est faux. Les inspecteurs ont été rappelés par M. Butler, qui avait soumis à Washington un rapport à partir duquel le secrétaire général a conclu qu'il y avait un refus de collaborer, ce qui a débouché naturellement sur les bombardements britanniques et américains en décembre, avant le Ramadan et Noël. Il est important de bien comprendre que c'est M. Butler qui les a rappelés. Lui-même est parti en pleine nuit, à trois heures du matin, laissant derrière lui les travailleurs humanitaires qui ont été victimes des attaques de missiles la semaine suivante. C'était un comportement pour le moins curieux.

Je crois que l'Iraq a dit clairement qu'il connaissait le prix à payer pour que les sanctions soient levées. Ils disent: nous savons que les inspections sont nécessaires. Nous savons qu'il faut respecter les exigences de l'ONU et de tout le monde. Nous voudrions que ce soit la même chose pour nos voisins, car cela est stipulé au paragraphe 14 de la résolution 687. Nous sommes prêts à accepter tout cela, mais laissez-nous un peu de dignité, un peu de souveraineté, un peu de respect; n'imposez pas une humiliation totale à notre grand pays. C'est comme cela que les Iraquiens se voient à juste titre, je crois, l'Iraq et la Mésopotamie, etc.

Mais c'est ce qu'il faut faire. Il faut séparer les deux, et je pense que le problème des sanctions et des inspections s'effacera de lui-même. Mais il faut commencer par lever les sanctions.

Quant aux leviers dont vous pouvez vous servir à l'ONU, comme plusieurs d'entre vous l'ont dit, et moi-même aussi, nous sommes tous convaincus que le Canada jouit d'un pouvoir exceptionnel dans le monde entier et auprès de l'ONU, car il a la réputation d'être un pays qui sait défendre des causes, qui sait souvent trouver le ton juste dans des circonstances difficiles. Voici une occasion en or de dire ce que pense, je crois, la majorité des États membres de l'Assemblée générale. Ces pays vous emboîteraient le pas si le Canada proposait de lever les sanctions en maintenant des inspections militaires, etc., pour réprimer la vente d'armes militaires à l'Iraq et aux autres pays. Le Canada peut le faire. Vous devez être bien conscients du pouvoir que détient notre pays, et vous avez une occasion en or.

Comme on vient de vous le rappeler, c'est notre ambassadeur, M. Fowler, qui va présider le Conseil de sécurité à partir d'avril. Ce sera l'occasion parfaite de faire table rase de ce mythe et de passer outre à cette résolution 1284 qui ne marchera jamais pour faire quelque chose de beaucoup plus percutant pour répondre à la détresse des Iraquiens.

Le président: Merci.

Monsieur Halliday, vous seriez étonné de savoir le nombre de témoins qui viennent nous parler du pouvoir du Canada. Vous devriez aller en parler un peu aux membres du Congrès américain. Peut-être qu'ils nous respecteraient un peu plus quand nous les rencontrons.

M. Denis Halliday: J'y vais le 5 avril, j'essaierai d'y penser.

Le président: Dites-leur que nous sommes là et que nous avons l'air menaçant.

Monsieur McWhinney.

M. Ted McWhinney: Merci, monsieur le président.

Nous avons eu une quinzaine de jours de discussion fascinante sur le Kosovo où il n'y avait pas vraiment de base juridique internationale explicite, mais où l'ensemble des intervenants s'accrochaient à des principes généraux. Hier, comme vous l'avez dit, nous avons presque eu un débat sur l'opposition entre positivisme et droit naturel, où il y a un fondement juridique explicite; certains estimaient qu'il fallait y passer outre au nom de principes généraux. Mais si vous avez un fondement en droit explicite, il faut normalement l'interpréter de manière restrictive.

Je vais vous poser trois questions fondamentales. Il y en a une qui concerne Hans Blix. C'est un de mes collègues à l'Institut. Je le connais depuis des années. Je me demande si l'on ne voit pas un peu trop en lui le sauveur.

Quoi qu'il en soit, son mandat, que vous avez certainement lu et que j'ai bien l'intention de lire moi-même—je vous le garantis—lui donne-t-il des pouvoirs explicites sur la question des sanctions?

Deuxièmement, les fondements juridiques explicites des sanctions actuelles remontent-ils à 1991, ou les a-t-on modifiés par la suite puisque nous sommes actuellement dans une situation d'après-après-guerre?

• 1150

Ma troisième question concernant les sanctions est la suivante. Je me fonde sur ma propre connaissance des rapports de presse, mais nous avons pu constater que les programmes de sanctions en Bosnie n'avaient pas marché à cause du manque de coopération des pays voisins. Ils n'étaient pas d'accord. Pouvez- vous donc me parler de la position des États voisins de l'Iraq. Quelle est la position actuelle du gouvernement iranien—aujourd'hui—celle du gouvernement de l'Arabie Saoudite et des autres pays qui étaient des alliés lors de la guerre du Golfe, l'Arabie Saoudite en tout cas? Les États voisins coopèrent-ils? Et je fais une distinction entre la coopération verbale tacite et la coopération concrète.

Je vais faire mes propres recherches, mais j'aimerais bien avoir la réaction immédiate de M. Halliday ou des autres témoins s'ils peuvent me donner leur avis.

M. Denis Halliday: Merci, monsieur le président.

Je crois que le mandat de M. Blix est strictement limité au mandat d'ensemble de la COCOVINU, et il consiste à confirmer ou à affirmer que l'Iraq n'a pas la capacité ni les moyens de fabriquer des armes de destruction massive, qu'il s'agisse de missiles nucléaires ou à longue portée, ou d'armes chimiques ou biologiques. C'est une tâche impossible, mais je ne m'étendrai pas là-dessus. Cela limite son mandat, mais évidemment son travail pourrait permettre au Conseil de sécurité de lever les sanctions en vertu de la résolution 1284. Il a donc un rôle très important. C'est un fardeau colossal, comme vous l'avez laissé entendre, pour une personne seule. C'est un homme dont l'intégrité est bien connue.

Le régime de sanctions actuel regroupe tout un ensemble d'éléments. Il a débuté avec la résolution 661, qui avait pour but d'obliger l'Iraq à se retirer du Koweït. Naturellement, cela a échoué et il y a eu la guerre du Golfe. Il y a eu ensuite la résolution 687, qui était la résolution 661 plus un nouvel élément visant au désarmement complet de l'Iraq et en particulier naturellement, à l'élimination des armes de destruction massive. La résolution 687 est toujours bien en vigueur. Elle est mentionnée dans le préambule de la résolution 1284. De nombreux juristes internationaux vous diront que c'est à cause de cela que tout a dérapé, parce que les résolutions 687 et 1284 maintenant ne sont pas des instruments juridiques appropriés. Elles ne correspondent pas à la réalité du besoin. Ce qu'il faut faire, c'est désarmer un pays par le biais de son gouvernement, du régime qui applique ce programme. Il ne s'agit pas de détruire et de punir la population du pays.

Donc de nombreux juristes internationaux, notamment notre ami à Princeton, Richard Falk, croient que ce sont des applications illégales, des applications abusives, du pouvoir conféré au Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII relativement à l'imposition d'un embargo.

M. Ted McWhinney: Connaissez-vous quelqu'un d'autre à part M. Falk? Je ne le dis pas pour miner la qualité de votre recommandation, mais connaissez-vous quelqu'un d'autre qui se soit exprimé sur cette question?

M. Denis Halliday: Oui. Je pourrais vous fournir une liste de juristes en France, en Allemagne, en Hollande et aux États-Unis.

M. Ted McWhinney: Du même calibre que M. Falk?

M. Denis Halliday: Qui sont d'accord avec M. Falk.

M. Ted McWhinney: Mais qui sont du même calibre et du même niveau?

M. Denis Halliday: Oui, oui, des gens compétents.

M. Ted McWhinney: Je serais heureux d'avoir cette liste.

La troisième question, l'attitude des États voisins?

M. Denis Halliday: Les Nations Unies permettent en fait, en théorie tout au moins, d'indemniser les États voisins qui ont subi des torts sur le plan du commerce ou autrement. Toutefois, cela ne se matérialise normalement pas.

Dans le cas de l'Iraq, ce pays a un commerce important avec la Turquie. Le gouvernement vend de l'essence à la Turquie et obtient en échange de la nourriture, des légumes. Mais la frontière est très peu étanche. C'est une des raisons pour lesquelles la situation des Kurdes du Nord est meilleure, parce que des médicaments parviennent par cette frontière. Ce trafic est bien connu, parce qu'il y a des satellites d'observation de même que des avions militaires américains. J'ai moi-même vu des caravanes de 10 kilomètres de longueur formées par des camions qui se livraient à ce troc. C'est une part très importante de l'économie iraquienne, mise à part la formule de «pétrole contre nourriture».

Dans le cas de la Jordanie, il existe une entente officielle. Il existe un protocole en vertu duquel, il me semble, un quart de milliard de dollars de biens peuvent entrer en Iraq en échange de pétrole. La Jordanie demeure entièrement dépendante du pétrole de l'Iraq pour satisfaire ses besoins en énergie.

L'Iran est dans une situation un peu plus nébuleuse. On a entendu dire ou on suppose que l'Iran permet que ses voies d'eau soient utilisées pour l'expédition de pétrole brut dans le Golfe. Je pense qu'il y a beaucoup plus de collaboration que nous le pensons entre ces deux pays. Ils entretiennent certainement une relation bien meilleure qu'auparavant. Mais je ne peux fournir aucun détail.

Cela dit, il y a des bribes d'information et des fuites. Par exemple, une force policière en Iraq dispose aujourd'hui de nouvelles automobiles coréennes. Quelqu'un doit avoir fait entrer 500 voitures en échange de quelque chose, probablement du pétrole.

Mais la grande question demeure la Turquie et la Jordanie, comme chacun sait. On ferme les yeux sur ce commerce.

• 1155

M. Ted McWhinney: L'Iran et l'Iraq ont-ils repris des relations diplomatiques officielles qui permettraient l'existence de missions normales, étant donné qu'il s'agit d'anciens ennemis, comme vous le savez?

M. Denis Halliday: Oui. Il y a un ambassadeur de l'Iran à Bagdad. Le vice-président Ramadan s'est rendu à Téhéran. Ils sont en assez bons termes. Mais, naturellement, ils sont probablement en quelque sorte rapprochés par les Nations Unies, les États-Unis et d'autres pays. Ils sont voisins et des frères arabes dans un certain sens. Ce sont d'importants facteurs.

M. Ted McWhinney: Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Patry.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci. Ma question s'adresse à M. Halliday.

Il me semble que vous avez une position différente de celle de M. Cleminson en ce qui concerne la résolution 1284. Vous nous avez dit qu'il a fallu un an de discussion pour en arriver à cette résolution aux Nations Unies. Nous savons qu'il existe un mouvement parmi les parlementaires du Royaume-Uni pour demander la levée de l'embargo, et nous savons que notre comité va rédiger un rapport. Parfois nos rapports ont une influence sur le ministère, comme celui que nous avons rédigé sur la position nucléaire du Canada.

Ma question est bien simple. Quelles sont les chances de succès, et combien de temps cela prendrait-il si le Canada demandait la levée de l'embargo? Vous mentionnez dans votre dernière recommandation:

    Le Canada devrait montrer la voie en exigeant la levée de l'embargo économique dès demain tout en maintenant les sanctions militaires et les inspections.

Peut-on réussir? Combien de temps faudrait-il, d'après votre expérience?

M. Denis Halliday: Je reconnais que le temps presse. Nous devons reconnaître que 3 000 ou 4 000, peut-être même 5 000, enfants de moins de 5 ans meurent tous les mois. Alors, chaque fois que nous... Nous venons tout juste d'avoir une discussion et ce matin sans doute que 30 autres enfants iraquiens sont morts. Nous devons donc agir, et le Canada a un rôle à jouer.

Je ne vous dirai pas que c'est facile. Mais je crois, voyez-vous, que Clinton et Albright et Blair cherchent désespérément une façon de s'en sortir. Ils savent qu'ils sont dans un puits très profond. Ils savent que c'est illégal. Ils savent que c'est immoral. Ils veulent s'en sortir. Alors s'il existe une solution...

Il y a, vous savez, 70 ou 80 membres du Congrès qui pensent, comme vous—c'est l'impression du moins que j'ai ici—que quelque chose doit être fait et rapidement. Ils l'ont dit récemment. Ils ont signé une lettre adressée au président Clinton sur le découplage des sanctions économiques et militaires.

Il y a des lacunes. Il y a des possibilités, il me semble, au Royaume-Uni et à Washington, là où cela compte. Malgré ce que nous avons entendu, je pense que la Russie, la Chine et la France... Avec une proposition ferme des leaders du Canada pour un découplage total et le maintien d'inspections militaires rigoureuses et toutes ces choses—ce qui peut ne pas plaire à l'Iraq, mais je pense qu'il doit les accepter—je crois qu'on obtiendrait très rapidement l'appui de la France et de la Russie. L'idée doit être suggérée, et je pense que M. Fowler est l'homme de la situation, avec, bien sûr, votre très ferme appui. Mais vous savez, avec tout le respect que je vous dois, son supérieur immédiat est probablement le ministre des Affaires étrangères, à vous donc d'en juger.

Merci.

M. Bernard Patry: Merci.

Le président: Très rapidement, j'ai une question pour M. Halliday.

M. Scott a laissé entendre qu'en réalité l'Iraq ne coopérait pas complètement en vue de la réalisation de ce programme «pétrole contre nourriture». En avez-vous eu des preuves? Autrement dit, est-ce que certains de ces problèmes ne sont pas imputables à l'Iraq même? Que s'est-il passé à cet égard quand vous étiez là, à propos de la coopération locale?

M. Denis Halliday: Merci, monsieur le président.

Comme je vous le disais, j'avais 150 observateurs à temps plein répartis dans tout le pays pour surveiller l'exécution de ce programme. Ils n'ont jamais pu me présenter un seul incident que j'aurais soumis au secrétaire général. Donc, le secrétaire général, en près de trois ans, n'a jamais pu faire état d'un détournement illégal de vivres ou de médicaments fournis dans le cadre de ce programme. Je m'en tiens à cela. À l'UNICEF, à la FAO et au Conseil mondial de l'alimentation des Nations Unies, nous n'avons jamais constaté de détournement de vivres en Iraq.

En fait, c'est plutôt le contraire. Quand nous avons constaté des retards—et vous savez qu'il y a actuellement des navires canadiens au large de Basra qui ne sont pas déchargés en raison de certaines difficultés—le gouvernement iraquien a puisé à même ses propres réserves de farine de blé et les a intégrées au programme «pétrole contre nourriture», et nous avons distribué son blé dans le cadre du programme pour nourrir le peuple iraquien, qui dépend totalement de cette source de vivres.

Merci.

Le président: Monsieur Scott, vous voudrez sans doute répondre, puisqu'il s'agissait de votre idée.

M. Doug Scott: Oui, j'aimerais ajouter à ce qu'a dit M. Halliday au sujet de la coopération dont fait preuve le gouvernement de l'Iraq. Je m'en tiens aux chiffres contenu dans les rapports du secrétaire général de l'ONU. Dans celui du 17 novembre 1999—il s'agit en fait du rapport de M. Savan, que vous connaissez certainement, le directeur exécutif du programme iraquien. Ce n'est qu'un exemple, et il y en a beaucoup d'autres. Il dit que le taux de distribution des fournitures médicales était supérieur à 76 p. 100, ce qui veut dire que les fournitures médicales étaient déjà parvenues en Iraq et que seulement 76 p. 100 de ces lots avaient été distribués. Ensuite il parle de l'équipement médical, et le taux de distribution était de 30 p. 100, ce qui veut dire que 30 p. 100 seulement de l'équipement médical parvenu en Iraq avait effectivement été distribué.

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La situation s'est peut-être améliorée depuis. C'est probablement le cas—je l'espère du moins—mais je ne pense pas qu'on puisse vraiment dire qu'il n'y a pas d'exemples de manque de collaboration. Je ne sais pas s'il s'agit d'un manque de collaboration ou de stupidité ou d'autre chose, mais il s'agit d'une sorte d'intervention du gouvernement iraquien.

Le président: L'infrastructure n'est peut-être pas suffisamment bonne pour permettre la distribution telle qu'on l'a déjà décrite.

Monsieur Millholland, vous vouliez intervenir. Mme Morgan a demandé la parole en premier, mais je vous demande d'être très bref car nous avons déjà dépassé le temps prévu pour la réunion.

M. Arthur Millholland: Je répondrai brièvement à M. Scott. Je lui conseille de faire un voyage en Iraq. J'ai examiné la situation moi-même et le gouvernement iraquien compose avec de vieux ordinateurs dont plusieurs qui ne fonctionnent pas. Imaginez la situation il y a 20 ans, lorsqu'on faisait tout manuellement. C'est cela la situation actuelle en Iraq.

Le pays a un ministère de la Santé, tout comme nous avons Santé Canada, qui vérifie les médicaments qui entrent au pays. Saviez-vous qu'il y a énormément de médicaments provenant des États-Unis qui sont déjà périmés lorsqu'ils arrivent en Iraq? Savez-vous pourquoi ces médicaments sont périmés? Parce que les fabricants de produits pharmaceutiques obtiennent une grosse déduction aux fins de l'impôt. Ils expédient les médicaments six mois avant la date d'expiration et ils arrivent déjà périmés. Est-ce le but du programme? Absolument pas.

Les Iraquiens vérifient ces médicaments. Monsieur Scott, accepteriez-vous que Santé Canada permette la vente de médicaments périmés à la population canadienne sans qu'ils soient vérifiés? Absolument pas.

Il ne faut pas dire qu'ils sont stupides ou que les médicaments sont détournés à d'autres fins, car j'ai visité ces laboratoires. L'Iraq a demandé des chariots élévateurs à fourche pour déplacer les palettes. Le Comité des sanctions a rejeté la demande. Il faut des équipements de réfrigération pour conserver ces produits, sinon ils ne sont plus bons. Le Comité des sanctions a rejeté cette demande aussi.

Comme dans toute histoire, comme dans tout mariage qui ne marche plus, il y a deux côtés de la médaille. Vous devez y aller pour constater la vérité vous-même, car vous n'avez rien compris. Vous ne pouvez pas la constater en examinant une feuille de papier, j'y suis allé et j'ai dépensé plus d'un million de dollars pour étudier ce problème. Je suis un témoin. Je peux vous dire que j'ai vu la situation.

Merci.

Le président: Merci.

Madame Morgan.

Mme Linda Morgan: Le Dr Khadir est allé en Iraq au mois de janvier et il a parlé à Hans von Sponeck. M. von Sponeck a dit exactement la même chose à la délégation, Voices of Conscience, que Denis Halliday vient de dire. Il y a 500 observateurs en Iraq.

Le président: Merci beaucoup tout le monde. Nous vous savons gré de vos témoignages. Je ne pense pas me tromper en disant qu'il y a un consensus parmi les membres du groupe, alors qu'il existe un désaccord quant à la nécessité des sanctions, l'idée de découpler les sanctions militaires des sanctions économiques semble être une piste de solution pour nous permettre de sortir de cette impasse. Il reste à savoir si cette solution sera efficace et comment on pourra la gérer.

Je ne veux pas lancer un autre long débat, mais nous venons d'examiner d'autres régions, comme le Kosovo et la Serbie, et on dit qu'il devrait y avoir des sanctions économiques qui visent à exercer des pressions sur ces régimes, s'ils ne suivent pas les règles du jeu. Il devrait y en avoir. Vous pourriez peut-être avoir une série de sanctions économiques qui visent les leaders—pour les empêcher de voyager, les empêcher d'aller dans les boîtes de nuit, peu importe où ils sont ou ce qu'ils font.

Très brièvement, y a-t-il des sanctions économiques que nous pourrions retenir parce qu'elles visent précisément le style de vie des gens qui sont responsables, en partie du moins, de ce problème, au lieu de viser les citoyens moyens qui vivent les conséquences? Y a-t-il quelque chose qu'il faudrait retenir?

M. Denis Halliday: Monsieur le président, vous avez soulevé une question importante à mon avis. Nous avons parlé de sanctions intelligentes, et le secrétaire général a examiné la question. Tout le monde pense vraiment qu'il faut éviter à tout prix de reproduire la situation qui existe en Iraq. Il faut agir différemment.

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Trouver des sanctions intelligentes risque d'être très difficile, mais on peut empêcher un chef d'État de voyager, on peut geler son compte en banque à l'étranger, on peut faire des choses comme ça. Mais dans le contexte actuel de l'Iraq, si vous continuez à imposer des sanctions au gouvernement, je pense que cela représentera un châtiment, et je ne pense pas que le Conseil de sécurité et la Charte prévoient un châtiment comme tel. Cela nous amène vers une question intéressante, mais ce n'est pas mon domaine de compétence.

Merci.

Le président: Très brièvement, monsieur Scott, et ensuite je vais clore la réunion.

M. Doug Scott: Je vais tout simplement dire que selon moi, vous ne posez pas la bonne question. Vous vous demandez si on peut faire quoi que ce soit à propos des sanctions économiques. Je vous dis que les sanctions économiques ont disparu au début de 1997. Nous avons maintenant des sanctions politiques. Les sanctions économiques visaient la population; les sanctions politiques visent les responsables politiques et les administrateurs du pays. Je suis désolé, mon message ne semble pas avoir été assez clair.

En fait, ce n'est pas la peine d'augmenter le montant d'argent pour le peuple iraquien en vertu du programme «pétrole contre nourriture». Une quantité limitée de pétrole peut être vendue et elle est déjà vendue à l'heure actuelle. Que faire ensuite? Si le pays ne peut pas vendre plus de pétrole, où pourra-t-il aller chercher de l'argent pour conclure une entente plus généreuse? Je suis vraiment désolé, il n'y a que tant d'argent par personne, où ira-t-on pêcher ces fonds supplémentaires? C'est mon argument. Il n'y a pas d'argent supplémentaire, donc les sanctions économiques n'existent plus.

Le président: Je pense que d'autres témoins ont indiqué clairement qu'il faut une certaine marge de manoeuvre pour rétablir l'économie de l'Iraq, avant que les gens ne meurent de faim. En tous les cas, nous examinerons cet aspect-là.

Merci beaucoup. La séance est levée jusqu'à 15 h 30 cet après-midi. Nous tiendrons alors une séance conjointe avec le Comité de la défense pour examiner la question des relations avec les États-Unis dans le contexte de NORAD.