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HEAL Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HEALTH

COMITÉ PERMANENT DE LA SANTÉ

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 6 décembre 1999

• 1536

[Traduction]

Le président (M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.)): Mesdames et messieurs, je déclare la séance du Comité de la santé ouverte.

Comme vous le savez, nous étudions le Projet de loi C-13 qui créé les Instituts de recherche en santé du Canada. Avant de passer au projet de loi, j'ai quelques petites annonces à faire.

Sachez, d'abord, que le ministre comparaîtra mercredi prochain à 15 h 30 pour nous parler du projet de loi.

De plus, comme nous avons réussi à inviter tous les témoins qui étaient sur notre liste, il semble que nous pourrons commencer l'étude détaillée du projet de loi dès mercredi prochain à 16 h 15. Nous n'avons pas prévu de réunion jeudi, car j'espère que nous n'aurons pas besoin d'une séance supplémentaire. Espérons que nous aurons terminé l'étude du projet de loi mercredi et que nous pourrons en faire rapport à la Chambre aussitôt après.

La greffière et moi-même voudrions rappeler à tous les membres du comité que si vous avez des amendements à proposer au projet de loi, vous devriez nous les faire parvenir le plus rapidement possible. De plus, nous voudrions savoir si vous proposerez des amendements en comité ou à l'étape du rapport. Veuillez nous en faire part le plus rapidement possible.

Comme nous sommes le 6 décembre, le ministre de la Santé a reçu le budget supplémentaire des dépenses en matière de santé, qui est réputé avoir fait l'objet d'un rapport.

Nous pouvons donc maintenant accueillir nos témoins qui viennent nous parler du projet de loi C-13.

Vous avez une question, monsieur Ménard?

[Français]

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Les amendements que nous souhaitons présenter en Chambre, à l'étape du rapport, ne doivent pas nécessairement passer au préalable par l'étape du comité. On parle juste des amendements en comité. Vous avez la même compréhension des amendements que moi. Il est possible que tous les amendements ne soient pas prêts mercredi. Il y a seulement deux légistes qui rédigent les amendements et ils sont complètement débordés. Il y a peut-être des amendements que les partis d'opposition souhaiteraient déposer mais qui seront disponibles seulement à l'étape du rapport.

Le président: Oui, je comprends.

[Traduction]

Voilà pourquoi j'ai précisé que certains des amendements peuvent être déposés ici en comité. Mais si vous n'avez pas encore préparé tous vos amendements, ils pourront toujours être déposés à l'étape du rapport.

Commençons par le premier témoin, Hassan Yussuff, vice- président exécutif du Congrès du travail du Canada.

Nous avons reçu de votre part une déclaration en anglais seulement. Nous la ferons traduire ultérieurement, avec l'indulgence du comité.

Monsieur Yussuff, vous avez la parole.

M. Hassan Yussuff (vice-président exécutif, Congrès du travail du Canada): Au nom du Congrès du travail du Canada, je remercie le comité de nous permettre de comparaître aujourd'hui. M'accompagne aujourd'hui mon collègue, Dave Bennett, directeur de la médecine du travail, de la sécurité et de l'environnement au Congrès.

Le Congrès représente 2,3 millions de membres des secteurs public et privé du Canada. La santé au travail préoccupe énormément nos membres et est un des dossiers prioritaires des syndicats, puisqu'il vient au second rang après la sécurité d'emploi, devançant les salaires et les avantages sociaux.

Nous sommes également des citoyens pour qui les déterminants sociaux, culturels et environnementaux de la santé sont de première importance, du fait particulier que nos membres habitent souvent dans des régions où les déterminants sociaux et environnementaux ont le plus d'incidences sur la santé. Autrement dit, les travailleurs subissent doublement les facteurs sociaux et environnementaux qui leur causent des problèmes de santé, et l'on n'a qu'à penser aux polluants, à l'exposition intensive à des dangers chroniques en milieu de travail et à une exposition moindre mais constante dans leur collectivité.

• 1540

Voilà pourquoi nous applaudissons au projet de loi visant à créer les instituts de recherche en santé. Nous vous félicitons de votre initiative, de la rapidité avec laquelle vous avez abordé cet important dossier social et de l'ampleur des ressources financières que vous avez à ce jour engagées à cette fin. Cependant, le gouvernement a agi à ce point rapidement et efficacement que nous craignons que les parlementaires—soit ceux qui prennent les décisions au premier chef—aient été laissés pour compte.

Ainsi, même si c'est le conseil d'administration qui est censé créer les instituts et définir leurs politiques, une bonne partie du travail a déjà été effectuée grâce aux activités du Conseil d'administration provisoire et du groupe d'étude. Il est peu probable que le conseil d'administration change radicalement quoi que ce soit dans l'orientation d'un IRSC déjà envisagé. Le projet de loi, dans son libellé actuel, ne prévoit aucun rôle pour le Parlement, et ne permet pas aux élus de modifier quoi que ce soit dans l'orientation qui est actuellement prévue.

Prenons un petit exemple: Le gouvernement souhaite nommer les membres du conseil d'administration, mais ceux-ci—malgré leurs compétences, leur antécédents ou leur expérience—devront prendre de fermes décisions de principe sans déplaire aux autorités qui les ont nommés.

De façon plus générale, le Parlement ne peut se prononcer sur l'importance à accorder aux thèmes des instituts ou aux grandes politiques que suivront ceux-ci. Nous comprenons bien que la direction des instituts doit être flexible, mais le fait est que l'on ne met pas l'accent sur les déterminants environnementaux de la santé, que l'on n'accorde aucune priorité à la recherche portant sur la prévention de la maladie et que l'on ne mentionne nulle part l'importance de la recherche sur les causes de la maladie.

Cela constitue une faiblesse, et le gouvernement lui-même l'a reconnue. N'oublions pas que le gouvernement fédéral a adopté dès 1995 une politique officielle intitulée «La prévention de la pollution: une stratégie fédérale de mise en oeuvre» et que la nouvelle Loi canadienne sur la protection de l'environnement, version 1999, porte comme sous-titre «Loi visant la prévention de la pollution et la protection de l'environnement et de la santé humaine en vue de contribuer au développement durable». Autrement dit, dans la nouvelle loi, la prévention de la pollution est censée être un objectif national et l'optique à privilégier pour s'attaquer aux risques environnementaux pour la santé.

Au mieux, ces notions se retrouveront groupées pour former un thème parmi d'autres qui rivaliseront en vue d'obtenir des subventions de recherche. Ainsi, les déterminants sociaux, culturels et environnementaux de la santé sont reconnus, mais que les façons d'améliorer les stratégies de prévention de ne sont mentionnées qu'en passant.

Si l'on met en veilleuse la prévention, c'est, à notre avis, à cause de la commercialisation de la recherche. En effet, l'industrie découlant de la prévention est de bien moindre importance par rapport aux autres industries servant à l'information, au contrôle, à l'élimination des dangers environnementaux et au traitement des malades. Toutefois, ce sont ces mêmes méthodes de prévention qui sont la clé pour réduire de façon radicale la mauvaise santé et les maladies chroniques.

L'alinéa 4i) dit que les IRSC ont pour mission de soutenir la mise en marché de la recherche dans le domaine de la santé. Cet énoncé est à la fois vague et dangereux, puisqu'il laisse entendre que la recherche elle-même doit être privatisée. Il vaudrait bien mieux que la loi établisse que l'un des grands objectifs des instituts, c'est de soutenir le démarrage de la recherche autant par des organes publics que par des organes privés, et ce pour le bien public, c'est-à-dire pour la santé de la population. C'est en tout cas le mandat de RELAIS, qui est le réseau de liaison et d'application de la formation sur la santé, un des réseaux les plus fructueux du programme des centres d'excellence.

Il faut néanmoins bien comprendre que la recherche appliquée ainsi que les différentes applications scientifiques ne sont pas la seule source de pression en vue d'obtenir une recherche de grande qualité. Il sera toujours de la plus haute importance d'avoir des programmes de recherche qui ne soient pas soumis à cette pression exclusive que constitue l'application immédiate.

Afin de réorienter l'hygiène de l'environnement vers la prévention et la recherche des causes de la maladie, le CTC et d'autres intervenants demandent de façon spécifique que l'on crée un Institut canadien de recherche en santé du travail et en santé du milieu faisant partie des IRSC, puisque le milieu de travail est une des facettes importantes du milieu général. Nous voudrions maintenant vous expliquer pourquoi et justifier les changements que nous recommandons au projet de loi dans le résumé de notre mémoire que vous trouverez en conclusion.

Les déterminants environnementaux de la santé sont au coeur de la santé. Prenons un seul des déterminants de la santé, soit le cancer: il est clair que la grande majorité des cancers proviennent du milieu d'une façon quelconque plutôt que d'un virus ou de l'hérédité. Ainsi, l'Organisation mondiale de la santé estime qu'au moins 80 p. 100 des cancers sont liés à l'environnement. Selon différents calculs, les cancers dus au milieu de travail représentent entre 4 et 40 p. 100 de tous les cancers. Même si nous acceptions 10 p. 100, pourcentage assez faible, cela dépasserait de loin le nombre de décès dus à des blessures au travail—et qui totalisent jusqu'à 1 000 par année—et dépasserait de très loin le nombre de décès sur les routes canadiennes.

• 1545

Il faudra toujours s'occuper de l'hygiène du milieu. Non seulement les déterminants de l'environnement sont fondamentaux, ils sont également permanents: ils ne disparaîtront pas au cours du cycle de vie des instituts de recherche en santé. Chose certaine, les dossiers évoluent. Ainsi, la recherche sur le dépistage génétique des travailleurs a cédé sa place à la recherche sur la pertinence et la valeur prévisionnelle des examens médicaux.

La recherche sur les causes physiques des blessures a cédé en grande partie sa place à la recherche sur l'ergonomie, sur les blessures du système musculo-squelettique et sur les stress du travail. La physique de l'ionisation et du rayonnement magnétique constitue aujourd'hui une discipline de la santé de plein droit. Les études toxicologiques générales des produits chimiques industriels se raffinent de plus en plus, comme le prouvent les essais à faible dose des modulateurs endocriniens potentiels et des aliments génétiquement modifiés. Du côté de la santé de la population, il devient de plus en plus nécessaire d'étudier l'incidence qu'ont la pauvreté et le chômage sur la santé de la collectivité et des individus.

Les dossiers changent à cause de l'évolution des conditions socio-économiques, qui sont l'un des déterminants du mode de vie. Toutefois, le facteur clé reste l'évolution de la technologie. Les changements technologiques se produisent sans qu'ils soient accompagnés de recherches suffisantes sur les conséquences pour la santé des nouvelles techniques adoptées. Les liens entre l'évaluation de la technologie et son incidence sur la santé sont souvent inexplorés, ce qui accroît de façon indue les pressions visant à faire de la recherche sur les technologies déjà établies.

Pour ce qui est des liens de cause à effet et de l'importance de la prévention, si le projet de loi n'est pas modifié, rien n'indique que les instituts que prévoit instaurer le conseil d'administration provisoire mettront l'accent sur la prévention de la mauvaise santé et de la maladie. Enfin, les stratégies de prévention n'auront plus leur place à leur tour s'il n'y a pas déjà de la recherche dans les causes de la mauvaise santé, puisqu'il est impossible d'évaluer les causes sans les connaître.

Le Canada tire de l'arrière par rapport aux autres pays pour ce qui est de la création d'instituts consacrés à l'hygiène du milieu. La Suède et la Finlande, qui ont beaucoup moins d'habitants, ont pourtant chacune leur institut de recherche sur l'hygiène du milieu. Le Canada n'en a pas, et a cédé cette responsabilité aux provinces comme l'Ontario et le Québec. Le Brésil a son propre institut de l'hygiène du milieu, qui est à la fois imposant et influent. Aux États-Unis, on compte différents instituts de l'hygiène du milieu et de la santé au travail qui entreprennent des recherches exhaustives sur la question et recommandent des lignes de conduite au gouvernement.

Ainsi, le NIOSH, c'est-à-dire le National Institute for Occupational Safety and Health, recommandait récemment de diminuer de dix fois la limite d'exposition aux fluides de revêtement chimique, c'est-à-dire de faire passer la norme communément acceptée de 5 milligramme par mètre cube à 0,5 milligrammes par mètre cube. Si les recommandations du NIOSH étaient prises au sérieux au Canada et mises en vigueur ici aussi, elles protégeraient des centaines de milliers de travailleurs qui sont exposés aux dangers que représentent les fluides de revêtement chimique.

Il saute aux yeux que le Canada a besoin de faire effectuer de la recherche en hygiène de l'environnement et qu'il a tout ce qu'il faut pour entreprendre cette recherche, dans la mesure où celle-ci est bien ciblée et appuyée. À part les scientifiques de l'industrie privée, il reste quelques 130 scientifiques universitaires qui font de la recherche en médecine du travail et en prévention des blessures; un autre 200 font de la recherche sur l'hygiène du milieu; et 250 autres encore s'intéressent aux domaines connexes de la nutrition et de l'innocuité des aliments, de l'innocuité des médicaments et des maladies infectieuses ou transmissibles. Une centaine d'épidémiologistes étudient les facteurs professionnels et environnementaux, combinés sans compter les quelque 450 autres chercheurs universitaires qui s'intéressent à des domaines connexes tels que la démographie, le développement humain, l'économie de la santé, la politique de la santé, la promotion de la santé ainsi que les sciences sociales afférentes à la santé. Enfin, plus de 2 000 scientifiques travaillent dans le secteur public au Canada, et font constamment l'objet d'échanges avec leurs collègues des universités. Ces chercheurs ont besoin de formation et doivent connaître les résultats des recherches menées dans les universités pour pouvoir proposer des politiques judicieuses.

• 1550

Si les recherches ne sont pas ciblées ni suffisamment financées, vous allez les perdre au profit d'autres secteurs. Les chercheurs doivent également être sensibles aux pressions de la population des divers milieux qui sont, après tout, ceux qui bénéficient finalement de leurs travaux. Nous avons annexé à notre mémoire la liste des organisations qui, à l'instar du CRTC, réclament la création d'un institut consacré à la médecine du travail et à l'hygiène de l'environnement. Sans les pressions exercées par ces groupes, l'IRSC ne pourra encourager l'innovation dans la recherche sur la santé ni dans les méthodes afférentes à cette recherche.

Ainsi, de toutes nouvelles disciplines de prévention voient le jour parmi les spécialistes de la médecine du travail et celles-ci apportent un point de vue tout à fait différent par rapport à ceux des spécialistes de l'épidémiologie et de l'évaluation des risques. Si les praticiens ne peuvent compter sur des travaux de recherche visant la méthodologie et l'efficacité de la prévention, cette prévention risque jamais de ne jamais être reconnue comme étant légitime par ceux qui prennent les décisions, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

Notre sommaire énumère les changements qu'il faut apporter au projet de loi. Au sous-alinéa 4d)(ii), il faut remplacer «sur les dimensions sociales et culturelles de la santé et sur les effets de l'environnement sur la santé» par «en mettant l'accent dans l'institut sur les déterminants sociaux, culturels et environnementaux de la santé et sur les stratégies de prévention qui en découlent», en allant jusqu'à créer un institut consacré à la médecine du travail et l'hygiène du milieu.

À l'alinéa 4e)... un changement identique à celui apporté au sous-alinéa 4e)(ii).

À l'alinéa 4i), remplacer «le soutien à la mise en marché de la recherche canadienne dans le domaine de la santé» par «le soutien à l'utilisation et à l'exécution de la recherche par les organismes publics et privés au Canada, pour le bien public». L'alinéa 4i) donnerait donc:

    l'encouragement à l'innovation et le soutien à l'utilisation et à l'exécution de la recherche par les organismes publics et privés au Canada, pour le bien public et la promotion du développement économique au Canada au moyen de celle-ci.

Au paragraphe 7(3), modifier le libellé en ce qui concerne le mandat des membres du conseil d'administration en remplaçant «à titre amovible par à titre inamovible».

Certaines des statistiques utilisées dans le mémoire ont été tirées du travail de Cameron Mustard, directeur scientifique de l'Institut de recherche sur le travail et la santé, et de Patricia Baird, éminente à l'Université de la Colombie-Britannique. Ces chiffres n'engagent la responsabilité que du CTC.

Au nom du Congrès du travail du Canada, nous avons l'honneur de vous présenter ce mémoire.

Le président: Merci, monsieur Yussuff.

Nous allons maintenant passer aux autres témoins et je suis sûr que nous aurons ensuite des questions à vous poser.

Le Dr Peter Vaughan est secrétaire général et chef de la direction de l'Association médicale canadienne. Docteur, allez-y.

Dr Peter Vaughan (secrétaire général et chef de la direction, Association médicale canadienne): Merci, monsieur le président. À titre de secrétaire général et chef de la direction de l'Association médicale canadienne, je représente aujourd'hui nos membres, soit plus de 46 000 médecins de toutes les régions du Canada. L'association a la double mission d'assurer un leadership pour les médecins et de promouvoir les normes les plus élevées de santé et de soins de santé pour les Canadiens. Les deux volets de notre mission sont tributaires d'un secteur de recherche dynamique, à l'échelle nationale. Je suis heureux de pouvoir appuyer aujourd'hui la création des Instituts de recherche en santé du Canada.

Depuis plusieurs années, l'AMC préconise un engagement accru du gouvernement fédéral dans la recherche en santé. Notre récent exposé au Comité permanent des finances recommandait au gouvernement fédéral de continuer à augmenter le financement de la recherche en santé d'une façon durable et à long terme.

Nous avions indiqué que d'après l'Organisation pour la coopération et le développement économiques, le Canada ne dépensait par habitant que le tiers des sommes que les autres pays du G-7, comme la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, consacrent à la recherche en santé. L'adoption de la Loi sur les IRSC devrait largement corriger ce déséquilibre au cours des prochaines années, à condition que le financement continue à augmenter.

Mes observations porteront sur quatre aspects particuliers du projet de loi: le transfert des résultats de la recherche du laboratoire au chevet du patient; le besoin de mettre l'accent sur les résultats pour la santé; le besoin de renforcer les capacités; le besoin d'équilibre.

Permettez-moi d'abord de souligner l'objectif global d'IRSC, c'est-à-dire «exceller dans la création de nouvelles connaissances et leur application en vue d'améliorer la santé de la population canadienne, d'offrir de meilleurs produits et services de santé et de renforcer le système de santé au Canada». Au cours de la dernière décennie, on a mis davantage l'accent sur le continuum de la recherche en santé, à partir des sciences fondamentales jusqu'aux études cliniques, en passant par les méta-analyses, les études stratifiées et l'élaboration d'outils tels que les guides de pratique clinique. Il est amplement évident qu'il y a encore à faire dans ces domaines.

• 1555

Selon nous, une façon de promouvoir le continuum entre le laboratoire et le chevet des patients sera d'assurer la représentation des cliniciens actifs au conseil d'administration d'IRSC.

De plus, nous insistons pour que les perspectives des cliniciens provenant autant du milieu des sciences universitaires de la santé que de la collectivité soient représentées au conseil consultatif de chaque institut de recherche en santé qu'établira la loi.

L'AMC est d'avis que le but ultime du système de soins de santé au Canada est d'améliorer l'état de santé des Canadiens, sur le plan non seulement de la survie et de la longévité, mais aussi de la qualité de vie liée à la santé. Si la recherche en santé doit favoriser cet objectif, l'amélioration de la santé doit devenir un aspect prioritaire de la loi et des instituts de recherche. Pour atteindre ce but, l'AMC recommande l'établissement d'un bureau de l'excellence clinique au sein d'IRSC, qui aurait pour mandat de recommander des protocoles axés précisément sur les résultats.

Une des domaines pressants à ce titre est celui de la recherche sur les services de santé. En effet celle-ci est souvent limitée soit à des projets de courte durée, ce qui restreint la capacité d'observer les résultats sur la santé, ou à l'utilisation de données administratives servant généralement plus à mesurer des produits que des résultats. De fait, il semblerait utile au départ de dégager un consensus sur des mesures de l'état de santé et des résultats en santé, qui pourraient servir dans un vaste éventail d'études cliniques et démographiques.

Ce bureau pourrait aussi, en corollaire, agir de centre national de coordination des activités et produits des nombreux organismes de recherche sur les services de santé qui ont été créés dans les provinces depuis les années 80. Le fonctionnement d'un tel bureau pourrait être assuré à peu de frais grâce à la formation de partenariats novateurs pancanadiens et avec l'étranger.

À titre de secrétaire général et chef de la direction de l'AMC, j'estime que la recherche est un élément important de la vie professionnelle de beaucoup de médecins. Nous sommes conscients que la recherche d'aujourd'hui se répercute sur la qualité des soins de demain.

Selon les résultats de notre sondage national annuel, le Questionnaire 1999 sur les effectifs médicaux, près de trois médecins sur dix disent consacrer au moins une heure par semaine à la recherche (29 p. 100). On constate également en examinant ces chiffres de plus près qu'un peu plus de quatre spécialistes sur dix (43 p. 100) signalent consacrer au moins une heure pas semaine à la recherche, par comparaison à moins de deux omnipraticiens et médecins de famille sur dix (18 p. 100).

Cet écart m'apparaît clairement indiquer le besoin de favoriser le renforcement des capacités de recherche dans les collectivités. J'inciterais également IRSC à examiner, avec les organismes nationaux de réglementation, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et le Collège des médecins de famille du Canada, des façons d'exploiter davantage leurs programmes existants, comme le Programme de cliniciens-chercheurs de deux ans du Collège royal et le Système national de chercheurs «sentinelles» du Collège des médecins de famille du Canada.

Nous estimons qu'IRSC peut jouer un rôle de premier plan en inversant «l'exode des cerveaux» des dix dernières années qui nous a fait perdre bon nombre de nos excellents cliniciens-chercheurs. J'exhorte IRSC à mettre au point une stratégie à deux volets qui, dans un premier temps, encouragerait les chercheurs à demeurer au Canada et, dans un second temps, encouragerait quelques-uns de nos chercheurs expatriés à revenir au Canada. Cette double démarche de rétention et de rapatriement de nos chercheurs en santé améliorera l'accès des Canadiens à des soins de qualité dans notre régime national d'assurance-maladie.

Monsieur le président, permettez-moi de faire trois observations sur l'équilibre qu'il faut instaurer. La première porte sur la distinction à faire entre les deux premiers principes directeurs d'IRSC. Ces principes prévoient l'établissement de priorités nationales pour la recherche, d'une part, tout en reconnaissant le rôle important des recherches lancées par les chercheurs, d'autre part. La création d'instituts de recherche en santé fournira un lien et assurera un juste équilibre entre les priorités de la santé et les recherches sur la santé.

L'équilibre doit aussi s'établir entre les sciences biomédicales et sociales. Bien que l'AMC souligne sans cesse la contribution importante du système de soins de santé et des soins médicaux dans l'amélioration de la santé des Canadiens, nous sommes conscients que, pour améliorer la santé de la population, nous devons travailler avec les autres intervenants en abordant les déterminants de la santé, notamment les facteurs sociaux, le mode de vie et les facteurs liés à l'environnement physique. Les inégalités sociales qui persistent dans la santé au Canada et dans d'autres pays industrialisés pour toutes les catégories de maladies font ressortir ce besoin d'équilibre.

• 1600

En troisième lieu, nous devons trouver l'équilibre dans la démarche employée, d'une part, pour renforcer nos capacités de recherche en santé et, d'autre part, pour cerner et combler les lacunes.

Pour terminer, monsieur le président, je félicite IRSC du vigoureux mandat qu'ils ont établi en matière d'éthique, eu égard aux défis croissants que ce domaine apportera dans l'avenir.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, docteur.

Nous allons maintenant passer à la Dre Bartha Knoppers, professeure à l'Université de Montréal.

[Français]

Dr Bartha Knoppers (professeure titulaire, Université de Montréal; présidente, Sous-comité du conseil d'administration provisoire chargé de l'éthique, Instituts de recherche en santé du Canada ): Monsieur le président, merci pour la transition vers ma présentation.

Je crois personnellement, tout comme le Sous-comité du conseil d'administration provisoire sur l'éthique des instituts, qui a travaillé au rapport que vous avez devant vous, que nous sommes vraiment à un moment historique de l'intégration de l'éthique dans la loi canadienne. Le projet de loi C-13 que vous avez devant vous témoigne de cet effort pour donner à l'éthique un rôle central dans la recherche en santé.

Pour illustrer ce rôle central, j'aimerais vous décrire la diversité des sources des normes d'éthique, ensuite vous parler du développement des normes d'éthique et enfin vous parler de la façon dont les instituts prévoient respecter sinon réaliser la dignité humaine dans les normes d'éthique et dans les structures mêmes des instituts.

Pour ce qui est de la diversité des sources d'éthique, les témoins que vous allez entendre et que vous avez déjà entendus vous ont décrit les disciplines diverses qui contribuent à l'éthique. Il y a beaucoup d'écoles de pensée. Il y a des idées différentes et des disciplines différentes.

L'éthique est un mode de questionnement et est nécessairement un effort multidisciplinaire. De plus, il y a à travers le pays des centres de bioéthique qui sont reconnus pour leur expertise. Je peux vous en donner quelques-uns. Par exemple, à Toronto, il y en a un qui se penche sur les questions d'euthanasie. À Dalhousie, il y en a un sur les questions des personnes âgées; à McGill, sur les questions du sida; à l'Université de Montréal, sur la génétique génomique; en Alberta, sur la responsabilité médicale, etc. Donc, il y a au Canada une richesse en termes de pensée et de recherche en éthique.

Il y a aussi des structures qui existent déjà, des structures comme le Conseil national d'éthique en recherche chez l'humain, le Conseil canadien de protection des animaux et le Comité consultatif canadien de la biotechnologie. Ces structures servent déjà à promouvoir et à protéger les sujets. Voilà pour la diversité des sources.

[Traduction]

J'aimerais maintenant parler de l'élaboration de normes d'éthique. Celles-ci ont en effet trois fonctions. La première est proactive, prospective. C'est-à-dire que les instituts canadiens doivent respecter les normes les plus élevées d'éthique. Ils ont aussi une fonction de réflexion. Non seulement ils doivent être proactifs, mais ils doivent aussi soutenir des efforts indépendants par des activités de recherche qui permettent aux chercheurs canadiens de réfléchir non seulement aux questions d'actualité mais également aux enjeux futurs. Ils doivent être efficaces et, pour y arriver, nous devons nous donner des capacités en matière d'éthique ici au pays.

Nous avons plus de 300 comités d'éthique qui s'occupent de recherche humaine. Nous avons plus de 224 comités d'éthique qui s'occupent du sort des animaux. Nous n'avons pas la formation suffisante ni un point d'activité de recherche qui permettent aux jeunes étudiants canadiens d'approfondir la question et de se préparer à ce mandat.

Surtout, je voudrais passer à la troisième partie de mon exposé, après avoir examiné la diversité des normes d'éthique, les fonctions ou le développement de ces normes, et vous entretenir de la façon dont les instituts respectent et, si vous voulez, réalisent la dignité humaine à travers leurs activités.

• 1605

Il y a tout d'abord le principe d'intendance. L'intendance se reflète dans les structures des instituts. Le sous-comité du conseil d'administration provisoire a suggéré trois structures possibles pour la réalisation de ce mandat. D'une part, collaborer et coopérer avec les organismes qui existent déjà au Canada, comme je le disais tout à l'heure. Deuxièmement, créer au sein des instituts un comité des politiques et procédures. Certes, ces instituts sont responsables vis-à-vis du grand public canadien des procédures à suivre par les chercheurs à qui ils remettent de l'argent. Pour cela, le Comité des politiques et procédures fixerait les normes d'éthique et autres en ce qui concerne l'intégrité, les conflits d'intérêts ou la commercialisation de la recherche.

Le sous-comité a aussi recommandé qu'un comité distinct soit constitué, un comité consultatif, pour s'occuper des questions futures. Ce serait surtout un comité autonome qui refléterait les différentes écoles de pensée au Canada, qui travaillerait avec d'autres organismes et examinerait les questions d'éthique plus larges—celles qui se posent aujourd'hui et celles qui se poseront à l'avenir, comme le clonage, les obligations envers les générations futures, la thérapie germinale, etc. Le comité n'attendrait pas que la science mette en évidence un fait donné accompagné d'un événement précis, pour ensuite réagir.

Le sous-comité a aussi recommandé que la gestion des questions d'éthique ne soit pas simplement centralisée mais soit aussi le propre de chacun des instituts, qu'il soit virtuel ou réel. Autrement dit, l'éthique ferait partie intégrante de chaque institut. Nous avons recommandé certaines structures permettant de garantir que l'éthique sera une considération essentielle pour chaque institut.

Nous avons d'autre part recommandé que l'on crée un bureau de l'éthique. Il n'existe pas au Canada d'endroit où on puisse aller aujourd'hui, à moins que l'on s'adresse à un organisme professionnel particulier ou que l'on ait affaire à des animaux ou des humains. Le citoyen canadien n'a nulle part où aller pour obtenir des informations quand une question se présente et qu'il voudrait en savoir plus et discuter de questions éthiques.

Enfin, il ne fait aucun doute qu'il faut un sens de l'éthique au sein des instituts et aussi que les instituts eux-mêmes défendent les principes éthiques sur la scène internationale. Le Canada, comme vous le savez, n'a pas de comité de l'éthique ni d'organisme comparable à ceux de la majorité des autres pays. Notre visibilité internationale n'est assurée que par les chercheurs eux- mêmes qui s'intéressent au sujet et ont réussi à présenter la perspective canadienne dans le contexte des grands dossiers internationaux. Ceci est très important. Nous n'avons aucun moyen d'assurer une présence canadienne sur la scène internationale.

Il est pour le moment très important non seulement que le projet de loi C-13 soit adopté mais aussi que l'intérêt particulier que l'on porte à l'éthique dans ce projet de loi se concrétise. Les Européens et les Américains considèrent souvent les Canadiens comme un genre de carrefour des cultures européenne et américaine. Nous sommes donc particulièrement bien placés pour jouer un rôle prépondérant et assumer nos responsabilités à l'échelle internationale.

[Français]

En résumé, vous avez devant vous le rapport du Sous-comité sur l'éthique. Comme je l'ai dit, nous sommes à un moment historique. On pourrait contribuer d'une façon plus cohérente, plus continue et plus centrale à la réflexion éthique dans la recherche et surtout dans le quotidien de la vie des chercheurs.

Je pense que l'éthique doit inspirer les jeunes et guider les chercheurs, mais je pense aussi que les instituts peuvent devenir un modèle international. Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, madame. Merci beaucoup.

Nous passons maintenant aux questions.

[Français]

Monsieur Ménard, s'il vous plaît.

M. Réal Ménard: Monsieur le président, cela me rappelle le bon vieux temps, de 1993 à 1997, alors que le Bloc québécois était l'opposition officielle. Évidemment, les temps ont changé, mais cela me fait plaisir de poser les premières questions.

M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Je ne vois pas la relation.

• 1610

M. Réal Ménard: La relation, c'est que je suis habituellement le deuxième et que je suis aujourd'hui le premier.

M. Bernard Patry: Vous avez toujours été le premier à la santé.

M. Réal Ménard: Monsieur le président, j'ai quatre questions.

Premièrement, j'aimerais que le Dr Knoppers nous fasse voir en quoi les recommandations du Sous-comité sur l'éthique vont permettre d'aborder cette question différemment du Conseil de recherches médicales du Canada, par exemple.

Je vais vous poser une deuxième question. Deux témoins sont venus nous dire que, sur le strict plan de l'éthique, il ne serait pas souhaitable que des représentants attitrés de compagnies pharmaceutiques siègent au conseil d'administration provisoire, qui va devenir permanent. Quand vous parlez de considérations éthiques, pensez-vous à des considérations comme celle-là? Je serais curieux de connaître votre point de vue là-dessus.

Ma prochaine question s'adresse à M. Vaughan. J'aimerais avoir plus d'information sur son bureau de l'excellence clinique. J'ai un petit peur que l'on multiplie les structures et je veux comprendre comment cela va s'inscrire dans les comités qui vont exister. Pour moi, la chose la plus importante de ce projet est l'autonomie des instituts. Comment voyez-vous l'autonomie des instituts par rapport au conseil d'administration? Ce sera une chose importante dans notre appréciation du projet de loi.

Ma dernière question s'adresse au Congrès du travail du Canada. Évidemment, nous lui sommes reconnaissants d'avoir centré ses préoccupations sur les travailleuses et les travailleurs, puisque c'est là son mandat. Dois-je comprendre qu'il souhaiterait que le conseil d'administration provisoire, qui va devenir permanent, désigne à proprement parler un institut sur la santé environnementale? Souhaiteriez-vous que nous fassions cette recommandation dans notre rapport?

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ménard.

Madame Knoppers, s'il vous plaît.

Dr Bartha Knoppers: Premièrement, concernant la transition du CRM vers les instituts, le projet de loi ainsi que tous les rapports des sous-comités mettent l'accent sur la mission qu'auront les instituts de dépasser les normes strictement biomédicales, cela pour la première fois. Je peux dire qu'aucun autre pays ne fait autant d'efforts pour intégrer les sciences sociales et les sciences humaines à la recherche. Il y a un effort très soutenu à cet égard.

Le projet de loi C-13 reflète cette intégration de disciplines et de préoccupations autres que celles du modèle strictement biomédical. On voit cela non seulement dans le texte lui-même, mais aussi dans toutes les publications qui ont paru depuis le début de cet effort.

M. Réal Ménard: Je ne pensais pas surtout à la transition. Quand vous aurez un protocole de recherche, comment, en comparaison de ce qui se faisait au Conseil de recherches médicales du Canada, allez-vous vous assurer concrètement que, dans les travaux qui seront conduits dans les différents instituts, dont on ne connaît pas la thématique à l'instant où on se parle, les préoccupations éthiques, qui sont au centre de votre carrière, soient englobées dans la façon de faire?

Dr Bartha Knoppers: Premièrement, l'évaluation des protocoles au plan de l'éthique est encore, pour le moment, entre les mains des universités. Des normes ont été adoptées par les trois conseils, incluant nécessairement ceux des sciences sociales et des sciences humaines. Parmi les critères auxquels devront se conformer les chercheurs indépendants ou les groupes de chercheurs qui solliciteront des fonds d'un institut, on pourra inclure le respect des quatre thèmes qu'on a décrits dans le projet de loi. J'espère toutefois que ce ne sera pas artificiel. J'espère que le fait de forcer des gens à travailler ensemble va créer une intégration qui sera réelle et non pas conduire à un mariage forcé.

M. Réal Ménard: Non désiré.

Dr Bartha Knoppers: Non désiré ou même simulé.

Deuxièmement, vous avez dit qu'on se préoccupait de l'inclusion possible de représentants de compagnies pharmaceutiques ou de biotechnologie privées parmi les membres des conseils, que ce soit au niveau national ou au niveau de chaque institut.

• 1615

Il est exact qu'il s'agit d'une préoccupation, surtout chez les gens en bioéthique. Cependant, il ne faut pas oublier que plus de 60 p. 100 de la recherche est maintenant subventionnée par le privé. Contrairement à d'autres collègues, je déplore qu'on n'ait pas intégré le secteur privé à la sensibilisation à l'éthique. Pour moi, c'est un grave problème. Le fait de les forcer à s'asseoir à la table avec des bioéthiciens, les sociologues, les chercheurs, etc. va non seulement sensibiliser les compagnies pharmaceutiques à l'éthique, mais aussi favoriser un rapprochement entre l'éthique du secteur public et l'éthique du secteur privé, si elle existe.

M. Réal Ménard: Est-ce que je peux vous donner un petit exemple, celui du Réseau canadien d'essais cliniques sur le VIH? Vous avez parlé de McGill, qui est évidemment un centre d'expertise. Présentement, le gouvernement du Canada finance l'infrastructure de recherche du Réseau canadien, et ce sont les compagnies pharmaceutiques qui décident du type de recherche qui sera conduit.

Ce n'est pas un reproche que je leur fais. Il y a un type de recherche qui n'est pas sollicité, qui n'est pas valorisé par les compagnies pharmaceutiques. Par exemple, les activistes du sida nous ont dit qu'il y avait peu de recherche sur la posologie des médicaments.

Comment peut-on s'assurer que, dans les recherches centrées sur le biomédical, l'ensemble des secteurs d'investigation soient couverts? Est-ce que la présence d'une compagnie pharmaceutique spécifique... On peut régler cette question en disant que, dans le fond, ce sera un collectif. L'ACIM, l'Association canadienne de l'industrie du médicament, qui a changé son nom et qui s'appelle maintenant Rx&D, pourrait être représentée, mais seriez-vous d'accord pour dire que si un représentant individuel de n'importe laquelle des compagnies pharmaceutiques, soit une compagnie de médicaments d'origine, soit une compagnie de médicaments génériques, siégeait à un conseil, il pourrait y avoir un risque potentiel de conflit éthique?

Dr Bartha Knoppers: Je vois l'inverse. Je vois plutôt la possibilité de rapprocher pour la première fois les deux mondes, parce qu'il s'agit vraiment de deux mondes. Le privé commence à prendre de plus en plus de place. Dans presque tous les programmes, on exige maintenant qu'on trouve des partenaires. On force les chercheurs à se trouver des partenaires et ensuite on les condamne parce qu'ils travaillent en collaboration avec l'industrie, ce qui me semble un peu bizarre. Ce n'est pas la faute des chercheurs. C'est qu'il n'y a pas assez d'argent public pour la recherche.

Si le privé constitue une source de fonds très importante, c'est le moment de l'intégrer dans un modèle qui respecte des valeurs et qui protège le public, au lieu de faire l'inverse et de dire: «Nous voulons vos sous, mais nous ne voulons pas nous salir les mains en nous assoyant avec vous à la table.» Je pense qu'il est important de commencer à respecter le rôle du privé, mais aussi d'exiger qu'il se conforme à des normes d'éthique déjà établies dans le secteur public. La seule façon de le faire, c'est de faire asseoir ces gens à la table avec nous.

Votre troisième question...

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Vouliez-vous répondre à la troisième, docteur Vaughan?

Dr Peter Vaughan: Merci, monsieur le président.

Le bureau d'excellence clinique est en fait un bureau inter-organisations en ce sens que les instituts sont très indépendants. Le bureau d'excellence clinique serait le type de bureau qui servirait tous ces différents instituts pour s'assurer que le transfert de connaissances dont nous parlons se fait effectivement.

Permettez-moi de préciser un peu. On parle beaucoup d'utiliser les idées scientifiques au chevet du patient. La question est de savoir comment s'y prendre. Le rôle du scientifique clinicien diminue dans ce pays depuis plusieurs décennies, mais ce rôle est crucial si l'on veut rapprocher la recherche du patient, appliquer cette recherche. Le bureau transcenderait tous les instituts et veillerait à ce qu'il existe des mécanismes pour permettre ce transfert des connaissances.

[Français]

M. Réal Ménard: Mais comment tout cela se concilie-t-il? Si j'ai bien compris...

[Traduction]

Le président: Monsieur Ménard, je suis désolé, mais vous débordez un peu du sujet et nous avons déjà presque passé 10 minutes sur vos questions. On va répondre à la dernière question et il nous faudra ensuite passer à quelqu'un d'autre.

Monsieur Bennett.

M. Dave Bennett (directeur national, Santé, sécurité et environnement du travail, Congrès du travail du Canada): Merci, monsieur le président. J'aimerais répondre à deux des questions soulevées par M. Ménard.

Tout d'abord, à propos de l'autonomie des instituts, je crois qu'il y a quatre facteurs qui garantiront cela. D'une part, la structure de direction de ces instituts devrait leur permettre d'avoir leurs propres garanties intrinsèques d'autonomie. Nous croyons qu'il appartient à votre comité de veiller à ce que le libellé du projet de loi précise en fait que l'autonomie de ces instituts doit être garantie.

• 1620

Le deuxième facteur est un équilibre des intérêts au sein du conseil d'administration et, là encore, votre comité peut décider qu'il conviendrait d'établir des règles concernant la composition du conseil d'administration qui sont plus précises que celles que contient actuellement le projet de loi. Nous avons déjà indiqué au ministre Rock que nous voulons que les intérêts des employés soient représentés au sein du conseil d'administration.

Le troisième facteur est la transparence. Il ne semble pas évident dans le projet de loi que les exigences de transparence soient suffisantes pour montrer que les instituts auront l'autonomie que semble souhaiter votre comité.

Quatrièmement, la reconnaissance de responsabilité. À notre avis, il devrait être question dans le projet de loi de la façon dont les instituts de recherche et le conseil d'administration se rendront des comptes.

Je dois dire que dans le cas de RELAIS, qui est un des centres d'excellence des plus réussis qu'ait créé le gouvernement, le Comité d'examen scientifique est maintenant constitué exclusivement de scientifiques et est indépendant des instances dirigeantes de RELAIS. Nous estimons qu'il est pratiquement impossible dans ce cas qu'un groupe particulier exerce une influence indue sur le travail des instituts—et dans ce cas l'influence indue pourrait inclure l'influence des employés. Nous voudrions évidemment que les intérêts des employés soient reflétés dans la recherche mais, si l'on veut garantir l'impartialité, il est tout à fait clair que tous les groupes d'intérêts doivent être exclus du processus d'examen. C'est le cas à RELAIS et peut-être que votre comité voudra préciser les règles de responsabilité dans le projet de loi.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bennett.

M. Dave Bennett: Deuxièmement, souhaitons-nous un institut spécifique? Puis-je répondre à cela?

Le président: Oui, rapidement, mais donnez aussi votre titre.

M. Dave Bennett: D'accord, je m'appelle Dave Bennett, et je suis le directeur national de la santé, de la sécurité et de l'environnement au Congrès du travail du Canada.

On m'a demandé si nous souhaitons un institut distinct pour la médecine du travail et l'hygiène du milieu et la réponse est oui. D'autre part, dans le résumé annexé à notre exposé—le comité va l'obtenir sous peu—nous avons présenté un certain nombre de modifications que nous voudrions voir apportées au projet de loi et dont nous espérons que tiendra compte votre comité dans son rapport au Parlement.

Le président: Merci beaucoup de cette précision.

[Français]

Monsieur Patry, s'il vous plaît.

M. Bernard Patry: Merci, monsieur le président, et merci à nos participants de cet après-midi. Je me dois de vous dire que je suis très satisfait de la qualité des présentations qui nous été faites. Je vais d'abord m'adresser au Dr Vaughan.

J'aimerais poursuivre dans la foulée de mon collègue Ménard et vous entretenir du bureau de l'excellence clinique au sein des IRSC qui aurait pour mandant de recommander des protocoles axés précisément sur les résultats.

Pour moi, ce que vous nous dites là n'est pas clair, en ce sens que c'est simplement du point de vue des sciences sociales et des sciences humaines; vous parlez de recherche fondamentale et de recherche clinique. J'aimerais avoir un peu plus de précisions là-dessus, s'il vous plaît.

Deuxièmement, vous parlez énormément des sciences biomédicales et sociales, des facteurs sociaux, du mode vie et des facteurs liés à l'environnement physique, ce qui m'intéresse beaucoup. Vous ne faites pas de recommandations précises, docteur Vaughan, et j'aimerais savoir de quelle façon ce besoin d'équilibre dont vous nous parlez devrait se transposer dans le projet de loi que nous avons devant nous aujourd'hui.

Docteur Knoppers, c'est la première fois que je vois un document de travail en éthique aussi élaboré, et je vous en félicite en tant que présidente de ce sous-comité. Au point III.C, vous parlez d'avis et de réflexion sur les dimensions éthiques, socioculturelles, juridiques et politiques de la recherche en santé et des systèmes de santé. Vous parlez d'un forum national.

Le sous-comité voit trois options. Vous préconisez d'abord un comité consultatif pleinement indépendant, mais entre-temps, car cela peut prendre du temps—vous savez combien il faut de temps ici, au Parlement canadien, pour faire avancer certaines choses—vous créez un comité consultatif au sein même des IRSC.

• 1625

De quelle façon verriez-vous ce comité consultatif en éthique qui pourrait toucher toutes les sciences et tous les instituts de la santé, s'il vous plaît?

[Traduction]

Le président: Monsieur Vaughan, pouvez-vous répondre à M. Patry?

Dr Peter Vaughan: Merci, monsieur le président.

La première question porte sur le bureau d'excellence clinique et les résultats de recherche. Nous devons utiliser les informations que nous tirons de la recherche et parler des résultats de cette recherche, non simplement en fonction des organismes concernés, mais également en ce qui concerne la santé des Canadiens.

Le genre d'indicateurs que l'on utilise actuellement sont ressentis par beaucoup de monde dans le secteur de la recherche et je crois en général dans le secteur des services de santé comme n'étant pas aussi bons qu'il le faudrait pour comprendre ce que nous tirons de nos investissements et ce que cela représente pour les Canadiens. Il nous faut des indicateurs qui puissent définir plus clairement ce que l'on entend par résultats en matière de santé dans le contexte d'une démarche orientée sur les résultats. C'est la première chose.

Cela porte sur divers éléments du secteur de la recherche et il faut donc savoir non seulement ce que signifient ces résultats en matière de recherche biomédicale mais aussi ce que cela représente en matière de recherche en sciences sociales, et je crois que nous devons nous montrer beaucoup plus rigoureux dans notre interprétation des résultats des recherches en sciences sociales. En nous permettant de réfléchir à ce que représentent ces résultats pour les Canadiens, nous pouvons davantage concentrer notre recherche, dans tous les instituts, sur les résultats qu'en tirent les Canadiens et sur ce que cela signifie pour leur santé.

Voilà pour la première partie de votre question.

M. Bernard Patry: D'accord.

Dr Peter Vaughan: Vous demandez ensuite comment on peut parvenir à équilibrer les intérêts. Je dirais, avec tout le respect que je vous dois, que c'est au comité d'y veiller et nous sommes tout à fait favorables à ce que l'on parvienne à cet équilibre.

Le président: Vous serez donc d'accord, quoi que nous fassions.

Dr Peter Vaughan: Je suis certain que vous prendrez les meilleures décisions possible.

Le président: Merci beaucoup.

Docteure Knoppers, s'il vous plaît.

[Français]

Dr Bartha Knoppers: Je vas répondre à votre question sur l'une des trois structures qu'on va créer au sein des instituts. Le bureau sera une infrastructure qui servira à disséminer l'information. Le comité sur les procédures et politiques préparera des normes pour les chercheurs et les instituts dans leur fonctionnement interne afin qu'il y ait une certaine harmonisation, sinon une uniformité dans les normes guidant les chercheurs dans les sujets que j'ai déjà décrits.

Il y a dans ce pays un besoin criant, et peut-être est-ce seulement par l'intermédiaire de ces instituts qu'on pourra commencer à le combler, d'avoir un comité indépendant qui réfléchisse sur les macrothèmes plutôt qu'en réaction à des événements. Ce comité, qui serait à l'intérieur du ministère de la Santé parce que les instituts seront subventionnés par le ministère de la Santé, serait tout de même assez indépendant et multidisciplinaire pour préparer la réflexion sur les thèmes de l'avenir. Le comité d'éthique étant plutôt comme notre comité sur les procédures et politiques, il y a une absence de structure centrale au Canada. Donc, ce projet de loi et ces instituts permettront le début d'un comité consultatif canadien sur l'éthique.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Patry.

[Français]

M. Bernard Patry: Au Sous-comité du conseil d'administration provisoire sur l'éthique siégeait un membre provenant de la compagnie pharmaceutique Glaxo Wellcome Inc., M. Paul Lucas. Verriez-vous un problème, au plan de l'éthique, à ce que des représentants de compagnies pharmaceutiques d'origine siègent à un comité permanent, par opposition à un comité provisoire, ou à certains conseils d'administration? Pourrait-il y avoir un conflit d'intérêts à ce moment-là?

Dr Bartha Knoppers: Je vais vous répondre comme je l'ai déjà fait.

M. Bernard Patry: Oui.

Dr Bartha Knoppers: Il y a deux courants de pensée à ce sujet. Il y a beaucoup de personnes dans le domaine de l'éthique qui s'opposent à la présence même des compagnies pharmaceutiques au conseil d'administration. C'est le point de vue de la majorité.

• 1630

Personnellement, et c'est un point de vue personnel et probablement minoritaire, je crois que le moment est venu d'intégrer le secteur privé, c'est-à-dire les compagnies pharmaceutiques, de biotechnologie, d'investissement de capital de risque et ainsi de suite dans la gouvernance de la recherche. Vu que le secteur privé subventionne maintenant la plus grande partie de la recherche, pour l'intégrer et le sensibiliser à des normes d'éthique, il faut l'inclure dans les instances même de gouvernance pour le faire entrer dans la culture de la responsabilité éthique telle qu'on la connaît dans le secteur public: transparence, imputabilité et ainsi de suite.

Le président: Merci beaucoup.

[Traduction]

Madame Wasylycia-Leis, allez-y.

Mme Judy Wasylycia-Leis (Winnipeg-Nord-Centre, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je voudrais aussi remercier nos témoins de cet après-midi. J'ai trois questions, une pour chacun.

La première s'adresse à M. Yussuff et à M. Bennett qui s'interrogent en particulier dans leur exposé sur la mesure dans laquelle ce projet de loi peut effectivement transformer la recherche en matière de santé dans notre pays. On a dit que ce serait la façon de réorienter nos programmes pour tenir compte des déterminants économiques, environnementaux, sociaux et culturels à la fois dans notre programme de recherche et dans l'amélioration de nos stratégies en matière de santé.

Vous semblez dire que le projet de loi dans son libellé actuel ne répond pas à ce besoin. J'aimerais poursuivre un peu la question. Il est évident que nous n'allons pas dans ce processus obtenir que le gouvernement précise quels instituts seront créés. Que pourrions-nous faire avec le projet de loi pour veiller à ce que l'on insiste réellement, comme vous le dites dans votre document, sur la prévention et la causalité qui sont des éléments importants du projet de loi?

La deuxième question est liée à cela et s'adresse au Dr Vaughan. On l'a soulevée tout à l'heure car si nous transformons notre programme de recherche pour examiner les déterminants fondamentaux des problèmes de santé, comment pouvons-nous mesurer le progrès? Comment veiller à ce que les résultats de cette recherche soient transformés en action?

Nous avons déjà parlé de la nécessité qu'il y ait à la fois une volonté politique et un revirement fondamental de la politique publique. Vous suggérez un bureau de l'excellence clinique. Lorsque nous avons soulevé la question, on a dit qu'il y aurait des rapports réguliers de ces IRSC au Parlement et que ce serait une façon de suivre ce qui se passe et de veiller à ce que les responsables nous rendent des comptes. Je me demande si cela suffit. Comment pourrions-nous faire accepter cette idée d'un bureau?

La troisième question porte sur tout le domaine de l'éthique. Beaucoup de gens s'interrogent sur la possibilité qu'un même groupe de personnes, le groupe responsable de la recherche, assument aussi la responsabilité de l'éthique. On se demande s'il ne faudrait pas envisager de séparer les deux fonctions et d'avoir, si j'ai bien compris, je peux me tromper, ce qui existe actuellement aux États-Unis, un comité de l'éthique distinct du NIH et un système de rapport direct au gouvernement. N'aurions-nous pas intérêt à éviter toute perception de conflit d'intérêts ou tout conflit d'intérêts réel en retirant cette fonction au conseil d'administration lui- même?

Le président: Merci beaucoup.

Commençons soit par M. Yussuff ou M. Bennet, s'il vous plaît.

M. Dave Bennett: Merci, monsieur le président.

Je crois que le diagnostic de Mme Wasylycia-Leis est très exact. Si l'on considère les intentions exprimées dans le projet de loi, elles sont mentionnées dans certains cas mais pas du tout précisées. D'autre part, le projet de loi n'explique pas comment ces buts et intentions pourront être réalisés. Il ne précise pas de mécanismes par lesquels les parlementaires pourront veiller à ce que les intentions sur lesquelles ils ont voté seront effectivement traduites dans la réalité.

Par exemple, l'innovation est à juste titre mentionnée dans le projet de loi mais un des facteurs clés de l'innovation est de s'assurer que la demande publique pour telle ou telle recherche se reflète effectivement dans le travail qu'entreprennent ces instituts. Le projet de loi ne précise absolument pas comment cela peut se faire. Les pressions publiques sont certainement un motif aussi important que la curiosité scientifique et peut-être même plus important que les pressions commerciales pour orienter le genre de recherche qui satisfera à la demande du grand public.

• 1635

Nous aimerions donc suggérer au comité d'examiner la possibilité d'associer le désir d'innovation aux mécanismes qui seront utilisés pour assurer que cette innovation voit en effet le jour.

Si l'on considère la prévention, la raison pour laquelle nous voulons que l'on insiste de façon plus explicite sur la prévention des maladies chroniques est que si l'on considère l'éventail de recherches entreprises, il y a une tendance très claire à favoriser la recherche sur les remèdes, le traitement de la maladie et sur la dynamique de la maladie plutôt que sur la prévention. Il faut que le Parlement et les parlementaires signalent qu'il faut équilibrer prévention et action curative.

Le projet de loi doit préciser la nécessité de cet équilibre. Sinon, on va maintenir le mode traditionnel de recherches qui favorisent toujours le traitement et le remède—comme le font d'ailleurs les diverses associations qui sont représentées ici, à juste titre, pour améliorer la santé publique. Il existe par exemple en Amérique du Nord des instituts de recherche sur le cancer; leur travail est très fortement orienté sur la prévention et le traitement. Même quand ils prétendent que ces recherches portent sur la prévention, si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'il s'agit davantage de «prévention secondaire», à savoir d'arrêter l'évolution de la maladie, ce qui n'est certainement pas de la prévention primaire et certainement pas le genre de prévention dont nous parlons lorsque nous disons qu'il faut considérer les disciplines de prévention.

Dans le changement que nous avons proposé au projet de loi, nous suggérons que les instituts mettent l'accent sur la prévention et la causalité. Si le comité souhaite aller plus loin et recommander que l'on confie à un institut de la médecine du travail et de l'hygiène du milieu un mandat en matière de prévention et de causalité, cela serait encore mieux.

Enfin, si on examine le libellé du projet de loi du point de vue des facteurs déterminants de la santé, la causalité liée à la prévention, premièrement, n'y figure pas. L'expression «facteur déterminant» n'est jamais employée. On y trouve les termes «influence» et «facteurs», mais on a l'impression que les rédacteurs du projet de loi craignaient d'intégrer la prévention et la causalité à la politique gouvernementale.

Par ailleurs, la version française du projet de loi est encore plus faible que la version anglaise. Les versions anglaise et française diffèrent grandement. Quoi qu'il en soit, ni l'une ni l'autre n'emploie l'expression «détermination», en ce qui a trait à la causalité.

De nombreuses améliorations peuvent donc être apportées au projet de loi, et nous aimerions que ces améliorations soient intégrées au rapport présenté au Parlement.

Le président: Merci beaucoup.

Docteur Vaughan, vous avez la parole.

Dr Peter Vaughan: Merci, monsieur le président.

La question de savoir comment on mesure l'impact des facteurs déterminants de la santé est cruciale. Il faut reconnaître que si nous voulons déterminer exactement la valeur de la recherche que nous effectuons au nom des Canadiens et ce qu'elle signifie pour ceux-ci, nous devons nous engager à examiner non seulement notre volume d'activité mais ce qu'il signifie sur le plan pratique. Les facteurs sociaux déterminants, toujours importants, nous obligent à nous concentrer sur les résultats obtenus grâce à l'argent des contribuables, sur la valeur de la recherche, qui est manifestement importante.

La démarche est également importante. Je crois que c'est ce que nous essayons de faire ici aujourd'hui en soulevant les questions et en vous sensibilisant à l'importance du transfert des connaissances.

Nous le répétons, le déficit est très grave. Le financement fédéral de la recherche en santé étant insuffisant depuis quelques décennies, sur le terrain—dans les tranchées, dans les laboratoires cliniques, où les hôpitaux et les laboratoires se rejoignent—notre capacité s'est considérablement amoindrie: ceux qui effectuent la recherche et assurent le transfert des connaissances ont quitté le pays.

• 1640

C'est un argument crucial. Nous devons renforcer cette capacité. Et le seul moyen de le faire est tout d'abord de reconnaître que nous avons perdu des ressources extraordinaires et que nous devons nous efforcer de les reconstituer. Le bureau de l'excellence clinique reconnaît ce besoin, l'élément transfert de connaissances, et il l'intègre aux instituts, afin que nous puissions transférer l'important savoir qui est acquis dans tous les instituts aux patients, à la population, à la clinique, où il le faut.

Le président: Merci beaucoup, docteur Vaughan.

Docteure Knoppers, vous avez la parole.

Mme Bartha Knoppers: Oui, pour répondre à votre question, vous décrivez ce qui s'est produit aux États-Unis, lorsque le bureau de la protection contre les risques de la recherche a quitté dernièrement l'Institut national de la santé. Lors de nos discussions, nous avons veillé à ne pas tomber dans le même piège, à savoir écrire les règles et ensuite juger du respect de ces règles.

À l'heure actuelle, tous les protocoles de recherche sont soumis à un examen tripartite, par l'entremise des comités de déontologie universitaires. Demain, vous allez entendre le Conseil national de la recherche chez les sujets humains. Ce dernier a été créé par trois conseils en vue d'établir des normes à l'intention des comités d'éthique pour la recherche, d'évaluer le travail de ces comités et de déterminer les problèmes qu'ils éprouvent au Canada, un peu comme le Conseil canadien de protection des animaux. Ces organismes seront donc les premiers à évaluer le respect des normes de déontologie en matière de recherche au sein des IRSC ou ailleurs.

Nous proposons de créer au sein d'IRSC un comité des politiques et procédures qui définirait les exigences internes auxquelles devraient se conformer tous les instituts et les chercheurs qui demandent des fonds, étoffant du même coup les obligations redditionnelles en matière d'intégrité, de conflit d'intérêts et de commercialisation. Nous ne ferions que faire fond sur le document interconseil et n'assumerions d'aucune façon la fonction d'évaluation du Conseil national de la recherche chez les sujets humains et des universités. L'autre fonction, le groupe de réflexion, le comité consultatif indépendant, mettrait en oeuvre son programme de recherche et de déontologie pour le Canada. Ces mécanismes de protection ont donc été érigés.

Le président: Merci beaucoup, docteure Knoppers.

J'aimerais poser une brève question sur la déontologie. Je crois que c'est à l'alinéa 5d) qui traite de la surveillance, de l'analyse et de l'évaluation des questions d'ordre éthique. Je me demande si vous estimez que le projet de loi met suffisamment l'accent sur la déontologie dans ce cas.

Mme Bartha Knoppers: Vous vous souvenez peut-être mieux que moi des projets de loi antérieurs sur la santé, mais il me semble que le nombre de fois où le terme éthique revient est assez remarquable. Je crois avoir compté quatre occurrences jusqu'à présent—une fois dans le préambule et trois fois dans le corps du texte.

Il est employé de façon générale. L'alinéa 5d) ne décrit pas les instruments. Il appartiendra aux IRSC de définir les normes de surveillance, d'analyse et d'évaluation. Lorsque nous avons rédigé notre rapport, nous avions au sein de notre groupe consultatif un sous-comité de la déontologie qui représentait les intérêts et le rôle du Conseil national de la recherche chez les sujets humains, le CCPA, etc. Ce rôle n'incombera pas uniquement aux IRSC, car ces organismes existent déjà. Il faut donc collaborer plutôt que de faire ce que d'autres font déjà. Il faut cependant que les IRSC se disciplinent. Et en ce sens, relativement aux normes internes, ils doivent également définir leurs politiques et procédures.

Le président: Merci.

Docteur Vaughan, vous avez parlé du besoin d'un juste équilibre entre les sciences biomédicales et les sciences sociales dans les IRSC. Je me demande si vous estimez que cela devrait aller jusqu'à une représentation proportionnelle dans les organismes—le conseil provisoire et les comités et ainsi de suite—et si le financement devrait également être proportionnel.

Dr Peter Vaughan: Monsieur le président, c'est une excellente question. Nous croyons que ce qui est crucial dans cet équilibre, peu importe comment il est atteint, c'est la qualité des membres du conseil d'administration, et non la casquette qu'ils portent. J'estime que les membres ne devraient pas être nommés au conseil d'administration en fonction de leur secteur d'activité. À mes yeux, c'est la compétence des candidats qui compte.

• 1645

Je crois qu'il est possible d'atteindre un équilibre, en nommant d'éminents Canadiens qui peuvent apporter un point de vue équilibré au conseil, au lieu de définir les disciplines et de réunir tout le monde à la table. Je crois qu'il faut aller plus loin. Lorsque nous parlons de créer un tel organisme du savoir, c'est l'intelligence de ses membres qui devrait compter.

Le président: Puis-je également vous poser une question sur vos commentaires au sujet du maintien des scientifiques canadiens? Nous allons bientôt entendre quelques personnes qui sont rentrées. Nous conseilleriez-vous de recruter des Canadiens qui sont partis travailler à l'étranger?

Dr Peter Vaughan: Monsieur le président, en tant que Canadien qui est rentré—avec beaucoup d'enthousiasme—je peux certainement vous en parler. Et je suis heureux d'être ici. Je crois qu'il est important que nous nous mettions en valeur, et je crois que c'est une leçon que nous pouvons tirer des autres administrations qui ont recruté des Canadiens, car nous sommes en quelque sorte des proies faciles. Je crois que nous devons nous inspirer de ces méthodes et commencer à récupérer les Canadiens qui se sont expatriés, et prouver, grâce à ce genre d'initiative, que nous sommes déterminés à créer une économie du savoir et de l'innovation au Canada.

Je crois que ça vaut la peine de déployer les efforts nécessaires pour ramener ces gens. Nous devons leur montrer que ce qui les attend en vaut la peine. Je crois que c'est le cas. Je crois que le projet de loi est un pas dans la bonne direction. Nous devons maintenir le financement de la recherche.

Le président: Merci.

En terminant, messieurs Yussuff et Bennett, avez-vous participé aux consultations du conseil d'administration provisoire et savez-vous si d'autres syndicats y ont participé?

M. Dave Bennett: Oui, nous étions au courant de la tenue des consultations, et nous avons eu des discussions avec le directeur par intérim des instituts. Mais à trois reprises nous avons demandé au ministre Rock qu'il nomme un représentant du Congrès du travail du Canada au conseil d'administration provisoire et au groupe de travail, et il ne nous a jamais répondu.

Le président: Merci beaucoup.

Nous manquons un peu de temps; nous devons entendre un autre groupe de témoins. J'aimerais donc remercier tous ceux qui ont participé à la réunion d'aujourd'hui. Elle s'est révélée très instructive et utile pour nous tous. Nous allons suspendre les audiences pendant cinq minutes, afin que le deuxième groupe de témoins puisse prendre place. Merci beaucoup.

• 1647




• 1653

Le président: Mesdames et messieurs, nous allons entendre notre prochaine groupe de témoins au sujet du projet de loi C-13, et je tiens à m'excuser auprès de chacun de vous. Je sais que vous êtes très occupés, mais nous avons pris un léger retard avec le groupe précédent.

Nous allons entendre M. Ron Worton. Il est directeur général principal et directeur scientifique de l'Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa.

Monsieur Worton, vous vous souviendrez qu'un certain nombre d'entre nous ont visité votre institut, jeudi dernier je crois. Nous nous sommes rencontrés sur place, et vos commentaires ont été très bien accueillis. Il nous tarde d'entendre ce que vous avez à nous dire au cours de votre exposé.

Je vais vous laisser présenter les gens qui vous accompagnent, si vous le voulez bien, et je suis sûr que vous avez également quelques commentaires liminaires. Je vous laisse donc la parole, et le comité vous posera ensuite des questions.

Dr Ron Worton (directeur général principal et directeur scientifique, Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa, Université d'Ottawa): Je vous remercie de l'invitation à vous donner un exposé aujourd'hui.

Au fil de mes commentaires préliminaires, je vais certainement vous présenter les quatre jeunes scientifiques qui m'accompagnent. J'aimerais leur laisser à chacun quelques minutes afin qu'ils puissent vous raconter leur histoire.

Il s'agit de quatre personnes qui ont travaillé dernièrement à l'extérieur du Canada. En fait, l'un deux est un Américain qui a été recruté au Canada. Je crois qu'il est important qu'ils vous racontent leur histoire afin qu'ils vous expriment directement ce que ce projet de loi signifie pour eux, pour leur avenir, car ils représentent l'avenir du Canada. Je représente le passé et le présent de la science canadienne, mais ils représentent notre avenir.

Nous voulons parler du projet de loi C-13 dans son ensemble. Nous ne voulons pas contester quelque article ou énoncé en particulier. Je crois que notre message est très favorable.

• 1655

Selon nous, il s'agit sans doute du plus important projet de loi sur la santé et les soins de santé à être présenté depuis la création du Conseil de recherches médicales du Canada en 1960. Nous tenons à souligner ce point: l'importance de ce projet de loi pris dans son ensemble, comment il va soutenir la science au Canada, comment il va aider les scientifiques canadiens, comment il va nous aider à recruter et à garder les scientifiques au Canada—et non seulement des scientifiques canadiens, mais des scientifiques d'ailleurs dans le monde qui pourraient choisir de venir travailler ici.

Nous serons tous les cinq directement et considérablement touchés par ce projet de loi et par la création des IRSC. Nous sommes tous les cinq des scientifiques de carrière. Je le souligne, car de nombreuses personnes s'adonnent à de nombreuses autres activités en plus de la science. De nombreux professeurs d'université réalisent, en plus de leur charge d'enseignement, des programmes de recherche importants. Nous travaillons tous dans un institut de recherche, où la recherche constitue notre première tâche. Nous enseignons, c'est vrai. Nous donnons des cours de deuxième cycle, mais nous faisons véritablement carrière dans la recherche. Par conséquent, ce projet de loi nous touche très directement.

Ainsi, le sujet, si nous résumons, c'est l'importation de travailleurs intellectuels. C'est le recrutement et la conservation de scientifiques canadiens.

Permettez-moi de vous présenter le Dr Andrew Badley. Il vous parlera plus en détails de lui dans un instant. Andrew est clinicien, spécialiste des maladies infectieuses, et chercheur scientifique à l'Hôpital d'Ottawa. Il est également professeur adjoint à l'Université d'Ottawa et a fait une partie de sa formation aux États-Unis, comme il vous le dira dans quelques instants.

Je suis également accompagné de Mme Valerie Wallace, chercheuse scientifique détentrice d'un doctorat qui a été recrutée dernièrement par l'Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa. Elle est également professeure adjointe à l'Université d'Ottawa.

Troisièmement, M. David Picketts est chercheur scientifique—nous sommes tous de l'Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa, essentiellement—et il est scientifique à plein temps à l'Institut et professeur adjoint à l'Université d'Ottawa.

Enfin, M. David Park est un neuroscientifique américain qui est arrivé au Canada il y a environ un an. C'est un citoyen américain qui a choisi de travailler au Canada.

Je dois vous dire qu'il est important à nos yeux de recruter des scientifiques américains au Canada. Il importe que nous recrutions des gens d'ailleurs ayant des compétences différentes. Ce n'est pas toujours facile, et David vous racontera également son histoire. David travaille à l'Institut de recherche en neuroscience, qui fait partie de notre hôpital, et il est également professeur adjoint à l'université.

Vous savez un peu pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Le Ottawa Citizen a publié en juin un article très intéressant au sujet des perspectives découlant de la création d'un nouvel institut de recherche à l'Hôpital d'Ottawa, et des travailleurs intellectuels que cela nous permettait d'importer.

L'institut qui a été créé en 1996 à l'Hôpital d'Ottawa... Je devrais d'abord commencer par vous dire que deux instituts de recherche sont affiliés à l'Hôpital d'Ottawa. Le premier est l'Institut Loeb pour la recherche médicale, qui se trouve au pavillon Civic de l'hôpital. L'autre, celui que nous représentons et dont nous parlons aujourd'hui, c'est l'Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa, qui est au pavillon General, tout comme l'école de médecine.

L'institut que nous avons créé il y a à peine trois ans—et j'ai été recruté afin de créer cet institut—met principalement l'accent sur les déterminants moléculaires de la maladie. Il apparaît évident depuis dix ans ou plus, depuis environ quinze ans, qu'il est maintenant possible de maîtriser les maladies; de caractériser toutes les formes de maladie au niveau moléculaire; et de voir ce qui se produit au niveau moléculaire, à l'intérieur des cellules, et ce qui cause la maladie. Cela facilite la prévention, les traitements et la gestion. Nous avons donc créé un institut qui met réellement l'accent sur la génétique moléculaire de la maladie, étant donné que de nombreux éléments moléculaires de la maladie sont déterminés par nos gènes.

• 1700

La génétique moléculaire de la maladie est un aspect. Le VIH et le sida constituent un des grands secteurs de la recherche qu'on y effectue étant donné l'importance de ce problème dans le monde, et Andrew vous parlera brièvement de son travail à ce chapitre.

Un troisième secteur important est la neuroscience moléculaire—les molécules qui régissent le développement du cerveau, son maintien, et l'activité moléculaire lorsqu'il y a neurodégénération. David Picketts et David Park vont vous en parler brièvement.

Valerie Wallace travaille à notre institut d'ophtalmologie, et elle vous parlera brièvement de ses recherches sur l'oeil.

Au cours des trois dernières années, nos activités de recrutement ont visé dans une certaine mesure les scientifiques canadiens, mais nos avis ont été largement diffusés. Nous avons pu recruter douze scientifiques à l'institut ces trois dernières années. Plusieurs d'entre eux étaient des Canadiens occupant des postes de stagiaire à l'étranger. Quatre d'entre eux sont avec nous aujourd'hui. Et comme je l'ai dit, David Park représente l'importation de travailleurs intellectuels des États-Unis.

J'aimerais dire combien j'estime important que nos scientifiques du Canada, nos jeunes scientifiques canadiens, fassent des stages à l'étranger. Je l'ai fait moi-même. Je suis allé à Yale lorsque j'étais chercheur universitaire, après avoir obtenu mon doctorat ici. Je suis de ceux qui insistent pour que nos jeunes scientifiques, surtout lorsqu'ils ont terminé leur doctorat et avant qu'ils entament une carrière de chercheur, aillent à l'étranger. Ce n'est pas que nous ne pouvons pas leur offrir une bonne formation ici, mais ils peuvent se familiariser avec une optique différente à l'étranger. L'éventail de laboratoires est plus vaste.

Il est dans notre intérêt que nos jeunes aillent étudier aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France ou ailleurs, pour autant que nous les récupérions. Sinon, nous y perdons. Si nous les envoyons se former ailleurs et qu'ils y restent, cela ne nous aide aucunement. Mais s'ils reviennent, ils rapportent de nouvelles connaissances, de nouvelles façons de faire, et une vision élargie de leurs programmes de recherche qui sont importants pour notre pays.

Parmi les scientifiques qui sont avec nous aujourd'hui, tous ont été recrutés à l'extérieur du pays. Tous ont profité du programme Nouvelle chance de la FCI, la Fondation canadienne pour l'innovation que vous avez créée il y a deux ans. Une partie du budget des infrastructures de la fondation canadienne a été affectée à un programme appelé Nouvelle chance. Ce programme s'adressait aux jeunes qui démarraient leur laboratoire pendant les premières années de leur formation, et qui étaient donc admissibles. Tous les quatre ont reçu des fonds de la FCI à leur retour au Canada. Si vous le souhaitez, ils pourraient vous en parler plus à fond.

Ils ont tous reçu des subventions appréciables pour un jeune groupe de chercheurs, et ils ont tous le talent, l'énergie et l'enthousiasme nécessaires pour devenir des scientifiques de renommée mondiale. Cependant, pour réussir et devenir des scientifiques de renommée internationale, ils ont tous besoin du genre d'appui que peut leur fournir IRSC. Comme je l'ai dit, ils ont tous le talent nécessaire, mais il est pratiquement impossible de réussir sans un financement suffisant.

Je crois qu'IRSC est la clé de leur succès. Certains éléments d'IRSC sont la clé de leur succès. Comme le système d'examen par les pairs. Ils sauront tous, je le sais, faire bonne figure dans le système d'examen par les pairs en vue d'obtenir le genre de subventions dont ils auront besoin pour rivaliser à l'échelle internationale.

Avant de leur demander de vous raconter leur histoire personnelle, laissez-moi vous raconter brièvement la mienne. J'ai fait mon baccalauréat et ma maîtrise à l'Université du Manitoba. J'ai ensuite fait mes études de doctorat à l'Université de Toronto—il y a de nombreuses années, dois-je ajouter. Je suis ensuite allé à Yale. J'y ai passé trois ans, au temps fort de la guerre du Vietnam—ce qui a été une autre expérience enrichissante—en tant que chercheur universitaire, et je suis ensuite rentré au Canada pour travailler à l'Hôpital pour enfants de Toronto.

J'ai passé 25 ans à cet hôpital. J'y ai occupé successivement des postes de chercheur scientifique adjoint, chercheur scientifique et chercheur scientifique principal, et je me suis hissé au poste de professeur à l'université. Pendant les 11 dernières années où j'y étais, j'ai dirigé le département de génétique de l'hôpital, et c'est au début de cette période que mon laboratoire a découvert le gène responsable de l'une des formes de la dystrophie musculaire. Cette découverte nous a également permis d'élaborer le premier test diagnostic pour cette maladie, le premier test permettant de déceler le gène défectueux chez la mère qui porte le gène et le transmet à ses fils. Nous avons conçu le premier test diagnostic prénatal pour cette maladie, qui est maintenant administré systématiquement partout dans le monde.

• 1705

Je vous raconte cela parce que je tiens à ce que vous sachiez qu'il y a au Canada de nombreux centres d'excellence et de réputation mondiale.

Après la découverte du gène de la dystrophie musculaire, l'équipe du Dr Lap-Chee Tsui, dont le bureau est situé en face du mien, a découvert le gène de la fibrose kystique. Peu après, le laboratoire d'à côté a découvert le gène de l'anémie de Fanconi, et le laboratoire au bout du corridor a découvert le gène de la maladie de Wilson.

Nous travaillons tous sur le même étage, et notre département de génétique est sans doute devenu le plus stimulant et le plus connu dans le monde. Des visiteurs du Japon et de l'Europe nous disaient «Mon Dieu, je vous connaissais tous de réputation, mais j'ignorais que vous travailliez tous sur le même étage dans le même hôpital.»

C'est parce que nous recevions un généreux financement du Canada. C'était le bon vieux temps. Nous recevions de généreuses sommes du Conseil de recherches médicales, d'organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé et d'autres sources. De la recherche scientifique valable peut donc être réalisée au Canada, et nous avons les gens pour le faire, mais ils ont besoin d'aide.

Dans mon cas, en reconnaissance de ma contribution à la recherche, j'ai été fait membre de la Société royale du Canada, j'ai reçu un prix international de la Gairdner Foundation et on m'a décerné l'Ordre du Canada. En fait, quatre membres du petit groupe de personnes que je viens de décrire à l'hôpital pour enfants portent l'épinglette de l'Ordre du Canada.

J'ai occupé différents postes d'influence, en tant que président du programme d'analyse du génome, qui a précédé Génome Canada, dont vous allez certainement débattre bientôt au Parlement. J'ai été vice-président de l'Organisation internationale du génome humain, et vice-président du conseil de l'Association de la dystrophie musculaire. L'an prochain, je serai président de l'American Society of Human Genetics, qui représente des généticiens de toute l'Amérique du Nord et qui compte de nombreux membres d'Europe, l'association regroupant en tout 5 000 membres.

Enfin, j'aimerais signaler que je suis membre du conseil d'administration provisoire—vous le savez peut-être—et qu'à ce titre, je serai heureux d'essayer au moins de répondre aux questions qui ont été posées au cours des derniers jours, si vous croyez que je peux être d'un certain secours.

Le Conseil de recherches médicales et d'autres organismes ont soutenu mes travaux de recherche presque sans interruption depuis 1978.

Cela vous donne donc une idée de mon expérience. Depuis 1996, je travaille à l'Hôpital d'Ottawa, où mes fonctions consistent à renforcer le milieu de la recherche, à recruter des jeunes et à les soutenir, plutôt que de faire moi-même de la recherche.

Je vous présente d'abord Andrew Badley, qui vous parlera de lui, de son expérience dans le domaine de la recherche, des raisons qui l'ont incité à revenir au Canada, et de ce que IRSC signifie pour lui.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Worton. Votre exposé est très impressionnant, et nous vous remercions de vos commentaires liminaires et de vous être joint à nous aujourd'hui.

Docteur Badley, vous avez la parole.

Dr Andrew Badley (clinicien et chercheur, Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa, Université d'Ottawa): Merci de m'accorder la parole aujourd'hui.

Laissez-moi vous expliquer brièvement qui je suis. J'ai fait mon premier cycle à la Faculté de médecine de l'université Dalhousie en Nouvelle-Écosse. À la fin de mon internat, je me suis mis à la recherche d'un programme de bourses d'études supérieures, et j'ai été recruté à la clinique Mayo du Minnesota, aux États- Unis.

J'y ai passé sept ans à me consacrer à la médecine interne, aux maladies infectieuses, et à une formation en immunologie. Pendant mon séjour, il s'est trouvé que je faisais partie d'une équipe de chercheurs qui se sont intéressés aux mécanismes nouveaux par lesquels le VIH pouvait détruire le système immunitaire. Il est surprenant de constater que même si l'épidémie du VIH circule maintenant depuis déjà 15 ans, les raisons pour lesquelles le VIH et son infection entraînent le dysfonctionnement du système immunitaire restent toujours à découvrir.

Pendant mon séjour à la clinique Mayo, nous avons eu le bonheur de collaborer avec toute une série de chercheurs dans des projets de recherche uniques. Nous avons pu décrire pour la première fois le mécanisme en cause lors de la destruction du système immunitaire par le VIH. Nous avons pu prendre part à plusieurs autres projets qui jouissent actuellement de l'attention du monde entier. Grâce à cela, j'ai reçu plusieurs récompenses, au Canada et aux États-Unis de même qu'ailleurs dans le monde.

• 1710

C'est à peu près à ce moment-là que j'ai commencé à chercher mon premier emploi dans une université. Le jeune chercheur que j'étais voulait pouvoir faire ses preuves et voulait pouvoir dire, à la fin d'une première période de recherche de deux ou trois ans, qu'il avait réussi ou, s'il avait échoué, que ce n'était pas par défaut d'occasion de se prouver. Je voulais pouvoir démontrer mes capacités.

Lorsque je me suis intéressé aux occasions d'emploi, j'en ai vu plusieurs aux États-Unis et quelques-unes au Canada. J'avais l'impression que les occasions d'emploi n'étaient pas aussi bonnes au Canada qu'aux États-Unis, surtout pour des raisons de financement. Voilà pourquoi je ne souhaitais pas vraiment revenir au Canada, et voilà pourquoi j'ai voulu prolonger mon visa d'études aux États-Unis.

Comme on me l'a refusé, je me suis tourné vers le Canada. Je me suis rendu compte que mes chances étaient plus grandes à Ottawa, étant donné la multidisciplinarité de la recherche effectuée particulièrement dans cette ville-ci et étant donné la collaboration qui existe entre les sciences sociales, l'épidémiologie, la pharmacologie et les sciences fondamentales.

Je suis donc revenu, et j'ai eu la chance au cours des premières années d'être financé par des Canadiens et par des bourses d'ailleurs dans le monde, parce que j'étais dans le bon domaine de recherche, celui du VIH, sujet d'actualité. Il est sans doute beaucoup plus facile d'obtenir aujourd'hui des fonds de recherche, si l'on est dans le domaine du VIH, que dans tout autre domaine. J'ai donc eu la chance d'avoir suffisamment de bourses de recherche, ce qui n'est pas nécessairement le cas pour les autres domaines de recherche.

Si j'ai une chose à vous dire aujourd'hui, c'est qu'il faut augmenter le niveau de financement dans tous les secteurs de recherche, pour que tous les chercheurs aient leur chance.

À mon avis, l'importance d'IRSC réside dans le fait qu'il offrira beaucoup plus d'occasions de financement, mais plus important encore, que le financement sera à plus long terme. C'est très avantageux pour quelqu'un comme moi. En effet, si vous passez tout votre temps à écrire des demandes de subvention et à les faire renouveler, il vous en reste moins pour faire votre recherche. Donc, ce qui me semble le plus intéressant dans la proposition d'IRSC, c'est l'augmentation des niveaux de financement et la plus grande durée de ce financement.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Badley.

Nous passons maintenant à Mme Wallace.

Dre Valerie Wallace (scientifique, Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa, Université d'Ottawa): Merci au comité de me donner aujourd'hui l'occasion de m'exprimer.

Mon histoire à moi est complètement différente. J'ai d'abord fait un baccalauréat en sciences à l'Université d'Ottawa, puis je suis allée à Toronto où j'ai fait pendant sept ans un doctorat en immunologie auprès du professeur Tak Wah Mak, dans le laboratoire de qui j'ai travaillé sur plusieurs aspects du développement du système immunitaire.

À la fin de mon doctorat, j'ai décidé de me réorienter complètement et de travailler sur le développement neuronal. Pour ce faire, j'ai estimé que la meilleure formation se ferait au Royaume-Uni, auprès d'un autre Canadien expatrié. J'ai donc étudié au Collège universitaire de Londres pendant quatre ans, et je suis devenue biologiste en développement neuronal dont l'intérêt principal est le développement du champ rétinien et du nerf optique.

Dans le domaine du développement du nerf optique et de la rétine, je m'intéresse actuellement principalement aux molécules de signalisation qui contrôlent le développement de ces processus. Même si je travaille sur le développement le plus précoce de ces processus en prenant pour modèle des systèmes de développement chez les rongeurs, une partie de ce travail pourrait éventuellement nous permettre de comprendre comment on peut restaurer la vision, domaine dont l'importance s'accroît étant donné l'évolution de la démographie au Canada et l'augmentation des maladies oculaires, comme la dégénérescence rétinienne et l'attaque du nerf optique dans les gens qui souffrent de sclérose en plaque.

Pendant ma formation, j'ai eu la chance d'être aidée par le gouvernement canadien. J'ai donc reçu une bourse post-doctorale du Conseil de recherche médicale alors que j'étais à Londres. Malheureusement, cela ne me suffisait pas pour pouvoir vivre convenablement à Londres, et j'ai eu aussi la chance d'obtenir une bourse internationale du Programme scientifique sur la frontière humaine.

Cela fait maintenant 18 mois que je suis de retour au Canada, et on pourrait se demander pourquoi j'ai choisi de revenir. Je suis revenue parce que souhaitais vivre à nouveau au Canada. Ce n'est pas parce que je voulais faire de la recherche au Canada que je suis revenue, car le financement de la recherche laisse à désirer. En fait, mes collègues m'ont vraiment déconseillé de revenir au Canada, et j'ai même regardé les possibilités ailleurs dans le monde. Toutefois, c'est mon souhait de revenir vivre au Canada qui a prévalu.

• 1715

La possibilité de travailler à l'Institut de recherche de l'hôpital d'Ottawa était extrêmement intéressante pour moi. C'est d'ailleurs ce qui m'avait été offert de mieux, à l'époque de mon retour, et le soutien que j'ai reçu m'a même permis d'ouvrir mon propre laboratoire.

Depuis mon retour, j'ai eu la chance de trouver de bonnes sources de financement. J'ai reçu des fonds de l'Institut national du cancer, du Terry Fox New Investigator Award, et de la Fondation E.A. Baker pour la prévention de la cécité. Mon laboratoire est donc sur la bonne voie.

J'aimerais vous expliquer pourquoi ce projet de loi est important pour des gens comme moi.

D'abord, il faut beaucoup d'argent pour faire de la recherche qui soit compétitive à l'échelle internationale. Si vous comparez le niveau de financement à ce qui se fait aux États-Unis pour le lancement d'un laboratoire et ses dépenses courantes, c'est bien moindre, et je ne pourrais certainement pas concurrencer les États- Unis à ce chapitre-là.

En deuxième lieu, les bourses sont généralement accordées pour trois ans; autrement dit, vous êtes obligé de songer à renouveler la bourse deux ans et demie après avoir commencé. Or, la recherche prend du temps et une bonne partie de vos efforts ne donnent aucun résultat. Il faut donc avoir le temps suffisant pour explorer et pour faire les choses convenablement, pour pouvoir aboutir à des résultats.

Les bourses de trois ans créent beaucoup de problèmes. De plus, étant donné que les premières bourses que nous recevons ne suffisent généralement pas, la plupart d'entre nous sont obligés d'avoir recours à des sources de financement multiples. Par conséquent, vous passez la plus grande partie de votre temps à rédiger des demandes de subventions, ce qui vous empêche de former les nouveaux chercheurs de votre laboratoire et vous empêche de faire vous aussi des expériences.

Enfin, sachez que je suis ambitieuse et que j'aimerais réussir ma carrière tout en restant au Canada. Si la situation du financement n'évolue pas pour le mieux, je ne sais pas combien de gens comme moi resteront au Canada. Nous voudrons peut-être aller voir ailleurs.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Wallace.

Nous passons maintenant à M. Picketts.

Dr David Picketts (scientifique, Institut de recherche de l'Hôpital d'Ottawa, Université d'Ottawa): J'aimerais, à mon tour, exprimer toute ma gratitude au comité et le remercier de nous avoir invités aujourd'hui. Je ferai la même chose que mes collègues et vous parlerai d'abord de moi, et vous expliquerai ensuite la raison qui m'incite à comparaître aujourd'hui.

Je suis un généticien moléculaire formé au départ à l'université Queen's lors de mes études au baccalauréat en biochimie. Après mon bac, je me suis inscrit en maîtrise à l'université McMaster de Hamilton, avant de revenir à l'université Queen's pour faire un doctorat.

Moi aussi, je me suis demandé où il était possible d'obtenir une bourse postdoctorale. Je conviens avec le professeur Worton qu'il est important d'aller voir ailleurs comment se fait la recherche dans les autres pays. Moi aussi, j'ai choisi le Royaume- Uni et me suis rendu à l'Institut de médecine moléculaire, affilié à l'Université d'Oxford à Oxford même.

J'y suis resté pendant quatre ans. Pendant mon séjour, nous avons cloné un gène qui, lorsque muté, donne lieu à plusieurs formes de déficience mentale. On a dit à l'époque que c'était l'une des percées les plus importantes dans la recherche sur les déficiences mentales depuis l'identification du fragile gène X.

J'aurais eu toutes les occasions du monde de rester au Royaume-Uni et de lancer mon propre groupe de recherche. Mais surtout pour des raisons personnelles... Je crois que nombre de Canadiens nés et élevés au Canada cherchent à revenir au Canada. C'est en tout cas ce qui s'est passé pour moi. J'étais désireux de revenir ici pour faire ici même ma recherche, et c'est pourquoi je me suis demandé quelles occasions me seraient offertes.

C'est l'Hôpital d'Ottawa qui m'a ouvert la porte. On m'a offert des conditions de démarrage généreuses qui sont très concurrentielles par rapport aux autres institutions auxquelles je me suis intéressé. Il m'a donc été facile de décider de revenir. Il soufflait également un vent d'optimisme chez les autres scientifiques, collègues et amis qui étaient ici au Canada et qui avaient entendu dire que le financement irait en s'améliorant. J'ai eu la grande chance d'obtenir une subvention pour dépenses courantes du Conseil de recherches médicales en 1996, à l'époque de la disette.

Je suis à la veille de devoir renouveler ma subvention en mars prochain, et j'aimerais à mon tour vous parler de l'importance que revêt l'IRSC à cet égard.

• 1720

Grâce à cette subvention, j'ai pu employer un technicien de recherche et acheter suffisamment de fournitures pour que cette personne et moi puissions faire la recherche. Pour être concurrentiels à l'échelle internationale, il faut que trois personnes ou plus s'attaquent à un projet pour faire avancer la science et pour pouvoir espérer une contribution de taille. Voilà pourquoi je souscris au projet de l'IRSC: l'augmentation du financement permettra en effet à plus d'une personne de s'intéresser à un projet, ce qui pourrait mieux nous placer en termes de concurrence internationale.

Mais il y a aussi l'autre façon de regarder la situation. Depuis que nous avons cloné le gène impliqué dans l'une des formes de déficience mentale, nous avons réussi à identifier 11 autres gènes qui pourraient être aussi de bons candidats. Nous ne pouvons étudier actuellement qu'un seul des 11 gènes en question dans le sens de notre recherche pour essayer de déterminer s'il joue un rôle dans les déficiences mentales. Voilà pourquoi je crois qu'en augmentant le financement et en consacrant les efforts de plus d'une personne à un projet donné, il sera possible de faire avancer la science un peu plus rapidement.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Picketts.

Monsieur Park, à votre tour.

Dr David Park (Institut de recherche en neurosciences, Hôpital d'Ottawa; Faculté de médecine, Université d'Ottawa): Merci beaucoup.

J'ai suivi toute ma formation aux États-Unis, et c'est là que l'Institut de recherche en neurosciences m'a recruté il y a environ 18 mois. J'ai accepté l'offre non pas tant à cause de la recherche qui se fait de façon générale au Canada, mais plus spécifiquement à cause de l'excellence des collègues que j'aurais à l'Institut de recherche en neurosciences.

Mes recherches portent sur les maladies neurodégénératives et les accidents vasculaires cérébraux et c'est l'une des principales raisons pour lesquelles je suis venu au Canada, parce que cela me permettait de travailler à certaines choses, surtout avec certains de mes collègues, dont je n'aurais pas pu facilement m'occuper aux États-Unis.

Je dois dire que, comme la docteure Wallace, j'avais été bien averti de ne pas venir au Canada, tant par des chercheurs américains que, ce qui peut sembler étonnant, par des chercheurs canadiens bien établis. Ils m'avaient dit qu'il se faisait d'excellentes recherches au Canada, mais que c'était bien en dépit du climat de financement actuel, ce qui n'est pas nécessairement ce qu'un nouveau chercheur veut entendre.

J'étais donc quelque peu inquiet de venir au Canada. Je suis ici depuis un an et demi déjà et j'ai constaté un certain optimisme dans le milieu, surtout à cause des IRSC. Les IRSC m'aideraient personnellement à titre de chercheur canadien à peu près de la même façon qu'ils aideraient mes collègues. J'ajoute que, pour moi, c'est fort probablement une condition préalable pour un séjour prolongé au Canada.

Le président: Merci beaucoup, docteur Park.

Nous allons maintenant commencer les questions et ce sera d'abord monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Je vous suis très reconnaissant d'avoir centré vos remarques sur des préoccupations de recherche qui nous aident vraiment à comprendre vos attentes. Quand on est à l'extérieur de ce milieu, on a à l'esprit l'image du professeur Tournesol, un peu rat de bibliothèque, qui n'est pas très en lien avec la communauté, mais vous nous avez présenté une image un peu plus nuancée.

J'ai quatre ou cinq questions à vous poser. La première s'adresse au Dr Worton, qui siège au conseil d'administration provisoire. Je reviendrai à cette question.

Ma deuxième porte sur le sida. C'est un domaine qui m'intéresse beaucoup. On essaie de comprendre pourquoi les gens s'en vont à l'extérieur. Il y a toute la question des bourses disponibles. D'ailleurs, s'agissant des bourses, est-ce que les titulaires de projets vont bénéficier d'un financement plus que triennal? J'avais cru comprendre que le conseil d'administration approuverait les plans stratégiques de chacun des instituts, mais que ces plans stratégiques seraient approuvés sur une base annuelle. Est-ce que cela permettra d'engager du financement à plus long terme, selon la compréhension que vous avez du fonctionnement des instituts?

• 1725

Deuxièmement, sur la question du sida, qu'est-ce qui explique qu'un laboratoire privé comme BioChem Pharma a connu le succès que l'on connaît? Est-ce que cela aurait pu être possible dans le cadre d'instituts de recherche ou dans le cadre d'un laboratoire public? Comment pouvez-vous expliquer un phénomène comme celui-là?

Évidemment, il y a des gens qui disent qu'un cycle de recherche, entre le moment où on isole une molécule et le moment où il y a un médicament breveté, peut facilement coûter 500, 600 ou 700 millions de dollars. J'aimerais avoir le point de vue du Dr Badley là-dessus.

Voici ma dernière question. Selon ce que je comprends, le mérite des instituts ne tient pas tant au fait qu'ils vont permettre l'acquisition d'équipement. Ce ne sera pas centré sur des équipements de laboratoire d'une nouvelle génération; ce sera davantage centré sur des moyens concrets qui vont favoriser la recherche et la capacité de mettre en réseau des chercheurs. Pour un chercheur, qu'est-ce qu'il y a de plus important? La question des ressources financières pour son laboratoire ou la question des équipements? Comment évaluez-vous l'importance des équipements? J'avais cru comprendre que c'était aussi très important, mais que ce n'est pas un objectif de la création des instituts.

Ma dernière question s'adresse au Dr Worton, qu'on avait un peu perdu tout à l'heure. Vous étiez au conseil d'administration provisoire. Que se passera-t-il si, à l'intérieur d'un institut de recherche, on n'approuve pas le plan stratégique et qu'on retourne au conseil d'administration? Comment vont se faire les arbitrages dans le milieu du sida, par exemple? Il y a deux courants de pensée. Il y a des gens qui veulent qu'il y ait un institut de recherche désigné pour le sida, et il y a des gens comme le Dr Sékaly qui disent qu'il faut plutôt avoir un institut sur la virologie et l'immunologie. Comment, d'après vous, les arbitrages devraient-ils se faire?

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ménard.

[Traduction]

Voulez-vous commencer, docteur Badley?

Dr Andrew Badley: Volontiers. Relativement à la première question quant à la possibilité qu'il y ait davantage d'occasions de financement à long terme à l'extérieur du Canada qu'ici même, je dois dire qu'il y a relativement peu de mécanismes au Canada qui permettent une collaboration entre les fabricants de produits pharmaceutiques et le gouvernement pour les essais à long terme de produits pharmaceutiques.

Une bonne partie des progrès réalisés relativement au VIH et pour d'autres maladies aussi découlent des essais de produits pharmaceutiques. Comme je l'ai dit, ces essais ne sont pas très bien financés au Canada, mais ils le sont ailleurs.

Il y a deux principaux organismes qui financent ces essais aux États-Unis. Il y a d'abord les études parrainées par le NIH. À l'heure actuelle, le Dr Tony Fauci, directeur de l'institut, a organisé un programme pour mettre à l'essai un traitement à l'IL-2 ou interleukine-2. Ce programme a reçu suffisamment de fonds pour 10 ans, ce qui veut dire que le gouvernement le finance pour traiter des malades pendant 10 ans et les suivre sur une période de 10 ans. C'est justement l'examen des résultats après la période de traitement qui est essentiel pour savoir comment un médicament influe sur le cours de la maladie. Nous ne pourrions pas mener une telle étude au Canada.

L'autre source de financement pour de telles études aux États-Unis est un autre institut appelé AIDS Clinical Trial Group, ou ACTG. Il existe aussi des mécanismes pour obtenir des financements gouvernementaux, même si cela se fait différemment, pour les études qui s'étendent sur une période pouvant aller jusqu'à cinq ans. Ce n'est pas possible au Canada à l'heure actuelle. Pour l'instant, la recherche sur le VIH au Canada est financée dans le cadre d'essais parrainés par le CRM pendant un maximum de trois ans.

Selon moi, il est essentiel d'avoir des essais sur de plus longues périodes, surtout si l'on veut enrayer la progression d'une maladie. Nous ne savons pas maintenant si les traitements actuels auront des conséquences avant plusieurs années et une période de trois ans n'est pas...

[Français]

M. Réal Ménard: Les instituts vont permettre d'avoir un financement sur plus de trois ans, même si leur plan stratégique...

[Traduction]

Dr Andrew Badley: Oui.

[Français]

M. Réal Ménard: ...doit être abordé sur une base annuelle? Comment les instituts vont-ils permettre un financement quinquennal, par exemple?

[Traduction]

Le président: Docteur Worton.

Dr Ron Worton: Je suis peut-être le mieux en mesure de répondre à cette question puisque j'ai fait partie du conseil d'administration provisoire. Nous voulons effectivement que les instituts présentent des plans annuels et ces plans seront approuvés chaque année.

Par ailleurs, ces plans annuels peuvent prévoir un financement à long terme et si, par exemple, un institut qui s'occupe de maladies contagieuses constate tout à coup qu'il y a un grave problème de santé causé par l'hépatite C, comme c'est arrivé il y a quelques années, il peut élaborer cette année-là un plan ayant certains objectifs à long terme visant à rehausser la recherche dans ce domaine et à mettre au point des méthodes précises pour s'attaquer au problème.

• 1730

Même si un institut donné aura un budget annuel, cela ne veut pas nécessairement dire qu'il aura seulement des engagements à court terme. Une partie du plan annuel visera des engagements à long terme.

En outre, une bonne partie du financement qui ira à un institut particulier viendra du fait que des chercheurs auront obtenu des subventions pour mener certaines recherches dans leur domaine de compétence et que ces recherches auront été jugées excellentes au moment de l'examen par les pairs. Parce que les IRSC disposeront de plus d'argent que le CRM, on pourra avoir davantage d'engagements à long terme.

D'après toutes les discussions que j'ai entendues au conseil d'administration provisoire, il semblerait que le conseil d'administration des IRSC voudra mettre sur pied un programme de financement à long terme pour prolonger la durée de certaines des subventions initiales, qui sont maintenant de seulement deux à trois ans. Au lieu que ces subventions soient renouvelées pour trois ans, elles le seront probablement pour cinq ans. Cela évitera aux chercheurs d'avoir à présenter des demandes de subventions deux ou trois fois par année.

Quand je présentais beaucoup de demandes de subvention il y a quelques années, quand mon programme de recherche était encore plus fort, je recevais des subventions de quatre agences. Certaines subventions étaient pour une brève période et d'autres pour une période plus longue. Si je présentais une très bonne demande qui avait de bonnes chances d'être acceptée, je pouvais y consacrer trois mois de travail. Si je devais présenter quatre demandes de subvention par année et consacrer trois mois à chacune, vous pouvez calculer vous-mêmes combien de temps je passais au laboratoire. Les subventions à long terme sont très utiles pour permettre aux chercheurs de faire leur travail.

Le président: Merci beaucoup. Pendant que vous y êtes, Dr Worton, voulez-vous répondre aussi à la dernière question de M. Ménard?

Dr Ron Worton: S'agit-il bien de la question visant à savoir comment les IRSC vont déterminer le secteur de recherche des instituts? S'il y a quinze instituts, de quoi s'occuperont-ils? Y en aura-t-il un pour le cancer? Y en aura-t-il un pour les maladies du coeur? Y en aura-t-il un pour le vieillissement? Y en aura-t-il un pour les facteurs sociaux qui touchent la santé? Ou bien y en aura-t-il un pour les problèmes de santé au travail, comme quelqu'un l'a proposé au cours de la dernière heure?

Cela fait maintenant près d'un an, ou neuf mois, que nous examinons cette question. Selon moi, le processus que nous comptons instaurer est le plus efficace possible parce qu'il nous permettra de consulter bien des gens. Jusqu'ici, le conseil d'administration provisoire a préféré ne pas consulter pleinement parce que nous devions définir la structure et le mode de fonctionnement des instituts. Nous avons passé les trois premiers mois à rédiger un projet de loi et de 85 à 90 p. 100 de cette ébauche a été conservée dans le projet de loi C-13.

Ce que nous avons fait depuis la semaine dernière, c'est lancer un appel à toutes les universités du pays, aux principaux organismes de charité reliés à la santé, à l'ensemble de ces organismes et à tous les autres principaux intervenants. Nous leur avons dit que nous voudrions avoir de leurs nouvelles avant le 14 janvier et que nous voudrions qu'ils nous disent quel secteur on devrait confier au juste à tous les instituts.

C'est une question très différente que celle que nous posions au début. Avant, nous encouragions les chercheurs à présenter un plan pour leur institut préféré et nous en avons reçu environ 160 mais ces réponses étaient très biaisées. Chacun voulait son institut préféré. Les spécialistes des maladies contagieuses voulaient un institut pour les maladies contagieuses, mais ceux qui font des recherches sur le sida voulaient un institut consacré au sida en plus d'un institut sur les maladies contagieuses, même si le sida est une maladie contagieuse.

Les consultations seront beaucoup plus efficaces si nous demandons aux intervenants de dresser une liste des instituts qu'ils considéreraient comme étant appropriés. Tous les organismes du pays, toutes les universités, par exemple, passeront les six prochaines semaines, avec un répit à Noël et au Jour de l'An, à demander à leurs principaux chercheurs et à certains de leurs chercheurs subalternes dans tous les aspects de la recherche en santé, y compris la recherche biomédicale, la recherche clinique, les sciences sociales, et ainsi de suite, d'essayer de déterminer de quoi 12 ou 15 instituts devraient s'occuper s'ils pouvaient décider.

• 1735

Nous espérons que les réponses que nous recevrons de tous ces intervenants contiendront certains éléments en commun, même si elles sont bien variées. Il y aura sans doute des suggestions qui reviendront dans toutes les recommandations et cela nous facilitera le choix. Ce n'est cependant pas un concours de popularité pour les instituts, mais un processus qui vise à déterminer ce qui serait le plus logique, ce qui sera le plus avantageux pour le pays, ce qui nous permettra d'englober toute la gamme des recherches en santé qui doivent être effectuées et qui nous permettra de trouver un créneau pour tous les chercheurs du pays afin que personne ne reste à l'écart. Voilà donc le processus.

Le président: Il y a eu une question au sujet du matériel. Quelqu'un veut-il y répondre?

Docteure Wallace, s'il vous plaît.

Dre Valerie Wallace: Je pense que le député voulait savoir comment distinguer entre le financement pour le matériel et le financement pour le fonctionnement d'un laboratoire. Ai-je raison?

[Français]

M. Réal Ménard: Par exemple, allez-vous pouvoir acquérir de l'équipement, et quelle importance cela a-t-il dans la conduite de travaux? On a un peu l'impression que les instituts vont régler le problème du financement de chercheurs, mais ne régleront en rien le problème de la modernisation des laboratoires de recherche.

[Traduction]

Dre Valerie Wallace: Je peux répondre en partie à cette question, mais je pense que je devrai demander au docteur Worton de compléter.

D'habitude, lorsqu'un chercheur demande du financement d'exploitation, il peut demander le matériel qu'il juge nécessaire pour atteindre les objectifs de sa subvention mais il a été difficile d'obtenir de tels financements du CRM pour les chercheurs établis, par exemple. C'est très difficile d'obtenir de l'argent pour du matériel. Une fois qu'on aura injecté plus de fonds dans le système, on pourra peut-être plus facilement obtenir des fonds pour du nouveau matériel dans le cadre des subventions d'exploitation. Je l'espère. Quant à savoir si les IRSC auront un mécanisme pour remplacer ou remettre à neuf le matériel dans les instituts, je l'ignore.

Docteur Worton.

Le président: Brièvement, s'il vous plaît, docteur Worton. Je veux donner la parole à M. Jackson.

Dr Ron Worton: Certainement.

Tout d'abord, la FCI, ou Fondation canadienne pour l'innovation, a fait beaucoup pour fournir du matériel aux instituts, mais c'est quand même moi, par exemple, qui doit obtenir de l'argent de l'hôpital, de l'institut de recherche, de la fondation et du secteur privé pour acheter une bonne partie du matériel parce que nous ne pouvons pas en obtenir suffisamment des organismes gouvernementaux. C'est très bien, mais la FCI a fait beaucoup dans ce domaine.

Comme l'a dit la Dre Wallace, les chercheurs peuvent demander certains articles dans le cadre de leur subvention, mais il s'agit d'habitude de matériel valant moins de 25 000 $, ou en tout cas moins de 50 000 $. Si vous avez besoin d'une machine coûtant 300 000 $, vous ne pourrez certainement pas l'obtenir grâce à une subvention ordinaire. Il faut un mécanisme spécial.

Le président: Très bien. Merci beaucoup.

Monsieur Jackson, vous avez été très patient.

M. Ovid L. Jackson (Bruce—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins et à les remercier d'être venus.

Je voudrais revenir à la question de nos chercheurs prometteurs et à la façon de les aider à se perfectionner et à rester au Canada.

Docteur Worton, vous semblez convaincu que, dans une famille, si l'on aime ses enfants, on doit être prêt à les laisser partir dans l'espoir qu'ils finiront par revenir.

Je ne vais pas me contenter d'une réponse où vous diriez que vous représentez l'ancienne génération parce que je suis convaincu que les gens comme vous-même et le Dr Friesen avez eu beaucoup de vision et que vous pourrez faire profiter non seulement l'ensemble du pays, mais aussi les nouveaux chercheurs de votre expérience et de vos connaissances à l'avenir.

Je voudrais savoir ce que chacun d'entre vous pense de tout cela. Docteur Worton, je suis certain que vous continuerez à vous occuper à toutes ces questions pendant encore longtemps et que, pendant une certaine période, vous pourrez faire profiter de vos compétences de fin renard à tous ceux qui vous suivront et qui s'occuperont de vos petits enfants. On nous a déjà dit qu'il est important d'avoir beaucoup d'argent pour la recherche et que votre secteur de recherche est important, mais quels sont les autres facteurs?

Il y a toujours eu un écart de génération entre les jeunes et les vieux et, à mon avis, une partie du problème vient du fait, et parfois nous ne nous en occupons pas suffisamment, que les jeunes chercheurs, par exemple, marient d'autres chercheurs et décident de fonder une famille. Qu'arrive-t-il lorsque les deux conjoints ont la même carrière? Il y a probablement beaucoup d'hommes parmi les chercheurs qui seraient prêts à rester au foyer pour s'occuper des enfants. Certains pensent que c'est uniquement la femme qui peut s'occuper des enfants, mais ce n'est pas nécessairement vrai.

• 1740

Je voudrais donc savoir quels sont les principaux facteurs qui vous feraient rester au Canada, et ce qui est le plus important pour vous, en commençant par le docteur Worton.

M. Réal Ménard: Êtes-vous célibataire?

Dr Ron Worton: Les chercheurs sont comme n'importe quel autre membre de la société, ils veulent une vie pleine et équilibrée. Ils veulent une famille et des enfants. La plupart des scientifiques ont une famille.

À mon avis, certains des défis que doivent relever les chercheurs sont peut-être plus grands que pour d'autres professions, bien que j'imagine que la politique est une profession qui pose d'énormes défis. Vous devez vivre à l'écart de vos familles pendant de longue période, par exemple.

Les chercheurs passent de longues heures dans les laboratoires. Je pourrais vous raconter bien des plaisanteries au sujet des longues heures que passent les chercheurs dans leur laboratoire. Pour avoir du succès, un chercheur doit travailler ces longues heures. C'est la même chose que pour un jeune homme d'affaires qui lance une entreprise et qui doit y consacrer bien des heures pendant les premières années. Nous essayons d'offrir des avantages sociaux suffisants, par exemple de bonnes prestations de maternité, comme n'importe quelle autre entreprise.

Une autre chose importante pour avoir du succès en recherche scientifique, c'est la masse critique. Il y a bien des années, un chercheur pouvait survivre seul et faire du bon travail sans jamais parler à qui que ce soit. Cette époque est à peu près révolue. La plupart de nos chercheurs évoluent dans un milieu où la masse critique est maintenant beaucoup plus importante. On a maintenant un grand nombre de scientifiques sur le même étage ou dans le même département qui travaillent au même genre de recherche parce qu'on peut à ce moment-là avoir des échanges d'idées. Je ne veux pas parler uniquement d'un échange d'idées entre la Dre Wallace et le Dr Picketts, dont les laboratoires se font face, mais aussi du fait que les étudiants et les chercheurs universitaires de la Dre Wallace vont parler aux étudiants et aux chercheurs universitaires du Dr Picketts. C'est de là que viennent les idées. La masse critique est donc extrêmement importante.

La dernière chose que je voudrais signaler, c'est que vous avez entendu parler d'argent aujourd'hui, mais ce n'est pas seulement une question d'argent. Si nous voulons faire concurrence à nos collègues des États-Unis, de la Grande-Bretagne, du Japon et d'ailleurs, nous ne pouvons pas nous contenter d'un laboratoire où nous aurons un seul technicien de recherche qui fait des expériences pendant la journée et où les chercheurs eux-mêmes viennent faire quelques expériences pendant la journée et essaient de rédiger leur demande de subvention le reste du temps. Ce ne serait pas concurrentiel.

Quand j'étais à mon plus haut niveau d'activité à l'hôpital pour enfants malades, à l'époque où nous avons découvert la cause de la dystrophie musculaire, j'avais 14 personnes qui travaillaient à mon laboratoire. Pour ces 14 personnes, j'avais besoin d'un financement s'élevant à environ 600 000 $ par année venant de quatre sources différentes. La plupart de mes subventions étaient de plus de 100 000 $. Récemment, la subvention moyenne accordée par le CRM était de 70 000 $. La moyenne commence à remonter vers 100 000 $.

Si nous n'avons pas six, huit, dix, douze ou quatorze personnes dans nos laboratoires, nous ne serons pas concurrentiels. C'est ce qu'il faut pour bien réussir.

Le président: Merci beaucoup, docteur Worton.

Monsieur Szabo, s'il vous plaît.

M. Ovid Jackson: Non, je n'ai pas terminé.

Le président: Je m'excuse, monsieur Jackson.

M. Ovid Jackson: Je voulais que chacun des témoins me disent ce qui est le plus important pour eux, pourquoi ils restent dans ce domaine.

Le président: Très bien, monsieur Jackson.

M. Ovid Jackson: Ils pourraient le dire en quelques mots.

Le président: Qui veut répondre en premier? Docteur Badley.

Dr Andrew Badley: À mon avis, il y a deux sortes de recherches: celle à risque élevé, qui est très passionnante, et celle à moindre risque, qui est moins passionnante. Vu le climat qui existe en milieu universitaire aujourd'hui, on est surtout tenté de faire la recherche à moindre risque, qui est moins passionnante, parce que c'est comme ça qu'on obtient des résultats, qu'on est publié, ce qui détermine, au bout du compte, si oui ou non on obtiendra une bourse de recherche. Mais dans un climat où il y aurait moins de concurrence pour ces bourses de recherche et où on aurait un meilleur accès au financement, je pourrais prévoir un changement nous permettant de financer beaucoup plus de recherches à risque élevé qui pourraient se révéler plus intéressantes. Personnellement, je pense que c'est la question du financement et des ressources requis pour faire ce genre de recherches à risque élevé, mais aussi à rendement plus élevé, qui fait la différence entre un bon scientifique et un grand scientifique.

Le président: Merci.

Docteure Wallace.

Dre Valerie Wallace: Comme le Dr Badley disait, je veux savoir que je n'ai pas besoin de revenir tous les 30 mois en quête de plus d'argent et que j'aurai le temps qu'il faut pour faire certains de ces projets à haut risque. Ces projets de recherche ne produisent pas toujours les résultats voulus, mais lorsque cela arrive, le gain est énorme. Mais j'aimerais avoir la liberté ainsi que la sécurité qui me permettent de le faire.

• 1745

La masse critique est une question qui est presque aussi importante. Je veux être entouré de gens qui sont plus intelligents que moi, des gens qui peuvent m'apprendre quelque chose. Ils vont, par la force des choses, améliorer mon programme de recherche ainsi que l'expérience de mes stagiaires.

Le président: Docteur Picketts.

Dr David Picketts: Je crois que la masse critique est très importante. Si deux ou trois personnes sont affectées à un projet, elles peuvent discuter de ce projet entre elles et formuler des idées innovatrices et complémentaires qu'une seule personne n'aurait pu trouver. Voilà un aspect important.

De plus, j'aimerais ne pas être à cours de ressources lorsqu'il s'agit d'une expérience en particulier qui, d'après moi, est importante et qui va, j'espère, me donner une réponse directement. À l'heure actuelle, cet élément-là pose un problème.

Le président: Docteur Park.

M. David Park: Mes arguments rejoignent les leurs.

J'aimerais simplement signaler que lorsque je suis arrivé ici, j'ai été très surpris de constater le montant des bourses qu'on octroie normalement aux jeunes scientifiques. Lorsque vous tenez compte du taux de change américain—et les scientifiques ici doivent souvent acheter beaucoup de choses des États-Unis puisqu'on ne peut pas les acheter ici au Canada—le pouvoir d'achat de ces bourses du CRM diminue de façon dramatique.

Je ne veux pas vous donner l'impression que tout tourne autour de l'argent, mais c'est quand même un aspect important dans l'établissement d'un laboratoire dynamique et concurrentiel.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Jackson, est-ce qu'on a répondu à votre question?

M. Ovid Jackson: J'aimerais ajouter une chose.

Une voix: Vous n'auriez pas dû lui poser cette question.

M. Ovid Jackson: On parle toujours de l'argent et je réponds toujours en disant que si un institut réussit à concevoir et à commercialiser de la propriété intellectuelle, eh bien, il faut réinvestir cet argent dans l'institut pour le faire grandir plutôt que de demander de l'argent au gouvernement. Les ressources du gouvernement sont limitées. Si vous voulez avoir cette masse critique, l'institut doit, entre autres choses, accroître cette masse critique de façon exponentielle, si cela est possible, par l'entremise de cette propriété intellectuelle.

Le président: C'est plutôt une observation et, en même temps, un bon conseil. Merci.

Monsieur Szabo.

M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président.

Le Dr Friesen a comparu devant notre comité des finances à plusieurs reprises et il a défendu le milieu de recherche et sa quête d'un climat de recherche de qualité qui va permettre à nos gens de réaliser leur plein potentiel. Il a fait un travail exemplaire.

Comme vous le savez, on a réduit le financement de recherche ainsi que bien d'autres choses. Le financement s'est amélioré un tout petit peu, comme en témoignent les chiffres de migration. Espérons que ce financement destiné à la recherche va augmenter de nouveau.

Cependant, cette idée que le Canada pourrait offrir un milieu de recherche pluridisciplinaire de qualité supérieure et toujours concurrentiel me semble être un peu idéaliste. De plus, il me semble que l'occasion de travailler à l'étranger constitue, pour les gens hautement qualifiés, tels que vous, quasiment une exigence de base de vos aspirations professionnelles à long terme.

Ne sommes-nous pas en train de faire trop de choses pour trop de gens ou bien est-ce qu'on devrait plutôt comprendre que les gens doivent faire preuve de mobilité dans cette profession et que la possibilité de travailler à l'étranger, et le réseautage qui en résulte, ainsi que les connaissances que vous pouvez acquérir là- bas mais peut-être pas au Canada à cette étape de votre carrière, tout cela fait partie de cette culture d'excellence dans la recherche?

Le président: Qui veut aborder cette question?

Allez-y, docteur Park.

M. David Park: Est-ce qu'on demande trop au système par rapport à ce qu'on veut faire? Une partie de cette réponse, de mon point de vue, c'est que le cloisonnement des recherches scientifiques est un peu artificiel. Les choses qu'on apprend dans un domaine peuvent avoir un impact considérable et ont un impact considérable dans d'autres domaines.

• 1750

Dire qu'on veut simplement se limiter exclusivement à la recherche relative au SIDA, minimise vraiment ce qu'on peut apprendre des autres domaines. À mon avis, il faut adopter une approche élargie dans la consolidation des sciences au Canada, et il ne faut pas viser une cible tellement étroite qu'on risque de ne pas se rendre compte des découvertes dans les autres secteurs.

M. Paul Szabo: D'accord. J'ai une dernière question, monsieur le président.

Dans tous vos exposés, personne n'a parlé du régime fiscal du Canada. Il y avait dimanche un éditorial dans le Toronto Star au sujet de Nortel, qui reproche assez sévèrement au Canada son régime fiscal, en disant qu'il provoque un exode des cerveaux ou un exode des emplois, peu importe comment vous voulez l'appeler. Mais l'éditorial signale que le salaire d'entrée d'un ingénieur qui travaille chez Nortel aux États-Unis est de l'ordre de 53 000 $ américains. Au Canada, ce même salaire est de l'ordre de 49 000 $ canadiens, ce qui représente en fait la différence entre gagner 85 000 $ et 50 000 $ au Canada. L'écart est important. L'éditorial traite également des possibilités innombrables ainsi que de la forte demande qui existent aux États-Unis par rapport au Canada.

Il y a des échéances. Cela n'est pas important. Le coût de l'échec est beaucoup plus grand que le coût des salaires intéressants. Est-ce qu'il faut tenir compte de cela lorsqu'il s'agit des emplois à l'étranger, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs, dans le sens que n'importe quel prix est acceptable parce qu'il faut faire le travail? Est-ce que les choses deviennent urgentes, parce que ces gens-là, qui reçoivent la formation de base ici au Canada, sont tellement en demande ailleurs?

Le président: Docteur Badley.

Dr Andrew Badley: Je dirais que cette question comporte deux volets, telle que je la comprends. Premièrement, c'est la question des salaires, et, en tant que médecin, je peux vous dire que l'écart salarial entre le Canada et les États-Unis est important. J'ai déjà reçu des offres des États-Unis qui doubleraient mon salaire et même plus.

Le deuxième volet de la question porte sur les responsabilités. Je dirais que mes responsabilités, en tant que chercheur, sont plus grandes au Canada. Cela s'explique en partie en raison du nombre limité des chercheurs au Canada qui étudient le SIDA. Plutôt que d'être responsable d'un petit aspect de projet de recherche, vous devez assumer de plus grandes responsabilités. C'est le prix que vous devez être prêt à payer si vous voulez vivre au Canada—et il y a de nombreuses bonnes raisons de vivre au Canada.

J'ai dit dans mon introduction que je ne voulais pas venir au Canada. La raison, c'était tout simplement ma perception du financement de la recherche. J'ai de nombreuses raisons de vouloir vivre au Canada, et je suis personnellement prêt à payer ce que cela me coûte pour vivre ici.

Le président: Merci beaucoup.

Plusieurs d'entre vous avez mentionné que vous avez reçu des subventions de plusieurs sources, et je me demande si c'est ce qui se fait dans d'autres pays aussi. Je me demande aussi si vous pensez que cette situation changera une fois que les IRSC seront établis.

Docteur Badley.

Dr Andrew Badley: J'espère que nous ne serons pas obligés de chercher des fonds auprès de diverses sources, comme c'est le cas dans le contexte actuel. La subvention moyenne octroyée par le CRM, comme le Dr Worton l'a déjà mentionné, se chiffre à moins de 100 000 $. Il me coûte actuellement environ 300 000 $ pour faire fonctionner mon laboratoire, et il me faut donc plusieurs subventions pour le faire. Je serais ravi de pouvoir obtenir des nouveaux IRSC une seule subvention pour couvrir le montant global. Mais à vrai dire, je ne suis pas convaincu que ce sera le cas avant un certain temps.

Le président: Docteur Worton, avez-vous quelque chose à ajouter?

Dr Ron Worton: Oui. Je crois qu'il est peu probable que le Dr Badley reçoive une seule subvention de plus de 300 000 $ par année des IRSC dans un avenir rapproché. Mais là où il me semble que les choses seront différentes, c'est qu'au fur et à mesure que les subventions des IRSC augmenteront, il sera peut-être possible d'obtenir une subvention importante pour couvrir les grandes dépenses et les activités à plus long terme, ainsi que quelques subventions moins importantes. La grande subvention assurera la stabilité, etc. Et là, on pourrait vivre avec cette idée de subventions multiples.

• 1755

Pour répondre à votre question concernant d'autres pays, oui, on dépend ailleurs aussi, dans une certaine mesure, de subventions multiples. Aux États-Unis, il est beaucoup plus usuel d'obtenir deux subventions des National Institutes of Health que de recevoir au Canada deux subventions du CRM. Dans le passé, on pouvait obtenir deux subventions du CRM; j'en ai eu deux à un moment donné. Mais ce luxe est disparu, sans doute au début des années 90. Je ne connais personne, et cela depuis plusieurs années, qui reçoit plus d'une subvention.

Le président: Au sujet des subventions, etc., peut-on dire que les exigences et le processus pour les subventions initiales sont différents de ceux qui s'appliquent aux subventions subséquentes? Est-ce que j'ai raison de penser cela?

Dr Ron Worton: Non, je crois que les exigences pour une subvention initiale de la part du CRM, ou des IRSC dorénavant, sont sensiblement les mêmes que celles qu'il faut remplir pour faire renouveler une subvention. Il y a longtemps, au milieu des années 80, alors que je présidais un des comités d'examen du CRM, le processus suivi dans le cas de nouvelles demandes était un peu différent. On était plus disposé à donner aux chercheurs le bénéfice du doute, d'être indulgent sur certains points et de dire que s'ils n'avaient pas de données préliminaires, c'était tout simplement qu'ils venaient de commencer. Cela ne se fait plus. On exige maintenant des données préliminaires, même de la part de jeunes chercheurs qui n'en sont qu'à leurs débuts. Il revient donc à mon institution de leur octroyer des fonds de démarrage afin qu'ils puissent obtenir leurs données préliminaires pour pouvoir obtenir une première subvention du CRM.

Le président: Merci beaucoup. C'était ma prochaine question, en fait, et vous y avez répondu.

Docteur Worton, enfin, croyez-vous que nous devrions inciter les Canadiens à revenir au Canada—faire du recrutement actif?

Dr Ron Worton: De toute évidence, oui. Je crois qu'il y a un nombre assez élevé de Canadiens qui sont allés ailleurs. Des neuf étudiants au doctorat ou chercheurs d'université qui ont travaillé sous ma direction, trois seulement, à ma connaissance, travaillent actuellement au Canada. Parmi les autres, deux étaient venus d'Italie et y sont retournés, ce qui est tout à fait naturel. Trois de mes anciens étudiants canadiens, cependant, travaillent maintenant aux États-Unis.

D'après moi, ceux qui sont déjà aux États-Unis depuis une dizaine d'années, sont bien là où ils sont et bien financés et ne reviendront probablement pas, sauf si on leur offre quelque chose de très spécial. Nous devons nous concentrer sur les jeunes qui par exemple ont fait un doctorat au Canada et font des recherches post- doctorales aux États-Unis, en Grande-Bretagne et ailleurs, ou bien ceux qui font leur doctorat à l'extérieur du Canada. Nous devons maintenir un certain contact avec eux, nous devons les informer de ce qui se passe, et les faire revenir au Canada aussitôt que possible.

Le président: Merci beaucoup.

J'aimerais remercier tous nos témoins de nous avoir donné de leur temps aujourd'hui. C'était une séance très intéressante et très utile pour ce comité. Merci beaucoup.

La séance est levée.