SNSN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité de la Sécurité publique et nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 20 septembre 2005
¿ | 0910 |
Le président (M. Paul Zed (Saint John, Lib.)) |
¿ | 0915 |
M. Ziyaad Mia (Canadian Muslim Lawyers Association) |
Le président |
M. Ziyaad Mia |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
Le président |
M. Faisal Joseph (conseiller juridique, Congrès islamique canadien) |
¿ | 0935 |
¿ | 0940 |
Le président |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC) |
¿ | 0945 |
¿ | 0950 |
M. Ziyaad Mia |
M. Kevin Sorenson |
M. Ziyaad Mia |
M. Kevin Sorenson |
M. Ziyaad Mia |
Le président |
M. Riad Saloojee (directeur général, Canadian Council on American-Islamic Relations) |
¿ | 0955 |
Le président |
M. Omar Alghabra (président, Fédération canado-arabe) |
Le président |
M. Faisal Joseph |
À | 1000 |
Le président |
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ) |
À | 1005 |
M. Riad Saloojee |
M. Serge Ménard |
M. Omar Alghabra |
À | 1010 |
M. Serge Ménard |
Le président |
M. Faisal Joseph |
Le président |
M. Faisal Joseph |
À | 1015 |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
M. Riad Saloojee |
M. Joe Comartin |
M. Riad Saloojee |
M. Faisal Joseph |
À | 1020 |
M. Joe Comartin |
M. Ziyaad Mia |
M. Omar Alghabra |
À | 1025 |
M. Joe Comartin |
M. Faisal Joseph |
Le président |
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River) |
M. Ziyaad Mia |
À | 1030 |
M. Faisal Joseph |
M. Derek Lee |
M. Faisal Joseph |
À | 1035 |
M. Derek Lee |
M. Faisal Joseph |
M. Riad Saloojee |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
À | 1040 |
M. Ziyaad Mia |
M. Kevin Sorenson |
M. Ziyaad Mia |
Le président |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. John Maloney (Welland) |
À | 1045 |
M. Faisal Joseph |
Le président |
M. Omar Alghabra |
À | 1050 |
Le président |
M. Derek Lee |
M. Ziyaad Mia |
Le président |
Le président |
M. Mark Freiman (conseiller honoraire, Région de l'Ontario, Congrès juif canadien) |
Á | 1105 |
Á | 1110 |
Á | 1115 |
Le président |
Imam Salam Elmenyawi (président, Conseil musulman de Montréal) |
M. David Matas (avocat principal, B'nai Brith Canada) |
Le président |
Imam Elmenyawi |
Á | 1120 |
Á | 1125 |
Le président |
Á | 1130 |
M. David Matas |
Á | 1135 |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Á | 1140 |
M. David Matas |
M. Kevin Sorenson |
M. David Matas |
Á | 1145 |
Le président |
M. David Matas |
M. Mark Freiman |
Le président |
Imam Elmenyawi |
Le président |
M. Serge Ménard |
Á | 1150 |
Imam Elmenyawi |
M. Serge Ménard |
Imam Elmenyawi |
Á | 1155 |
M. Serge Ménard |
M. Mark Freiman |
M. David Matas |
Imam Elmenyawi |
M. Serge Ménard |
 | 1200 |
M. David Matas |
Imam Elmenyawi |
M. David Matas |
Le président |
M. Serge Ménard |
M. David Matas |
M. Serge Ménard |
Le président |
M. David Matas |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. Mark Freiman |
 | 1205 |
M. David Matas |
Imam Elmenyawi |
M. Joe Comartin |
 | 1210 |
Le président |
M. Derek Lee |
M. Joe Comartin |
M. Derek Lee |
M. David Matas |
 | 1215 |
Imam Elmenyawi |
Le président |
M. Derek Lee |
M. John Maloney |
M. Mark Freiman |
 | 1220 |
M. John Maloney |
M. David Matas |
Le président |
M. John Maloney |
Imam Elmenyawi |
 | 1225 |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. David Matas |
Le président |
CANADA
Sous-comité de la Sécurité publique et nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 20 septembre 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0910)
[Traduction]
Le président (M. Paul Zed (Saint John, Lib.)): Bonjour et bienvenue. Chers collègues, bienvenue. Je déclare la séance ouverte.
Avant de reprendre cette tâche sérieuse qu'est l'examen de la Loi antiterroriste , j'en profite pour souhaiter un bon retour à Ottawa aux membres de notre sous-comité. J'espère que vous avez bien profité de l'été. Je tiens à vous remercier de faire cet effort particulier pour être ici aujourd'hui, avant la reprise des travaux du Parlement.
Le fait est que nous avons beaucoup de travail à faire. Puisque vous avez tous donné votre accord pour avancer les deux prochains jours d'audience, je pense que nous allons même nous rendre au verso de la liste des groupes d'intérêt public qui veulent comparaître devant nous. Je pense que nous allons réellement accomplir beaucoup aujourd'hui et demain.
Comme tout le monde le sait, à la suite des événements tragiques survenus à Washington et à New York le 11 septembre, le gouvernement du Canada s'est engagé à lutter contre le terrorisme et les activités terroristes. En très peu de temps, un projet de loi antiterroriste était à l'examen à la Chambre et au Sénat, et il a reçu la sanction royale du 18 décembre 2001. L'objet de cette loi était de permettre au gouvernement de ratifier des conventions internationales, de définir l'activité terroriste et de munir les organismes de renseignement et d'application de la loi de nouveaux outils d'enquête. La loi comporte aussi des mesures ou dispositifs visant à protéger les droits de la personne en vertu de la Charte des droits et libertés du Canada, tout en s'efforçant d'assurer la sécurité de la personne.
L'un des dispositifs que nous, en tant que parlementaires, avons intégré à cette loi, c'est qu'elle-ci doit être réexaminée trois ans après avoir reçu la sanction royale. Donc, en fait, notre comité agit en vertu de l'article 145. Nous sommes appelés à faire un examen exhaustif des dispositions et de l'application de la loi.
Dans la première phase de l'examen, le sous-comité a entendu l'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice, et l'honorable Anne McLellan, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, ainsi que des représentants des organismes de renseignement et de réforme du droit, comme le SCRS, le CST et la GRC. Nous avons entendu les témoignages de comités de surveillance comme le SCARS, ainsi que de commissaires à l'information et à la protection de la vie privée. Nous nous engageons donc maintenant dans une deuxième phase, très importante, de notre examen, soit l'audience de groupes et de personnes de la société civile, ainsi que d'experts canadiens et étrangers, sur l'incidence de cette loi antiterroriste. C'est absolument essentiel pour nous, et un volet absolument déterminant de l'examen que nous devons faire de cette loi. Je tiens à vous remercier, encore une fois, tous, de vous être libérés pour ces réunions spéciales.
Les audiences se tiendront aujourd'hui et demain, comme je l'ai dit, et je pense que cela nous donnera le temps de préparer en temps opportun un rapport exhaustif pour le Parlement, que nous devrions pouvoir déposer au début de décembre.
Nos premiers experts, aujourd'hui, parleront de l'incidence de la Loi antiterroriste sur les collectivités de tout le pays. Nous ferons ensuite une pause pour le déjeuner, et nous reviendrons cet après-midi parler de l'incidence de la Loi sur les organismes de bienfaisance et de l'article 4 de la Loi sur la protection de l'information. Demain, nous prévoyons avoir un horaire similaire, avec des discussions sur le certificat de sécurité, ainsi que sur les droits et libertés.
Je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à notre premier groupe. Si je ne me trompe, nous accueillons aujourd'hui la Fédération canado-arabe, le Canadian Council on American-Islamic Relations, le Canadian Islamic Congress, et la Canadian Muslim Lawyers Association. Je crois que les quatre groupes ont décidé de faire des observations préliminaires communes. Est-ce c'est bien cela?
¿ (0915)
M. Ziyaad Mia (Canadian Muslim Lawyers Association): Nos trois organisations vont faire une déclaration conjointe.
Le président: D'accord. Veuillez commencer.
Merci beaucoup, et bienvenue.
M. Ziyaad Mia: Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour, membres du comité et chers collègues. C'est certainement un plaisir que d'être ici aujourd'hui pour vous exposer notre point de vue et nos idées sur cette question absolument cruciale pour tous les Canadiens qu'est l'examen de la Loi antiterroriste et des dispositions du certificat de sécurité de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
Je m'appelle Ziyaad Mia, je suis membre de la Muslim Lawyers Association. Je suis accompagné de M. Riad Saloojee, le directeur exécutif du Canadian Council on American-Islamic Relations, et de M. Omar Alghabra, président de la Fédération canado-arabe.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, nos organisations ont mis en commun le temps qui nous est accordé, et nous allons vous présenter une déclaration préliminaire conjointe d'une durée d'une dizaine de minutes. Nous espérons ainsi laisser au comité quelques minutes de plus pour les questions.
Vous avez aussi devant vous, je crois, un résumé d'une page de nos principales recommandations et des principes directeurs pour une loi et des politiques nationales en matière de sécurité. Je pense que vous avez aussi reçu le texte de nos présentations. Il y en a une de la FCA et une de CAIR, une présentation conjointe et une dernière de la Muslim Lawyers Association. Ce n'est pas pour dire qu'il y ait la moindre incohérence; c'est seulement que nous y discutons d'enjeux juridiques et d'enjeux communautaires, mais nous appuyons uniformément les recommandations et les préoccupations les uns des autres.
Nous avons comparu devant les comités parlementaires qui examinaient le projet de loi C-36, devenu la Loi antiterroriste, il y a environ quatre ans. Notre préoccupation, à l'époque, en tant que membres de la collectivité, était que la Loi antiterroriste était une réaction erronée aux événements du 11 septembre 2001. Je vais vous dire pourquoi elle était erronée. C'est parce qu'elle échangeait des valeurs fondamentales du Canada, comme la règle de droits, le respect de la dignité humaine et l'équité, contre un faux sens de sécurité. Elle était erronée parce qu'elle est motivée et par la peur et née de la peur.
L'histoire nous a appris que la peur n'est pas une bonne assise à l'élaboration de bonnes politiques, et notre histoire, au Canada, en a de pénibles souvenirs. Vous avez l'exemple des Ukrainien-canadiens pendant la Première Guerre mondiale, des Canadiens-japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale et des Québécois pendant La crise d'octobre. Chaque fois, nous avons réagi par peur, et les conséquences humaines ont été désastreuses. Inévitablement, elles étaient suivies de regrets et de déclarations que ça n'arriverait « plus jamais ».
Malheureusement, depuis le 11 septembre 2001, notre discours sur la politique publique au pays est encore une fois infecté par la culture de la peur, et que fait cette peur? Comment se traduit-elle dans nos communautés? Exactement comme nous le craignions il y a quatre ans, malheureusement, la peur a pris racine et a eu diverses conséquences négatives. Un froid manifeste a envahi les communautés islamiques et arabes de tout le pays, qui sont devenues l'objet d'une attention intense des organismes de sécurité.
Ce froid s'est manifesté de diverses façons, mais je peux vous donner des exemples du quotidien. Il se manifeste par une retraite de la vie communautaire et religieuse, un déclin des dons de charité et de participation aux oeuvres de bienfaisance, une réticence à voyager et un changement dans la vie courante et le mode de vie. Et pourquoi les gens ont-ils fait ce changement dans leur vie? Parce qu'ils ont peur, parce qu'ils ne veulent pas, par mégarde, tomber dans le filet d'enquêtes de sécurité nationale.
Bien des Canadiens musulmans et arabes ont fui des régimes autoritaires—nombre d'entre vous le savez—et sont venus ici chercher une vie meilleure, se libérer de la peur et être régis par la règle de droit. Aujourd'hui, avec la perspective d'enquêtes douteuses, de preuves secrètes, de procès secrets, et maintenant la perspective de la torture, malheureusement, leurs cauchemars reviennent. De désagréments relativement minces—et je ne prends certainement pas à la légère ce qui est arrivé à certaines personnes—du quotidien au risque de se faire expédier à l'étranger subir la torture, les conséquences humaines prennent toujours plus d'ampleur, et c'est désastreux pour les familles et nos communautés.
Pour illustrer la peur et le froid qui ont envahi nos communautés, je vais brosser pour vous un tableau de ce qui arrive sur place, dans les communautés musulmanes et arabes du Canada. CAIR Canada a préparé un sondage formel de notre communauté, intitulé A Presumption of Guilt. Il a été diffusé au printemps dernier. Dans ce sondage, environ 500 répondants étaient interrogés sur les visites reçues relativement à la sécurité nationale. Pas moins de 8 p. 100 de ces 500 personnes avaient eu des échanges avec des organismes de sécurité nationale et la police, et si vous voulez extrapoler, sur l'ensemble de la communauté musulmane actuelle, qui a environ 750 000 sujets, cela ferait 50 000 visites.
Parlons un peu des constatations de ce sondage, en fait de tendances. Il a cerné huit tendances. Je pense que vous avez accès à ce sondage, et je vous incite à le lire attentivement, mais je vais vous donner une idée de ce qui s'y trouve—le genre de tactiques et de mesures opérationnelles qu'emploient nos organismes de sécurité avec les Canadiens, les résidents permanents et les réfugiés.
¿ (0920)
On décourage les gens de se faire conseiller par des avocats ou de se faire représenter par les tiers lors des entrevues. On recourt à un comportement agressif et menaçant. Les pouvoirs qu'assigne la Loi antiterroriste sont mal représentés et exploités comme un moyen de pression discrète : si vous ne parlez pas maintenant, vous savez que nous avons la Loi antiterroriste. Des visites sont faites sur les lieux de travail; ce peut être gênant, en plus de mettre l'emploi en péril, je n'en doute pas, quand l'organisme de sécurité nationale vient frapper à la porte de votre lieu de travail. Des questions impertinentes sont posées lors des entrevues sur les convictions et la pratique religieuses, les idées politiques. Certains agents se sont faussement représentés, ou ont donné une fausse identité en s'adressant aux gens, des tentatives ont été faites de recruter des informateurs dans la communauté, par la menace et l'intimidation. Enfin, nous connaissons un cas où un mineur s'est faif aborder et dire de ne pas révéler à ses parents que l'organisme de sécurité nationale lui avait parlé.
Je vais maintenant passer à nos présentations écrites. Vous les avez devant vous, et je vous encourage à les lire. Elles sont beaucoup plus détaillées que le document d'une page, ou mes déclarations préliminaires.
En résumé, nos présentations sont en deux parties : l'une explique les défauts fondamentaux du régime de sécurité nationale au pays, et la deuxième expose nos recommandations concrètes et positives pour la réforme de ce régime.
Commençons pas les défauts. Ils n'assurent pas plus notre sécurité. De fait, nous sommes moins en sécurité parce que de précieuses ressources sont gaspillées à chasser des ombres. Nous voulons souligner trois grands défauts de la Loi sur la sécurité nationale et la politique telles qu'elles sont maintenant.
Tout d'abord, il y a l'expansion du secret dans les procédures juridiques. C'est très troublant. Cela va à l'encontre de l'équité, de la règle de droit et du processus accusatoire. C'est nettement contraire à l'éthique d'un gouvernement ouvert et responsable, et au bout du compte, cela mine la recherche de la vérité, qui est l'objectif fondamental de la loi.
Deuxièmement, cette mesure sape le rôle des juges. La structure de la sécurité nationale dans la Loi antiterroriste et dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prive les juges de leur rôle traditionnel et les réduit au rôle d'outil de l'État. C'est contraire au principe fondamental de nos traditions constitutionnelles et de la common law, où les juges sont les contrepoids du pouvoir exécutif. Voilà qu'ils deviennent l'appendice du pouvoir exécutif. Je suis sûre que nous avons tous entendu parler d'un juge de la Cour fédérale qui a décrit son rôle dans le processus de certificat de sécurité comme étant simplement de recouvrir d'une feuille de vigne un système injuste.
Enfin, en ce qui concerne les défauts, de façon générale—je ne voudrais certainement pas donner à penser que ce soient les seuls, mais ce sont les principaux défauts—il y a prévalence du profilage et de la discrimination à l'égard des Musulmans et des Arabes au pays quand il s'agit de sécurité nationale. En dépit des protestations généralisées, qui ne sont qu'un réflexe, des fonctionnaires, nous recevons des témoignages convaincants, de nos communautés, de l'apparition d'un modèle de profilage et de discrimination. Nous pensons que ce phénomène découle de la culture de la peur qui sous-tend notre régime de sécurité, et même que les défauts de la loi ne font qu'exacerber ces problèmes très réels.
Permettez-moi maintenant de vous exposer nos recommandations de réforme. Je n'en parlerai que brièvement, mais je tiens à préciser d'abord que nos recommandations se veulent constructives. Elles visent à protéger les intérêts légitimes de la sécurité nationale tout en restant fidèles à la règle de droit et au principe d'un gouvernement responsable.
Je pense que vous avez un document d'une page, alors je vais seulement expliquer certaines de ces recommandations,en résumé. Il y en a huit.
La première, c'est qu'il faut une meilleure définition du terrorisme. Laissez tomber l'exigence relative au motif; elle est tout simplement inutile, pour deux raisons. Tout d'abord, elle ne parvient pas à garantir les poursuites pour activités terroristes. N'importe quel avocat vous dira que si vous ajoutez le motif, cela ne fait que compliquer les choses, et nous n'avons jamais, au grand jamais eu cela dans notre droit criminel. C'est quelque chose de nouveau et sans précédent. Deuxièmement, cela amène certains à poser des questions impertinentes et irrespectueuses dont nous avons eu vent, pour monter des dossiers, et cela ne fait qu'alimenter les profils et les stéréotypes des Musulmans et des Arabes.
La deuxième chose, c'est le profilage. J'en ai parlé il y a une minute. Ils auront a beau protester, les faits sont là. Nous vous encourageons à demander au gouvernement de travailler avec les Canadiens musulmans et arabes de façon constructive et concrète pour régler cela de façon directe, et d'abandonner cette pratique.
Troisièmement, c'est qu'il faut augmenter la confiance dans nos communautés. Les Musulmans et les Arabes sont des Canadiens fiers de l'être, et nous n'accepterons rien de moins que d'être traités comme des citoyens à part entière de ce pays. D'importantes décisions concernant nos communautés sont prises, sans la moindre consultation. Une stratégie fructueuse pour un Canada réellement sécuritaire doit englober les Canadiens musulmans et arabes. À moins de cela, la démarche est vouée à l'échec. Il est temps que nous prenions notre place dans les discussions.
¿ (0925)
Quatrièmement, c'est le renseignement éclairé. Créons le renseignement éclairé. Vous avez souvent entendu après les événements du 11 septembre et même, je me hâte de le dire, après l'ouragan, qu'il y a eu une panne de renseignement, ou une panne de logistique, ou en tout cas, on a manqué de jugeote, ou de ressources. Si on a des systèmes qui sont totalement exclus des communautés musulmanes et arabes, et qu'on veut parler de la lutte mondiale contre le terrorisme, où manifestement—c'est un secret de polichinelle—le monde islamique est considéré comme la plus grande menace, ou le terrorisme islamiste, si on veut, et qu'on n'y fait pas participer les Canadiens musulmans et arabes, quel genre de renseignement obtient-on? Des renseignements tronqués. Cela mène encore et toujours à l'échec. De l'affaire Arar jusqu'au projet Thread, vous avez vu les erreurs qu'a entraîné un système de renseignement défectueux. Alors faites monter les Canadiens musulmans et arabes sur la scène, faites-nous participer, parce que nous voulons, nous aussi, assurer la sécurité du Canada.
Le numéro cinq, nous ne voulons plus de secret. Les preuves secrètes et les procès secrets sont l'apanage des dictatures et non pas des démocraties. Nous vous demandons avec insistance de faire la lumière sur toutes les procédures et tous les processus secrets, et particulièrement les certificats de sécurité. Ils nous mènent rapidement et inéluctablement sur une pente glissante : ça commence avec les preuves secrètes; ensuite ce sont les procès secrets; et enfin, la détention indéfinie. Nous sommes maintenant sur le point de sanctionner la torture, qui est purement et simplement illégale et immorale.
Au numéro six, il s'agit de prévenir les abus futurs. Les épreuves qu'ont vécues Maher Arar, Ahmad El Maati, Abdullah Almalki et Muayyed Nureddin, et maintenant on connaît l'histoire de Bhupinder Liddar, soulèvent des questions troublantes sur l'existence d'un modèle de manquement aux règles parmi nos organismes de sécurité nationale, et la possibilité qu'il se propage à l'ensemble du mécanisme de sécurité nationale. Nous vous incitons vivement à faire pleinement enquête sur ces affaires afin que ce modèle ne se répande pas ailleurs dans le système de sécurité nationale.
Au numéro sept, il s'agit de constituer un meilleur régime de surveillance et d'imputabilité. Tout le monde en a parlé, et je sais que M. O'Connor examine la question dans un contexte. Dans une démocratie, on comprend la nécessité de la sécurité nationale. Toutes les sociétés vivent avec des menaces. Ce n'est rien de nouveau. Je sais qu'il y a des gens qui disent que nous vivons dans un monde nouveau, mais ce n'est pas vrai. Le monde a toujours été ainsi. Il y a toujours eu des menaces. Nous avons peut-être besoin, en tant qu'état, d'entreprises de sécurité nationale, mais dans une démocratie, le contrepoids à la menace, c'est la surveillance et l'imputabilité. Quand il y a un vide, nous avons un état autoritaire. M. Saloojee et moi-même sommes originaires de l'Afrique du Sud. Il y avait en Afrique du Sud un déséquilibre et un vide. Il y avait un superbe système de sécurité, mais pas de surveillance ni de justice. M. Alghabra vient de la Syrie, et je n'ai pas besoin de vous parler de... parce que je suis sûre qu'il y a des quantités de documents de Human Rights Watch sur ce qui est arrivé là-bas.
Nous vous parlons en qualité de gens pratiques venus ici en quête de ceci. En tant que Sud-africain, je trouve absurde que nous ayons des procès secrets alors que dans le pays où je suis né, la règle de droit prévaut. Cette convergence de la sécurité nationale est sensée, mais il faut aussi une convergence de la surveillance. Il faut qu'elle soit robuste, unifiée et efficace. Cela ne pourrait que mieux garantir notre sécurité, alors je ne vois pas pourquoi nous ne la mettons pas en oeuvre.
Enfin, nous voulons une véritable disposition de réexamen, pas seulement qu'une mise en scène. Le 31 décembre 2006, cela fera près de cinq ans qu'existe la loi antiterroriste. C'est une loi extraordinaire sous couvert de loi ordinaire. Elle devrait avoir une fin. C'est la dernière chance que nous avons, ce comité et le comité sénatorial, doivent revenir là-dessus. Je sais que le gouvernement vous dira que nous allons examiner les questions des arrestations préventives et des audiences d'enquête. Ce sont deux dispositions, et elles ne sont pas éliminées, elles sont tout simplement renouvelées au moyen d'une motion. Nous ne pouvons pas avoir de loi permanente de mesures d'urgence dans notre pays. Nous vous incitons vivement, si le gouvernement a besoin de loi extraordinaire encore le 1er janvier 2007, à présenter un nouveau projet de loi, et à avoir un débat en bonne et due forme, une discussion franche sur nos besoins en matière de sécurité.
Pour terminer, monsieur le président et membres du comité, nous tenons à vous rappeler que nous sommes ici en tant que Canadiens. Comme vous le savez, bien des musulmans et des arabes sont venus au Canada pour sa grande force en tant que phare de la justice et de la compassion. Aujourd'hui, malheureusement, bon nombre d'entre nous avons l'impression que ce Canada-là est attaqué.
Soyez assurés que nous sommes pleinement engagés dans le projet de construire un Canada sûr et sécuritaire. Les recommandations que nous vous avons faites aujourd'hui sont faites de bonne foi. Nous voulons être partenaires dans la démarche de renforcement de notre pays. Nous sommes convaincus que nos recommandations ne peuvent qu'améliorer le système. Il pourrait être plus efficace, plus efficient et plus équitable. Au bout du compte, cela ne peut que faire un meilleur pays et mieux assurer la sécurité de nos gens.
Merci beaucoup. Nous sommes impatients de répondre à vos questions.
¿ (0930)
Le président: Merci.
Monsieur Joseph, si j'ai bien compris, vous avez préparé une brève déclaration préliminaire distincte, nos collègues pourront vous poser des questions.
M. Faisal Joseph (conseiller juridique, Congrès islamique canadien): Merci.
Tout d'abord, je tiens à remercier le comité pour cette occasion de m'exprimer au nom du Congrès islamique canadien. Je m'appelle Faisal Joseph et je suis le conseiller juridique national du Congrès. J'assume aussi divers autres rôles qui pourraient intéresser certains membres du comité; par exemple, je suis l'ex-président du Islamic Centre of Southwestern Ontario, et je suis le conseiller juridique de l'Association of London Muslims.
Cette présentation n'est pas une tentative d'analyse juridique de la légitimité, de la constitutionnalité ou de l'autorité morale de l'actuelle loi antiterroriste du Canada. Ces démarches ont déjà été faites, par moi et par d'autres, auprès de premiers ministres, de parlementaires et de plusieurs comités de la Chambre des communes avec—à mon avis—bien peu d'effet. Au lieu de cela, puisqu'au contraire de mes collègues nés hors du Canada, j'ai vu le jour au coeur de ce foyer du terrorisme qu'est Truro, en Nouvelle-Écosse, je voudrais, en tant que musulman, vous exposer une perspective un peu humaine des effets qu'ont eus les quatre dernières années sur les 700 000 et quelques contribuables respectueux de la loi de cette communauté du pays.
Je pense qu'il est important que nous commencions par l'évaluation et l'analyse initiale qu'a faites l'Association du barreau canadien du projet de loi C-36, tel qu'il était alors. Je trouve que c'est important, parce que lorsqu'un comité comme celui-ci se réunit et que nous voyons dans les articles des journaux qu'on crie au loup, que nous sommes désolés, et puis quel est le vrai problème, ça me fait toujours hésiter quand c'est nous qui cherchons à nous défendre. Alors je voudrais commencer avec le point de vue de l'Association du barreau canadien. À cette époque-là, ils ont qualifié la loi antiterroriste de sans précédent, de déraisonnable et d'inutile. Cet avis émane d'un groupe de quelque 30 000 avocats du pays qui ont adopté cette position à l'unisson. La communauté musulmane, des années plus tard, juge encore cette description tout à fait pertinente.
Outre les rôles que j'assume, dont je vous ai parlé, j'ai aussi été procureur de la Couronne à l'échelle fédérale et provinciale. Comme d'autres Canadiens, j'ai reçu la promesse de notre ancien premier ministre que nos craintes de profilage racial et religieux, d'abus des droits de la personne et l'intimidation par les agents de l'exécution de la loi et de l'immigration ne se réaliseraient pas. Nous en avons reçu l'assurance. Cette promesse, je regrette de le dire, a été rompue.
Depuis deux ans, j'ai reçu toutes les semaines des appels de tout les coins du pays de la part de musulmans de plus d'une cinquantaine de cultures différentes qui se sont sentis maltraités, intimidés, menacés ou qui ont fait l'objet d'abus de la part d'agents des douanes et de l'immigration ou d'agents de l'exécution de la loi, dont des agents de la GRC et du SCRS. Des audiences secrètes sur le certificat de sécurité, des arrestations préventives, des changements aux règles de la Loi sur la preuve au Canada, y compris la preuve par ouï-dire, qui sont en troisième et quatrième places dans la liste des questions criminelles, étaient absolument impensables avant les événements du 11 septembre. Tout cela existe maintenant, qu'on veuille ou non le reconnaître, un climat de terreur et d'ignorance qui sape ou supprime les droits de la personne qui existaient auparavant sont maintenant jugés nécessaires ou justifiés dans une société libre et démocratique. Sans compter que l'érosion de ces droits sape cette même démocratie que nous nous efforçons, en tant que société, de protéger contre les terroristes.
Bien des musulmans, au Canada et en dehors du Canada, regardent ce qui s'est passé en Afghanistan et en Irak et se demandent qui est l'agresseur. Le gouvernement des États-Unis exige une règle de droit rigoureuse, et nous on le veut bien, et pourtant, il continue de la saper par la torture, des infractions à la Convention de Genève et des attaques préventives illégales contre des pays étrangers. En juin 2004, la Cour suprême des États-Unis a statué à six voix contre trois que des prisonniers de Guantanamo Bay—dit « combattants ennemis ou non »—n'ont pas moins de droits que les citoyens américains le moment venu d'appliquer normalement la loi pour contester les preuves alléguées contre eux. Ils ont aussi des droits juridiques particuliers qui leur ont été niés par le président des États-Unis.
Hier et aujourd'hui, j'ai lu le Globe and Mail et j'ai vu un article qui concernait l'ambassadeur des États-Unis, M. Wilkins, et son point de vue est très clair. Il nous dit très sans détour que Maher Arar—et il pourrait y en avoir bien d'autres à l'avenir... Il ne fait aucun doute qu'ils feront tout ce qui est nécessaire pour protéger leur pays, quoi qu'il en coûte d'infractions aux droits de la personne.
En Angleterre, la Cour suprême, par une majorité écrasante à la Chambre des Lords, a déclaré que le gouvernement britannique ne peut détenir des suspects étrangers indéfiniment sans leur faire de procès. La Cour a souligné à la fois la façon évidente dont la Grande-Bretagne viole actuellement la règle de droit, ainsi que la qualité disproportionnée des mesures qu'elle a qualifiées de « draconiennes » et qui « ne peuvent strictement être requises par les exigences de la situation ».
¿ (0935)
Ça, ce sont les États-Unis et la Grande-Bretagne. Parlons maintenant du Canada.
Au Canada, d'un autre côté, des dizaines de musulmans ont été détenus pendant des mois d'affilée sous prétexte d'enquêtes relatives à l'immigration ou au terrorisme. De fait, cinq musulmans reconnus ont été incarcérés collectivement pendant plus de 15 ans sans aucune accusation formelle, et sans la transparence d'un procès. En 20 ans de pratiques du droit, je n'ai jamais entendu cela, jamais pensé que cela se pouvait. Si ces hommes sont déportés, ils courent le risque très réel d'être ce que nous appelons, dans l milieu musulman, « ararés ». C'est le terme qui court dans la communauté musulmane maintenant, en rapport avec la torture brutale qu'a subie un Canadien bien connu. Des preuves incontestables de son innocence ont été tenues à l'abri du regard public par le gouvernement canadien lors de l'enquête fédérale, sans compter l'ordre qu'a donné le juge après qu'il ait examiné des milliers de documents confirmant l'innocence d'Arar.
Le problème, après les événements du 11 septembre, c'est de trouver le juste équilibre entre la sécurité et les droits de la personne. Personnellement, je peux dire à ce comité que j'ai été absolument horrifié et choqué par les questions posées aux musulmans canadiens dans le cadre d'enquêtes sur la sécurité nationale. Par exemple, combien de fois priez-vous? Est-ce que vous vous considérez comme étant très pratiquant? Que pensez-vous de George Bush et de ses politiques? Non seulement ces questions ne sont-elles pas pertinentes, mais qu'arrive-t-il à un musulman qui y répond franchement? Est-ce que la personne détenue sera déportée ou accusée, ou sa famille sera-t-elle menacée, relativement à sa situation avec l'immigration?
Au Canada, le processus de certificat de sécurité a été maintenu par la Cour d'appel fédérale et fera sans aucun doute son chemin jusqu'à la Cour suprême du Canada. L'année dernière, l'honorable juge en chef de la Cour d'appel de l'Ontario, Roy McMurtry, est venu au Islamic Centre of Southwestern Ontario pour une cérémonie d'ouverture historique. Dans son discours liminaire, il a déclaré que les Américains, selon certains, pourraient préféré leur sécurité à leur liberté. En sommes-nous là nous aussi?
D'après mon expérience d'avocat plaidant, et d'après les nombreux récits entendus de musulmans canadiens, l'après-11 septembre n'a pas été très agréable. Il n'était pas rare que des agents de sécurité et de la police donnent de faux prétextes aux musulmans sur leurs motifs de les interroger. Les musulmans sont fortement—et je dis bien fortement—dissuadés de s'adresser à un avocat et on les empêche même de poursuivre leurs études universitaires pendant une « enquête relative à l'immigration », sous prétexte d'irrégularités potentielles. On connaît de nombreuses histoires récits de musulmans du pays dont les proches ont été menacés de déportation si certains renseignements n'étaient pas fournis. De fait, même les jeunes des campus universitaires se font activement recruter par le SCRS, de façon très créative, pour recueillir des renseignements.
Il est étonnant de voir combien d'employeurs ou de futurs employeurs perdent subitement leur intérêt pour un employé dont le contrat doit être renouvelé, après une visite de nos services de renseignements. Les allégations sans fondement de terrorisme ou de fréquentation de quelqu'un qui pourrait être terroriste détruisent la vie d'une personne pour toujours. Les organismes d'application de la loi et de sécurité connaissent peu notre religion et notre système de croyances. Pour la plupart, tout ce qu'ils savent c'est ce que les médias continuent de perpétuer et que nous appelons des conceptions tout à fait mythiques.
Le rapport Garvie, qui concerne le rôle de la GRC après les événements du 11 septembre, indiquait que la GRC n'avait même pas eu la capacité et la possibilité de mener correctement des enquêtes de sécurité à la suite des événements.
Le manque de connaissance de la religion musulmane par les organismes d'application de la loi n'a pas changé. Peut-être en raison de leurs propres préjugés innés et inconscients, ils obtiennent des résultats qui sont choquants. Le projet Thread est un excellent exemple de ce qui se passe et de la manière dont des innocents peuvent être détenus à Toronto sous des accusations liées à l'immigration et au terrorisme. On a commencé par dire, vous vous en souvenez bien—et ça faisait la manchette de tous les journaux—qu'ils présentaient des risques pour la sécurité nationale. Ils ont été arrachés à leur famille pendant des mois, sans accusations ni procès. Par la suite, on n'a pas beaucoup entendu dire que l'enquête conjointe GRC-CRC a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que la sécurité nationale du Canada était en danger.
Aujourd'hui, nous avons des certificats de sécurité, des arrestations préventives et une liste de zones d'interdiction aérienne. Qu'est-ce que ce sera ensuite? Si ce sous-comité veut vraiment connaître les répercussions de la Loi antiterroriste sur les collectivités, je vous encourage tous à poser les questions suivantes—et je vous encourage à lire la transcription de l'audience du 9 juin de l'enquête Maher Arar. Je sais que ceci n'est pas l'enquête, mais je pense que c'est important et que vous en tirerez tous des leçons.
¿ (0940)
Dans cette transcription de l'audience du 9 juin 2005, dont j'ai apporté un exemplaire, et peut-être pourrais-je le remettre au greffier plus tard, trois experts traitent justement de la question des répercussions de cette loi sur les collectivités musulmanes du Canada. L'un des experts est musulman, deux ne le sont pas, mais leur expertise est sans reproche. Je vous encourage vivement à lire ce document. Les renseignements qu'il contenait ont été très utiles au juge O'Connor. Sept questions ont été préparées en vue de cette séance, et elles ont obtenu réponse. Je pense que vous trouverez les réponses à ces questions très troublantes, et c'est quelque chose sur quoi nous devons tous réfléchir.
Pour terminer, je voulais seulement dire que nous sommes très heureux qu'il y ait un examen parlementaire de cette loi antiterroriste. On ne peut qu'espérer que les préoccupations et injustices dont nous avons parlé seront tenues en compte lorsque ce comité fera son rapport au gouvernement. L'ironie est que bien des Canadiens musulmans et non musulmans sont maintenant plus convaincus que jamais que certaines des craintes, des lois et certains des mauvais traitements qu'on subis des musulmans de ce pays ont réellement augmenté les risques pour la sécurité nationale plutôt que de les avoir réduits.
Je voudrais faire un lien avec ce qu'a dit mon collègue au sujet des renseignements éclairés. Il doit y avoir un rapport de confiance entre la communauté musulmane et les organismes d'application de la loi. Sans cela, il n'y aura jamais de renseignements éclairés. L'ironie, c'est que nous nous rappelons tous le point de vue tout blancs ou tout noirs qu'a présenté le président Bush lorsqu'il a dit qu'on est soit avec eux, soit contre eux. Les musulmans du pays veulent savoir, quand il est question de liberté de la personne, si vous, les responsables des lois du Canada, êtes avec nous ou contre nous?
Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Joseph, et chers collègues pour vos présentations d'aujourd'hui.
Je suppose que nous pouvons commencer avec vous, monsieur Sorenson, pour la première tournée des questions. Je vous laisse la parole.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier tous d'être venus aujourd'hui, pour votre témoignage et pour les notes d'information que nous avons reçues. Dans le cadre de cet examen que nous avons entrepris de la Loi antiterroriste, nous entendons bien des groupes différents. Nous apprécions certainement d'entendre ceux qui croient ainsi être principalement—et je pense que vous l'avez tous dit—ciblés comme pouvant constituer des menaces potentielles pour la sécurité nationale.
Notre responsabilité, ici, à ce comité, c'est principalement la sécurité nationale. Ce n'est pas seulement que d'examiner la loi et les mesures législatives; c'est de nous assurer que la loi contribue à prévenir les attaques terroristes dont nous avons été témoins dans le passé, et que les droits de la personne ne se fassent pas malmener pendant qu'on cherche à réaliser cet objectif. Donc, c'est une affaire de trouver l'équilibre. C'est pourquoi il est tellement important que nous entendions des gens comme vous, et nous sommes heureux de vous voir ici.
Des fois, les politiciens ont tendance à reprocher certaines choses aux médias. Je sais que lorsque nous avons certaines activités politiques, nous faisons des reproches aux médias s'ils n'y sont pas. Nous leur reprochons de nous présenter sous un mauvais jour. Nous leur faisons toutes sortes de reproches. Je me demande si vous pensez que les médias ont un certain rôle à jouer dans le traitement injuste dont font l'objet les musulmans?
Je vais vous dire quelque chose. Le matin du 11 septembre, ils ont montré la dévastation à New York et à Washington. Ils ont montré le Pentagone, et ils ont montré les actes. Ils ont dit aux Canadiens et au monde entier combien il y a eu de victimes, mais ils ont aussi montré des gens d'autres pays célébrer cette attaque contre l'Amérique. Ensuite, les médias ont fait remarquer, à bon ou à mauvais escient, que c'étaient là des militants musulmans fondamentalistes.
Ensuite, dans votre témoignage, vous avez dit que tout ce que nous avons fait était motivé par la crainte. Mais le fait est que le 12 septembre, nous n'étions pas sûrs d'être la cible d'attaques, et nous ne savions pas si d'autres allaient être perpétrées, mais les médias—et je ne leur fais pas de reproches—ont clairement dit qui en étaient les auteurs. Nous avons vu des images en manchette de nos journaux nationaux—les photos de 19 personnes—et sous chaque photo, il était clairement établi que chacun d'eux était un musulman ou islamiste fondamentaliste militant. Que cela ait été motivé par la crainte ou par les faits, il est certain que c'est là où nous en étions alors, et nous avons réagi. Et certaines de ces réactions, sans le moindre doute, sont allées trop loin.
Je dis cela parce que nous avons accueilli ici des témoins de la GRC, du SCRS, du CSARS et de la Commission des plaintes du public contre le GRC, et ils ont tous parlé des niveaux de ressources et comment ils exécutaient leurs activités courantes, que ce soit les activités liées à la sécurité nationale ou d'autres. Quand je regarde la situation de votre point de vue, je suis vraiment désolé pour n'importe quel groupe qui est ainsi ciblé de façon injuste, mais quand je la regarde du point de vue de la personne qui enquête, je me demande comment on peut prévenir ce type de profilage quand tout le monde nous dit que ce sont des musulmans fondamentalistes militants qui font cela. On ne va pas envoyer une escouade antiterroriste chez les Amish ou les dames de l'église luthérienne, ou tout autre groupe du genre, on a tendance à aller là où on a l'impression que couve le danger. Il nous faut nous assurer que certaines lignes directrices et conditions sont respectées avant de cibler injustement ce groupe, mais comment le faire?
¿ (0945)
Par exemple, des gens viennent me voir—des jeunes hommes qui conduisent des voitures coûteuses—qui estiment être arrêtés injustement par la GRC ou par la police de la ville. Ils disent qu'ils sont ciblés parce qu'ils conduisent des voitures coûteuses et qu'ils sont jeunes. Je ne sais pas si on pense qu'ils vont automatiquement enfreindre la loi ou ce qu'ils font, mais on les arrête injustement. Ils estiment être ciblés. Comment prévenir cela?
Vous avez parlé dans votre document du fait qu'en conséquence de bon nombre de ces incidents, les agents de sécurité du Canada se laissent aller à un profilage racial et enfreignent les limites du droit international. Je me demande si vous pouvez nous parler un peu de dispositions particulières du droit international qu'ils enfreignent?
J'ai une autre question. Quel que soit le nombre de personnes qui, selon vous, ont fait l'objet d'incidents anti-musulmans, il semble que personne n'ait déposé de plaintes à la Commission des plaintes du public. Pourriez-vous en parler?
¿ (0950)
M. Ziyaad Mia: À propos du droit international, de quel document parlez-vous?
M. Kevin Sorenson: C'était dans le mémoire CAIR-CAN.
M. Ziyaad Mia: Je laisserai donc M. Saloojee y répondre.
Je sais que le temps nous est compté, alors j'essaierai d'être bref et de répondre à autant de questions que possible.
Vous avez parlé des médias, et je ne voudrais pas en faire le procès ni l'apologie, parce qu'ils ont des rôles différents. Je pense que nous avons vu de bons comptes rendus autant que de mauvais comptes rendus, sur n'importe quelle question, dans les médias. En tant que politiciens, je suis sûr que vous êtes heureux parfois—et je ne doute pas que M. Mulroney vous dirait qu'il n'est pas heureux de ce que disent les médias aujourd'hui.
Il est certain que nous nous sentons ciblés, et nous ne voulons pas entrer dans un débat sur ce sujet. L'essentiel de votre discours, c'est que le terrorisme islamiste—employons donc cette expression—est la menace. C'est ce que nous avons vu, et c'est tout ce dont il s'agit. J'en parlerai, mais je dirais que nous devrions prendre un peu de recul d'abord, et dire qu'il y a un large éventail d'éléments géopolitiques en jeu ici pour dire que ceci constitue, comme l'a dit M. Cotler, la menace existentielle qui pèse sur le monde entier. Le monde est un endroit très dangereux; il l'a toujours été. Nous avons toujours fait face à de nombreuses menaces. Notre démocratie a survécu pendant la guerre froide et dans bien d'autres circonstances.
Je ne sais pas si c'est la faute des médias ou de George Bush, ou de quiconque d'autre, mais il y a une fixation sur les musulmans comme étant les méchants du monde. D'accord. Si c'est ce que nous allons faire, c'est le cadre des politiques. À toutes fins pratiques, je suis prêt à accepter que c'est la réalité dans laquelle nous vivons. Je ne pense pas qu'il soit correct de dire qu'il y a des terroristes palestiniens et tchétchènes et afghans en excluant le terrorisme d'État par la Russie ou par la Tchétchénie, que Human Rights Watch qualifie de quasi-génocide, ou les punitions collectives en Cisjordanie et dans la bande de Gaza par les Forces de défense israéliennes. L'ANC a commis des actes de terrorisme et de violence politique en Afrique du Sud, et certains n'en étaient pas. Les Forces de défense de l'Afrique du Sud et le bureau de sécurité d'État ont commis bien d'autres actes de terrorisme d'État—pas seulement que dans ce contexte.
Comment démêler tout cela? Si votre cible est le terrorisme islamiste, le terroriste musulman, il vous faut encore des renseignements éclairés. Vous n'allez pas tout simplement foncer dans le tas et aller lui parler, et me parler. J'appellerai ça un mode de maintien de l'ordre paresseux. Si vous savez que la personne que vous cherchez va faire sauter un avion ou autre chose est un terroriste musulman, vous n'allez pas fouiller tous les musulmans. Je pense que c'est de la paresse. C'est du gaspillage d'argent, et je pense qu'en tant que parlementaires, nous devons faire attention à nos budgets, parce qu'il nous faut de l'argent pour la santé et assainir l'environnement, consolider le pays pour les Canadiens, et non pas gaspiller des ressources sur des enquêtes inutiles.
Ce qu'il nous faut...
M. Kevin Sorenson: Non, mais nous nous attendons tout de même à ce que le gouvernement consacre du temps à la sécurité nationale. Si nous savons que ce sont des islamistes militants, dites-nous où commencer. Si nous voyons un imam qui, devant toute sa congrégation, incite à certains types d'actes, comme dans ces bulletins télévisés, ou quand quelqu'un est frappé de ce genre d'accusation, comment ne peuvent-ils pas réagir?
M. Ziyaad Mia: Par votre intermédiaire, monsieur le président. Je vais traiter à part le problème des déclarations, parce que je crois que cela mérite qu'on s'y attarde un peu. La question est de savoir si on est en présence d'un suspect. S'il s'agit d'un musulman, les policiers ne suspecteront pas n'importe quel homme de race noire. Ils utiliseront les preuves à leur disposition, en chercheront de nouvelles, consulteront leurs bases de données et tenteront de trouver la bonne personne. Ils ne se limiteront pas aux Noirs.
Le président: Permettez-moi d'intervenir. Le temps alloué à M. Sorenson est presque écoulé et j'aimerais entendre des réponses très courtes à ses questions. Je donnerai ensuite la parole à mon collègue, M. Ménard.
M. Riad Saloojee (directeur général, Canadian Council on American-Islamic Relations): Si vous prétendez que nous devrions établir des profils raciaux, sachez que je m'y oppose. Nous devrions plutôt observer le comportement des gens et ne pas nous attarder sur leur religion ou leur origine ethnique. On a effectué des études approfondies sur le profilage racial, particulièrement aux États-Unis et au Canada. Celles-ci ont révélé qu'on obtient moins de résultats avec le profilage racial. Il n'existe donc aucune preuve formelle de l'efficacité d'une telle méthode.
Ce que nous demandons, c'est qu'on tienne plutôt compte du comportement. Quand les policiers, par exemple, recherchent des suspects, des tueurs en série et autres criminels du genre, ils établissent un profil basé sur le comportement et non sur la religion ou l'origine ethnique. Le problème, avec le profilage, c'est que vous risquez de marginaliser des communautés, de créer du cynisme et de briser les liens de confiance qui sont essentiels pour faire un bon travail de détective.
Quand l'ancien secrétaire à la Justice américain, John Ashcroft, a institué son système d' « interrogatoires volontaires » des hommes arabes, plusieurs chefs de police y étaient opposés parce qu'ils avaient développé des relations de confiance avec les communautés arabes et musulmanes, et que si ces communautés les jugeaient soudainement arbitraires, ils seraient alors vus comme faisant partie du camp adverse, comme des ennemis, ce qui compliquerait énormément le recueil intelligent de renseignements.
Je vais aborder brièvement le sujet du droit international. Human Rights Watch, Amnistie Internationale et plusieurs autres organisations crédibles qui protègent les droits de l'Homme ont fait des critiques cinglantes à propos des politiques canadiennes. Elles désapprouvent, par exemple, l'instauration de certificats de sécurité. Je me souviens que le Groupe de travail sur la détention arbitraire, mis sur pied par l'ONU, avait été sidéré de voir que des personnes visées par un certificat de sécurité étaient demeurées détenues sans inculpation, que le temps qu'elles avaient passé en prison totalisait environ 15 ans et qu'elles avaient été moins bien traitées que la meurtrière Karla Homolka. Ce genre de politiques a soulevé des inquiétudes à l'échelle internationale, précisément parce que les droits humains fondamentaux ont été violés.
¿ (0955)
Le président: Très rapidement, deux dernières remarques, monsieur Alghabra.
M. Omar Alghabra (président, Fédération canado-arabe): Merci, monsieur le président.
Pour répondre à la question sur la responsabilité des médias, je pense que quelles que soient les raisons et les causes de la peur, nous avons besoin d'un système à toute épreuve, qui nous met à l'abri des erreurs susceptibles d'avoir des conséquences irréparables. La common law a évolué au fil de siècles de procès et d'expériences pour aboutir à l'établissement d'un système qui protège les gens et permet aux policiers de protéger la société. Cela prend la forme de lois et de principes invariables, qui permettent à nos policiers de faire leur travail et d'assurer la sécurité des personnes. C'est ce que nous demandons. Nous voulons un mécanisme à toute épreuve pour nous protéger contre...
Nous n'accusons pas nécessairement la GRC ou le SCRS d'abuser du profilage racial, mais il y a des erreurs, des erreurs systémiques, qui se produisent. Pour prévenir les erreurs individuelles et systémiques, nous devons nous doter de mécanismes infaillibles.
En ce qui concerne la Commission des plaintes du public, la vérité c'est que les gens ont peur d'aller porter plainte à cause de ce qui se passe quotidiennement. Ils ont vu ce qui est arrivé à MM. Arar, Almalki et Bhupinder Liddar. Les membres de notre communauté sont de nouveaux immigrants qui viennent de pays et de sociétés où l'on sait ce qui peut se produire lorsqu'on parle contre l'exécutif ou le gouvernement. Et ils voient ces choses ici tous les jours.
Merci.
Le président: Merci.
Soyez bref, monsieur Joseph, parce que nous vous avons laissé un peu plus de temps que prévu pour faire votre déclaration.
M. Faisal Joseph: J'en suis bien conscient, mais je voudrais répondre directement au député.
Il s'agissait de deux problèmes. Il y avait une bonne question au sujet du profilage. Je vous répondrais qu'on établit un profil criminel, pas un profil racial. Le fait qu'il y ait des gens, dans ce pays, qui viennent d'Afghanistan, d'Irak, du Liban ou d'Égypte ne signifie pas implicitement qu'ils ont un comportement criminel. Si quelqu'un monte à bord d'un avion après avoir payé comptant son billet aller simple et qu'il est agité, je vous assure que les musulmans voudront que cette personne fasse l'objet d'une vérification, peu importe qu'elle soit musulmane ou pas. Il s'agit donc d'un profilage criminel et non d'un profilage racial.
Selon nous, cela devrait être dans la loi. C'est d'ailleurs déjà le cas dans certains États des États-Unis. Le profilage racial devrait être interdit et il faudrait punir ceux qui y ont recours, parce qu'on nous a dit qu'il n'était pas utilisé.
Le problème, c'est qu'il est difficile de trouver une aiguille dans une meule de foin. Alors, certaines personnes, dans la presse, dans des éditoriaux, disent qu'il vaut mieux mettre le feu à toute la meule. Eh bien, nous savons quelle communauté est visée.
Par ailleurs, en ce qui concerne Shirley Heafey, c'est une bonne question. Certains diront que les gens ont peur de parler. J'aimerais vous donner une réponse concrète. À London, en Ontario, nous avons invité Shirley Heafey à venir nous voir. Nous avons lu sa déclaration dans les journaux. Elle nous a dit que si nous avions un problème, nous le lui fassions savoir.
Elle est venue à London, en Ontario. Un millier de musulmans s'étaient regroupés à la mosquée. Elle leur a demandé combien d'entre eux avaient été contactés par la GRC et avaient à se plaindre de la façon dont le SCRS ou la GRC s'étaient comportés à leur égard dans le cadre des enquêtes menées, et 50 personnes ont levé la main.
Laissez-moi vous expliquer comment nous avons réglé la question. Nous tous, et moi en tant que leader de la communauté, n'étions nullement intéressés à déposer 50 plaintes et à nous lancer dans une procédure judiciaire de deux ans. Par l'intermédiaire de Shirley Heafey, nous avons donc rencontré le commandant de la Division O, Freeman Sheppard, et nous avons résolu les problèmes.
Mais il n'y a aucun rapport là-dessus. Je vous assure qu'il y avait des plaintes légitimes, que nous avons examinées sans suivre la procédure habituelle parce que nous voulions les régler.
Voilà donc les réponses à ces deux questions.
À (1000)
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Ménard, bienvenue. Vous disposez de sept minutes.
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ): Vos présentations étaient de celles que j'attendais avec impatience. J'ai quand même votre texte à lire. Le temps dont nous disposons est très court, peut-être ne peut-il servir qu'à prendre contact.
Je voulais d'abord vous assurer que je comprends parfaitement à peu près tout ce que vous nous avez dit. Vos représentations sur la loi et son inutilité sont reprises d'ailleurs par beaucoup de Canadiens et de Québécois qui viendront témoigner devant nous.
Vous avez cependant une expertise particulière. Je voudrais simplement parler de deux sujets importants. Pour le reste, vous rejoignez beaucoup d'autres opinions qui ont été exprimées. Je comprends parfaitement votre désir de collaborer avec nous pour continuer à faire du Canada et du Québec, le nord du continent, un pays où continuera à régner la règle de droit et où nous tirerons des expériences de la common law, qui, comme vous l'avez dit, est d'une sagesse accumulée au cours des années.
Cependant, mes pires craintes semblent s'être réalisées quant à la façon dont les enquêtes ont été faites. Mes craintes touchent non seulement les injustices causées et auxquelles elles peuvent mener, mais aussi leur inefficacité et, par conséquent, les effets déplorables qu'elles peuvent avoir sur l'augmentation des chances qu'il y ait du terrorisme au Canada.
Je crois que vous avez bien résumé cela en disant qu'il nous faut une intelligence intelligente. En français, on dit « renseignements ». Il nous faut donc une accumulation de renseignements intelligents.
Cela ne m'étonne pas beaucoup. Je ne dis pas que c'est attribuable à la stupidité de la police, je sais quelle est la difficulté d'organiser un corps policier et de faire face à une nouvelle situation. J'ai observé la même incompétence au Québec, il y a 30 ans, vis-à-vis le FLQ, les policiers arrêtant systématiquement, quand ils en avaient le pouvoir, tous les gens qui avaient des affiches de Che Guevara, ayant tendance à oublier que Che Guevara était un héros de la lutte contre la dictature, d'abord séduisant pour cette raison.
Cependant, comment faire pour qu'il y ait une accumulation intelligente de renseignements? Comprenez que nous prenons ces jeunes, nous leur donnons une formation de policiers, nous leur inculquons une discipline et nous leur donnons des méthodes d'interrogatoire sur papier.
Vous pouvez bien voir que je ne trouve pas les questions dont vous parlez très intelligentes non plus, mais ce sont peut-être des questions pour simplement commencer à parler à quelqu'un.
Je connais peu de choses à propos des religions, mais j'en connais sur plusieurs d'entre elles. Je sais au moins que les musulmans, que l'islamisme reconnaît Moïse et Jésus comme de grands prophètes, que l'enseignement de Jésus, s'il n'était pas le fils de Dieu, était quand même... Je sais que c'est, comme la religion catholique et la religion juive, une religion d'amour, de pardon, de compassion à l'égard du prochain, et qu'on ne peut imaginer un dieu infiniment juste qui approuverait le meurtre de personnes innocentes, de mères, d'enfants, pour atteindre des buts politiques. Nous ne l'entendons pas dire par des musulmans, les médias ne le rapportent pas. Mais je sais que les musulmans le disent.
Il y a deux questions auxquelles vous pouvez nous aider à répondre. Si vous ne pouvez pas le faire ici, peut-être pourrez-vous le faire plus tard. Que serait une police intelligente? Comprenez que les policiers, devant cette menace terroriste, ne font pas des recherches au Lac-Saint-Jean, à Flin Flon ou ailleurs, bien qu'il soit possible que des gens dans ces endroits soient séduits, à un moment donné, par le mouvement terroriste islamique. Parmi les 30 millions d'habitants, les policiers vont nécessairement faire des recherches parmi les groupes les plus susceptibles de compter parmi eux les éléments qu'ils recherchent. Or, ces groupes, c'est vous qui les connaissez le mieux.
Est-ce que vous pouvez nous dire quelles conditions nous pouvons créer pour que votre communauté puisse collaborer de façon intelligente avec les enquêteurs?
En matière de terrorisme, ce n'est pas comme en matière de crimes. Les gens ici savent que j'ai été ministre de la Sécurité publique au Québec et que j'ai dirigé la lutte contre les motards. Au bout de trois ans, on a obtenu des résultats, sans avoir recours à une loi antigang, d'ailleurs, mais simplement en appliquant les lois existantes. Toutefois, on ne peut pas avoir les mêmes méthodes dans votre cas.
Comment peut-on accumuler des renseignements de façon intelligente? Comment pouvez-vous collaborer?
À (1005)
[Traduction]
M. Riad Saloojee: Tout d'abord, je vous remercie beaucoup pour la grande bienveillance et la sensibilité que vous avez exprimées au travers de vos commentaires. J'aimerais revenir sur quelques-unes de vos observations.
Premièrement, l'histoire nous montre que les musulmans et les Arabes se sont toujours bien comportés au Canada. Elle nous indique aussi que leur intégration s'est faite presque sans heurts. Nous sommes ici depuis le XIXe siècle et il n'y a pas eu de choc des civilisations. Les problèmes spécifiques auxquels nous sommes confrontés découlent essentiellement des événements survenus le 11 septembre 2001. Mais cela doit changer.
Deuxièmement, en tant que Canadien musulman, je peux vous assurer que le Coran est très précis quant aux obligations que doivent respecter les musulmans là où ils vivent et à la valeur de la justice. Vous avez dit plus tôt que Dieu était juste. Eh bien, le Coran stipule très clairement que tous ceux qui croient doivent demander que justice soit faite, même si c'est à leur détriment, celui de leur famille ou de leur communauté. Les Canadiens musulmans ont bien sûr le devoir citoyen de défendre le Canada et de s'assurer qu'il demeure un pays sûr et sécuritaire, mais ils ont aussi un devoir religieux, un commandement divin à suivre, selon lequel la justice est universelle et doit transcender leurs relations avec leurs frères musulmans, leur famille et même avec eux-mêmes.
Je crois que l'idée à retenir de tout ceci est qu'il faudrait traiter les Canadiens musulmans comme des partenaires à part entière dans ce processus et non comme des ennemis, comme des personnes mises en cause ou des suspects. Il faut déployer de véritables efforts pour inclure les Canadiens musulmans et Arabes et les traiter en partenaires dans le projet consistant à rendre le Canada sûr et sécuritaire. C'est selon moi un des problèmes qu'il convient de régler depuis les événements du 11 septembre 2001. Nous n'avons pas vu de tentative sincère destinée à inclure les Canadiens musulmans et Arabes dans le projet visant à rendre le Canada plus sûr.
Parmi les mesures que nous recommandons, il y a la diversification des agences responsables de la sécurité et la participation des musulmans au processus décisionnel ainsi que leur embauche au sein des différents services pour garantir une contribution réelle de la communauté. N'allez pas simplement voir les membres de la communauté lorsqu'il y a un problème, mais consultez-les et demandez-leur leur avis de manière sincère et sérieuse; expliquez au personnel des agences responsables de la sécurité qui sont les musulmans, quel est leur héritage au Canada, interrogez-vous sur les pratiques qu'on tente de mettre de l'avant pour favoriser une approche englobante à l'égard de la sécurité, et ne les traitez pas comme des personnes mises en cause ou suspectes. C'est, je crois, le sentiment général qui prévaut jusqu'à présent dans la communauté.
[Français]
M. Serge Ménard: Ce sont des projets à long terme très valables. Toutefois, le danger est tout de même immédiat: les actes terroristes se sont produits. Ils se sont produits non seulement aux États-Unis, mais aussi en Espagne et même à Bali.
Dans l'immédiat, comment les policiers peuvent-ils aborder la cueillette de renseignements de façon intelligente, afin de pouvoir collaborer avec des gens qui pourraient, dans un, deux ou six mois, leur donner des informations significatives sur des projets terroristes, s'il y en a ici?
[Traduction]
M. Omar Alghabra: Je vous remercie pour votre question, monsieur Ménard.
Je suis d'accord avec vous; il doit y avoir des plans à court, moyen et long terme. À court terme, il existe des occasions en or de faire véritablement avancer les choses. Pour commencer, il y a les travaux de ce comité. Lorsque la communauté se rendra compte que le gouvernement, le Parlement et les organismes chargés de la sécurité prennent ces questions très au sérieux et verra des résultats concrets—par exemple, elle constate qu'il y a des changements réels dans la loi ainsi que des efforts sincères de sensibilisation à l'égard des communautés avec lesquelles s'est établie immédiatement une relation de confiance, et il se peut qu'on n'arrive pas à tout faire dans un avenir rapproché, mais on peut mesurer les résultats sur le terrain quand on s'occupe de dissiper sans tarder les craintes légitimes—, les musulmans et les Arabes reprendront foi et confiance dans l'avenir puisqu'ils réaliseront que le gouvernement les prend maintenant au sérieux, que le Parlement traite ces plaintes avec la plus grande circonspection et qu'ils peuvent prendre la place qui leur revient et faire oeuvre utile.
Actuellement, tous ceux qui ont un témoignage à livrer sont considérés comme suspects : comment se fait-il que vous ayez cette information? Avec qui travaillez-vous? Si vous prenez un café avec une personne qui les intéresse, celle-ci se retrouve tout à coup fichée quelque part et fera peut-être l'objet d'une enquête lorsqu'elle se rendra en Syrie, au Moyen-Orient ou n'importe où ailleurs dans le monde. C'est un processus à deux volets. La responsabilité est double, mais nous croyons que c'est à l'exécutif et aux agences responsables de la sécurité qu'il incombe de prendre des mesures pour corriger la situation.
En tant qu'organismes communautaires, nous avons travaillé sans relâche auprès de nos membres. Il y a à peine deux ou trois mois, 120 imams ont signé une déclaration—ce qui est un progrès puisque cela n'avait jamais été fait auparavant—afin d'encourager les membres de la communauté à faire un geste et à collaborer. En outre, lorsque quelqu'un s'est mal exprimé, la communauté s'est empressée de démentir publiquement ses propos.
Merci.
À (1010)
[Français]
M. Serge Ménard: Je vous remercie. Je pense que je vous comprends bien si je dis que si on démontrait qu'on est capable de rendre la loi plus intelligente, ce serait déjà un bon signe, qui entraînerait une collaboration. Je crois qu'un des mauvais aspects de la loi est que, effectivement, certains groupes se sentent visés. Or, ce sont justement ceux dont nous aurions besoin pour bâtir une base de renseignements efficaces sur les problèmes.
Nous connaissons les grands cas dont vous nous avez parlé: celui de Maher Arar et ceux des quatre autres individus qui sont encore en prison, dont celui qui a obtenu son cautionnement.
Est-ce que vous avez une forme de compilation du nombre de plaintes à l'égard de la façon dont les enquêtes sont menées, ou de gens qui ont souffert de l'application de ces lois? Combien croyez-vous qu'il y en ait? Est-ce que ces gens se plaignent? S'ils ne le font pas, pourquoi ne se plaignent-ils pas à l'agence qui, justement, doit surveiller le Service canadien du renseignement de sécurité et la GRC? Vous aviez déjà commencé à nous donner une réponse, mais j'aimerais avoir une meilleure compréhension des raisons pour lesquelles les gens ne se plaignent pas aux organismes que nous avons créés pour recevoir ces plaintes.
[Traduction]
Le président: Quelqu'un peut-il répondre très brièvement à cela? J'aimerais qu'on respecte le temps de parole ici aussi.
M. Faisal Joseph: Je vais répondre rapidement puis je continuerai, et je tiens à préciser que j'apprécie la courtoisie dont on a fait preuve à mon égard.
Le président: Je le sais.
M. Faisal Joseph: Tout d'abord, il convient de signaler que le système de dépôt des plaintes n'est pas bon. Selon nous, il faudrait le modifier car il devrait y avoir un mécanisme permettant à des tierces parties d'engager aussi des plaintes. Si une personne souhaite porter plainte contre la GRC ou le SCRS, et qu'il existe un fichier actif la concernant... Les gens de notre communauté ne sont pas très chauds à l'idée de porter plainte contre des gens qui ont le pouvoir ou l'autorité de se retourner contre eux ou encore d'intervenir dans leur demande d'immigration. Il faudrait donc instaurer un processus permettant le dépôt de plaintes par des tiers.
Ensuite, pour en revenir à l'exemple que je vous ai donné sur London, en Ontario, il y avait plus de 50 personnes. Nous avons réglé beaucoup de ces plaintes. Il y en a deux ou trois que nous n'avons pu résoudre et qui suivent leur cours, mais ces gens, je vous l'assure, honorable député, n'ont aucun intérêt à se présenter devant quelque tribunal que ce soit, parce qu'ils ont des craintes, qu'elles soient justifiées ou non. Peu importe qu'ils aient tort ou raison, ce qui compte, c'est ce qu'ils perçoivent. Lorsque ces gens lisent les journaux, qu'ils voient ce qui se passe, et nous sommes au courant des affaires, il est légitime qu'ils aient des inquiétudes; certains sont nés ici et d'autres sont devenus citoyens canadiens. En toute justice, vous devez comprendre la situation.
Quant à votre question sur la divulgation d'informations, sachez que pour que cela fonctionne, il faut une meilleure relation avec les services de police et de renseignement. C'est la raison pour laquelle j'ai dit, dans ma déclaration liminaire, que ceci a pour effet d'accroître le risque qui pèse sur la sécurité nationale et non de l'atténuer. Il se peut que des gens disposent de renseignements qu'ils n'osent pas divulguer à cause des différentes implications possibles. Je peux assurer les membres de ce comité et tous les membres de ce panel, ainsi que n'importe quel autre musulman dans ce pays que si quelqu'un pense vraiment que si moi, père de trois enfants, je disposais de renseignements sur la préparation éventuelle d'un acte terroriste dans ma communauté, je n'irais pas immédiatement les rapporter aux autorités...
Il y a comme une suspicion qui plane selon laquelle nous serions tous de connivence. Nous sommes Canadiens. Nous avons davantage intérêt à lutter contre le terrorisme que les non-musulmans parce que nous sommes ensuite les victimes de crimes haineux, d'actes de vengeance et des médias.
À (1015)
Le président: Je vous remercie, chers collègues.
Monsieur Comartin, allez-y.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Je vous remercie, monsieur le président.
Merci aussi à vous tous d'être ici aujourd'hui.
J'aimerais poursuivre dans le sens de l'intervention de M. Ménard et de ce qui a été dit à propos de la consultation et de la participation directe de la communauté musulmane du Canada aux travaux de nos services de renseignement.
Nous avons entendu des témoignages, de la vice-première ministre, du chef de la GRC et du patron du SCRS selon lesquels, au moins au cours de la dernière année, on a tenté différentes approches de communication. J'ai une question double à vous poser. Premièrement, êtes-vous au courant de cette tentative de rapprochement? Auriez-vous quelque chose à dire sur un éventuel changement dans les modes de fonctionnement de ces services, et cela commence-t-il à avoir un effet quelconque sur la communauté?
Ceci s'adresse peut-être plus particulièrement à M. Saloojee; votre association a entrepris une initiative particulière en s'adressant directement au premier ministre au cours du printemps ou de l'été de cette année pour les mêmes motifs. Cela fait-il son chemin dans la communauté et a-t-il eu une incidence quelconque?
M. Riad Saloojee: Pour répondre à la première partie de votre question, sachez qu'il a été généralement reconnu par le gouvernement, la GRC et le SCRS que la tentative de rapprochement effectuée après les événements du 11 septembre 2001 était inadéquate et superficielle. Depuis, on s'est efforcé de lancer un programme de communication et je m'en réjouis. Mais honnêtement, je pense qu'il est encore trop tôt pour dire si ces initiatives auront d'importantes répercussions positives ou porteront fruit. En règle générale, nous sommes d'avis que n'importe quelle initiative doit inclure les Canadiens musulmans dans le processus comme partenaires à part entière. Nous avons des enfants. Nous avons des familles. Les terroristes ne feront pas de différences entre vous et moi. Le terrorisme frappe de manière aveugle.
Le défi consiste à créer des programmes de sensibilisation—nous en avons fait état dans notre rapport—pour faire des changements au sein des agences responsables de la sécurité et diversifier aussi sérieusement ceux qui travaillent en première ligne ou qui élaborent les politiques. Ensuite, il faut mener une action de fond et pas simplement prendre des mesures symboliques ou demander des avis qui resteront lettre morte. De plus, il existe un programme de littéracie culturelle ou une sorte de programme global bien arrêté en vertu duquel ceux qui travaillent dans nos agences responsables de la sécurité doivent recevoir une formation sur les Canadiens musulmans et d'origine arabe.
M. Joe Comartin: Là où je veux véritablement en venir, c'est qu'on nous dit qu'il y a eu un changement dans l'attitude du gouvernement ou de l'administration. Ce que je vous demande, en fait, c'est si vous voyez cela se concrétiser sur le terrain.
M. Riad Saloojee: Nous voyons poindre certaines initiatives, mais il est encore trop tôt pour dire si elles seront fructueuses. Nous voudrions évidemment que l'on fasse beaucoup plus au chapitre de la diversification, de la participation et de la sensibilisation des gens. On ne nous a présenté aucune proposition tangible indiquant qu'il existe actuellement un programme de sensibilisation viable. Nous voyons les initiatives mises de l'avant, et nous en discutons un peu, mais je dois dire que nous n'avons pas encore vu de résultat global, concret et véritable suite à ces programmes.
M. Faisal Joseph: Personnellement, à titre de leader de la communauté, tous les ans, une semaine avant le 11 septembre et une semaine après, je dois prévoir du temps pour rencontrer des représentants du SCRS, de la GRC ou tout autre service de police. Ce n'est pas une plaisanterie.
Je crois que leurs tentatives sont sincères, mais je pense qu'il ne faut pas se limiter à poser des questions pour savoir comment est la situation dans la communauté. Pour en revenir à la relation de confiance, je dirais que nous ne voulons pas les voir seulement une semaine avant ou après le 11 septembre. Nous voulons qu'ils aient un rôle actif dans notre communauté et nos activités pour que la relation de confiance se construise sans suspicion.
À (1020)
M. Joe Comartin: Je comprends que le temps passe, mais les rapports sur Bali et le 11 septembre ainsi que le rapport fait en Angleterre sur tout le fiasco entourant les armes de destruction massive ont tous recommandé précisément que des membres de la communauté musulmane soient mis à pied d'oeuvre et fassent partie des services de renseignement. Voyez-vous que ces recommandations soient mises en oeuvre au sein des services de renseignement canadiens?
M. Ziyaad Mia: Très peu, pour autant que je sache. Je vais répéter ce que mes collègues et M. Saloojee ont dit au sujet de la consultation, qui est un début. D'après les rapports que j'ai entretenus avec les organismes et ma connaissance de ceux-ci, qui n'est pas très grande, j'oserais affirmer qu'il n'y a pas beaucoup de diversité. Je ne crois pas que la diversité soit large au sein de l'ensemble de la fonction publique. C'est représentatif du portrait général des administrations publiques.
Je vais être honnête, car nous sommes ici pour obtenir des réponses. Je me suis lassé un peu de la consultation. On consulte amplement, ce qui est bien pour certains, mais pas pour d'autres. Je crois que toute tentative de travailler ensemble est bonne. Comme M. Ménard l'a déclaré, il faut bâtir la confiance, et la confiance est un sentiment réciproque. La communauté doit certes faire sa part, et le gouvernement doit faire la sienne. Je dois dire honnêtement que j'ai vu parfois des consultations menées pour la forme et des consultations à caractère paternaliste.
Au mois d'août, des organismes de sécurité ont organisé une rencontre avec des membres de la communauté, à laquelle j'ai assisté, en vue de tenir une discussion franche, sans la présence de politiciens. Je me suis rendu à cette réunion par un magnifique samedi après-midi en pensant que nous aurions une discussion franche sur le profilage racial, les abus et les erreurs, qu'on en parlerait, qu'on admettrait l'existence de ces problèmes et qu'on s'y attaquerait. Nous n'avons eu droit qu'à des réponses toutes faites, et, en toute honnêteté, on s'est adressé à nous de façon condescendante et on nous a sermonnés. Un des membres des organismes de sécurité s'est mis à nous expliquer ce qu'est le terrorisme. Ces trois premières diapositives portaient sur les attaques au World Trade Centre, dans les trains de Madrid et à Bali. Il nous a dit : « C'est ça le terrorisme. » Les attaques terroristes qu'on utilise pour nous sermonner sont bien choisies.
Je crois que M. Saloojee et M. Ménard ont soulevé cette question. Combien de fois les musulmans doivent-ils déclarer que le terrorisme n'a rien à voir avec l'Islam? Dieu est infiniment juste. Il faut défendre la justice. Comment peut-on utiliser des moyens injustes pour faire progresser une cause juste? C'en est assez, à mon avis.
Cela nous ramène à ce dont nous parlions à propos de la définition. Quand les motifs religieux commencent à devenir un facteur, il faut se pencher là-dessus. Cela revient à dire que l'Islam, voire la religion, est un prétexte pour commettre des actes criminels. Si une personne se rend dans le métro de Toronto avec du Semtex qu'elle a préparé dans son sous-sol, je veux qu'elle soit arrêtée le plus tôt possible. Par contre, si quelqu'un se met à tenir des propos outranciers dans une mosquée sur la guerre en Irak, mais qu'il ne préconise rien d'irrationnel, il ne sera sans doute pas très populaire, mais il ne devrait pas être visé par les organismes de sécurité. C'est notre avis.
Pour créer un véritable sentiment de confiance, je crois qu'il faut redevenir vrai. Si on veut avoir une discussion franche, qu'on en ait une. Les deux parties commettent des erreurs, tant la communauté que le gouvernement, mais le gouvernement a bien entendu l'énorme tâche d'assurer la sécurité nationale. Nous voulons faire partie du système. Nous voulons faire partie du pays. La confiance ne s'obtient pas comme ça; elle se mérite.
Nous approchons à grands pas d'une élection. Je suis certain qu'il y aura de nombreuses consultations, mais il est temps maintenant de joindre l'acte à la parole. Avant l'élection, j'aimerais voir quelque chose de tangible.
M. Omar Alghabra: Si je puis me permettre, j'ai un bref commentaire à émettre. Je vais tenter d'être cohérent. Ce que nous voulons, c'est un système qui mesure le rendement de façon objective. Je sais que de nombreuses initiatives ont été prises, qui n'en sont toutefois qu'au début, mais nous n'avons observé aucune mesure concrète.
Cela dit, j'estime qu'il s'agit d'excellentes initiatives, mais la meilleure façon d'évaluer la réussite, c'est de définir des paramètres mesurables et d'élaborer des mesures de protection ainsi qu'un système de freins et contrepoids. Il faut que ces éléments de mesure soient bien définis et non arbitraires.
À (1025)
M. Joe Comartin: Je voudrais poser une question à M. Joseph. Il a mentionné que certains États américains ont édicté une loi qui rend illégal le profilage racial. Je me demande s'il peut transmettre au comité le nom de certains de ces États de sorte que nous puissions nous pencher là-dessus.
M. Faisal Joseph: Bien sûr. En outre, ces États consignent les faits de sorte qu'ils puissent établir des statistiques, qui posent toujours un problème.
Quant à savoir si les organismes d'application de la loi recrutent au sein de la communauté, je vais vous répondre qu'ils essaient probablement—je ne sais pas à quel point c'est vrai, mais je vais leur donner le bénéfice du doute—car ils ont besoin de nous. J'ai discuté avec des amis au sein de ces organismes, et ils m'ont affirmé qu'ils n'étaient pas en mesure de faire traduire des documents de l'arabe à l'anglais. Ils ne disposent pas des ressources nécessaires.
Dans notre communauté, seulement 17 p. 100 de la population musulmane est arabe; la plupart des musulmans sont d'une autre origine et parlent quatre ou cinq langues différentes. Nous pourrions donc être très utiles, notamment dans les domaines du génie et de l'informatique.
La semaine dernière, j'ai eu beaucoup de difficulté à obtenir une autorisation de sécurité pour un député bien connu, ce qui a suscité une réaction défavorable au sein de la communauté. Je répète sans cesse à cette communauté qu'elle devrait être présente au sein des organismes d'application de la loi, mais elle estime qu'elle ne pourra même pas obtenir l'autorisation de sécurité pour ce faire, ou bien qu'il faudra deux ans pour l'obtenir. C'est la perception qu'elle a, qu'elle soit juste ou non, et cela fera en sorte qu'il sera difficile pour les organismes d'application de la loi d'utiliser les ressources de notre communauté pour les aider à éradiquer le terrorisme.
Le président: Merci, monsieur Comartin.
Monsieur Lee, la parole est à vous.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River): Merci, monsieur le président.
Je dois dire que votre témoignage est très utile et que je ne mets en doute ni réfute le moindrement vos propos. Les répercussions sur la communauté islamique du Canada existent, et vous les avez expliquées relativement bien. Je veux par contre aborder deux ou trois points à des fins de clarification.
Le premier concerne la perception que la communauté islamique est une source du terrorisme, comme vous l'avez expliqué, et le fait que le projet de loi C-36 et la réaction du gouvernement auraient attiré l'attention sur cette idée et créé cette perception chez les gens. Vous avez lu la majeure partie de cette mesure législative, sinon la totalité, comme je l'ai fait. J'ai passablement participé à l'élaboration du projet de loi. Nulle part dans cette mesure mentionne-t-on bien entendu l'islam. De même, on n'y mentionne pas non plus les événements du 11 septembre. Les gens font simplement des déductions.
Ne pensez-vous pas que les perceptions du public ont été créées par les terroristes eux-mêmes, qui, en diffusant leurs messages à la télévision—je pense à Al Jazeera—et dans les journaux ont associé l'islam au terrorisme? Ils ont déclaré que les deux étaient liés. Personne d'autre ne l'a dit. Seuls les méchants affirment cela, et c'est de là que provient la perception.
La loi fédérale ne fait aucunement état d'un tel lien; ce sont les paroles des terroristes qui ont fait naître cette perception. Même votre comparution aujourd'hui, qui est pourtant tout à fait bien intentionnée, donne à penser qu'il existe un sentiment de victimisation au sein de la communauté islamique du Canada, ce qui vient accentuer cette perception qui existe probablement depuis longtemps.
Ai-je raison de voir les choses ainsi?
M. Ziyaad Mia: Je vous remercie pour votre question.
Je crois que j'ai déjà répondu à une question semblable de la part de M. Sorenson.
J'ai lu le projet de loi; et vous l'avez tous lu maintes fois. Bien entendu, on n'y mentionne rien de tel. Il est certain que cette loi ne préconise pas le profilage racial. Personne n'est assez stupide pour promouvoir une telle chose. Nous ne sommes plus à l'époque des lois de Jim Crow.
Je ne pense pas que le gouvernement ait même eu l'intention de le faire. Je crois sur parole les ministres McLellan et Cotler lorsqu'ils affirment qu'ils n'ont aucunement l'intention de pratiquer le profilage racial. Je suis tout à fait d'accord avec le ministre Cotler et je crois qu'il est sincère—je me suis entretenu avec lui—quand il affirme qu'il a horreur du profilage racial et du racisme. Mais on ne peut nier les faits. On nous affirme que cela se produit, à moins qu'on nous mente.
Je ne pratique pas le droit pénal. Quand je pratiquais, je travaillais dans le domaine de la réglementation des aliments et des drogues et de la réglementation de l'énergie. Quand j'allais à la mosquée, les gens s'adressaient à moi pour me demander des conseils. Vendredi dernier, à la mosquée, un homme s'est adressé à moi pour obtenir des conseils à propos de nombreux sujets, et je lui ai transmis le nom d'une personne avec qui communiquer. Alors, à moins qu'il n'existe une conspiration visant à inventer des histoires et des mensonges...
J'ai travaillé un peu au sein de certains services de police aux plaintes liées au profilage racial, et je peux vous dire que les services de police craignent habituellement que ces plaintes soient utilisées pour les persécuter. Je trouve un peu ridicule parfois que l'État et les services de police se sentent menacés par une seule personne ou qu'ils ne croient pas qu'une personne puisse se sentir menacée par l'État.
Quand au lien entre l'islam et le terrorisme, je conviens entièrement avec vous que les terroristes y sont pour quelque chose; je suis d'accord. Mais je suis ici en tant que Canadien, et non pas en tant que terroriste, pour discuter de la Loi antiterroriste et de ses répercussions sur notre communauté, et non pas pour parler de l'effet qu'a eu Oussama ben Laden. Je ne suis pas d'accord avec les gens qui associent l'islam au terrorisme—cela me rend fou—mais je n'y peux rien.
Sur le plan géopolitique, nous sommes dans une guerre contre le terrorisme, et M. Cotler a déclaré qu'il s'agit d'une menace existentielle à laquelle toute la planète est confrontée. S'il est vrai que nous sommes en train de mener une guerre au terrorisme et qu'il y a un choc des civilisations—on n'en parle pas, mais il existe—discutons-en de façon franche. Et si les documents que le SCRS et la GRC ont lus ainsi que l'information qu'ils obtiennent de la part d'autres organismes de sécurité confirment que c'est bien le cas, que l'islam constitue en effet la menace, alors penchons-nous là-dessus.
Je sais que la ministre McLellan et des membres de son personnel ont comparu devant vous. J'ai trouvé assez épouvantable qu'ils n'aient pas accordé grande importance au fait que cinq hommes musulmans et arabes soient détenus pour une période indéterminée en vertu de certificats de sécurité et de preuves secrètes. Ils n'ont pas jugé cette situation grave puisque seulement 1,5 personne environ sur quelques milliers se retrouve dans une telle situation dans des cas comme ceux-là. Selon moi, une personne c'est déjà trop.
Cet exemple peut nous amener à nous demander pourquoi, parmi ces milliers de personnes qui sont venues au Canada, le profil des personnes détenues en vertu des certificats de sécurité n'est pas le reflet du profil des personnes qui arrivent au pays? Pourquoi s'agit-il exclusivement d'hommes musulmans et arabes? Parce qu'il est sous-entendu que ce sont les ennemis.
J'essaie seulement d'être franc. Je ne suis pas en désaccord avec vous et je ne suis pas agressif. Tout ce que je dis, c'est que nous savons tous que le monde entier fait la guerre au terrorisme. Pour pouvoir aller au fond des choses en ce qui a trait aux répercussions sur nos communautés, qui est le sujet d'aujourd'hui, nous vous exposons honnêtement les problèmes et nous vous affirmons que c'est ce qui se produit à l'heure actuelle, à moins que nous ne soyons tous en train de rêver ou d'halluciner.
À (1030)
M. Faisal Joseph: Je suis désolé, je veux seulement...
M. Derek Lee: Je veux seulement ajouter quelque chose, car nous sommes entrés dans le sujet du profilage racial. Au fil des ans, j'ai eu l'occasion d'examiner la méthodologie qu'utilise le SCRS et la façon dont il travaille, et je conviens avec vous, et c'est également l'avis du SCRS, que le profilage racial est un outil inutile. Cet organisme n'y a pas recours. Je ne peux pas me prononcer au sujet de la GRC, car avant les événements du 11 septembre, elle n'effectuait pas beaucoup de travail de sécurité. Elle en fait beaucoup plus maintenant, mais c'est là une autre question. Toutefois, je peux vous dire que le SCRS n'a pas recours au profilage racial.
Alors quand vous dites que le SCRS utilise le profilage racial, je dois dire que je n'ai jamais observé cela. Il ne le fait pas. On le nie parce que c'est vrai. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'un policier, un agent des services frontaliers, un employé d'une compagnie aérienne ou quelqu'un d'autre n'utilisera pas la race comme critère pour détenir ou interroger une personne pour un motif quelconque.
J'admets que cela existe et que c'est une mauvaise chose. Cependant, essayer de s'attaquer à cette situation qui est liée au jugement d'une personne—il ne s'agit pas de profilage racial planifié et systématique, mais uniquement d'une décision prise par un être humain qui a un travail à accomplir, qui utilise sa tête pour effectuer un jugement incorrect ou fondé sur de mauvaises raisons... C'est là le problème. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Faisal Joseph: Je suis d'accord dans une certaine mesure, mais d'abord je dois dire que je ne veux pas discuter de la crédibilité du SCRS étant donné les informations trompeuses et fausses qui ont été données la semaine dernière. En ce qui concerne la loi, ce qui importe, c'est la réaction. Avant les événements du 11 septembre, nous nous en souvenons tous, le plus grand acte terroriste aux États-Unis n'avait pas été commis par un musulman ou un musulman déclaré, mais bien par Timothy McVeigh. Les États-Unis n'étaient pas à la recherche d'un milicien de 40 ans du Michigan avec des vues extrémistes et fondamentalistes...
À (1035)
M. Derek Lee: Ils le sont maintenant.
M. Faisal Joseph: Probablement, mais ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas la réaction qu'ils ont eue à la suite de ces centaines de décès. Nous savons qu'à l'époque où des tireurs fous, prétendant appliquer la Bible, tuaient des médecins qui pratiquaient l'avortement, la réaction n'a pas été ce qu'elle est maintenant. Tout ce que je dis, c'est que nous devons tempérer notre réaction.
Quant au SCRS, vous en savez peut-être davantage que nous. Nous avons seulement lu les journaux. Ce que la presse a rapporté et ce qu'a déclaré le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ne nous éclaire pas. Que ce soit fait de façon intentionnelle ou non, il demeure que cela se produit. Nous avons entendu la preuve. On nous surveille à l'extérieur de nos mosquées et de nos centres. Nous le savons tous personnellement; nous l'avons vu.
Je ne porte pas de turban et je n'ai pas d'accent. Je suis né à Truro, en Nouvelle-Écosse, et cela m'est arrivé en tant que procureur de la Couronne. Cela se produit pas seulement lorsqu'on voit que je m'appelle M. Joseph lorsque je prends l'avion, mais aussi lorsqu'on constate que mon prénom est Faisal ou si on voit des documents en arabe dans ma serviette.
Je le répète, l'établissement de profils criminels ne me pose aucun problème. Qu'on en fasse, car cela fonctionne. C'est le profilage racial, religieux et ethnique qui ne fonctionne pas, mais il semble qu'il soit de plus en plus accepté. Qu'il soit systématique ou ponctuel, il devrait être illégal.
M. Riad Saloojee: Je voudrais attirer votre attention sur le cas de M. Liddar. Bien entendu, on en a abondamment parlé dans les médias. Dans son rapport, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité affirme que M. Liddar n'a pas obtenu l'autorisation de sécurité en partie parce qu'il avait appuyé des causes arabes. Ce qui est très intéressant, c'est que le comité mentionne l'éternel problème qui existe, c'est-à-dire que les personnes se plaignent que leurs propos lors de l'entrevue ont été mal interprétés ou que les notes ont été détruites.
Ce que nous essayons de vous faire comprendre et de faire comprendre à tous les Canadiens, c'est que nous ne rêvons pas. L'incidence sur nos communautés n'est pas le fruit de notre imagination. Il existe une foule de cas survenus depuis le 11 septembre, qui ont tous été rendu publics et sont très bien documentés : Liban Hussein, Mohamed Attiah, Ahmed Sheab, les Pakistanais ciblés par l'opération Project Thread. De nombreux Arabes et musulmans canadiens ont été accusés d'être des terroristes et ensuite innocentés, mais leur vie a été détruite. Nous parlons de faits très graves, et bien entendu le cas de M. Arar englobe un grand nombre des préoccupations que nous avons depuis le 11 septembre. Il y a aussi les cas d'autres Canadiens qui ont été victimes de torture à l'étranger, M. Almalki, M. Nureddin et M. El Maati, qui prétendent avoir été torturés dans la même prison et avoir subi la même enquête. Ils ont tous soutenu que leurs ravisseurs et leurs interrogateurs syriens leur ont posé des questions ne pouvant que provenir du Canada.
Ce sont des situations très préoccupantes sur lesquelles il faut se pencher.
Le président: Chers collègues, je veux vous dire que nous allons terminer un peu plus tard que prévu parce que nous avons commencé en retard. Nous recevons des témoins toute la journée.
Kevin, avez-vous dit que vous voulez prendre brièvement la parole?
M. Kevin Sorenson: Très brièvement.
Vous recommandez notamment de recruter davantage de juges, d'avocats, de décideurs et d'agents du renseignement musulmans et Arabes. En faisant cela, je me demande si on ne jetterait pas de l'huile sur le feu. D'un côté, vous dites qu'il existe du profilage racial, mais de l'autre, vous proposez qu'on embauche davantage de gens de votre groupe ethnique dans les domaines de la sécurité.
Lorsque des représentants du SCRS ont comparu devant nous, ils ont affirmé qu'ils n'arrivaient pas à trouver suffisamment de jeunes...en fait, je ne sais pas s'ils ont dit « jeunes », mais ils ont déclaré qu'ils souhaitent embaucher des gens qui puissent être longtemps au service du SCRS et qui possèdent la connaissance de certaines langues. Vous avez tout à fait raison, un grand nombre des musulmans parlent trois ou quatre langues, et le SCRS souhaite vivement engager quelqu'un qui parle l'arabe.
D'une part, vous dites qu'il faut en embaucher davantage, et le SCRS affirme qu'il veut en engager davantage, mais qu'il n'y arrive pas. Alors il espère que ceux qu'il recrutera...
En admettant que nous voulons que le SCRS embauche des personnes qui parlent l'arabe, est-ce que nous ne sommes pas pratiquement en train de dire que c'est dans cette population que réside le danger? N'est-ce pas une forme de profilage qui nous permettrait peut-être d'engager de jeunes hommes et femmes musulmans parce que...? Il faut pratiquement admettre que le danger se trouve là, et c'est pourquoi nous avons besoin des Canadiens de langue arabe.
Par ailleurs—c'est mentionné dans le mémoire—le gouvernement a mis sur pied une table ronde interculturelle. Je ne sais pas si cette table ronde se réunit, mais peut-être que M. Lee le sait. Êtes-vous suffisamment représentés à cette table ronde pour faire valoir certaines des préoccupations?
À (1040)
M. Ziyaad Mia: Quant au premier point, monsieur Sorenson, concernant les renseignements intelligents, je suis d'accord avec vous. J'aimerais bien vivre dans le monde utopique que j'imagine dans ma tête, mais malheureusement, ce n'est pas le cas. Tous les jours, en tant que Canadien, je suis véritablement inspiré par les valeurs de notre pays et notre volonté de bâtir un monde meilleur. C'est pour cette raison qu'un grand nombre d'entre nous est venu s'établir ici. Mais nous ne vivons pas encore dans un monde meilleur.
Comme je l'ai dit à M. Lee en réponse à sa question, notre époque est ainsi. Je ne crois pas que le terrorisme islamique constitue la seule menace dans le monde. C'est l'une des nombreuses menaces. Nous sommes également confrontés au réchauffement de la planète, et le génocide au Rwanda est une atrocité sur laquelle nous ne nous sommes pas encore penchés en vue de déterminer comment empêcher qu'une telle chose ne se reproduise. Il y a aussi la famine et une multitude de dangers. Mais cette menace...
Examinons les faits : nous sommes voisins des États-Unis, la plus grande puissance du monde. Ils ont décidé que c'était le combat qu'ils voulaient mener, et c'est ce qui les motive. On peut être cynique et dire qu'ils ont besoin d'entreprendre cette lutte parce que l'Union soviétique n'existe plus et qu'ils ont besoin de se mettre en valeur, mais le fait est que nous nous sommes engagés à lutter contre des personnes qui commettent des actes terroristes au nom de l'islam. C'est pourquoi, puisqu'il en est ainsi, il faut favoriser la diversité.
Pour bâtir un meilleur pays, il faut y intégrer des musulmans et des Arabes. Nous pouvons apporter une grande contribution. C'est d'autant plus vrai dans le cas présent, car il nous concerne directement, mais nous pouvons aussi apporter une grande contribution à d'autres égards. C'est pourquoi nous faisons cette recommandation.
En ce qui a trait à votre deuxième point au sujet de la table ronde, je dois dire que nous avons été agréablement étonnés lorsque sa création a été annoncée. Nous allions être inclus.
Je ne veux pas me montrer irrespectueux envers qui que ce soit à la table ronde, mais je sais que de nombreuses personnes qui... Je viens de la région de Toronto, qui compte la plus grande population de musulmans; la moitié de la communauté musulmane du Canada habite probablement cette région. L'absence flagrante de certaines personnes ayant les qualifications nécessaires et qui avaient fait une demande... Je n'exprime pas de la rancoeur parce que je n'ai pas été choisi; en fait, je n'ai pas fait de demande, alors ce n'est pas le cas. Cependant, si le terrorisme islamique et les extrémistes sunnites constituent la menace actuelle—je ne crois pas que ce devrait l'être, mais c'est le cas, sur le plan de la politique—il faudrait que la communauté musulmane sunnite du pays soit considérablement bien représentée.
M. Kevin Sorenson: Êtes-vous en train de dire que cette table ronde a été mise sur pied simplement... et maintenant elle est devenue politisée parce que nous n'avons pas choisi les bonnes personnes pour y participer?
M. Ziyaad Mia: Monsieur Sorenson, je n'émettrai pas de jugement à propos de... Je ne sais pas ce qui se passe lors des réunions de sélection et je ne connais pas les critères de sélection. Tout ce que je peux dire c'est que, s'il s'agit d'une omission ou d'une erreur, nous sommes prêts à discuter avec le gouvernement en vue de reconstituer ou d'élargir cette table ronde ou bien d'en faire une entité plus complète et plus solide que nous pouvons tous utiliser comme tribune pour bâtir la confiance dont nous avons parlé.
Le président: Je veux savoir si M. Ménard, ou M. Comartin, souhaite prendre brièvement la parole, car M. Maloney voudrait poser une question. J'essaie d'accorder le même temps de parole à tous.
Je vous ai donné davantage de temps qu'aux libéraux, mais...
M. Joe Comartin: J'ai bien des choses à dire, alors je ne serai pas bref.
Le président: Monsieur Ménard, avez-vous d'autres questions à poser?
Monsieur Maloney, allez-y, et ensuite nous...
M. John Maloney (Welland): J'ai deux brèves questions. M. Joseph a parlé d'une mosquée où étaient rassemblées 1 000 personnes, dont 50 avaient des plaintes à formuler. La plupart des plaintes ont été réglées, à l'exception de trois d'entre elles. S'agissait -il de plaintes bien fondées? Étaient-elles valables? S'agissait -il d'éléments mineurs ou graves? Et avec quelle rapidité—car vous ou quelqu'un avez été en mesure de les régler très rapidement. Le problème est-il plus ou moins important que l'on pense?
À (1045)
M. Faisal Joseph: Je crois qu'il est plus important, et je vais vous donner deux exemples sans mentionner de noms. Ce cas a été signalé au commandant de la Division O à London. Il s'agit d'un homme qui était recherché... La Section du renseignement pour la sécurité nationale, dont je n'avais jamais entendu parler auparavant, voulait s'entretenir avec cet homme. Il a été interrogé de manière assez agressive. On lui a même dit qu'on pourrait avoir recours aux dispositions de la Loi antiterroriste s'il ne voulait pas collaborer. On lui a dit qu'il n'avait pas besoin de faire appel à un avocat. J'ai moi- même téléphoné aux agents chargés de ce dossier—j'étais à Toronto à ce moment-là—et ils m'ont répondu qu'ils n'allaient pas m'attendre, car ils n'avaient pas à le faire. Je leur ai dit que je voulais être présent et que je voulais assister au processus.
Il s'agit-là d'un exemple parfait, et je suis ravi que vous m'ayez posé la question. Cet homme s'était marié à une femme non musulmane au Nouveau-Brunswick. Les agents voulaient savoir si, lorsqu'il était en Syrie—il avait la double citoyenneté... Ils n'avaient qu'une seule question à lui poser, M. Maloney. Nous avons attendu deux jours avant d'entendre la question, c'est-à-dire : « Avez-vous déjà été un garde du corps de Yasser Arafat? »
Lorsque j'ai entendu la question, je suis resté bouche bée, et j'ai demandé aux agents s'ils comprenaient les répercussions de la question qu'ils venaient de poser. Les deux se sont regardés d'un air assez naïf et ils m'ont répondu : « C'est la question que nous avons à poser. » D'une certaine façon, il s'agissait donc d'une enquête au sujet d'un terroriste. Cet homme était censé être un garde du corps d'un chef d'État.
Ce n'était pas le cas. J'ai alors dit aux agents : « Je vais vous dire quels renseignements vous avez obtenus et d'où vous les avez eus. » Je leur ai dit : « Après le 11 septembre, vous avez reçu un appel anonyme d'une personne qui a déclaré que cet homme était un garde du corps de Yasser Arafat. »
Ils ne comprenaient pas que je puisse connaître le Nouveau-Brunswick. L'homme en question s'était divorcé. C'est lui qui avait obtenu la garde des enfants. Après le 11 septembre, la mère a appelé les autorités chargées de l'application de la loi pour leur dire que cet homme était un garde du corps de Yasser Arafat. Aucune vérification n'a été effectuée; les agents ont immédiatement voulu l'interroger. En fin de compte, il n'était pas un garde du corps de Yasser Arafat—quoi qu'il n'y a pas de mal à ce qu'il l'eut été. Il était plutôt le champion de boxe et de lutte de la Syrie et il avait été enrôlé dans l'armé syrienne en raison de la conscription. Il était garde du corps du fils du président de la Syrie. C'est ce qui s'est produit. C'est la raison pour laquelle une enquête avait été amorcée.
L'autre homme était un étudiant en médecine de l'Université de Western Ontario qui effectuait sa résidence. Les autorités voulaient s'entretenir avec lui à propos d'un membre de sa famille qu'il n'avait pas vu depuis six ans et qui avait vendu des ordinateurs à l'extérieur du pays. En vue de parler à cet homme, des agents se sont rendus à l'université même. L'étudiant en question était le sixième de sa classe. Les agents ont laissé une carte de visite sur laquelle il était écrit qu'ils faisaient partie de l'escouade antiterroriste de la GRC. À la suite de la visite de ces agents—qui n'a mené à rien—l'étudiant en question a eu du mal à obtenir un poste de résident et sa classe l'a surnommé Oussama.
Voilà le genre de choses qui se sont produites. En outre, on a laissé croire aux personnes qu'elles n'avaient pas le droit d'avoir recours aux services d'un avocat, qu'elles devaient collaborer avec les autorités et qu'elles devaient dévoiler tout ce qu'elles savaient.
Je trouve cela toujours très intéressant. Il paraît que les musulmans sont les seuls au pays à ne pas pouvoir invoquer leurs droits constitutionnels. Si tous les autres... M. Norm Inkster a déclaré, dans le cadre de l'enquête concernant le cas de Maher Arar, qu'il trouvait épouvantable que les musulmans ne communiquent pas régulièrement avec un avocat lors de telles enquêtes. Ces musulmans estiment que lorsqu'ils ont l'assurance qu'ils ne seront pas envoyés dans un pays où ils seront torturés... Tout ce que nous voulons, c'est pouvoir bénéficier de conseils juridiques avant de répondre aux questions. Nous sommes entièrement disposés à collaborer avec les autorités.
Le président: Je vais devoir intervenir. Je crois que M. Maloney a posé une bonne question, qui porte sur un élément que je voulais aborder.
Soyez très bref, car l'autre groupe de témoins attend.
M. Omar Alghabra: Premièrement, nous demandons que les Arabes et les musulmans fassent partie des forces policières, car ce sont eux qui détermineront qui sont les terroristes. En outre, parce qu'un grand nombre des pratiques sont attribuables à la méconnaissance des traditions et de la culture des Arabes et des musulmans, la seule façon de sensibiliser les organismes est de faire en sorte qu'il y ait de la diversité.
Deuxièmement, monsieur Lee, nous pouvons passer la journée à discuter de l'existence ou non de ce genre de choses, mais ce que nous proposons aujourd'hui, ce sont des mesures simples et concrètes. Je ne vois pas comment elles pourraient diminuer la sécurité de notre pays. Au contraire, nous estimons qu'elles contribueront à l'accroître, et le fait de faire abstraction de nos plaintes ne contribuera nullement à éliminer les préoccupations de notre communauté.
Merci.
À (1050)
Le président: Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Lee, vous avez la parole.
M. Derek Lee: M. Mia a formulé un commentaire à propos de la table ronde interculturelle qu'a émis également M. Sorenson. Je dois dire que je suis entièrement d'accord avec les commentaires très polis de M. Mia. La table ronde aurait pu compter davantage de participants provenant de la communauté des sunnites islamistes de la région de Toronto. Je conviens qu'il y a là une lacune, et on me dit qu'on peut y remédier en temps utile.
Merci.
M. Ziyaad Mia: De rien.
Le président: Je vous remercie beaucoup.
Au nom de tous les députés ici présents, je tiens à vous remercier, messieurs, d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Nous avons trouvé votre témoignage extrêmement éclairant et utile. Durant le reste de nos délibérations, nous allons tenir compte de vos mises en garde et de vos suggestions d'amélioration de la loi. Je vous remercie beaucoup.
La séance est suspendue le temps que le prochain groupe de témoins prenne place.
À (1051)
Á (1104)
Le président: Nous reprenons la séance.
Bonjour. Je souhaite la bienvenue au B'nai Brith, au Congrès juif canadien et au Conseil musulman de Montréal. Je vous remercie d'être ici ce matin.
Monsieur Freiman, je crois savoir que vous allez faire un exposé.
M. Mark Freiman (conseiller honoraire, Région de l'Ontario, Congrès juif canadien): Monsieur le président, messieurs les membres du comité, je m'appelle Mark Freiman, et je suis le conseiller juridique honoraire du Congrès juif canadien, région de l'Ontario. Je suis accompagné de M. Manuel Prutschi, vice-président exécutif national du Congrès juif canadien.
Au nom du Congrès juif canadien, j'aimerais vous remercier de nous donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui pour appuyer le mémoire que nous avons présenté dans les deux langues officielles, dans le cadre de l'examen de la Loi antiterroriste ou LAT.
La menace terroriste faite au Canada n'est ni théorique ni spéculative. En effet, l'écrasement du vol 182 d'Air India a été notre 11 septembre avant même qu'il y ait un 11 septembre. En tant que Juifs canadiens, nous avons souvent le sentiment d'être doublement ciblés par le terrorisme : premièrement parce que nous sommes membres de la famille canadienne et deuxièmement parce que nous appartenons à la seule communauté ethno-religieuse au monde qui semble faire l'objet d'un « profilage racial » par les auteurs d'actes terroristes.
Les Juifs ont trop souvent été victimes du terrorisme, non seulement en Israël, mais aussi dans d'autres parties du monde, que ce soit au Moyen-Orient, en Europe ou en Amérique. Ainsi, le Community Security Trust du Royaume-Uni a recensé 413 incidents terroristes contre des communautés et des particuliers juifs en dehors d'Israël entre 1968 et 2003. Les auteurs de ces actes sont aussi bien des marxistes que des néonazis, mais nous ne pouvons ignorer l'antisémitisme ouvertement déclaré et meurtrier qui caractérise les terroristes islamistes.
Je m'empresse d'ajouter que l'islamisme ne fait pas référence à l'Islam spirituel, l'une des grandes religions du monde, mais bien à un mouvement politico-religieux totalitaire dont l'objet est de détruire la civilisation occidentale pour atteindre ses buts théocratiques.
C'est heureux que notre communauté juive n'ait pas encore été victime de ce qu'on considère communément comme un acte terroriste, bien qu'elle ait été, à l'instar de la grande famille canadienne, ébranlée par les attaques incendiaires dont nos écoles et nos synagogues ont été la cible. Toutefois, les mises en garde diffusées au pays, les menaces et les plans terroristes contre les Juifs et les institutions juives dont on entend parler—dont nous donnons le détail dans notre mémoire—continuent de créer de l'anxiété.
Le CJC est d'avis que le gouvernement a trouvé un assez juste équilibre dans la Loi antiterroriste ainsi que les mesures législatives et règlements corollaires, en donnant à l'État les pouvoirs nécessaires pour assurer la sécurité des Canadiens et en portant atteinte le moins possible aux libertés civiles fondamentales.
Certains prétendent que ces mesures vont trop loin et qu'elles empiètent indûment sur les libertés civiles. Quelques-uns réclament même l'abolition complète de la Loi antiterroriste et de diverses mesures comme les certificats de sécurité prévus par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. En fait, on s'attaque aux certificats de sécurité, semble-t-il, avant de s'en prendre à l'ensemble du régime antiterroriste du Canada. Avec le plus grand respect, nous rejetons ces points de vue.
Cela dit, nous reconnaissons l'importance des préoccupations concernant les libertés civiles. Nous remarquons que les discussions entourant la LAT et le régime de sécurité connexe mettent en jeu deux types de craintes parallèles. D'une part, on craint de devenir victime du terrorisme; d'autre part, on craint de devenir victime des mesures mêmes qui visent à contrer le terrorisme. Ces préoccupations sont toutes deux légitimes et ne s'excluent pas mutuellement; chacune est valable pour tous les Canadiens. Évidemment, l'essentiel est de trouver un juste équilibre pour éviter le plus possible qu'une de ces craintes ne devienne réalité.
Á (1105)
Le mémoire présenté par le CJC vise cet équilibre même. Il a pour but de fournir des recommandations constructives afin de maintenir les mesures antiterroristes nécessaires pour assurer la protection et la sécurité du Canada et des Canadiens à une époque où le terrorisme est malheureusement bien réel, tout en calibrant et en affinant la loi pour que ces mesures soient appliquées dans le respect des libertés civiles, sans discrimination et sans conséquences fâcheuses inutiles.
Les recommandations et les commentaires qui suivent sont extraits de notre mémoire.
Premièrement, puisque le terrorisme contemporain trouve ses racines dans un fanatisme religieux, le CJC appuie le maintien du mot « religieux » parmi les trois motifs—politique, religieux ou idéologique—qui définissent l'activité terroriste dans la LAT.
Deuxièmement, le CJC appuie la modification des dispositions du Code criminel ayant trait au terrorisme—la partie II.1—et de la Loi sur l'immunité des États, pour permettre aux familles des Canadiens victimes de la terreur d'intenter des poursuites. Nous pensons entre autres aux atrocités commises par les attentats suicides en Israël, aux explosions comme celle du vol d'Air India et du métro de Londres ainsi qu'aux détournements d'avion et aux carnages comme ceux du 11 septembre. Ces modifications permettraient aux familles des Canadiens victimes de ce type d'acte terroriste d'intenter des poursuites civiles contre les organisations et les individus coupables de tels actes. Nous notons que cette proposition vous a d'abord été présentée par la Canadian Coalition Against Terror.
Troisièmement, les gouvernements doivent fournir aux intervenants et au personnel de sécurité de première ligne les ressources humaines et matérielles nécessaires pour supprimer et neutraliser les activités terroristes, et faire enquête à leur sujet, pour éviter ainsi qu'elles ne se produisent.
En outre, le CJC accueille favorablement l'inclusion dans la LAT d'une modification au paragraphe 20(1) de la Loi sur la protection de l'information, qui prévoit une protection contre l'intimidation et la coercition à l'égard de collectivités ethnoculturelles au Canada à des fins terroristes. Ce point est d'autant plus important que le Canada, du fait de sa société multiculturelle et pluraliste, constitue un véritable modèle pour le reste du monde; malheureusement, il est aussi, pour la même raison, particulièrement vulnérable à des infiltrations terroristes.
Par ailleurs, nous croyons que le gouvernement doit affecter davantage de ressources dans le contrôle, à l'étranger, des demandeurs désirant entrer au Canada.
La LAT exige que le Parlement examine les dispositions concernant la reconnaissance des conditions et des audiences d'enquête prévues dans cette même loi. Le Congrès juif canadien recommande que ces mesures soient reconduites pour cinq autres années. Compte tenu de la gravité des dispositions de la LIPR concernant les certificats de sécurité, le CJC recommande également que ces dispositions soient modifiées afin d'inclure une clause temporaire de cinq ans, le renouvellement de ces dispositions devant être approuvé par le Parlement.
Le CJC est également en faveur d'un examen parlementaire du régime antiterroriste du Canada dans cinq ans.
Le CJC recommande la nomination d'un agent relevant du Parlement qui déposerait un rapport annuel détaillé sur le fonctionnement du régime antiterroriste au Canada, y compris l'application de toutes les lois fédérales et provinciales pertinentes. Cet agent serait chargé de déterminer si le Canada dispose des outils adéquats pour contrer le terrorisme et faire face à la menace existante. Il aurait également le pouvoir d'exiger la collecte de données sur l'utilisation du profilage, en plus de recevoir les plaintes du public concernant l'application des mesures antiterroristes et de mener des enquêtes à leur sujet.
Á (1110)
Par ailleurs, il faudrait envisager d'inclure dans le préambule de la LAT une déclaration précisant que la loi n'a aucune visée discriminatoire à l'égard des communautés identifiables et qu'une telle discrimination n'est pas une conséquence acceptable de sa mise en application.
Le CJC recommande qu'un règlement administratif soit pris pour interdire le profilage fondé sur la couleur, la race, la religion, l'origine ethnique ou l'orientation sexuelle, qui concorderait avec les définitions que l'on trouve dans les lois contre les comportements haineux ainsi que les paragraphes 318(4) et 319(7) du Code criminel. Il convient de noter que le profilage en fonction de l'origine nationale est, de l'avis du CJC, légitime. En effet, tout comme certains pays sont exportateurs de stupéfiants, certains autres pourraient exporter la terreur, et le profilage fondé sur cet aspect est aussi légitime dans un cas comme dans l'autre.
Il faut offrir des programmes d'éducation et de formation adéquats au personnel des services de renseignement, de sécurité et de police pour promouvoir l'application du régime de sécurité antiterroriste canadien, et mettre ce personnel au fait des libertés civiles et des sensibilités individuelles et collectives.
Le CJC reconnaît que certains s'opposent à l'identification biométrique qui, selon eux, porterait atteinte à la liberté individuelle. Le CJC est d'avis qu'elle est beaucoup plus respectueuse que les photographies, par exemple, représentant certaines pratiques religieuses comme le port du hidjab, du turban ou d'une perruque, pour les femmes juives religieuses, et croit d'ailleurs qu'il s'agit d'une technique d'identification plus efficace.
Le gouvernement doit produire une brochure pour expliquer ce que la LAT et le régime de sécurité connexe font et ne font pas, afin de répondre aux questions importantes que les gens peuvent se poser. Je tiens à préciser que le CJC recommande encore une fois que la protection des lieux de culte religieux prévue à l'article 430 du Code criminel soit élargie pour inclure non seulement les lieux de prière et les cimetières, mais aussi les écoles communautaires et les autres institutions qui remplissent des fonctions administratives, sociales, culturelles, éducatives ou sportives pour des groupes identifiables. Sans cette modification, l'incendie criminel déclenché à l'école Talmud Torahs Unis de Montréal ne serait pas condamné par la loi.
De plus, le CJC souligne que les communautés ne sont pas seulement vulnérables aux attaques contre leur propriété, mais elles sont aussi la cible de menaces. La communauté juive a été tout particulièrement ciblée par une série de menaces alarmantes ces dernières années. Par conséquent, pour rehausser la protection des communautés, nous pensons qu'il est important de modifier le paragraphe 264.1(1) du Code criminel pour que les menaces proférées à l'endroit des groupes identifiables deviennent des infractions graves et spécifiques, à l'instar des menaces proférées contre des personnes.
Enfin, le Congrès juif canadien continue de croire que le terrorisme est un danger réel et présent et que, pour y faire face, des moyens clairs, cohérents et dûment financés doivent être prévus dans la LAT et les mesures législatives corollaires. Nous sommes troublés que des Canadiens pensent avoir été victimes ou pensent être des victimes potentielles du régime antiterroriste actuellement en place et nous avons tenté de répondre à certaines de leurs préoccupations. Au bout du compte, il est impossible de protéger les droits fondamentaux, les libertés et les valeurs qui nous définissent en tant que Canadiens si nous ne nous protégeons pas contre la menace terroriste qui plane toujours et si nous n'unissons pas nos efforts en ce sens.
Merci, monsieur le président. Cela met fin à notre déclaration préliminaire.
Á (1115)
Le président: Merci.
M. Matas et M. Elmenyawi, est-ce que l'un de vous présentera une déclaration préliminaire?
Imam Salam Elmenyawi (président, Conseil musulman de Montréal): J'en présente une.
M. David Matas (avocat principal, B'nai Brith Canada): Moi aussi.
Le président: Nous vous écoutons.
Imam Elmenyawi: Bonjour. Au nom du Conseil musulman de Montréal et en mon nom personnel, j'aimerais remercier le président, le vice-président et les membres du comité de nous donner l'occasion de faire connaître nos préoccupations.
Je suis ici parce que j'aime mon pays, le Canada, et ses habitants. Je suis très préoccupé par l'existence des certificats de sécurité et de la Loi antiterroriste, les deux côtés d'une même médaille. Je ne suis pas ici pour critiquer les lois article par article; des avocats, les associations de barreau et d'autres associations chargées de défendre les libertés civiles et les droits de la personne l'ont déjà fait et continueront de le faire, à juste titre, jusqu'à ce que les correctifs nécessaires soient apportés. Nous savons déjà que ces lois portent atteinte aux droits et aux libertés des Canadiens ainsi qu'à la justice fondamentale. Les experts sont d'avis qu'elles comportent des lacunes, dont voici un bref résumé.
Il y a d'abord l'abdication de la règle de droit et de la justice fondamentale, notamment dans la présence d'un fonctionnaire du gouvernement qui possède un pouvoir arbitraire sur une personne ou les intérêts d'une personne et qui fonde ses décisions sur des preuves secrètes, des preuves provenant de l'étranger, sans faire les vérifications qui s'imposent.
Il y a la violation de la Charte des droits et libertés, notamment la liberté d'expression, la liberté d'association, le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne—qui ne peut être enfreint qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale—, le droit à la protection contre les fouilles ou les saisies abusives, le droit de ne pas être détenu ou emprisonné de façon arbitraire, le droit au silence, le droit à un procès équitable et le droit à une protection égale de la loi. Ce sont les principes fondamentaux de notre système de justice qui ne peuvent être restreints sans qu'il y ait un motif justifiable dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Troisièmement, la définition d'activité terroriste est trop vaste et inclusive. La loi doit avoir un objectif très précis pour éviter de cibler exagérément les musulmans et les dissidents politiques légitimes.
Quatrièmement, l'application de la loi n'est pas cohérente, plus particulièrement en ce qui a trait aux crimes haineux, qui devraient concerner tous les médias, y compris la presse écrite et électronique.
Cinquièmement, la norme de preuve est très peu élevée. Il suffit d'un soupçon pour qu'une personne fasse l'objet d'une accusation grave et d'un certificat de sécurité. Une telle condamnation détruit entièrement la vie d'une personne, qui risque l'emprisonnement, la déportation, la torture, voire la mort. Or, ces peines sévères ne sont pas la conséquence d'un jugement de culpabilité, mais seulement d'un soupçon. L'accusé ignore les détails des accusations. Le juge reçoit la preuve ex parte. L'avocat de la défense ne sait rien. Aucun témoin n'est contre-interrogé et la plupart des preuves sont obtenues sous la torture. Avec cette loi, nous permettons aux tyrans, aux despotes et aux gens du même acabit d'utiliser des preuves étrangères et secrètes pour amener le Canada à faire leur sale travail.
Le problème n'est pas de savoir si ces lacune existent; la plupart d'entre nous admettent leur existence. Si nous cherchons à trouver un équilibre entre la sécurité collective et les libertés individuelles, je crois personnellement que nous faisons fausse route. Examinons les objectifs que nous poursuivons en donnant force de loi à ces outils. Nous avons adopté ces lois pour contrer une menace à la sécurité avant qu'elle ne se concrétise, ce qui exige un contrôle efficace et intelligent; or, nous avons créé, en fait, la pire menace à notre sécurité nationale. Oui, je crois que ces lois constituent la plus grande menace à la sécurité nationale. Si elles ne sont pas modifiées, elles affecteront à long terme notre cohésion sociale et détruiront notre tissu social.
Les lacunes que je viens d'énumérer effacent l'apparence de justice et ouvrent la porte aux abus et au harcèlement par les forces de l'ordre. Or, l'auto-contrôle est le meilleur contrôle qui soit. Les musulmans ont le plus grand intérêt à protéger le Canada contre le terrorisme, mais à cause de ces lois, ils ne s'adresseront pas au SCRS ou à la GRC s'ils ont des soupçons non corroborés à propos d'un individu. L'organisme chargé de l'exécution de la loi devrait normalement vérifier le bien-fondé d'une plainte, mais les circonstances créées par ces lois font en sorte que personne ne voudrait soumettre un être humain à une telle expérience ou paranoïa. Nous sommes donc tous perdants.
Á (1120)
Ce problème est un peu plus complexe que ce que je décris ici. Puisque ces lois visent les musulmans de façon démesurée, ces derniers y voient l'institutionnalisation de la discrimination.
Bien que je reconnaisse l'excellent travail que font le SCRS et la GRC pour protéger notre pays et que bon nombre de leurs agents travaillent très fort, ils ont toutefois créé une culture dans laquelle les musulmans sont perçus comme l'ennemi, par un profilage erroné et fautif, un manque de formation et d'éducation sur l'Islam et des rapports douteux dans lesquels on accuse faussement de jeunes musulmans et des mosquées locales en utilisant, sans discernement, les mots Jihad, islamiste, terrorisme islamique, etc.
Outre ces lois, ils donnent l'impression de combattre l'Islam et les musulmans plutôt que le terrorisme. Cette culture fait en sorte qu'un très grand nombre de personnes innocentes sont devenues la cible des lois. C'est un piège qui se répand, qui gaspille nos ressources et qui finira par compromettre notre sécurité.
Quoi que vous fassiez ou recommandiez, rappelez-vous ceci : premièrement, la communauté musulmane et sa religion, l'Islam, ne devraient jamais être ou sembler être une cible. Deuxièmement, l'apparence de justice doit primer et la justice fondamentale doit être respectée. Troisièmement, les agents de sécurité et les procureurs doivent être sensibilisés à l'Islam ou recevoir une formation en ce sens. Vous pourrez me demander pourquoi un peu plus tard. C'est très important. Quatrièmement, le SCRS et la GRC ne devraient pas se contenter d'embaucher des musulmans à titre d'informateurs, soit dans des emplois bien mal vus, mais les encourager plutôt à occuper des postes à tous les niveaux dans les deux organismes : des postes d'avocat, d'analyste, d'agent, etc. Cinquièmement, la communauté musulmane doit être dûment consultée, et non seulement dans des séances bidons comme celles tenues par de nombreux ministères, notamment le ministère de la Justice. Sixièmement, des mesures doivent être en place pour empêcher la diffamation à l'égard des religions en général et de l'islam en particulier.
En tant que Canadiens, nous ne devons aucunement tolérer la haine, le racisme et la discrimination. En outre, nous devons faire en sorte que les organisations ethniques puissent compter sur des lois, des finances et des programmes d'éducation pour empêcher leur culture et leurs pratiques d'être la cible de certains programmes politiques ou de discours haineux.
Par ailleurs, si nous souhaitons participer aux efforts internationaux de lutte antiterroriste, nous devons aller à la source même du terrorisme et y concentrer nos efforts. Il est clair que nous ne pouvons mettre fin au terrorisme avec des chars et des lois injustes. De plus, puisque l'aumône est un élément de la foi et l'un des cinq piliers de l'Islam, les musulmans doivent pratiquer la charité, non seulement parce qu'ils souhaitent le faire, mais aussi parce que leur religion l'exige.
N'oubliez pas que même si les musulmans constituent 27 p. 100 de la population mondiale, ils représentent 80 p. 100 des réfugiés, qui s'attendent à ce que les Canadiens mieux nantis qui partagent leur foi puissent les aider à alléger leur misère. Cette mesure exposerait les musulmans davantage que tout effet drastique de cette loi.
Il n'y a pas de système de justice parfait. Le Canada a l'un des meilleurs du monde. Or, malgré les freins et les contrepoids qu'il comporte, nous avons commis des erreurs. Nous avons emprisonné des innocents et détruit leur vie. Maintenir l'application de ces lois serait tout à fait injuste pour les Canadiens, parce que s'il n'y a pas de justice pour certains individus, il n'y a pas de justice pour personne; comme l'a dit Martin Luther King, la justice est menacée partout lorsque l'injustice sévit quelque part.
Nous disons que l'accusé est innocent jusqu'à ce qu'on prouve sa culpabilité. Or, ici, l'accusé sera non seulement coupable jusqu'à ce que son innocence soit prouvée, mais il lui faudra plus qu'un avocat pour se défendre, contrecarrer la chasse aux sorcières et réfuter la preuve secrète qu'utiliseront les États étrangers. L'accusé aura besoin de ressources illimitées, qui ne seront peut-être pas disponibles ou, si elles le sont, ne donneront probablement aucun résultat. Cette situation ne peut être justifiée.
Si vous ne modifiez pas ou n'abrogez pas ces lois pour qu'elles soient conformes à la Charte des droits et libertés, à la justice fondamentale et à l'application régulière de la loi, vous direz à la communauté musulmane dans son ensemble et à une multitude d'autres Canadiens de différentes origines culturelles que vous pouvez vous passer d'eux, que vous êtes prêts à les sacrifier à la première excuse et que la démocratie n'est pas nécessairement pour tous.
Á (1125)
Monsieur le président, messieurs les membres du comité, quelqu'un a dit que si nous ne préservons pas la justice, la justice ne nous rendra pas service. Non seulement la justice doit-elle être assurée, mais elle doit aussi être perçue comme telle.
Pour terminer, je demande humblement la bénédiction de Dieu. Puisse-t-Il protéger chacun de nous. Puisse-t-Il vous guider dans une voie honorable, à la fois juste et équitable.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Matas, nous vous écoutons.
Á (1130)
M. David Matas: Merci beaucoup de nous avoir tous invités.
Je serai bref. Nous avons rédigé un mémoire très détaillé, que nous vous remettrons un peu plus tard. Dans ma déclaration préliminaire, j'aimerais simplement souligner certains éléments que comporte ce mémoire.
Avant le 11 septembre, l'attentat terroriste ayant causé le plus grand nombre de décès partout dans le monde a été planifié, organisé et mis en oeuvre ici même au Canada : la catastrophe du vol d'Air India. Cette tragédie n'a jamais fait l'objet d'une commission d'enquête. Nous n'avons pas assimilé les leçons qu'il fallait en tirer. Une attaque terroriste massive pourrait encore être organisée au Canada.
À notre avis, l'état de préparation du Canada est lamentable. Tous les signes avant-coureurs sont pourtant là. Des terroristes sont recrutés au Canada pour agir à l'étranger.
Stewart Bell vient de rédiger un livre qui raconte dans le détail l'histoire l'un de ces terroristes qui ont grandi au Canada. Un procès est en cours ici à l'heure actuelle, celui d'un homme d'Ottawa, natif du Canada, Mohammed Momin Khawaja, qui a été arrêté en mars 2004 et accusé d'avoir participé à un complot visant à déclencher des explosions à Londres.
L'incitation au terrorisme prolifère librement au Canada. Sur la côte Ouest, par exemple, un chef religieux a craché son venin contre la communauté juive sans que rien ne soit fait. Des complots visant à commettre des actes terroristes au Canada ont été dévoilés. Par exemple, Ahmed Ressam, un résident canadien illégal reconnu coupable d'avoir tenté de faire exploser l'aéroport de Los Angeles en 2000, a parlé aux enquêteurs d'un rapport visant à faire exploser un camion citerne dans un quartier juif de Montréal.
La communauté juive et ses institutions sont les premières visées par les plans terroristes et l'incitation au terrorisme. La communauté juive est menacée et nous, en tant que citoyens du Canada, ne croyons pas que le gouvernement du Canada déploie suffisamment d'efforts pour nous défendre. La Loi antiterroriste était un pas dans la bonne direction, mais un pas beaucoup trop timide, selon nous. Pour être efficace, la loi doit être renforcée à de nombreux égards. Comme je l'ai dit, des douzaines de mesures sont énoncées dans notre mémoire, mais compte tenu du temps dont nous disposons, je vais vous en présenter seulement trois ici.
Le Canada doit adopter une loi pour interdire l'incitation au terrorisme. Il y a quelques jours à peine, le Conseil de sécurité des Nations Unies demandait à tous les États d'adopter pareille loi, de prévenir les actes terroristes et de refuser l'asile à quiconque est reconnu coupable de tels crimes. L'Angleterre et les Pays-Bas ont déjà proposé une loi semblable. Le ministre de la Justice néerlandais, M. Donner, a annoncé en juillet 2005 que son gouvernement allait déposer un projet de loi qui permettrait de poursuivre en justice les individus qui glorifient, atténuent, banalisent ou nient les crimes de guerre, les génocides ou les actes terroristes. Il y a à peine un mois, en août dernier, le premier ministre du Royaume-Uni, Tony Blair, a déclaré que son gouvernement allait présenter un projet de loi au Parlement pour inclure parmi les infractions le fait de tolérer ou de glorifier le terrorisme.
Pareille loi n'existe pas au Canada, mais elle est nécessaire. Nous avons, bien sûr, une loi interdisant l'incitation à la haine, mais il s'agit d'une infraction différente qui doit être sanctionnée avec le consentement du procureur général de la province. Nous avons affaire ici à un problème de portée internationale, et non seulement de portée provinciale.
La deuxième des trois mesures que je veux exposer ici consiste à élargir la définition de méfait à l'égard d'un lieu de culte. À l'heure actuelle, on dit que le lieu doit être utilisé principalement à des fins religieuses. Au Canada, plus précisément à Montréal, un incendie criminel a été déclenché dans la bibliothèque de l'école primaire Talmud Torahs Unis en 2004. Nous croyons qu'il s'agissait d'un acte terroriste, dont l'auteur aurait dû être poursuivi en vertu de la Loi antiterroriste. Or, il a été accusé seulement d'avoir provoqué un incendie criminel.
Selon nous, cette bibliothèque était un lieu de culte, mais il semble que le procureur n'était pas du même avis que nous, à savoir que la bibliothèque ou l'école était une institution utilisée principalement à des fins religieuses ou de culte religieux. La loi doit être modifiée de manière à ce que les institutions des organisations religieuses, que ce soit des écoles, des bibliothèques ou des centres communautaires, soient considérées comme des lieux de culte contre lesquels des méfaits pourraient être commis, pour qu'il n'y ait plus cette division artificielle entre certaines institutions religieuses qui peuvent être attaquées sans qu'on puisse invoquer la Loi antiterroriste et les autres.
L'auteur du crime a bien sûr été poursuivi, a plaidé coupable et a été condamné. Toutefois, nous perdons de vue la dimension de l'infraction, la réalité de l'infraction et le risque que nous courrons si nous prétendons qu'il ne s'agit pas d'un acte terroriste.
Á (1135)
Enfin, notre organisation et moi-même préconisons l'ajout d'une exception dans la Loi sur l'immunité des États. À l'heure actuelle, les États étrangers ne peuvent faire l'objet de poursuites civiles en dommages-intérêts au Canada, mais une exception expresse doit être faite pour les États qui soutiennent le terrorisme, de manière à pouvoir intenter des poursuites contre les États ainsi désignés par le gouvernement. Les États-Unis ont une telle disposition législative.
Si nous voulons mettre fin à l'immunité financière des terroristes, nous devons aussi le faire pour les États qui soutiennent le terrorisme. Nous avons une loi permettant de bloquer des fonds et nous nous opposons en théorie au financement du terrorisme, mais cette théorie n'est pas appliquée de façon cohérente lorsqu'il s'agit d'actes terroristes financés par un État. Sans cette mesure, les efforts visant à mettre fin au financement du terrorisme s'arrêtent devant les coffres des États.
Je remarque que le Parti conservateur a proposé pareille modification à la Loi sur l'immunité des États en déposant un projet de loi d'initiative parlementaire par l'intermédiaire du sénateur David Tkachuk. Je remarque également que la porte-parle du Bloc Québécois en matière d'affaires étrangères, Francine Lalonde, a dit vouloir déposer à la Chambre des communes un projet de loi plus radical prévoyant une exception pour la violation de toutes les normes internationales relatives aux droits de la personne. Nous avançons donc dans la bonne direction.
J'invite le gouvernement et le NPD à se joindre au Bloc et au Parti conservateur pour que nous ayons un projet de loi de tous les partis qui permettra d'inclure cette exception particulière dans nos lois. Pourquoi le fils de Zahra Kazemi et les autres victimes du terrorisme et de la torture au Canada ne pourraient-ils pas avoir un recours contre les auteurs de ces crimes?
Pour conclure, la loi, dans sa forme et dans son fonctionnement, doit respecter scrupuleusement les droits de la personne et, à cet égard, nous embrassons la même cause que celle de nos amis que vous avez entendus plus tôt et mon ami assis à droite que vous venez d'entendre. Toutefois, il ne faut pas oublier que le terrorisme en soi constitue une terrible violation des droits de la personne. Lorsqu'un État ne fait rien pour défendre ses citoyens contre le terrorisme, il viole les droits de ses citoyens.
Le président: Je remercie les trois témoins pour leurs exposés.
M. Sorenson sera le premier intervenant.
M. Kevin Sorenson: Je reprends à mon compte les remerciements faits par le président. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir pu venir ici.
Je tiens tout particulièrement à vous remercier de nous avoir rappelé la tragédie d'Air India. Trop souvent, notre comité ne voit que l'attentat du 11 septembre. Nous savons que cette loi a été adoptée par suite de cette attaque, mais le terrorisme a frappé ici bien avant. Vous évoquez cette catastrophe, mais aussi le fait que le Canada n'est pas préparé à combattre efficacement le terrorisme. Nous n'avons pas été la cible d'attaques précises depuis la tragédie d'Air India, mais le Canada est reconnu pour être un centre de recrutement et de financement pour le terrorisme à l'étranger. Merci de nous le rappeler.
Je me souviens d'un ancien commissaire de la GRC—et vous pourriez peut-être faire des commentaires à ce sujet. Peu de temps après le 11 septembre, Norman Inkster a dit que ce qu'il craignait le plus, c'était que le Canada ait d'abord une réaction impulsive face aux événements du 11 septembre en adoptant une loi quelconque pour contrer ce que nous croyions être un nouvel élan de terrorisme, et qu'une certaine complaisance s'installe par la suite. Nous examinons aujourd'hui la Loi antiterroriste et nous écoutons des témoignages; croyez-vous que cette complaisance s'installe?
Je remarque dans le mémoire présenté par le Congrès juif canadien—sur lequel je n'ai pas beaucoup de questions, mais plutôt des commentaires—qu'il souhaite que le Canada ajoute d'autres noms à la liste des organisations terroristes. Nous savons que les Nations Unies, les États-Unis et la Grande-Bretagne, je crois, ont près de 200 organisations sur leurs listes. Au dernier calcul, nous en avions 37, peut-être 42. Devons-nous abaisser les critères qui définissent une organisation terroriste? Comment d'autres noms pourraient alors être inscrits sur cette liste? Voilà une des questions auxquelles vous pourriez répondre plus tard.
Par ailleurs, pourriez-vous expliquer comment le Canada pourrait contrôler les immigrants avant qu'ils n'arrivent ici? Comment, selon vous, le Canada peut-il rehausser la sécurité ici en affectant des ressources à l'étranger? Les partis politiques, même en leur sein, ont des vues différentes sur les moyens à prendre pour interdire l'accès de certaines personnes avant qu'elles n'arrivent ici. La vérificatrice générale a donné des avis concernant la collecte et le partage des renseignements, les listes de vérification, les passeports et les mesures de contrôle à l'aéroport. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
Á (1140)
M. David Matas: Je crois que nous avons tous des commentaires à faire, mais je vais commencer.
Tout d'abord, en ce qui a trait à la complaisance, je dirais que le problème est même plus grave parce qu'il y a beaucoup d'opposition à la loi et à son fonctionnement. Je dirais que cette opposition est en partie justifiée, parce que certains aspects concernant les libertés civiles sont préoccupants. Toutefois, on parle surtout de ces préoccupations et non du fait qu'il faudrait renforcer la lutte au terrorisme.
La position que Mark Freiman et moi-même avons adoptée, à savoir que nous n'allons pas assez loin, est une position minoritaire, très peu souvent entendue. Comme vous le dites, nous avons tendance à oublier. C'est comme si la catastrophe d'Air India n'avait jamais eu lieu. Les choses se perdent, sont compartimentées et prennent une autre dimension. Nous faisons l'autruche devant la menace terroriste, pourtant bien réelle, et le besoin de nous défendre.
Je reconnais que les défenseurs des libertés civiles ont des propos souvent légitimes en ce qui a trait au fonctionnement de la loi, mais je crois qu'il faut les mettre en contexte. Ils n'ont du sens que dans la mesure où nous menons une lutte efficace contre le terrorisme. Les préoccupations relatives aux libertés civiles ne peuvent à elles seules être invoquées pour immobiliser la lutte antiterroriste, parce que nous violerions alors les droits des victimes et des victimes éventuelles.
Quant à la liste des organisations, permettez-moi de préciser que nous n'avons pas une, mais bien deux listes, que vous trouverez dans le mémoire que nous vous enverrons plus tard. Nous avons une liste concernant le blocage des fonds, et la liste des organisations criminelles. La première comporte des centaines de noms. Elle est aussi exhaustive que celle de la Grande-Bretagne, des Nations Unies et des États-Unis, sauf quelques exceptions importantes, ce qui est un peu préoccupant.
Nous recommandons notamment d'unifier la liste. Il n'y a aucune raison logique d'avoir deux listes. Les normes, les définitions et mêmes les conséquences sont pareilles dans les deux cas. Quand on pense au blocage de fonds, la définition est la même et les conséquences sont les mêmes. Le gouvernement a dit que dans un cas, il faut tenir compte de la prépondérance des probabilités et dans l'autre cas, la preuve doit être hors de tout doute raisonnable, parce que l'infraction est tantôt du domaine civil, tantôt du domaine criminel. Toutefois, lorsque les conséquences sont les mêmes—vous commettez une infraction et vous allez en prison—, alors l'utilisation d'une norme de preuve différente n'a plus aucun sens.
Il existe un autre obstacle à la lutte au terrorisme : les efforts gouvernementaux sont compartimentés. La liste concernant le blocage des fonds relève du ministre des Affaires étrangères; la liste des organisations criminelles est l'affaire du ministre de la Sécurité publique. Un troisième ministre s'occupe d'un troisième volet, à savoir les organismes de bienfaisance et leur radiation du registre. Rien ne montre qu'il existe une quelconque coordination. Ce n'est pas une liste. Certaines organisations n'ont pas le statut d'organisme de bienfaisance. La lutte n'est pas coordonnée et elle devrait l'être.
M. Kevin Sorenson: Est-ce pour cette raison que le Congrès juif canadien recommande qu'une seule personne soit chargée du dossier du terrorisme? Je ne sais pas s'il s'agit d'un parlementaire; je crois qu'on mentionne le comité parlementaire. Serait-ce là une de vos recommandations également?
M. David Matas: Je laisserai Mark répondre à cette question, mais nous sommes certainement en faveur d'une liste unifiée.
La troisième question que vous avez posée porte sur le contrôle. Toutes les améliorations que nous pouvons apporter à ce chapitre seront les bienvenues. Toutefois, comme certains d'entre vous le savent, je suis avocat en matière d'immigration et de statut de réfugié, et l'une des frustrations que crée ce système à l'heure actuelle, c'est que tout se joue au bureau des visas. Trop de choses dépendent de ce qui se passe au point d'entrée initial. Si vous passez au travers des mailles du filet, en particulier si vous mentez et réussissez à obtenir la citoyenneté canadienne, la partie est presque gagnée. Il faut améliorer le système au bureau des visas, mais encore davantage au niveau interne, de manière à ce qu'on puisse révoquer la citoyenneté d'un terroriste. Voilà une autre de nos recommandations.
Une fois que ces gens sont ici et qu'ils sont des citoyens, on ne peut les renvoyer parce qu'ils risqueraient la torture—et s'ils risquent d'être torturés, ils ne doivent pas être renvoyés—, mais on doit pouvoir les poursuivre en justice même si leur acte a été commis avant l'entrée en vigueur de la loi, si l'acte en question était une infraction en vertu du droit international au moment où il a été commis. Il y a des terroristes ici, des gens qui ont commis des actes avant l'entrée en vigueur de la loi, qui ne peuvent être renvoyés et que nous ne pouvons poursuivre en justice. La Loi sur les crimes de guerre permet la rétrospection, mais non la Loi antiterroriste.
Ne mettons pas tous nos efforts au bureau des visas. Améliorons la protection au bureau des visas, mais soyons capables... Lorsqu'on a affaire à des gens qui dissimulent des choses, qui mentent ou qui produisent des documents contrefaits, on mise trop sur le bureau des visas. Il faut pouvoir réagir en tout temps, et non seulement au point d'entrée.
Á (1145)
Le président: J'essaie d'accorder un peu de temps à M. Freiman.
M. David Matas: Oui, excusez-moi.
M. Mark Freiman: Je vais simplement poursuivre.
D'abord, votre observation est tout à fait juste. Quant à l'analogie... Je ne suis pas avocat en matière d'immigration, mais j'ai déjà assuré la défense dans des poursuites pour faute médicale; on constatait que les gens qui avaient besoin de médicaments les prenaient, se sentaient mieux et se demandaient tout à coup pourquoi ils devaient continuer à les prendre puisqu'ils allaient bien. Le médicament en question leur asséchait la bouche, ce qui était désagréable. Ils cessaient donc de le prendre, et tous les anciens symptômes réapparaissaient—et c'était tout particulièrement vrai dans les cas de troubles émotionnels et mentaux.
Nous avons obtenu une ordonnance. Nous avons obtenu un médicament, qui fonctionne. Nous nous portons mieux à l'égard du terrorisme et de son identification. Or, malheur, le médicament cause l'assèchement de la bouche. Personne ne souhaite entraver les libertés civiles, et personne ne souhaite les entraver inutilement. Nous regardons parfois les effets secondaires et s'il y a même une faible possibilité, nous disons qu'il vaut mieux abandonner le médicament. Si nous le faisons, nous savons ce qui va se produire : le problème réapparaîtra.
Je ne dis pas que les libertés civiles ne sont pas importantes. Elles doivent être examinées, scrupuleusement. Toutefois, vous ne devez pas jeter votre médicament parce qu'il assèche la bouche. Vous pouvez peut-être prendre une pastille à l'occasion. Vous devez trouver des moyens de maintenir la protection et ne pas trop penser que vous n'avez plus besoin du médicament.
Je partage les vues de M. Matas en ce qui a trait aux visas et à ces autres choses. Le Congrès juif canadien est en faveur de la prévention, qui consiste à reculer la ligne de front aussi loin que possible du Canada. Les mesures dont vous parlez, notamment en ce qui a trait au contrôle à l'étranger, visent toutes à reculer la ligne de front pour nous donner une meilleure protection ici.
Le président: Merci.
Monsieur Elmenyawi.
Imam Elmenyawi: Oui, je crois que le gouvernement fait preuve d'une certaine complaisance à l'égard des événements du 11 septembre, mais ce n'est pas ce que vous pensez. Vous croyez qu'il se complaît en pensant qu'il faut plus de lois. En fait, il a fait erreur lorsqu'il a cru que la loi allait régler le problème.
Il y a beaucoup de travail à faire, mais pas au chapitre de la loi. La loi est un outil. Pour l'action policière, un outil, c'est comme un enfant au rayon des bonbons—vous voulez en avoir le plus possible, peu importe que vous les utilisiez ou non, peu importe s'ils sont utiles pour vous ou si vous en êtes vraiment satisfait. C'est une erreur.
Pour régler ce problème, il ne s'agit pas d'avoir des outils, mais de l'intelligence. Il faut des actions intelligentes. Il faut diagnostiquer le problème correctement pour donner le bon médicament. Si vous continuez à prendre le mauvais médicament, il vous rendra malade. C'est ce qui va arriver avec le médicament que vous prenez maintenant.
Selon moi, c'est comme si vous faisiez un retour dans le futur afin de régler le problème, pour vous apercevoir que vous en êtes la cause. Si ces lois ne sont pas justes et qu'elles aliènent une section complète de la société, nous ne pourrons pas avoir ce type de contrôle et ce type de lumière qui permettrait aux gens de savoir ce qui est la cause du terrorisme et de s'attaquer à la source même avant qu'elle ne jaillisse.
Notre objectif est le même; les moyens ne sont pas les bons, à mon avis.
Le président: Merci.
Monsieur Sorenson, votre temps est écoulé depuis longtemps.
Monsieur Ménard, je vous prie.
[Français]
M. Serge Ménard: Merci, monsieur le président.
Je ne sais pas qui a choisi de vous mettre ensemble, mais c'est sûrement un bon exemple de ce que nous voulons au Canada et de ce que nous vivons à Montréal et à Toronto aussi, je crois, soit la coexistence pacifique et mutuellement enrichissante des communautés juive et musulmane. Cela nous enrichit tous, en tant que citoyens d'un pays où la plupart d'entre nous sont les enfants de ceux qui ont immigré ici.
Je m'adresserai d'abord à M. Elmenyawi.
Sentez-vous qu'il y a, dans la communauté musulmane de Montréal, un désir de collaborer avec les forces de sécurité, les agences de renseignements, pour effectivement empêcher que viennent ici des mouvements terroristes qui, j'en suis convaincu, déshonorent l'Islam, au premier chef, autant qu'ils font du tort à notre société démocratique?
Á (1150)
[Traduction]
Imam Elmenyawi: Tout à fait. J'étais l'un des signataires de la déclaration des imams. Par la suite, j'ai rencontré le premier ministre Paul Martin dans son bureau. Notre déclaration est sans équivoque en ce qui a trait au terrorisme.
Lorsqu'un acte terroriste est commis... En fait, à Londres, la première personne à être enterrée était une musulmane qui a été tuée dans cet attentat. Nous faisons partie de la société et nous faisons partie de ces victimes.
Par ailleurs, on nous accuse d'être la cause de ces actes, ou on accuse la religion ou l'idéologie; toutes sortes d'articles philosophiques, de rapports et d'attaques sont faits. Nous ne voulons pas voir cela. Nous détestons cela. Nous ne voulons pas que l'on associe le terrorisme à l'Islam. C'est pourquoi de nombreux membres de la communauté musulmane sont prêts à travailler en collaboration avec le SCRS et la GRC pour y mettre fin. Toutefois, arrêtez de nous considérer comme des citoyens de deuxième ordre bons seulement à faire le sale travail d'informateur. Nous ne sommes pas seulement une communauté d'informateurs. Nous avons des avocats, des gens instruits, des gens intelligents qui ont de très bons antécédents.
Je me suis entretenu avec M. Jim Judd à ce sujet et il s'est montré très coopératif. Nous avons parlé d'établir des règles transparentes pour que les gens sachent que, lorsque des contrôles sont faits, ils ne feront pas l'objet d'un profilage seulement parce qu'ils sont musulmans et qu'ils ne seront pas amenés à travailler pour le SCRS, par exemple. Si les règles d'embauche sont transparentes, si des règles convenables sont établies, la communauté musulmane sera la première à lutter contre le terrorisme.
[Français]
M. Serge Ménard: Je voudrais savoir si la perception qu'a la communauté musulmane de la loi actuelle constitue un obstacle à la collaboration que, j'en suis sûr, vous et les dirigeants des organismes désirez voir sur le terrain? Je suis sûr que vous ne serez pas un terroriste et que les dirigeants musulmans n'ont pas des tendances terroristes. Toutefois, vous savez que cela risque de se développer dans votre communauté. Peut-être, d'ailleurs, seriez-vous les derniers à l'apprendre.
Dans votre communauté, entre autres parmi les jeunes, y a-t-il des obstacles à cette collaboration que vous désireriez voir?
[Traduction]
Imam Elmenyawi: Oui. Je travaille bénévolement comme aumônier musulman à l'Université McGill et à l'Université Concordia, et je côtoie donc des étudiants musulmans. Je visite également des prisons à ce titre. J'ai d'ailleurs rencontré celui qui a mis le feu à la bibliothèque de l'école. Je lui ai parlé. En fait, je l'ai amené à adresser une lettre d'excuses non seulement à la communauté juive, mais aussi à la communauté musulmane, pour qu'il soit dit très clairement qu'il s'agit d'un acte tout à fait inacceptable.
Je côtoie des jeunes et j'ai vu leur visage lorsqu'ils sont venus me voir après le 11 septembre. Ils me disaient « Vous venez d'Égypte et vous pouvez y retourner, mais nous sommes des Canadiens. Nous sommes nés ici, nulle part ailleurs, et les gens nous disent maintenant de retourner chez nous. Nous sommes chez nous. Où devons-nous aller? » Cette loyauté doit exister. Nous devons faire en sorte que le combat n'est pas dirigé contre l'Islam. La ligne est très mince, lorsque la plupart des règles et des lois semblent être dirigées contre l'Islam et les musulmans. Selon nous, les musulmans sont ciblés. Nous devons faire en sorte que le SCRS n'écrit pas dans ses rapports qu'il y a de la haine dans les mosquées. Qui dit ces choses? Montrez-le nous. Ne gardez pas ces idées secrètes, sinon nous ne pourrons rien y faire. Elles ne font que stigmatiser toute la communauté. Non, il n'y a pas de haine dans nos mosquées, et s'il y en a, nous aimerions savoir à quel endroit et nous aimerions en parler.
Lorsque vous dites, par exemple, que des étudiants s'initient aux arts martiaux, vous en faites automatiquement des terroristes. Le profilage est un très bon outil, mais il doit être utilisé correctement. Ce n'est pas seulement parce qu'ils sont musulmans que les gens font l'objet d'un profilage, il y a de nombreux autres facteurs. Comme nous le savons, dans notre système de justice, si un animal a quatre pattes, une queue, une tête et qu'il jappe, nous disons que c'est un chien. Nous disons que c'est une preuve circonstancielle. En fait, au Canada, nous apprenons qu'un phoque aussi peut japper. Voilà les règles et la façon dont elles fonctionnent. La norme de preuve est telle que si une vache a quatre pattes et qu'une table a quatre pattes, alors la table provient d'une vache. Tout à coup, nous nous mettons à la poursuite de tout ce qui a quatre pattes, ce qui est beaucoup plus long. Nous devons donc être plus précis dans notre démarche.
Á (1155)
[Français]
M. Serge Ménard: J'aimerais maintenant poser des questions à MM. Freiman et Matas.
Tous deux, vous avez parlé à plusieurs reprises de cet acte haineux et vraiment antisémite qui a été posé à Montréal, où on a senti, au moment où cela s'est produit—vous le savez très bien—, une condamnation de la part de tous les milieux de la société. La personne a été trouvée, arrêtée et condamnée.
Croyez-vous vraiment que la loi que nous avons appliquée n'a pas résulté en une condamnation adéquate du geste qui a été posé?
[Traduction]
M. Mark Freiman: Je me fais un devoir de ne jamais critiquer l'aboutissement d'une affaire ou la décision d'un tribunal.
Le problème, monsieur Ménard, c'est que la loi elle-même... S'il est vrai que l'infraction commise à l'école de Montréal était l'oeuvre d'un jeune déséquilibré, son crime ou son geste a peut-être été dûment traité. Je ne ferai aucun commentaire à ce sujet. Ce que je dis et ce que le Congrès juif canadien souhaite dire à votre comité, et indirectement à la Chambre, c'est que la loi elle-même n'est pas suffisante lorsque des institutions juives ou autres sont ciblées.
La loi convient dans la mesure où elle traite des lieux de culte et des cimetières, mais son but n'est pas atteint si on n'inclut pas les lieux qui ont une importance culturelle ou éducative pour certaines minorités. Si le Parlement visait un objectif valable—et nous en sommes convaincus—en modifiant le Code criminel pour que les crimes haineux envers les lieux de culte et les cimetières soient considérés comme des infractions, alors la même logique veut que les lieux d'éducation et de culture soient compris dans la même catégorie.
La question n'est pas de savoir si la peine convient au crime commis, mais plutôt de savoir si la loi peut atteindre ses principaux objectifs, dans sa forme actuelle.
M. David Matas: Si vous me permettez de répondre à cette question également, nous ne sommes pas satisfaits de ce qui s'est produit, de la façon dont la poursuite a été menée. Nous avons envoyé une lettre au substitut du procureur général pour demander que la poursuite porte sur un méfait commis à l'égard d'un lieu de culte, ce qui n'a pas été le cas. Il semble que le substitut du procureur général était d'avis que la loi ne couvrait pas ce genre de propriété. À notre avis, il s'agit d'une lacune.
Permettez-moi de vous lire ce qu'a déclaré à la Chambre des communes Sarmite Bulte, secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine canadien, le 16 octobre 2001 :
Les torts causés par un méfait contre un bâtiment religieux vont bien au-delà des dommages matériels à la propriété. Les plus grands torts découlent du message de haine véhiculé par le méfait. |
Et elle continue. Si la poursuite porte seulement sur l'incendie criminel, on ne condamne pas le message de haine véhiculé par l'attaque terroriste. La peine doit correspondre au crime. Dans ce cas-ci, un crime a été commis et l'accusation ne correspondait pas au crime parce qu'elle ne mettait pas en cause le message de haine véhiculé.
Imam Elmenyawi: Je ferai un bref commentaire à ce sujet.
[Français]
M. Serge Ménard: J'aurais plusieurs questions à poser, mais on a relativement peu de temps.
Pour apprécier une loi antiterroriste, je pense qu'il faut essayer de voir si elle est utile. Si elle l'est, on ne le sait pas, car il y a moins d'actes terroristes. Mais on peut tout de même l'apprécier. Parmi tous les témoins appelés à comparaître devant nous, vous êtes parmi les seuls à être en faveur de la loi et même du durcissement de la loi.
Connaissant les actes terroristes qui ont été posés, par exemple ceux du 11 septembre—on en connaît beaucoup sur le 11 septembre maintenant—, pourriez-vous m'expliquer en quoi les lois antiterroristes actuellement en vigueur auraient pu empêcher ces événements?
 (1200)
[Traduction]
M. David Matas: Bien sûr. Premièrement, nous demandons que l'incitation au terrorisme soit interdite. Il aurait mieux valu qu'une loi à cet effet ait été en vigueur. L'incitation au terrorisme est, dans un sens, la flamme qui attise le terrorisme.
Deuxièmement, il faut améliorer considérablement l'identification, et la liste des organisations terroristes peut contribuer dans ce sens. Nous n'en avions pas. Si nous avions eu une loi disant qu'al-Qaïda était interdit avant le 11 septembre... Ces terroristes se trouvaient aux États-Unis, pas ailleurs. Il y avait beaucoup de renseignements à leur sujet. Certes, il y a eu un manque de communication, mais il n'y avait pas de loi en vigueur non plus. Si on avait eu une loi disant qu'al-Qaïda était interdit, que ses fonds étaient bloqués et que ses membres pouvaient être arrêtés, ces hommes auraient été interceptés avant de mettre le pied dans l'avion.
Imam Elmenyawi: C'était là. Ils étaient interdits avant le 11 septembre. Il y avait un suivi, ils étaient connus et ils avaient été contrôlés, alors je crois qu'il faut être très prudent...
M. David Matas: Mais pas ici. La Loi antiterroriste au Canada... On parle d'ici.
Le président: Monsieur Ménard, dernière observation.
M. Serge Ménard: Vos commentaires sont très justes, mais dans quelle mesure diriez-vous qu'il est utile d'emprisonner des gens d'après des preuves qu'ils ignorent?
[Français]
M. David Matas: J'ai parlé en anglais, mais je ne voulais pas que vous fassiez de même .
[Traduction]
M. Serge Ménard: C'était tout naturel. Vous êtes chanceux que je n'aie pas commencé à parler en espagnol.
Le président: Dernière intervention, je vous prie.
M. David Matas: Concernant la preuve, nous sommes en faveur d'un amicus curiae ou de la divulgation à un avocat. Il y a bien sûr des renseignements secrets que le gouvernement ne peut révéler à des terroristes potentiels. Toutefois, nous aimerions que la loi soit modifiée pour que l'information puisse être transmise à un amicus curiae ou à un avocat dans le cadre d'une entente de confidentialité.
Comme je l'ai déjà dit, nous ne sommes pas nécessairement en désaccord avec M. Elmenyawi, et je suis heureux que nous fassions partie du même groupe de discussion. Toutefois, on ne peut tenir compte de ces seules préoccupations.
Le président: Merci.
Monsieur Comartin, je vous prie.
M. Joe Comartin: Monsieur le président, je vous remercie.
Messieurs Freiman et Matas, merci d'avoir pris la peine de venir ici. Dans votre mémoire, vous prônez que le pays d'origine continue de servir au fondement du profil. Cela me pose de réelles difficultés, et j'aimerais donc que nous en parlions un peu plus.
Le Canada n'a pas une feuille de route très reluisante en ce qui concerne l'utilisation de cette approche, que ce soit à l'égard des Allemands et des Italiens durant la Première Guerre mondiale, des Allemands et, manifestement, des Japonais durant la Seconde Guerre mondiale, ou même, pour être tout à fait franc, à l'égard actuellement des Israéliens qui sont dans notre mire, sur le plan des relations commerciales, voire des passeports, simplement en raison de leur nationalité. J'ignore en quoi c'est utile.
Vous avez entendu le groupe de témoins précédent dire que ce sont les comportements criminels qu'il faudrait profiler, non pas d'autres caractéristiques, comme le pays d'origine. Dans le cas particulier qui nous occupe, c'est-à-dire ceux qui viennent s'établir au Canada pour fuir leur pays, je ne vois pas en quoi il est utile, la plupart du temps, de faire un profil en fonction de la nationalité.
M. Mark Freiman: Je vais essayer de vous l'expliquer. Nul ne laisse entendre qu'il faut supposer que les gens sont terroristes ou hostiles aux intérêts du Canada du fait de leur nationalité. Ce qu'il faut se demander, c'est de quelle façon le personnel et le service de sécurité répartissent leurs rares ressources et à quoi consacrent-ils leurs énergies? Le font-ils au hasard ou privilégient-ils une action ciblée fondée sur des paramètres de prévision? Certains paramètres de prévision ne cadrent tout simplement pas avec une société libre et démocratique comme la nôtre. Nous ne pouvons pas cibler des personnes auxquelles on portera une attention particulière, nous ne pouvons pas leur consacrer plus d'attention simplement en raison de leur religion, de leur race ou de tous les autres motifs interdits dans la loi sur les droits de la personne. Par contre, si l'on se demande à quoi il faudrait porter attention, il existe un facteur—un facteur légitime—qui est alors l'origine nationale lorsqu'il existe un lien démontrable entre un certain pays et l'exportation de terrorisme. Cela ne signifie pas que l'on suppose au départ que les personnes de cette nationalité sont ceci ou cela; c'est que l'on sait qu'il existe une raison pour faire preuve d'une vigilance particulière à l'égard des ressortissants de ces pays et pour y consacrer les ressources voulues.
On en revient à l'analogie que j'ai utilisée tout à l'heure. Pour lutter contre le commerce mondial des drogues, il est jusqu'à un certain point logique de consacrer des ressources tant matérielles qu'intellectuelles aux personnes qui viennent d'un pays exportateur de drogues et dont on a la preuve qu'il exporte clandestinement des drogues. Cela ne signifie pas qu'elles sont toutes ou pour la plupart coupables. C'est simplement une question de savoir sur quoi cibler son attention.
 (1205)
M. David Matas: En réalité, vous n'avez pas notre mémoire et nous ne traitons pas de la question. Toutefois, j'aurais quelque chose à dire au sujet de toute la question des visas exigés, même si vous ne trouverez rien d'écrit à ce sujet.
En droit canadien, nous faisons déjà du profilage. Pourquoi certains pays exigent-ils des visas et d'autres, pas? Si vous vous reportez au résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui accompagne chaque nouvelle exigence sur le plan des visas, on peut y lire qu'on croit que les gens de ce pays vont demander le statut de réfugié. On souhaite les empêcher de le faire et, par conséquent, on exige un visa.
Or, je peux comprendre que vous soyez hostile au profilage racial ou au profilage selon le pays d'origine, mais il s'agit là, à mon avis, de votre sentiment ou de votre position à vous. Il ne faudrait pas avoir deux poids, deux mesures. Ne dites pas que le Canada ne fait pas de profilage en fonction de la nationalité, mais qu'il peut exiger des visas selon le pays. Si vous êtes contre le profilage selon le pays d'origine, vous êtes forcément contre l'exigence d'un visa.
Imam Elmenyawi: J'aimerais ajouter que si nous faisons du profilage selon la nationalité—une pareille généralisation n'est jamais bonne, mais si nous le faisons tout de même—et que nous consacrons des ressources à une nationalité particulière, ce serait comme faire un cadeau aux terroristes. Le terroriste se présente toujours muni d'un faux passeport. Il se déclare d'une nationalité sans danger et présente des traits qui vous plaisent. Ainsi, il entre au pays et fait ce qu'il a à faire. En règle générale, le profilage peut s'avérer très dangereux, parce que c'est justement de cette façon que le terroriste se joue de nous. S'il sait comment nous effectuons le profil, il y échappera, pendant que vous vous occuperez de quelqu'un d'autre.
M. Joe Comartin: Monsieur Freiman, je ne puis m'empêcher de faire un lien avec une expérience menée par une des universités, pour en revenir à l'exemple des drogues. Elles ont fait franchir la frontière à cinq blanches et à cinq noires ayant sur elles des drogues. Je ne me rappelle plus si elles venaient de Colombie ou d'un pays antillais. Tout le monde sait que les cinq blanches sont entrées au pays sans difficulté mais que seulement une des noires a réussi à le faire. Pour enchaîner sur ce qu'a dit M. Elmenyawi, ce serait la même chose.
Monsieur Matas, les visas que nous exigeons me causent de graves difficultés. Je n'appliquerais pas le principe du deux poids, deux mesures si j'avais à prendre la décision. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas le faire parfois, mais la plupart du temps, j'estime que nos exigences pour l'obtention d'un visa sont plutôt répréhensibles lorsqu'elles se fondent sur l'origine nationale.
L'autre point sur lequel j'aimerais revenir est ce qui se passe si nous nous servons du pays d'origine ou de la nationalité. Est-ce simplement une question de sémantique? Sommes-nous en train de dresser une façade qui nous permet de prétendre que nous ne faisons pas de profilage fondé sur la religion et sur l'origine ethnique simplement parce que nous affirmons que si, par hasard, ils viennent de tel pays, nous allons les cibler?
Par ailleurs, je doute vraiment de l'efficacité de la méthode. Son efficacité n'a jamais été démontrée dans la documentation et les études que j'ai vues.
C'est tout ce que j'avais à dire, monsieur le président.
 (1210)
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee: Je vous remercie.
J'aimerais poursuivre le débat sur le profilage ou le ciblage. Un cas particulier sur lequel on a attiré à mon attention en tant que député est instructif, parce qu'il montre la difficulté qui nous attend.
Un commettant que je connais depuis très longtemps—nous l'appellerons pour les besoins de la cause Thomas, mais ce n'est pas son vrai nom—m'a appelé un jour et m'a dit : « Je crois que je suis suivi par le SCRS ». « Ça ne va pas », lui ai-je dit, « il n'y a pas de raison pour qu'on te prenne en filature ». Nous avons donc parlé un peu des détails, puis je lui ai dit : « Si tu as un problème, appelle-moi ». « Oui », a-t-il répondu, « mais il y a cette fourgonnette garée un peu plus loin dans la rue et ça ne me dit rien de bien ». Quoi qu'il en soit, ce chercheur, enseignant et consultant en biologie venait de l'étranger, d'un pays publiquement reconnu comme source de terrorisme ou facilitant celui-ci. Quelques semaines plus tard, j'ai reçu un appel de Thomas qui m'a dit : « Le SCRS est venu me voir ». Je lui ai rétorqué : “Tu rigoles? » Et il m'a répondu : “Oui, ils sont venus me voir », puis il s'est expliqué.
Voici ce qui s'est passé. Cet homme habite au Canada depuis 15 ou 20 ans. Il se rend en Europe pour assister à une conférence technique sur la biologie du poisson. Il y rencontre un ami avec lequel il était lié durant ses études secondaires et universitaires, un ami qui vient du même pays reconnu comme exportateur et soutien de terrorisme. Son vieil ami d'université est un ministre au sein du gouvernement au pouvoir. Il s'avère que le gouvernement, et le ministre en question de même que d'autres personnes, sont à ce moment-là inscrits sur la liste internationale des personnes et entités à surveiller. Pendant qu'il assiste à la conférence, il rencontre par hasard son vieil ami et, de fil en aiguille, ils finissent par aller dîner ensemble et se quittent en se promettant de se revoir. Quoi qu'il en soit, mon commettant est depuis lors rentré au Canada et il fait l'objet de surveillance. Le SCRS lui a rendu visite en fin de compte. Après avoir fait de la surveillance, il a décidé qu'il n'y avait pas grand-chose à noter, de sorte qu'un agent est allé rendre visite à Thomas et lui expliquer ce qui se passait.
Il aurait été ciblé légitimement par le SCRS pour une raison légitime : le fait qu'il ait lui, originaire de ce pays et qui connaît la personne dont le nom figure sur la liste des personnes à surveiller, rencontré cette personne dans une ville européenne. Il a été heureux d'apprendre que le dossier était clos. Il a été heureux que la dame du SCRS soit venue le rencontrer et en discuter avec lui. La fourgonnette a depuis disparu.
Voilà un exemple de la façon dont le SCRS tient compte des origines nationales. Ce n'était pas tant l'origine nationale que la possibilité de liens entre mon commettant et un éventuel complot , d'éventuels mouvements d'argent ou d'autres formes de soutien du terrorisme. Je n'ai pas de solution à offrir à ce genre d'opération, à moins que l'un de vous n'en ait. L'opération était tout à fait légitime. Je ne vais pas mentionner le pays d'origine, mais si je le faisais, vous sauriez tous exactement de quoi je parle. Ce n'était pas le pays d'origine qui était à la base de tout cela, mais il y avait un rapport avec son pays d'origine et les gens qu'il y connaissait.
M. Joe Comartin: Ou ce qu'il a fait.
M. Derek Lee: Il n'a rien fait, mais on s'interrogeait sur ce qu'il aurait pu être en train de faire. Quoi qu'il en soit, j'aimerais savoir si les témoins ont quelque chose à dire à ce sujet.
M. David Matas: J'ai effectivement quelque chose à dire à ce sujet.
Je fais constamment l'objet d'enquêtes pour éventuel terrorisme. Il y en a eu une à mon arrivée au Canada; on m'a fouillé, on a fouillé tous mes bagages. Il y en a eu une autre quand je suis parti de Winnipeg pour m'établir à Ottawa; encore une fois, il a fallu que je passe par un contrôle de sécurité. Je n'y vois pas d'inconvénient. En fait, je m'en réjouis parce que je sais ainsi qu'on cherche à prévenir les actes terroristes. Le simple fait que vous ayez à vider vos poches, à faire vérifier votre ordinateur ou à faire peut-être l'objet d'une surveillance pendant un certain temps, montre qu'on cherche à repérer d'éventuelles menaces terroristes. Je trouve cela rassurant, plutôt qu'alarmant ou menaçant.
Il faudrait que les gens acceptent jusque dans une certaine mesure le fait que la vigilance au sujet du terrorisme est utile plutôt que nuisible et on ne devrait pas affirmer qu'on agit mal simplement parce qu'on effectue certaines enquêtes et recherches en vue de prévenir le terrorisme.
 (1215)
Imam Elmenyawi: Oui, j'estime que le SCRS et la GRC ont d'excellents agents bien formés qui sont capables d'établir les liens entre ces dossiers et l'acte comme tel et de déterminer qui en sont le plus proches.
Par contre, quand il est question de terrorisme islamique—je déteste utiliser le mot « islamique »; j'aimerais mieux parler de terrorisme musulman ou utiliser un autre terme du même genre—, ils connaissent mal l'islam. Ils mélangent le bon grain et l'ivraie. Ils sont obligés d'avoir recours à un plus grand nombre de personnes qui utilisent beaucoup plus de ressources pour obtenir certains renseignements.
Voilà qui pourrait nuire considérablement à nos besoins, parce que si l'on se concentre sur un seul secteur, un autre nous échappe. Les attaques à la bombe de Londres en étaient un exemple typique. Ce n'était pas le fait de personnes abusant de la liberté de parole, puisqu'elles sont bien connues de la police britannique. Ces personnes n'avaient pas de contact avec ceux qui représentaient un danger pour la société. Elles n'avaient rien à voir avec les auteurs des attentats.
Cela n'a rien à voir avec le discours haineux. Ce n'est pas cela qu'il faut surveiller. Je ne dis pas qu'il faudrait le tolérer, par contre. Il faut faire en sorte que le dossier est monté intelligemment pour savoir qui pourrait commettre un pareil acte. Toutefois, quand la recherche dans ce domaine porte sur des milieux islamiques, nous manquons d'information, et cette information est très importante.
Avec votre permission, j'aimerais vous raconter une anecdote au sujet du renseignement de sécurité datant de 1 400 années, quand les musulmans sont arrivés en Égypte. Ils devaient attaquer. L'armée musulmane comptait environ 4 000 soldats, mais ceux-ci estimaient être trop peu nombreux pour envahir l'Égypte. Leurs dirigeants leur ont dit que des renforts étaient exclus et qu'il fallait passer à l'attaque.
Les agents de renseignement égyptiens les surveillaient. Les musulmans avaient l'habitude, avant le début des combats, de se nettoyer les dents avec une espèce de brosse ressemblant à un stylo auquel étaient fixées des tiges de bois. Ils ont commencé à se laver, à prier et à se brosser les dents. Les agents de renseignement égyptiens qui les épiaient croyaient qu'ils s'aiguisaient les dents pour mieux dévorer leurs adversaires. Donc, beaucoup d'Égyptiens ont pris la fuite. En réalité, un accord est survenu dans le cadre duquel l'armée est entrée paisiblement en Égypte sans avoir à trop combattre. Tout cela en raison de la méconnaissance d'une culture. À l'époque, c'était une nouvelle culture pour les Égyptiens, qui n'avaient rien pour se brosser les dents.
Il est donc très important de savoir ce qu'on fait. Vous allez là-bas, vous mélangez le bon grain et l'ivraie, le musulman pratiquant avec l'autre qui fait sa propre interprétation du Coran.
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Lee, avez-vous d'autres questions? Je pourrais laisser M. Maloney, qui a quelques petites questions à poser, utiliser le temps qui vous reste.
M. Derek Lee: Cela me va.
M. John Maloney: J'ai une question pour M. Freiman et aussi pour M. Matas.
Vous avez parlé des certificats de sécurité et laissé entendre que leur renouvellement devrait être approuvé par le Parlement. Quels sont les éléments que je devrais considérer, en tant que parlementaire, pour régler cette question? Quelle est votre opinion à ce sujet?
M. Mark Freiman: Je ne sais pas au juste ce que vous me demandez. À ce moment-ci, ce n'est pas nécessaire. Il n'y a aucune disposition de réexamen. Nous vous demandons instamment d'en instaurer une pour qu'on puisse faire une évaluation périodique.
Au nom du Congrès juif canadien et en mon nom personnel, je vous dirais que la meilleure façon de protéger nos libertés civiles, c'est au travers de l'interprétation que fait la Cour suprême du Canada de la Charte canadienne des droits et libertés.
Nous avons une confiance absolue dans la capacité de la Cour à appliquer la Charte de façon juste. Comme tous ceux qui s'expriment sur le sujet le savent, les droits ne sont pas absolus, et permettre d'outrepasser ces droits n'est pas une solution au problème. Dans chaque cas, il convient d'analyser la Charte. Les droits garantis par la Charte dont il est question sont tous assujettis à des limites raisonnables prescrites par une règle de droit et leur justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique.
La meilleure façon d'évaluer les certificats de sécurité est de les contester devant les tribunaux et qu'un groupe de juges impartiaux, indépendants et très respectés décide si les fins du gouvernement ont justifié les moyens qu'il a utilisés en instaurant les certificats de sécurité. Si les tribunaux concluent que ces derniers sont justifiés et qu'ils ne violent pas les libertés civiles, cela nous suffit. C'est ainsi qu'on devrait procéder, plutôt que de préjuger du problème et de décider prématurément que ce genre de choses est intolérable, à la lumière de la Charte. Elles peuvent être conformes à la Charte; et c'est le rôle des tribunaux de nous montrer comment trouver un juste équilibre et où tracer la ligne.
 (1220)
M. John Maloney: Est-ce que les autres experts veulent faire un commentaire?
M. David Matas: Oui. J'aurais plusieurs recommandations à faire. Aucune d'elles ne se retrouve dans le mémoire du B'nai Brith.
C'est un problème dont la Cour suprême du Canada a décidé de s'occuper. Il s'agit d'une question complexe. Si vous me demandiez mon avis, je vous suggérerais d'attendre le jugement de la Cour suprême du Canada avant de présenter un projet de loi. Je recommanderais cependant quelques modifications à la loi, advenant le cas où la Cour jugeait que tout va bien et que la loi peut continuer à s'appliquer comme telle.
Une de ces modifications consisterait à offrir la possibilité de divulguer des renseignements sous une forme ou une autre — une préoccupation soulevée par M. Ménard —, soit par l'entremise d'un amicus curiae, soit directement à l'avocat suite à une entente de confidentialité. En outre, je pense que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité devrait pouvoir examiner les certificats de sécurité, comme il le faisait sous l'ancienne loi. On lui a retiré ce pouvoir dans la nouvelle loi et, selon moi, c'est une erreur. Les gens devraient avoir droit à des interrogatoires pour leur permettre de poser des questions. Le gouvernement pourrait y répondre ou attendre une décision des tribunaux sur ces questions, qu'elles soient confidentielles ou non.
Monsieur Zed, j'ai vu que vous vous êtes rassis quand j'ai sorti ma liste. Comme vous pouvez le constater, celle-ci est plutôt longue et j'en ai lu seulement une partie. Je me rends compte que nous disposons de peu de temps et j'apprécie l'intérêt que M. Maloney y porte, mais vous semblez vouloir conclure. Peut-être que la meilleure chose à faire serait de lui envoyer quelque chose par écrit.
Le président: Cela nous aiderait beaucoup. Vous décodez mon langage corporel, mais je dois vous dire qu'un de nos collègues a demandé à poser une courte question...
M. John Maloney: M. Elmenyawi souhaite faire un commentaire.
Imam Elmenyawi: Les victimes d'actes terroristes perdent le droit à la vie, mais cela ne signifie pas pour autant que nous devrions laisser quiconque perdre ses droits sans raison, parce que cela voudrait dire que nous serions aussi coupables de crime. Nous ne parlons pas des criminels poursuivis, il existe des lois pour cela, mais des innocents qui perdent leurs droits.
Il y a aussi la très sérieuse question de l'apparence de justice sur laquelle s'interrogeait, je crois, un peu plus tôt M. Ménard. S'il est très difficile pour la communauté musulmane de collaborer avec le SCRS et la GRC, c'est justement parce qu'il n'y a pas d'apparence de justice; les membres de la communauté sont terrifiés. Ils craignent d'être accusés à tort et d'être trouvés coupables sans même connaître les charges qui pèsent contre eux. Tout peut être complètement faux, comme l'était d'ailleurs la carte donnée par le gouvernement canadien... En fait, cet homme a été torturé en Égypte et en Syrie à cause de cette carte.
C'est très sérieux, et le fait d'avoir un avocat ou un intervenant désintéressé... J'ai ici un article qui traite d'une question très semblable. Il concerne un certain Ian Macdonald. Ce monsieur avait été nommé pour siéger au tribunal spécial d'appel de l'immigration à Londres, en Angleterre. Il a démissionné. Je vais juste vous livrer les conclusions finales, la dernière phrase, après qu'il a écrit un article complet pour expliquer pourquoi cela ne fonctionne pas. Vous voulez examiner les preuves. N'importe quel avocat sait que pour vérifier la véracité des preuves, il faut procéder à un contre-interrogatoire et que la personne qui se défend doit connaître la nature des charges qui pèsent contre elle et en informer son avocat, expliquer sur quoi repose sa défense et les raisons pour lesquelles les preuves avancées sont fausses. Il a déclaré :
J'ai maintenant le sentiment que quoi que je puisse changer de l'intérieur, en tant que conseiller spécial, passe après une ordonnance judiciaire, laquelle est fondamentalement viciée et contraire à nos notions de justice les plus profondes. Mon rôle a été changé pour accorder une fausse légitimité à une décision de détention indéfinie sans qu'aucune accusation, criminelle ou autre, ne soit portée ni qu'il y ait quelque jugement que ce soit. Je trouve cela inacceptable. |
Il a conclu en disant : « Ce genre de loi constitue une tâche indélébile dans notre système juridique et pour des raisons de conscience, je considère que je dois démissionner ».
Cela prouve clairement que cela ne peut pas fonctionner; c'est tout simplement irréalisable. Nous devons faire des changements profonds. Peu importe le nombre de juristes qui considèrent que cette loi est bonne; si les gens ont la perception que justice ne sera pas rendue, nous allons tous y perdre.
 (1225)
Le président: Vos deux minutes se sont changées en quatre. Je ne suis pas un très fin négociateur.
Monsieur Comartin, je vous laisse poser une dernière question rapidement puis nous suspendrons la séance.
M. Joe Comartin: Monsieur Elmenyawi, j'ai aussi cette lettre, et je pense que d'autres témoins auront des choses à dire là-dessus cet après-midi.
Monsieur Matas, le Congrès juif canadien a présenté une proposition spécifique au sujet des institutions religieuses. Récemment, et au cours de la dernière année, il y a eu des incidents très fâcheux à Windsor, et des résidences appartenant à des personnes de la communauté juive ont été visées. Je me demandais si vous aviez envisagé d'étendre la définition à la résidence d'un rabbin, par exemple, ou d'autres membres de la congrégation, d'enseignants, de médecins qui travaillent dans ces institutions, en raison de la situation que nous avons connue à Windsor.
M. David Matas: Actuellement, l'infraction est un méfait contre un lieu de culte. Nous proposons que cela s'étende à toutes les institutions, organisations ou bâtisses ayant un lien quelconque avec des activités religieuses. Ce dont vous parlez, c'est de résidences privées, mais il est évident que dans certains cas, la personne est visée en raison de ses croyances religieuses et que la propriété comme telle n'est en aucune façon liée... En ce qui me concerne, j'inclurai les maisons qui appartiennent à des congrégations et sont données à des rabbins. Mais si quelqu'un est visé simplement parce que... Disons que si quelqu'un vandalise ma maison ou celle d'un enseignant de l'une de ces écoles... Selon moi, il serait facile d'y remédier en appliquant des peines plus sévères car le Code criminel prévoit que si l'acte perpétré est motivé par la haine, la sentence peut être plus dure. Cela pourrait donc fonctionner.
Je suggère également, étant donné que nous parlons ici d'incitation au terrorisme, de changer la loi pour garantir la même protection qui existe dans le cas de l'incitation à la haine pour l'incitation au terrorisme. Si un acte terroriste est motivé par la haine, la loi qui s'applique et les lignes directrices en matière de détermination des peines devraient être les mêmes.
Le président: Je vous remercie, messieurs Freiman, Elmenyawi et Matas. Nous avons grandement apprécié votre participation et vos témoignages aujourd'hui. En outre, je remercie d'avance ceux qui ont dit qu'ils nous enverraient des documents supplémentaires.
Le greffier m'indique que la séance reprendra à 13 h 30.
Merci.