SNSN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité de la Sécurité publique et nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 20 septembre 2005
· | 1335 |
Le président (M. Paul Zed (Saint John, Lib.)) |
Mme Kathy Vandergrift (directrice des politiques, Vision mondiale Canada) |
· | 1340 |
· | 1345 |
Le président |
M. Peter Broder (conseiller général et directeur, Affaires réglementaires, Imagine Canada) |
· | 1350 |
Le président |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC) |
· | 1355 |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Peter Broder |
¸ | 1400 |
M. Kevin Sorenson |
M. Peter Broder |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Kevin Sorenson |
Mme Kathy Vandergrift |
Le président |
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ) |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Serge Ménard |
¸ | 1405 |
M. Peter Broder |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Serge Ménard |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Serge Ménard |
Mme Kathy Vandergrift |
¸ | 1410 |
M. Serge Ménard |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Serge Ménard |
Mme Kathy Vandergrift |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
M. Peter Broder |
M. Joe Comartin |
Mme Kathy Vandergrift |
¸ | 1415 |
M. Joe Comartin |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Peter Broder |
M. Joe Comartin |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Joe Comartin |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Joe Comartin |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Peter Broder |
M. Joe Comartin |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Joe Comartin |
¸ | 1420 |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.) |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Derek Lee |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Derek Lee |
M. Peter Broder |
M. Derek Lee |
¸ | 1425 |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Derek Lee |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Derek Lee |
Mme Kathy Vandergrift |
M. Derek Lee |
Le président |
¹ | 1510 |
Le président |
M. John Maloney (Welland, Lib.) |
Le président |
M. John Maloney |
Le président |
M. Alan Borovoy (avocat, Association canadienne des libertés civiles) |
¹ | 1515 |
¹ | 1520 |
Le président |
M. Tony Campbell (directeur général par intérim, Association canadienne pour l'étude de la sécurité et du renseignement) |
¹ | 1525 |
¹ | 1530 |
Le président |
M. Craig Forcese (professeur de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel) |
¹ | 1535 |
¹ | 1540 |
Le président |
M. David Gollob (vice-président, Affaires publiques, Association canadienne des journaux) |
¹ | 1545 |
Le président |
M. Peter MacKay (Nova-Centre, PCC) |
¹ | 1550 |
M. David Gollob |
M. Peter MacKay |
M. Alan Borovoy |
M. Peter MacKay |
M. Craig Forcese |
¹ | 1555 |
M. Peter MacKay |
M. David Gollob |
M. Peter MacKay |
M. David Gollob |
Le président |
M. Craig Forcese |
M. Peter MacKay |
Le président |
M. Peter MacKay |
M. Tony Campbell |
º | 1600 |
Le président |
M. Alan Borovoy |
Le président |
M. Alan Borovoy |
M. Peter MacKay |
Le président |
M. Serge Ménard |
º | 1605 |
M. Tony Campbell |
M. Serge Ménard |
º | 1610 |
M. Tony Campbell |
M. Serge Ménard |
M. Tony Campbell |
M. Serge Ménard |
º | 1615 |
M. David Gollob |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. Tony Campbell |
º | 1620 |
M. Joe Comartin |
M. Alan Borovoy |
M. Joe Comartin |
M. Alan Borovoy |
º | 1625 |
M. Joe Comartin |
M. Craig Forcese |
M. Joe Comartin |
M. Craig Forcese |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. Derek Lee |
M. Alan Borovoy |
º | 1630 |
M. Derek Lee |
M. Alan Borovoy |
M. Derek Lee |
M. Alan Borovoy |
M. Derek Lee |
M. Alan Borovoy |
M. Derek Lee |
Le président |
M. John Maloney |
º | 1635 |
M. Alan Borovoy |
M. John Maloney |
M. Tony Campbell |
M. John Maloney |
M. Tony Campbell |
º | 1640 |
Le président |
M. Peter MacKay |
M. Alan Borovoy |
M. David Gollob |
M. Peter MacKay |
M. David Gollob |
º | 1645 |
Le président |
M. Derek Lee |
M. Alan Borovoy |
M. Derek Lee |
Le président |
M. Joe Comartin |
Le président |
º | 1650 |
M. Derek Lee |
Le président |
M. Serge Ménard |
Le président |
Le greffier du comité (M. Wayne Cole) |
Le président |
CANADA
Sous-comité de la Sécurité publique et nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
|
l |
|
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|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 20 septembre 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
· (1335)
[Traduction]
Le président (M. Paul Zed (Saint John, Lib.)): La séance est ouverte.
Bonjour, mesdames et messieurs. Merci à nouveau, chers collègues, d'être revenus à Ottawa une semaine à l'avance pour ces deux jours d'audiences parlementaires extraordinaires du Sous-comité de la sécurité publique et nationale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile.
Cet après-midi, nous accueillons deux groupes. Mme Kathy Vandergrift, directrice des politiques de Vision mondiale Canada, va prendre la parole en premier, puis ça sera au tour de M. Peter Broder, conseiller général d'Imagine Canada. Bienvenue.
Nous commencerons par vos remarques liminaires pour ensuite passer aux questions. Allez-y.
Mme Kathy Vandergrift (directrice des politiques, Vision mondiale Canada): Tout d'abord, au nom de Vision mondiale Canada, nous vous savons gré de l'occasion qui nous est offerte de participer à l'examen de la Loi antiterroriste du Canada et de formuler quelques propositions pour l'avenir.
À titre d'un des principaux organismes de secours et de développement au Canada, Vision mondiale compte plus de 50 ans d'expérience dans les secours humanitaires. Ayant à l'origine secouru les orphelins de la guerre de Corée, nous sommes maintenant présents sur tous les continents. Nous atténuons les souffrances causées par des actes de terrorisme et soutenons des efforts efficaces pour mettre un terme à pareils actes et les prévenir.
Par ailleurs, notre expérience confirme que faire la promotion du respect des droits de la personne et d'un traitement équitable pour tous est essentiel à la sécurité à long terme. Sans justice, la sécurité n'est qu'un vain mot.
Dans le cadre de son action humanitaire, Vision mondiale se conforme à plusieurs normes internationales de bonnes pratiques, comme le Code de conduite de la Croix-Rouge internationale et les Normes minimales de Sphère, qui ont été conçus de façon coopérative par les organismes humanitaires et les gouvernements donateurs.
Il nous apparaît qu'obliger les organismes de bienfaisance à se conformer à des normes de conduite internationales reconnues constitue une manière plus efficace de régir l'action humanitaire que de les assujettir à une législation antiterroriste.
Vision mondiale partage nombre des préoccupations soulevées par d'autres ONG relativement aux impacts de la loi canadienne. C'est d'ailleurs par crainte des effets de la loi que nous avons contribué à la création de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Je m'en tiendrai aujourd'hui à trois préoccupations et trois recommandations qui portent directement sur le travail que nous effectuons à titre d'organismes humanitaires.
D'abord, la définition et les critères de conformité ne sont pas suffisamment clairs. Ce n'est pas la première fois qu'on vous fait part de cette inquiétude. Je me contenterai donc de faire état de cinq facteurs de grave préoccupation : le manque de clarté dans la définition, la portée, qui est trop étendue, l'inclusion des activités indirectes, les activités involontaires et l'absence de disposition faisant état des processus à suivre pour démontrer qu'on se conforme à la loi. Nous reprenons ces facteurs de façon détaillée dans notre mémoire.
Je me demande parfois combien de députés, à l'époque de l'adoption de la loi, ont essayé de déterminer, en fonction de la définition, quelles activités seraient légitimes et lesquelles seraient illégitimes. En tout cas, ce qu'il y a de sûr, c'est que Vision mondiale, à titre d'organisme qui travaille sur le terrain, a beaucoup de mal à comprendre ce qu'on nous demande de faire pour démontrer qu'on se conforme à la loi.
J'ajouterai que la loi laisse trop de place à des jugements arbitraires de la part d'agents de l'Agence du revenu du Canada, qui ne connaissent rien du secteur des secours humanitaires. Voilà pour ce qui est du manque de clarté de la définition.
J'aimerais aussi faire valoir que les effets de la loi sont tout à fait contraires aux objectifs visés. Si un organisme comme Vision mondiale adoptait l'interprétation la plus large possible de la loi, il mettrait un terme à beaucoup de ses activités dans les pays où sévit le terrorisme. Et pourtant, nous somme d'avis que c'est en venant en aide aux populations et en incitant les communautés à se doter de bons gouvernements qu'on empêche le terrorisme. Nous pensons donc que la loi décourage les activités qui permettent de contrer le terrorisme. On fait en fait référence à ce qu'on appelle l'effet refroidisseur de la loi sur les ONG.
Nous exhortons le comité à examiner soigneusement les moyens par lesquels la loi peut en fait faire obstacle à des activités susceptibles de contribuer à la lutte contre le terrorisme. Une bonne loi devrait être assez claire pour favoriser les activités souhaitables aussi bien que dissuader quiconque souhaite s'adonner à des activités qui appuient le terrorisme.
J'aimerais maintenant parler des dispositions relatives à l'application régulière de la loi. Vision mondiale reconnaît la nécessité de la reddition de comptes pour garantir que les ressources sont utilisées par les personnes qui en ont besoin. Nous devons rendre des comptes à plus de 400 000 donateurs individuels au Canada qui soutiennent notre travail, donateurs qui veulent s'assurer que leur argent est dépensé à bon escient. Nous devons également rendre des comptes à des organismes internationaux, comme le Programme alimentaire mondial, lorsque nous distribuons leurs vivres ou encore le HCNUR lorsque nous collaborons avec cet organisme. Il en va de même pour l'ACDI, qui a choisi de s'allier à nous parce qu'elle sait que nous sommes enracinés dans les collectivités locales et que nous sommes bien placés pour aider les gens qui en ont besoin.
· (1340)
Nous accordons beaucoup d'importance à la reddition de comptes dans le cadre de notre travail, et assumons pleinement cette responsabilité. Mais nous sommes très préoccupés par les dispositions de la Loi antiterroriste qui prévoient qu'un organisme peut se voir refuser le statut d'organisme de bienfaisance ou voir son statut d'organisme de bienfaisance révoqué par suite d'accusations portées contre lui par un tiers, sans possibilité raisonnable de connaître la nature des accusations et de présenter une défense dans le cadre d'un processus impartial. Cela est particulièrement vrai lorsque les allégations peuvent être formulées par des parties qui prennent part aux conflits qui sévissent dans les zones où nous sommes présents.
Nous vous demandons de vous intéresser précisément à ces dispositions. Révoquer le statut d'une organisation, c'est signer son arrêt de mort, parce que son succès repose sur sa bonne réputation. À notre avis, il faudrait qu'en vertu du principe d'application régulière de la loi, un organisme impartial entende le point de vue de toutes les parties lorsque des allégations sont faites contre un organisme de bienfaisance et rende un jugement sur la validité des accusations avant que des mesures punitives ne soient prises et ne puissent détruire rapidement la réputation de l'organisme en question. Nous sommes d'avis que le comité devrait s'assurer que les lois du Canada sont conformes aux principes bien établis de la justice naturelle et de l'équité procédurale.
Enfin, je voudrais signaler quelque chose dont on parle moins souvent, la cohérence de la loi par rapport aux autres politiques et, plus précisément, l'Accord entre le gouvernement du Canada et le secteur bénévole et communautaire. Je ne sais pas qui parmi vous sait que le gouvernement a signé un accord qui définit ses liens avec le secteur bénévole. La Loi antiterroriste ne respecte pas l'accord conclu par le gouvernement.
Dans l'accord, on retrouve l'obligation mutuelle de rendre compte et le principe de la collaboration dans l'élaboration des politiques applicables au secteur. Dans ce contexte, nous estimons qu'il serait possible de collaborer avec les organisations humanitaires afin de concevoir un cadre mutuel pour la reddition de comptes. Ce n'est pas la reddition de comptes qui nous pose problème, mais plutôt l'approche prônée dans le texte législatif.
Je répète que le facteur le plus important, c'est le fait que les dispositions de la loi en vigueur risquent d'étouffer les activités qui sont pourtant essentielles pour contrer le terrorisme. Les bonnes démocraties, qui sont d'ailleurs le meilleur antidote contre le terrorisme, se construisent par l'accroissement de la capacité de la société civile à s'engager dans la vie publique et à rechercher le changement par des moyens pacifiques.
Le Canada vient tout juste d'adopter un nouvel énoncé de politique internationale dans lequel on prône une plus grande cohérence entre les ministères et un renforcement de la démocratie et des droits de la personne. Mais on peut dire que la Loi antiterroriste, sous sa forme actuelle, ne respecte pas la logique de l'énoncé de politique internationale du gouvernement. Si c'est vraiment la cohérence au niveau de la politique internationale qu'on recherche, les dispositions régissant les organismes caritatifs doivent refléter davantage la notion d'encouragement et celle des mécanismes de reddition de comptes mutuellement acceptés.
Je terminerai rapidement en formulant trois recommandations. Premièrement, des définitions et des critères de conformité plus précis devraient être élaborés pour distinguer entre l'engagement positif de la part des organismes de bienfaisance dans des situations où l'activité terroriste représente un risque élevé et l'activité qui appuie clairement le terrorisme. Pour l'instant, la loi n'est pas claire à cet égard.
Deuxièmement, les principes de la justice naturelle, comme l'application régulière de la loi et l'équité procédurale, devraient s'appliquer lorsque des allégations sont faites au sujet des activités des organismes de bienfaisance, surtout quand ces allégations sont formulées par des protagonistes du conflit.
Troisièmement, le comité devrait recommander l'élaboration d'une stratégie et de dispositions juridiques qui encourageraient les activités du secteur bénévole renforçant le respect des droits de la personne et édifiant de solides démocraties dans des situations où le terrorisme représente une menace.
Merci.
· (1345)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Broder, allez-y.
M. Peter Broder (conseiller général et directeur, Affaires réglementaires, Imagine Canada): Bonjour, monsieur le président, membres du comité.
Nous vous remercions de nous avoir invités aujourd'hui à vous faire part de nos vues sur la Loi antiterroriste et ses effets sur les organismes caritatifs.
Imagine Canada, avec ses 1 200 membres, est le plus grand groupe de coordination du Canada ayant pour mandat de défendre les intérêts des organismes caritatifs et des organisations à but non lucratif. Sa fondation résulte de la fusion du Centre canadien de philanthropie et du Regroupement des organisations nationales bénévoles.
Comme vous trouverez nos recommandations dans notre mémoire, je vais prendre le temps qui m'est alloué aujourd'hui pour vous donner un aperçu des objections que nous inspire la loi actuelle, objections qui rejoignent tout à fait celles de Mme Vandergrift.
Le secteur caritatif du Canada, qui regroupe 81 000 organisations, est largement tributaire de la confiance de la population et peut s'enorgueillir d'avoir contribué utilement au fil des ans au bien-être économique, social, culturel et écologique du pays. Mais les organisations caritatives du Canada évoluent dans un milieu où les demandes dépassent souvent les ressources disponibles. Les organismes de bienfaisance, particulièrement ceux de taille modeste, comptent beaucoup habituellement sur le travail de bénévoles et les dons.
Dans ce contexte, les dispositions législatives visant les organismes caritatifs qui ont pour effet de miner la confiance du public ou de leur imposer un fardeau réglementaire trop lourd risquent de causer un tort irréparable à ce secteur et d'handicaper l'efficacité de ces groupes. Étant donné la portée des dispositions de la Loi antiterroriste et l'absence de définition pour des termes comme « soutenir » et « faciliter », nous croyons que tous les organismes caritatifs du Canada pourraient être visés par la loi, et pas seulement ceux qui sont actifs à l'étranger ou qui ont des liens de ce côté.
Imagine Canada, tout comme Vision mondiale, est favorable à une loi raisonnable et proportionnée qui interdirait l'utilisation des organismes de bienfaisance pour soutenir le terrorisme ainsi que le détournement des dons de charité vers des activités illicites. La loi actuelle, en particulier la partie 6 de la Loi antiterroriste, n'atteint pas cet objectif. Nous croyons au contraire que la loi décourage les activités de bienfaisance légitimes et impose aux organismes caritatifs des obligations impossibles à satisfaire. La loi véhicule aussi cette fausse impression que les organismes de bienfaisance sont au coeur d'activités illicites, chose qui n'a jamais été prouvée.
Dans le témoignage qu'elle a donné plus tôt cette année, l'Agence du revenu du Canada a fait savoir que le statut d'organisme de bienfaisance n'avait été refusé à aucune organisation, et qu'aucune n'avait perdu son statut du fait des procédures relatives au certificat de sécurité que l'on retrouve à la partie 6 de la loi. Il y a donc lieu de se demander si les lois que nous avons ne suffisent pas déjà à traiter les allégations visant des organismes caritatifs qui auraient des liens avec le terrorisme. En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, tout organisme de bienfaisance peut perdre son statut si ses activités ne sont pas exclusivement caritatives. De même, on peut toujours invoquer le Code criminel pour réprimer le financement du terrorisme.
D'après une étude exhaustive menée récemment sur le secteur à but non lucratif et les organisations bénévoles du Canada, plus de la moitié de ces groupes n'ont aucun personnel rémunéré et les organisations de taille plus modeste dépendent beaucoup plus des dons du public que les grandes organisations, ce qui fait que ces groupes sont plus vulnérables lorsque le public perd confiance. Normalement, les organismes caritatifs n'ont pas les ressources voulues pour satisfaire des exigences réglementaires qui n'en finissent plus, et n'ont pas non plus les moyens financiers qu'il faut pour retenir les services d'un avocat capable de les conseiller régulièrement dans ce domaine.
En vertu de la Loi antiterroriste, une organisation n'est pas obligée de savoir qu'elle est associée au soutien à un groupe terroriste ou au financement d'une activité terroriste, ou qu'on veut l'y associer, pour enfreindre la loi. De même, il n'existe aucune disposition prévoyant une défense basée sur la diligence raisonnable dans les cas où l'organisation a pris des mesures raisonnables pour s'assurer qu'elle n'était pas ou qu'elle ne serait pas utilisée pour soutenir ou financer le terrorisme.
Les organismes de bienfaisance qui font savoir volontairement qu'ils ont enfreint la loi par inadvertance ne sont nullement protégés par la loi. Il devrait suffire à un organisme de bienfaisance accrédité d'avoir déployé des efforts raisonnables pour s'assurer qu'il n'est pas associé à son insu à un groupe ou une activité terroriste. Tout le monde s'attend à ce que les organismes caritatifs consacrent toutes leurs ressources à leurs activités et non à l'administration, car les ressources dont ils disposent pour financer les frais généraux sont habituellement très limités.
Lorsque le tsunami a frappé l'Asie, on a bien vu dans quel dilemme la loi actuelle place les organismes de bienfaisance qui se sont chargés d'apporter une aide humanitaire. Au Sri Lanka et en Indonésie, des entités que l'on considère comme étant des organisations terroristes étaient actives dans les régions de ces pays qui avaient besoin de secours. Si l'on en croit la loi actuelle, les organismes de bienfaisance accrédités qui venaient en aide à ces régions risquaient de perdre leur statut si une partie du matériel qu'ils fournissaient était utilisée par les entités terroristes actives dans ces régions. C'est là un exemple très concret des difficultés que posent les dispositions trop vagues de la loi.
· (1350)
Il est extrêmement important pour le gouvernement d'interdire le financement du terrorisme et d'empêcher que les dons de charité ne servent à des activités illégales. Cependant, dans la poursuite de ces objectifs, les dispositions de la Loi antiterroriste imposent des exigences déraisonnables et disproportionnées aux organismes caritatifs. Une loi plus précise permettra au législateur de traiter des préjudices légitimes et d'atténuer les effets négatifs que la loi a en ce moment sur l'action des organismes de bienfaisance.
Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président: Merci beaucoup, madame Vandergrift et monsieur Broder.
Monsieur Sorensen, s'il vous plaît.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Il est sûr que nous apprécions au plus haut point le travail de vos organisations. Je sais qu'au cours des dernières semaines, ayant vu ce qui s'est passé à la Nouvelle-Orléans et, comme vous l'avez mentionné vous-même, avec le tsunami qui a frappé l'Asie...mon dieu, je ne saurais vous dire à quel point il est bon d'avoir des gens comme vous qui disent, comment pouvons-nous vous aider, comment pouvons-nous nous rendre là-bas le plus vite possible? Vous représentez tous les deux des organisations qui, à mon avis, sont respectées et appréciées, pas seulement dans notre pays mais ailleurs dans le monde aussi.
Vous soulevez un point intéressant. Lorsqu'un désastre a lieu, ce n'est pas seulement Vision mondiale, Samaritan's Purse, ou d'autres organisations qui vont sur place; il y a d'un côté les forces du bien, et il y a aussi, cela ne fait aucun doute, les forces du mal aussi : les entités terroristes. Même à la Nouvelle-Orléans, on a beaucoup entendu parler du pillage et de tout le reste qui s'est passé. Il est donc bon de savoir comment l'on se sert de ces fonds et de s'assurer qu'on ne va pas mettre en péril tout le bien que nous faisons parce qu'une partie de cet argent aboutit entre les mains de personnes qui ne devraient peut-être pas en recevoir... Je ne peux qu'imaginer la frustration que vous éprouvez, et je sais que vous devez être prudents lorsque vous aidez ces personnes qui sont dans le besoin.
Comment rendre ces organisations davantage comptables pour nous assurer qu'elles ne sont pas instrumentalisées par...je ne parle même pas d'un groupe terroriste, mais il peut s'agir de quelqu'un qui voudrait intentionnellement discréditer l'une de vos organisations en l'infiltrant ou en s'en servant peut-être simplement comme conduit pour cet argent? Ce serait la première partie de ma question.
Je sais bien qu'il ne s'agit pas d'un organisme caritatif, mais prenons le Programme pétrole contre nourriture des Nations Unies. C'est un bel idéal, avec cette nourriture et ce pétrole...et nous avons vu tout ce qui s'est passé. Il ne faut pas salir toutes les Nations Unies à cause d'un programme qui a déraillé, pour ainsi dire. Je ne mentionne pas cela pour m'attaquer à toutes les organisations de bienfaisance; je mentionne cela pour attirer votre attention sur le fait que des organismes caritatifs qui apportent une aide humanitaire sont parfois, intentionnellement ou non, mêlés à la corruption, ce qui a des effets dévastateurs pour les personnes qui doivent profiter de l'aide humanitaire. Comment assurer alors une meilleure reddition de comptes?
Je suis également d'accord avec vous pour dire qu'il y a peut-être trop de place pour l'arbitraire à l'ARC. Il faut plus de clarté de ce côté. Vous pourriez peut-être nous dire simplement quelques mots de plus sur la reddition de comptes et aussi sur l'application régulière de la loi dont vous avez parlé. Comment allons-nous nous assurer que la loi est respectée, et qu'une instance impartiale entend toutes les parties lorsqu'un organisme de bienfaisance est accusé? Si nous devons lui retirer son statut, comment allons-nous nous assurer de l'application régulière de la loi?
· (1355)
Mme Kathy Vandergrift: Pour ce qui est de la reddition de comptes, j'ai dit que l'une des choses qu'il fallait faire, c'était se conformer aux normes internationales qui sont fondées sur les pratiques exemplaires des agences humanitaires oeuvrant de concert avec les gouvernements donateurs. Il existe des exemples de cela, et l'on peut demander aux organismes caritatifs de s'y conformer. Chose certaine, nous tâchons de nous y conformer, et ces pratiques comportent des mesures raisonnables visant à s'assurer que, par exemple, l'aide que nous fournissons parvienne aux bénéficiaires sans discrimination. Nous n'exerçons aucune discrimination lorsque nous venons en aide aux personnes qui sont désespérées.
M. Kevin Sorenson: Ces normes existaient-elles avant le 11 septembre?
Mme Kathy Vandergrift: Oui.
M. Kevin Sorenson: Quand on voit ce qui s'est fait ici avec la Loi antiterroriste, je pense que tout le monde a dit qu'il fallait en faire davantage que ce que nous faisons maintenant. Voici ma question, avec ces normes internationales qui étaient déjà en place et qui étaient déjà respectées... Le Canada est reconnu comme étant un pays—et même nos comités du Sénat ont produit des rapports qui le confirment—où l'on recrute des terroristes mais où l'on recueille également des fonds pour le terrorisme. Donc pour aller plus loin que ce que nous faisions avant le 11 septembre, comment allons-nous nous assurer que l'on rend davantage de comptes?
Mme Kathy Vandergrift: Probablement que la question se pose toujours de savoir s'il existait déjà des lois qui nous permettraient d'intervenir dans les situations où les personnes ont utilisé des fonds illégitimes. Je crois que l'on peut avancer que ces lois existent déjà; il s'agit maintenant de savoir si la police les fait respecter et si les organismes caritatifs se conforment à ces normes.
Je ne suis pas sûre que cette loi supplémentaire était nécessaire, mais si le législateur estime qu'il lui faut une loi supplémentaire pour apaiser les craintes du public, je dirais alors que ces mêmes craintes motivent l'adoption d'une bonne loi. Si cette loi est discréditée à cause d'un incident malheureux, ce qui pourrait se produire avec cette loi trop vague, le public ne respectera pas cette loi. Il s'agit donc de rédiger un bon texte de loi et d'en assurer le respect comme il faut.
Je crois que les erreurs qui ont été commises auparavant étaient attribuables beaucoup plus à la mise en oeuvre des lois qu'aux insuffisances des textes de loi.
Comme on l'a dit, les fonctionnaires de Revenu Canada eux-mêmes ne se sont pas servis de cette loi, mais ce qui s'est passé et qui nous préoccupe, c'est que bon nombre de requérants ne se sont pas rendus jusqu'au bout du processus de demande. Ce fardeau supplémentaire a un effet inhibant. Nous constatons que cela entrave la capacité que nous avons de recruter des membres pour nos conseils d'administration. Cette exigence supplémentaire a un effet inhibant sur les activités des organisations, mais on ne voit pas très bien en quoi cela a accru la reddition de comptes.
Pour ce qui est des jugements arbitraires, comme nous l'avons dit, nous pensons qu'il faut respecter le cours normal de la loi lorsque des allégations pèsent contre un organisme caritatif, et qu'il ne faut pas révoquer le statut de l'organisme sans que celui-ci ait une chance raisonnable d'entendre la preuve qui pèse contre lui et de se défendre devant une instance impartiale. Cela rendrait la procédure beaucoup plus équitable.
M. Peter Broder: Je vais moi aussi répondre à cette question.
Je suis tout à fait d'accord avec ceux qui disent qu'il faut s'en tenir aux normes internationales et s'inspirer de la sagesse des groupes qui travaillent dans ce domaine et qui ont l'expertise voulue.
Il s'agit ici de zones grises, et l'une des lacunes de la loi tient au fait que si une organisation se trouve à enfreindre la loi par inadvertance, rien ne l'incite à aller trouver l'ACDI ou l'Agence de revenu du Canada ou tout autre organisme gouvernemental pour leur dire que ça s'est produit, parce que cette organisation risque de perdre son statut. Si une organisation a enfreint la loi par inadvertance, il devrait y avoir une disposition, particulièrement lorsqu'on entre dans une zone grise où l'on ne sait peut-être même pas qu'on a enfreint la loi, pour que l'on puisse discuter avec le gouvernement pour voir comment l'utilisation de l'aide est respectueuse de la politique du gouvernement canadien.
¸ (1400)
M. Kevin Sorenson: Je vais vous poser une question qui m'intéresse personnellement. Si vous, après avoir envoyé des fonds dans une certaine région, apprenez qu'une partie de cet argent serait peut-être tombée entre de mauvaises mains et qu'il aurait peut-être été utilisé à d'autres fins, les conséquences sont-elles graves si vous ne dites rien? Vous dites que rien ne vous incite à faire de telles révélations parce que vous risqueriez de perdre votre statut d'organisme de bienfaisance. Il faudrait que je relise la loi, mais est-ce que la loi ne prévoit pas une sanction plus grave si vous ne dites rien?
M. Peter Broder: Non.
M. Kevin Sorenson: Rien ne vous incite donc...
Mme Kathy Vandergrift: La définition est tellement vague. Imaginez-vous pour un instant que vous êtes à la place de l'un de ces organismes caritatifs. En vous servant de cette définition, essayez de déterminer quelles activités sont contraires à la loi ou non. C'est une chose très difficile. Et en plus, comme je l'ai dit, la loi ne prévoit aucune défense basée sur la diligence raisonnable. Même si l'on essayait de mettre en place un système quelconque pour démontrer tout cela, cette défense n'existe pas. Nous pourrions donc quand même être victimes d'une allégation faite par quelqu'un d'autre.
Nous pensons que nous mettons en oeuvre les pratiques exemplaires qui s'offrent à nous. Dans de tels cas, lorsque ceux-ci sont portés à notre attention, il est sûr que nous prenons toutes les mesures voulues pour y mettre un terme immédiatement, si nous jugeons qu'une pratique est mal avisée. Bien sûr, si nous faisons affaire avec un donateur, on va poser beaucoup de questions sur ce qui s'est passé, mais c'est surtout une question de prévention. Nous nous donnons beaucoup de mal pour prévenir ce genre de chose.
M. Kevin Sorenson: Nous connaissons tous Vision mondiale, nous avons tous donné à Vision mondiale. Mais il y a eu des moments à Vision mondiale où vous avez dit, arrêtez cela tout de suite.
Mme Kathy Vandergrift: Il est sûr que nous nous interrogeons tout le temps sur nos activités. Cependant, nous assurons également une aide sans discrimination aux personnes qui sont dans le besoin. Donc, lorsque vous oeuvrez dans une situation comme au Sri Lanka, comme au Liban, où le Hezbollah faisait partie de la liste et s'est retrouvé membre d'un gouvernement démocratique du jour au lendemain, il est difficile de savoir qui est un terroriste un jour et qui n'est plus nécessairement un terroriste le lendemain. Je cite dans mon mémoire un rapport rédigé par Droits et Démocratie, un organisme qui est subventionné presque entièrement par le gouvernement, qui dit que certaines de ses activités pourraient être jugées criminelles en vertu de cette loi parce qu'il aide des groupes dans des situations où il y a des activités de ce genre. C'est donc à cela que je fais référence.
La loi ne définit pas clairement ce qui constitue une activité constructive dans une région et ce qui constitue une activité nocive, et il est par conséquent très difficile de travailler avec cette loi. Et parce qu'elle est tellement vague, elle a un effet inhibant. Si l'on voulait vraiment respecter la loi à la lettre, nous ne pourrions probablement pas être présents dans toutes ces régions difficiles du monde. Est-ce que cela constitue un avantage dans la lutte contre le terrorisme? À mon avis, non. Notre organisation a dit qu'elle ferait de son mieux, nous nous conformons aux normes existantes, nous allons tâcher de faire de la prévention, mais nous n'allons pas nous limiter dans l'exécution de notre mandat, qui consiste à aider les gens dans le besoin. Et souvent, ces personnes se trouvent dans les pays où le terrorisme est un risque.
Le président: Merci.
Monsieur Ménard, s'il vous plaît.
[Français]
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ): Avez-vous pris le risque d'écrire une définition?
[Traduction]
Mme Kathy Vandergrift: Si l'on veut rédiger une définition, je propose que l'on mette en place un processus où les organismes caritatifs et le gouvernement définiraient de concert le meilleur régime de reddition de comptes qui soit, si l'on pense que la loi actuelle n'est pas suffisante, pour que nous fassions cela ensemble. C'est ce que je propose.
[Français]
M. Serge Ménard: Je pense que vous reconnaissez que certains organismes ont été créés à titre d'organismes de charité alors qu'ils servaient en fait à amasser de l'argent pour des mouvements terroristes. Je crois que cela a même été fait pour l'IRA, en l'Irlande. Il me semble qu'il doit être assez facile de reconnaître des organismes qui ont été créés simplement afin de servir de couverture pour amasser de l'argent. Le problème est qu'il existe des organismes qui font les deux: une activité terroriste et une activité sociale. Lors du tsunami, justement, on a entendu parler des Tamouls.
¸ (1405)
[Traduction]
M. Peter Broder: Même en marge de cette loi, en droit canadien, un organisme de bienfaisance, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, doit consacrer 100 p. 100 de ses ressources aux activités de bienfaisance. La question ne se pose donc même pas. Si cet organisme n'est qu'une façade, il est évident qu'on peut lui retirer son statut d'organisme de bienfaisance. Et même s'ils ne consacrent qu'une partie de leurs ressources à des activités politiques, au Canada, il est interdit aux organismes caritatifs de se livrer à des activités partisanes, et le fait de soutenir des activités politiques à l'étranger n'est pas non plus reconnu comme étant une activité de bienfaisance. Ces organisations peuvent donc perdre leur statut d'organisme de bienfaisance, même dans le cadre législatif actuel, tout en fait en marge de la Loi antiterroriste, si elles peuvent être identifiées.
Mme Kathy Vandergrift: Je dirai simplement que cela est alors pour moi une question de contrôle bien fait, de bon travail de police, et de respect des lois existantes, et chose certaine, Vision mondiale ne s'oppose pas à cela.
[Français]
M. Serge Ménard: Pourriez-vous me donner des exemples concrets de situations où vous êtes obligés de collaborer sur le terrain avec des organisations illégales, mais qui contrôlent quand même une partie du territoire sur lequel, très souvent, des populations vivent dans la pauvreté?
[Traduction]
Mme Kathy Vandergrift: Je peux sûrement en nommer quelques-uns, mais notre coopération ne va pas jusqu'à appuyer leurs activités. Je ne sais pas si vous savez ce qui se passe dans le nord de l'Ouganda, où l'Armée de résistance du Seigneur a enlevé de nombreux enfants et forcé la population à vivre dans des camps : ils sont 1,6 million dans ce camp.
C'est presque le monde entier qui a totalement oublié les populations du nord de l'Ouganda. Nous sommes l'un des groupes qui a rescapé certains de ces enfants qui avaient été convertis en enfants soldats. Nous les réinsérons dans la société et les rendons à leurs familles. Les membres de l'ARS sont considérés comme des terroristes. Vous pourriez dire, j'imagine, que le fait de reprendre ces enfants nous rend complices des terroristes.
Nous livrons des vivres dans les camps, et pour ce faire, nous devons savoir où sont les terroristes, ce qu'ils font, et quels sont ces mouvements. Nous devons savoir qui sont ces gens. C'est ce qui nous permet de livrer des vivres à des personnes qui sont dans des situations absolument désespérées.
Bien sûr, nous connaissons le terrain. C'est ce qui nous permet de venir en aide à ces gens dans le besoin. C'est une zone grise, et chose certaine, nous prenons tous les moyens voulus pour nous assurer que l'aide alimentaire parvient à destination et n'est pas détournée en chemin, par exemple. Pour faire cela, oui, vous devez savoir qui travaille sur le terrain.
Me permettez-vous de citer un autre exemple? C'est un autre exemple concret. Cette loi ne fait pas mention du terrorisme d'État. Vision mondiale a oeuvré dans le sud du Soudan et, en fait, l'un de nos travailleurs a été tué par une milice associée au gouvernement du Soudan. Cette loi ne fait pas état de cette situation.
Oui, nous travaillons dans des circonstances difficiles qui nous obligent à être adroits et prudents, mais nous devons trouver des moyens pour que l'aide parvienne à destination.
[Français]
M. Serge Ménard: Je n'étais pas député de ce Parlement lorsque la loi a été adoptée. Avez-vous eu l'occasion, à ce moment-là, de donner ces exemples afin qu'on en tienne compte?
[Traduction]
Mme Kathy Vandergrift: Non. Nous avons été invités à témoigner à l'époque, mais les audiences étaient très brèves, et il n'y a pas eu beaucoup de consultation. Nous aimerions que les agences humanitaires soient invitées à la table pour que l'on puisse discuter de ces questions ensemble.
¸ (1410)
[Français]
M. Serge Ménard: Je comprends le rôle très difficile que peut être le vôtre. Après tout, il y a dans ce monde plusieurs gouvernements issus de mouvements terroristes, dont certains que nous respectons maintenant, et qui ont eu à vivre une période lors de laquelle, sur un territoire, des populations étaient dans le besoin.
Pour établir qu'une organisation charitable est une couverture plutôt qu'une véritable organisation charitable contribuant à soulager la misère dans des circonstances difficiles où il y a des combats entre, par exemple, un gouvernement dictatorial et un mouvement illégal, je pense que l'urgence n'est pas aussi grande que lorsqu'on combat le terrorisme. On peut croire qu'il peut y avoir des audiences, que les gens sont convoqués, que vous pouvez venir donner des explications avant qu'une décision ne soit rendue. C'est ce que vous voulez.
Dois-je comprendre aussi que vous voulez que ces audiences soient tenues en privé puisque, si vous devez donner de telles explications, cela affectera la réputation que vous avez auprès de vos donateurs? Est-ce que je vous comprends bien?
[Traduction]
Mme Kathy Vandergrift: C'est exact. J'imagine que ce que nous demandons, c'est qu'il y ait un tribunal impartial quelconque pour entendre la preuve, parce qu'avec le libellé actuel de la loi, des allégations peuvent être portées à l'attention du gouvernement du Canada par les parties qui se trouvent dans les zones de conflit. Parfois, quand nous travaillons dans des zones de conflit, il y a des acteurs sur place qui préféreraient ne pas nous y voir, mais je crois que la sécurité des gens serait compromise si nous n'y étions pas. En fait, lorsqu'il arrive parfois que Vision mondiale songe à quitter une région à cause du danger qu'elle représente, les gens nous prient de rester parce que nous faisons partie du dispositif qui leur assure plus de sécurité.
Donc, lorsque des allégations sont faites, particulièrement dans ces circonstances, nous pensons que, dans le cours normal de la loi, nous devrions avoir la possibilité de prendre connaissance de ces allégations, d'y répondre, et qu'il devrait y avoir une instance impartiale qui entendrait la preuve avant qu'on nous retire notre statut, et non après. Il y a une disposition qui permet à un organisme de bienfaisance de reprendre son statut, mais dès qu'un organisme caritatif perd son statut, il est fini.
M. Serge Ménard: Je crois que je comprends, et je suis d'accord avec vous.
[Français]
Vous disiez que le simple fait qu'on vous convoque pour répondre à des accusations semblables peut décourager les donateurs de vous donner de l'argent. Est-ce que vous voulez que ces procédures soient tenues secrètes?
[Traduction]
Mme Kathy Vandergrift: Je pense qu'on pourrait avoir un processus impartial qui serait privé, et à un moment donné, il est sûr qu'il faut qu'il y ait une reddition de comptes publique. Mais pendant qu'on ferait enquête sur les allégations, nous nous appuierions sur l'impartialité du processus, et tout cela serait fait en privé. Si ces allégations sont fondées, nous serons alors tenus responsables devant la loi. Nous ne craignons pas la transparence.
[Français]
Le président: Merci, monsieur Ménard.
[Traduction]
Monsieur Comartin, s'il vous plaît.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Merci, monsieur le président.
Merci à tous les deux d'être là.
Je veux seulement clarifier les choses parce que je ne suis pas sûr qu'elles soient claires en ce moment. Si j'ai bien compris vos deux mémoires, vous préféreriez que la loi soit simplement abrogée. Et si ce n'est pas le cas—je parle comme un avocat maintenant—vous voudriez qu'on inclue d'autres dispositions, dont une disposition prévoyant l'application régulière de la loi. Est-ce exact?
M. Peter Broder: Oui.
M. Joe Comartin: Puis-je vous demander, madame Vandergrift, vous qui avez dit qu'on ne soumettait pas de nouvelles demandes, s'il est vrai que les gens refusent tout simplement de créer de nouveaux organismes de bienfaisance? Y a-t-il des données concrètes là-dessus?
Mme Kathy Vandergrift: J'ai été troublée par la lecture du témoignage de l'Agence de revenu du Canada devant votre comité. On y disait que plus de 1 000 demandes n'avaient pas abouti.
Nous disons dans notre mémoire qu'à notre avis, votre comité ferait bien de s'enquérir de cet état de choses. Qu'est-ce que cela veut vraiment dire? Pour ce qui est de combattre le terrorisme ou de toute autre disposition de la loi, je ne crois pas qu'il soit avantageux qu'il y ait plus d'organisations qui ne se donnent pas la peine de demander le statut d'organisme de bienfaisance. Elles ne peuvent pas émettre de reçus pour dons de charité, mais elles peuvent travailler dans le pays. Je crois que cela est très préoccupant, et comme je l'ai dit, je crois que le régime qui est maintenant en place a un effet inhibant. Les fonctionnaires ont dit qu'ils s'en servent pour poser des questions aux groupes qui font des demandes. Eh bien, qu'est-ce qui arrive quand un millier de groupes demandent le statut d'organisme de bienfaisance et délaissent le processus? Est-ce dans notre intérêt supérieur?
¸ (1415)
M. Joe Comartin: Est-ce qu'on peut contextualiser cela? Ce millier... comment ce chiffre se compare-t-il à la même période des années précédentes?
Mme Kathy Vandergrift: Pouvez-vous répondre, monsieur Broder?
M. Peter Broder: Pour ce qui est de l'octroi du statut d'organisme de bienfaisance, il y a normalement des groupes en grand nombre qui en font la demande chaque année. Si l'Agence de revenu du Canada leur refuse ce statut, leur recours... et ici s'appliquent les dispositions du projet de loi C-33, qui a été adopté plus tôt cette année, et l'on a donc établi un processus d'appel interne. Mais à l'heure actuelle, le premier recours de tout groupe, c'est la Cour d'appel fédérale, et il faut des dizaines de milliers de dollars pour présenter une requête à ce niveau.
Donc, si un groupe se voit refuser ce statut par les agences, que ce soit pour des motifs ayant trait à la Loi antiterroriste ou parce qu'il ne répond pas à la définition d'un organisme de bienfaisance, de nombreuses organisations ne donnent tout simplement plus suite à leur demande. Dans ce millier d'organisations, j'ignore combien se sont vu refuser le statut pour des motifs liés à l'antiterrorisme.
M. Joe Comartin: Je pense que je voulais en venir à une comparaison avant et après : si un millier d'organisations n'ont pas donné suite à leur demande, j'aimerais comparer cela aux milliers de demandes qu'on a reçues avant le 11 septembre ou avant que cette loi entre en vigueur. Est-ce que quelqu'un a fait ce genre de comparaison?
Mme Kathy Vandergrift: J'ignore s'il existe des statistiques publiques. Vous devriez poser la question à l'Agence de revenu du Canada, à mon avis, parce qu'elle ne publie pas nécessairement de statistiques sur le nombre de groupes qui ont fait une demande.
M. Joe Comartin: En tout cas, ils nous ont donné l'impression que tout allait pour le mieux dans le meilleur des monde et qu'il n'y avait rien qui clochait.
Mme Kathy Vandergrift: Je ne pense pas qu'il y ait une seule organisation au Canada qui vous dirait que c'est effectivement le cas pour ce qui est des rapports que nous avons avec eux.
M. Joe Comartin: Y a-t-il des analyses concrètes qui ont été effectuées pour déterminer combien d'argent a été dépensé sur cette question de reddition de comptes depuis l'entrée en vigueur de la loi par rapport à l'argent dépensé sur le terrain?
Mme Kathy Vandergrift: Je ne suis pas en mesure de vous donner un montant exact. Par contre, je pourrais demander à mon organisation de fouiller la question.
Il est clair que cela a rendu notre travail plus difficile, mais je dirais que le pire, c'est l'incertitude qui caractérise notre situation. Il n'existe aucune règle qui définit ce qu'il faut faire précisément pour se conformer à la loi. C'est donc l'incertitude qui nous préoccupe. Cette incertitude a un effet néfaste sur nos activités sur le terrain, mais également, comme je l'ai déjà dit, sur le recrutement d'administrateurs, notamment, en raison de cette incertitude. Si vous pouviez nous dire « Voici les cinq critères auxquels vous devez vous conformer et si vous ne vous en écartez pas, nous considérerons que vous vous conformez à la loi », ce serait déjà nettement mieux que ce qui existe actuellement.
M. Peter Broder: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Il est très clair que les bailleurs de fonds, que ce soit le gouvernement, des fondations ou des organisations, veulent que leur argent serve à financer des programmes concrets et non les activités de conformité de l'organisation donnée. Les organisations subissent donc des pressions très importantes pour que l'argent serve à financer des programmes concrets.
M. Joe Comartin: Pour ce qui est de la question de la conformité à la loi, je voudrais savoir si vous êtes du même avis que moi, on en revient toujours au coût. Si on n'abroge pas la loi et qu'on insère des dispositions relativement à un processus à suivre, n'est-il pas vrai que la grande majorité des organisations ne pourront pas se payer ce processus, c'est-à-dire les comptables et les avocats qui seront nécessaires pour contrer les allégations du gouvernement? À part Vision mondiale, combien d'organisations pourraient se le permettre?
Mme Kathy Vandergrift: Je ne suis pas convaincue qu'un processus impartial doive obligatoirement coûter très cher, en tout cas aux étapes initiales. Je suppose que j'aimerais qu'on s'intéresse aux options qui permettraient de calmer nos inquiétudes mais qui ne coûteraient pas trop cher, pour qu'au moins ce soit quelque chose d'envisageable.
M. Joe Comartin: Avez-vous fait des représentations auprès de l'Agence du revenu du Canada? On ne nous a pas parlé des préoccupations que vous soulevez. Les fonctionnaires de l'Agence ne nous ont rien dit du tout. Je me demande si certains ont fait des pressions ou des efforts pour améliorer l'efficacité.
¸ (1420)
Mme Kathy Vandergrift: Je vais vous décrire la première conversation que j'ai eue avec le fonctionnaire de l'Agence du revenu du Canada après l'adoption de la loi. Nous sommes allés les rencontrer pour savoir ce que nous devions faire pour nous conformer à cette loi. On nous a répondu, entre autres, « vous êtes de Vision mondiale; vous n'avez pas à vous inquiéter. Ce sont d'autres organismes qui seront touchés ». Cette façon de procéder est-elle juste en vertu d'une loi? Ils devraient nous soumettre au même examen que les petites agences. Mais on n'a pas pu obtenir d'eux des réponses claires du genre « Faites ceci et nous estimerons que vous avez rempli les obligations que vous impose la loi ». Notre première démarche, après l'adoption de la loi, a été de les rencontrer pour soulever ces questions.
M. Joe Comartin: Monsieur le président, je n'ai plus de questions à poser, mais permettez-moi d'exprimer un commentaire. Compte tenu de ce que nous venons d'entendre, notre comité devrait sérieusement envisager de rappeler les représentants de l'Agence du revenu du Canada.
Le président: J'en prends bonne note. Merci.
Monsieur Lee, à vous la parole.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'aimerais revenir aux modalités de révocation du statut d'organisme de bienfaisance.
Permettez-moi de vous dire tout d'abord que je compatis aux difficultés qu'éprouvent ceux qui essaient de contrer le terrorisme pendant qu'un organisme de bienfaisance canadien travaille sur le terrain dans un véritable champ de mines découlant de facteurs politiques, sociologiques et démographiques. Vous essayez d'aider des gens sans vraiment savoir comment la situation évoluera. Je comprends votre situation, mais je ne pense pas que nous puissions redresser tous les torts et mettre fin à toutes les crises humanitaires dans le monde. Nous devons donc réfléchir encore une fois aux principes.
Je crois comprendre qu'il n'y a pas encore eu de cas où l'on aurait révoqué l'enregistrement d'un organisme de bienfaisance, mais cela pourrait se faire, et c'est ce qui vous préoccupe. Il faudrait que l'on signe un certificat, qu'il y ait signification d'un avis et que l'affaire soit renvoyée à la Cour fédérale afin qu'elle détermine si le certificat de révocation était raisonnable. Il existe donc un processus établi relativement à la révocation. Vous semblez évidemment être d'avis qu'il n'y a pas d'application régulière de la loi.
Voici donc ma question. Même s'il existe un processus et qu'il est de nature judiciaire, quels éléments d'application régulière de la loi devraient y être intégrés à votre avis pour assurer plus de justice? En quoi consiste pour vous l'application régulière de la loi?
Mme Kathy Vandergrift: Une des lacunes du processus tient au fait qu'on ne nous met pas au courant de tous les renseignements sur lesquels on se fonde pour révoquer notre permis et que ces renseignements, comme je l'ai signalé, peuvent provenir d'autres intervenants qui évoluent dans la zone de conflit. Quand...
M. Derek Lee: Vous ne savez pas encore les renseignements qu'on vous donnera parce qu'il n'y a pas encore eu de révocation, mais c'est à votre avis ce qui se passera.
Mme Kathy Vandergrift: D'après la loi, ils n'ont pas besoin de nous communiquer l'information qu'ils jugent importante pour des raisons de sécurité.
Lors de leur comparution devant votre comité, les fonctionnaires de l'Agence du revenu du Canada ont expliqué—et j'ai lu leur témoignage—que s'ils préféraient cette loi à la loi actuelle, c'était entre autres parce qu'elle leur donne accès à des sources d'information qui leur seraient inaccessibles autrement : notamment les données du SCRS. Or, ce sont précisément des sources d'information qui pourraient être assez douteuses. Si on se sert des renseignements provenant de ces sources pour nous discréditer, nous devrions les connaître pour pouvoir nous défendre. Et si cela doit se faire dans des conditions restreintes pour des raisons de sécurité nationale, eh bien soit. Mais nous estimons avoir le droit de savoir sur quelles allégations on se fonde. Et la loi devrait nous permettre de connaître les allégations faites à notre sujet.
M. Derek Lee: Une disposition de divulgation raisonnable. Cela me semble normal.
Monsieur Broder.
M. Peter Broder: Oui, et pas seulement pour l'organisme en question. Il ne faut pas oublier que beaucoup d'organismes travaillent dans ces situations complexes et qu'ils ont besoin d'un certain encadrement pour savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Si le processus n'est pas du tout transparent, il n'incitera pas les gens à se conformer volontairement aux lignes de conduite établies. Ce sera simplement une porte fermée.
M. Derek Lee: Revenons à la question de l'application régulière de la loi. Reconnaissez-vous tous deux que certains éléments d'information ne peuvent pas et ne doivent pas être divulgués? Prenons des cas typiques—par exemple des renseignements qui compromettraient le succès d'une opération ou qui permettraient d'identifier une source. Acceptez-vous l'existence de ces deux raisons interdisant la divulgation de renseignements?
¸ (1425)
Mme Kathy Vandergrift: Je voudrais qu'elle soient circonscrites de façon très étroite. Les allégations ne pourraient-elles pas être divulguées, de façon à ce qu'on puisse y répliquer, dans une audience à huis clos? Bien sûr, il pourrait y avoir certains risques liés à la sécurité dans certains cas, mais songez au risque que peut courir un organisme comme le nôtre si quelqu'un porte plainte auprès du gouvernement canadien parce qu'il n'aime pas le travail que nous faisons dans une zone de conflit et si le gouvernement peut donner suite à cette plainte sans que nous sachions en quoi elle consiste. Ce n'est certainement pas de cette façon que vous voulez qu'on traite des organismes comme le nôtre.
M. Derek Lee: Très bien.
Mme Kathy Vandergrift: N'avons-nous pas des motifs raisonnables de penser que nous ne pouvons pas fonctionner dans de telles conditions?
M. Derek Lee: Mais prenons un cas hypothétique, la vie de la source ne sera-t-elle pas en danger? Qu'arrive-t-il à la source de renseignements dont la vie pourrait être en danger si toutes les circonstances relatives à des renseignements obtenus étaient dévoilées à un organisme de charité au Canada? Il faut trouver le juste équilibre. On ne peut pas publier ces renseignements à la une des journaux et ensuite réfléchir aux conséquences. En l'occurrence, la loi prévoit que les renseignements sont transmis à un juge qui, dans sa grande sagesse, décidera s'ils peuvent être divulgués ou non, à l'issue d'une négociation avec le gouvernement ou encore, le procureur général peut émettre un certificat pour interdire que des renseignements soient divulgués. Nous n'avons même pas encore mis en application l'une ou l'autre de ces procédures.
Je comprends le problème, mais je vous dirais que la même difficulté se pose lorsque le CSARS évalue une cote de sécurité ou d'autres questions relatives à la sécurité qui sont portées à sa connaissance par suite d'une plainte. La Cour suprême a jugé raisonnable dans son ensemble la procédure en vigueur actuellement; elle l'a jugée conforme à la Charte dans les cas où tous les éléments d'information ne sont pas divulgués afin de protéger des sources ou des opérations, mais où on donne assez d'informations à la personne intéressée pour à tout le moins lui permettre de répondre aux allégations.
Le jugement a un rôle à jouer en pareil cas, mais il faut tenir compte des outils qui existent dans le cadre de ces audiences à huis clos qui permettent de divulguer plus de renseignements tout en protégeant l'information la plus sensible. Je vous invite à y réfléchir à la lumière de ce qui se passe en Ouganda ou aux autres endroits où travaillent les organismes humanitaires.
Mme Kathy Vandergrift: Je comprends. Cependant, je rattacherais la notion d'application régulière de la loi à la définition. Par ailleurs, si la définition était plus précise, ce serait utile. Nous pouvons être accusés de faciliter certains actes indirectement et sans le savoir, ce qui est très vague et très large. Il serait bon que la définition soit plus précise; je suis sûre que d'autres vous diront la même chose. La loi parle de motifs religieux ou politiques; la définition est très large; nous pourrions être accusés de faciliter ce genre d'activités.
Ces éléments forment un tout. Somme toute, si la loi était plus précise et le processus plus clair, ce serait une nette amélioration.
M. Derek Lee: Merci.
Le président: Merci.
D'autres commentaires?
Madame Vandergrift et monsieur Broder, nous vous remercions d'avoir été des nôtres cet après-midi. Merci de nous avoir fait part de vos réflexions et de votre point de vue.
Nous allons suspendre nos délibérations quelques instantes pour permettre au groupe de témoins suivant de prendre place.
¹ (1510)
Le président: Nous reprenons nos travaux.
Nous reprenons notre examen de la Loi antiterroriste et de ses répercussions. Nous venons d'entendre les représentants d'organismes de bienfaisance. Nous accueillons à présent...
M. John Maloney (Welland, Lib.): Monsieur le président, avant d'entendre le prochain groupe de témoins, j'aimerais vous dire que pendant la pause j'ai pris connaissance de la liste de témoins de la séance de demain matin. Il y a un représentant du comité Justice pour Mohamed Harkat. C'est une décision de la Couronne. Le greffier pourrait-il nous fournir le texte de cette décision bien avant l'audience—peut-être même ce soir—pour que nous puissions en prendre connaissance?
Le président: Merci, monsieur Maloney.
Pourrait-on remettre cette décision aux membres du comité ce soir, voire cet après-midi si possible?
Merci.
M. John Maloney: Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Il n'y a pas de quoi. On essayera d'obtenir ce document pendant que nous poursuivons nos délibérations. Merci.
Je souhaite la bienvenue à l'Association canadienne des libertés civiles, à l'Association canadienne des journaux, à l'Association canadienne pour l'étude de la sécurité du renseignement et au Dr Forcese, qui témoignera à titre personnel. Soyez les bienvenus.
Qui veut commencer? Avez-vous décidé qui parlera en premier?
Nous allons tout d'abord entendre les déclarations de ceux qui veulent en faire une, puis les membres du comité vous poseront des questions à tour de rôle. Nous essayerons d'attribuer le temps au prorata.
David, voulez-vous commencer?
M. Alan Borovoy (avocat, Association canadienne des libertés civiles): Je veux bien commencer, monsieur le président.
Je comparais devant votre comité au nom de l'Association canadienne des libertés civiles. Je suis accompagné de mon collègue Alexi Wood, le directeur de notre projet de sécurité publique. J'espère qu'il est assis assez près de moi pour pouvoir me souffler les réponses au besoin.
J'aimerais aborder brièvement quatre sujets et, tout d'abord, la définition d'activité terroriste dans la loi.
Cette définition est un aspect fondamental de la loi. Tout en dépend. Malheureusement, elle est tellement large qu'elle permet de criminaliser des comportements qui ne sont même pas liés de loin à ce que la plupart des gens considèrent comme du terrorisme.
Permettez-moi de vous donner un exemple pour illustrer mon propos. Pensez aux manifestations qui ont eu lieu en Ukraine à la fin de 2004. Les manifestants protestaient contre des élections qu'ils jugeaient truquées en Ukraine.
Si, comme les chefs des protestataires l'avaient demandé, il y avait eu une grève nationale pour des motifs politiques—j'utilise les termes qu'on leur a attribués—elle aurait vraisemblablement perturbé grandement les services essentiels. Si cela s'était produit, les Canadiens—dont un grand nombre avaient soutenu financièrement et autrement cette protestation —auraient pu être accusés d'infraction à la Loi antiterroriste du Canada, même si la protestation avait un objectif démocratique et même s'il semblait que les intéressés avaient fait de grands efforts pour éviter tout acte de violence.
Par conséquent, la première recommandation que je formulerais, en résumant notre mémoire, c'est que la définition devrait à tout le moins préciser que des non-combattants doivent être délibérément visés par des actes de violence graves. Cela doit faire partie de toute définition équitable, et ce n'est pas le cas en ce moment. Voilà notre première recommandation.
La deuxième traite du devoir et du pouvoir d'ostraciser; c'est le terme que j'emploierais. Il s'agit du pouvoir du gouvernement d'inscrire des entités terroristes sur une liste publique, même si l'entité en question n'a jamais été reconnue coupable ni même accusée d'un crime quelconque. La personne est inscrite sur la liste et dès lors, il devient un crime pour quiconque de faire affaire avec elle. Ainsi, par suite d'une décision unilatérale du gouvernement, cette personne devient un paria à toutes fins pratiques.
Nous nous interrogeons sérieusement sur la nécessité de ce pouvoir. Quoi qu'il en soit, il ne devrait pas s'appliquer, à notre avis, contre des citoyens individuels et des résidents permanents. On peut bien inscrire une organisation sur la liste; les organisations ont des fonctions institutionnelles limitées. En revanche, les êtres humains doivent pouvoir vivre leur vie et l'inscription de leurs noms sur la liste est beaucoup plus lourde de conséquences dans leur cas.
¹ (1515)
Voilà pourquoi nous pensons qu'il faudrait à tout le moins modifier la loi de manière que les particuliers, citoyens et résidents permanents, ne puissent être inscrits sur la liste. Du reste, avant que le nom de quiconque soit inscrit sur la liste, il faudrait que cette mesure soit examinée par un tribunal—et pas deux mois après l'inscription, quand beaucoup de dommages auront déjà été faits, mais avant que l'inscription soit faite. Il n'y a rien qui empêche un tribunal de vérifier l'inscription au préalable.
Notre troisième recommandation concerne le pouvoir d'exclure de l'information et d'interdire la diffusion d'information, en partie et en vertu de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada et, en partie, en vertu de la nouvelle... ou plutôt de l'ancienne Loi sur la protection de l'information, qui n'est rien de plus qu'une nouvelle version déguisée de l'ancienne Loi sur les secrets officiels, décriée avec raison.
Dans le cas de la Loi de la preuve au Canada, les définitions sont encore une fois trop larges. Il est question d'information « en rapport avec ». Cela pourrait comprendre beaucoup de renseignements sans importance parce que c'est très large, et dans le cas de la Loi sur la protection de l'information, cela pourrait viser... en fait, on ne sait pas ce que ça pourrait viser, et c'est bien là le problème. Le libellé est si vague que personne encore n'a pu déterminer ce qui est censé constituer un « secret officiel ».
La seule façon de corriger cette lacune, du moins dans le contexte de la sécurité, est de préciser à tout le moins que la divulgation de l'information en cause pourrait être gravement préjudiciable pour la sécurité physique et la défense du Canada. Il n'y a pas d'autres raisons valables liées à la sécurité.
Le dernier sujet que je vais aborder est celui des garanties. Beaucoup de décisions prises en vertu de cette loi et d'autres causent de graves préjudices à certaines personnes qui ne peuvent jamais prendre connaissance de la preuve présentée contre elles. Que ce soit à cause des certificats de sécurité, de leur inscription sur une liste, ou de l'exclusion de certains renseignements en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, ces personnes se voient souvent refuser le droit de voir la preuve présentée contre elles. Cela peut se comprendre à une époque où des problèmes de sécurité se posent, mais il n'est pas impossible de trouver des moyens de réduire l'injustice évidente de telles mesures. Nous avons proposé, tout comme d'autres, que des défenseurs de l'intérêt public ayant fait l'objet d'une évaluation de sécurité puissent voir toute la preuve.
J'ai presque terminé, monsieur le président. Je parle trop lentement.
Nous devrions faire en sorte que ces défenseurs de l'intérêt public puissent prendre connaissance de toute la preuve même s'il leur est interdit d'en révéler certains éléments à ceux qu'ils représentent.
Enfin, un fait intéressant a été mis au jour pendant l'enquête sur l'affaire Arar, au moment où Bill Graham était contre-interrogé par l'avocat de la Commission. Il était question de l'incapacité du gouvernement de transiger d'égal à égal avec les Américains pour protéger les intérêts de Maher Arar. On a appris que le ministre ne pouvait pas prendre connaissance de l'information que la GRC avait recueillie sur M. Arar parce que nos lois et coutumes interdisent aux ministres de prendre connaissance de ces renseignements.
À notre avis, cela n'est plus acceptable. Il faudrait modifier la loi de sorte que les ministres puissent prendre connaissance de toute l'information, même les renseignements opérationnels, et même donner des ordres écrits à la GRC relativement à ces activités liées à la sécurité nationale. Pour assurer l'intégrité de ce processus, qui pourrait engendrer certains risques, il faudrait aussi instaurer un système de vérification indépendante des activités de la GRC; ainsi, on pourrait disposer d'un rapport fondé sur la connaissance des faits réels.
¹ (1520)
Voilà, monsieur le président, les recommandations que nous vous présentons respectueusement. Je vous remercie de votre indulgence.
Le président: Merci.
Monsieur Campbell.
M. Tony Campbell (directeur général par intérim, Association canadienne pour l'étude de la sécurité et du renseignement): Je m'appelle Tony Campbell, et je suis directeur général par intérim de l'Association canadienne pour l'étude de la sécurité et du renseignement. J'imagine que c'est pour cela que j'ai été invité à assister à cette séance. Je tiens cependant à préciser que je ne parle pas au nom de l'Association. Personne ne peut le faire, parce que c'est une organisation qui regroupe des universitaires et des praticiens, si bien qu'il n'y a jamais de consensus sur quoi que ce soit. Je ne prétends donc pas présenter le point de vue de l'Association.
Si j'ai accepté l'invitation, c'est parce que j'ai mon propre point de vue, qui repose sur ma carrière et mes activités subséquentes. J'ai travaillé pendant 34 ans pour le gouvernement du Canada, d'abord pour le Service extérieur et, par la suite, pour neuf ministères et organismes. Pendant les sept dernières années, je travaillais dans le domaine de l'analyse du renseignement. Je vais donc exprimer le point de vue d'un ancien praticien qui s'est trouvé à différents moments des deux côtés de la clôture, en matière de secret et de protection de l'information.
Je sais pertinemment que certains membres de mon association, particulièrement les universitaires, ne seront pas d'accord avec le point de vue que j'exprime. Je tiens à l'indiquer clairement. Je sais pertinemment aussi que la plupart des fonctionnaires qui font partie de l'Association seraient probablement d'accord avec mon point de vue; je tenais à vous souligner que la divergence d'idée d'origine peut être sociétale sur de telles questions.
L'essentiel de mon propos, c'est qu'à mon avis, le Canada a jusqu'à maintenant très mal protégé l'information. Pendant la Guerre froide, cela n'avait guère d'importance et on a probablement eu raison pour divers motifs de souligner qu'on avait intenté très peu voire pas du tout de poursuites en vertu de la Loi sur les secrets officiel qui existait à l'époque, non pas parce qu'il n'y avait pas motif à de telles poursuites, mais parce que la loi était très mal conçue. Ayant observé le système, je pense que les mesures dont disposait le gouvernement pour assurer la protection légitime d'informations sensibles étaient insuffisantes même à l'époque, mais elles le sont encore plus depuis quelques années.
J'en arrive à l'aspect le plus important de mon exposé. Étant donné la nature du monde dans lequel nous vivons maintenant, on peut se demander si les événements du 11 septembre ont vraiment changé la donne. Pour ma part, je crois que nous vivons dans un monde différent. Nous sommes associés à ce qu'on appelle la guerre contre le terrorisme. Mais ce qui est encore plus important, nous prenons part, en quelque sorte, au prolongement de la lutte idéologique du XXe siècle. Nous sommes dans un camp et nous sommes une cible. Ceux qui s'opposent aux intérêts du Canada continueront à privilégier des attentats bien planifiés menés sans préavis contre des cibles notoires et susceptibles de faire un grand nombre de victimes civiles.
La situation a beaucoup changé par rapport à la Guerre froide, à la Deuxième Guerre mondiale ou à la Première Guerre mondiale, en fonction desquelles nos systèmes d'information ont été conçus. La nature des conflits internationaux est tout à fait différente. Cela étant, puisque nous nous trouvons dans un monde différent, nous devons trouver de nouvelles façons de protéger nos ressources d'information au gouvernement et également dans le secteur privé.
C'est ce que nous nous efforçons de faire, comme tout le monde d'ailleurs. Il y a des liens entre le renseignement criminel, le renseignement de sécurité et le renseignement extérieur. Ce sont trois catégories différentes dont chacune présente des défis particuliers dans le monde tel que nous le connaissons aujourd'hui. Je pense que dans les trois cas, les dispositions actuelles sont probablement insuffisantes et doivent être améliorées, même après les modifications apportées en 2001.
Reconnaissant que le monde d'aujourd'hui est différent, nous pouvons regarder les modèles qui ont cours dans d'autres pays, et il y a plusieurs grands modèles à mon avis, par exemple les États-Unis. Les États-Unis se font un tort énorme parce qu'il sont incapables de protéger leurs secrets. Nous assistons en ce moment au déroulement extraordinaire de l'affaire Valerie Plame, qui a entraîné l'incarcération d'un journaliste. Il est fort étonnant que des poursuites aient été intentées dans cette affaire, alors qu'il y a des milliers de cas aux États-Unis où des renseignements nuisibles aux intérêts du pays sont divulgués. C'est presque monnaie courante.
¹ (1525)
Il ne s'agit pas simplement de l'information qui est divulguée. À partir du moment où on ne fait plus confiance à un allié pour lui communiquer de l'information, cet allié est un perdant.
Quand je regarde le modèle des États-Unis, je me dis que ce n'est absolument pas ce que nous voulons avoir. Quand je regarde le modèle britannique, qui est à l'opposé à bien des égards—très draconien et très dur—je me demande si le Canada doit aller aussi loin. Je comprends que votre travail consiste à trouver un équilibre entre ces compromis. À mon avis, la nature du monde actuel nous dicte de prendre une position plus ferme.
Il y a un autre sujet que j'aimerais aborder, car je n'en ai pas entendu parler, c'est le fait qu'il est immensément important qu'un gouvernement efficace, notamment dans le monde actuel, que des dirigeants, des décideurs entendent une certaine forme de vérité. Cela a l'air d'un cliché, mais il est important que la vérité soit dite, car quand les gens en arrivent à ne pas pouvoir dire ce qu'ils pensent lorsqu'ils donnent des conseils, cela a des répercussions sur d'importants intérêts publics.
L'une des raisons pour lesquelles je suis en faveur d'un resserrement des dispositions sur la sécurité de l'information est qu'à mon avis bien des gens au gouvernement canadien ne disent pas la vérité à leurs patrons, et leurs patrons ne leur donnent pas leurs véritables points de vue en retour, parce qu'ils ont peur des fuites. Quelqu'un va rédiger une note et elle va devenir publique. Si le gouvernement ne peut pas fonctionner en partie...et dans les bonnes conditions, en privé, l'intérêt public est massivement affecté.
En gros, c'est en raison de la nature du monde qui nous entoure et de la nature du gouvernement que je suis favorable à un resserrement. En même temps, tout en étant favorable à un resserrement des garanties et des protections dont a parlé le premier intervenant, je ne suis pas d'accord avec le système de classification des documents à grande échelle qu'on trouve actuellement au gouvernement canadien. On abuse des classifications. C'est un processus automatique. J'ai réfléchi à la façon de remédier à ce problème dans le cadre d'une loi plus rigoureuse, et la réponse serait une forme de poste intermédiaire pour une personne disposant d'une cote de sécurité qui s'occuperait de l'intérêt public ou éventuellement une fonction de commissaire à l'information, cette personne ayant la possibilité d'examiner les documents classifiés de façon incorrecte et tombant sous le coup de la loi alors qu'ils n'auraient pas dû être classifiés de cette façon.
Je vous suggérerais d'examiner à un moment quelconque le système de classification. Les termes utilisés ne sont pas en soi inappropriés. Ce sont des termes qui définissent la différence entre « très secret », « secret » et « confidentiel ». Le problème, c'est qu'il y a une tendance à l'escalade : ce qui devrait être confidentiel devient secret et ce qui devrait être secret est classé très secret, ce genre de choses. Il faudrait rectifier cela, resserrer le système pour protéger l'information mais mettre en place des procédures de protection et changer certaines des pratiques actuelles qui constituent un abus de cette protection.
Voilà l'ensemble de mon argumentation. Il y a d'autres façons de faire les choses. Il y a des questions précises dans le document du ministre de la Justice que j'ai lues. C'est à mon avis un excellent document pour déblayer certaines de ces questions. Je serais heureux de donner mon avis sur un certain nombre de questions précises. Je voulais simplement plaider en faveur d'un système plus rigoureux quand on réclame un peu partout l'inverse.
¹ (1530)
Le président: Merci, monsieur Campbell, pour ces remarques liminaires. Je suis sûr que mes collègues sont impatients d'en discuter avec vous dans un moment.
M. Craig Forcese (professeur de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel): Je suis un membre universitaire de la CASIS qui a peut-être un point de vue un peu différent.
Je remercie le sous-comité de m'avoir invité à comparaître devant lui aujourd'hui. Je vais formuler des commentaires au sujet de l'article 4 de la Loi sur la protection de l'information. On pourra trouver l'expression plus complète de mes opinions dans article paru dans un numéro de Revue de droit d'Ottawa dont j'ai fourni un exemplaire au greffier. On pourra aussi trouver une analyse similaire dans l'ouvrage intitulé The Laws of Government, publié en juin.
La Loi sur la protection de l'information, à laquelle le projet de loi C-36 a apporté des modifications considérables et donné un nouveau nom, a été promulguée à l'origine en 1939 sous le titre Loi sur les secrets officiels. Cette loi de 1939 a été décriée aussi bien en raison de sa portée que de son ambiguïté. En 1986, la Commission de réforme du droit la décrivait comme étant parmi les pires exemples de rédaction législative. La Commission a dit des dispositions de cette loi qu'elles étaient vieillies, complexes, répétitives, vagues, incohérentes, trop extensives et pouvaient même contrevenir aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans l'affaire R. c. Toronto Sun, vraisemblablement la décision charnière concernant la Loi sur les secrets officiels, le tribunal a signalé qu'une « nouvelle rédaction complète de la Loi sur les secrets officiels semblait opportune et nécessaire ». Les changements apportés par le projet de loi C-36 n'ont répondu qu'en partie à cette exigence. Comme le savent les membres du sous-comité, le projet de loi C-36 a abrogé les dispositions d'origine concernant l'espionnage de l'article 3 de la Loi sur les secrets officiels et les a remplacées par un régime plus complet de lutte contre l'espionnage. Un résumé de ces dispositions figure dans un tableau à la fin de mon mémoire.
Le projet de loi C-36 n'a toutefois pas éliminé l'article 4, qui est désuet et qui criminalise ce qu'on appelle communément la divulgation illicite. L'article 4 constitue une disposition très vaste et tout aussi ambigüe, dont je fournis le résumé à la fin de mon mémoire. Permettez-moi maintenant de formuler quelques observations critiques.
Tout d'abord, selon l'article 4, même le fait d'être en possession sans autorisation de documents officiels non secrets du gouvernement constitue un crime. Selon l'article 4, le gouvernement pourrait intenter des poursuites concernant la divulgation illicite quasi quotidienne de renseignements gouvernementaux écrits qui foisonnent dans les journaux. Qui plus est, il est vraisemblable que le gouvernement pourrait poursuivre les journalistes et les journaux qui en font état. La plupart des dénonciations par des fonctionnaires sont criminelles, comme l'a fait valoir la Commission de la réforme du droit en 1986. Il convient de s'interroger sur les implications de ce qui précède pour le projet de loi sur la protection des dénonciateurs que le Parlement étudie en ce moment.
Il est vrai que, en réalité, l'article 4 a donné lieu à peu de poursuites. Il faut cependant garder à l'esprit que les poursuites ne sont que l'une des composantes du système de justice pénale. Les mandats en sont une autre. En vertu de l'article 4 actuel, les autorités policières peuvent obtenir des mandats pour des motifs éminemment douteux, comme l'illustre l'affaire Juliet O'Neil. N'oublions pas que le gouvernement propose maintenant pour la police des pouvoirs élargis d'accès autorisé. Or, l'élargissement des pouvoirs d'accès autorisé, combiné à une justification mal fondée des mandats, risque fort de porter gravement atteinte à la vie privée.
En deuxième lieu, l'article 4 est incompatible avec les dispositions de l'article 2 de la Charte relatives à l'accès à l'information et à la liberté de parole et de presse. Les divers cas d'ambiguïté et d'inversion du fardeau de la preuve contenus dans l'article 4 sont également incompatibles avec l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte.
Troisièmement, la présence de l'article 4 fait fi des modifications apportées à la loi par le projet de loi C-36. Le projet de loi C-36 crée en effet, aux termes de la Loi sur la protection de l'information, de nouvelles infractions visant les personnes astreintes au secret à perpétuité qui communiquent certaines informations sensibles. Ces nouvelles infractions sont cependant encadrées par une défense d'intérêt public définie avec précision concernant la justification de la divulgation, selon l'article 15. Pourtant, les personnes astreintes au secret à perpétuité sont assujetties, comme toute autre personne, à l'article 4, qui ne comporte aucune dérogation concernant l'intérêt public. Ainsi l'article 4 rend-il vide de sens le nouvel article 15.
Quatrièmement, la Loi sur la protection de l'information est lacunaire si on la compare à son plus proche équivalent, la Official Secrets Act of 1989 du Royaume-Uni, tout au moins pour ce qui est des dispositions visant les fonctionnaires et le public. Même si la loi du Royaume-Uni comporte de graves insuffisances, elle a tout au moins le mérite, contrairement à l'article 4, de définir attentivement la nature des renseignements visés par la criminalisation des divulgations. Aussi, contrairement à la loi canadienne, celle du Royaume-Uni prévoit également l'exigence selon laquelle la divulgation de toute information sensible doit causer un tort pour être liée à une culpabilité pénale. Là encore, la loi du Royaume-Uni figure à la suite de mon mémoire.
¹ (1535)
Enfin, on doit situer l'article 4 dans un contexte plus vaste sans perdre de vue celui de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la preuve au Canada, modifiées par le projet de loi C-36. Les modifications du projet de loi C-36 visant la Loi sur la preuve au Canada suscitent des inquiétudes que je n'ai pas le temps d'expliquer ici mais dont le commissaire à l'information vous aura fait part. Je me bornerai à dire ici que les exceptions de longue date visant la sécurité nationale que contient la Loi sur l'accès à l'information en matière de divulgation, combinées au nouveau pouvoir d'exempter les renseignements de la Loi sur l'accès à l'information en vertu d'une attestation écrite délivrée aux termes de la Loi sur la preuve au Canada, et combinées aux dispositions de l'article 4 débouchent sur un régime de droit relatif à l'information qui est incohérent et nettement incompatible avec la notion de société démocratique que de telles dispositions sont justement censées protéger. Elles sont si mal intégrées, si incohérentes et si excessives qu'elles risquent de permettre au gouvernement de se tirer d'embarras et de camoufler son incompétence en invoquant le prétexte commode de la sécurité nationale.
Je terminerai en proposant trois solutions simples. Premièrement, le Parlement devrait abroger l'article 4 de la Loi sur la protection de l'information et le remplacer par une nouvelle disposition qui définirait de façon très précise et rigoureuse les types de secrets visés par des dispositions pénales tout en introduisant l'exigence selon laquelle la divulgation doit entraîner un tort réel. La loi modifiée devrait également assujettir cette nouvelle disposition visant la divulgation illicite à la dérogation existante concernant l'intérêt public qui s'applique aux personnes astreintes au secret à perpétuité.
Deuxièmement, le Parlement devrait normaliser la définition de la sécurité nationale dans l'ensemble de ces lois. À l'heure actuelle, le grand nombre d'expressions servant à définir le secret lié à la sécurité nationale est source de confusion. C'est dans la Loi sur l'accès à l'information que l'on devrait logiquement trouver une définition commune du secret lié à la sécurité nationale.
Troisièmement, le Parlement devrait abroger le pouvoir de soustraire un renseignement à l'application de la Loi sur l'accès à l'information au moyen d'une attestation écrite du gouvernement délivrée aux termes de la Loi sur la preuve au Canada. Selon une étude d'août 2001 effectuée par le gouvernement, les services de sécurité et de renseignement étaient satisfaits à l'époque des exceptions déjà contenues dans la Loi sur l'accès à l'information. Ainsi, les ajouts à la Loi sur la preuve au Canada sont-ils superflus. Ces modifications ne mettraient pas en péril la sécurité nationale. La divulgation continuerait d'être limitée par les exceptions de la Loi sur l'accès à l'information. Toute divulgation illicite de renseignements que l'on pourrait raisonnablement percevoir comme une menace à la sécurité nationale continuerait d'être criminalisée. Par ailleurs, les changements rendraient les règles plus simples et plus homogènes, réduiraient considérablement l'incertitude et assujettiraient moins la bonne gouvernance au Canada à une interprétation capricieuse par le pouvoir exécutif d'une législation sur le secret qui, à l'heure actuelle, est fort compliquée.
Je vous remercie.
¹ (1540)
Le président: Merci.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Gollob.
[Français]
M. David Gollob (vice-président, Affaires publiques, Association canadienne des journaux): Merci, monsieur le président.
Je m'appelle David Gollob et je me présente aujourd'hui devant vous au nom des éditeurs de quotidiens canadiens. Les 81 membres de l'Association canadienne des journaux publient partout au Canada en anglais, en français et maintenant en chinois. Notre mandat est de défendre notre industrie. Nous répondons vigoureusement aux menaces à la liberté de la presse et à la liberté d'expression garanties par la Charte des droits et libertés.
[Traduction]
Je porterai mon attention aujourd'hui sur l'article 4 de la Loi sur la protection de l'information, un véritable « copier/coller » de la Loi sur les secrets officiels de 1939. Et je vais vous demander d'enjoindre le gouvernement canadien d'abroger cette loi qui criminalise le journalisme de façon explicite et qui viole les droits des journalistes et des éditeurs enchâssés dans la Charte.
Il se peut que certains de nos concitoyens croient que nous devrions avoir une loi pour nous protéger contre de possibles invasions par des extraterrestres. Imaginons aussi, car les Canadiens sont des êtres prudents, que nous ayons en place une telle loi, mais que la seule fois où elle aurait été invoquée aurait été pour emprisonner des innocents. Nous serions tous horrifiés et exigerions que cette loi soit abrogée. L'histoire de l'article 4 de la Loi sur la protection de l'information est aussi absurde que le scénario précédent.
Des cas où des journalistes canadiens auraient mis en danger la sécurité nationale sont aussi courants que les invasions d'extraterrestres. Dans les 66 ans d'existence de cette loi, elle ne fut invoquée que deux fois contre des journalistes. Et dans les deux cas, l'aspect de sécurité nationale ne fut que prétexte à des abus de pouvoir.
Peter Worthington, un journaliste du Toronto Sun, est le seul journaliste canadien à avoir le douteux honneur d'avoir été traduit en justice en vertu de l'article 4, et ce, pour avoir eu en main un soi-disant document secret de la GRC contenant des détails alarmants sur de l'espionnage soviétique au Canada. Il avait rédigé un article pour le Toronto Sun et suite à cette publication, il fut accusé, de même que l'éditeur du journal. Un réseau de télévision qui avait précédemment diffusé de l'information basée sur le même document n'avait nullement été importuné. Pas plus que le député qui avait fait référence au document en question devant cette Chambre. On avait prétendu alors que le Toronto Sun avait été accusé pour des raisons politiques.
Comme l'a expliqué le professeur Forcese, le juge Carl Walsberg avait débouté les accusations parce que l'information était déjà du domaine public et qu'elle n'était donc pas secrète. « La presse ne doit pas être muselée », avait-il écrit dans son jugement, en ajoutant : « l'aboiement (...) est nécessaire pour conserver une société libre. » Il avait aussi critiqué ouvertement la loi en disant qu'elle était ambigüe et rigide et en avait demandé une refonte complète.
Il était clair qu'il n'y avait aucune question liée à la sécurité nationale; mais il y eut clairement une question de gêne à l'échelle nationale : pour la GRC et pour le gouvernement d'alors. Il y eut aussi un tollé général et l'Association canadienne des journaux, parmi d'autres instances, avait demandé la tenue d'une campagne nationale pour exiger une réforme de la Loi sur les secrets officiels.
Reportons-nous 27 ans plus tard, et nous attendons toujours. Et entre-temps, à cause du 11 septembre et à la suite de craintes légitimes en matière de sécurité nationale ainsi que de l'adoption de la Loi sur la protection de l'information, on a mis à jour la Loi sur les secrets officiels, mais personne n'a pensé à modifier la partie qui menace les journalistes d'emprisonnement lorsqu'ils ne font que leur travail, soit l'article 4 de ladite loi.
Nous voici donc en 2004, et des accusations pèsent contre Juliet O'Neill, une journaliste du Ottawa Citizen. On parle ici encore d'un document de la GRC qui aurait été coulé et dont une partie de l'information est déjà du domaine public, et ce, depuis quelques mois. Et revoici la GRC, cette fois dans les tiroirs de Mme O'Neill par un matin de janvier, essayant de toute évidence de trouver la source du coulage de ce document.
Pendant la perquisition au domicile de Mme O'Neill, un officier de la GRC lui aurait déclaré ceci :
Il m'a dit qu'il croyait que je serais accusée et m'a demandé de nommer la source de mon article, rapportait Mme O'Neill. Il m'a demandé de passer au bureau de la GRC pour en discuter davantage. (...) Que je le fasse ou non, la GRC trouverait la vérité et ce ne serait pas une expérience agréable pour moi. |
Alors, deux cas en 66 ans, et chacun met en lumière une mauvaise loi dont la seule application vise à intimider les médias et violer les droits constitutionnels. Comme dans le cas Worthington il y a 27 ans, la perquisition chez Mme O'Neill a donné lieu à un tollé général à l'échelle nationale, et a dominé la période de questions pendant une semaine. Le premier ministre Martin a défendu Mme O'Neill. Pour sa part, Mme McLellan, la vice-première ministre, a promis que la loi serait revue.
Et c'est aujourd'hui à vous, membres du comité, de revenir à la charge, en espérant que l'on ne sera pas encore à débattre de ce dossier dans 27 ans. Je vous demande donc, au nom des quotidiens canadiens, d'enjoindre le gouvernement, et ce, de façon claire et sans ambigüité, d'abroger l'article 4, de vous assurer que lorsque sera rédigé le texte qu'il remplacera, la définition du secret sera restreinte à ce qui est strictement essentiel, quitte à errer du côté de l'ouverture.
Pour cela, il faut reconnaître que l'actuelle loi ne vise pas à protéger la sécurité nationale, mais bien à criminaliser la dénonciation et la publication de toute information que le gouvernement en place estime être secrète. Faites en sorte que la loi soit conforme, non pas à l'intérêt du gouvernement au pouvoir, mais à l'intérêt public en limitant son application aux cas où la sécurité nationale est en fait en péril. Obligez le gouvernement à faire la preuve du préjudice qui a été causé à la sécurité nationale s'il veut intenter des poursuites. Obligez le gouvernement à justifier ses poursuites en montrant que la publication de l'information en question allait à l'encontre de l'intérêt national. Décriminalisez le fait de recevoir de l'information secrète. Enfin, exemptez spécifiquement les journalistes, les éditeurs et toute l'activité journalistique de sanctions, du moins dans les cas où la preuve n'a pas été faite que la publication a nui à la sécurité nationale.
¹ (1545)
Dans le document de discussion que le ministère de la Justice vous a remis, le gouvernement s'inquiète que des groupes prétendant faire partie des médias pourraient abuser de cette exemption journalistique. Il est à espérer que si la GRC et le SCRS font bien leur travail, nous n'aurons pas à craindre que de tels groupes se fassent passer pour des journalistes, et nous espérons également que la GRC sera capable de faire la différence entre le Globe and Mail et le Courrier de ben Laden.
Merci.
Le président: Merci, monsieur Gollob.
Monsieur McKay, nous allons commencer par vous.
M. Peter MacKay (Nova-Centre, PCC): Merci, monsieur le président, et merci à vous tous pour les exposés très percutants et éloquents que vous nous avez présentés. Vos témoignages nous donnent à réfléchir, c'est le moins qu'on puisse dire.
Si je peux me permettre de poursuivre là où vous vous êtes arrêté, monsieur Gollob, c'est en effet l'article 4 qui retient l'attention et il n'y a en fait eu aucun changement, comme vous l'avez signalé et comme d'autres l'avaient signalé aussi, entre la Loi sur les secrets officiels et le moment où le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste, est entré en vigueur, à savoir l'article en vertu duquel des poursuites ont été intentées contre Mme O'Neill. Il est question dans cet article de puissance étrangère et de communication d'informations qui porteraient préjudice à la sécurité des intérêts de l'État.
Ces termes sont définis au début du projet de loi, mais l'article 4, en disposant que commet une infraction quiconque communique ou utilise l'information à l'avantage d'une puissance étrangère, traite ensuite du cas de la personne qui conserverait un document secret alors qu'elle ne serait pas censée avoir cette information. Il semble y avoir une anomalie dans le libellé de cette disposition, parce qu'on peut se demander, comment, dans certains cas, la personne pourrait connaître la source. Comment pourrait-elle connaître la nature de l'information? Son instinct de journaliste pourrait bien lui donner à penser que ce type d'information serait englobée dans cette définition.
Voici ma première question, et c'est à vous que je l'adresse, monsieur Gollob. D'après la lecture que vous faites de la loi, si un fonctionnaire tenu au secret de par ses fonctions communiquait de l'information à un journaliste parce qu'il estimait que la divulgation serait dans l'intérêt public—autrement dit, il pourrait être d'avis, par exemple, que le gouvernement avait agi de façon irresponsable, voire criminelle—et qu'il décidait donc de divulguer l'information, le fonctionnaire en question aurait un motif de défense alors que le journaliste n'en aurait pas? Autrement dit, même si le journaliste n'avait pas communiqué l'information ni ne l'avait utilisée de quelque façon, il pourrait s'exposer à des poursuites, alors que la source ne serait pas exposée à de telles poursuites?
¹ (1550)
M. David Gollob: Il est important de bien préciser que nous parlons du point de vue des journalistes et des responsables de quotidiens au Canada qui poursuivent l'objectif d'informer le public. Votre question me pose un problème en ce sens qu'il y a de toute évidence des cas où il pourrait être légitime d'intenter des poursuites contre le fonctionnaire. Ce que nous souhaiterions, ce serait l'application du critère de l'intérêt public ou du préjudice—de manière générale, cela est extrêmement important dans une société démocratique—et nous souhaiterions qu'il n'y ait pas d'endroits cachés où l'information disparaîtrait et serait cachée pour toute l'éternité, si bien que les éventuels méfaits ne pourraient jamais être exposés.
En règle générale, nous pensons que le critère du préjudice devrait être appliqué à quiconque serait touché par cette loi ou par une autre loi visant le secret. Mais en ce qui concerne plus particulièrement les médias, et c'est là ce qui nous intéresse, dès réception d'un document, comme d'autres témoins l'ont dit aujourd'hui, on a pris l'habitude au gouvernement d'estampiller la mention « secret », et c'est là une pratique dont on abuse. Alors, comment quelqu'un peut-il savoir que le secret qui entoure le document est d'une nature telle qu'il serait criminel d'avoir ce document en sa possession?
L'autre élément qu'il est intéressant de souligner au sujet de l'inversement du fardeau de la preuve dans la loi telle qu'elle est énoncée à l'heure actuelle, c'est que, pour se défendre, il faudrait que le journaliste prouve que l'information est arrivée en sa possession contre son gré, ce qui me semble montrer encore une fois que cette loi est extrêmement ambiguë et qu'elle peut difficilement résister à l'examen.
M. Peter MacKay: Vous avez bien insisté sur le fait—et je crois que M. Forcese a soulevé le même argument—que le critère qui est censé être appliqué, à savoir l'utilisation de l'information, peut également être utilisé par le gouvernement pour éviter de se retrouver dans l'embarras. Autrement dit, le critère à appliquer en cas de sécurité nationale n'est pas très clair, et il pourrait être utilisé à des fins qui auraient davantage à voir avec des considérations politiques que la sécurité nationale. Je crois que M. Borovoy en a parlé lui aussi.
M. Alan Borovoy: Je me demande si je ne pourrais pas passer par-dessus certaines des nuances juridiques, car nous pourrions sans doute passer beaucoup de temps à essayer de déterminer quel est le sens exact de cette loi. Mais c'est aussi ce qui explique en partie le problème à mon avis. Il est question d'information officielle secrète, mais cette expression n'est pas définie. Si nous passons maintenant au problème d'ordre pratique—à savoir ce que le journaliste est censé faire quand il reçoit quelque chose qui vient du gouvernement—, peu importe ce que vous pensez que le gouvernement va finir par faire, abuser de la chose ou ne pas en abuser, cela ne peut faire autrement que d'avoir un effet de refroidissement important pour la personne qui reçoit l'information et dont le métier consiste à transmettre au public des informations essentielles qui sont pertinentes. Ne serait-ce que pour cette raison, un changement en profondeur s'impose.
M. Peter MacKay: S'agissant de ce qui serait présumé être la communication illicite d'informations gouvernementales incluses dans cette catégorie—et je crois que cet argument a également été soulevé—, les articles 13 et 14 s'appliquent à ceux qui sont astreints au secret à perpétuité, qui peuvent invoquer comme motif de défense l'intérêt public, alors que ce motif de défense n'existe pas pour les infractions visées par l'article 4.
Je pose la question encore une fois à tous les panélistes, si l'article 4 devait être conservé, au lieu d'être retranché carrément de la loi, comme certains le proposent, l'extension du motif de défense de l'intérêt public aux infractions visées par l'article 4 permettrait-elle d'atténuer quelque peu vos inquiétudes? Et l'élargissement du contexte permettrait-il aussi de satisfaire à la norme plus élevée dont vous avez parlé, monsieur, qui obligerait le gouvernement à faire la preuve que l'utilisation et la diffusion de l'information en question pourraient causer un réel préjudice?
M. Craig Forcese: Ce que j'ai voulu faire comprendre, c'est qu'à l'heure actuelle l'article 15 n'a aucun sens, car si le gouvernement voulait vraiment poursuivre une personne astreinte au secret à perpétuité qui aurait divulgué de l'information de façon clandestine, il n'aurait pas besoin de se servir des articles 13 ou 14; il pourrait simplement le faire en vertu de l'article 4, et la primauté de l'intérêt public n'entrerait même pas en ligne de compte, parce que le critère de l'intérêt public ne s'applique pas.
Ainsi, pour répondre à votre question, afin d'assurer un minimum de cohérence dans la loi, il faudrait étendre à l'article 4 la primauté de l'intérêt public qui est prévue à l'article 15.
Y aurait-il de ce fait un critère du préjudice qui serait alors incorporé à l'article 4? Je ne le crois pas, car même si le processus qui s'enclencherait pour déterminer si l'intérêt public était en cause comprendrait un examen de ces questions, je ne crois pas que l'infraction de départ, l'infraction visée par l'article 4, inclurait le préjudice au nombre des considérations essentielles.
Il n'en resterait pas moins qu'une personne pourrait être poursuivie simplement parce qu'elle aurait en sa possession un document officiel. Il ne serait même pas nécessaire que le document soit secret. Il y a des dispositions de l'article 4 où « document officiel » n'a pas été remplacé par « document secret ». Ainsi, il suffit que le document soit un document officiel. Alors, s'il s'agit de quelque chose d'écrit, et je suppose que c'est ce qu'on entend par un « document », et qu'il s'agit de quelque chose d'« officiel », quelle que soit la signification de ce terme, qu'une personne a en sa possession alors qu'elle ne serait pas censée l'avoir, il y a là une infraction criminelle. Puis, si la primauté de l'intérêt public entrait en ligne de compte, on pourrait débattre de la question de savoir si la personne aurait dû avoir le document, mais...
¹ (1555)
M. Peter MacKay: Vous avez tous, ou du moins certains d'entre vous, fait des déclarations que je qualifierais de très controversées au sujet de la possibilité d'abus de la part du gouvernement : intimidation des médias, violation de la Charte des droits et libertés. Ce sont là de très sérieuses allégations.
En fin de compte, je reviens à cette idée de savoir s'il sera possible de satisfaire à ce critère qui permet de déterminer si une information est de nature délicate par rapport à la sécurité nationale, ou s'il s'agit simplement d'une information qui pourrait nuire au gouvernement sur le plan politique. Voilà ce qui semble être la question essentielle. Si l'on ne peut pas satisfaire à ce critère ou à cette définition, les gouvernements peuvent et pourraient fort bien se servir de cette loi pour éviter les conséquences possibles, non pas pour la sécurité nationale, mais pour leur intérêt politique.
M. David Gollob: Très rapidement, je vous dirai que nous avons la chance au Canada, à mon avis, de ne pas avoir des gouvernements qui intimident systématiquement les médias. Nous avons même une démocratie qui fonctionne très bien et où ces cas sont...
M. Peter MacKay: [Inaudible-Rédaction]... au Canada, dans la résidence du gouverneur général, en fait.
M. David Gollob: Ces cas sont très rares.
Nous soutenons que la loi doit être modifiée parce que, telle qu'elle est formulée à l'heure actuelle, ces abus pourraient se produire. L'utilisation qui a été faite de la loi nous montre que, lorsqu'elle a été appliquée contre les médias, l'application a été selon toute vraisemblance abusive. C'est pour cela que nous disons que la loi doit être modifiée.
Le président: Nous sommes tout juste sur le point d'avoir des problèmes de temps... alors, si vous pouviez décider qui d'entre vous sera le dernier à intervenir pour répondre à M. MacKay, nous pourrons ensuite passer à M. Ménard.
M. Craig Forcese: Vous avez soulevé deux questions : d'abord, devrions-nous limiter la portée de la loi et, ensuite, pourrions-nous le faire?
Devrions-nous limiter la portée de la loi? Oui, nous le devrions, parce que, lorsqu'on élabore une loi qui confère au gouvernement des pouvoirs importants—qui sont assez inquiétants—, il faut toujours se demander ce qui arriverait si on avait, non pas le meilleur gouvernement possible, mais le pire. Quand on décide de conférer des pouvoirs au gouvernement, il faut s'imaginer qu'on a à traiter avec le pire gouvernement possible.
Est-il possible de définir la sécurité nationale ou le secret de façon plus circonscrite? Voyez ce que le Royaume-Uni a fait dans sa loi. Sa loi sur les secrets officiels définit ce qu'il faut entendre par un préjudice aux relations internationales ou à la sécurité nationale. Au Royaume-Uni, on a pris bien soin de définir ce qui constitue un préjudice, alors que nous ne l'avons pas fait ici.
M. Peter MacKay: Je voudrais inviter M. Campbell à participer lui aussi à la conversation.
Le président: Oui, moi aussi, j'aimerais entendre M. Campbell.
M. Peter MacKay: Tout d'abord j'ai une dernière question, si vous me le permettez, monsieur le président.
L'un des sujets que nous examinons actuellement au Parlement du Canada concerne un organe de surveillance parlementaire, et j'aimerais vous inviter tous à nous donner votre avis sur le rôle que pourrait exercer un tel organisme dans l'examen de questions comme celle-ci, où l'on parle de secrets officiels. Cela nous ramène, je crois, à ce que disait M. Borovoy quand il disait qu'un ministre pouvait obtenir certains détails opérationnels et se demander si l'on pourrait étendre ce pouvoir à un organe de surveillance parlementaire, à condition d'imposer les restrictions appropriées à cet organisme, comme on l'a vu au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie et dans d'autres pays qui disposent de ce genre de surveillance parlementaire. Ce n'est pas le cas au Canada, comme le constatent bien des gens avec étonnement et incrédulité.
M. Tony Campbell: Je n'ai qu'une brève réponse à vous donner sur cette question et sur la précédente. La défense de l'intérêt public est intéressante dans le cas où on peut se demander si l'information qualifiée d'infraction nuit vraiment au public ou non. Mais j'aimerais souligner que le simple fait qu'on ne puisse pas faire confiance à certaines personnes pour préserver la confidentialité des informations que leur communiquent les personnes avec qui elles travaillent est en soi un préjudice public. En ce sens, si l'on définissait une défense de l'intérêt public, il faudrait inclure l'intérêt public dans la capacité des dirigeants d'avoir des échanges confidentiels avec leurs conseillers et de recevoir d'eux des conseils confidentiels.
C'est une question terriblement importante et la tendance générale de ce panel est favorable à ce que je le considère comme l'approche post-Vietnam. Il parle d'un monde différent où l'on attend qu'un méfait soit commis pour condamner quelqu'un. Nous devons nous préoccuper d'un monde où les gens doivent être capables de garder un secret.
Donc, je dirais à M. Gollob qu'il y a effectivement eu quelques poursuites; n'est-il pas extraordinaire qu'on ne puisse parler que de quelques poursuites? On pourrait dire que c'est une loi très indulgente. Je dirais plutôt que c'est le contraire; c'est une loi inutile, parce qu'elle n'a pas permis de réprimer les cas d'abus réels qui se sont produits. Il me vient d'emblée à l'esprit deux cas dans les cinq ou sept dernières années où les médias ont colporté des informations qui allaient incontestablement à l'encontre de l'intérêt public.
Je vais vous donner un exemple qu'on a trouvé dans le domaine public : un « dénonciateur » du secteur des transmissions qui a donné le nom de pays qui étaient des cibles. Cela ne pouvait qu'être gravement nuisible à l'intérêt public, mais il n'y a pas eu de poursuites. Les journaux ont publié cela, et c'est dans le domaine public.
Il est donc difficile de trouver l'équilibre, et il devrait certainement y avoir une disposition quelconque concernant les médias.
Pour revenir à votre dernière question, je pense que la réponse ne consiste pas à trouver une formulation parfaite. La réponse ne consiste pas à trouver une formulation étroite qui se retrouvera ensuite dans des tribunaux très habiles à retourner des politiques publiques bien intentionnées. Je crois que l'objectif, ce serait plutôt une sorte de mécanisme intermédiaire—cela pourrait très bien être un comité parlementaire—quand il y a une contestation. Les parlementaires seraient à mon avis une tribune superbe pour représenter la dimension d'intérêt public.
º (1600)
Le président: Merci beaucoup.
M. Alan Borovoy: Je crois que ce que critique M. Campbell, ce n'est pas tellement la loi mais plutôt les gouvernements qui n'ont pas intenté de poursuites dans des cas où à son avis il y avait eu des abus. Il est clair que la loi permet ce genre de poursuites et que si les autorités ne veulent pas intenter des poursuites, c'est à eux qu'il s'en prend et non pas à la loi.
Le président: Je suis désolé, mais je dois intervenir. Je dois respecter... Vous aurez d'autres occasions d'intervenir, mais je dois donner la parole à M. Ménard.
Une simple précision, monsieur MacKay, vous constaterez que Mme O'Neill n'a pas fait l'objet d'accusations. Il y a un mandat et la Cour fédérale examine actuellement la constitutionnalité de ce mandat. Je tenais à préciser cette information pour que tout le monde sache bien qu'il n'y a pas actuellement de poursuites. Il n'y a jamais eu qu'un seul cas de poursuite, c'est le cas Worthington. Je crois que je ne me trompe pas.
M. Alan Borovoy: Monsieur le président, il y a des gens qui vous diront qu'elle n'a pas encore été accusée.
M. Peter MacKay: L'expression « poursuivre en justice » peut être utilisée de façon très large, comme vous le savez, monsieur le président.
Le président: C'est bien, je le sais.
Je voulais simplement préciser qu'il y avait une demande en Cour fédérale.
Monsieur Ménard, allez-y.
[Français]
M. Serge Ménard: Je vous remercie tous d'être venus. De toute évidence, vous avez une grande expertise; vous nous avez donné beaucoup à lire et à réfléchir. Évidemment, le temps mis à notre disposition pour vous questionner est très court. Nous sommes obligés de limiter nos interventions et nos questions à des sujets qui ne sont pas nécessairement les plus importants. Je crois qu'ils sont bien couverts ici, mais j'aimerais avoir quelques explications et entendre des opinions que vous n'avez pas exprimées.
Monsieur Campbell, vous m'avez beaucoup surpris quand vous avez comparé notre capacité à garder des secrets à celles des États-Unis et de l'Angleterre. Si je comprends bien, vous trouvez que la nôtre est très mauvaise, que celle des Américains est presque pire encore, mais qu'en Angleterre, on semble être beaucoup plus efficace. Vous ai-je bien compris?
J'ai moins compris ce qui fait la supériorité de l'Angleterre à ce sujet. Évidemment, nous n'avons pas été complètement épargnés par le terrorisme. L'attentat d'Air India a été l'un des pires à l'échelle mondiale, et c'est de chez nous que l'avion était parti. Quant au terrorisme du FLQ, il semble presque banal par rapport à celui que nous avons à affronter aujourd'hui. Je vous ferai remarquer que c'est en Angleterre que les pires attentats terroristes ont eu lieu, et ensuite aux États-Unis, alors que nous, malgré nos faiblesses, semblons être plus à l'abri.
Qu'est-ce qui fait la supériorité de l'Angleterre, particulièrement par rapport aux États-Unis?
º (1605)
M. Tony Campbell: Je vous remercie de votre question. En effet, vous avez bien compris ma distinction. Je pense que le Canada, comme dans beaucoup de choses, est au milieu des tendances.
[Traduction]
D'un côté, il y a la tendance à l'ouverture et à des décisions ouvertes, et c'est l'idéal américain. On le constate dans le fait est que rares sont les institutions aux États-Unis qui peuvent conserver un secret. C'est aussi en partie parce qu'on juge que ce n'est pas nécessaire. C'est en partie le prolongement d'une assez longue tradition. Il est vrai qu'avec l'administration actuelle à Washington, il y a un retour de balancier assez prononcé. Mais je crois essentiellement que la différence entre les Britanniques et les Américains, c'est que les Américains ont une tendance à l'ouverture alors que les Britanniques ont une longue tradition d'hermétisme. Il y a une culture du secret en Grande-Bretagne qui fonctionne même en l'absence d'une loi.
Je suis étonné de me retrouver ici en train de suggérer que le Canada aille dans cette direction, car je crois vraiment que les choses sont allées trop loin en Grande-Bretagne. Je crois qu'on commence à le constater : au cours des derniers mois, on a appris des secrets extraordinaires. Mais à l'approche de la guerre en Irak, quand on aurait pu souhaiter que plus de secrets sortent du placard, cela n'a pas été le cas. Il n'est donc pas facile de trouver le bon équilibre.
L'idée de base, c'est qu'un secret est quelque chose qui existe dans l'intérêt public et qu'il est nécessaire dans l'intérêt public de pouvoir conserver des secrets. C'est une idée qu'on ne comprend pas très bien au Canada. Si l'on perd la capacité d'avoir des secrets, on perd la capacité de surprise et on se prive de la possibilité d'un débat honnête à huis clos. C'est pour toutes ces raisons que je viens militer ici en faveur d'une plus grande capacité d'avoir des secrets.
[Français]
M. Serge Ménard: Je suis obligé d'aller très vite, mais j'aimerais vous poser la question fondamentale que je me pose depuis le début de ces audiences, une question fondamentale pour tous les rapports que nous écrirons.
Vous êtes un expert en matière de renseignements. Je ne sais pas si vous avez une formation juridique ou non; vous pourriez peut-être nous le dire. Il est évident qu'après des actes terroristes comme ceux du 11 septembre, tous les organismes d'État se sentent obligés de faire quelque chose. En tant que législateurs, nous sentons la pression de nos électeurs. Il faut montrer que nous faisons quelque chose. Comme tout ce que nous pouvons faire ce sont des lois, nous faisons donc des lois.
En fait, quand on regarde ce que l'on sait au sujet de ceux qui ont participé aux événements du 11 septembre, on constate que l'une des principales leçons à retenir est que, au fond, les manquements se situaient au niveau des services de renseignements. Ce ne sont pas tellement les lois qui manquaient, mais la façon dont les services de renseignements ont agi ou les moyens utilisés.
Croyez-vous vraiment que si nos lois antiterroristes actuelles avaient existé, par exemple aux États-Unis, cela aurait empêché les attentats terroristes les plus meurtriers que nous ayons connus, comme ceux du 11 septembre, de Madrid, etc.? Croyez-vous que les lois elles-mêmes, cette possibilité de pouvoir garder des gens en prison en vertu de preuves inconnues, font une différence? Ou croyez-vous plutôt que ce qui fait une différence, c'est l'efficacité des services secrets et des services de renseignements?
º (1610)
[Traduction]
M. Tony Campbell: J'ai fait des études de droit. Je ne suis pas avocat, mais j'ai passé plusieurs années dans le domaine de la réforme législative et la réforme de la réglementation. Il y a une chose tout à fait remarquable à connaître si l'on veut comprendre comment la tragédie du 11 septembre a pu se produire, quelque chose que je ferais placer bien avant le renseignement, c'est la responsabilité des organismes de réglementation des États-Unis : ces autorités n'ont pas voulu appliquer des réglementations concernant le verrouillage des cabines de pilotage qui étaient déjà acceptées internationalement. Il y avait une exemption dans la loi américaine pour donner satisfaction à un lobby riche et puissant de pilotes d'avion qui ne voulaient pas qu'on restreigne leur liberté. Si l'on veut chercher les explications profondes du 11 septembre, il y a beaucoup de pistes, mais en tant qu'observateur à la fois de la réglementation et du renseignement, j'estime que la réglementation doit occuper une place de premier plan. Il y avait aux États-Unis de mauvaises lois décidées à la légère par des législateurs trop facilement achetés.
Votre question sous-jacente ou votre principale question est de savoir si des lois antiterroristes plus efficaces auraient permis d'éviter le 11 septembre. Encore, vu la multiplicité des facteurs en cause, je pense que ce serait une erreur de dire qu'on aurait pu éviter ainsi cette catastrophe. Mais l'un des maillons faibles de la chaîne de facteurs qui ont mené à cette tragédie a été la capacité antiterroriste globale des États-Unis, notamment la relation entre le FBI et les organismes de renseignement extérieurs, qui était une exigence législative. En ce sens, les lois qui encouragent les interactions entre services de renseignement à l'étranger, services de renseignement intérieurs et services de renseignement policiers changeront la donne pour les efforts futurs de lutte contre le terrorisme.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
[Français]
M. Serge Ménard: Nous voudrions proposer une disposition pour atténuer les effets lorsque l'on doit présenter une preuve dont on ne peut divulguer les sources parce que cela mettrait cette dernière en danger ou encore parce que cela ferait tout échouer.
Je vois que même M. Borovoy est d'accord que, exceptionnellement, certaines procédures comme celle-là devraient être prises. Toutefois, il nous dit, comme d'autres, que l'on devrait, dans ces circonstances, avoir des avocats désignés ayant une cote de sécurité.
En tant qu'expert en services de renseignements, comment voyez-vous cela? N'est-ce pas un point faible, un talon d'Achille du système? Trouvez-vous que c'est une mesure acceptable que de se donner la peine de vérifier la cote de sécurité de certains avocats qui auraient, de plus, la confiance de ceux qu'ils défendraient?
[Traduction]
M. Tony Campbell: Je crois que la bonne solution, c'est d'avoir des personnes ayant une cote de sécurité qui seraient chargées des questions de surveillance des informations, qu'il s'agisse du gouvernement face au public, du gouvernement face aux médias ou du gouvernement face aux universitaires, car il n'y aura jamais un texte parfait qui permettra de définir exactement les deux intérêts qui s'opposent. Mais il faudrait peut-être qu'on ait des personnes ayant une cote de sécurité pour s'occuper de l'aspect information de ce débat.
Pourrais-je ajouter ici une remarque que je n'ai pas faite mais qui s'inscrit dans la vision du monde en général? Est-ce que nous nous sommes adaptés au monde contemporain de l'information? Tout le monde sait que nous vivons dans un monde de l'information; il a beaucoup évolué, mais nous sommes encore à la traîne de certaines idées du XXe siècle. Donc il me semblerait logique d'aborder les conflits en matière d'information—en l'occurrence entre le gouvernement et quelqu'un qui aurait divulgué l'information ou la posséderait—en ayant recours à un pouvoir de décision intermédiaire qui ne serait pas un représentant de la justice mais quelqu'un qui porterait un jugement.
[Français]
M. Serge Ménard: Monsieur Gollob, finalement je dois dire que nous vivons dans un pays où les hommes politiques n'intimident pas la presse ou très peu. Après avoir été conseiller juridique à titre gratuit de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec pendant plus de 20 ans et faisant maintenant de la politique depuis 10 ans, je dirais que ce sont les hommes politiques qui se sentent intimidés par les médias au Canada.
º (1615)
M. David Gollob: J'aimerais ajouter un très bref commentaire à ce que vous avez dit tout à l'heure.
Vous vous souvenez d'un mémorandum envoyé par un agent du FBI après les attentats du 11 septembre, dans lequel il révélait que les autorités avaient reçu un avertissement qu'il y aurait des attentats et qu'on aurait ignoré cet avertissement. Est-ce que ce mémorandum serait resté secret en vertu des lois canadiennes? C'est une question que je pose à vous tous.
[Traduction]
Le président: Merci.
Monsieur Comartin, vous êtes le suivant sur ma liste.
M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.
Merci à tous de votre présence.
Monsieur Campbell, je dois dire que vous avez une vision de l'histoire différente de la mienne, notamment pour ce qui est du début du dernier siècle, le début des années 1900 où les anarchistes—comme on les appelait à l'époque, mais maintenant ce serait des terroristes—ont joué un rôle important et ont probablement même provoqué le plus grand incident qui ait entraîné le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Sous toutes sortes de perspectives historiques, je n'ai jamais accepté l'idée que le monde ait subi un bouleversement aussi radical à la suite du 11 septembre.
Mais je voudrais vous demander... Ce qui me dérange beaucoup, c'est qu'une des justifications que vous avancez pour avoir un cadre beaucoup plus rigide—et, je dois le dire, un cadre beaucoup moins démocratique et en tout cas beaucoup moins soucieux de la préservation des droits civils et des libertés civiles—, c'est un mécanisme quelconque pour protéger la liberté de parole, la libre circulation de l'information chez les fonctionnaires. Personnellement, je crois que la question de trouver un équilibre entre la perte de droits civils et de libertés civiles et la protection du rôle des fonctionnaires ne se pose pas vraiment. En tout cas, s'il faut vraiment choisir, j'opterais sans hésiter pour les libertés civiles.
N'avons-nous pas le droit de nous attendre à ce que nos fonctionnaires—surtout dans ce domaine—surmontent leur hésitation à communiquer des informations quand le choix, c'est la perte de libertés civiles pour tout le pays?
M. Tony Campbell: Vos deux remarques sont liées d'une certaine façon. Si vous estimez que le monde n'a pas tellement changé après le 11 septembre—et je mentionnerais simplement la révolution de l'information parmi d'autres—ou si vous dites que le monde n'est pas tellement différent de celui de 1914, où des anarchistes ont déclenché la Première Guerre mondiale, je pense que votre argument est logique. C'est pour cela que j'ai eu un dilemme quand j'y ai réfléchi. Si le monde a changé et s'il est devenu plus dangereux, et s'il faut donc modifier le comportement du Canada, alors j'en conclus que nous devons modifier certaines de nos tendances et certains de nos comportements traditionnels. J'en arrive donc à être moins démocratique et être moins axé sur les libertés civiles. Affectivement, cela ne m'enthousiasme pas, mais je veux vous expliquer ma position. Malgré tout le vacarme et le tapage que l'on entend, je crois vraiment que les choses ont changé. L'aspect essentiel de cette différence, c'est que nous sommes dans un monde où, j'ai le regret de le dire, George Bush a raison : il faut passer à l'action préventive au lieu d'attendre l'attaque pour réagir comme on le faisait traditionnellement. Donc, sous cet angle, nous ne serons pas d'accord si nous avons au départ une vision différente de l'histoire.
Mais sur la question des libertés civiles, je ne voudrais pas renoncer à la protection de ces libertés. Il faudrait que ces libertés soient totalement protégées, y compris l'accès à l'information. C'est pourquoi je dis qu'il ne doit pas s'agir de protéger tout ce que fait un gouvernement ou tout ce qu'il décide de déclarer secret. Je suis entièrement d'accord avec l'idée d'une définition plus serrée. Mais en définitive, ce que je dis, c'est qu'il existe des secrets et qu'on doit pouvoir garder un secret. Il ne s'agit pas du tout de faire plaisir aux fonctionnaires, vous vous trompez complètement là-dessus. Les fonctionnaires ne sont pas élus. Si un fonctionnaire commence à se dire que son opinion est supérieure à celle des gens qui prennent la parole à la période des questions, le gouvernement n'est plus du tout ce qu'il est.
º (1620)
M. Joe Comartin: Je suppose que le risque, c'est ce vers quoi nous allons.
Monsieur Borovoy, vous avez parlé de l'intervenant désintéressé. Nous avons du mal... l'un des précédents, et je crois qu'on a distribué ceci. Il y avait une lettre d'un lecteur, je pense, ou un article de Ian MacDonald, qui avait joué ce rôle au Royaume-Uni pendant sept ans, avant de démissionner en janvier. Dans cet article récent, il explique les raisons de sa démission, précisant que le rôle de l'avocat dans cette situation, lorsqu'il s'agit d'être là sans pouvoir partager les renseignements avec celui qu'on pourrait appeler l'accusé, dans le sens large du mot, se résume à celui d'un accessoire dans un injuste... Il n'a pas mâché ses mots, pour dire que le rôle de l'intervenant désintéressé n'était vraiment pas approprié dans les circonstances.
Je ne sais pas si vous avez lu cette lettre, ou cet article, et si vous avez des commentaires à formuler.
M. Alan Borovoy: Non, je n'ai pas vu cet article, mais ce que vous en dites semble contredire le jugement de la cour d'appel britannique, je pense. Après avoir entendu une affaire semblable, on a insisté sur la contribution particulière faite par l'avocat indépendant, ce que nous appelons l'intervenant désintéressé. Je ne suis donc pas convaincu qu'il y a un consensus sur la valeur de cette fonction.
Quoi qu'il en soit, je pense qu'on aurait tort de rejeter cette idée parce qu'elle ne pourrait pas bien fonctionner, de bien des façons. Je peux présumer que beaucoup de ces éléments ne fonctionneront pas bien, mais je dirais que ce genre de méthode est bien moins pire que d'autres que vous pourriez imaginer. Je pense que c'est là une meilleure façon d'évaluer la validité de ce qui est proposé : ce n'est ni parfait, ni bien, ni satisfaisant, mais comparé au reste, c'est bien moins pire.
M. Joe Comartin: Rapidement, parce que je veux poser une question à M. Forcese, dans la même veine, le problème, lorsqu'il s'agit de l'intervenant désintéressé, c'est que tout est entre les mains du service de sécurité, et non entre celles du juge, lorsqu'il s'agit de sécurité nationale et de ce qui peut être divulgué.
J'aimerais revenir à un argument de M. Campbell, parce que bon nombre d'entre nous ici savent à quel point les documents sont surclassifiés. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, on dit que jusqu'à 80 p. 100 des documents le sont. Mais c'est de ce genre de renseignement qu'on parle. Quand on s'adresse au juge dans ces circonstances, en présence de l'intervenant désintéressé, il n'y a pas accès, il ne peut pas partager ces renseignements de toute façon, avec qui que ce soit, pas plus l'équipe d'avocats représentant l'accusé que l'accusé lui-même.
Ne faudrait-il pas remanier le système de manière qu'un juge prenne ces décisions, un juge bien renseigné? Je sais qu'il y a un problème, mais...
M. Alan Borovoy: Actuellement, ce sont les juges qui prennent ces décisions. J'ai bien de la sympathie pour eux, surtout dans notre système actuel, parce que les juges sont seuls. Ils ont l'habitude d'un processus accusatoire. Il n'y en a pas, dans ce cas-là, alors que cela pourrait beaucoup aider les juges.
En outre, on pourrait envisager non pas des changements à la procédure de l'intervenant désintéressé, mais d'autres moyens de rendre le système plus viable. On pourrait notamment donner aux juges un personnel qui ferait un travail préliminaire, dans ces dossiers, et qui acquerrait une certaine compétence dans le domaine. On me dit, par exemple, que la cour FISA des États-Unis, qui émet des mandats de surveillance clandestine, profite ainsi d'un certain personnel. Je pense que cela serait aussi très utile.
J'estime qu'il faut étudier cela, reconnaître que ce ne sera pas idéal et qu'il y aura des lacunes, tout en essayant de trouver des moyens comme ceux-ci pour simplifier les problèmes.
º (1625)
M. Joe Comartin: Monsieur Forcese, je pense qu'au Royaume-Uni, comme définition, on donne : « préjudiciable à l'intérêt national ». D'après votre évaluation de leur loi et de leur régime, est-ce urne réussite? Qu'est-ce qui est « préjudiciable à l'intérêt public »—que signifient ces mots? Ont-ils été bien interprétés, sans les galvauder, en les protégeant contre l'incompétence ou l'abus par le régime?
M. Craig Forcese: C'est une question empirique assez difficile et je ne suis pas en mesure de faire une analyse de la façon dont on s'en est servi en pratique. Je ne suis pas au courant d'affaires où l'on a interprété la loi de 1989. Il y a beaucoup de textes critiquant la loi de 1989, particulièrement l'absence d'une disposition de dérogation en fonction de l'intérêt public, pour l'équivalent chez nous des personnes tenues au secret en raison de leurs fonctions. Des critiques ont également été exprimées au sujet des définitions des raisons du secret, parce qu'elles ne sont pas suffisamment précises. Mais je ne peux pas vous parler de la façon dont la loi a été appliquée, en pratique, dans l'expérience britannique.
M. Joe Comartin: Est-ce que des accusations ont été portées en vertu de la loi britannique?
M. Craig Forcese: Pas que je sache, mais je ne suis pas vraiment en mesure de m'en rendre compte.
M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Lee, vous avez la parole.
M. Derek Lee: Merci.
J'accepte vos témoignages au sujet de la Loi sur la protection de l'information. La refonte de cette loi devait se faire avant le 11 septembre 2001. Cela faisait vraiment partie des tâches prévues. Je dirais que les événements du 11 septembre l'ont empêchée, parce qu'il fallait préparer un programme et pour cela, reporter ce projet. La loi a en partie été refaite dans le cadre du projet de loi C-36. Vos commentaires sont toutefois utiles.
Revenons à des questions pratiques, de manière à profiter des commentaires pratiques de M. Borovoy. Parlons de la définition de l'activité terroriste, qui n'a pas jamais été facile à énoncer et qui ne l'est pas davantage aujourd'hui. Je conteste son opinion. Je sais qu'il me répondra, et d'autres parmi vous aussi, peut-être. Il dit qu'une manifestation publique du genre qui pourrait se produire...Disons une grosse manifestation au centre-ville de Winnipeg ou de Toronto, ou ailleurs, parlons de celle en Ukraine, pour voir ce qui constitue une activité terroriste. Je parle de la partie de la définition où se trouvent les exceptions pour ce genre d'activité. Voici le libellé : Sauf dans le cadre de revendications, de protestations ou de manifestations d'un désaccord ou d'un arrêt de travail qui n'ont pas pour but de provoquer l'une des situations mentionnées », soit de causer la mort, de causer des dommages matériels ou de mettre en danger, de manière intentionnelle. On essaie là, vraiment, d'exclure de la définition des « activités terroristes » les manifestations, les représentations et les dissensions comme celles que vous avez décrites.
M. Alan Borovoy: Monsieur Lee, faute de temps, je n'ai pu avoir la courtoisie de reconnaître que je savais que le gouvernement s'était efforcé de réduire la portée de cette définition, mais vous avez omis un mot clef, en lisant la définition, il y a un instant, soit les mots « l'une des situations ». Ce que je prétends, c'est que si vous vous engagez dans des activités de protestation, et non pas simplement de manifestation...Je dis que s'il y avait une grève politique nationale, certains services essentiels ou vitaux pourraient bien être paralysés. Les protestataires peuvent ne pas avoir voulu causer les préjudices à la santé ou à la sécurité, tout en ayant voulu adopter des comportements qui auraient pu causer ces préjudices. Voilà pourquoi on pourrait prétendre que ce genre d'activité est couverte par la définition.
º (1630)
M. Derek Lee: Bien. On pourrait probablement analyser un scénario de ce genre, mais très clairement, la définition fait exception pour les activités qui n'ont pas pour but de produire les préjudices dont on parle. Je comprends qu'on puisse imaginer un scénario où tous les éléments interchangeables d'une manifestation monstre produiraient un effet très négatif, et où certaines personnes...
M. Alan Borovoy: Il ne s'agit pas que d'une manifestation, mais aussi d'autres activités qui pourraient être associées à une grève politique d'ampleur nationale. J'ai très bien pesé mes mots.
Mais laissez-moi dire une chose à ce sujet. Je pense que l'on pourrait très bien prétendre que ce genre de chose entre dans la définition, malgré ce que vous dites des intentions du gouvernement.
M. Derek Lee: Les intentions du Parlement.
M. Alan Borovoy: Du Parlement, pardonnez-moi, où avais-je la tête?
Oui, cela étant, je vous dis que ce n'est pas ce que disent les mots. Lorsqu'il s'agit de définir le terrorisme, une décision très cruciale doit être prise. Faut-il rédiger une définition qui englobe toutes les activités terroristes imaginables, ou faut-il en rédiger une plus étroite, parce que plus sa portée est grande, plus il est plausible de l'appliquer à autre chose que ce que l'on veut? On peut concevoir le contraire, aussi, avec une définition si étroite qu'elle ne s'applique qu'aux situations où des innocents sont ciblés délibérément, avec une violence grave, tout en sachant que la définition ne s'appliquera pas à certaines activités terroristes. À cela, je réponds que les actes posés sont de toute façon illégaux, et qu'il n'est pas nécessaire d'y appliquer la définition du terrorisme.
M. Derek Lee: Bien, mais à ce moment-là... Le Canada veut toujours pouvoir déceler des activités terroristes, et intervenir de manière préventive, avant que soit commis un acte terroriste. Cela signifie qu'il faut élargir la définition, plutôt que de la limiter, à moins de pouvoir compter sur une infraction de complot, par exemple. Pour que le gouvernement ait le pouvoir d'agir de manière préventive, il ne serait pas logique de limiter la portée de la définition. Voilà ce qui motivait le gouvernement, sachant que les terroristes modernes sont perfides et ne cessent de réfléchir à des manières cruelles et horribles de nuire à ceux à qui ils en veulent.
Je vous laisse répondre.
M. Alan Borovoy: Rien de ce que j'ai dit n'empêcherait le gouvernement d'intervenir, si vous voulez, à ces stades préliminaires. D'ailleurs, notre discussion sur la définition n'a rien à voir avec ce problème. Il s'agit de savoir sur quoi porte ultimement cette définition du terrorisme. Vous voyez, vous parlez de choses préliminaires : la facilitation, la participation et tout le reste. Je n'en ai pas parlé. Je ne parle que de ce que vous voulez dire, au bout du compte, par activité terroriste.
M. Derek Lee: Merci.
Le président: Monsieur Maloney, vous avez la parole.
M. John Maloney: La guerre contre le terrorisme est un phénomène mondial. Un pays ne peut vraiment agir seul, isolément des autres. C'est une question de confiance. Si un pays a un régime moins restrictif qu'un autre, prenons l'exemple du Canada et du Royaume-Uni, est-ce que le pays plus restrictif nous fera suffisamment confiance pour nous confier des renseignements? Comment pourrions-nous fonctionner dans ce monde?
º (1635)
M. Alan Borovoy: Je pense qu'il faut être bien plus précis que ne le permet cette question. Vous avez certes raison, dans l'abstrait, où en général, je n'ai pas d'objection à ce qu'il y ait des contrôles sur la dissémination de l'information. J'ai dit, par exemple, qu'on pourrait faire obstacle à la dissémination de documents qui pourraient nuire à la défense du pays. Ce dont vous parlez donnerait ce résultat, et serait capté par une définition aussi étroite.
Comme on dit, les difficultés surgissent des menus détails; le contraire aussi, je dirais, et nous sommes tout à fait capables de concevoir des critères plus stricts à cet égard. Ils pourraient porter sur des renseignements comme ceux dont vous parlez, et les protéger, sans englober toutes sortes d'autres choses que ne voudraient aucunement compromettre des démocrates.
M. John Maloney: Monsieur Campbell, vous voulez dire quelque chose?
M. Tony Campbell: Je voulais vous donner des statistiques. Je pense que les gens qui ont vu toute l'information qui inonde le gouvernement les reconnaîtront. Vous avez raison, le terrorisme est un problème mondial. Nos relations commerciales sont aussi très mondiales, il y a un lien entre les deux. Quand quelque chose va mal, les enjeux sont importants. Je dirais que les renseignements nécessaires à la politique étrangère du gouvernement du Canada, à sa politique en matière de sécurité et de défense dépend à 90 p. 100 de sources extérieures.
D'où la grande importance de votre question. Quand on voit en nous un maillon faible, nous ne sommes plus dignes de confiance. Je ne dis pas que c'est le cas pour nous. D'après une certaine école de pensée, qui est à certains égards justifiée, d'après mon expérience, le Canada tient tellement à protéger ses secrets qu'il va plus loin que d'autres pays, ce qui a un effet de douche froide, un effet réducteur. Cela signifie évidemment qu'il faut un régime digne du respect de ceux qui nous fournissent les renseignements.
M. John Maloney: J'ai une autre petite question. Considérant l'expérience du Royaume-Uni dans sa lutte contre le terrorisme et l'IRA, avant même le phénomène du 11 septembre 2001, le gouvernement s'est rendu compte que l'IRA a appris de ses erreurs, souvent grâce aux renseignements qui circulaient peut-être plus librement. Les Britanniques sont devenus plus circonspects, laissant filtrer moins d'information, et sont devenus plus efficaces dans leur lutte contre l'IRA et le terrorisme. Peut-on dire qu'il est préférable de garder nos secrets, de laisser filtrer moins de renseignements, pour éviter que des terroristes y aient accès et s'en servent contre nous?
M. Tony Campbell: La libre circulation des renseignements à l'intérieur du gouvernement est l'une des conclusions clés des études sur les États-Unis après le 11 septembre. Elle ne se faisait pas, et on essaie d'y remédier. J'ai l'impression qu'actuellement on arrive mieux à promouvoir l'échange d'information à l'intérieur même du gouvernement. C'est une leçon qui aurait pu être tirée plus tôt de l'expérience britannique. Vous avez raison. les Britanniques avaient un partage d'information interorganisationnel peu efficace, mais cela s'est amélioré notamment, si j'ai bien compris, à la création d'organismes encourageant le partage d'information.
Nous constatons la même chose dans la guerre actuelle en Irak : les activités liées à l'insurrection ont une remarquable capacité d'adaptation et de modification des tactiques. Cela résulte de la disponibilité de l'information et de la capacité de garder des secrets et les Américains ont bien du mal à composer avec cela.
Je pense en effet que l'information doit bien circuler à l'intérieur même du gouvernement, c'est très important. Mais il faut voir ce qui doit filtrer à l'extérieur.
º (1640)
Le président: Merci, chers collègues.
Il me reste très peu de temps. Pour ceux de vous qui veulent poser de courtes questions, je préviens les témoins qu'ils devront donner de brèves réponses.
Monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.
Pour ce qui est de cet effet inhibant, ou des conséquences d'une impression ou d'une réalité, à savoir que le Canada ne partage pas bien l'information ou en est peut-être trop jaloux, je crois qu'il y a dans le contexte actuel des ramifications réelles, graves, à cela, et c'est pourquoi je reviens à mon idée première, soit la manière dont nous allons équilibrer les choses. Je crois, monsieur Campbell que vous avez employé ce mot plusieurs fois, cette idée d'équilibre.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'état actuel des choses. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur la protection des renseignements... nous avons entendu le commissaire à l'information, qui semblait dire qu'il existait une culture du secret très têtue. Ce sont les mots qu'il a employés. Selon votre expérience et selon les effets qu'a eus cette loi sur vos domaines d'expertise, croyez-vous que l'on classifie en ce moment de plus en plus d'information? Pensez-vous que cette loi a eu pour effet de marquer du sceau du secret un plus grand nombre de documents? C'est vraiment de cela dont il s'agit. Il s'agit de la classification des documents. Croyez-vous que c'est ce qui se passe en ce moment? Cet effet est-il déjà visible?
M. Alan Borovoy: Il est difficile d'attribuer un phénomène particulier à une loi. Ça ne se fait pas. Dans la vraie vie, l'une des choses les plus difficiles à prouver, c'est la cause. Mais en ce qui concerne la culture du secret, voyez ce qui se passe à la commission Arar et le nombre de plaintes et de conflits qui proviennent du fait qu'on demande des informations essentielles au gouvernement. À maints égards, cela permet de juger un peu mieux le climat existant.
M. David Gollob: Si l'on me permet d'intervenir, l'histoire canadienne récente n'a pas été marquée par la découverte par des journalistes de secrets qui auraient mis en péril la sécurité nationale. L'histoire canadienne récente a plutôt été marquée par ces tentatives visant à supprimer ou à occulter la vérité, tentatives qui ont échoué de la Somalie au scandale des commandites, en passant par le sang contaminé.
Ce qui nous préoccupe dans l'affaire O'Neil, c'est qu'en vertu de cette loi, la simple enquête d'une journaliste a déjà... Dans le cas de Peter Worthington, le Toronto Sun a dû verser quelque chose... et il en a coûté en 1978 100 000 $. En argent d'aujourd'hui, ce serait un montant énorme. Le Ottawa Citizen a dépensé énormément d'argent, dans les centaines de milliers de dollars, pour défendre Juliet O'Neil. En vertu de cette loi, la simple enquête d'une journaliste est un acte répréhensible en lui-même, et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous demandons à ce que la loi soit abrogée.
M. Peter MacKay: Toujours à ce propos, j'aimerais poser une question supplémentaire.
Dans le contexte de cette loi, êtes-vous inquiet lorsque vous entendez l'actuel ministre de la Justice dire qu'il se pourrait qu'une nouvelle loi élargisse en fait le nombre d'interceptions de communications, avec tout ce que cela suppose quant à la manière de recueillir et d'utiliser des informations, et que l'on pourrait donc appliquer cette loi aux informations qui ont été recueillies par une interception d'informations?
M. David Gollob: Nous n'avons pas vu le texte de loi, nous ne le commenterons donc pas. Cependant, la question qu'il faut se poser est celle-ci, qu'est-ce qui est arrivé ici du fait des mesures prises par la GRC dans l'affaire O'Neil, par exemple? Est-ce que cela a accru la confiance du public dans la nécessité d'avoir de plus grands pouvoirs de surveillance et dans la faculté qu'a la police de les utiliser et tout le reste? Ou est-ce que tout cela n'a pas eu pour effet de diminuer la confiance du public dans nos institutions responsables de la sécurité, pour ce qui est de la manière dont elle gère ces dossiers importants?
º (1645)
Le président: Merci.
M. Lee, suivi de M. Comartin, mais l'avis que vous me donnez n'a pas de rapport avec les témoins.
Donc, monsieur Lee, c'est à vous.
M. Derek Lee: Pour la plupart d'entre nous, l'examen que nous entreprenons peut sembler être une rétrospective du terrorisme, des événements qui ont suivi et de notre loi. Je crois plutôt, pour ma part, que nous sommes en plein milieu de ces événements. D'ailleurs, on pourrait même songer à redonner du muscle aux autres lois pour contrer la menace qui ne cesse d'évoluer.
Il ne faut surtout pas croire que la menace a disparu. Au contraire, elle est des plus réelles.
Plusieurs des membres du comité ont gardé contact avec leurs homologues d'autres parlements étrangers, et je viens moi-même d'apprendre aujourd'hui que les Britanniques se proposent de modifier leur loi. Ils songent à resserrer l'étau entourant certaines activités—telles que les actes préparant les activités terroristes, la formation des terroristes, l'incitation au terrorisme et la glorification du terrorisme. Il s'agit là de nouvelles façons de voir comment on peut limiter l'évolution de la menace des terroristes. Cela soulève donc toutes sortes de questions autour des définitions telles que celles dont M. Borovoy et moi discutions plus tôt. J'imagine que nous aurons encore besoin de vous consulter à un moment donné. Voilà ce à quoi je voulais aboutir. Vous n'êtes pas obligés de répondre.
M. Alan Borovoy: Si vous nous faites là une invitation, je l'accepte, même si je n'ai pas consulté mes collègues encore.
M. Derek Lee: Tant mieux, merci.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Lee.
Mesdames et messieurs, voici ce qui met un terme à notre table ronde. En votre nom, je remercie chacun de nos témoins.
Vos interventions nous ont semblé extrêmement stimulantes et sont d'importantes matières à réflexion. Cela constituera sans doute la pierre d'assise de ce sur quoi nous allons nous pencher au cours des prochaines semaines et des prochains mois, dans le cadre de l'examen législatif que nous avons entrepris. Au nom du comité, je vous remercie de votre comparution.
Avant de lever la séance, j'aimerais vous signaler que M. Comartin m'a demandé d'entretenir le comité sur une question particulière. Monsieur Comartin, avec l'indulgence du comité, je vous donne la parole.
M. Joe Comartin: J'avais préparé une motion que j'entendais déposer à cette séance-ci, mais que j'avais accepté de reporter, sauf que la situation est devenue urgente. Dans ma motion, je proposais que le comité demande à la Chambre la permission de voyager pour aller visiter trois personnes qui sont actuellement incarcérées en vertu d'un certificat de sécurité. Vous savez sans doute que deux d'entre eux ont fait la grève de la faim, mais que l'un d'entre eux a mis un terme à la sienne le week-end dernier. Mais l'autre personne se meurt presque. D'après ce que j'ai entendu dire aujourd'hui, elle a été retirée des services correctionnels et envoyée en surveillance médicale. Je n'ai pas plus de détails, et je saute peut-être trop vite aux conclusions, mais j'ai l'impression qu'on la nourrit par intraveineuse pour la garder en vie.
La question est de savoir si l'intervention de notre comité ne permettra pas de faire des pressions sur le gouvernement provincial, de qui relève l'institution carcérale, pour que la personne en question soit traitée de la façon dont proposent de le faire ses médecins et pour qu'on lui permette la visite de ses deux jeunes enfants, ce qui lui a été refusé jusqu'à maintenant. Je signale simplement au comité que je devrais peut-être déposer officiellement ma motion demain, ce qui correspondrait à l'avis initial que j'avais laissé au greffier. Je demanderai peut-être à mes collègues demain d'envisager une intervention éventuelle de la part du comité.
Une dernière chose. J'ai causé avec M. Lee pendant la pause, et il a laissé entendre que nous pourrions peut-être, à titre d'intervention, demander la comparution d'un ou de deux témoins, qui représenteraient les autorités carcérales provinciales et le SCRS qui, sauf erreur, s'occupe du dossier au palier fédéral. Par conséquent, si cela devenait nécessaire, je pourrais demander demain aux membres du comité de prendre une décision en ce sens.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur le Comartin.
À titre informatif et pour pleine et entière divulgation, je voulais vous signaler avoir récemment appris que la vice-première ministre et M. Kwinter, le ministre de l'Ontario, s'étaient entretenus au sujet de l'affaire Mahjoub. Je n'en sais pas plus que cela, mais je voulais vous informer du fait, en tant que collègues.
Monsieur Lee, vous aviez quelque chose à dire?
º (1650)
M. Derek Lee: Je voulais juste suggérer que le greffier se renseigne aussi précisément que possible pour savoir quel responsable canadien serait le mieux informé de la situation de cette personne et, si nécessaire, quel responsable au niveau provincial. Il s'agit d'ouvrir les voies de la communication. Si nous n'obtenons pas assez de renseignements pour que les membres du comité estiment savoir ce qu'ils ont besoin de savoir, nous devrions envisager de faire venir un de ces responsables ici et d'exiger des réponses.
Je suis sûr que le greffier serait en mesure de trouver suffisamment de renseignements pour nous, mais si un problème se présentait, je suggère que nous pourrions faire preuve d'un peu d'autorité.
Le président: Merci, monsieur Lee.
Monsieur Ménard, à vous.
[Français]
M. Serge Ménard: J'avoue que je vais peut-être paraître un peu candide, mais je crois qu'il est très important pour les membres du comité de comprendre certaines choses.
Nous avons de la difficulté à comprendre, mais nous accepterons peut-être un jour la raison pour laquelle nous devons envoyer des gens en prison en vertu de preuves qu'ils ne connaissent pas. Cependant, je comprends que lorsqu'ils sont envoyés en prison—c'est le cas de ces gens—, ils n'ont été ni accusés ni trouvés coupables de quoi que ce soit. Pourquoi faut-il donc que leur régime en prison soit pire que celui des condamnés?
Sur une question de principe, il me semble qu'on s'entendrait tous pour dire que leur incarcération devrait être conforme à la présomption d'innocence tant qu'ils ne sont pas trouvés coupables. C'est une disposition que je tire de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, où on crée cette obligation, mais il me semble qu'elle a probablement été reprise ailleurs aussi. Il me semble que c'est dans l'intérêt public que nous en comprenions la raison, parce que c'est un des motifs et une des demandes.
Je ne sais pas si vous partagez mon opinion ou si quelqu'un parmi vous connaît la réponse, auquel cas j'aimerais bien qu'il la partage avec moi.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Ménard.
Si vous êtes d'accord, je verrai quels renseignements je peux obtenir ce soir, en tant que président du comité.
Il y a eu une autre requête plus tôt; M. Maloney voulait obtenir la décision Harkat. Est-elle disponible ou sera-t-elle disponible?
Le greffier du comité (M. Wayne Cole): Je crois que oui.
Le président: Elle va être disponible. Nous aurons donc les renseignements voulus et je vous ferai savoir demain matin où nous en sommes. Sommes-nous d'accord? Fort bien.
Je vous remercie. La séance est levée.