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Bonjour, chers collègues.
Nous sommes le mercredi 31 mars 2010, et il s'agit de la quatrième réunion du Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan.
J'aimerais rappeler à tout le monde que notre réunion d'aujourd'hui sera télévisée et je vous demanderais de bien vouloir éteindre vos appareils de communication, qu'il s'agisse de téléphones ou de BlackBerry. Votre président montre l'exemple dès le départ, car c'est habituellement lui qui finit par recevoir un appel au milieu d'une réunion. Je vous encourage à en faire autant.
Nous poursuivons notre étude du transfert des détenus afghans. Notre premier témoin d'aujourd'hui sera Cory Anderson, directeur politique de l'Équipe provinciale de reconstruction du Canada en Afghanistan en 2008-2009. Il travaille au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous, monsieur Anderson. Nous nous réjouissons à la perspective d'entendre vos commentaires. Je me suis déjà entretenu avec vous et je crois que votre déclaration préliminaire durera moins de 10 minutes, ce qui nous permettra de vous poser davantage de questions. Je suis certain que vous avez déjà vu ces procédures et que vous savez que les membres de chaque parti feront une intervention.
Monsieur Anderson, bienvenue au Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. Nous avons hâte d'entendre votre déclaration préliminaire.
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Je vous remercie, Monsieur le Président.
Je m’efforcerai d’être bref dans mes commentaires, étant donné les longues délibérations qu’a déjà eues le Comité sur ce sujet, et j’aimerais aussi garder assez de temps pour des questions. Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, je m’appelle Cory Anderson. Je suis fonctionnaire au MAECI et, depuis mon arrivée à Kandahar en octobre 2006 en qualité de conseiller politique auprès de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, je travaille sur la question des détenus canadiens remis aux autorités afghanes.
Au cours des trois dernières années, j’ai occupé divers postes de politique et de gestion à Ottawa et à Kandahar, tous liés à l’engagement pangouvernemental du Canada en Afghanistan. Je viens de terminer une affectation en qualité de directeur politique de l’Équipe provinciale de reconstruction à Kandahar, et j’étais conseiller spécial auprès du Groupe consultatif indépendant sur l'avenir de la mission canadienne en Afghanistan.
En juin 2009, j’avais passé 20 des 36 mois précédents à Kandahar en affectation pour le gouvernement du Canada, et au cours de cette période, je me suis rendu à de multiples reprises au centre de détention de la Direction de la sécurité nationale (NDS) et à la prison de Sarposa.
Je suis fier d’avoir servi à Kandahar aux côtés de professionnels courageux, hommes et femmes, des Forces canadiennes, ainsi que des nombreux fonctionnaires civils, qui tous mettent leur vie en jeu jour après jour au service d’une cause noble et juste, à savoir l’instauration de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans un pays ravagé par plus de 30 ans de guerre et de conflit.
Pendant toute la durée de mes fonctions, la gestion du dossier difficile et souvent compliqué du transfert aux autorités afghanes des détenus canadiens conformément au droit international humanitaire et aux obligations internationales du Canada aura été une question très préoccupante. Comme vous le savez déjà, à partir de 2007 et avec comme point d’orgue la nouvelle entente conclue en mai de cette année, un certain nombre de dispositions supplémentaires adoptées ont nettement amélioré notre capacité de suivre les détenus canadiens remis à la NDS et au ministère de la Justice et de surveiller le traitement qui leur est réservé.
Il s’agit d’un progrès important, non seulement pour le bien-être de ces personnes, mais aussi parce que ce qui distingue le soutien de la FIAS au gouvernement actuel des mauvais traitements systémiques endurés sous le régime des talibans et de leurs partisans, ce sont non seulement les principes tels que la primauté du droit, le respect et les droits de la personne reconnus à l’échelle internationale, mais tout aussi important, la notion que ces valeurs représentent un moyen d’avancer et de tourner le dos à la peur et à la répression que l’immense majorité de la population endure depuis plus d’une génération.
Nous ne pouvons prétendre vouloir le changement d’une part et, d’autre part, fermer sciemment les yeux devant les mauvais traitements infligés par des fonctionnaires afghans parce que cela va à l’encontre des principes mêmes que nous envoyons des femmes et des hommes défendre là-bas au péril de leur vie. Cela sape aussi la confiance du public, troublant et aliénant encore plus une population maintes fois déçue dans le passé, et donnant du grain à moudre à des insurgés passés maîtres dans l’art de la manipulation.
Grâce à la nouvelle entente et à la base de données sur les détenus créée peu après sa conclusion, nous sommes plus en mesure de suivre ces personnes, et l’entente comme la base de données ont eu un effet immédiat et tangible sur le terrain, à Kandahar. Force est de reconnaître que M. David Mulroney, en particulier, a fait preuve du leadership nécessaire pour la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions.
D’après mon expérience, les difficultés que nous rencontrions dans le dossier des détenus avant l’application de la nouvelle entente étaient essentiellement un concentré de deux problèmes fondamentaux: la duplicité endémique et systémique au sein de la NDS, en particulier à l’échelon provincial, qui existe encore aujourd’hui et qui fait qu’il est pratiquement impossible d’avoir des relations ouvertes et transparentes avec ses représentants sur le terrain à Kandahar sur cette question, est le premier de ces problèmes. Problème qui était exacerbé par une entente initiale sur le transfert des détenus qui était insuffisante, non seulement par son contenu, mais aussi parce qu’elle était cosignée par un général canadien et le ministre de la Défense afghan, le général Wardak, tous deux dégagés par leur propre organisation de toute responsabilité directe en ce qui concerne le suivi ou la surveillance après les transferts.
Autrement dit, avant mai 2007, cette tâche cruciale était laissée à la Commission indépendante des droits de l’homme afghane — qui en était à ses balbutiements et qui était, pour l’essentiel, tenue à l’écart par l’appareil de sécurité afghan — et au CICR dans le cadre de son contrôle plus général des centres de détention afghans, CICR qui, bien entendu, ne nous remet pas de rapport.
Le ministre de la Défense afghan n’a aucune autorité sur la NDS et, contrairement aux forces néerlandaises et britanniques du Commandement régional (Sud), les Forces canadiennes ont fait comprendre clairement dès le départ que leur supervision et leur responsabilité par rapport aux prisonniers faits par les Canadiens cessaient au moment de leur transfert ou de leur remise en liberté.
Selon moi, ce n’est pas par manque de volonté d’améliorer l’entente initiale sur le transfert des détenus qu’il a fallu du temps pour rédiger le nouvel accord et l’appliquer, loin de là, car nous nous sommes aperçus de ses failles dès mon arrivée à Kandahar. La raison n’en est pas non plus de longues négociations avec le gouvernement afghan. C’est en fait une conséquence du vif débat qui faisait rage à Ottawa entre les responsables militaires et civils à propos de la nature exacte du régime de surveillance canadien, étant donné les très réelles préoccupations que nous avions, en tant que représentants du Canada, quant à la volonté et à l’intention de la NDS de se plier légitimement aux disposition de toute nouvelle entente. Ce débat n’aurait pas eu lieu si de hauts fonctionnaires canadiens n’avaient pas eu pleinement conscience du risque plausible de mauvais traitements auxquels étaient exposés les détenus canadiens remis à la NDS.
Presque tout de suite, la nouvelle entente s’est traduite, en gros, par un système à deux paliers, système où les Forces canadiennes entretiennent quotidiennement avec la NDS des rapports étroits et approfondis sur tous les aspects des opérations militaires et de la recherche de renseignements, mais refusent de se mêler d’une des facettes de ces relations où le respect des obligations internationales est le plus menacé, ce qui oblige des services civils, à savoir le MAECI, à mettre en place un régime de surveillance complet dans lequel le rôle des militaires se limite à assurer le transport aller-retour au centre de détention ainsi que la sécurité générale que cela comporte, ce qui revient à confier la tâche monumentale de la surveillance au sein d’une institution aussi impénétrable par nature que la NDS à une poignée de civils canadiens jugés suspects et n’entretenant pas avec la NDS les rapports globaux qui transcendent la gestion et la supervision des détenus.
Comme des témoins l’ont déjà expliqué au Comité, la création du poste de sous-ministre délégué du MAECI chargé de la coordination de l’effort afghan, qui est ensuite passé au BCP à la création du Groupe de travail sur l’Afghanistan, après les recommandations du Groupe Manley, a été essentielle pour atténuer bon nombre des coupures très évidentes en 2006-2007 sur le terrain, à Kandahar, où les Forces canadiennes étaient, et restent, très majoritairement le visage de notre mission afghane et où des personnes comme moi étaient en trop petit nombre et souvent dépassées par l’immensité de la tâche.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier M. Anderson d'être venu nous exposer son point de vue, de fait le principal point de vue, puisqu'il a joué un rôle déterminant dans l'élaboration et l'application du nouvel accord amélioré dont il est question ici. C'est parce que l'accord antérieur, qui datait de 2005 et avait été formulé par le gouvernement antérieur — comme vous l'avez si justement souligné — était rempli de failles qui vous causaient beaucoup de soucis, à vous, à vos collaborateurs, aux fonctionnaires du ministère et à tous les Canadiens qui étaient là-bas.
Eh bien, permettez-moi de revenir sur le fait qu'il s'agit d'un théâtre de guerre. Ce n'est pas un environnement pacifique; c'est un théâtre de guerre. Alors, je tiens à vous féliciter. Je veux féliciter tous ces gens qui ont travaillé d'arrache-pied afin que le droit humanitaire soit appliqué et que soit respecté tout ce pour quoi le Canada est reconnu. Vous êtes allé là-bas et vous avez relevé les failles de l'accord de 2005. Vous y avez travaillé avec diligence. Alors, j'aimerais vous poser la question suivante. Après l'accord de 2007 auquel vous et vos collaborateurs avez travaillé tellement fort, êtes-vous convaincu que la situation en général, le travail que vous et les gens du ministère avez fait, respectait toutes les obligations internationales qu'assume le Canada?
J'ai un affidavit d'un procès britannique, de quelqu'un qui avait un poste semblable au vôtre. L'affidavit est assez révélateur. Il traite de beaucoup de points dont vous avez parlé. Il dit en fait que la DNS ne semble pas faire partie d'un ministère, ni être suivie par un organisme constitutionnel. Je dirais qu'elle ne rend de comptes à personne, sauf au président. Cependant, même cela a été mis en doute.
Il y a d'autres témoignages provenant des conclusions d'Amnistie Internationale et de Human Rights Watch qui disent tous la même chose: la DNS est complice de torture et de violations des droits de la personne. Ces rapports ne sont pas des secrets d'État. En fait, ce que cette personne qui a travaillé pour le gouvernement britannique et qui a été dans la région dit, c'est que sachant cela, il est impossible de travailler avec la DNS; on ne peut changer leurs façons de faire. Autrement dit, nous devrions arrêter de transférer nos détenus à la DNS.
Êtes-vous d'accord pour dire que nous devrions arrêter de transférer les détenus à la DNS, à la lumière des rapports dans lesquels Human Rights Watch, Amnistie Internationale et de nombreux autres organismes affirment que nous ne pouvons tout simplement pas faire confiance à la DNS?
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Je prends certainement cela comme un compliment. Je ne considère pas faire partie de l'équipe B.
Je félicite les membres du comité de porter des cravates et des foulards aujourd'hui dans le cadre de la sensibilisation au cancer de la prostate, j'aurais fait de même avec mon uniforme, mais je crois que le sergent-major aurait eu quelque chose à dire.
[Français]
Monsieur le président, merci de m'avoir invité ici cet après-midi. Je suis heureux d'être parmi vous pour vous entretenir de mon expérience en Afghanistan.
Pendant ma dernière visite ici, on a parlé de nos efforts pour bâtir la capacité des forces afghanes, notamment la police et l'armée afghanes. Depuis ce temps, j'occupe le poste de chef d'état-major des opérations terrestres. Je suis donc l'officier qui gère les affaires quotidiennes de l'armée de terre. C'est nécessaire de le préciser, parce que même si je travaille au sein des Forces canadiennes, je ne participe pas au dossier de l'Afghanistan en ce moment.
[Traduction]
J'ai pensé que j'en viendrais tout de suite à l'essentiel en vous entretenant directement de la question des détenus durant la période où j'ai été commandant de la Force opérationnelle Kandahar, soit du 14 mai 2008 au 19 février 2009.
Permettez-moi de préciser dès le départ que je me suis assuré que mes commandants et mon QG comprenaient parfaitement qu'à mon avis, il y avait trois principaux risques d'un échec stratégique. Lorsque je parle d'échec stratégique, je fais allusion aux problèmes qui, en l'absence d'une solution, pourraient très bien se traduire par une défaite. Je vous fais part de ces trois risques en étant conscient de ce que le général Leslie m'a dit tout juste avant mon départ pour Kandahar, je le cite: « Denis, il te sera impossible de remporter cette guerre en neuf mois, mais tu peux certainement la perdre. » Nous n'avons pas remporté la guerre, mais nous ne l'avons pas perdue non plus.
Alors quels étaient ces risques stratégiques? Tout d'abord, un nombre important de victimes amies — c'est-à-dire des victimes canadiennes et américaines, car j'avais des soldats américains sous mon commandement — serait perçu comme un échec stratégique. Cela ne signifie pas que nous avons évité le combat en restant dans nos bases d'opérations avancées, au contraire. Cela ne signifie pas non plus qu'il fallait user consciencieusement de pratiques d'atténuation, comme celles permettant de contrer les omniprésentes attaques aux dispositifs explosifs de circonstance (IED). Néanmoins, nous étions en guerre, et la FO Kandahar a essuyé 25 tués et de nombreux blessés au combat sous mon commandement. Il ne se passe pas une seule journée sans que je pense aux vrais soldats derrière ces données.
Deuxièmement, les pertes civiles, qu'on qualifie souvent de manière antiseptique de « dommages collatéraux », devaient être évitées en se fiant à ce que les soldats canadiens exercent quotidiennement à Kandahar leur discipline et leur jugement. Ici encore, des incidents se sont produits en raison de la nature complexe du milieu, et j'ai été très attristé d'apprendre la mort d'innocents dans la province de Kandahar. Dans chaque cas, les incidents ayant donné lieu à la mort de civils ont fait l'objet d'enquêtes par le SNEFC en collaboration avec la Police nationale afghane. Les membres de la famille endeuillée ont toujours été traités avec respect.
Le troisième risque stratégique et celui qui intéresse le plus le comité aujourd'hui, est la question des détenus. Lorsque je suis arrivé à Kandahar en tant que commandant, le processus de traitement des détenus était un système bien rodé. Chez les soldats, les tactiques, techniques et procédures pour la prise de détenus étaient bien comprises et bien répétées lors de notre entraînement préparatoire. En fait, il y avait et il y a toujours un ordre permanent de la force opérationnelle où il est question du traitement et du transfert des détenus. De leur capture jusqu'à leur arrivée à l'installation de transfert des détenus à l'aérodrome de Kandahar, les détenus étaient traités et déplacés en stricte conformité avec la norme requise pour les prisonniers de guerre en vertu de la troisième Convention de Genève.
Je crois que les circonstances dans lesquelles les détenus ont été confiés aux autorités afghanes, dans ce cas à la DNSA, la Direction nationale de la sécurité afghane, est ce qui intéresse le plus le comité. À mon quartier général, il y avait un comité appelé Groupe consultatif du commandant sur les détenus, qui était formé de quatre officiers des FC (le chef des opérations, le chef du renseignement et l'officier des détenus de la FOI Afghanistan, les trois étant conseillés par l'avocat militaire de la Force opérationnelle). L'agent du MAECI était mon conseiller politique. Ces personnes me consultaient (ou mon adjoint si je n'étais pas au camp) afin de faire examiner le dossier et déterminer si le détenu devait être retenu, libéré ou transféré dans les 24 heures. C'était un processus quotidien.
La décision de transférer un détenu à la Direction nationale de la sécurité afghane était prise selon que j'estimais qu'il y avait suffisamment de preuves ou non de le lier à l'insurrection. Si le détenu devait être transféré, cela ne se faisait que si j'étais satisfait « qu'il n'y avait aucun motif sérieux de croire que le détenu risquait d'être soumis à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements en cas de transfert ».
Ce jugement était fondé sur un examen des derniers rapports produits par l'agent responsable du MAECI affecté à l'Équipe de reconstruction provinciale (ERP). Cory Anderson vient de vous expliquer ce processus.
Durant mon commandement, il n'y a eu aucun rapport négatif concernant l'installation de la DNSA dans la ville de Kandahar. De façon générale, nous avons tenté de ne retenir aucun détenu plus de 96 heures; si cela se produisait, nous en informions le Commandement de la Force expéditionnaire du Canada. Il y a quand même toujours eu des exceptions.
Nous avons eu deux cas de détenus qui souffraient d'une capacité mentale limitée, et notre défi était de trouver quelqu'un de responsable pour s'en occuper (aucun des deux détenus ne répondait aux critères pour un transfert). Dans l'un des cas, nous avons trouvé la famille de l'homme, et dans l'autre cas, nous avons demandé au Comité international de la Croix-Rouge de le prendre en charge.
Les détenus blessés avaient droit aux mêmes soins médicaux que nos propres soldats. Si l'on déterminait qu'il s'agissait d'un insurgé et d'un candidat éventuel au transfert, il demeurait dans l'installation de transfert jusqu'à la fin de sa convalescence. Dans un cas, un détenu s'est remis de ses blessures pendant quatre mois sous nos soins.
Durant mon commandement, nous avons eu un certain nombre de détenus; nous en avons libéré les trois quarts et transféré environ un quart à la DNSA. Dans chaque cas, j'étais convaincu, après avoir fait preuve de diligence raisonnable, que le transfert se faisait pour garantir que le détenu n'entrait pas dans une installation où il aurait à subir de mauvais traitements ou de la torture.
[Français]
J'espère que j'ai répondu aux questions concernant les détenus. Sinon, je suis disposé à répondre à toute question que vous souhaiteriez me poser, tout en gardant à l'esprit que j'ai quitté Kandahar il y a 13 mois.
Merci, monsieur le président.
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C'est très gentil. Je vous remercie.
[Traduction]
Encore une fois, il y a vraiment deux conditions.
Premièrement, s'il n'y a pas suffisamment de preuve pour relier quelqu'un aux insurgés, il n'y a aucune raison de le garder. Il faut savoir que les conditions dans lesquelles des gens sont capturés sur le champ de bataille ne sont pas exactement nettes. Ce n'est pas comme une arrestation faite ici à Ottawa. Dans la confusion du combat, vous capturez quelqu'un parce qu'il a des restes de poudre sur les mains ou quelque chose de semblable. Puis, il arrive à l'installation de transfert où il est interrogé par la police militaire, nous voyons alors s'il y a des preuves qui le lient au mouvement insurrectionnel. C'est cela le crime. C'est ce que nous essayons d'établir.
La DNSA se fonde sur cette preuve pour l'inculper dans le cadre du système judiciaire afghan. S'il est condamné à une longue peine de prison, il sera envoyé, comme la plupart de nos détenus, à la prison Sarposa. Je n'en avais pas parlé parce qu'il s'agit d'un projet complètement différent.
C'est comme s'il y avait la prison de comté — c'est-à-dire l'installation de la DNSA dans la ville de Kandahar — puis un peu plus loin la prison où sont envoyés ceux qui ont été poursuivis en justice et jugés coupables.
Donc, c'est la première chose. S'il n'a pas suffisamment de preuves, il n'y a aucune raison de transférer la personne interpellée.
Je peux parler des malheureux dont la capacité mentale est limitée. Ce sont eux qui sont envoyés avec des bombes sur eux par les talibans — qui ne sont pas gentils, comme nous le savons tous. Les talibans attacheront une bombe sur une personne mentalement déficiente et l'enverront vers la cible puis ils déclencheront l'explosion à l'aide d'une télécommande. Quand nous arrivons à désamorcer les explosifs, nous mettons la personne en détention. Nous ignorons totalement qui elle est jusqu'à ce que nous lui fassions subir un interrogatoire.
Nous avons constaté, dans au moins deux cas, que ces personnes étaient mentalement déficientes et qu'il fallait les renvoyer dans leurs familles.
Le premier point, donc, est que s'il n'y a pas de preuve pour le lier aux insurgés, il n'y a aucune raison de le transférer — ou même de le garder.
Le deuxième élément est, bien sûr, que nous ne ferons pas de transfert si nous savons qu'il y aura...
[Traduction]
Mais, maintenant, je parle de l'équipe pangouvernementale. Le Canada a la responsabilité de suivre les prisonniers dans le système afghan. Je faisais de mon mieux pour apporter mon aide avec la collaboration de mes partenaires de l'équipe pangouvernementale.
Suivre un détenu, en tout cas où nous nous trouvions dans le Sud, signifiait qu'il fallait assurer le transport de mes collègues des Affaires étrangères dans ce milieu hostile pour qu'ils puissent visiter ces endroits — et notamment la prison Sarposa dont, soit dit en passant, nous n'avons pas vraiment discuté. Nous protégions les agents du service correctionnel quand ils allaient à la prison Sarposa, aidions le personnel de l'ACDI à reconstruire les murs, nous offrions ce genre d'assistance.
Donc, même si ce n'était pas des gens en uniforme qui faisaient le suivi, c'était les membres de l'équipe pangouvernementale.
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Encore une fois, mes commentaires se limiteront à la période où j'ai assumé la responsabilité du commandement.
Je n'ai pas ménagé mes efforts pour cultiver un environnement positif, et Elissa Golberg en a fait autant. Nous avons formé un quartier général intégré, une équipe intégrée. Je ne peux me prononcer sur ce qui a eu lieu avant ou après moi. Mais je peux vous dire que, même si tout n'était pas toujours rose, il y avait beaucoup de discussions enflammées quant à la direction que les choses pourraient prendre. Nous arrivions toujours à un compromis qui faisait l'affaire de chacun, alors je crois que notre relation n'était pas simplement cordiale; elle était chaleureuse.
En ce qui concerne les organismes externes, sans rien vous révéler de confidentiel, je vous dirai simplement que j'avais toutes les semaines une réunion sur la sécurité de la province avec le gouverneur et tous les intervenants de sécurité afghans pertinents. Et au niveau régional, je rencontrais mon général, le commandant hollandais de Kruif. Elissa était là, car nous formions une équipe. Le représentant des Nations-Unies a aussi été présent à quelques reprises, de même que le type qui administrait le bureau du Comité international de la Croix-Rouge. Je savais qui il était, et j'avais une politique de porte grande ouverte à son égard. C'est tout ce que je puis vous dire, car ces gens doivent préserver leur neutralité.
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Ils reçoivent une formation complète sur le traitement des prisonniers de guerre, ou PG, car cela fait partie de l'entraînement général. Ce n'est pas quelque chose que l'on réserve à ceux qui partent en Afghanistan.
Au cours de leur formation, ils passent en revue tous les droits que détient un prisonnier de guerre en vertu des lois sur les conflits armés et de la troisième Convention de Genève, ainsi que la façon de les traiter, de les maîtriser au moyen de menottes flexibles, bref, tout le côté technique. Il est question des détenus à chaque étape de l'entraînement collectif. Dès que l'on sort du cadre de la formation du peloton, de la compagnie, du bataillon ou de la brigade, il y a toujours des scénarios avec des prisonniers — que nous appelons « PG » ou « détenus » dans le contexte afghan —, afin que les soldats puissent s'exercer à capturer les prisonniers, puis à les faire passer par toutes les étapes de la logistique et à les conduire à ce que l'on appelle, dans un contexte général de guerre, la cellule des prisonniers de la brigade, mais qui, dans le contexte afghan, est l'installation de transfert des détenus, située à l'aérodrome de Kandahar.
On peut établir de nombreux parallèles entre notre entraînement général et celui que nous avons dû recevoir pour l'Afghanistan, et du point de vue d'un soldat, ils sont presque identiques. Le problème est de savoir ce que l'on doit faire de cette personne après son arrivée à l'installation de transfert des détenus.
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Merci, monsieur le président.
D'abord, je désire souhaiter la bienvenue au général Thompson et m'excuser de mon absence. J'étais sur l'autre « théâtre d'opérations » en train de mener une opération spéciale.
Une voix: Ah, ah!
M. Claude Bachand: J'ai lu ce que vous avez dit concernant ce que peuvent être des preuves, ou non, liées à l'insurrection. Je comprends ça. Je vois aussi que vous examiniez souvent des rapports qui pouvaient provenir du ministère des Affaires étrangères pour fonder votre jugement. Vous reconnaissez que vous avez une responsabilité. Quand vous transférez un détenu lié à l'insurrection, vous devez vous assurer qu'il n'y a pas de risque de torture, parce que vous savez que vous pouvez vous faire taper sur les doigts si vous le faites.
Bgén Denis William Thompson: Oui, exactement.
M. Claude Bachand: J'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez du colonel Juneau et du général Laroche. On a posé cette question aujourd'hui. Il y a quelques mois, voici ce que disait le colonel Juneau:
[Traduction]
« La fréquence des rapports de visites aux détenus me préoccupe », a écrit l'officier supérieur, qui a réclamé des mises à jour d'inspection post-transfert pour être certain qu'il ne faisait pas courir aux détenus un « risque réel » de torture.
[Français]
Un peu plus bas, le général Laroche avance ceci:
[Traduction]
...nous considérons essentiel d'avoir une meilleure vue d'ensemble de la situation.
[Français]
Vous semblez dire que vous n'avez eu aucun rapport négatif. Avez-vous eu fréquemment des rapports? C'est peut-être l'enjeu. Juneau et Laroche disent qu'on n'avait pas assez de rapports et que c'était dangereux, selon eux, de transférer les détenus. Vous êtes arrivé quelques mois après: y a-t-il eu un changement? Avez-vous vu ces rapports?