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AFGH Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan


NUMÉRO 004 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 31 mars 2010

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Bonjour, chers collègues.
    Nous sommes le mercredi 31 mars 2010, et il s'agit de la quatrième réunion du Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan.
    J'aimerais rappeler à tout le monde que notre réunion d'aujourd'hui sera télévisée et je vous demanderais de bien vouloir éteindre vos appareils de communication, qu'il s'agisse de téléphones ou de BlackBerry. Votre président montre l'exemple dès le départ, car c'est habituellement lui qui finit par recevoir un appel au milieu d'une réunion. Je vous encourage à en faire autant.
    Nous poursuivons notre étude du transfert des détenus afghans. Notre premier témoin d'aujourd'hui sera Cory Anderson, directeur politique de l'Équipe provinciale de reconstruction du Canada en Afghanistan en 2008-2009. Il travaille au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
    Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous, monsieur Anderson. Nous nous réjouissons à la perspective d'entendre vos commentaires. Je me suis déjà entretenu avec vous et je crois que votre déclaration préliminaire durera moins de 10 minutes, ce qui nous permettra de vous poser davantage de questions. Je suis certain que vous avez déjà vu ces procédures et que vous savez que les membres de chaque parti feront une intervention.
    Monsieur Anderson, bienvenue au Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. Nous avons hâte d'entendre votre déclaration préliminaire.
    Je m’efforcerai d’être bref dans mes commentaires, étant donné les longues délibérations qu’a déjà eues le Comité sur ce sujet, et j’aimerais aussi garder assez de temps pour des questions. Merci, monsieur le président.
    Mesdames et messieurs, je m’appelle Cory Anderson. Je suis fonctionnaire au MAECI et, depuis mon arrivée à Kandahar en octobre 2006 en qualité de conseiller politique auprès de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, je travaille sur la question des détenus canadiens remis aux autorités afghanes.
    Au cours des trois dernières années, j’ai occupé divers postes de politique et de gestion à Ottawa et à Kandahar, tous liés à l’engagement pangouvernemental du Canada en Afghanistan. Je viens de terminer une affectation en qualité de directeur politique de l’Équipe provinciale de reconstruction à Kandahar, et j’étais conseiller spécial auprès du Groupe consultatif indépendant sur l'avenir de la mission canadienne en Afghanistan.
    En juin 2009, j’avais passé 20 des 36 mois précédents à Kandahar en affectation pour le gouvernement du Canada, et au cours de cette période, je me suis rendu à de multiples reprises au centre de détention de la Direction de la sécurité nationale (NDS) et à la prison de Sarposa.
    Je suis fier d’avoir servi à Kandahar aux côtés de professionnels courageux, hommes et femmes, des Forces canadiennes, ainsi que des nombreux fonctionnaires civils, qui tous mettent leur vie en jeu jour après jour au service d’une cause noble et juste, à savoir l’instauration de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans un pays ravagé par plus de 30 ans de guerre et de conflit.
    Pendant toute la durée de mes fonctions, la gestion du dossier difficile et souvent compliqué du transfert aux autorités afghanes des détenus canadiens conformément au droit international humanitaire et aux obligations internationales du Canada aura été une question très préoccupante. Comme vous le savez déjà, à partir de 2007 et avec comme point d’orgue la nouvelle entente conclue en mai de cette année, un certain nombre de dispositions supplémentaires adoptées ont nettement amélioré notre capacité de suivre les détenus canadiens remis à la NDS et au ministère de la Justice et de surveiller le traitement qui leur est réservé.
    Il s’agit d’un progrès important, non seulement pour le bien-être de ces personnes, mais aussi parce que ce qui distingue le soutien de la FIAS au gouvernement actuel des mauvais traitements systémiques endurés sous le régime des talibans et de leurs partisans, ce sont non seulement les principes tels que la primauté du droit, le respect et les droits de la personne reconnus à l’échelle internationale, mais tout aussi important, la notion que ces valeurs représentent un moyen d’avancer et de tourner le dos à la peur et à la répression que l’immense majorité de la population endure depuis plus d’une génération.
    Nous ne pouvons prétendre vouloir le changement d’une part et, d’autre part, fermer sciemment les yeux devant les mauvais traitements infligés par des fonctionnaires afghans parce que cela va à l’encontre des principes mêmes que nous envoyons des femmes et des hommes défendre là-bas au péril de leur vie. Cela sape aussi la confiance du public, troublant et aliénant encore plus une population maintes fois déçue dans le passé, et donnant du grain à moudre à des insurgés passés maîtres dans l’art de la manipulation.
    Grâce à la nouvelle entente et à la base de données sur les détenus créée peu après sa conclusion, nous sommes plus en mesure de suivre ces personnes, et l’entente comme la base de données ont eu un effet immédiat et tangible sur le terrain, à Kandahar. Force est de reconnaître que M. David Mulroney, en particulier, a fait preuve du leadership nécessaire pour la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions.
    D’après mon expérience, les difficultés que nous rencontrions dans le dossier des détenus avant l’application de la nouvelle entente étaient essentiellement un concentré de deux problèmes fondamentaux: la duplicité endémique et systémique au sein de la NDS, en particulier à l’échelon provincial, qui existe encore aujourd’hui et qui fait qu’il est pratiquement impossible d’avoir des relations ouvertes et transparentes avec ses représentants sur le terrain à Kandahar sur cette question, est le premier de ces problèmes. Problème qui était exacerbé par une entente initiale sur le transfert des détenus qui était insuffisante, non seulement par son contenu, mais aussi parce qu’elle était cosignée par un général canadien et le ministre de la Défense afghan, le général Wardak, tous deux dégagés par leur propre organisation de toute responsabilité directe en ce qui concerne le suivi ou la surveillance après les transferts.
     Autrement dit, avant mai 2007, cette tâche cruciale était laissée à la Commission indépendante des droits de l’homme afghane — qui en était à ses balbutiements et qui était, pour l’essentiel, tenue à l’écart par l’appareil de sécurité afghan — et au CICR dans le cadre de son contrôle plus général des centres de détention afghans, CICR qui, bien entendu, ne nous remet pas de rapport.
    Le ministre de la Défense afghan n’a aucune autorité sur la NDS et, contrairement aux forces néerlandaises et britanniques du Commandement régional (Sud), les Forces canadiennes ont fait comprendre clairement dès le départ que leur supervision et leur responsabilité par rapport aux prisonniers faits par les Canadiens cessaient au moment de leur transfert ou de leur remise en liberté.
    Selon moi, ce n’est pas par manque de volonté d’améliorer l’entente initiale sur le transfert des détenus qu’il a fallu du temps pour rédiger le nouvel accord et l’appliquer, loin de là, car nous nous sommes aperçus de ses failles dès mon arrivée à Kandahar. La raison n’en est pas non plus de longues négociations avec le gouvernement afghan. C’est en fait une conséquence du vif débat qui faisait rage à Ottawa entre les responsables militaires et civils à propos de la nature exacte du régime de surveillance canadien, étant donné les très réelles préoccupations que nous avions, en tant que représentants du Canada, quant à la volonté et à l’intention de la NDS de se plier légitimement aux disposition de toute nouvelle entente. Ce débat n’aurait pas eu lieu si de hauts fonctionnaires canadiens n’avaient pas eu pleinement conscience du risque plausible de mauvais traitements auxquels étaient exposés les détenus canadiens remis à la NDS.

  (1535)  

    Presque tout de suite, la nouvelle entente s’est traduite, en gros, par un système à deux paliers, système où les Forces canadiennes entretiennent quotidiennement avec la NDS des rapports étroits et approfondis sur tous les aspects des opérations militaires et de la recherche de renseignements, mais refusent de se mêler d’une des facettes de ces relations où le respect des obligations internationales est le plus menacé, ce qui oblige des services civils, à savoir le MAECI, à mettre en place un régime de surveillance complet dans lequel le rôle des militaires se limite à assurer le transport aller-retour au centre de détention ainsi que la sécurité générale que cela comporte, ce qui revient à confier la tâche monumentale de la surveillance au sein d’une institution aussi impénétrable par nature que la NDS à une poignée de civils canadiens jugés suspects et n’entretenant pas avec la NDS les rapports globaux qui transcendent la gestion et la supervision des détenus.
    Comme des témoins l’ont déjà expliqué au Comité, la création du poste de sous-ministre délégué du MAECI chargé de la coordination de l’effort afghan, qui est ensuite passé au BCP à la création du Groupe de travail sur l’Afghanistan, après les recommandations du Groupe Manley, a été essentielle pour atténuer bon nombre des coupures très évidentes en 2006-2007 sur le terrain, à Kandahar, où les Forces canadiennes étaient, et restent, très majoritairement le visage de notre mission afghane et où des personnes comme moi étaient en trop petit nombre et souvent dépassées par l’immensité de la tâche.
    Excusez-moi, monsieur Anderson...

[Français]

    Est-ce possible de ralentir un peu pour les interprètes?

[Traduction]

    Est-ce que nous pourrions vous demander de ralentir un peu la cadence? Les interprètes ont de la difficulté à vous suivre.
    Vous n'avez pas à retourner en arrière.

[Français]

    Merci beaucoup, madame Lalonde.

[Traduction]

    À mesure que nous avons augmenté le nombre de civils et le rang de nos représentants, cette dichotomie a commencé à changer progressivement, mais selon moi, malgré tous nos efforts pour travailler en collaboration avec la NDS pour ce qui est de proposer des formations aux droits de la personne et d’apporter à leur centre de détention des améliorations infrastructurelles importantes, nous n’avons jamais réussi à remédier totalement ou convenablement aux failles inhérentes à cette institution en tant que partenaire viable travaillant aux côtés de nos représentants sur une question de cette importance.
    Je vous remercie de votre attention.
    Merci beaucoup, monsieur Anderson.
    Passons maintenant à la première série de questions. Monsieur Dosanjh, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur Anderson.
    J'ai deux ou trois questions, et s'il me reste du temps, je pourrais peut-être le partager avec mon collègue.
    Monsieur Anderson, pendant les 20 mois sur 36 que vous avez passés là-bas, avez-vous eu l'occasion d'informer des ministres ou le chef d'état-major de la Défense?
    J'ai eu des conversations avec de nombreux ministres et hauts gradés militaires pendant qu'ils étaient à Kandahar et qu'ils rendaient visite aux membres de l'EPR et des FAC. Nous les mettions au courant d'un certain nombre de questions pertinentes du jour à toutes sortes de sujets — la primauté du droit, les opérations générales. Nous abordions habituellement la question des détenus, mais si je me souviens bien, nous n'en parlions pas, du moins, de façon exclusive, mais plutôt en général, dans le cadre d'une discussion plus vaste de la situation au moment de leur arrivée.

  (1540)  

    Avez-vous parlé, par exemple, de la façon dont nous gérions les cas de maltraitance des détenus?
    Je ne dirais pas que nous gérions la situation pour ce qui est des cas de maltraitance, mais plutôt que nous gérions l'entente que nous avons signée avec la NDS et les responsables de la prison Sarposa. Nous nous sommes tous entendus, évidemment, pour dire que l'on se préoccupait, surtout du côté de la NDS, des personnes avec qui nous travaillions. Alors dans le contexte de ces discussions, nous soulevions certaines questions qui se rapportent aux détenus, mais il y en avait habituellement un certain nombre d'autres.
    À votre connaissance, du côté de la NDS, est-ce que le général Hillier, par exemple, nourrissait les mêmes inquiétudes au sujet des détenus? Je suppose que vous l'avez rencontré à l'occasion de diverses séances d'information...
    En effet.
    ... ainsi que le ministre MacKay. Est-ce qu'ils nourrissaient la même inquiétude? Est-ce qu'ils se disaient préoccupés des mauvais traitements infligés par les membres de la NDS?
    Je dirais plus qu'ils se préoccupaient du processus par lequel nous avions effectué nos transferts et qu'ils s'inquiétaient de la NDS en particulier. Ils se demandaient si elle était un partenaire viable avec qui travailler, puisque c'est le commandant sur le terrain qui décide de transférer un détenu ou de le remettre en liberté.
    À votre avis, était-elle un partenaire viable lorsque vous étiez là-bas?
    Non, elle ne l'était pas.
    Savez-vous si elle est maintenant un partenaire viable?
    Si j'en juge par mon expérience, il faut diviser le ministère de la Justice et la NDS en deux groupes distincts. À la prison Sarposa, nous avons eu l'occasion de travailler très étroitement avec leurs responsables, notamment dans la foulée de l'évasion. Nous avons instauré un certain nombre de programmes différents à leurs côtés. Nous avons chargé des fonctionnaires de Services correctionnels Canada de les encadrer sur le terrain et de rester avec eux jour après jour pour tenter de mettre leurs compétences à niveau. Nous n'avons pas du tout le même type de relation avec le personnel de la NDS.
    Alors, en tant que directeur politique de l'EPR, il a été difficile pour moi de signer même une nouvelle entente et une entente de transfert, d'une part, qui a fait en sorte que nous n'ayons aucun autre partenaire que la NDS, du moins au stade initial du transfert, mais, d'autre part, de manquer vraiment de confiance en la capacité de ses responsables à se montrer à la hauteur de nos attentes. Il y a des exemples de situations où nous étions frustrés à l'EPR à cause de notre relation avec la NDS.
    Avez-vous des preuves de torture, aux installations de la NDS, des détenus qui étaient transférés?
    Les seuls que je connaisse précisément sont ceux dont le comité est déjà au courant. Si j'en juge par mon expérience, et par les visites et les entrevues effectuées à la NDS, aucune allégation précise de torture n'a été soulevée.
    Je crois que l'on doit tenir compte du fait que nous passons environ 15 minutes avec ces gens, et nous leur posons une série de questions selon un gabarit que nous avons élaboré. C'est très rigoureux, et ce n'est pas que nous n'avons pas fait preuve de diligence raisonnable pour veiller à ce que ces gens ne se retrouvent pas en situation dangereuse. Cependant, s'ils ne portent pas de marques visibles et s'ils ne nous avouent pas qu'ils ont été maltraités, nous n'avons aucune connaissance plus générale ou plus précise des cas réels.
    Tout ce que vous saviez sur la NDS, vous en avez fait part au moins au général Hillier et au ministre MacKay à diverses occasions.
    J'informais les gens — pas seulement les ministres ou les hauts gradés militaires — qui venaient à l'EPR s'ils posaient des questions au sujet de la NDS, ou je le faisais de façon proactive. Il y avait un certain nombre de personnes qui passaient par Kandahar presque chaque semaine: des hauts fonctionnaires canadiens, des représentants de la FIAS, des Américains... Nous leur faisions part de nos préoccupations au sujet de notre partenariat avec la NDS.
    Vous souvenez-vous d'avoir fourni de l'information au ministre MacKay?
    Je me souviens d'avoir eu des conversations avec le ministre MacKay.
    À combien de reprises?
    Je ne saurais dire avec certitude, mais je dirais à moins de cinq reprises.
    À moins de cinq reprises? Vous avez parlé de la question des détenus au moins une ou deux fois?
    Nous abordions des questions qui nous préoccupaient, des éléments qui, selon nous, mettaient la mission en péril.
    C'était une des ces questions.
    C'était une de ces questions.
    Avec le général Hillier, c'était, en gros, la même chose? D'accord.
    J'ai une question au sujet de la force opérationnelle interarmées (FOI) 2. Sans mettre les soldats en péril et sans porter atteinte à la sécurité nationale, y a-t-il quelque chose que vous pouvez nous dire au sujet de la FOI 2 et de son travail avec les forces des États-Unis ou autres? Aviez-vous des préoccupations à cet égard?

  (1545)  

    J'ai n'ai aucune préoccupation précise au sujet de la FOI 2 à part les préoccupations que nous avions tous, je crois, au sujet de la NDS.
    Mon évaluation n'est certainement pas exhaustive, et je n'ai pas passé beaucoup de temps avec la FOI 2 pendant que j'étais sur le terrain à Kandahar, mais je crois comprendre qu'ils suivent les mêmes processus que le groupement tactique pour transférer les détenus à la NDS, pour que le commandant en place soit toujours forcé de décider s'il doit transférer le détenu ou le remettre en liberté, qu'il ait été capturé dans le cadre d'opérations des forces spéciales ou de l'interaction générale avec nos membres du groupement tactique.
    Vous craigniez un risque de torture?
    J'avais les mêmes préoccupations dont nous venons de parler au sujet de la DNSA, quelle que soit la manière dont les gens étaient capturés.
    Et c'est ce qui posait un sérieux risque de torture?
    C'est une institution fondée sur le secret, et elle n'est pas toujours des plus transparentes, ni disposée à échanger l'information. Avec une telle attitude, il est difficile d'avoir confiance.
    Monsieur le président, combien me reste-t-il de temps?
    Vous avez dépassé votre temps.
    Merci beaucoup, monsieur Anderson.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Monsieur Anderson, j'aimerais mieux comprendre le sens de certaines remarques que vous avez faites, au début, quand vous parliez du caractère difficile — c'est ce que j'ai retenu — de vos relations avec la DNSA et avec les détenus, par rapport à la population. Où étiez-vous situé quand vous étiez là? Étiez-vous à Kandahar?

[Traduction]

    J'ai passé tout le temps où j'étais en mission à Kandahar, pas à Kaboul. Au début, en 2006-2007, j'étais affecté au terrain d'aviation de Kandahar. Ensuite, j'ai fait plusieurs voyages avec l'ERP pour le compte du gouvernement du Canada. Au bout du compte, j'ai eu le poste de directeur politique de l'ERP à Kandahar.

[Français]

    Comme directeur politique de l'EPR, étiez-vous en contact avec la population?

[Traduction]

    Absolument — presque quotidiennement.

[Français]

    Alors, vous étiez en mesure de comprendre que la question de savoir comment l'armée traitait les prisonniers était importante pour la population, et que celle-ci pouvait porter un jugement négatif si elle estimait que les prisonniers n'étaient pas bien traités.

[Traduction]

    Oui.

[Français]

    Avez-vous déjà discuté de ce problème que vous nous avez expliqué, avec le général Hillier par exemple?

[Traduction]

    Je n'ai jamais discuté de rien d'aussi spécifique avec le général Hillier. Quand j'étais en contact avec les officiers supérieurs, c'était surtout avec des gens comme le général Gauthier et les commandants de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, soit d'abord le général Grant, puis ensuite le général Laroche, le général Thompson et le général Vance.

[Français]

    Vous avez dit, à un moment donné, que le problème était un problème de duplicité, et que vous n'aviez jamais été capable de le régler, mais que vous aviez fait des efforts.

  (1550)  

[Traduction]

    Oui. À plus d'une reprise, nous avons essayé de collaborer avec la DNSA en offrant de la formation en matière de droits de la personne. Nous avions un programme très structuré qu'avait mis sur pied le Fonds de la paix et de la sécurité mondiales pour apporter des améliorations à l'infrastructure — un grand mur dans leur enceinte. Ils ont été attaqués à deux reprises pendant que j'étais à Kandahar, et ils avaient subi quelques dommages.
    Nous avons essayé d'établir des rapports plus personnels avec leurs hauts fonctionnaires, du côté civil. C'était l'une de mes priorités, en tant que directeur politique. J'ai entrepris de passer plus de temps avec eux, à titre personnel, pour essayer de mieux les connaître, de sorte que nous n'allions pas les rencontrer seulement afin d'interroger des détenus. C'était difficile. Ils étaient occupés, eux aussi. Ils passaient beaucoup de temps en dehors de l'enceinte de la DNSA et ils n'étaient pas intéressés à venir dans les installations de l'ERP. Si nous voulions assouplir le moindrement nos rapports avec eux, c'était toujours à nous d'aller vers eux. Il y avait des défis inhérents, comme vous vous en doutez, j'en suis sûr, à faire ces allées et venues quotidiennes entre l'ERP et la DNSA.

[Français]

    Avez-vous été en mesure de savoir pourquoi les gens de la DNSA avaient cette attitude et utilisaient la force et la violence? Vous êtes-vous interrogé à cet égard, et avez-vous trouvé des réponses ou des hypothèses?

[Traduction]

    J'interrogeais des gens de la DNSA toutes les semaines sur certaines de leurs méthodes, certains aspects pour lesquels je pensais que nous pouvions les aider à rendre leur personnel plus professionnel. Nous avons un contingent policier civil très solide à l'ERP, qui était prêt à travailler avec eux pour élaborer des stratégies d'interrogatoire différentes et trouver d'autres façons d'agir plus professionnelles.
    La DNSA n'a manifesté que peu d'intérêt — souvent, aucun intérêt — pour avoir avec nous, les civils à l'ERP, des rapports plus approfondis que ce qu'exigeait notre entente, c'est-à-dire qu'elle devait nous fournir l'accès aux détenus que lui avaient confiés les Forces canadiennes.

[Français]

    En êtes-vous arrivé à la conclusion que pour le bien de la mission, il ne faudrait plus transférer les détenus aux mains des gens de la DNSA, mais plutôt avoir des lieux différents? En auriez-vous parlé à quelqu'un dans la hiérarchie militaire?

[Traduction]

    Au fil des années, d'autres personnes et moi avons signalé à différents représentants officiels la possibilité d'avoir d'autres partenaires pour, au bout du compte, héberger les détenus transférés par les Forces canadiennes. Je ne relève pas de l'armée. J'ai ma propre structure hiérarchique. Pendant mon affectation à Kandahar, mais aussi pendant celle à l'administration centrale des Affaires étrangères, où j'étais membre du Groupe de travail sur l'Afghanistan, nous avons établi très clairement que le problème qui se posait, sur ce plan, venait du manque de partenaires à qui transférer les détenus. En outre, un précédent avait été créé avec l'accord initial, et aussi à l'égard de nos alliés, quand la DNSA était notre partenaire. De plus, au bout du compte, la DNSA aurait la chance de procéder à un interrogatoire, quel que soit le premier point de contact pour notre transfert. En fin de compte, c'est elle qui est le service de renseignements en Afghanistan.
    En rétrospective, j'aurais peut-être dû chercher d'autres possibilités avec plus de véhémence, compte tenu de ce que nous savions de la DNSA en tant qu'institution. Certaines possibilité se seront présentées à divers moments — une installation de la FIAS, dont il a été question pendant un certain temps et à laquelle certains de nos alliés du Sud s'intéressaient. Je pense que nous aurions probablement dû essayer plus résolument, en 2006-2007, de voir si l'armée nationale afghane ne pouvait pas constituer ce premier point de contact. Elle est l'élément le plus légitime et respecté de l'appareil de sécurité afghan. Nous aurions pu faire plus sur ce plan.
    Merci, monsieur Anderson.
    Monsieur Obhrai, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier M. Anderson d'être venu nous exposer son point de vue, de fait le principal point de vue, puisqu'il a joué un rôle déterminant dans l'élaboration et l'application du nouvel accord amélioré dont il est question ici. C'est parce que l'accord antérieur, qui datait de 2005 et avait été formulé par le gouvernement antérieur — comme vous l'avez si justement souligné — était rempli de failles qui vous causaient beaucoup de soucis, à vous, à vos collaborateurs, aux fonctionnaires du ministère et à tous les Canadiens qui étaient là-bas.
    Eh bien, permettez-moi de revenir sur le fait qu'il s'agit d'un théâtre de guerre. Ce n'est pas un environnement pacifique; c'est un théâtre de guerre. Alors, je tiens à vous féliciter. Je veux féliciter tous ces gens qui ont travaillé d'arrache-pied afin que le droit humanitaire soit appliqué et que soit respecté tout ce pour quoi le Canada est reconnu. Vous êtes allé là-bas et vous avez relevé les failles de l'accord de 2005. Vous y avez travaillé avec diligence. Alors, j'aimerais vous poser la question suivante. Après l'accord de 2007 auquel vous et vos collaborateurs avez travaillé tellement fort, êtes-vous convaincu que la situation en général, le travail que vous et les gens du ministère avez fait, respectait toutes les obligations internationales qu'assume le Canada?

  (1555)  

    Je pense que nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, compte tenu du contexte. En rétrospective toutefois, nous aurions pu consacrer plus de temps à la recherche d'une solution de rechange à la DNSA, un partenaire qui joue un rôle tellement important pour nous sur le terrain à Kandahar.
    De façon générale, la plupart des représentants officiels reconnaîtraient que l'accord de 2007 constitue une énorme amélioration comparativement à l'accord initial. Le problème inhérent à l'accord de 2007 n'est toutefois pas très différent de celui que posait l'accord de 2005. C'est-à-dire qu'il ne change pas notre partenariat avec les gens de la DNSA qui sont sur le terrain à Kandahar, avec lesquels nous sommes tenus de travailler... et nous en savions certainement beaucoup plus sur ce qu'il advenait aux gens que nous transférions. Il y a eu un effet tangible sur leur bien-être, parce que nous étions en mesure d'aller les voir, de les interroger et de nous assurer d'un certain degré de transparence, du moins en ce qui concerne les personnes que nous remettions aux mains de la DNSA. Mais cela ne change en rien le comportement et la structure organisationnelle de la DNSA elle-même. Elle se tient toujours sur ses gardes et se cache derrière un écran de secret qui, selon moi, devrait nous porter à réfléchir.
    Permettez-moi de vous poser la question suivante. Vous dites que la DNSA est une organisation qui aurait besoin de bien des améliorations et que le Canada continuera de perfectionner la formation et l'enseignement là-bas, mais il reste encore beaucoup à faire sur ce plan, comme vous l'avez si justement dit. Vous et vos collègues — David Mulroney, avec qui vous avez travaillé, et Scott Proudfoot — ont dit que l'accord de 2007 comportait une amélioration remarquable en ce qui concerne le transfert des détenus. Par contre, et j'aimerais que vous y pensiez avant de répondre, ils ont affirmé ne pas avoir été mis au courant des allégations directes de torture. Est-ce aussi votre avis, puisque vous étiez sur le terrain?
    Avant l'accord de 2007?
    Après 2007.
    Les allégations précises de mauvais traitements datent d'après 2007. Nous les avons découverts en octobre cette année-là, et nous avons suspendu les transferts jusqu'en février 2008.
    Mais à mon avis, il n'y a pas eu d'allégations spécifiques de mauvais traitements avant mai 2007 parce qu'il n'y avait pas en place les moyens que nous le sachions et que nous ne faisions aucune espèce de suivi.
    C'était l'accord antérieur, mais vous l'avez amélioré, et tout le monde s'est manifesté. Après 2007 et après que le comité eut entendu des témoignages au sujet de la torture, quand les transferts ont été suspendus, puis repris, la situation est revenue à la normale et il n'y a pas eu de preuves crédibles de torture. Dès qu'il y avait quelque chose, vous faisiez enquête.
    Nous avons exigé que les Afghans fassent une enquête sur les allégations que nous avions reçues à l'automne 2007. Ils ont exécuté cette enquête. Manifestement, les hauts fonctionnaires du MAECI et des Forces canadiennes, ici à Ottawa en ont été satisfaits. De mon point de vue, je crois qu'au moins les Forces canadiennes en ont été assez satisfaites pour reprendre les transferts, sinon elles ne les auraient pas repris.

  (1600)  

    D'accord. Donc, vous aviez confiance dans le travail que vous aviez fait.
    C'est vous qui avez apporté une énorme contribution au rapport du groupe d'experts Manley, aux six priorités qu'il énonce. Et vous avez vu les derniers rapports sur l'aspect du développement, pour la réalisation des six priorités du gouvernement. Qu'en pensez-vous maintenant?
    J'ai été conseiller spécial auprès du groupe d'experts Manley, dont le rapport recommandait que le Canada établisse des priorités et rationalise son approche pour que nous soyons mieux en mesure de nous acquitter de certaines tâches précises, par opposition à l'approche globale antérieure.
    Dans la foulée des recommandations et de la remise du rapport au premier ministre et, par la suite, au Parlement, le gouvernement a formulé les six priorités et les trois projets de premier plan. Les recommandations n'émanaient pas du groupe d'experts Manley lui-même; le groupe a seulement recommandé que des priorités et des projets de premier plan soient établis, en laissant l'administration et le gouvernement déterminer en quoi ils devaient consister.
    Vous devez avoir lu le dernier rapport qui a été livré, puisque vous avez été sur le terrain et avez touché tout cela de très près. Qu'en dites-vous? Êtes-vous satisfait du travail de développement qui se fait?
    Merci, monsieur Obhrai.
    Monsieur Anderson, très rapidement.
    J'en suis satisfait dans la mesure où je pense que c'est tout ce à quoi on peut s'attendre, compte tenu du contexte de sécurité sur le terrain.
    Merci, monsieur Anderson.
    Monsieur Dewar.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Et je remercie nos invités d'être ici.
    Il y a une chose qui, je pense, nous a tous frappés, et c'est le fait que nous avons entendu des gens exprimer des préoccupations à propos du suivi des transferts. Vous aussi avez clairement dit que c'était un sujet de préoccupation. Lorsque des généraux sont venus témoigner devant le comité, ils nous ont dit que l'armée estimait que sa responsabilité prenait fin dès le moment du transfert des détenus. Est-ce aussi votre avis?
    Oui, à part l'offre du transport nécessaire aux représentants civils pour aller au centre de la DNSA et en revenir pour ces visites de suivi.
    Alors, une fois qu'ils étaient transférés, avant, du moins avant 2007 — et nous parlerons aussi d'après 2007, quand l'accord a été changé —, il était très difficile de faire un suivi. Le point de vue de l'armée, c'est qu'elle n'avait aucun rôle à jouer en la matière.
    Et quand nous avons parlé à des gens du MAECI qui devaient travailler avec la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, ils nous ont dit avoir eu d'énormes difficultés — qu'a dû régler M. Mulroney — à savoir combien de prisonniers avaient été transférés, où ils étaient ou quelles étaient les conditions. Alors, il serait quasiment impossible de savoir si quelqu'un a été maltraité ou a fait l'objet d'abus, n'est-ce pas?
    Je suis d'accord. En 2007, nous avons eu un mal fou à retracer tous les individus qui avaient été transférés avant cette date.
    D'accord.
    Après l'entente, nous transférions encore des détenus dans les prisons de la DNS, n'est-ce pas?
    Oui.
    Et c'est toujours le cas, non?

  (1605)  

    Oui, à ma connaissance.
    Oui, selon moi aussi.
    J'ai un affidavit d'un procès britannique, de quelqu'un qui avait un poste semblable au vôtre. L'affidavit est assez révélateur. Il traite de beaucoup de points dont vous avez parlé. Il dit en fait que la DNS ne semble pas faire partie d'un ministère, ni être suivie par un organisme constitutionnel. Je dirais qu'elle ne rend de comptes à personne, sauf au président. Cependant, même cela a été mis en doute.
    Il y a d'autres témoignages provenant des conclusions d'Amnistie Internationale et de Human Rights Watch qui disent tous la même chose: la DNS est complice de torture et de violations des droits de la personne. Ces rapports ne sont pas des secrets d'État. En fait, ce que cette personne qui a travaillé pour le gouvernement britannique et qui a été dans la région dit, c'est que sachant cela, il est impossible de travailler avec la DNS; on ne peut changer leurs façons de faire. Autrement dit, nous devrions arrêter de transférer nos détenus à la DNS.
    Êtes-vous d'accord pour dire que nous devrions arrêter de transférer les détenus à la DNS, à la lumière des rapports dans lesquels Human Rights Watch, Amnistie Internationale et de nombreux autres organismes affirment que nous ne pouvons tout simplement pas faire confiance à la DNS?
    Je suis d'accord avec l'essentiel de vos propos. La manière dont la DNS a agi au fil du temps n'est certainement pas un secret. Selon moi, la DNS ne rend de comptes à personne, sauf peut-être au président.
    M. Saleh est considéré lui-même comme un ministre du cabinet de facto. Les gens avec qui nous avons travaillé sur le terrain à Kandahar au fil du temps, M. Quyaum et actuellement M. Momin, siègent à la table du gouverneur pour des séances qui ressemblent un peu à celle-ci, presque indépendamment des autres Afghans avec lesquels ils travaillent.
    Donc, il serait très difficile pour le Canada de prétendre suivre la loi internationale en matière de droits de la personne si nous travaillons en partenariat avec la DNS ou si nous avons un protocole qui dépend de la DNS?
    Je n'irais peut-être pas jusqu'à affirmer cela, mais je crois qu'il y a des exemples de comportements structuraux inhérents au sein de la DNS qui devraient nous faire réfléchir et que nous, en tant que communauté du Commandement régional Sud, par l'intermédiaire de la FIAS, y compris nos alliés, devrions nous demander — mieux vaut tard que jamais — si la DNS est un partenaire viable de la coalition.
    Selon vous, devrions-nous alors transférer les détenus à la DNS?
    Je ne crois pas que le transfert des détenus soit un problème aussi important en ce moment, parce que nous avons un mécanisme de surveillance très strict pour chaque individu que nous transférons. Dans l'ensemble, nous avons été capables d'entrer et de les interroger rapidement, idéalement à l'intérieur de 48 heures.
    L'obstacle est de trouver comment réformer la structure inhérente de la DNS et changer leur comportement. Je crois que le Canada, qui a toujours fait la promotion des droits de la personne, devrait être concerné par toutes les personnes qui aboutissent aux mains d'un organisme comme celui-là et pas seulement par ceux que nous transférons nous-mêmes.
    Si vous me le permettez, monsieur le président, je souhaite lire le résumé d'un récent événement impliquant la DNS. Cela provient d'un rapport de la Human Rights Watch du 21 décembre 2009. On y parle de torture et d'un décès attribué à la DNS.
...s'inquiétait de ce que les marques sur le corps de Basir puissent être des marques de torture. La famille a apporté le corps à la division médico-légale du ministère de la santé où une autopsie a été pratiquée. Les conclusions n'ont pas été rendues publiques.
La famille a déclaré que des représentants de l'agence de sécurité sont venus plus tard à la maison où le corps était gardé et leur ont dit de l'enterrer. Lorsque les parents ont essayé d'apporter le corps au Parlement, ils ont dit que des véhicules de l'agence bloquaient le chemin, que la DNS les empêchait d'enterrer le corps, mais aussi que la DNS prétendait que l'homme s'était suicidé, alors qu'en fait il avait était torturé à mort.
    Je dois dire, avec ce que j'entends au Royaume-Uni — le Royaume-Uni a maintenant arrêté de transférer des détenus à la DNS — à la lumière des plus récents rapports et avec ce que vous nous avez dit, que je crois que ce serait très difficile pour moi en tant que parlementaire de faire confiance à la DNS comme partenaire à qui nous pouvons vraiment nous fier.
    Merci, monsieur Dewar. Votre temps est écoulé.
    Nous retournons du côté du gouvernement.
    Avant, j'aimerais utiliser la prérogative du président pour poser une question. Vous avez mentionné que vous aviez effectué des visites de 15 minutes aux prisonniers et qu'il n'y avait aucune preuve claire de torture, bien qu'il puisse y avoir eu des allégations différentes. Aviez-vous déjà visité des prisonniers avant le nouveau protocole de transfert de 2007?
    Non, jamais.
    L'ancien protocole de transfert n'aurait pas permis l'accès, parce qu'il ne stipulait pas l'accès comme une des conditions. Toutefois, sans visiter aucun prisonnier, sur quoi vous fondiez-vous pour être conscient qu'il fallait améliorer cela? Sur des rumeurs? Sur des allégations? Et d'où provenaient ces renseignements?
    C'était fondé sur une multitude d'éléments. Lorsque j'étais dans les FAC en 2006-2007, le Commandement régional Sud était dirigé par les Néerlandais. Ces derniers avaient manifesté des craintes très réelles et manifestes. Ils n'ont pas hésité à les faire connaître. Nous, en tant que fonctionnaires canadiens, avons commencé à comprendre la situation sur le terrain, je pense, un peu mieux au fil du temps et nous avons commencé à réaliser que la DNS elle-même devait être réformée. Nos alliés avaient des protocoles de transfert plus stricts à ce moment-là, ce qui permettait la surveillance et d'autres aspects. Nous avons vu que nous pourrions bénéficier de leur expérience avec la DNS en particulier.

  (1610)  

    Donc, bien qu'il n'y ait eu aucune visite de prisonniers, nous avions reconnu que nous voulions améliorer le protocole de transfert. À partir de ce moment, lors de vos visites, il n'y a eu aucune preuve claire de...
    J'invoque le Règlement. Je me demande pourquoi le président commence à poser des questions.
    Le temps sera soustrait du temps alloué au gouvernement.
    D'accord, je voulais en être certain, parce que je ne suis pas habitué à cette façon de procéder.
    Nous ne visitions pas les installations de la DNS couramment en tant que civils avant mai 2007.
    Merci.
    La parole est à M. Hawn.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais poursuivre brièvement sur le même sujet. Vous avez dit, M. Anderson, et c'est pratiquement une citation, que lors de vos visites vous examiniez tout très attentivement et que vous n'aviez jamais découvert une allégation précise de mauvais traitements. Plus tôt, vous avez dit que les Afghans étaient très habiles dans l'art de la manipulation. Vous parlez ici des talibans, j'imagine.
    Il s'agit des insurgés, oui.
    Les propos étaient-ils exacts? Une personne serait-elle réticente à dire qu'elle a été maltraitée, selon vous?
    Je crois que oui. Ce n'est encore qu'une conjecture de ma part, puisque je n'ai pas eu l'occasion de voir de marques de mauvais traitements sur le corps.
    Même si le manuel des talibans indique essentiellement qu'il faut prétendre des mauvais traitements dans tous les cas, peu importe?
    Je ne suis pas au courant d'un exemple, alors que j'interrogeais des gens ou que j'étais mis au courant de conversations avec les gens détenus par la DNS ou à la prison de Sarposa, où ils étaient informés de...
    Cela fait partie de leur entraînement. Cela fait partie de l'entraînement des talibans.
    J'aimerais parler des discussions ou des rencontres que vous avez eues avec le ministre MacKay. Vous avez mentionné que vous vous étiez rencontrés plusieurs fois. Vous parlez ici vraiment d'une à cinq fois.
    C'est ce que je dirais.
    Y a-t-il eu des entretiens particuliers ou était-ce toujours en groupe?
    La majorité était en groupe. Nous bavardions aussi. Il y avait toujours des conversations sur l'ERP et l'aérodrome de Kandahar aussi. Mais si vous faisiez allusion à des séances d'information officielles, bien entendu, il y avait d'autres personnes dans la pièce.
    Vous n'avez jamais eu, ou saisi, l'occasion d'avoir un entretien particulier avec le ministre au sujet de vos préoccupations.
    Lorsqu'il était sur place, nous parlions de la situation générale sur le terrain à Kandahar. Je crois que nous avions une relation très constructive, et il était toujours prêt à écouter ce que nous avions à dire, moi et les autres civils, sur les enjeux et sur le bilan.
    Il n'y a eu aucun entretien particulier sur des préoccupations précises au sujet des mauvais traitements des prisonniers.
    Nous parlions à l'occasion de la DNS, de façon générale.
    C'était de façon générale et en groupe.
    Oui.
    Merci.
    Lorsqu'on va dans un pays comme l'Afghanistan, c'est évidemment normal d'être préoccupé. Vous avez parlé plus tôt d'une norme à laquelle nous devrions nous attendre de la DNS ou des Afghans. Bien entendu, la norme canadienne et la norme dans un pays comme l'Afghanistan ne seront jamais identiques. Est-ce juste?
    Je crois que les normes en matière de droits de la personne s'appliquent, que nous nous trouvions en Somalie, en Afghanistan ou à Ottawa.
    Les normes s'appliquent, mais nous attendons-nous au même niveau de performance, de manière réaliste, de la part d'un Canadien à Ottawa que d'un Afghan dans un coin reculé de son pays?
    Oui, parce que nous avons eu la preuve de ce comportement dans la prison de Sarposa parmi les responsables. Ces derniers ont bénéficié d'encadrement et de formation de la part de représentants canadiens.
    C'est exactement ce que je veux dire. Nous travaillons avec ce que nous avons. Quand nous allons dans des pays comme l'Afghanistan, le Rwanda, la Somalie ou le Congo, nous nous attendons à ce qu'il y ait des problèmes. N'est-il pas vrai?
    Il est vrai que ce n'est pas le même contexte que celui de l'Amérique du Nord.
    Exactement. Alors, nous aurons toujours des problèmes dans ce genre d'endroits.
    Est-il juste de dire que l'un de nos rôles primordiaux, dans un endroit comme celui-là, notamment sur le plan de la protection des droits de la personne, c'est de travailler avec les gens qui sont là — autrement dit, de tirer son épingle du jeu? On doit travailler avec les ressources qui sont là, en l'occurrence la DNS.
    On doit travailler avec les ressources qui sont là, mais à condition qu'on soit au courant des détails et de la situation en cause. Les États-Unis entretiennent une relation étroite avec la DNS, relation qui est d'ailleurs beaucoup plus poussée que la nôtre; pourtant, ils ont leurs propres installations de détention en Afghanistan. Ils ne travaillent pas avec la DNS de la même manière que nous en ce qui a trait au transfert des détenus.

  (1615)  

    C'est tout à fait vrai. Mais n'empêche que le Canada est là. Comme vous l'avez dit, et nous savons que c'est vrai, nous avons travaillé avec beaucoup de diligence avec la DNS, le système carcéral et le ministère de la Justice pour améliorer la situation le plus possible.
    Croyez-vous que leur niveau se comparera, un jour, à celui du Canada?
    Je n'ai observé aucune amélioration dans les comportements de la DNS pendant toute la période où j'étais là. Mais j'ai vu les choses s'améliorer à la prison de Sarposa.
    Me croiriez-vous si je vous disais que les responsables actuels à Kandahar nous ont dit, aux environs de Noël, que la situation s'était nettement améliorée — ce n'est pas au niveau que nous le souhaiterions, mais il y a eu des améliorations.
    Je vous crois sur parole, bien sûr.
    Merci, monsieur Anderson.
    Monsieur Rae.
    C'est vraiment le point essentiel. Peu importe s'il y a eu des améliorations ou non, d'après ce que je peux en déduire de votre témoignage, vous êtes en train de dire deux choses: premièrement, que nous avons dû respecter toutes nos obligations en vertu du droit international concernant la torture; et deuxièmement, que si nous avons des motifs de croire que les prisonniers courent le risque d'être torturés, nous ne les transférons pas. C'est notre obligation.
    Êtes-vous d'accord avec moi?
    Oui.
    Il n'y a aucune norme selon laquelle de tels actes sont autorisés en Afghanistan du seul fait que c'est un pays moins développé qu'un autre, n'est-ce pas? Une telle disposition ne fait pas partie de la Convention de Genève.
    Non.
    D'accord, je voulais juste mettre les choses au clair.
    Vous avez également dit que, d'après votre expérience, le système carcéral et les services de police se sont montrés réceptifs à la formation que nous avons offerte, mais vous n'avez pas observé la même réceptivité auprès de la DNS. Est-ce exact?
    C'est exact.
    En fait, vous qualifiez d'endémique la duplicité qui existe au sein de la DNS.
    Oui.
    Qu'entendez-vous par là? Donnez-moi des exemples. Donnez-moi un exemple précis pour m'expliquer ce que vous voulez dire par là, à titre de fonctionnaire ayant travaillé sur le terrain pendant presque deux ans.
    Je suis conscient du contexte public dans lequel nous nous trouvons actuellement; voilà pourquoi il m'est un peu difficile de répondre à une telle question.
    Nous avons relevé de nombreux exemples, dans le cadre de notre travail avec la DNS, qui montrent que non seulement celle-ci a été réticente à l'idée d'une formation supplémentaire, comme vous l'avez mentionné, mais qu’elle subissait différentes pressions; les comportements de la DNS m'ont donné à réfléchir non seulement sur la viabilité de l’institution, mais aussi sur les Forces canadiennes et la FIAS dans son ensemble. Cela pouvait prendre diverses formes, allant des pots-de-vin aux pressions, y compris les pressions exercées par des conseils tribaux et des personnes bien précises à Kandahar; ainsi, des acteurs puissants au sein de la collectivité pouvaient être pour ou contre le fait que le Canada a arrêté, à titre d’exemple hypothétique, un type à Panjwai et l'a transféré à la DNS, mais voilà que ce type qui s'avère être le frère ou le cousin de quelqu'un d'influent à Kandahar finit par être remis en liberté quelques jours plus tard. C’est arrivé souvent.
    Je comprends les pressions que vous subissez, et personne n'essaie de vous mettre dans l'embarras. Je suppose que vous avez discuté de votre présence ici et de votre témoignage avec vos collègues au ministère des Affaires étrangères...
    Oui.
    Et avec vos supérieurs?
    Oui.
    Ainsi qu'avec les fonctionnaires du ministère de la Justice?
    Oui.
    Et que vous ont-ils dit?
    Ils m'ont dit que mes responsabilités de fonctionnaire ne doivent pas être mises en doute durant les audiences du comité. Il devient donc plus difficile de parler librement dans un contexte comme celui-ci à cause des interprétations du ministère de la Justice en ce qui concerne la sécurité nationale et les impératifs opérationnels.
    Alors, on vous a dit que vous ne pouviez pas nous parler de certains sujets.
    On ne m'a pas dit ça. On m'a plutôt dit qu'à titre de fonctionnaire, je suis toujours assujetti aux mêmes conditions que tout autre fonctionnaire, et celles-ci sont définies par le ministère de la Justice de façon assez rigide, selon moi.
    Avez-vous retenu les services d'un avocat indépendant?
    Je me suis entretenu avec des individus qui sont venus me voir de leur plein gré pour m'offrir leurs services.
    Quand vous dites avoir parlé au ministre au sujet de la DNS, avez-vous fait part la duplicité systémique au sein de la DNS, comme vous l'avez décrite aujourd'hui, à un ministre quelconque ou à n'importe quelle personne occupant une fonction de responsabilité?

  (1620)  

    Je n'ai pas eu besoin de le faire. Nous avons tenu de vastes groupes de discussion à ce sujet à Kandahar et à Ottawa. Le comportement de la DNS, lorsqu'elle réagit à certaines pressions exercées par des sages des conseils tribaux ou des gens d'influence à Kandahar, est un fait notoire parmi les hauts fonctionnaires, les civils et les militaires.
    Dois-je également déduire à la lumière de votre témoignage que, contrairement aux récentes affirmations de certaines personnes, vous croyez en fait qu'il y avait et qu'il y a une solution de rechange au transfert à la DNS?
    Merci, monsieur Rae.
    Je crois qu'il n'est jamais trop tard pour mener une enquête sur ces possibilités. Comme je l'ai dit dans ma déclaration tout à l'heure, en rétrospective, j'aurais souhaité qu'on poursuive ces deux autres pistes un peu plus farouchement, à savoir l'installation de la FIAS et, peut-être un autre organisme afghan, comme l'armée nationale afghane.
    Merci, monsieur Anderson.
    Monsieur Abbott.
    J'aimerais juste un peu plus de précision sur les questions que mon collègue a posées sur le résultat prévu. Est-il raisonnable pour nous, qui sommes assis ici à Ottawa, d'avoir bon espoir que la DNS, qui utilise des normes afghanes, réponde aux normes mêmes que sont censées suivre nos bureaucrates professionnels et nos soldats?
    C'est raisonnable, parce que la constitution afghane repose sur ces mêmes principes, et les fonctionnaires avec qui j'ai travaillé à la DNS étaient au courant, tout comme nous, des protocoles de Genève et d'autres lois internationales sur la protection des droits de la personne. Ce n'est pas par manque de connaissance ou de compréhension.
    Je ne veux pas me lancer dans un débat avec vous. Je me demande juste à quel point c'est réaliste, mais j'en resterai là.
    Durant la période où vous vous êtes occupé de ce dossier, en Afghanistan ou à Ottawa, vous est-il déjà arrivé, à vous ou à quelqu'un d'autre occupant un poste semblable, de donner un conseil professionnel éclairé au gouvernement sur des questions, seulement pour vous rendre compte que celui-ci a décidé arbitrairement d'aller dans une direction opposée?
    Je regrette, mais je ne suis pas sûr d'avoir compris la question.
    Dans le lien qui unit la fonction publique et le gouvernement élu, il existe une tension dynamique entre les responsabilités. Les représentants élus, au nom du gouvernement, veulent aller au point A, alors que les professionnels de la fonction publique, pour une raison quelconque, peut-être sous le coup d'une autre vision ou d'un autre jugement, veulent aller au point B. C'est chose courante, qu'on parle du ministère de la Santé ou de l'armée.
    Ah, bien sûr.
    Ma question est la suivante: vous est-il déjà arrivé, à vous particulièrement, de donner un conseil professionnel au gouvernement ou de voir d'autres personnes le faire, seulement pour vous rendre compte que le gouvernement a opté arbitrairement pour une direction différente?
    Oui. De là à dire que le gouvernement a opté pour une direction radicalement différente, c'est un peu exagéré, parce que l'appareil bureaucratique est si imposant. J'ai certainement donné des conseils et j'ai vu des collèges présenter différentes idées et initiatives à leurs supérieurs, avec plus ou moins de succès, selon la question.
    Je suis désolé de vous mettre sur la sellette, mais l'opposition essaie constamment de donner l'impression que, d'une manière ou d'une autre, le gouvernement du Canada est responsable d'une activité qui pourrait frôler les crimes de guerre ou de l'en accuser carrément, et pourtant — et c'est l'objectif de ma question à ma connaissance —, nous avons sans cesse ... Quiconque nous a fourni des conseils professionnels, que ce soit le MAECI ou l'armée, est lié de façon intrinsèque à cette opération, dans le cas où le gouvernement du Canada aurait suivi ces conseils. Dire que le gouvernement du Canada est en quelque sorte coupable de crimes de guerre revient à dire que vous l'êtes aussi.
    Monsieur Anderson.
    Je n'arrive pas à voir le lien entre tous ces éléments. Mais, en même temps, si nous tenions un débat ouvert et honnête sur cette question précise, nous devrions être en mesure d'apprendre certains principes, comportements et pratiques que nous pourrions ensuite utiliser dans d'autres engagements internationaux que nous aurons à prendre dans l'avenir. Il est un peu trop exagéré, du moins à mon avis, de penser que les fonctionnaires et les diplomates devraient craindre l'éventualité d'être accusés de crimes de guerre.

  (1625)  

    Je suis d'accord avec vous.
    Merci beaucoup, monsieur Abbott.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Merci.
    C'est très intéressant.
    À quelques reprises, vous avez dit qu'il fallait réfléchir, en demandant si la DNSA était un bon partenaire pour l'avenir et comment réformer la DNSA. Pensiez-vous à une situation précise, comme les négociations qui semblent se dérouler en ce moment, ou à une autre situation où le Canada participerait avec l'OTAN à une mission du genre de celle en Afghanistan?

[Traduction]

    Je doute qu'il y ait d'autres façons inédites pour nous d'essayer de réformer la DNS. À cause de son bilan des trois dernières années, d'après mon expérience, et d'après ce que j'ai appris de certains de nos alliés, il y a très peu de chances qu'on puisse réformer en profondeur la DNS, d'une manière ou d'une autre. Pour cette raison, je crois qu'il est important pour nous d'envisager d'autres solutions de rechange.

[Français]

    Donc, c'est vraiment le sens de votre affirmation. À la question de savoir si c'est un bon partenaire pour l'avenir, vous répondez qu'il vous semble que non et qu'après tout ce que l'on a tenté, il faut chercher autre chose.

[Traduction]

    Je crois que la DNS peut être un bon partenaire pour nous en ce qui concerne la collecte de renseignements génériques et le rôle qu'elle joue comme organisme de renseignements.
    Ce qui me préoccupe — je vous en ai parlé aujourd'hui —, c'est lorsque la fonction de collecte de renseignements dépasse les bornes, au point tel que l'organisme viole ses obligations aux termes de normes internationales.

[Français]

    Selon vous, quand les Canadiens semblent liés à cette situation, celle-ci ne peut faire autrement que de faire mauvaise impression sur la population, quand elle est connue. C'est là où vous dites que cela nuit à la mission.

[Traduction]

    Je ne pense pas que nous aidons notre cause en étant si étroitement et ouvertement liés à la DNS, à cause de la réputation particulière qu'elle s'est faite auprès de la population à la suite de ses actes.
    Un des défis auxquels nous avons fait face à l’EPR, c’est lorsque des Afghans venaient nous rencontrer pour nous faire part de questions précises qui les préoccupaient ou de tout autre grand problème et, la plupart du temps, c’était lié à ce genre de situations. Leurs préoccupations ne se rapportaient pas nécessairement à l’aide au développement ou à des questions générales en matière de sécurité. Ce qui les préoccupait, c’était de savoir ce qui était arrivé à leur cousin porté disparu il y a un an et demi ou pourquoi des gens avaient été détenus à la DNS pendant des mois, sans aucune accusation contre eux, et si les détenus avaient été transférés par des Canadiens ou non. Ils venaient nous voir dans l’espoir d’obtenir une sorte de réponse et, dans la plupart des cas, nous n’étions pas en mesure de la leur fournir parce que notre responsabilité se limitait aux individus qui avaient été transférés par les Forces canadiennes.
    Merci beaucoup, monsieur Anderson.
    Nous tenons à vous remercier de votre témoignage d'aujourd'hui. Je dois dire au comité que j'ai encouragé M. Anderson, comme j'encourage tous les témoins qui comparaissent devant notre comité, à fournir au comité un mémoire écrit s'il souhaite fournir des réponses plus détaillées à certaines des questions qui ont été soulevées aujourd'hui. Ce serait ensuite distribué.
    Nous allons suspendre la séance pour une minute ou deux, et nous demanderons à notre prochain invité de prendre place.
    Encore une fois, merci infiniment, monsieur Anderson.

  (1630)  

    Nous reprenons.
    Dans la deuxième heure de notre réunion d'aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du transfert des détenus afghans. Nous accueillons maintenant le brigadier général Denis William Thompson, chef d'état-major de l'armée de terre pour le ministère de la Défense nationale.
    Général Thompson, nous avons hâte d'entendre votre déclaration préliminaire. Vous étiez présent durant la première heure, et vous avez vu comment notre comité fonctionne. Une fois que vous aurez terminé votre déclaration, les membres du comité vous poseront des questions.
    Je vois que Mme Lalonde invoque le Règlement.

[Français]

    Monsieur le président, je viens d'aller voir le général Thompson. C'est certainement un témoin qui sera intéressant. Toutefois, suivant la préparation des travaux du comité, ce n'est pas lui qui devait être là, et il n'est pas parmi les neuf — en tout cas, pas à ma connaissance. Alors, je veux seulement souligner que nous nous sommes entendus sur une façon de procéder, et que nous devrions le faire de cette façon. Je m'excuse, mais il me semble que nous devrions suivre les règles que nous nous sommes données.

[Traduction]

    Oui. Merci.
    Voici, au fond, en quoi consistaient les règles. J'avais demandé qu'on établisse une liste restreinte de témoins éventuels pour que le comité puisse entreprendre ses travaux très rapidement durant la première semaine et ce, à très court préavis.
    Le nom du général Thompson ne figurait pas sur la liste restreinte, mais plutôt sur la liste générale. Comme les autres candidats n'étaient pas disponibles, nous sommes alors passés à la liste générale. C'était sur la liste des témoins proposés, alors je ne veux pas que le général Thompson pense qu'il est notre second choix. Mais nous avions cru que d'autres généraux seraient disponibles.
    Nous sommes ravis que vous puissiez être ici aujourd'hui pour témoigner devant le comité, et nous avons hâte d'entendre vos commentaires.
    Merci, madame Lalonde.
    Je prends certainement cela comme un compliment. Je ne considère pas faire partie de l'équipe B.
    Je félicite les membres du comité de porter des cravates et des foulards aujourd'hui dans le cadre de la sensibilisation au cancer de la prostate, j'aurais fait de même avec mon uniforme, mais je crois que le sergent-major aurait eu quelque chose à dire.

[Français]

    Monsieur le président, merci de m'avoir invité ici cet après-midi. Je suis heureux d'être parmi vous pour vous entretenir de mon expérience en Afghanistan.
    Pendant ma dernière visite ici, on a parlé de nos efforts pour bâtir la capacité des forces afghanes, notamment la police et l'armée afghanes. Depuis ce temps, j'occupe le poste de chef d'état-major des opérations terrestres. Je suis donc l'officier qui gère les affaires quotidiennes de l'armée de terre. C'est nécessaire de le préciser, parce que même si je travaille au sein des Forces canadiennes, je ne participe pas au dossier de l'Afghanistan en ce moment.

  (1635)  

[Traduction]

    J'ai pensé que j'en viendrais tout de suite à l'essentiel en vous entretenant directement de la question des détenus durant la période où j'ai été commandant de la Force opérationnelle Kandahar, soit du 14 mai 2008 au 19 février 2009.
     Permettez-moi de préciser dès le départ que je me suis assuré que mes commandants et mon QG comprenaient parfaitement qu'à mon avis, il y avait trois principaux risques d'un échec stratégique. Lorsque je parle d'échec stratégique, je fais allusion aux problèmes qui, en l'absence d'une solution, pourraient très bien se traduire par une défaite. Je vous fais part de ces trois risques en étant conscient de ce que le général Leslie m'a dit tout juste avant mon départ pour Kandahar, je le cite: « Denis, il te sera impossible de remporter cette guerre en neuf mois, mais tu peux certainement la perdre. » Nous n'avons pas remporté la guerre, mais nous ne l'avons pas perdue non plus.
     Alors quels étaient ces risques stratégiques? Tout d'abord, un nombre important de victimes amies — c'est-à-dire des victimes canadiennes et américaines, car j'avais des soldats américains sous mon commandement — serait perçu comme un échec stratégique. Cela ne signifie pas que nous avons évité le combat en restant dans nos bases d'opérations avancées, au contraire. Cela ne signifie pas non plus qu'il fallait user consciencieusement de pratiques d'atténuation, comme celles permettant de contrer les omniprésentes attaques aux dispositifs explosifs de circonstance (IED). Néanmoins, nous étions en guerre, et la FO Kandahar a essuyé 25 tués et de nombreux blessés au combat sous mon commandement. Il ne se passe pas une seule journée sans que je pense aux vrais soldats derrière ces données.
     Deuxièmement, les pertes civiles, qu'on qualifie souvent de manière antiseptique de « dommages collatéraux », devaient être évitées en se fiant à ce que les soldats canadiens exercent quotidiennement à Kandahar leur discipline et leur jugement. Ici encore, des incidents se sont produits en raison de la nature complexe du milieu, et j'ai été très attristé d'apprendre la mort d'innocents dans la province de Kandahar. Dans chaque cas, les incidents ayant donné lieu à la mort de civils ont fait l'objet d'enquêtes par le SNEFC en collaboration avec la Police nationale afghane. Les membres de la famille endeuillée ont toujours été traités avec respect.
     Le troisième risque stratégique et celui qui intéresse le plus le comité aujourd'hui, est la question des détenus. Lorsque je suis arrivé à Kandahar en tant que commandant, le processus de traitement des détenus était un système bien rodé. Chez les soldats, les tactiques, techniques et procédures pour la prise de détenus étaient bien comprises et bien répétées lors de notre entraînement préparatoire. En fait, il y avait et il y a toujours un ordre permanent de la force opérationnelle où il est question du traitement et du transfert des détenus. De leur capture jusqu'à leur arrivée à l'installation de transfert des détenus à l'aérodrome de Kandahar, les détenus étaient traités et déplacés en stricte conformité avec la norme requise pour les prisonniers de guerre en vertu de la troisième Convention de Genève.
     Je crois que les circonstances dans lesquelles les détenus ont été confiés aux autorités afghanes, dans ce cas à la DNSA, la Direction nationale de la sécurité afghane, est ce qui intéresse le plus le comité. À mon quartier général, il y avait un comité appelé Groupe consultatif du commandant sur les détenus, qui était formé de quatre officiers des FC (le chef des opérations, le chef du renseignement et l'officier des détenus de la FOI Afghanistan, les trois étant conseillés par l'avocat militaire de la Force opérationnelle). L'agent du MAECI était mon conseiller politique. Ces personnes me consultaient (ou mon adjoint si je n'étais pas au camp) afin de faire examiner le dossier et déterminer si le détenu devait être retenu, libéré ou transféré dans les 24 heures. C'était un processus quotidien.
     La décision de transférer un détenu à la Direction nationale de la sécurité afghane était prise selon que j'estimais qu'il y avait suffisamment de preuves ou non de le lier à l'insurrection. Si le détenu devait être transféré, cela ne se faisait que si j'étais satisfait « qu'il n'y avait aucun motif sérieux de croire que le détenu risquait d'être soumis à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements en cas de transfert ».
     Ce jugement était fondé sur un examen des derniers rapports produits par l'agent responsable du MAECI affecté à l'Équipe de reconstruction provinciale (ERP). Cory Anderson vient de vous expliquer ce processus.

  (1640)  

    Durant mon commandement, il n'y a eu aucun rapport négatif concernant l'installation de la DNSA dans la ville de Kandahar. De façon générale, nous avons tenté de ne retenir aucun détenu plus de 96 heures; si cela se produisait, nous en informions le Commandement de la Force expéditionnaire du Canada. Il y a quand même toujours eu des exceptions.
    Nous avons eu deux cas de détenus qui souffraient d'une capacité mentale limitée, et notre défi était de trouver quelqu'un de responsable pour s'en occuper (aucun des deux détenus ne répondait aux critères pour un transfert). Dans l'un des cas, nous avons trouvé la famille de l'homme, et dans l'autre cas, nous avons demandé au Comité international de la Croix-Rouge de le prendre en charge.
     Les détenus blessés avaient droit aux mêmes soins médicaux que nos propres soldats. Si l'on déterminait qu'il s'agissait d'un insurgé et d'un candidat éventuel au transfert, il demeurait dans l'installation de transfert jusqu'à la fin de sa convalescence. Dans un cas, un détenu s'est remis de ses blessures pendant quatre mois sous nos soins.
    Durant mon commandement, nous avons eu un certain nombre de détenus; nous en avons libéré les trois quarts et transféré environ un quart à la DNSA. Dans chaque cas, j'étais convaincu, après avoir fait preuve de diligence raisonnable, que le transfert se faisait pour garantir que le détenu n'entrait pas dans une installation où il aurait à subir de mauvais traitements ou de la torture.

[Français]

    J'espère que j'ai répondu aux questions concernant les détenus. Sinon, je suis disposé à répondre à toute question que vous souhaiteriez me poser, tout en gardant à l'esprit que j'ai quitté Kandahar il y a 13 mois.
    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous entamons la première série de questions. La parole est à M. Wilfert pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Général, c'est un plaisir de vous revoir. Je me souviens vous avoir vu à Kandahar seulement quelques jours après votre arrivée. J'ai apprécié les moments que nous avons passés ensemble là-bas.
    Vous avez entendu le témoignage de Cory Anderson, et surtout son évaluation de la DNSA. Que pensez-vous de son témoignage? Le rejoignez-vous dans son évaluation?
    Je ne vais pas me prononcer sur tout son témoignage, mais je peux bien sûr dire un mot sur la DNSA, si c'est ce que vous demandez.
    Oui.
    J'ai eu affaire avec le général Quyaum puis, après lui, avec le général Momin. J'assistais chaque semaine à ce que l'on appelait la réunion hebdomadaire sur la sécurité de la province qui était présidée par le gouverneur et à laquelle assistaient le général Quyaum ou le commandant en poste de la DNSA; le commandant de la brigade afghane; le chef de la police; le procureur et le général de la Police nationale afghane pour l'ordre civil. Six généraux et un gouverneur étaient présents. Nous entretenions évidemment des relations personnelles étroites du fait que nous combattions les insurgés dans toute la province.
    À mon avis, la NDSA était un partenaire précieux dans la lutte contre les insurgés. Nous opérions en fonction des renseignements que nous fournissait la NDSA.
    Vous êtes arrivé en mai 2008. Des rapports indiquent que le brigadier-général Laroche, qui commandait la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan en novembre 2007, a mis fin aux transferts, et que le colonel Juneau, commandant adjoint à l'époque, était inquiet, surtout par le manque de renseignements sur ces transferts.
    Vous avez dit qu'il n'y a eu aucun rapport négatif durant votre commandement. Qu'est-ce qui a changé qui expliquerait cette situation?
    N'oubliez pas qu'il s'agit d'une équipe pangouvernementale. On ne peut pas se pencher sur le problème des détenus et pointer du doigt l'armée pour ce qu'elle a fait ou bien un autre ministère pour ce qu'il a fait. Nous collaborions étroitement durant toute la mission.

  (1645)  

    Vous aviez un conseiller politique.
    Pas seulement, mon partenaire était la représentante du Canada à Kandahar, Mme Elissa Goldberg. Nous étions continuellement confrontés à ce genre de problèmes. Je dirais qu'en tant qu'organisation, l'ensemble de l'équipe pangouvernementale est un établissement d'enseignement.
    Les allégations de torture faites en novembre 2007, qui ont eu pour conséquence la suspension des transferts de détenus jusqu'en février 2008, et tout ce qui s'est passé derrière les coulisses — je n'étais pas présent, mais le général Laroche m'en a fait part — étaient exactement le genre de mesures visant à atténuer les dommages qu'il faut retenir pour en tirer des leçons, améliorer les conditions à l'avenir et s'assurer de la poursuite des transferts, ce qui s'est produit. Je crois que les transferts ont repris fin février 2008 et quand je suis arrivé là-bas la situation avait été réglée à la satisfaction de toute l'équipe pangouvernementale et pas seulement à celle du général.
    À propos du transfert d'un quart de détenus à la DNSA, quel a été le suivi pour s'assurer qu'ils n'ont pas été maltraités?
    C'est précisément ce que vous avez entendu dans le témoignage de M. Anderson. Ils faisaient un suivi aussi souvent qu'ils le voulaient — mais de manière générale, puisqu'il n'y avait pas de calendrier établi —, l'agent du MAECI chargé du dossier et affecté à l'Équipe de reconstruction provinciale dans la ville de Kandahar a fait une visite à l'installation de la DNSA. Comme M. Anderson l'a souligné, cette visite était sous le couvert des Forces canadiennes car, à cause du niveau de menace, ce sont les seules capables d'opérer dans ce secteur.
    Au sujet des renseignements que vous receviez après coup, vous faisiez un suivi et votre conseiller politique en faisait un certainement, et jamais aucune information n'a été transmise à Ottawa pour ne rien annoncer sinon que tout allait bien sur le terrain?
    Durant mon commandement, il n'y a pas eu de rapports. J'assume mes responsabilités, s'il y en avait eu, je les aurais encaissés, mais à ma connaissance, il n'y a pas eu de rapport sur des défaillances du système de transfert en place.
    Comme vous le savez, général, les documents censurés posent problème. Avez-vu ces documents censurés?
    J'ai ici même, devant moi, l'ordre permanent de la force opérationnelle censuré. On vous l'a distribué. Je voulais seulement m'assurer de lire le même texte, ou du moins avoir une référence aux mêmes documents que vous. L'attache de signature qui se trouve en bas est la mienne.
    La version non censurée de ce document n'enlève rien au message. Si vous le lisez, vous comprendrez le processus de transfert que je viens de décrire. Il y a beaucoup de noir et de blanc là-dedans. Les parties censurées font référence à des tierces parties que nous ne sommes pas supposés mentionner pour des raisons d'accès à l'information.
    Nous savons qu'il y a beaucoup de noir, général.
    Évidemment, nous ne cherchons pas des renseignements secrets ni des renseignements qui nuiraient d'une façon ou d'une autre à nos alliés dans la mission. Nous voulons simplement savoir s'il y a des indications de torture. S'il y en avait, quelles mesures ont été prises à cet égard et qui savait que la torture était pratiquée?
    Bien. Encore une fois, comme j'ai essayé de le dire le plus clairement possible, entre le 14 mai 2008 et le 19 février 2009, il n'y a pas eu de rapports, aucun cas ne m'a été signalé.
    Ma dernière question est la suivante: À quoi attribuez-vous ce changement... le fait qu'il y ait eu des rapports avant votre commandement et qu'il n'y en avait absolument pas durant votre commandement?
    Comme je l'ai dit, les choses évoluent et les gens apprennent. Il est sûr que le système devait être modifié légèrement au fil de la durée de notre présence. Ces petits changements ont été faits et les visites ont été resserrées afin de pouvoir garantir aux Canadiens que les personnes que nous transférions à la DNSA n'allaient pas subir de la torture ou des mauvais traitements, comme le soulignait l'ordre permanent de la force opérationnelle qui est très clair à ce sujet.
    Il vous reste environ 15 secondes.
    Voici une question hypothétique, mais depuis cette époque il y a d'autres rapports signalant des mauvais traitements, n'est-ce pas?
    Je ne sais pas.
    Je ne cherche pas à être évasif. Je ne m'occupe plus du dossier afghan, j'ai pris les fonctions de chef d'état-major de l'Armée de terre qui prépare des troupes pour l'Afghanistan et je transmets les leçons que j'ai apprises à la prochaine génération de soldats qui iront là-bas. Toutefois, depuis que je suis parti, je n'ai aucune connaissance particulière du dossier afghan, c'est comme ça. Je n'ai pas accès au système classifié. Et franchement, je crois qu'il vaut mieux pour ma santé mentale que je m'éloigne de tout cela. C'est comme ça que je suis.
    Merci beaucoup, général.
    Madame Lalonde.

[Français]

    Bienvenue, brigadier-général.
    Oui, c'est vrai. Le même grade que notre ami Guy Laroche.
    Il y a une base militaire dans ma circonscription, mais je n'ai jamais appris à décoder les bananes, les galons... Alors je dis « Monsieur ».
    Votre texte m'intéresse particulièrement. Je vous demanderais de m'expliquer ce que vous dites à la page 2:
La décision de transférer un détenu à la Direction nationale de la sécurité afghane se prenait selon que j'estimais qu'il y avait suffisamment de preuves ou non de le lier à l'insurrection.
Je voudrais savoir pourquoi vous dites cela.
    Ensuite vous dites ceci:
Si le détenu devait être transféré, cela ne se faisait que si j'étais satisfait qu'« il n'y avait aucun motif sérieux de croire que le détenu risquait d'être soumis à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements en cas de transfert. »
     J'ai hâte de vous entendre là-dessus.

  (1650)  

    Il n'y a pas de problème. Si vous me le permettez, je m'exprimerai en anglais.
    Bien sûr, c'est pour cette raison que nous avons la traduction simultanée. Nous avons d'excellentes et charmantes traductrices.
    C'est très gentil. Je vous remercie.

[Traduction]

    Encore une fois, il y a vraiment deux conditions.
    Premièrement, s'il n'y a pas suffisamment de preuve pour relier quelqu'un aux insurgés, il n'y a aucune raison de le garder. Il faut savoir que les conditions dans lesquelles des gens sont capturés sur le champ de bataille ne sont pas exactement nettes. Ce n'est pas comme une arrestation faite ici à Ottawa. Dans la confusion du combat, vous capturez quelqu'un parce qu'il a des restes de poudre sur les mains ou quelque chose de semblable. Puis, il arrive à l'installation de transfert où il est interrogé par la police militaire, nous voyons alors s'il y a des preuves qui le lient au mouvement insurrectionnel. C'est cela le crime. C'est ce que nous essayons d'établir.
    La DNSA se fonde sur cette preuve pour l'inculper dans le cadre du système judiciaire afghan. S'il est condamné à une longue peine de prison, il sera envoyé, comme la plupart de nos détenus, à la prison Sarposa. Je n'en avais pas parlé parce qu'il s'agit d'un projet complètement différent.
    C'est comme s'il y avait la prison de comté — c'est-à-dire l'installation de la DNSA dans la ville de Kandahar — puis un peu plus loin la prison où sont envoyés ceux qui ont été poursuivis en justice et jugés coupables.
    Donc, c'est la première chose. S'il n'a pas suffisamment de preuves, il n'y a aucune raison de transférer la personne interpellée.
    Je peux parler des malheureux dont la capacité mentale est limitée. Ce sont eux qui sont envoyés avec des bombes sur eux par les talibans — qui ne sont pas gentils, comme nous le savons tous. Les talibans attacheront une bombe sur une personne mentalement déficiente et l'enverront vers la cible puis ils déclencheront l'explosion à l'aide d'une télécommande. Quand nous arrivons à désamorcer les explosifs, nous mettons la personne en détention. Nous ignorons totalement qui elle est jusqu'à ce que nous lui fassions subir un interrogatoire.
    Nous avons constaté, dans au moins deux cas, que ces personnes étaient mentalement déficientes et qu'il fallait les renvoyer dans leurs familles.
    Le premier point, donc, est que s'il n'y a pas de preuve pour le lier aux insurgés, il n'y a aucune raison de le transférer — ou même de le garder.
    Le deuxième élément est, bien sûr, que nous ne ferons pas de transfert si nous savons qu'il y aura...

[Français]

    Excusez-moi.
    Vous dites que vous ne les gardez pas. Vous les libérez?
    Oui, absolument.

[Traduction]

    Aux trois quarts d'entre eux, on rend leurs affaires qui sont toutes cataloguées selon les normes canadiennes. On les conduit à l'entrée et on leur donne de quoi payer la course en taxi, plus qu'il ne faut pour qu'ils puissent retourner chez eux. Souvent, sans raconter d'histoires, ils font de l'autostop pour empocher l'argent. Ce n'est pas inhabituel, mais nous l'acceptons; nous n'enrichissons personne en leur donnant cet argent.

[Français]

    Dans le deuxième cas, vous pensez qu'il est lié à l'insurrection. Donc, ce serait l'équivalent d'un prisonnier de guerre dans cette drôle de guerre afghane. Dans ce cas, vous le transférez?
    Absolument. Il doit y avoir une chance qu'on ait une condamnation de l'insurgé dans une cour afghane.
    Par la suite, vous les suivez? C'est que vous ne parlez pas du suivi. Vous ne parlez que du tri, je dirais.

[Traduction]

    Mais, maintenant, je parle de l'équipe pangouvernementale. Le Canada a la responsabilité de suivre les prisonniers dans le système afghan. Je faisais de mon mieux pour apporter mon aide avec la collaboration de mes partenaires de l'équipe pangouvernementale.
    Suivre un détenu, en tout cas où nous nous trouvions dans le Sud, signifiait qu'il fallait assurer le transport de mes collègues des Affaires étrangères dans ce milieu hostile pour qu'ils puissent visiter ces endroits — et notamment la prison Sarposa dont, soit dit en passant, nous n'avons pas vraiment discuté. Nous protégions les agents du service correctionnel quand ils allaient à la prison Sarposa, aidions le personnel de l'ACDI à reconstruire les murs, nous offrions ce genre d'assistance.
    Donc, même si ce n'était pas des gens en uniforme qui faisaient le suivi, c'était les membres de l'équipe pangouvernementale.

  (1655)  

[Français]

    S'il y avait eu des signes qu'un prisonnier que vous avez transféré a été forcé, de façon violente, à parler...

[Traduction]

    Voilà, nous aurions arrêté les transferts des détenus et nous les aurions retirés.

[Français]

    L'auriez-vous su?

[Traduction]

    L'auriez-vous su?
    Oui, ces fonctionnaires canadiens nous en auraient informés.
    Est-ce que je peux vous affirmer, en étant sûr à 100 p. 100, que je savais absolument tout ce qui se passait dans cette prison? Vous n'avez qu'à regarder la date — le 13 juin 2008 — pour savoir que j'ignorais ce qui arrivait entre les murs de la prison de Sarposa, car elle a explosé et nous avons perdu 900 prisonniers. Et rappelez-vous que seulement le tiers d'entre eux étaient des insurgés; 600 de ces prisonniers étaient uniquement des criminels ordinaires.
    Dans une guerre, il est impossible de savoir tout ce qui se passe en tout lieu. Il y a bien trop de frictions. Mais nous faisons du mieux que nous pouvons avec les ressources qu'on nous donne. Honnêtement, mes partenaires de l'équipe pangouvernementale ont fait de leur mieux avec les ressources dont ils disposaient.
    Merci beaucoup, Général Thompson.
    Nous allons maintenant revenir au parti ministériel. Monsieur Hawn.
    Merci, monsieur le président.
    Merci encore une fois d'être parmi nous, général Thompson.
    Général, vous parlez beaucoup de l'approche pangouvernementale, qui est évidemment l'approche préconisée. Comment décririez-vous les relations qu'elle supposait, et pas seulement au sein de l'équipe pangouvernementale, mais avec des organismes externes comme le Comité international de la Croix-Rouge? Je sais qu'en ce qui les concerne, vous ne pouvez pas nous donner de détails trop précis.
    Encore une fois, mes commentaires se limiteront à la période où j'ai assumé la responsabilité du commandement.
    Je n'ai pas ménagé mes efforts pour cultiver un environnement positif, et Elissa Golberg en a fait autant. Nous avons formé un quartier général intégré, une équipe intégrée. Je ne peux me prononcer sur ce qui a eu lieu avant ou après moi. Mais je peux vous dire que, même si tout n'était pas toujours rose, il y avait beaucoup de discussions enflammées quant à la direction que les choses pourraient prendre. Nous arrivions toujours à un compromis qui faisait l'affaire de chacun, alors je crois que notre relation n'était pas simplement cordiale; elle était chaleureuse.
    En ce qui concerne les organismes externes, sans rien vous révéler de confidentiel, je vous dirai simplement que j'avais toutes les semaines une réunion sur la sécurité de la province avec le gouverneur et tous les intervenants de sécurité afghans pertinents. Et au niveau régional, je rencontrais mon général, le commandant hollandais de Kruif. Elissa était là, car nous formions une équipe. Le représentant des Nations-Unies a aussi été présent à quelques reprises, de même que le type qui administrait le bureau du Comité international de la Croix-Rouge. Je savais qui il était, et j'avais une politique de porte grande ouverte à son égard. C'est tout ce que je puis vous dire, car ces gens doivent préserver leur neutralité.
    Je comprends.
    Pouvez-nous nous dire si à un moment ou un autre, le Comité international de la Croix-Rouge vous a exprimé des préoccupations?
    Non, je ne peux pas. Je ne peux vous faire part de cette information, en raison de la relation que nous avons avec cet organisme.
    Non. Je comprends.
    Diriez-vous que l'entente améliorée fonctionne?
    Je crois que oui. Pourrait-on la corriger ou l'améliorer? Tout est sujet à amélioration. Quiconque croit avoir un document parfait est dans l'erreur.
    Si quelque chose tourne mal en vertu de cette entente, de deux choses l'une: soit l'entente est défectueuse, soit ce sont les gens qui posent problème d'une quelconque manière. Si quelqu'un de la DNS avait dérogé à cette entente, n'avait pas respecté la norme que nous exigions, qu'aurions-nous fait?
    Nous en aurions informé le commandant. Si tel avait été le cas, j'en aurais avisé mon homologue. Mais si cela avait eu à voir avec l'installation de détenus sous sa responsabilité — la prison relève d'un service différent — le général Karimi aurait été informé par le représentant du Canada à Kandahar, lors d'une rencontre hebdomadaire sur la sécurité provinciale, qu'il ferait mieux d'examiner la situation parce que c'était un peu la pagaille. Seulement, ça n'est pas arrivé.
    Pas quand vous vous trouviez là-bas, mais nous avons parlé de la suspension des transferts en octobre-novembre de l'année précédente. Manifestement, dans un cas extrême, vous auriez interrompu les transferts, ainsi qu'on l'a fait.
    C'est juste. Non seulement a-t-on suspendu les transferts, mais d'après ce que j'ai compris, on a fourni une formation aux gens de la DNS. Je pense que Cory Anderson en a glissé mot. Pour utiliser cette belle expression gouvernementale à la mode, on a fait du « renforcement des capacités » pour nous assurer qu'ils comprennent quelles étaient leurs responsabilités en tant que personnes faisant fonctionner ce qui équivaut à une prison de comté.

  (1700)  

    Donc, nous avions une entente valable. Nous avons éprouvé des difficultés avec certaines personnes. Nous avons alors marqué un temps d'arrêt, puis nous avons aidé les gens à s'améliorer.
    Je le crois, en effet, et quand je suis arrivé en poste, le système fonctionnait.
    Nous avons discuté avec M. Anderson des normes internationales en matière de droits de la personne, et ainsi de suite. Évidemment, tous les pays dans le monde qui souscrivent à ces règles, y compris l'Afghanistan, respectent les mêmes normes. Peut-être ne l'ai-je pas exprimé correctement à M. Anderson, mais pouvons-nous, de manière réaliste, nous attendre à ce qu'un pays comme l'Afghanistan agisse de la même manière qu'un pays comme le Canada, compte tenu des gens à qui nous nous avons affaire?
    Je l'ignore. C'est une opinion, mais je sais qu'il existe une norme onusienne concernant les prisons, et c'est cette norme qu'ont tâché de respecter nos collègues de l'équipe pangouvernementale provenant du Service correctionnel du Canada. C'est la norme qu'ils s'efforcent d'atteindre.
    Oui, absolument. Serait-ce plus facilement réalisable dans un pays comme le Canada que dans un pays comme l'Afghanistan, la Somalie, le Rwanda ou le Congo?
    Il est clair que c'est plus difficile dans les pays du tiers monde; autrement, nous ne serions pas là pour les aider.
    Exactement. Merci.
    Je vais maintenant vous poser une question plus générale, qui sera assez subjective et peut-être même indélicate — vous me direz si c'est le cas. Dans le type d'environnement où nous sommes, en Afghanistan, peut-on accuser un ministre ou le gouvernement de choses pouvant aller jusqu'à des crimes de guerre — car c'est ce que d'autres personnes ont laissé entendre — sans qu'une partie de ces allégations déteignent sur les Forces canadiennes? Je comprendrais que vous ne vouliez pas répondre.
    Je l'ignore. En définitive, s'il y a un criminel de guerre ici, il n'y en a qu'un, et c'est moi-même. Lisez l'ordre permanent de la Force opérationnelle. Lisez l'entente. C'est le commandant de la Force opérationnelle Kandahar, ou de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan, qui est le représentant canadien personnellement responsable des conditions de transport des détenus, ainsi que des soins, de la nourriture, etc. qui leur seront accordés par la suite. Ce n'est personne d'autre. Ce n'est pas un ministre. C'est le commandant. Donc, pour la période que j'ai précisée, si quelque chose a mal fonctionné, j'étais responsable.
    Je crois que personne dans cette salle ne contestera que nous approuvons les décisions que vous avez prises. Nous appuyons le travail qui a été effectué par les militaires, de même que par les civils qu'il y avait là-bas, dans des circonstances incroyablement difficiles.
    La raison pour laquelle je pose ma question est évidente. Elle est liée aux aspects politiques entourant toute cette situation, aspects qui, bien sûr, ne vous concernent pas, alors il n'est pas nécessaire que vous répondiez.
    Au cours de la période que vous avez passée là-bas...
    Très rapidement.
    ... nous avons parlé des visites, et le représentant du MAECI a mentionné, bien sûr, qu'il n'y avait aucune assistance militaire autre que le service de transport. Hormis le MAECI, la police civile, la police militaire ou le Service correctionnel du Canada visitaient-ils les centres de détention, d'après votre souvenir?
    Vous voulez parler de l'installation de la DNS?
    De n'importe quel centre, celui de la DNS ou de Sarposa.
    Il est certain que le Service correctionnel du Canada visitait régulièrement la prison de Sarposa. Je sais que la police civile, la CIVPOL, allait dans l'installation de la DNS, ou peut-être la DNS se rendait-elle jusqu'à eux afin de leur prêter assistance pour ce qu'on appelle des « techniques d'interrogatoire ».
    Nous parlons de détails qui ne m'intéressent que de loin en tant que commandant de la Force opérationnelle. Mais, en toute franchise, j'avais une guerre à faire, alors cet aspect n'était pas vraiment mon rayon.
    Merci beaucoup, messieurs Hawn et Thompson.
    Monsieur Dewar.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens encore une fois à remercier nos invités de leur comparution. Il est bon de vous revoir.
    L'une des choses que j'aimerais établir, c'est que vous arrivé en poste après que le gouverneur Khalid ait été remplacé. Est-ce exact?
    Non, j'ai traité avec le gouverneur Khalid jusqu'à sa destitution, qui a eu lieu en août 2008, je crois.
    C'est juste. Je suis navré; je devrais m'en souvenir, car je me trouvais à Kandahar lorsque vous étiez là. Vous veniez d'arriver.
    L'une des préoccupations que nous avons soulevées dans ce comité concernait le gouverneur Khalid et les rapports au sujet de sa conduite, car bien entendu, il jouait un rôle clé quant à ce qui se passait sur le terrain, et il y a certainement eu des allégations selon lesquelles le gouverneur Khalid aurait été mêlé à des violations des droits de la personne et à des actes de torture. Sur le terrain, entendiez-vous ce genre d'information au sujet du gouverneur Khalid?
    Je ne peux dire que je serais en mesure de citer un rapport particulier concernant le gouverneur Khalid, mais il faut comprendre que c'est un personnage. Il parcourait la province et faisait bouger les choses. Je doute que nous ayons pu surveiller à 100 p. 100 ce qu'il faisait, mais ce n'est pas à lui que je transférais les détenus.

  (1705)  

    D'accord, alors il était entendu qu'on souhaitait probablement éviter de lui remettre des détenus.
    Non; à dire vrai, j'avais affaire à cet homme toutes les semaines, et souvent encore plus fréquemment que cela. Je peux vous dire qu'après l'évasion de la prison de Sarposa, et après la prise du district d'Arghandab par les talibans, il y a eu une grande bataille. Nous avons littéralement planifié ce combat autour de la table de billard du gouverneur, dans le sous-sol de son palais. Ce type connaissait son affaire. Il savait comment sa province fonctionnait, et je me suis assuré d'être le plus proche possible de lui, car c'est lui qui détenait tous les leviers. Quant au fait qu'il ait eu quelque chose à voir avec la torture des détenus ou non, je ne dispose d'aucune preuve particulière en ce sens.
    Il y a eu, si on peut dire, des commentaires à ce sujet, car notre comité a reçu des témoins ayant laissé entendre qu'ils avaient entendu parler de leur implication...
    Oui, et si vous lisez des articles de Graeme Smith dans le Globe and Mail, il y fait peut-être allusion aussi, mais à un moment donné, vous pouvez seulement agir selon les renseignements qu'on vous transmet. Du moins, dans notre cas, je sais qu'il existe une mer de rapports, qu'ils proviennent d'Amnistie internationale ou de qui que ce soit d'autre. Je travaille pour le gouvernement du Canada, et je donne suite aux rapports que je reçois des fonctionnaires fédéraux.
    À ce sujet, M. Anderson nous a dit tout à l'heure qu'il n'avait jamais parlé de ses préoccupations au général Hillier, mais qu'il avait communiqué ses inquiétudes concernant la DNS; vous l'avez entendu. Vous a-t-il jamais fait part directement de ses inquiétudes à l'égard de la DNS?
    Pas de manière directe, mais rappelez-vous que Cory Anderson faisait partie de l'Équipe provinciale de reconstruction...
    Je saisis la différence.
    ... et au cours de mes déplacements dans la province, je tombais sur l'Équipe provinciale de reconstruction quelque chose comme une fois tous les 15 jours, et on me mettait au courant. Ma principale interlocutrice, pour recourir à cette belle expression, était Elissa Golberg, et c'est ainsi que j'obtenais les renseignements à partir desquels...
    Donc, il est possible qu'elle ait obtenu cette information de M. Anderson, qui l'a peut-être transmise...
    Absolument. Il était son subordonné.
    Donc, avez-vous entendu des choses semblables, et aviez-vous des préoccupations similaires à celles de M. Anderson? Vous l'avez entendu. Il avait des réserves au sujet de la DNS en tant qu'endroit où transférer les détenus. Il avait certainement lu les rapports auxquels les gens pouvaient accéder, qu'il s'agisse des organismes internationaux ou autres. Partagiez-vous cette préoccupation dont il a fait état à notre comité au cours de la dernière heure, en ce qui a trait au transfert des détenus dans les installations de la DNS?
    Non, et l'information qu'il a introduite ici, à ce comité, était à certains égards nouvelle pour moi. Mais je ne l'ai pas entendu dire précisément qu'on craignait de transférer des détenus à la DNS. À mes yeux, il semblait dire qu'on avait du mal à faire accepter aux gens de la DNS les efforts de renforcement des capacités, ou les efforts de formation...
    Ou à se faire écouter d'eux.

  (1710)  

    ... et, entre autres choses, ils cédaient aux pressions des conseils tribaux. Eh bien, à cela, je réponds: « bienvenue en Afghanistan ». C'est un endroit diablement compliqué, où il y a une foule de tribus, et si vous ne comprenez pas ces liens, vous n'arriverez jamais à les faire...
    En fait, je fais valoir ce point que beaucoup ont évoqué et continuent d'évoquer, selon lequel la DNS, aux termes de la Constitution, n'est pas tenue de rendre des comptes...
    J'ai rencontré le ministre Saleh, qui est le ministre responsable de la DNS, et lorsqu'il est venu me voir — et c'était à Masum Gar, sur une base d'opérations avancée — nous avons discuté des moyens d'arranger la situation à Bazar-e Panjwai et Panjwai, et je n'ai pas eu l'impression de parler à un ministre faible, qui n'avait pas d'emprise sur son ministère.
    Non. Ils sont très puissants. Je ne m'en faisais pas au sujet de leur force; ce qui m'intéresse, c'est, comme on l'a dit, l'obligation réelle de la DNS de rendre des comptes à qui que ce soit d'autre qu'elle-même, ou à un ministre qui, dans le cadre de la Constitution, n'est pas véritablement tenu responsable.
    Le gouvernement fera croire à tout le monde que nous tentons d'établir une équation parfaite entre le Canada et l'Afghanistan. S'il vous plaît. Nous ne tomberons pas là-dedans. Ce que nous devons savoir, cependant, c'est si, lorsque des gens se présentent et disent avoir des inquiétudes au sujet de la DNS, et lorsque nous regardons le bilan de celle-ci en matière de détenus... Et je comprends ce que vous dites à propos de tous les autres renseignements et d'une collaboration en partenariat avec eux. Mais pour ce qui est des détenus, il semble que non seulement M. Anderson, mais aussi d'autres personnes dressent un portrait selon lequel détenus et DNS ne font pas bon ménage.
    J'aimerais simplement savoir si vous avez eu vent de ces allégations et, le cas échéant, si vous avez décidé qu'il s'agissait d'une chose dont le gouvernement devait être mis courant, à savoir que cette entente ne fonctionne pas vraiment lorsqu'il s'agit de transférer des détenus à la DNS.
    Je crois pouvoir vous répondre par un non catégorique. Autrement, je me serais mis... Je veux dire, vous pourriez tout aussi bien m'emmener immédiatement d'ici pour m'enfermer. Il est clair que j'étais à l'aise avec l'idée de transférer des détenus à la DNS, autrement, je ne l'aurais pas fait.
    Ce que je trouve intéressant, c'est que le ministre Saleh est un civil. Il n'est pas un membre en uniforme de la DNS. Je ne comprends pas comment cela peut faire de lui quelqu'un qui n'a pas de comptes à rendre aux autorités civiles. Donc, cela me pose un peu problème. Mais je dois avouer que je ne connais pas les rouages internes du gouvernement afghan à Kaboul. En revanche, je sais que le ministre Saleh recevait régulièrement la visite... peut-être pas régulièrement, mais il était assurément l'un des principaux ministres auxquels notre ambassadeur Ron Hoffmann faisait appel à Kaboul, et il était très réceptif.
    Je parlais simplement de là où se situe la DNS sur le plan de la reddition de comptes, pas des individus. Mais mon temps est écoulé.
    Merci, Monsieur Dewar. Merci à vous également, général.
    Nous allons revenir à un membre du gouvernement.
    Monsieur Dechert, je vous prie.
    Merci, monsieur le président.
    Général Thompson, il est bon de vous rencontrer. Merci du service que vous avez rendu au Canada, et merci également aux militaires ayant servi sous votre commandement.
    J'aimerais vous interroger sur votre compréhension du droit international. Que comprenez-vous des obligations internationales des Forces canadiennes aux termes du droit international en ce qui a trait aux traitements et aux soins réservés aux détenus?
    Encore une fois, je ne suis pas un expert en droit. Je peux simplement vous dire que nos formations portent sur la troisième Convention de Genève. Nous nous assurons de traiter tous les détenus conformément à toutes les règles qu'elle prévoit pour ce qui est de nous occuper d'eux, de leur fournir un abri, de les nourrir, de leur garantir l'intimité dont ils ont besoin et même un accès au Coran, s'ils sont musulmans — nous nous chargeons de tout cela comme il se doit, et les détenus sont traités avec respect.
    Avez-vous déjà reçu des directives relativement au traitement des détenus qui allaient à l'encontre de votre compréhension du droit international applicable?
    Croyez-vous que l'un de vos prédécesseurs ou de vos successeurs aient reçu des directives contradictoires ou aient omis de respecter le droit international applicable?
    Là encore, vous me demandez d'exprimer une opinion. Je ne peux l'imaginer, parce que nous sommes formés dès le premier jour pour n'obéir qu'aux ordres légitimes. Si quelqu'un me donnait l'ordre de commettre une injustice à l'égard d'un détenu, je refuserais, tout simplement, parce qu'il ne s'agit pas d'un ordre légitime.
    Merci.
    J'aimerais partager mon temps de parole avec Mme Gallant.
    Merci, monsieur le président.
    Général Thompson, parlons un peu de la formation. Pourriez-vous nous décrire la formation pratique que reçoivent les soldats avant un déploiement relativement au traitement des prisonniers?
    Ils reçoivent une formation complète sur le traitement des prisonniers de guerre, ou PG, car cela fait partie de l'entraînement général. Ce n'est pas quelque chose que l'on réserve à ceux qui partent en Afghanistan.
    Au cours de leur formation, ils passent en revue tous les droits que détient un prisonnier de guerre en vertu des lois sur les conflits armés et de la troisième Convention de Genève, ainsi que la façon de les traiter, de les maîtriser au moyen de menottes flexibles, bref, tout le côté technique. Il est question des détenus à chaque étape de l'entraînement collectif. Dès que l'on sort du cadre de la formation du peloton, de la compagnie, du bataillon ou de la brigade, il y a toujours des scénarios avec des prisonniers — que nous appelons « PG » ou « détenus » dans le contexte afghan —, afin que les soldats puissent s'exercer à capturer les prisonniers, puis à les faire passer par toutes les étapes de la logistique et à les conduire à ce que l'on appelle, dans un contexte général de guerre, la cellule des prisonniers de la brigade, mais qui, dans le contexte afghan, est l'installation de transfert des détenus, située à l'aérodrome de Kandahar.
    On peut établir de nombreux parallèles entre notre entraînement général et celui que nous avons dû recevoir pour l'Afghanistan, et du point de vue d'un soldat, ils sont presque identiques. Le problème est de savoir ce que l'on doit faire de cette personne après son arrivée à l'installation de transfert des détenus.
    Lorsque vous reteniez les prisonniers à l'aérodrome de Kandahar pendant les 96 heures permises avant de prendre une décision sur leur sort, quelles précautions preniez-vous pour vous assurer qu'ils n'essayaient pas de s'infliger des blessures ou de s'en prendre à des codétenus?

  (1715)  

    En ce qui concerne l'installation de transfert des détenus, pour être honnête, je ne sais pas dans quelle mesure je peux vous en parler, sauf pour vous dire qu'elle a été mise en place par les policiers militaires conformément aux normes internationales, ou certainement aux normes canadiennes, et que les détenus sont surveillés afin qu'ils ne puissent pas s'infliger de blessures. Ils n'ont pas d'outils à portée de main pour s'enlever la vie, si c'est ce qui vous inquiète.
    Pour en revenir à la question de la libération, avez-vous pris des précautions pour vous assurer que ceux qui n'étaient pas des insurgés repartaient en toute sécurité, mis à part le paiement des frais de taxi? Par exemple, preniez-vous des précautions pour protéger un prisonnier qui avait peur de se faire attraper par la DNS ou les talibans?
    Oui, dans la mesure où l'endroit où ils prenaient le taxi n'était pas un marché bondé, là où quelqu'un pouvait les intercepter.
    Merci, général.
    Monsieur Rae, vous disposez de cinq minutes.
    Général, j'essaie de faire des recoupements entre votre témoignage et celui de M. Anderson tout en restant juste envers vous deux.
    D'après ce que je comprends, la DNS servait en quelque sorte d'organisme et de service de renseignements qui vous donnait, ainsi qu'à d'autres, des avis relativement aux diverses activités des insurgés, des données générales sur la situation et l'information que l'on s'attend à recevoir d'un organisme de renseignements. C'est bien cela?
    C'est juste. Je ne sais pas si je la décrirais comme un organisme de renseignements; ce serait davantage un bureau fédéral d'enquête. Je ne crois pas que nous ayons un équivalent au Canada — en fait, je suis certain que non.
    Mais oui, vous avez raison. Comme vous le savez, monsieur Rae, il y a toutes sortes de façon de recueillir des renseignements, mais pour le renseignement humain, qui est en fait le plus utile dans une insurrection, on doit s'adresser à des gens comme ceux de la DNS pour l'obtenir.
    Vous les obtenez d'eux.
    En effet.
    Ce que nous essayons de comprendre, c'est la façon dont ils tirent certaines informations. On peut supposer qu'ils les tiennent de personnes détenues dans leurs installations.
    Je ne peux me prononcer là-dessus. Je peux vous dire qu'il y a des agents de la DNS dans chaque district à ce niveau, qu'ils ont des antennes, si on veut, qu'ils conservent ce qu'ils captent et qu'ils questionnent tout simplement les gens comme le ferait n'importe quel spécialiste du renseignement. Ils reçoivent toutes sortes d'informations et parce que c'est leur pays, ils paient des gens pour en obtenir. On peut faire beaucoup avec de l'argent en Afghanistan.
    C'est tout à fait clair.
    J'aimerais comprendre une chose. Les détenus que vous avez confiés à la DNS ont-ils été envoyés dans ses installations?
    Le plus important, c'est de savoir ce qui arrivait à ces personnes ainsi qu'aux autres détenus là-bas. Beaucoup étaient arrêtés et remis à la DNS, mais pas par les Forces canadiennes.
    C'est vrai. Nous pouvons utiliser l'exemple de la prison de comté. Si vous y êtes envoyé, vous y serez interrogé. C'est pourquoi la police, dans l'une des mesures de renforcement des capacités dont je me souviens, a enseigné aux agents de la DNS les techniques d'interrogatoire policier, afin qu'ils puissent les utiliser à leur installation de Kandahar. Je dirais donc que je m'attendais certainement à ce qu'ils questionnent leurs détenus afin de pouvoir réunir des preuves contre eux et de recueillir des renseignements. Nous faisons la même chose ici. On ne peut pas démanteler un groupe de motards sans avoir interrogé les gens que l'on a interpellés.
    C'est vrai, mais nous avons aussi des lois très strictes et diverses façons de nous assurer que certaines techniques d'interrogatoire sont permises et d'autres non, et nous traçons une ligne très nette entre les deux.
    Je suis tout à fait d'accord.
    Là où je veux en venir, c'est que vous et l'armée ne saviez pas nécessairement exactement quelles techniques précises utilisait la DNS pour obtenir des renseignements de ses détenus.

  (1720)  

    Non, en effet. Comme je l'ai mentionné, en tant que membre de l'équipe pangouvernementale, ni moi-même ni mes soldats n'avons participé à cet aspect du renforcement des capacités. Mais nous nous mêlions librement aux agents de la DNS sur le terrain.
    C'est compris. Il me semble que nous cherchons à savoir — et je sais que c'est difficile — ce qui s'est passé dans ces installations et quels mauvais traitements ont été infligés aux prisonniers pour que diverses organisations et sources fassent toutes ces allégations d'entorses à la Convention de Genève.
    Je ne sais pas si je peux vous aider, mais je dirais que je me suis fié sur les rapports des autres ministères pour me faire une idée de la situation dans cette installation de transfert — et aussi dans la prison de Sarposa, puisqu'elle était dans ma zone — afin de déterminer si des gens y étaient torturés.
    Étiez-vous au courant de...
    Est-ce terminé?
    Oui.
    Dommage, Perry Mason était sur le point de trouver la clef de l'énigme.
    Je suis désolé, monsieur Rae. Merci.
    Revenons maintenant à M. Hawn.
    J'ai quelques brèves questions à poser, puis je partagerai mon temps de parole avec M. Abbott.
    J'aimerais juste revenir sur ce dont nous discutions il y a un instant. Vous avez mentionné tout à l'heure que vous seriez envoyé en prison si vous obéissiez à un ordre consistant à commettre une injustice à l'égard d'un détenu, n'est-ce pas? Vous refuseriez d'obéir.
    Et bien, oui, n'importe quel soldat n'obéirait pas à un ordre non légitime.
    Serait-ce aussi grave d'ignorer sciemment une injustice...
    Absolument, nous interviendrions. Si un soldat canadien voit un crime grave perpétré sur le théâtre des opérations, quel qu'il soit, selon toutes les règles d'engagement que j'ai lues, il a l'obligation d'intervenir.
    Absolument. Merci
    Vous avez indiqué que l'armée n'était pas au courant des techniques qu'aurait pu utiliser la DNS. Si tel était le cas, comme vous l'avez dit, alors que vous étiez constamment avec eux sur le terrain, comment le gouvernement pouvait-il savoir ce qui se passait?
    L'armée n'est pas la seule source d'information pour le gouvernement, mais je n'aime pas me faire l'avocat du diable.
    Nous coupons les cheveux en quatre.
    Comme je l'ai dit, cela concerne l'équipe pangouvernementale. Elle peut avoir... Je ne sais pas, peut-être qu'une autre personne de l'équipe leur a transmis de l'information cloisonnée. Je n'en ai aucune idée.
    Vous étiez sur place, comme vous l'avez dit, et vous entreteniez des liens très étroits avec les autres membres de l'équipe pangouvernementale.
    En effet.
    Durant cette période, aucune information de ce genre ne m'a été transmise.

  (1725)  

    Monsieur Abbott.
    Très rapidement, il s'agit là du cœur du problème dont nous traitons aujourd'hui. Il y a des allégations...
    Je suis désolé, général. J'admets que je tiens des propos ici auxquels vous ne pourrez peut-être pas répondre du point de vue professionnel. Nous sommes confrontés à des allégations de la part d'une opposition motivée par des considérations politiques, qui essaie de dire que le gouvernement a fait quelque chose qui ressemble à un crime de guerre ou est carrément un crime de guerre. Vous avez affirmé que vous ne feriez pas et ne pouviez pas faire quoi que ce soit allant à l'encontre des lois et que vous ne pourriez pas obéir à un ordre non légitime.
    En outre, je ne peux imaginer que vos conseillers ou ceux du gouvernement approuveraient cela non plus. Autrement dit, mes amis ne se font pas prier pour faire beaucoup de spéculation. Il y a énormément d'informations qui circulent ici, mais lorsqu'on y regarde de plus près, on voit des professionnels comme vous, des militaires et des bureaucrates qui travaillent pour le Canada, avec l'assentiment du gouvernement.
    Vos propos d'aujourd'hui mettent bien en évidence le fait que l'armée n'obéirait pas à un ordre illégitime. Cela a été très instructif et je vous en remercie.
    Je présume donc qu'il n'y a pas de question, n'est-ce pas?
    Je suis désolé de vous mettre sur la sellette, général. Je le dis très sérieusement. C'est de la folie.
    Y a-t-il d'autres questions?
    S'il nous reste du temps...
    Vous avez environ une minute et demie.
    Général, nous avons parlé des gens qui font des allégations. D'après votre expérience ou vos connaissances de leurs façons de procéder, les détenus talibans ont-ils l'habitude de faire des allégations indépendamment des circonstances?
    Pour tout vous dire, les opinions des détenus talibans ne m'intéressent pas beaucoup. Je suis désolé, mais c'est ainsi.
    Je crois que cela répond à la question.
    Les détenus talibans disent beaucoup de choses.
    J'en suis sûr, mais vous savez...
    Très bien.
    Y a-t-il autre chose du côté du gouvernement?
    Très bien, merci.
    Monsieur Bachand.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    D'abord, je désire souhaiter la bienvenue au général Thompson et m'excuser de mon absence. J'étais sur l'autre « théâtre d'opérations » en train de mener une opération spéciale.
    Une voix: Ah, ah!
    M. Claude Bachand: J'ai lu ce que vous avez dit concernant ce que peuvent être des preuves, ou non, liées à l'insurrection. Je comprends ça. Je vois aussi que vous examiniez souvent des rapports qui pouvaient provenir du ministère des Affaires étrangères pour fonder votre jugement. Vous reconnaissez que vous avez une responsabilité. Quand vous transférez un détenu lié à l'insurrection, vous devez vous assurer qu'il n'y a pas de risque de torture, parce que vous savez que vous pouvez vous faire taper sur les doigts si vous le faites.
    Bgén Denis William Thompson: Oui, exactement.
    M. Claude Bachand: J'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez du colonel Juneau et du général Laroche. On a posé cette question aujourd'hui. Il y a quelques mois, voici ce que disait le colonel Juneau:

[Traduction]

« La fréquence des rapports de visites aux détenus me préoccupe », a écrit l'officier supérieur, qui a réclamé des mises à jour d'inspection post-transfert pour être certain qu'il ne faisait pas courir aux détenus un « risque réel » de torture.

[Français]

    Un peu plus bas, le général Laroche avance ceci:

[Traduction]

...nous considérons essentiel d'avoir une meilleure vue d'ensemble de la situation.

[Français]

    Vous semblez dire que vous n'avez eu aucun rapport négatif. Avez-vous eu fréquemment des rapports? C'est peut-être l'enjeu. Juneau et Laroche disent qu'on n'avait pas assez de rapports et que c'était dangereux, selon eux, de transférer les détenus. Vous êtes arrivé quelques mois après: y a-t-il eu un changement? Avez-vous vu ces rapports?
    Absolument.
    Comme je l'ai dit tout à l'heure, je suis arrivé aux alentours du 14 mai 2008. Ils avaient recommencé le transfert des détenus au mois de février 2008, puisque entre novembre 2007 et février 2008, ils avaient amélioré le système de rapports et mis en place un programme pour bâtir la capacité dans les installations elles-mêmes. Ils ont fait beaucoup de choses pour en arriver à recommencer le transfert des détenus. Quand je suis arrivé, tel était l'état de la situation.
    C'était le ministère des Affaires étrangères qui vous transmettait les rapports?
    Non. C'était un agent du ministère des Affaires étrangères. Toutefois, comme je l'ai dit plus tôt, on formait tous une équipe.
    C'était un travail multidisciplinaire.
    Absolument.
    Êtes-vous au courant d'une rumeur voulant que les Britanniques auraient cessé de faire les transferts? Savez-vous si c'est vrai ou non?
    Non. Comme je l'ai dit ici, je n'ai pas suivi de très près les affaires en Afghanistan depuis 13 mois.
    Par contre, quand vous y étiez, avez-vous été mis au courant, ou avez été témoin que les Britanniques ont cessé les transferts parce qu'il y avait trop de risques?
    Non, pas pendant la période où j'y étais.

  (1730)  

    Aviez-vous accès à tous les documents du ministère des Affaires étrangères pour évaluer la situation? Autrement dit, aviez-vous les rapports? J'imagine qu'en équipe, on vous montrait les derniers rapports de visite. Aviez-vous accès à tous ces rapports?
    Oui, absolument.
    Étaient-ils censurés?
    Non, monsieur.
    Vous devez donc vous dire que c'est un peu dommage pour nous, les députés, que nous ne puissions pas vous interroger à partir des mêmes documents que vous avez lus. C'est une question politique.
    Des voix: Ah, ah!
    Je suis désolé, mais ce n'était pas ma décision.
    Monsieur Bachand, n'oubliez pas que le 22 mai, c'est la parade pour la graduation au Collège militaire royal de Saint-Jean, et j'espère que vous y serez.
    J'y serai. On m'a dit que nous serions à la même table. Je vais danser avec votre femme aussi.
    D'accord. Merci, monsieur.

[Traduction]

    Je remercie les membres du comité.
    Je tiens à vous remercier, général, de votre présence aujourd'hui. Certains de vos propos étaient peu communs. Il est rare que des fonctionnaires nous disent, quand quelque chose a mal tourné, qu'ils en sont responsables. Pourtant, vous sembliez très bien assumer votre rôle là-bas. Nous vous remercions de votre franchise et d'avoir servi en Afghanistan, ainsi que d'avoir témoigné devant nous aujourd'hui.
    Oui, monsieur Wilfert.
    En ce qui concerne les groupes d'experts...
    Pourrions-nous en discuter... D'accord, allez-y.
    Nous voulions simplement obtenir des précisions sur les groupes d'experts que nous accueillerons en avril, si c'est possible. Souhaitez-vous que nous poursuivions la séance à huis clos?
    Nous ne pourrons pas le faire, car la sonnerie se fait entendre. Si vous voulez venir à la table ensuite, nous pourrons clarifier cela.
    Je remercie les membres du comité.
    La séance est levée.
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