FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 2 décembre 1999
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier (Brampton ouest—Mississauga, lib.): Conformément à l'article 108 (2) du Règlement, je déclare ouverte cette séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international qui a pour but d'examiner la situation des droits de la personne en Colombie et les relations du Canada avec ce pays.
En mai 1999, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international a accepté de tenir des audiences sur la situation des droits de la personne en Colombie. La première audience auprès d'organismes non gouvernementaux a lieu aujourd'hui. Le 7 décembre, nous rencontrerons des représentants du gouvernement.
• 0940
J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue à tous nos
participants. Nous accordons normalement une période de dix minutes
pour chacune des présentations, mais, compte tenu du nombre de
participants que nous devons entendre aujourd'hui, cela pourrait
occuper toute la rencontre et je crois que les membres ont des
questions à poser.
Nous commencerons par le Tribunal de défense des droits de la personne de Toronto. Nous avons parmi nous l'honorable David MacDonald et M. Jeffry House.
Bienvenue messieurs.
Je crois que les deux premiers seront... Oh, Oh. C'est en français et je suis loin d'être bilingue.
M. Jeffry House (Procureur général du Tribunal de défense des droits de la personne en Colombie de Toronto): Madame la présidente, nous espérons réussir à partager le temps qui nous est alloué. Je parlerai le premier, puis le professeur Schabas de Montréal prendra la parole et enfin l'honorable David MacDonald conclura.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): D'accord. Allons-y.
M. Jeffry House: Madame la présidente, membres du Comité, je vous remercie infiniment au nom du Tribunal de défense des droits de la personne en Colombie de Toronto de nous donner l'occasion de dire quelques mots sur la situation qui prévaut en Colombie.
Je vais parler du massacre de Barrancabermeja qui est à l'origine de la mise sur pied des tribunaux de Toronto et de Montréal.
Les 16 et 17 mai 1998, un massacre a été perpétré à Barrancabermeja, la capitale pétrolière de la Colombie. Trente-deux personnes ont été tuées ou sont disparues. Trois cents organismes de défense des droits de la personne et organisations non gouvernementales de Colombie ont demandé l'aide de la communauté internationale pour mettre fin à l'impunité qui règne en Colombie.
Je me suis rendu à Barrancabermeja en janvier et février de 1999 et j'y ai rencontré des gens qui ont été témoins de ces massacres. J'aimerais vous en parler brièvement. Vous trouverez un compte-rendu semblable dans le mémoire que nous avons préparé et que vous devriez avoir reçu.
À 20h30 le samedi 16 mai 1998, trois camions de type militaire sont entrés dans la partie sud de Barrancabermeja. Ces véhicules transportaient de 30 à 40 hommes vêtus à la manière des militaires colombiens et armés de mitrailleuses, de carabines, de pistolets et d'autres armes, dont des baïonnettes.
Fait troublant, ils ont traversé sans être inquiétés un point de contrôle militaire connu sous le nom de Retén. Cela est très inhabituel puisque Barrancabermeja est une région pétrolière qui fait l'objet d'une surveillance étroite. Une attaque contre l'industrie pétrolière dans cette région aurait des effets dévastateurs pour le pays et pour le gouvernement.
De toute façon, les trois véhicules sont passés sans ennui au point de contrôle et se sont rendus à une discothèque connue sous le nom de La Tora. Il n'y avait que deux jeunes hommes dans la discothèque à ce moment-là. Les prétendus militaires ont sauté à terre, ont entouré la discothèque, fait sortir les deux hommes de force et les ont poussés dans l'un des camions à la pointe de leurs baïonnettes.
Ils ont ensuite poursuivi leur chemin et environ un kilomètre plus loin, ils ont aperçu un pharmacien qui se trouvait à l'extérieur de son commerce. C'était un homme d'un certain âge. Il avait 59 ans je crois. Ils l'ont également poussé dans un camion.
Un demi-kilomètre plus loin, ils ont pénétré dans un quartier pauvre, un barrio et se sont dirigés vers un terrain de soccer qui était leur objectif pour ce soir-là. Il y avait un bazar communautaire en cours. Les gens dansaient, buvaient et jouaient à une sorte de jeu de fers. On y vendait du maïs et autres aliments rapides.
• 0945
Les 30 à 40 hommes armés ont encerclé le terrain de sports en
criant à tout le monde de se coucher sur le sol, face contre terre.
Ils frappaient les gens à coups de pieds et autrement. Il y avait
une centaine de personnes sur les lieux.
Une fois tout le monde étendu sur le sol, les soi-disant paramilitaires, qui criaient «nous sommes des paras et nous sommes venus vous faire la guerre», se sont mis à soulever plusieurs têtes en les tirant par les cheveux. Ils regardaient chaque visage et décidaient qui ils voulaient emmener avec eux. Ils semblaient ne retenir que les hommes âgés de 14 à 30 ans. Une femme a également été emmenée.
Après un bref coup d'oeil, ils ont fait lever les personnes choisies et les ont poussées dans les camions à la pointe des baïonnettes, les frappant avec le canon ou la crosse de leur arme (culatazos).
Un des jeunes hommes a affirmé d'une voix forte qu'il ne monterait pas dans le camion parce qu'il ne savait pas à qui il avait affaire. Un ordre a retenti et on lui a aussitôt tranché la gorge. Il est mort sur le coup.
Après environ 10 à 15 minutes, les camions sont repartis vers la route d'où ils étaient venus. Ils sont passés devant un jeune homme de 15 ans qui était assis sur un demi pneu à la porte de chez lui. On se sert de pneus comme clôture là-bas et il y avait un demi pneu devant chez lui. Ils l'ont également fait monter dans le camion.
Environ 1,5 kilomètre plus loin, ils ont traversé un autre poste de contrôle militaire connu sous le nom de Pozo Siete, ou septième puits. Encore là, ils n'ont pas été inquiétés même s'ils transportaient des gens à ce moment-là. Ils ont traversé le poste de contrôle, sont sortis de leurs camions, ont bloqué la route, montant et descendant la rue.
Ceux qui ont monté la rue sont entrés dans une salle de billard et ont forcé les trois clients qui se trouvaient sur les lieux à monter dans le camion. Ils ont également emmené un homme qui vendait des billets de loterie non loin de là.
Un peu plus loin, des gens jouaient aux fers. Un homme a tenté de se réfugier à l'intérieur. Ils l'ont suivi, ont tiré dans le plafond de la maison et ont finalement abattu l'homme dans le jardin.
J'ai visité le jardin en question et j'ai vu les trous laissés par les balles qui ont tué cet homme. On m'a dit qu'aucun enquêteur ne s'était rendu sur les lieux pour tenter de retrouver la balle ou pour savoir ce qui s'était passé.
Pendant ce temps, les camions avaient arrêté les voitures qui circulaient sur la grand route. Quelques jeunes hommes sont arrivés en motocyclette. Ils ont été arrêtés et jetés eux aussi dans les camions.
De même, les paramilitaires qui s'étaient dirigés vers le sud sont arrivés à un renfoncement dans le chemin et ils se sont mis à tirer avec leurs mitraillettes, affirmant qu'il y avait des guerilleros dans les buissons, bien qu'il n'y avait aucun bruit dans les buissons et que rien ne semblait indiquer qu'il n'y ait qui que ce soit. Ils sont ensuite retournés vers les camions.
Il y avait alors environ 30 personnes à bord. Ils ont de nouveau passé un poste de contrôle militaire à Pozo Siete, sans être inquiétés, ont continué leur chemin, passé un autre poste de contrôle, le premier qu'ils avaient franchi, le Retén, et ils ont poursuivi leur chemin vers Bucaramanga, la ville la plus proche.
Le lendemain matin, cinq autres cadavres ont été découverts le long du chemin. Ces cinq personnes faisaient partie du groupe qui assistait à la fête communautaire.
Au cours de ma visite là-bas, j'étais très intéressé de savoir quel genre d'enquête on avait mené sur ces événements, le cas échéant. J'ai parlé à une vingtaine de témoins oculaires. Très peu d'entre eux avaient été interrogés par la police.
• 0950
Certains s'étaient rendus d'eux-mêmes à la CREDHOS, une
organisation locale de défense des droits de la personne pour y
déposer une déclaration. J'ai pu consulter tout le dossier des
déclarations reçues. Il y en avait environ 75. Bon nombre de ces
déclarations ont été faites devant des membres du tribunal, dont
l'honorable David MacDonald.
J'ai trouvé très curieux qu'aucun représentant du gouvernement n'ait jamais vu les cadavres retrouvés le long du chemin de Bucaramanga. Personne n'a même pris leur photo. On n'a pas fait d'autopsie. Ce sont les familles de ces personnes qui ont dû contacter une entreprise de pompes funèbres pour faire ramasser les cadavres et organiser des funérailles.
Personne n'a cherché à retrouver les balles qui ont été tirées, que ce soit en pratiquant des autopsies ou en cherchant les balles des armes automatiques tirées dans les buissons. Il y a plusieurs chemins de terre dans ce secteur, mais on n'a jamais examiné ces chemins ou les bords de chemins pour tenter de prélever des indices sur les traces de pneu de ces camions par exemple.
Il est assez troublant de constater que durant l'heure et demie que les paramilitaires ont passée dans le secteur, entre les points de contrôle, la police ne répondait pas au téléphone. L'armée non plus. L'endroit où on a arrêté la circulation sur l'autoroute se trouvait à 200 mètres d'une base militaire nommée Termo-Electrica. De cette base, j'ai pu voir l'endroit où les gens avaient été forcés de monter dans les camions et où les coups de feu avaient été tirés. La base militaire était complètement à la vue. De même, d'après les tests qui ont été effectués, le bruit des armes automatiques était clairement audible à cette distance, particulièrement au cours de la nuit.
Ce sont là les faits dans les grandes lignes. Ils n'ont pas vraiment été réfutés. Personne n'a dit que ce n'était pas arrivé ou qu'il y avait une explication à tout cela. Vous serez probablement intéressés de savoir que les paramilitaires en ont revendiqué la responsabilité. Ils ont accordé une conférence de presse quelques semaines après le massacre et ont affirmé que les 25 personnes disparues avaient été jugées, reconnues coupables et exécutées, que leurs corps avaient été brûlés et que leurs cendres avaient été jetées dans la rivière.
Le chef des paramilitaires colombiens a par la suite accordé une entrevue qui a été rapportée textuellement dans la revue Cambia qui est une publication du genre de Time, Newsweek ou Maclean. Au cours de cette entrevue, il a offert de mettre un terme aux massacres si les guerilleros mettaient eux aussi un terme à leurs opérations. On lui a demandé s'il n'avait aucun remords en pensant que les victimes n'étaient pas des combattants. Il a affirmé qu'il n'était nullement préoccupé puisque ces gens étaient soit des guerilleros soit des intervenants du secteur social qui appuient les guerilleros.
Ceci conclut mon exposé. Je vous remercie.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Schabas.
[Français]
M. William A. Schabas (professeur au Département des sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal, et membre du Comité chrétien pour les droits humains en Amérique latine—Tribunal d'opinion de Montréal): Merci, madame la présidente.
Je suis ici à titre de représentant du tribunal qui a été tenu à Montréal. Ce tribunal, que j'ai eu l'honneur de présider, était composé de juristes, de parlementaires, de syndicalistes et de représentants de la société civile. Dans la documentation que nous vous avons remise, vous devriez retrouver une copie du jugement rendu par le tribunal, ainsi que les remarques supplémentaires préparées par Mme la juge Andrée Ruffo, qui a fait partie du tribunal.
Je n'insisterai pas sur les faits vu que les témoins devant le tribunal de Montréal étaient essentiellement les mêmes que ceux qui ont comparu devant le tribunal de Toronto. Nos conclusions factuelles correspondent à peu près à celles du tribunal de Toronto.
J'aimerais attirer votre attention sur un aspect plus juridique des conclusions du tribunal. Il s'agit d'insister sur ce que nous appelons, dans les milieux des droits de la personne, la culture de l'impunité. Par «culture de l'impunité», on décrit une situation où les responsables des violations les plus graves des droits fondamentaux demeurent impunis.
• 0955
Ceci peut prendre plusieurs formes.
On connaît bien la situation dans certains États où,
après une procédure judiciaire, on accorde
un genre d'amnistie, ou même où l'on
offre une amnistie avant de punir les
responsables des atrocités. Il y a de nombreux
exemples, entre autres en Amérique du Sud. En
Colombie, le problème étant l'absence de
répression pénale, les violations les
plus graves ne font jamais l'objet d'une enquête ou de
poursuites de la part des autorités judiciaires. La
conséquence, bien sûr, est de priver le système
judiciaire de son effet dissuasif quant aux violations
futures. On encourage ainsi des violations
futures. De plus, cela porte atteinte aux victimes, qui
n'ont pas de satisfaction personnelle et qu'on prive de
la recherche de la vérité quant aux violations
dont elles et leurs proches ont été victimes.
L'insistance quant à la poursuite des violations graves est soulignée dans la jurisprudence internationale, entre autres dans des jugements récents de la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Vous vous avez en main les références pertinentes dans le jugement. C'est également sous-jacent à la philosophie de la nouvelle Cour pénale internationale, dont le statut a été signé à la fois par la Colombie et le Canada.
Dans les deux jugements, celui de Toronto et celui de Montréal, on qualifie les crimes perpétrés en Colombie de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. On parle de crimes de guerre parce que le droit international reconnaît maintenant que les crimes de guerre peuvent être commis lors de conflits internes, dont celui de la Colombie. On parle de crimes contre l'humanité en ce sens que les crimes de disparition entre autres, dans la mesure où ils ont été commis dans un contexte généralisé et systématique, peuvent aussi constituer des crimes contre l'humanité.
Il y a trois mécanismes pour remédier à cette situation. Dans un premier temps, un État comme le Canada peut essayer de poursuivre les responsables des crimes même si ces crimes ont été commis en Colombie. Le Code criminel, qui a été amendé pendant les années 1980, permet aux tribunaux canadiens de juger les criminels de guerre de la Deuxième Guerre mondiale. Ses dispositions demeurent applicables même aux crimes commis actuellement. La difficulté, bien sûr, est, dans un premier temps, de mettre la main sur les responsables de ces crimes. Évidemment, ce droit demeure ouvert, mais il est problématique.
La deuxième option est de demander aux Nations Unies de créer un tribunal international comme ceux qui existent pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie. Cela exige évidemment une résolution du Conseil de sécurité, dont le Canada est membre. Il s'agit également d'une voie utile à envisager.
Enfin, la meilleure option pour la lutte contre les crimes contre l'humanité demeure les tribunaux internes. Il faut inciter le système judiciaire en Colombie, la justice colombienne et les tribunaux de ce pays à assumer leurs responsabilités et à faire en sorte que les faits soient élucidés et que les responsables des massacres, dont le massacre qui a été décrit dans les deux jugements, soient punis de façon appropriée.
Je vous remercie et je vous invite maintenant à céder la parole à l'honorable David MacDonald, qui va compléter les présentations des deux tribunaux. Merci.
[Traduction]
L'honorable David MacDonald (Membre du Tribunal de défense des droits de la personne en Colombie de Toronto): Je vous remercie.
Pour conclure notre présentation, j'aimerais tout simplement ajouter que ce fut une expérience remarquable de constater que, tant à Montréal qu'à Toronto, bon nombre de Canadiens de tous les milieux ont tenu à se rendre pendant plusieurs jours un peu plus tôt cette année à un tribunal pour y entendre les témoignages de gens qui ont été directement affectés par ce massacre.
• 1000
Ce fut une expérience extraordinaire et cela démontre bien à
mon avis les préoccupations de bon nombre de Canadiens et
d'organisations canadiennes, dont certaines sont représentées ici
ce matin, relativement à la gravité de la situation en Colombie.
Ces audiences ont eu lieu quelques semaines seulement avant la
visite du président de la Colombie qui, je le rappelle, est venu en
visite au Canada en juin.
On pourrait croire qu'après toute la publicité qui a été faite sur les événements qui se sont produits, les autorités colombiennes auraient tenté de clarifier la situation et mené une enquête approfondie sur le sujet, comme l'avait demandé le ministre Axworthy peu de temps après le massacre il y a un an et demi.
Je ne crois pas que notre ministre des Affaires étrangères, ou qui que ce soit d'autre, ait reçu une réponse à ce sujet. En réalité, si vous lisez la fin de notre mémoire, et je n'ai pas l'intention d'en faire la lecture, vous verrez à la page 11 qu'il y a eu d'autres attaques et incidents de harcèlement contre ceux-là même qui ont tenté de faire connaître au monde l'étendue de ces massacres. L'organisation dont Jeffry House a parlé un peu plus tôt, la CREDHOS, a vu depuis sa mise sur pied six de ses membres assassinés, deux de ses chefs condamnés à l'exil et bon nombre des autres membres menacés de mort.
Il y a quelques semaines à peine, entre le 16 et le 18 octobre, le bureau de la CREDHOS a été pillé et le disque dur de son ordinateur, sur lequel se trouvait toute l'information recueillie par l'organisation depuis cinq ans, a été volé. Cela touchait tous les dossiers, tous les registres judiciaires relatifs au massacre et toutes les allégations faites contre les autorités dans cette affaire. Il n'est donc pas difficile de comprendre l'objet de cette descente.
De plus, le 19 octobre, un autre membre du conseil d'administration de la CREDHOS, Pablo Javier Arenales, a reçu des menaces de mort sous la forme du message suivant: «Fils de pute, tu sens le cadavre.»
La CREDHOS a déclaré que toutes ces manoeuvres faisaient partie d'une stratégie concertée, conçue pour réduire au silence les défenseurs des droits de la personne. Tout cela a lieu alors que plusieurs ministres de notre gouvernement ont demandé une explication complète de ces événements, une clarification de tous les événements qui ont entouré ce massacre.
Il y a bien d'autres détails qui pourraient être racontés, mais je suis persuadé que vous avez compris qu'il y a toujours sur une grande échelle des violations graves des droits de la personne. Nous avons relevé 198 massacres en 1998. Au cours des neuf premiers mois de cette année, nous en sommes déjà rendus à un compte officiel de 270. La situation est loin de s'améliorer. Bien au contraire. C'est la raison pour laquelle il nous semble urgent d'adopter des mesures fortes du genre de celles que nous vous proposons ici ce matin.
Notre mémoire comprend cinq recommandations.
Tout d'abord, ce comité devrait faire une déclaration publique. J'aimerais souligner que lorsque notre tribunal a fait ses propres recommandations au début de mai, nous recommandions tout particulièrement que votre comité fasse ce qu'il fait en réalité aujourd'hui. Nous tenons à remercier les membres du comité d'avoir accepté cette responsabilité et répondu à cette demande, parce que ce n'est que grâce à une enquête publique de ce genre et à la diffusion des événements survenus en Colombie que nous pouvons espérer voir l'adoption de mesures positives. Nous aimerions donc que le Comité publie une déclaration à la suite de la rencontre de ce matin, pour ajouter à la pression qui s'impose dans la situation présente.
Deuxièmement, nous recommandons que l'ambassadeur du Canada en Colombie, qui est certainement bien au fait de la situation puisque nous savons qu'il y a eu beaucoup d'activités au niveau des représentants de notre ambassade, se rende personnellement à Barrancabermeja pour se rendre compte de la situation, rencontrer les organisations en cause et obtenir tous les renseignements pertinents afin de pouvoir réclamer la mise en «oeuvre de mesures efficaces pour garantir la protection des personnes et des organisations en danger.
Nous aimerions que notre ambassadeur ait pour instruction de resoumettre officiellement au gouvernement de la Colombie le communiqué du ministre Axworthy et les conclusions du Tribunal de défense des droits de la personne en Colombie, et de demander au gouvernement colombien de fournir une réponse écrite complète qui serait rendue publique. C'est là à notre avis une exigence minimale que nous pourrions transmettre.
Troisièmement, nous espérons que, avec l'aide du ministère de la Justice, le gouvernement pourra nous fournir, à nous ou au comité, un avis juridique sur les moyens qu'il serait possible de prendre pour poursuivre au Canada, pour crimes contre l'humanité, les auteurs et autres responsables du massacre.
• 1005
Quatrièmement, nous aimerions qu'on examine de près les
aspects de la loi canadienne auxquels il faudrait avoir recours ou
qu'il faudrait modifier pour permettre l'extradition et
l'inculpation des personnes responsables de crimes de guerre et de
cimes contre l'humanité en Colombie.
Enfin, j'aimerais souligner que le Canada dispose actuellement d'un avantage unique au niveau international puisqu'il est membre du Conseil de sécurité des Nations Unies où des questions de ce genre font l'objet de discussions de temps à autres et qu'il devrait profiter de sa présence à cette tribune pour demander la mise en place d'un tribunal international pour la répression des crimes de guerre commis en Colombie. À notre avis, cette mesure supplémentaire permettrait de réunir les autres membres de la communauté internationale pour voir s'il ne serait pas possible de prendre une fois pour toutes des mesures en vue de mettre un terme à l'horreur, aux effusions de sang et à la misère qui sont de plus en plus fréquents en Colombie.
Je vous remercie, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Je vous remercie.
Nous entendrons maintenant M. Bill Fairbairn du Comité inter-Églises des droits humains en Amérique latine.
M. Bill Fairbairn (Coordonnateur du programme de l'Amérique latine du Comité inter-Églises des droits humains en Amérique latine): Je vous remercie, madame la présidente.
Le Comité inter-Églises des droits humains en Amérique latine est heureux d'avoir la chance de participer à ces audiences et félicite le comité permanent de les avoir convoquées.
Le CIEDHAL est une coalition oecuménique nationale qui regroupe plus de vingt églises et organisations religieuses du Canada et qui a vu le jour à la suite du coup d'État militaire survenu au Chili en 1973. Depuis 1988, nous suivons de près la situation en Colombie, y envoyant bon nombre de missions en collaboration avec l'Église colombienne et les organismes locaux de défense des droits de la personne.
Nous avons préparé un mémoire qui souligne nos principales préoccupations et recommandations relativement aux mesures que le gouvernement pourrait prendre. Je n'aurai malheureusement pas le temps de me pencher sur chacune de ces recommandations, mais j'exhorte les membres du comité à les appuyer et à demander au gouvernement du Canada de les adopter.
Avant d'aller plus loin, j'aimerais faire part aux membres du Comité d'un des plus criant appels que nos avons reçus de Colombie. C'était il y a quelques jours, alors que nous nous préparions en vue de la présente audience.
Dimanche matin dernier, Edgar Quiroga, un chef populaire important et bien connu et un activiste dans le domaine des droits de la personne en Colombie, ainsi qu'un autre homme, un dénommé Gildardo Fuentes, ont disparu dans l'État de Bolivar en Colombie. Selon les renseignements directs que nous avons reçus, les deux hommes ont été arrêtés par une unité de l'armée de terre, la cinquième brigade semble-t-il, et remis par la suite à un groupe paramilitaire actif dans la région.
Lundi, j'ai reçu un appel m'informant que les deux hommes avaient été attachés à un arbre et qu'ils avaient été sauvagement torturés par les paramilitaires en présence de plusieurs personnes de la communauté. Nous avons immédiatement communiqué avec l'ambassade à Bogota et transmis une lettre de protestation exigeant que les deux hommes soient libérés, mais nous ne savons toujours rien quant au sort qui leur a été réservé. Nous ne savons pas s'ils ont survécu à la torture. Nous ne savons pas s'ils sont toujours vivants ou non. Hier soir, j'ai appris que des gens qui avaient été témoins de ces actes et d'autres campesinos de la région s'étaient enfuis de peur d'être assassinés.
C'est ce qui se passe en Colombie. Notre comité et bon nombre d'autres organisations reconnues qui s'occupent de la défense des droits de la personne ont rapporté des milliers de cas comme celui dont je viens de vous parler. Au cours de l'exposé présenté un peu plus tôt du plus tôt, on nous a parlé d'un massacre qui s'est produit en Colombie l'an dernier. C'est l'un des 198 massacres qui se sont produits en Colombie en 1998. Les données pour 1999 sont encore pires; près de 300 massacres ont été rapportés jusqu'à présent. Chacun de ces 300 massacres a engendré traumatismes et dévastation.
La violence ne s'arrête pas là. Les organisations colombiennes qui s'occupent de la défense des droits de la personne rapportent entre 10 et 11 meurtres ou disparitions politiques chaque jour.
Ce climat de terreur a entraîné des déplacements massifs à l'interne qui ont été décrits récemment par la Commission interaméricaine des droits de l'homme comme «rien de moins qu'une catastrophe humaine». On estime à l'heure actuelle à plus de 1,5 million le nombre de personnes déplacées en Colombie. Plus du tiers de ces personnes ont été déplacées au cours des deux dernières années.
Nous avons la chance d'avoir parmi nous aujourd'hui M. Luis Garzon, le président du CUT, la fédération du travail de la Colombie. Je suis persuadé que M. Garzon ainsi que nos collègues du Congrès du travail du Canada pourront vous parler des attaques qui sont dirigées systématiquement contre les syndicats en Colombie.
Tous ceux d'entre nous présents ici aujourd'hui qui aimons la Colombie et qui nous préoccupons pour son peuple ont vu bon nombre de leurs amis et collègues colombiens menacés de mort ou d'enlèvement ou carrément assassinés. Les meilleurs éléments de la Colombie sont systématiquement éliminés.
On croit à tort au Canada comme partout ailleurs au monde que toute la violence qui sévit en Colombie est reliée directement aux cartels de la drogue. C'est faux. La violence politique en Colombie est attribuable à bon nombre de responsables. Parmi eux se trouvent les cartels de la drogue, les organismes de sécurité nationale, les guerillas, dont les violations du droit humanitaire international ont été énergiquement condamnées, et les escadrons paramilitaires de la mort.
• 1010
J'aimerais profiter du temps dont je dispose pour parler des
activités des groupes paramilitaires parce que, selon un rapport
préparé récemment par la Commission colombienne des juristes, ces
derniers sont responsables de près de 80 p. 100 de tous les
meurtres et disparitions pour motifs politiques au pays.
Il y a certaines choses qu'il faut savoir sur la violence paramilitaire en Colombie. Tout d'abord, comme j'ai beaucoup voyagé partout en Amérique latine au cours des seize dernières années au nom des Églises canadiennes et que j'ai recueilli des déclarations détaillées dans divers pays comme le Chili, l'Uruguay, le Pérou et l'Argentine entre autres, je peux vous dire sans l'ombre d'un doute que je n'ai jamais entendu parler d'atrocités du genre de ce que l'on entend aujourd'hui en provenance de la Colombie. Dans la partie nord du pays, j'ai personnellement entendu le témoignage de mères dont les enfants ont été décapités par des agents paramilitaires armés de scies mécaniques.
J'ai entendu bon nombre de témoignages de ce genre. La violence paramilitaire est responsable de la grande majorité des abus en matière de droits et des déplacements forcés en Colombie. Dans les villages, il suffit de faire circuler la rumeur que les «coupeurs de tête» arrivent pour que tous s'enfuient terrorisés, abandonnant souvent leurs terres et leurs moyens de subsistance.
La deuxième chose que j'aimerais souligner, et vous l'entendrez probablement plusieurs fois ici ce matin, mais je ne crois pas qu'on puisse en parler trop, c'est la preuve écrasante que les services de sécurité nationale accordent un appui actif et constant aux forces paramilitaires. Cela n'est nullement restreint à une partie du pays et n'a rien à voir avec des incidents isolés ou des cas individuels d'abus, comme la ministre des Affaires étrangères de Colombie, Mme Maria Emma Mejia, a tenté de le faire croire au comité il y a quelques années. C'est plutôt là une pratique courante et systématique.
Dans un rapport au Congrès, le protecteur du citoyen de Colombie a affirmé que ces groupes «sont devenus la partie illicite de l'armée et de la police pour qui ils font le sale travail, parce que ces dernières ne peuvent le faire en tant qu'autorités assujetties à la primauté du droit». Selon le protecteur du citoyen, les activités paramilitaires constituent «une nouvelle façon d'exercer une répression illégale en toute impunité».
Le troisième point que j'aimerais souligner, c'est que rapport après rapport, et j'en ai apporté quelques-uns avec moi ici aujourd'hui pour que vous puissiez en prendre connaissance, les organisations colombiennes et internationales ont décrit la situation qui prévaut actuellement en Colombie au chapitre des droits de la personne et l'incapacité du gouvernement colombien à mettre en «oeuvre la grande majorité des recommandations qui lui ont été présentées par les organismes internationaux.
Les Nations Unies et l'OEA ont préparé une série de recommandations soigneusement mises au point et ils ont à plusieurs reprises exhorté le gouvernement colombien à les adopter. Je ne peux en parler en détail maintenant, mais je peux vous assurer que si ces recommandations étaient adoptées, elles auraient d'importantes répercussions et permettraient d'améliorer la situation des droits de la personne en Colombie. Malheureusement, les gouvernements colombiens qui se sont succédés, y compris celui qui est au pouvoir à l'heure actuelle, n'ont jamais fait preuve de la volonté politique nécessaire pour les adopter.
Toutefois, ce qui permet à des situations de ce genre de se poursuivre, c'est souvent le fait que des pays comme le Canada sont disposés à continuer d'agir comme si tout était normal. Notre mémoire renferme neuf recommandations, mais compte tenu du temps dont je dispose, je ne vous en présenterai que quelques-unes.
Tout d'abord, en ce qui a trait à la paix en Colombie, certains de mes collègues ici présents pourront vous faire part des derniers détails dans ce domaine et je ne m'attarderai donc pas sur ce sujet.
Mais, bien que nous recherchions vivement la paix en Colombie et que nous encouragions le gouvernement du Canada à appuyer tous les efforts visant une paix véritable en Colombie, nous aimerions souligner les paroles de la Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Mary Robinson. Parlant, l'an dernier, devant la Commission des droits de l'homme de la situation qui sévit en Colombie, elle a dit:
-
Certains prétendent que la paix n'est pas indispensable à
l'existence des droits de l'homme. Je préfère l'expression du
[protecteur du citoyen de Colombie]—les droits de l'homme sont
indispensables à la paix.
Aussi, bien que nous appuyions chaque effort en vue de conclure une paix véritable en Colombie, nous estimons que la contribution la plus importante que puisse faire le gouvernement canadien pour favoriser la paix et le respect des droits de la personne en Colombie est d'exercer des pressions sur le gouvernement colombien pour qu'il respecte toutes les recommandations claires et précises qui lui ont été faites par les organismes internationaux comme les Nations Unies et l'OEA.
Il est important que le Canada prenne des mesures claires en vue de combattre ces violations massives des droits puisque l'augmentation des atrocités a coïncidé avec un accroissement du commerce et des investissements du Canada en Colombie. Nous devons absolument nous demander dans quelle mesure les compagnies canadiennes tirent profit de toute cette violence ou aident à l'exacerber.
Vous avez entendu il y a deux semaines un témoignage direct de la part de M. Kimy Pernia de la Nation Embera Katio. Ce dernier a expliqué comment un barrage ayant bénéficié d'un prêt de l'ordre de 18 millions de dollars US consenti par la Société pour l'expansion des exportations menaçait la survie physique et culturelle de la Nation Embera et comment les opposants à ce projet avaient été tués par les forces paramilitaires.
• 1015
Dans l'État de Bolivar, une région riche en gisements d'or,
l'arrivée de sociétés minières étrangères, dont la Canadian
Conquistador Mines, a coïncidé avec l'arrivée de groupes
paramilitaires qui ont entrepris une campagne de terreur,
massacrant les habitants locaux et obligeant des milliers de
personnes à fuir, laissant ainsi la région libre pour les sociétés
minières. C'est une situation que l'on retrouve également au
Soudan.
C'est la raison pour laquelle le CIEDHAL félicite le ministre Axworthy pour sa sincérité et sa probité dans l'affaire des activités de Talisman Energy Inc. au Soudan. Nous le prions instamment d'adopter la même attitude à l'égard de sociétés canadiennes qui poursuivent leurs activités dans une Colombie déchirée par la guerre. Nous sommes convaincus que, tout comme dans le cas du Soudan, les Canadiens veulent s'assurer que les sociétés canadiennes présentes en Colombie n'aggravent ni le conflit qui s'y déroule ni les violations des droits humains des habitants de ce pays.
En ce qui a trait à la Société pour l'expansion des exportations, les Canadiens veulent également s'assurer qu'avant d'accorder des crédits à un projet, la Société mènera une étude des répercussions de ce projet sur les droits de la personne, en consultation avec des organisations dignes de confiance. Si un projet ne peut être réalisé sans contribuer à la capacité de répression ou à des violations des droits de la personne, la SEE ne doit pas le subventionner.
Nous soulignons également dans notre mémoire l'urgence d'adopter des mesures législatives sur le contrôle des exportations pour s'assurer que le matériel militaire canadien est soumis à des contrôles.
À l'heure actuelle, il y a une brèche importante dans la politique canadienne de contrôle des exportations, et cette brèche a permis l'exportation d'hélicoptères canadiens qui ont été livrés aux forces armées colombiennes qui, rappelons le, ont participé à des actes systématiques de violation des droits de la personne. Nous demandons donc instamment au gouvernement du Canada d'apporter à la loi les modifications qui s'imposent pour garantir que toutes les marchandises canadiennes exportées à des fins militaires soient assujetties au contrôle des exportations et qu'aucune marchandise de la sorte ne soit livrée à des gouvernements responsables de violations de droits de la personne.
En attendant, nous prions le gouvernement du Canada de faire en sorte qu'aucun autre hélicoptère ou marchandise ne soit vendu à la police ou aux forces armées colombiennes. Nous l'invitons aussi à donner l'exemple en pressant la communauté internationale d'adopter de nouvelles normes pour combler cette grave lacune.
Enfin, madame la présidente, nous avons d'autres recommandations qui portent sur le cas de certains réfugiés et l'importance pour le Canada d'accueillir davantage de réfugiés colombiens au pays. Nous sommes heureux que l'on ait augmenté les limites pour l'année 2000, mais nous considérons que 450 dossiers, c'est toujours bien peu compte tenu de la gravité de la situation qui sévit en Colombie.
En terminant, j'aimerais souligner que nous sommes prêts à appuyer les recommandations et les préoccupations soulevées par le Tribunal de défense des droits de la personne en Colombie. Le CIEDHAL a participé à la mise sur pied du tribunal au pays et nous en appuyons volontiers les recommandations.
Je vous remercie.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci beaucoup.
Nous accueillons maintenant M. John Jones d'Amnistie Internationale.
M. John Jones (Coordonnateur régional (Colombie), Amnistie Internationale Canada): Je m'appelle John Conrad Jones. Je suis coordonnateur pour la Colombie de la section canadienne d'Amnistie Internationale (anglophone). J'ai préparé un mémoire qui résume les préoccupations d'Amnistie Internationale.
J'ai communiqué régulièrement avec le secrétariat international d'Amnistie Internationale au cours des deux semaines que j'ai mises à préparer mon mémoire et je peux donc dire que celui-ci résume en un sens la position d'Amnistie Internationale. Ce document a été distribué et il doit être traduit en français.
J'aimerais parler de certains des points en cause ici. Ce sont là quelques-unes des préoccupations particulières d'Amnistie Internationale dans ce dossier. La plupart des assassinats de civils par des groupes de type escadron de la mort et des massacres collectifs ont été perpétrés par l'AUC, un groupe connu sous le nom de Autodefensas Unidas de Colombia. L'AUC réunit tous les groupes paramilitaires de Colombie, dont le chef visible est Carlos Castano. C'est là son nom. L'AUC et tous les autres groupes paramilitaires agissent avec une impunité presque totale et avec l'aide et la complicité de l'armée.
Les groupes de guérilla commettent aussi de nombreuses infractions aux lois humanitaires internationales, surtout des enlèvements contre rançon ainsi que des attaques contre des installations économiques, militaires ou policières, qui font parfois de nombreuses victimes parmi les civils. Amnistie Internationale condamne également ces actes.
Nous nous préoccupons tout particulièrement du fait que des défenseurs des droits de la personne ainsi que divers types d'intervenants sociaux font l'objet de persécutions. Les forces de sécurité et leurs alliés paramilitaires poursuivent leur campagne contre les défenseurs des droits de la personne. Au cours des deux dernières années, plus de 20 intervenants de premier plan en matière de droits de la personne ont été tués. On parle ici d'intervenants de premier plan, mais il y en a également plusieurs autres qui n'occupaient pas des postes importants. On rapporte que bon nombre d'autres défenseurs des droits de la personne, dirigeants communautaires ou syndicalistes importants, ont été assassinés ou forcés de se réfugier à l'extérieur du pays ou se cachent en Colombie en attendant qu'un pays étranger les accepte. Des organismes ont dû fermer leurs portes en raison de menaces, dont le Bureau national d'Amnistie Internationale de Colombie à Bogota.
• 1020
Carlos Castano, le chef de l'AUC, a dit des défenseurs des
droits de la personne et autres intervenants sociaux qu'ils étaient
des guérilleros en vêtements civils. Au mois d'août 1999, dans les
jours qui ont suivi le meurtre de Jaime Garzon, qui était un
important journaliste satirique colombien, une liste de noms de
personnes à assassiner, plus de 20 civils de différentes
professions associés au mouvement de paix, a circulé dans Bogota.
J'aimerais dire quelques mots à ce sujet. C'est un point très
important.
Le président Pastrana a mis sur pied une commission civile spéciale qui doit servir d'intermédiaire au cours des négociations entre le groupe de guérilla ELN et le gouvernement colombien. Jaime Garzon, qui occupait un poste important au niveau social, était parmi ceux qui avaient été choisis. On a d'abord cru que l'AUC et Carlos Castano étaient responsables de ce meurtre. Toutefois, on croit plutôt maintenant que ce meurtre est attribuable à une faction musclée de l'armée colombienne.
Il y a au sein de l'armée colombienne une faction musclée qui cherche à donner à la communauté internationale l'impression que la situation est totalement hors de contrôle entre les groupes de guérilla et les paramilitaires avec lesquels ils prétendent n'avoir aucun lien. Ils essaient donc de justifier ainsi les mesures extrêmes qu'ils comptent prendre sous peu ainsi que l'intensification de la force militaire, particulièrement en ce qui touche l'intervention étrangère. On parle même d'une force d'intervention conjointe réunissant les États-Unis et l'Amérique latine en Colombie, et des discussions à cet égard sont en cours à Washington.
À ce sujet, je dirais qu'ils ne cherchent pas uniquement à intimider les défenseurs des droits de la personne, mais également des membres du personnel du gouvernement colombien chargés de la protection des droits de la personne et des juges responsables de l'application de la loi. Trois principaux organismes gouvernementaux sont chargés de promouvoir les droits de la personne et d'enquêter sur les crimes politiques: la Fiscalia, la Procuraduria et l'Ombudsman public. Au mois de mai 1999, Carlos Castano a menacé publiquement le Dr Alfonso Gomez, chef de la Fiscalia, dont le ministère enquêtait sur les violations des droits de la personne par les groupes paramilitaires. Au mois de juillet, le chef de l'unité spéciale d'enquête de la Fiscalia a dû quitter le pays.
Une autre de nos préoccupations a trait à l'impunité. Comme on l'a déjà souligné, on constate une impunité presque totale en Colombie. Plusieurs mandats d'arrêts pèsent contre Carlos Castano. Il est bien connu du public et donne régulièrement des entrevues aux journaux et aux politiciens. Pourtant, il n'a jamais été arrêté. Cette situation perdure depuis des années. En janvier 1999, on comptait plus de 500 mandats d'arrêt lancés par la Division des droits de la personne de la Fiscalia contre des chefs et des membres des forces paramilitaires auxquels les forces de sécurité n'ont pas donné suite. En mai 1999, la Fiscalia a émis un mandat d'arrêt contre Camilio Morantes, chef paramilitaire responsable du massacre de Barrancabermeja. Cependant, les forces de sécurité ne l'ont pas arrêté, ni aucun des autres paramilitaires associés au crime.
Récemment, j'ai reçu d'Amnistie un courrier électronique m'informant qu'une mission d'Amnistie Internationale qui se trouve actuellement en Colombie rapporte que l'on a vu des membres des forces paramilitaires et des membres de l'armée jouer au football ensemble dans une région de la Colombie.
Un des facteurs contribuant à cette impunité est le système des tribunaux militaires, dans lequel les militaires accusés de violations des droits de la personne sont jugés par des tribunaux militaires, qui prononcent presque toujours l'acquittement. Le concept des «actes de service» représente une source de confusion. Le code juridique colombien prévoit que le personnel militaire ne peut être poursuivi pour violation des droits de la personne, comme les enlèvements ou les homicides extrajudiciaires ou les massacres qui sont considérés comme des «actes de service».
• 1025
En 1997, le Tribunal constitutionnel a établi que les crimes
comme les génocides, les actes de torture et les disparitions
forcées ne seraient plus considérés comme des «actes de service» et
seraient désormais jugés par les tribunaux civils. Il s'agit là
d'un fait nouveau. Toutefois, l'exécution extrajudiciaire n'a pas
été écartée comme «acte de service» et le gouvernement colombien
doit encore adopter une loi codifiant les crimes de disparition
forcée et de génocide dans le code pénal. Il devient donc très
difficile de poursuivre les gens.
Amnistie Internationale craint par ailleurs que le gouvernement colombien ne continue de retarder l'adoption de mesures pour lutter contre la crise des droits de la personne tant qu'il n'aura pas complété le processus de paix. Amnistie Internationale est d'avis que la question des droits de la personne peut et doit être abordée de façon prioritaire, parallèlement au processus de paix et qu'il n'est pas nécessaire d'attendre l'établissement et la mise en «oeuvre d'un processus de paix durable avant d'entreprendre des mesures importantes en matière de droits de la personne.
Amnistie Internationale fait des recommandations précises qui s'adressent à toute la communauté internationale, y compris au Canada:
Aide militaire: Amnistie Internationale demande qu'on ne renouvelle pas l'aide militaire à l'armée colombienne tant qu'on ne disposera pas de preuves suffisantes que cette institution a pris toutes les mesures nécessaires pour exclure de ses rangs tous les officiers impliqués dans des violations des droits de la personne ou qui ont appuyé ou toléré les groupes paramilitaires.
Amnistie Internationale demande à tous les gouvernements de s'assurer que des moyens ont été mis en place pour garantir que l'aide militaire n'est pas utilisée par des unités ou des personnes impliquées dans des violations des droits de la personne. En ce qui concerne le Canada, Amnistie Internationale s'inquiète de la vente d'hélicoptères Bell à l'armée colombienne par une compagnie de Mirabel, car il s'agit d'appareils à double emploi, qui peuvent être facilement convertis en hélicoptères d'attaque et utilisés contre les populations civiles dans les régions visées par les conflits.
Un dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention, madame la présidente, c'est le fait qu'Amnistie Internationale a créé récemment une division spéciale au sein de son Secrétariat international, chargée d'analyser les dangers particuliers auxquels s'exposent les intervenants et les défenseurs des droits de la personne. Ce terme comprend également les militants et les chefs de syndicats ouvriers et d'autres groupes sociaux et communautaires.
Une grande partie du travail de cette division spéciale porte sur le conflit en Colombie. Un grand nombre de ces victimes ont besoin de toute urgence d'une protection permanente ou temporaire et d'être accueillis à l'extérieur de la Colombie. Amnistie Internationale exhorte les autres pays, y compris le Canada, à entreprendre des mesures ou à poursuivre leurs actions pour faciliter et accélérer le processus visant à accorder le refuge ou l'asile et éliminer les démarches bureaucratiques fastidieuses qui provoquent de longs délais et mettent la vie des gens en danger.
Enfin, Bill Fairbairn, du Comité inter-Églises des droits humains en Amérique latine, a parlé de la nécessité de prendre des mesures d'urgence. Récemment, il y a environ deux jours, un coopérant espagnol a été tué par un bataillon de la mort en Colombie. J'ai reçu une demande afin que des mesures d'urgence soient prises à ce sujet. Toutefois, je voudrais attirer l'attention des gens sur le nombre de mesures d'urgence—ce n'en sont là que quelques-unes—que l'on nous demande de prendre pour la Colombie ces derniers mois. Je reçois une demande tous les jours. J'en reçois deux, trois, quatre, cinq par semaine. Cela dépend, mais j'en reçois beaucoup.
Merci, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme, Joan Grant-Cummings.
Mme Joan Grant-Cummings (présidente, comité canadien d'action sur le statut de la femme): Merci. Nous sommes très heureux de témoigner et de voir que vous tenu la promesse que vous nous aviez faite de veiller à la tenue de ces audiences. Nous vous engageons vivement non seulement à écouter ce que nous avons à dire mais aussi à agir car cela fait des années que l'on entend parler de la Colombie. En tant qu'ONG, ce que nous disons, c'est qu'il est temps d'arrêter de parler et de commencer à agir.
J'ai eu le plaisir de faire partie du Toronto Tribunal on Human Rights in Colombia et j'approuve entièrement le rapport et les recommandations de mon collègue de l'autre côté.
Nous sommes ici aujourd'hui parce que le CCASF veut vous faire partager une partie de la vie de certaines personnes qui ont subi l'impact de cette violence. Quand nous parlons de la politique étrangère du Canada et du commerce international ainsi que des différents mécanismes concernant les droits de la personne, nous devons, je pense, être clairs sur ce qui arrive aux gens et aux collectivités.
• 1030
Bill a parlé des massacres qui ont été perpétrés. Ce dont vous
devez vous rendre compte, c'est que lorsqu'un massacre se produit,
cela a un impact sur tous les gens de la communauté, y compris les
personnes âgées, les jeunes et les enfants à naître. Il y a des
femmes dont le mari a été tué sous leurs yeux, alors qu'elles
avaient des enfants ou qu'elles étaient enceintes, par exemple au
cours du massacre qui a eu lieu à Barrancabermeja. Nous avons
rencontré les enfants qui sont nés après que leur père a été tué.
Nous avons parlé à des gens forcés de vivre dans la pauvreté, qui
ont été forcés de migrer et qui, jusqu'à ce jour, refusent de
parler d'eux-mêmes comme de personnes déplacées à l'intérieur du
pays ou victimes de cette violence, par peur de représailles.
Dans quatre collectivités différentes, des gens en Colombie m'ont fait l'honneur de m'inviter chez eux. J'ai parlé à plusieurs militants syndicalistes, féministes, activistes gais et lesbiennes, groupes de paysans et groupes d'étudiants et je pense que leur histoire est claire. Il ne s'agit pas d'une histoire. Il s'agit de l'expérience vécue par les gens et nous avons, en tant que Canadiens ordinaires et que députés, la responsabilité de ne pas nous faire ou rester les complices des violations des droits de la personne en Colombie. C'est le message que nous voulons adresser.
Je parlerai seulement d'une des collectivités avec lesquelles nous travaillons actuellement. C'est une collectivité d'environ 7 000 habitants, dont 95 p. 100 sont des Colombiens africains. Le taux de chômage dans cette collectivité est de 75 p. 100. Dans le reste du pays, il est peut-être de 50 p. 100—dans certaines régions—mais dans cette collectivité, il est de 75 p. 100.
Plus de 50 p. 100 de ces familles sont dirigées par des mères seules, précisément parce que le père ou bien a été tué ou bien a été forcé de partir pour aller chercher du travail ailleurs. Dans d'autres endroits, ils ont été forcés de quitter en raison de menaces de mort.
Dans ces collectivités, il y a beaucoup d'enfants et de jeunes qui devraient être à l'école, avoir à manger, avoir un abri, mais ce n'est pas le cas. Les gens vivent dans des maisons... Dans cette collectivité particulière, ce que les gens ont fait, c'est remblayer la côte pour construire des maisons de fortune. Ces constructions—faites de bois—durent un maximum de sept ans environ.
Cette collectivité se trouve dans une région de la Colombie pour laquelle le gouvernement fait de la publicité en disant qu'elle est la vague de l'avenir, mais en quelque sorte, la vague a laissé de côté la majorité des enfants et des femmes de cette collectivité—et en tous cas les paysans qui ont été déplacés, les Colombiens africains, et les Colombiens indigènes.
Toutefois, les collectivités ont décidé de réagir. Elles ont décidé de ne pas rester là sans réaction. Elles ont lutté pour se développer sans l'aide des pays qui profitent des terres qu'on leur a prises car beaucoup de gens de ces collectivités ont été déplacés des terres qu'ils occupaient et qui sont aujourd'hui exploitées par des sociétés minières canadiennes, européennes ou américaines. Ces gens ont été chassés de leurs terres par les forces paramilitaires dont on vous a parlé.
Inutile de s'interroger pour savoir s'il censé y avoir un lien entre les deux, les gens sont très clairs sur ce point. Depuis qu'on les a privés de leurs terres, celles-ci ont été envahies par les sociétés minières, les pipelines et les géants des télécommunications. Nous tirons certains avantages de tout cela dans le nord, au Canada, mais voici des gens qui vivent dans des collectivités privées de vivres, d'eau et d'électricité, à cause de ce qui leur est arrivé.
Quand vous parlez de politique étrangère au Canada... Les atrocités commises au Timor oriental ont finalement été révélées. Si nous ne faisons rien pour empêcher les violations des droits de l'homme en Colombie, si nous ne prêtons pas attention aux nombreux rapports sur les droits de la personne—dont Bill Fairbairn a parlé—nous nous faisons encore une fois les complices de ces atrocités. C'est encore une fois sanctionner le massacre d'individus, le sous-développement et le retour de collectivités au sous-développement.
Le Canada a essayé d'avoir recours à la diplomatie douce et à une stratégie commerciale agressive avec l'Indonésie pour obliger les Indonésiens à respecter les droits humains des habitants du Timor oriental. Nous savons que cela n'a rien donné et, à mon avis, c'est un exemple clair d'une politique inefficace. Nous avons un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce n'est pas pour rester là à ne rien faire, mais pour agir. Je vous implore de vous assurer, en tant que Canadiens, de faire quelque chose dans le cas de la Colombie.
• 1035
Récemment, nous avons appuyé la suspension des prêts à la
Colombie par le Fonds monétaire international et la Banque
mondiale. Le CCASF est l'une des organisations qui a dit à la
Banque mondiale et au FMI qu'ils ne pouvaient pas accorder de
fonds, qu'ils ne pouvaient pas accorder d'aide à la Colombie sans
examiner la situation des droits de la personne dans ce pays, car
ces deux questions sont directement liées. Nous ne pouvons pas
continuer à prétendre que les conditions dont sont assortis les
prêts consentis par le FMI et la Banque mondiale n'ont aucun impact
sur la vie des gens. Certaines personnes se sont trouvées
appauvries par suite des conditions rigoureuses dont sont assortis
ces prêts et qui ont entraîné des mises à pied. Deux mille enfants
n'ont pas accès à l'enseignement public et ne peuvent même pas se
permettre d'établir une école confessionnelle qui leur coûterait 50
cents américains par mois.
Nous ne pouvons manifestement pas dire que le ministre Martin, le ministre Axworthy ou le gouvernement n'ont aucun contrôle là-dessus. Si pour une fois, nous joignions l'acte à la parole en ce qui concerne les droits de la personne et que nous disions non, voilà plutôt ce que nous allons faire, je pense que des milliers de Colombiens ne seraient pas appauvris et ne vivraient pas à la rue aujourd'hui tout cela parce que les prêts consentis récemment par l'IMF et la Banque mondiale à la Colombie n'étaient pas assortis de conditions visant à promouvoir la paix, la justice, le respect des droits de la personne, la lutte contre la pauvreté ou la réforme sociale. Les prêts n'étaient assortis d'aucune condition dans ce sens.
Je pense que c'est là que nous devons faire preuve de prudence. Nous appuyons l'aide à des pays comme la Colombie alors que nous savons clairement que ces pays sont coupables de violations des droits de la personne que ce soit par l'État ou autre. Nous ne devons pas nous faire les complices de ces violations des droits de la personne en prétendant que cet argent ne va pas faire cela, parce que c'est cela qu'il fait. Cet argent aide les banques à se développer au détriment des collectivités.
Nous demandons au Canada de ne pas faire de la Colombie un autre Timor oriental. En fait, aujourd'hui la situation est pire en Colombie qu'au Timor oriental, étant donné le nombre de gens déplacés à l'intérieur du pays.
Le fait est que nous poussons en faveur du commerce. Quand nous visitons le site de notre ambassade sur Internet, c'est en faveur du commerce que nous poussons. Nous ne poussons pas en faveur du respect des droits de la personne, et cela doit changer.
Ce qui m'a choqué lors de la rencontre que j'ai eue avec les responsables de l'ambassade pour leur parler de l'aide que nous accordons aux ONG en Colombie et des activités que nous avons sur le terrain là-bas—parce que c'est sur ce pays que nous voulons nous concentrer en ce moment—c'est que l'ACDI ait réduit ses subventions à la Colombie, sous prétexte que les ONG canadiennes ne veulent pas avoir d'activités dans ce pays. Si je fais le tour de cette table, je vois beaucoup d'ONG qui seraient prêtes à travailler en Colombie mais qui n'ont pas les fonds nécessaires. C'est à cause du gouvernement qui fait obstruction et de l'ACDI qui prétend que les ONG ne veulent pas travailler en Colombie ou avec les ONG colombiennes.
Nous recommandons que l'ACDI double au moins ses subventions au cours du prochain exercice et s'emploie avec nous avec nous à faciliter le développement des collectivités avec lesquelles nous sommes nombreux à travailler en Colombie, parce que les ONG au Canada ne se feront pas les complices des violations des droits de l'homme. Nous n'allons pas traiter de ces questions par omission. Nous avons fait un pacte de paix en Colombie et nous espérons que notre gouvernement fera sa part en veillant à la protection et à la promotion des droits de la personne en Colombie.
Nous soulignerons tous ces éléments dans le mémoire écrit que nous allons préparer à votre intention de façon à ce que vous compreniez bien notre argument. Nous sommes impatients de voir les efforts qui seront faits en faveur de la Colombie.
Merci.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci beaucoup. Nous entendrons le témoignage de L'ACDI la semaine prochaine et nous lui poserons la question à ce sujet.
Du Congrès du travail du Canada, Hassan Yussuff.
M. Hassan Yussuff (Vice-président exécutif, Congrès du travail du Canada): Merci, madame la présidente.
Avant de commencer, je voudrais présenter deux de mes collègues qui sont avec moi ici ce matin: Dick Martin, président de l'Organisation régionale interaméricaine des travailleurs, et Anna Nitoslawska, de la division internationale du CTC pour la Colombie et les Amériques.
Nous avons aussi l'honneur et le plaisir d'avoir parmi nous aujourd'hui notre ami et collègue, Luis Eduardo Garzon, de la Central Unitaria de Trabajadores (CUT), qui fera un témoignage additionnel au sujet du mémoire du CTC.
La Colombie est pour nous une priorité sur le plan régional. Comme vous le savez, le Congrès du travail du Canada s'emploie à promouvoir certaines réformes dans différents pays. L'Afrique du Sud en est un exemple. Nous avons travaillé au Salvador, plus récemment au Timor oriental pour faire ressortir la nécessité de reconnaître la souveraineté de ce pays, enfin au Nigeria qui est maintenant sous contrôle démocratique.
• 1040
Il est aussi important de faire remarquer qu'une grande partie
du travail que nous accomplissons dans la région consiste à essayer
de bâtir une société civile et à veiller à ce que le mouvement
ouvrier tienne une place essentielle dans la construction de la
société civile. Comme le souligne notre mémoire, la Colombie
servira d'exemple pour illustrer certains points que nous aimerions
soulever.
Étant donné les délais qui nous sont impartis, je ne vais pas vous lire intégralement le mémoire que vous avez en votre possession. Je me contenterais de résumer certains points importants.
Le Congrès du travail du Canada est heureux d'avoir l'occasion de participer à une table ronde avec les membres du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. Vu la dimension et la complexité de la crise en Colombie, nous espérons qu'il s'agit de la première d'une série de discussions suivies et régulières avec le Comité et ses membres.
Le CTC se réjouit par ailleurs du fait que Luis Eduardo Garzon, président de la Central Unitaria de Trabajadores (CUT), la plus grande fédération nationale du travail de la Colombie, ait été invité à témoigner directement de la situation des travailleurs et travailleuse en Colombie en matière de droits de la personne. Le CTC est d'avis que les observations de M. Garzon aideront le Comité à concevoir le contexte social, politique et économique et à souligner des dispositions à prévoir dans la politique canadienne à l'égard de la Colombie qui répondront aux aspirations de la vaste majorité du peuple colombien. Nous avons en effet le plaisir et l'honneur d'accueillir M. Garzon parmi nous aujourd'hui.
Un important rapport publié récemment décrit le travail syndical comme une activité à risque élevé. Le rapport, publié au début du mois par la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), qualifie la situation de désastreuse.
Dans notre mémoire, nous avons dit que plus de 2 500 militants, militantes et leaders syndicaux avaient été assassinés dans ce pays. Bien d'autres ont été kidnappés, torturés, menacés de mort et persécutés de maintes façons, et des milliers ont été forcés de s'enfuir de leur village, de leur région et même de leur pays. La Colombie est le pays le plus dangereux au monde pour l'exercice des droits syndicaux fondamentaux tels que la liberté d'association et la négociation collective. Bien qu'un régime démocratique soit officiellement en vigueur, l'activité syndicale, la dissidence et la protestation peuvent coûter—et coûtent souvent—la vie. Il est aussi important de faire remarquer que, dans son rapport, la CISL précise que la Colombie compte à elle seule pour 50 p. 100 des syndicalistes qui ont été tués dans le monde.
La situation ne s'améliore pas. De janvier à juillet de cette année, au moins 37 syndicalistes ont été assassinés, deux ont été kidnappés et ont disparu, huit ont été victimes d'attentat à la vie ou d'enlèvement, 30 ont reçu des menaces de mort et 20 ont été arrêtés injustement par l'État. On sait également que des syndicalistes ont été torturés et que les bureaux de syndicats ont fait l'objet de raids et d'attentats à la bombe. En Colombie, les dirigeantes et dirigeants syndicaux vivent entourés de gardes du corps et se déplacent en voitures blindées, car leur vie est constamment en danger.
En octobre 1998, une importante grève du secteur public a duré 21 jours. Au cours de cette période, neuf dirigeants syndicaux ont été assassinés, y compris le vice-président de la CUT, Jorge Ortega Garcia, abattu par des assaillants non identifiés devant son domicile le soir du 20 octobre. Jorge était un des membres fondateurs de la CUT, membre de l'Assemblée permanente de la société civile pour la paix et militant des droits de la personne. Il avait reçu des menaces de mort à de nombreuses occasions.
Le gouvernement n'a pris aucune mesure pour assurer la protection du droit à la vie des syndicalistes. Le conflit armé qui perdure en Colombie a donné lieu à un climat d'intolérance parmi les principaux acteurs de la guerre. Les travailleurs et les travailleuses se trouvent souvent coincés lorsqu'ils exercent leur droit de former un syndicat en milieu de travail ou de mener des activités syndicales comportant des responsabilités locales, régionales ou nationales.
Il n'est pas rare que des instances gouvernementales soutiennent que les syndicats exercent des activités subversives. Les paramilitaires, pour leur part, considèrent le mouvement syndical comme l'allié des insurgés armés alors que certains groupes insurgés considèrent comme des traîtres ceux qui choisissent une idéologie politique plutôt que la lutte armée, ou ceux qui ne partagent pas leurs propositions politiques ou leurs méthodes de lutte.
Les auteurs de la violence et des crimes commis contre les syndicalistes agissent en toute impunité, ce qui a contribué à la montée de la violence. Le gouvernement lui-même avoue qu'il est très rare que les enquêtes judiciaires mènent à l'identification et à la poursuite des responsables. Il est clair que les droits syndicaux peuvent être exercés seulement dans un climat exempt de toute forme de violence et de menaces, ce qui est loi d'être le cas en Colombie. Le gouvernement a cherché maintes fois à se justifier, citant d'une part la situation du conflit armé dans le pays et d'autre part les mesures prises pour constituer des instances spécialisées pour venir à bout de la violence.
• 1045
La dernière mesure a été prise au début du mois. Le
gouvernement de la Colombie a alors lancé une vigoureuse campagne
visant à empêcher le Conseil d'administration de l'Organisation
internationale du travail de créer une commission d'enquête sur les
violations de la liberté d'association de la part du gouvernement
de la Colombie. Une entente entre le gouvernement et les
représentants syndicaux a finalement été conclue, prévoyant la
remise de la décision de créer une commission d'enquête jusqu'à ce
qu'il y ait une mission de contacts directs au cours du nouvel an.
Au cours des dix dernières années, trois missions de contacts directs sur la liberté d'association se sont rendues en Colombie, en septembre 1988, en septembre 1991 et en octobre 1996. Bien que l'OIT ait alors fourni une aide technique sans précédent au gouvernement de la Colombie, à comparer aux autres pays de l'Amérique latine, les résultats ont été médiocres et loin d'être satisfaisants. À titre de membre du Conseil d'administration de l'OIT, le CTC surveillera de près l'évolution de la situation afin d'appuyer la prise de mesures énergiques de la part de l'OIT.
Le 15 novembre, le CTC a écrit au ministre Lloyd Axworthy pour presser le gouvernement du Canada d'appuyer entièrement la création d'une commission d'enquête de l'OIT et de ne pas se laisser tromper par les campagnes de propagande des autorités colombiennes. Nous encourageons vivement le Comité des affaires étrangères à veiller à ce que le Canada adopte une position ferme sur cette question.
Des syndicalistes sont persécutés en Colombie parce qu'ils exercent des activités syndicales légitimes et paisibles, mais perçues comme une menace pour et par les intérêts politiques et économiques de toutes allégeances. Par ailleurs, l'État n'a pas encore garanti la protection de la sécurité physique des leaders syndicaux.
Le CTC craint, par ailleurs, que dans le contexte de l'intensification de la guerre en Colombie, il y ait une plus grande intolérance à l'égard de la dissidence sociale et des protestations légitimes. En août dernier, une grève nationale a eu lieu pour protester contre les politiques économiques du gouvernement Pastrana. Dans plusieurs endroits du pays, les forces de sécurité ont eu recours à la violence et à une force excessive pour disperser des manifestations paisibles. La veille de la manifestation, des leaders syndicaux ont été menacés de mort et des bureaux de syndicats ont reçu des menaces d'attentat à la bombe. Le jour même, 500 personnes ont été détenues et, dans certaines villes, la police a utilisé du gaz lacrymogène, des canons à eau et même des coups de feu pour disperser la foule.
Le mouvement syndical de la Colombie est fondamentalement engagé à parvenir à une solution politique et négociée au conflit armé de longue date dans ce pays. Ces dernières années, les dirigeantes et dirigeants syndicaux et l'ensemble du mouvement syndical participent activement, de concert avec d'autres secteurs de la société civile, à diverses initiatives et activités pour exiger que l'on mette un terme à la guerre. Le mouvement syndical a mobilisé ses membres pour appuyer le référendum pour la paix en octobre 1997 et l'assemblée pour la paix en 1998. Il a également coopéré avec le conseil national pour la paix, organisme public créé en vertu de la loi pour appuyer les négociations du gouvernement pour la paix.
Le mouvement syndical est néanmoins très clair sur le fait que la paix véritable est bien plus que l'absence de guerre. Pour établir la paix dans un pays déchiré par la guerre, les questions relatives à la justice sociale doivent faire partie des négociations. Il est inacceptable que le gouvernement s'assoie à la table avec les insurgés armés alors qu'il livre une guerre économique et sociale aux travailleurs et travailleuses et au grand public au moyen de politiques qui portent une grave atteinte aux droits sociaux et économiques. La paix sans la justice sociale, sans la participation du mouvement syndical et d'autres secteurs de la société, ne pourra constituer une solution aux causes fondamentales du conflit en Colombie.
En dernier lieu, le CTC tient à mentionner une autre mesure du gouvernement Pastrana, qui remet davantage en question l'engagement du gouvernement envers le progrès social, en particulier l'égalité des femmes. Il s'agit d'un décret de juin 1999 qui démantèle effectivement la Direction nationale de l'équité des femmes—organisme autonome subventionné doté de son propre personnel et d'un budget—en le réduisant à un simple organisme consultatif du bureau présidentiel. Cette décision, à laquelle s'est catégoriquement opposé le mouvement des femmes de la Colombie, y compris les femmes du mouvement syndical, va à l'encontre des engagements nationaux et internationaux pris par la Colombie, notamment à la Cinquième Conférence des Nations Unies sur les femmes tenue à Beijing. Dans une société traditionnellement dominée par les hommes telle que la société colombienne, cette décision menace sérieusement le progrès de toute question liée à l'égalité des femmes.
• 1050
En conclusion, la violence politique en Colombie a ses racines
dans l'injustice sociale généralisée, la concentration de la
richesse et des terres entre les mains d'une petite élite, et la
nature fermée et non démocratique de la politique colombienne
traditionnelle.
La violence est endémique depuis de nombreuses décennies. Au cours de la période de 1948 à 1960, dite La Violencia, 300 000 personnes ont été tuées, soit environ 2 p. 100 de la population totale du pays. S'en est suivi un pacte entre l'élite politique qui a éliminé la véritable participation populaire, favorisé la polarisation sociale et intensifié la violence des groupes armés, y compris les guérillas, les paramilitaires, les criminels et les assassins privés au service du commerce et de la drogue.
À mesure que le Canada accroît ses relations avec l'Amérique latine en général, et avec la Colombie en particulier, il est essentiel que ces relations servent à promouvoir les valeurs démocratiques universelles et des stratégies de développement durable. À cette fin, et en tenant compte des questions soulevées dans ce mémoire, le CTC désire faire les recommandations suivantes au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international et au gouvernement du Canada:
Le gouvernement du Canada doit continuer de dénoncer catégoriquement les violations des droits de la personne et des droits syndicaux en Colombie chaque fois qu'elles se produisent. Il doit déclarer clairement et de façon non équivoque qu'il sera à l'affût de preuves concrètes de progrès dans les questions relatives aux droits de la personne, y compris l'application des recommandations de la Commission sur les droits de la personne des Nations Unies et d'autres organismes multinationaux tels que l'Organisation des États américains, en particulier sur les questions de l'impunité et des déplacements.
Le CTC presse le gouvernement du Canada de suivre de près l'évolution des travaux de l'OIT au cours des prochains mois et de donner son aval à la création d'une mission d'enquête si des progrès importants ne sont pas réalisés à la suite de la plainte sur la violation de la liberté d'association déposée contre le gouvernement de la Colombie. En plus, le Canada devrait activement encourager la Colombie à collaborer entièrement avec la mission de contacts lorsqu'elle se rendra en Colombie.
Le CTC se réjouit du rôle de plus en plus proactif qu'assume l'ambassade du Canada en Colombie dans la surveillance de la situation des droits de la personne. Cependant, nous encourageons vivement le Comité et le gouvernement du Canada à intégrer dans sa démarche un ensemble de normes fondamentales du travail, comme le prévoit la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail de l'OIT, adoptée et par le Canada et par la Colombie lors de la conférence annuelle de l'OIT l'an dernier.
En plus, le CTC profite de cette occasion pour demander au gouvernement du Canada de ratifier sans délai la nouvelle Déclaration de principe de l'OIT et pour presser le gouvernement de la Colombie et d'autres pays de l'hémisphère de faire de même.
Nous voudrions encourager le Comité à chercher des moyens originaux et novateurs que pourrait utiliser le Canada pour appuyer le processus de paix. L'appui apporté par le Canada aux travaux du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme constitue un pas important dans la bonne direction, mais cela ne suffit pas.
Les groupes de la société civile, y compris le mouvement syndical, devraient avoir plus facilement accès au programme canadien de Fonds de consolidation de la paix afin d'appuyer les efforts pour le renforcement de la société civile, la sensibilisation et l'éducation pour la paix, et la saine gestion publique. À cette fin, une attention et un appui particuliers devraient être accordés au nouveau Front social dirigé par le mouvement syndical en Colombie.
Nous encourageons aussi vivement l'ACDI à élaborer un processus de présélection axé sur les droits de la personne en vue d'examiner les programmes bilatéraux et les projets d'aide au développement en Colombie. Un tel processus devrait être élaboré en consultation et collaboration étroites avec le mouvement syndical du Canada et de la Colombie pour que l'aide au développement ne porte pas davantage atteinte aux droits fondamentaux des travailleurs et travailleuses.
Vu la violence politique généralisée qui persiste, le Canada doit continuer d'accueillir des syndicalistes, des défenseurs des droits de la personne et tous les demandeurs légitimes du statut de réfugié. Nous nous réjouissons du fait que la Colombie ait été désignée pays source de réfugiés en 1988, mais nous estimons que des mécanismes additionnels d'appui et de facilitation s'imposent à l'égard des réfugiés à court et à long termes et à leurs familles, de sorte que leurs nombres reflètent la situation dramatique des droits de la personne en Colombie.
Il y a lieu d'encourager le gouvernement du Canada à examiner le rôle d'organismes multilatéraux tels que les Nations Unies afin de faire contrepoids à l'influence dominante du gouvernement des États-Unis dans les affaires de la Colombie. De même, il faudrait promouvoir et appuyer le Plan d'action du Sommet de Santiago.
Le Canada devrait être prêt à travailler de concert avec des gouvernements qui souscrivent aux mêmes principes au niveau international et en consultation avec les autorités colombiennes afin de militer pour la paix en Colombie. Le Canada est particulièrement bien placé à l'heure actuelle pour jouer un rôle plus actif dans les affaires de l'hémisphère et pour promouvoir les valeurs canadiennes traditionnelles de la tolérance, du dialogue et du compromis.
Il y a quelques semaine seulement, la cinquième rencontre des ministres de la Zone de libre-échange des Amériques a eu lieu à Toronto. Pour la première fois depuis le lancement de cette initiative à Miami en 1994, les ministres du Commerce des pays de l'hémisphère ont accepté de rencontrer la société civile et d'écouter ses préoccupations. Un petit pas dans la bonne direction... L'an prochain, le Canada accueillera l'assemblée générale de l'Organisation des États américains, l'année suivante le Sommet des chefs d'États de l'hémisphère.
• 1055
Le Canada doit donc saisir ces occasions pour promouvoir la
démocratie, le respect des droits de la personne ainsi que de la
justice sociale et l'égalité au sein de la région. Il doit se
garder de promouvoir et d'encourager exclusivement l'expansion et
la libéralisation des échanges commerciaux, comme il l'a fait
jusqu'ici.
Pour conclure, le CTC, ses syndicats affiliés et les travailleuses et travailleurs du Canada continueront d'appuyer les confrères et consoeurs de la Colombie dans leurs revendications pour la justice sociale et économique et pour la paix. Notre lutte pour les droits des travailleurs et travailleuses, des emplois satisfaisants et de bons services publics, y compris l'éducation, les soins de santé, les services de garde d'enfants, les pensions et la sécurité sociale au Canada porte sensiblement sur les mêmes questions pour lesquelles le mouvement syndical lutte en Colombie.
Cette question était claire dans l'esprit des délégués et déléguées de notre Assemblée statutaire en mai dernier lorsqu'ils ont unanimement adopté une résolution engageant le CTC à resserrer ses liens de solidarité avec les travailleurs et travailleuses de la Colombie, à exiger le respect des droits fondamentaux de la personne des travailleurs et des travailleuses, et à appuyer les travailleurs et les travailleuses dans leur quête de paix et de justice sociale.
J'aimerais demander à Luis Garzon d'ajouter quelques remarques au témoignage du CTC.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): On va essayer. Je ne connais pas l'espagnol, mais ça sonne très bien—la Central Unitaria de Trabajadores.
Des voix: Oh, Oh!
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Non?
Luis Garzon, j'aimerais que vous nous présentiez votre organisation, s'il vous plaît.
M. Luis Eduardo Garzon (Président, Central Unitaria de Trabajadores (CUT): [Le témoin parle en espagnol].
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Pourriez-vous traduire un peu, si cela ne vous fait rien?
M. Luis Eduardo Garzon (interprétation): Je me réjouis de cette invitation à témoigner devant ce comité parlementaire et remercie le CTC de m'avoir donné la possibilité de disposer de 10 minutes à cette fin. J'ai pu suivre ce qu'ont dit les autres personnes invitées à cette table et cela m'a donné l'idée de vous parler d'une chose différente dont il n'a pas été question ici.
Ma préoccupation première, c'est le peuple colombien. Nous traversons actuellement une importante période de notre histoire en ce sens que nous avons deux options: ou bien trouver une solution politique au conflit ou bien courir le risque d'une intervention militaire qui aurait pour effet d'étendre le conflit à l'ensemble de la région. C'est donc un tournant essentiel de notre histoire.
Le mouvement syndical, en particulier l'organisation que je représente, la CUT, est consciente des problèmes et s'emploie, avec les ONG, à promouvoir une prise de conscience au niveau national.
• 1100
Depuis octobre 1997, nous travaillons à la recherche d'une
solution au conflit en Colombie. Nous avons agi sur plusieurs
fronts. Nous avons organisé un vote pour la paix où 12 millions de
Colombiens se sont prononcés en faveur du Mandat pour la paix et
pour mettre un terme au conflit en Colombie. Nous avons travaillé
à l'installation d'une assemblée nationale de la société civile où
tous les groupes oeuvrent en faveur de la paix. Nous avons aussi
participé à la communauté de paix avec le Comité inter-Églises et
à la rencontre qui a eu lieu en Allemagne. Après l'assassinat
d'Eduardo Umana Mendoza, nous avons aussi essayé de sensibiliser
l'ensemble de la population, travaillant avec les ONG à la
recherche d'une solution politique au conflit en Colombie.
La société civile en Colombie est en faveur d'une solution politique au conflit. Cependant, l'important pour nous, c'est la communauté internationale, ce que la communauté internationale peut faire à ce sujet. Le combat que nous menons est aussi une lutte contre l'indifférence de la communauté internationale.
C'est pourquoi, à mes yeux, ce comité est comme une oasis dans le désert. Il est rassurant de voir qu'il y a dans le monde des personnes qui sont au courant de la situation et qui veulent faire quelque chose pour y remédier. Le fait qu'un comité parlementaire canadien nous écoute est particulièrement important, car nous savons que vous ferez ensuite part de vos préoccupations à votre gouvernement.
Nous pensons que c'est la façon d'instruire les gens de ce qui se passe en Colombie, parce beaucoup de gens pense que nous sommes des sauvages, qu'une solution politique au conflit ne donnera rien et que tout est lié aux problèmes de la drogue. Dans ce sens, la mondialisation est croissante mais la solidarité diminue.
• 1105
Tout ce que le CTC vous a dit ce matin est vrai et cela
m'évite d'avoir à revenir sur les mêmes faits. Tous ces faits sont
exacts, et vous en avez un exemple ici. Je suis un exemple de ce
qui est dit dans le mémoire. Je vis entouré de sept gardes en
permanence. J'ai deux voitures blindées, je suis armé à la maison
et au bureau. Nous n'avons pas le choix. Ou bien nous quittons le
pays dans ces conditions ou bien nous acceptons les risques et
continuons à nous battre. C'est pourquoi la position internationale
est très importante. C'est pourquoi elle est essentielle.
Le gouvernement canadien, à notre avis, doit adopter une position très ferme et appuyer sans réserve les négociations en faveur du processus de paix qui débuteront en janvier. Au milieu de cette guerre, nous allons entamer des négociations avec plusieurs protagonistes—les Forces armées révolutionnaires colombiennes et d'autres groupes—les négociations se poursuivront en tous cas—à l'initiative de l'ELN, l'Armée de libération nationale. Nous voulons que le gouvernement canadien soit proactif et appuie plus fermement le processus de paix en Colombie.
Nous demandons aussi au Parlement canadien de faire pression sur le gouvernement américain qui voudrait voir le conflit s'étendre à la région et qui voudrait une intervention militaire. Ce que décide le gouvernement américain est donc très important pour la Colombie. Nous demandons au gouvernement canadien de faire pression sur lui.
• 1110
Certains ont dit que les violations des droits de la personne
en Colombie—que le problème avec les leaders syndicaux et la
violations des droits de la personne—justifiaient une intervention
militaire. Nous sommes persuadés qu'une intervention militaire ne
ferait qu'aggraver le problème, parce que les problèmes ne se
limiteraient plus alors à la Colombie mais s'étendraient au
Venezuela, au Pérou, au Brésil et à l'Équateur.
C'est pourquoi il est très important que vous compreniez que, aussi désespérés que nous sommes, nous ne voulons pas d'une intervention militaire qui aggrave le problème. Certaines initiatives, comme l'extradition, aggraveraient le problème.
Comprenez-moi bien: nous sommes contre le trafic de stupéfiants et tout ce qui est lié au commerce de la drogue, mais l'extradition aggraverait le problème parce que l'on dirait alors qu'il y a des terroristes dans le pays et que cela serait un prétexte à intervenir militairement. Nous ne voulons pas de cela.
Ce que nous demandons au gouvernement canadien, c'est, à mesure qu'il étend ses activités économiques et investit de l'argent en Colombie, de lutter aussi pour la défense des droits de la personne, surtout dans le secteur du commerce. Ce que nous voulons en Colombie, c'est que les institutions colombiennes travaillent à l'intérieur d'une société civile de sorte que les dirigeants syndicaux puissent faire leur travail et que la société puisse continuer à fonctionner normalement. C'est ce que nous voulons. Nous ne voulons pas être considérés comme une bande de sauvages—comme nous disons en Colombie—à cause de qui rien ne peut fonctionner parce que nous ne savons pas vivre en toute civilité, et servir de prétexte à une intervention militaire.
Je vous demande pardon de m'exprimer ainsi mais votre accueil a été tellement chaleureux, notamment la façon dont vous m'avez présenté au début de mon intervention, que ça a été pour moi une sorte de catharsis et que j'ai voulu me libérer en vous parlant de ce qui se passe en Colombie.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Nous devons être sortis d'ici à midi.
Je suis désolée que vous fassiez partie des derniers témoins. J'aurais probablement dû me montrer un peu plus stricte envers les premiers témoins, encore que leurs témoignages étaient très intéressants.
Les témoins suivants sont Eleanor Douglas et Emmanuel Rosenthal.
M. Emmanuel Rosenthal (Porte-parole, Pueblos Hermanos Lazos Visibles): Merci, madame la présidente. Je commencerai et Eleanor continuera.
Je fais partie de ces Colombiens qui ont dû partir. J'étais directeur du CISALVA, l'institut pour la prévention de la violence, près de la Universidad del Valle, à Cali. C'était là mon seul crime. J'étais l'un de ceux qui essayaient, avec tout un groupe d'autres gens dans le pays, de trouver une solution pacifique négociée au problème.
Comme Eduardo l'a dit avant moi, je suis fier de dire que la Colombie n'est pas un pays de seigneurs de la drogue, de sauvages, ou de gens ayant une tendance génétique à la guerre. La Colombie, malgré les injustices flagrantes et les abus causés à l'intérieur et à l'extérieur du pays par une minorité, est un pays composé de gens d'origine les plus diverses et des plus créateurs, qui ont le droit de vivre dans ce monde, comme l'a dit Garcia Marquez lorsqu'il a reçu le prix Nobel de la paix en 1982.
Je suis très heureux de la possibilité qui s'offre ici et j'espère que cela indique le début d'un important changement dans l'attitude canadienne à l'égard de la Colombie et de ses problèmes.
Aujourd'hui, je représente ici le Canada et la Colombie—pas tout le Canada, bien sûr, et encore moins toute la Colombie, avec entre autres sa diversité—dans une initiative qui a vu le jour en Colombie grâce à une coalition de 25 des nombreuses organisations aux points de vue très divers qui travaillent dans le pays à des projets créatifs en faveur de la paix, des droits de la personne, du développement social. Ces organisations ne reflètent pas l'ensemble des points de vue et des positions, mais forment une coalition qui a vu le jour à Medellin, qui compte des groupes de Bogota et qui travaille à la recherche d'une solution pacifique et négociée.
Je représente aussi la coalition Pueblos Hermanos Lazos Visibles du Canada, un lien visible avec un pays frère, qui travaille avec ces organisations à titre individuel mais aussi à titre collectif à la recherche d'une solution négociée au conflit en Colombie. Au Canada et en Colombie, la société civile cherche des moyens de mettre fin au conflit, et c'est au nom de cette société civile que je m'adresse à vous. Autrement dit, c'est en tant que représentant de la société civile que je m'adresse à vous.
Cette coalition a vu le jour cette année, mais il y a en Espagne, en France et aux Pays-Bas des coalitions qui s'occupent notamment de coordonner les activités.
Nous souscrivons aux témoignages que nous avons entendus jusqu'ici et les approuvons sans réserve. De nombreux points ont déjà été soulevés à propos du conflit en Colombie, et je me contenterais donc de résumer—il y a trois scénarios.
Le premier scénario est celui de l'exclusion et de la guerre permanente. J'insiste bien sur l'ordre chronologique. L'exclusion structurelle de la plupart des Colombiens qui sont privés de leur droit de vivre dans la dignité a mené à une guerre, une guerre qui entraîne à davantage d'exclusion qui mène à une intensification de la guerre. C'est inacceptable. C'est impossible. Mais la guerre va s'étendre et est déjà en train de s'étendre à la région.
C'est le premier scénario. Cette situation ne peut pas durer, il faut que les choses changent. L'origine du problème est structurelle et est fondée sur l'iniquité et l'injustice sociale dans l'intérêt d'élites locales et étrangères.
Le deuxième scénario est celui d'une intervention militaire et de la pacification du pays fondée sur le postulat raciste et tendancieux que la Colombie est un pays de seigneurs de la drogue et de sauvages qui doit être pacifié par la force. C'est absolument inacceptable. Cela mènera à un génocide perpétré sous l'«il indifférent de tous les peuples de ce continent. À notre avis, le seul pays du continent qui puisse contraindre les États-Unis à ne pas créer cette fausse image de notre pays, c'est le Canada. Le Canada devrait empêcher les États-Unis de mentir au sujet de notre pays pour justifier son intervention.
Nous ne sommes pas un pays de sauvages. Nous avons le droit de changer les choses. Le problème est qu'on ne nous a pas permis de le faire.
Le troisième scénario est précisément ce que certains témoins avant moi ont laissé entendre: une solution politique négociée au conflit. Des négociations ont déjà lieu. Elles sont faibles et sont menacées par les forces qui sont contre la paix—parce qu'elles défendent des intérêts économiques mondiaux.
C'est ce troisième scénario qu'il faut appuyer. Et c'est le rôle du gouvernement canadien, appuyé par des organisations de la société civile comme celles qui sont présentes ici, d'élaborer ces solutions négociées.
• 1120
Eleanor vous parlera de nos recommandations. Nous vous avons
fait tenir un mémoire, la charte régissant la coalition et la
Déclaration de Medellin de la coalition colombienne.
Mme Eleanor Douglas (Porte-parole, Pueblos Hermanos Lazos Visibles): Nous avons six recommandations, dont trois se rapportant au rôle potentiel du Canada dans le scénario régional et international, et trois se rapportant aux relations bilatérales du Canada avec la Colombie.
À notre avis, il y a en place plusieurs instruments élaborés par ce gouvernement, par le Comité permanent des affaires étrangères, dont le Canada doit se servir.
Premièrement, l'un de ces outils correspond aux relations très intenses qu'entretient le Canada avec l'hémisphère ainsi qu'au rôle de leader que le Canada joue en cette période très particulière que connaît l'hémisphère. Nous aimerions que le Canada profite des retombées du sommet de Santiago et d'un certain nombre d'obligations qui ont été prises pour assumer le rôle qu'il peut jouer et influer sur la situation actuelle en Colombie.
Comme d'autres l'ont mentionné, étant donné le siège que le Canada occupe au Conseil de sécurité et les déclarations faites par le gouvernement canadien, selon lesquelles le Conseil de sécurité devrait se préoccuper des victimes civiles en situations de guerre, nous croyons également qu'il est possible pour le Canada de profiter de la situation pour exercer son influence en Colombie.
Troisièmement, votre propre politique qui consiste à analyser les questions de sécurité du point de vue des particuliers nous paraît un autre instrument que le Canada peut utiliser en Colombie.
Donc, nos recommandations viseraient à insister pour que le Canada consacre tous les efforts possibles et prenne tous les moyens possibles pour promouvoir un règlement politique négocié dans le but de corriger la situation en Colombie. La violence s'intensifie et la situation ne s'améliore guère. Il serait possible d'intensifier les initiatives que le gouvernement a prises avec la Norvège, comme certains l'ont proposé, pour amener d'autres pays à appliquer des mesures temporaires dans le but d'atténuer le problème et de contrer le renforcement des forces militaires américaines.
Nous insistons pour que le gouvernement canadien fasse preuve de leadership au niveau de l'hémisphère en examinant attentivement les mesures prises par les États-Unis. Nous avons appris hier soir qu'il y avait 5 000 agents de la Drug Enforcement Agency. Il y a, de nos jours, autant de conseillers militaires en Colombie qu'il y en avait au Salvador au coeur de la guerre.
Certaines personnes en Colombie soutiennent qu'il existe des plans d'intervention qui pourraient être mis en application. À savoir s'ils le seront, c'est une autre question. D'autres font remarquer que le conflit devient régional ou est qualifié de la sorte. La Colombie est donc décrite par certains secteurs de l'administration américaine comme une grave menace à la sécurité régionale.
Par conséquent, nous exhortons le Canada à faire preuve de leadership pour promouvoir une intervention humanitaire civile qui serait menée de manière raisonnable dans le but d'atténuer l'intensité du conflit et d'encourager tous les intervenants à poursuivre les pourparlers vers un règlement négocié.
En ce qui concerne les relations bilatérales que le Canada entretient avec la Colombie, nous vous exhortons certainement à veiller à adopter une stratégie globale cohérente afin que ce que vous faites de la main droite ne soit pas détruit par ce que vous faites de la main gauche. Cela signifie que vous devriez examiner des politiques d'intervention de concert avec le FMI et la Banque mondiale ainsi que des initiatives locales visant à appuyer des projets communautaires en Colombie. Il faudrait analyser tout ce que le Canada fait dans le cadre de cette crise sous plusieurs angles, notamment ceux de la consolidation de la paix, de la justice et de la défense des droits fondamentaux.
Notre deuxième recommandation est la suivante: le programme de l'ACDI pour la Colombie fait actuellement l'objet d'une révision et devrait entrer dans une nouvelle phase. Nous exhortons grandement le gouvernement canadien encore une fois à examiner le nouveau programme de l'ACDI pour la Colombie sous les angles susmentionnés. Nous reconnaissons que certains projets de l'ACDI ont contribué à protéger les droits fondamentaux. Nous croyons qu'une partie des ressources a souvent été consacrée à l'étude de la question de la privatisation, ce qui exacerbe le conflit et fait perdre des emplois, une situation à éviter pour l'instant en Colombie. Nous avons besoin d'un programme cohérent de l'ACDI en Colombie.
• 1125
Voici notre toute dernière recommandation: il y a de nombreux
intervenants civils au Canada et en Colombie en particulier qui se
penchent sur ces questions et nous devons collaborer avec eux. Nous
exhortons le gouvernement à toujours tenir compte de l'avis de ces
intervenants. Nous devons écouter ce qu'ont à dire ceux qui mènent
des recherches et qui tentent de trouver de nouvelles solutions au
problème.
L'un des exemples qui nous a été signalé tient de la guerre et de la paix. En Amérique centrale, des organisations du Canada, des organisations de l'Amérique centrale et le gouvernement du Canada ont tenu des discussions et amorcé un dialogue pendant un certain temps, sur une base régulière, dans le but de trouver de nouvelles solutions et de nouvelles façons de faire.
Nous exhortons donc le Canada à jouer un rôle dans ce domaine. Comme l'affirmait Emmanuel, pour des raisons géopolitiques, le Canada est probablement le seul pays qui peut adopter, en ce qui concerne l'Amérique centrale, une position différente de celle des États-Unis. C'est le message que nous voulions vous transmettre pour vous inciter à intervenir dans les événements tragiques qui se déroulent actuellement en Colombie.
Merci.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Je demanderais aux deux derniers groupes de résumer leur mémoire, car je crois que certains députés auraient des questions à leur poser. J'ai une liste ici. Je m'excuse du peu de temps dont nous disposons. Nous pouvons prolonger quelque peu la séance, mais je crois comprendre que la Chambre pourrait tenir un vote entre midi et 13 heures. Merci.
Nous entendrons maintenant des témoins des Peace Brigades International.
M. Luis van Isschot (coordonnateur régional, Peace Brigades International): Bonjour. Je vous remercie de nous donner l'occasion d'exprimer nos profondes préoccupations en ce qui concerne la violation des droits fondamentaux dont nous sommes témoins de nos jours en Colombie.
Je suis le coordonnateur nord-américain des Peace Brigades International et responsable du projet de la Colombie. J'ai passé toute la dernière année à Barrancabermeja, en Colombie.
J'étais sur place le jour du massacre, le 16 mai 1998. Par la suite, nous, les membres des Peace Brigades, avons accompagné les familles des victimes et les défenseurs des droits fondamentaux qui continuent de réclamer la tenue d'une enquête exhaustive et transparente.
Créées il y a cinq ans à la demande des défenseurs des droits fondamentaux de Bogota et de Barrancabermeja, les Peace Brigades accompagnent et protègent actuellement des membres de 12 organisations non gouvernementales de la Colombie ainsi que des membres des collectivités colombiennes déplacées.
Au cours des cinq dernières années, les Peace Brigades ont été témoins de certaines des pires violations des droits fondamentaux commises dans ce pays. Dans le cadre de nos travaux, nous avons recueilli les témoignages de citoyens, de membres de collectivités et d'organisations victimes de cette violence.
J'ai personnellement dû passer par un poste de contrôle paramilitaire situé à quelques minutes d'une base militaire régulière. J'ai également accompagné des défenseurs des droits fondamentaux au milieu de la nuit pour observer l'autopsie des cadavres criblés de balles d'étudiants tués pendant un raid de guérilla.
En 1997, notre simple présence a permis d'éviter une attaque paramilitaire contre un défenseur des droits fondamentaux dans la ville de Sabana de Torres, située près de Barrancabermeja. À l'heure où je vous parle, des membres des Peace Brigades reviennent d'une mission d'enquête menée conjointement par une ONG et le gouvernement colombien dans le but de vérifier les faits entourant la disparition du leader campesino, Edgar Quiroga, que vous a déjà décrite Bill Fairbairn du Comité inter-Églises.
Les Peace Brigades favorisent une stratégie impartiale et non interventionniste en vue de la défense des droits fondamentaux. Nous ne dénonçons pas les violations des droits fondamentaux, pas plus que nous exerçons des pressions pour que soient adoptées certaines politiques gouvernementales. Notre rôle consiste plutôt à aider à ménager une certaine marge de manoeuvre aux organisations colombiennes de défense des droits fondamentaux pour leur permettre de faire leur travail. Nous rencontrons régulièrement des agents gouvernementaux, des commandants militaires et des diplomates étrangers pour exprimer nos préoccupations. L'appui que nous obtenons de la communauté internationale nous permet de fournir une certaine protection aux défenseurs colombiens des droits fondamentaux.
Nous sommes ici aujourd'hui pour exprimer les profondes inquiétudes de nombreux citoyens canadiens, de ceux d'entre nous qui ont vécu et travaillé en Colombie, de nos familles et de bien d'autres.
À la fin de la présente séance, vous en saurez plus au sujet du massacre de Barrancabermeja. Le massacre du 16 mai n'est qu'un seul exemple tiré parmi des milliers d'autres et, comme d'autres témoins vous l'ont dit, des massacres sont commis presque chaque jour en Colombie.
• 1130
Je cède maintenant la parole à mon collègue Stephen Law, dont
le travail récent sur le terrain vous donnera une idée de la
dévastation et de l'espoir qui coexistent dans une autre région
durement touchée de la Colombie, Uraba.
M. Stephen Law (porte-parole, Peace Brigades International): Merci, Lucha.
Je m'appelle Stephen Law et je suis membre volontaire des Peace Brigades en Colombie, dans la région d'Uraba. On peut dire qu'Uraba est la région qui a été le plus durement touchée par la violence qui secoue la Colombie, enregistrant constamment le nombre le plus élevé d'assassinats au pays, ce qui a entraîné le déplacement massif des civils. En Uraba, les membres des Peace Brigades accompagnent les collectivités déplacées par la violence qui se déclarent des collectivités pacifiques et qui désirent demeurer neutres dans cette guerre civile.
Permettez-moi de vous lire une lette que j'ai écrite en avril pendant mon séjour en Colombie. J'espère que cela vous permettra de personnaliser les propos que vous entendez et de placer des noms sur les statistiques:
-
Chers amis et parents,
-
Il y a cinq jours, des escadrons paramilitaires de la mort ont
investi la localité pacifique de San José de Apartado et ont tué
trois personnes et en ont blessé trois autres.
-
Pendant les cinq derniers jours, j'ai accompagné la collectivité.
Je suis revenu de la morgue d'Apartada avec le corps de deux
citoyens de la localité de San José. Des fentes du cercueil de bois
s'écoulait du sang qui venait s'accumuler autour de mes pieds
pendant que nous franchissions un barrage érigé par les militaires
(après le fait) pour assurer la sécurité de la collectivité. Ce
barrage militaire, souvent en place les jours précédant la tuerie,
avait mystérieusement disparu le soir du massacre. À notre arrivée
à San José, se sont rassemblés à la place publique de nombreux
campesinos qui avaient été terrifiés la veille par l'incursion des
paramilitaires. En silence, ils ont débarqué les cercueils et les
ont transportés au centre de formation où le chef de la
collectivité avait été assassiné. Anibal Jimenez participait au
processus de la paix depuis les tous débuts et était l'un des plus
importants leaders de sa collectivité.
-
Le soir où les paramilitaires ont investi San José, Anibal
regardait la télé en compagnie de ses deux enfants âgés de 9 et de
11 ans. Avant d'être abattu, Anibal s'est rendu compte de ce qui
était sur le point de se produire et a remis le peu d'argent qu'il
avait à son fils aîné en lui murmurant ses adieux et en lui disant:
«Ils vont me tuer». Pendant qu'il s'avançait vers ses assassins en
leur tendant les bras, il a été atteint de cinq balles. Pendant
deux heures, ses enfants se sont accrochés à son corps tandis que
les habitants effrayés de cette localité se serraient les uns
contre les autres.
-
Gabriel, un jeune homme de 16 ans qui regardait la télé dans un
kiosque situé aux abords de la place publique a été interrogé et
abattu. On lui a aussi tranché la gorge. Daniel a été éventré au
moyen d'un couteau de pêche dentelé d'un pied de long. Pendant une
heure, il a tenté de contenir ce qui voulait lui sortir du ventre
à mesure qu'il faiblissait. D'autres ont eu plus de chance. Une
personne s'est jetée par terre et a fait semblant d'être morte. Une
autre a été atteinte par des éclats et trois autres sont
miraculeusement parvenues à éviter une pluie de balles et de
grenades dirigées vers elles.
-
Pendant près de deux heures, les habitants sont demeurés terrés
dans leur demeure, de crainte que les paramilitaires soient encore
sur place, prêts à les attaquer. Quand ils se sont enfin sentis
assez en sécurité, ils se sont rendus sur la place publique où ils
ont fait la macabre découverte des dernières victimes de leur
localité. Cinquante-deux habitants de la localité pacifique de San
José ont été tués depuis sa création le 27 mars 1997.
-
Cela fait maintenant cinq jours et cinq nuits que nous ne dormons
pas afin de veiller à l'ordre public. Tour à tour, nous
patrouillons la ville, toujours sur le qui-vive, attendant une
nouvelle attaque des paras, d'autres assassinats... Je vis une
expérience tout à fait surréelle. Je suis tendu, effrayé et affligé
d'une profonde tristesse.
-
Nous avons appris que des assassinats ont été commis dans d'autres
localités pacifiques. Nous craignons maintenant que soient
attaquées les personnes déplacées qui vivent près de Turbo. Notre
équipe accompagne ces gens 24 heures sur 24. Nous dormons dans les
abris et les centres avec les personnes déplacées. Il est difficile
d'imaginer l'ampleur de la tragédie, les orphelins d'Anibal, la
peur des survivants, l'horreur que vivent ces collectivités.
-
Nous ne savons pas quand cessera la violence.
-
Steve.
En tout, 14 membres des collectivités pacifiques d'Uraba ont été assassinés la semaine du 7 avril 1999. Notre organisation continue d'accompagner ces collectivités pacifiques et leurs leaders.
M. Luis van Isschot: Notre organisation, Peace Brigades, voudrait attirer votre attention sur un très grave incident qui s'est produit il y a deux semaines dans la région d'Uraba. Le 18 novembre 1999, Inigo Igiluz Telleria, un Espagnol membre de l'ONG appelée Paz y Tercer Mundo, Jorge Luis Mazo Palacios, un prêtre colombien et quatre autres personnes revenaient d'une mission humanitaire le long du fleuve Atrato. Selon des témoins oculaires, le bateau dans lequel ces gens prenaient place, qui portait clairement le nom de l'organisation espagnole, a été embouti par une embarcation dans laquelle se trouvait des paramilitaires bien armés. Les quatre compagnons ont réussi à regagner la rive à la nage, mais Inigo Telleria et le père Palacios se sont noyés.
J'ai connu Inigo pendant les mois qu'il a passés à Barrancabermeja lorsqu'il travaillait avec les agriculteurs campesinos déplacés. Son décès est une tragédie pour sa famille, sa communauté et tous ceux auprès desquels il a oeuvré en Colombie.
Cette attaque menée contre des étrangers et des travailleurs d'organismes humanitaires internationaux inquiète au plus haut point notre organisation, Peace Brigades. Nous voudrions que votre comité envoie une lettre aux autorités colombiennes pour rappeler votre appui à toutes les organisations humanitaires internationales, y compris Peace Brigades International.
Vingt-cinq coopérants de 10 pays d'Europe et de l'Amérique du Nord travaillent actuellement aux quatre bureaux de Peace Brigades en Colombie. D'ailleurs, un jeune homme de Montréal s'envole demain, le 3 décembre, vers la Colombie pour se joindre à l'équipe de Peace Brigades. Le décès d'Inigo aura des répercussions sur le travail de tous les groupes de défense des droits fondamentaux en Colombie. Voilà pourquoi nous jugeons important que la communauté internationale exprime clairement son appui aux ONG de la Colombie et aux organisations internationales.
Au cours des festivités soulignant le cinquième anniversaire de Peace Brigades tenues à Bogota en octobre dernier, l'ambassadeur du Canada, Guillermo Rishchynski, a rappelé son intention de se rendre à Barrancabermeja et à Uruba. Des agents des ambassades du Canada, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Hollande, de la Suisse et de l'Autriche ont visité les régions ravagées par la guerre plus d'une douzaine de fois ces cinq dernières années. Dans la majorité des cas, l'itinéraire avait été tracé par Peace Brigades.
Dans le même ordre d'idée, nous lançons une invitation aux membres de votre comité et du gouvernement canadien. Nous serions ravis de vous aider à organiser une tournée exhaustive afin que vous puissiez constater par vous-mêmes l'urgence de la situation et les violations des droits fondamentaux commises en Colombie.
Merci beaucoup de votre attention.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Raby.
M. David L. Raby (président, Canadian Initiatives for Peace with Justice in Colombia): Je me fais le porte-parole de Canadian Initiatives for Peace with Justice in Colombia. Notre objectif fondamental consiste à contribuer à la recherche d'une solution au conflit armé en Colombie en diffusant au Canada des renseignements sur la situation en Colombie et, en particulier, en faisant connaître l'opinion des organisations populaires de la Colombie. Nous espérons également faciliter le dialogue entre ces organisations et leurs homologues canadiens et les relations avec les autorités canadiennes dans le but de promouvoir le rôle positif que le Canada peut jouer dans le règlement du conflit qui secoue la Colombie.
J'avais des observations à faire à propos des opérations paramilitaires, mais je peux les omettre, puisque la question a déjà été abordée.
Je voudrais parler brièvement du trafic de drogues dans ce pays, du processus de paix et des causes sociales des conflits armés.
Même si le trafic des narcotiques pose évidemment un problème énorme en Colombie, ce n'est pas la cause fondamentale du conflit, qui existait plus de 20 ans avant que le trafic de drogues s'intensifie dans les années 1970. Des incidents dramatiques et sporadiques, comme l'explosion récente de deux bombes dans la banlieue nord de Bogota, placées apparemment par les cartels de la drogue à la suite de l'extradition de certains de leurs membres, font la manchette parce qu'ils se produisent dans les secteurs de la classe moyenne supérieure de la capitale, mais ils sont peu importants par rapport au conflit armé qui perdure.
Ce qui est plus important, c'est que l'un des capos les plus notoires des temps modernes, Carlos Castago, le chef de ce qu'on appelle les forces unies d'autodéfense de la Colombie, demeure curieusement intouchable. Il y a quelques mois, lorsque Castago a été presque tué par les FARC au cours d'une attaque menée par des guérillas contre son bastion dans les montages Nudo de Paramillo, il semble que, parmi les effectifs qui défendaient son siège social, se trouvaient des membres réguliers de l'armée colombienne.
Cet incident ne fait que confirmer la complicité qui existe entre certains narcotrafiquants et d'importants secteurs de l'État colombien, tant militaires que civils. Cela ne devrait toutefois surprendre personne, puisque les cartels de la drogue ont acheté leur place au sein de l'oligarchie traditionnelle de la Colombie, formée des grands propriétaires fonciers, des ranchers, des spéculateurs immobiliers, ainsi de suite, lorsqu'ils n'en sont pas directement issus. L'élevage des bestiaux et certains types d'agriculture commerciale sont devenus d'importants instruments pour le blanchiment d'argent des narcotrafiquants. Cela incite davantage les forces paramilitaires à mener des offensives pour chasser les paysans de ces régions.
• 1140
C'est aussi pourquoi il n'y a pas de réelle possibilité
d'alliance entre les cartels de la drogue et les insurgés. La thèse
de la narcoguérilla est un mythe que propagent les Américains comme
excuse pour intervenir. Ni le FARC ni l'ELN ne sont impliqués
sérieusement dans le trafic de stupéfiants, un fait qui a été
reconnu publiquement ces derniers mois par le président Pastrana.
Ce qui ne veut évidemment pas dire que les guérilleros sont des
saints. Ils doivent aussi répondre des abus qu'ils ont commis. Mais
cela ne devrait pas nous faire oublier les grands problèmes qui
sont en jeu dans le conflit. Ces problèmes nous amènent aux racines
sociales du conflit armé.
Ce qu'aucun commentateur des médias ou presque n'a reconnu, c'est que l'origine du présent conflit armé en Colombie ne remonte pas à l'émergence des cartels de la drogue, il y a 20 ans, ni même à la fondation du FARC et de l'ELN, il y a 35 ans, mais à l'assassinat du grand leader populaire et populiste, Jorge Eliécer Gaitán, il y a plus de 50 ans.
Gaitán était un avocat qui s'était fait remarquer en défendant les paysans et les syndicalistes et qui était entré au Parlement en tant que libéral dans les années 30. Orateur accompli, il s'était fait de nombreux partisans parmi le peuple en appelant à une réforme agraire et du travail radicale et en dénonçant l'oligarchie des partis tant conservateur que libéral.
En 1947, Gaitán avait le contrôle du Parti libéral et on s'attendait en général à ce qu'il remportât les élections présidentielles trois ans plus tard. Son assassinat, le 9 avril 1948, provoqua d'énormes émeutes à Bogota et une insurrection spontanée dans d'autres parties du pays, et cet événement crucial est à l'origine de la guerre civile complexe connue sous le nom de La Violencia, la violence, qui a fait quelque 300 000 morts au cours des dix années qui ont suivi. On se demande évidemment aujourd'hui pourquoi cette période en particulier s'est appelée la violence, puisque la violence n'a évidemment pas cessé. En 1958, les deux principaux partis ont provisoirement mis fin à la lutte fratricide avec une formule de partage du pouvoir connue sous le nom de Front national, mais la violence n'a jamais vraiment cessé et les problèmes sous-jacents n'ont jamais été résolus. C'est la clé pour comprendre le conflit actuel en Colombie. Il est la conséquence d'une révolution populaire manquée.
Quand le président argentin, Juan Domingo Perón, a appris que Gaitán avait été assassiné, il a déclaré ceci: «Ce pays ne reviendra pas à la normale avant 50 ans», et il avait raison. La Colombie est le seul grand pays d'Amérique latine qui n'ait jamais vraiment connu de réforme sociale ni de changement politique.
La fille de Gaitán, Gloria, signale que, après la mort de celui-ci, nombre de ses partisans ont pris les armes contre la répression et sont devenus des guérilleros libéraux, et
-
Cela a donné naissance au mouvement de guérilla, qui se développe
encore aujourd'hui en poursuivant les mêmes buts politiques que Gaitán.
Autrement dit, le mouvement de guérilla colombien précède la révolution cubaine et a des racines profondes autant dans l'histoire du pays que dans l'état oligarchique qui se donne de faux airs de démocratie pour contrecarrer tout réel changement et qui recourt à une répression à la fois militaire et paramilitaire pour assurer le statu quo. Cela remonte aussi au temps de Gaitán.
Pour trouver une solution pacifique au problème colombien, il faut s'attaquer aux causes fondamentales du conflit, ce qui suppose l'adoption de mesures réelles et substantielles de justice sociale et économique. Tous nos informateurs et interlocuteurs colombiens, qu'il s'agisse de syndicalistes, de leaders des communautés autochtone et noire, d'éducateurs, de juristes, de défenseurs des droits de la personne aussi bien que de représentants des insurgés, insistent sur ce point. Les problèmes qu'ils soulèvent sont les mêmes que du temps de Gaitán, excepté qu'ils sont beaucoup plus aigus maintenant, après 50 autres années de répression et d'injustice; c'est ainsi qu'il faut rendre la terre aux paysans qui ont été déplacés par des propriétaires terriens cupides; garantir la terre, l'eau, l'autonomie culturelle et gouvernementale aux collectivités autochtone et noire; faire que la démocratie soit plus qu'un leurre en assurant la sécurité de l'opposition politique; et veiller à ce que les immenses richesses naturelles du pays soient exploitées de façon rationnelle et contrôlée, au profit de la majorité.
• 1145
Je vais terminer par nos recommandations.
La première est que le gouvernement canadien appuie le processus de paix qui est en cours en prenant contact avec les parties aux négociations et en créant des occasions politiques et diplomatiques de favoriser la résolution de leurs différends; que le Canada suive l'exemple d'autres pays comme l'Allemagne, la Suisse, la Norvège, l'Espagne, le Venezuela et le Mexique en offrant d'être l'hôte de rencontres et de présenter les propositions des parties au conflit.
La deuxième est que le gouvernement canadien use de son influence pour s'assurer que le processus de paix en Colombie ne soit pas fondé sur l'impunité pour les crimes contre l'humanité.
La troisième est que l'on exige que l'État colombien prenne les mesures qui s'imposent pour mettre fin aux opérations paramilitaires et pour poursuivre les responsables. Il faut aussi restructurer entièrement les forces armées et policières afin d'en retirer les éléments qui ont participé à des violations des droits de la personne et de démocratiser ces institutions.
La quatrième est que le gouvernement canadien use de son influence pour favoriser la participation d'organisations populaires colombiennes au processus de paix et à la reconstruction du pays.
À l'heure actuelle, dans les négociations qui se déroulent à Cuba entre le gouvernement colombien et l'ELN, une des propositions clés de cette organisation, que le gouvernement aurait déjà acceptée, est que l'on tienne le congrès national de la société colombienne auquel Luis Eduardo Garzon a déjà fait allusion. Il s'agirait de débattre de l'avenir du pays, étant donné que la résolution du conflit ne devrait pas être l'apanage exclusif du gouvernement et des insurgés, mais appeler la participation d'organisations représentant le peuple colombien.
Ce congrès national pourrait être ouvert aux immigrants colombiens et prévoir la tenue de réunions exploratoires dans d'autres pays. L'Allemagne, la Suisse et la Norvège ont apparemment déjà fait savoir qu'elles sont prêtes à être les hôtesses de telles réunions. Il serait à souhaiter que le Canada offre aussi de tenir ces réunions. En outre, au fur et à mesure que le processus de paix évolue, le Canada devrait être disposé à fournir une aide économique et technique pour la mise en «oeuvre de programmes au profit de la vaste majorité des Colombiens.
Merci.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Nous passerons maintenant aux questions, et il faudra nous en tenir très strictement à notre horaire—un seul tour de table.
Madame Debien.
[Français]
Mme Maud Debien (Laval-Est, BQ): Bon matin même s'il est tard, mesdames, messieurs. Je souhaite particulièrement la bienvenue à M. Garzon, qui a témoigné de façon assez admirable de ses préoccupations, que nous partageons, bien sûr.
En premier lieu, nous regrettons, madame la présidente, d'avoir si peu de temps pour questionner les témoins et les féliciter de la qualité de leur témoignage. Puisque nous avons plusieurs questions, il faudra évidemment que nous les posions très rapidement.
Monsieur Garzon, je vais d'abord m'adresser à vous. Vous avez fait état des tentatives de négociation de paix dans votre pays, ainsi que de votre volonté et de celle de la population d'en arriver à une solution politique négociée. J'aimerais que vous nous disiez, du plus profond de votre coeur, quelles sont les chances de réussite de ces négociations. Vous refusez d'une part toute intervention internationale de pacification, et je vous comprends. Vous demandez d'autre part au Canada d'adopter une position très forte ou très sévère à l'égard du gouvernement Pastrana et de cette solution politique négociée.
Que demandez-vous concrètement au Canada quant à cette position dite sévère ou forte qu'il devrait adopter?
M. Luis Eduardo Garzon (Interprétation): Nous avons entendu ce qu'en a dit Amnistie Internationale, et non seulement notre groupe, mais tous les Colombiens ont de très sérieux doutes à l'égard de ces négociations et des raisons pour lesquelles on prend différentes positions en ce qui les concerne. On dit qu'on prend différentes positions afin d'être mieux placé en cas d'intervention; toutes les parties sont en cause, non seulement les guérilleros, mais le gouvernement et tous les autres partis. Nous croyons que c'est possible, qu'on essaie de se positionner au mieux en prévision d'un conflit militaire. Même si c'est une possibilité, il faut lutter au sein de la société civile, avec l'aide de la communauté internationale, pour éviter une intervention militaire et pour trouver une solution heureuse pour le pays.
Le gouvernement canadien peut manifester son appui au Canada, en sensibilisant la société canadienne aux négociations qui se déroulent en Colombie et en diffusant de l'information sur les résultats des négociations et sur le fait que différentes parties négocient pour en arriver à une solution pacifique en Colombie. À l'extérieur, le gouvernement canadien peut exercer des pressions auprès du gouvernement américain pour qu'il en fasse autant.
[Français]
Mme Maud Debien: Est-ce qu'il me reste du temps?
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Monsieur Robinson.
[Traduction]
M. Svend J. Robinson (Burnaby—Douglas, NPD): Merci. Je tiens moi aussi à remercier tous les témoins pour le témoignage très puissant et émouvant qu'ils ont donné ce matin et je tiens surtout, bien sûr, à souhaiter la bienvenue au Compa«ero Garzon, de Colombie. Je tiens à remercier aussi les témoins pour leur engagement personnel. Steve, notamment, nous a beaucoup émus en nous disant à quel point il risque sa vie; le Compa«ero Garzon et d'autres aussi. C'est tout à fait incroyable, et je tiens à les en remercier et à en remercier les membres du tribunal, de même que toutes les personnes qui ont témoigné ce matin.
À l'instar de Mme Debien, je suis frustré que nous n'ayons pas vraiment le temps d'explorer avec les témoins les recommandations qui ont été faites. Je tiens à assurer à ceux-ci—et je suis sûr de parler ici au nom des membres de notre comité—que nous prendrons très au sérieux toutes les recommandations qui nous ont été faites, que notre comité fera rapport au gouvernement du Canada et lui demandera de répondre à nos recommandations. Nous ferons évidemment la synthèse de toutes les recommandations qui ont été présentées ici, et cela, espérons-le, au plus tôt.
Je tiens à poser une seule question dans le peu de temps dont je dispose. Nous savons ce qui se passe dans les rues de Seattle et ailleurs. Il existe un lien très réel entre ce qui se passe là-bas, ce qui se passe en Colombie et ce qui se passe ici—l'affrontement entre la société civile, d'un côté, et le pouvoir corporatif mondial et ses gouvernements alliés, comme celui de la Colombie, de l'autre.
Je me demande quel rôle les sociétés canadiennes jouent en Colombie. Nous avons entendu parler de la société Talisman, au Soudan, et des récentes interventions d'Axworthy à cet égard. Y a-t-il un rôle que les sociétés canadiennes pourraient et devraient jouer pour aider à pousser le gouvernement colombien à réagir aux horribles abus qui ont lieu? Je pose la question à celui des témoins qui veut y répondre. Je sais que le tribunal a présenté une recommandation à cet égard. Je ne sais pas si ses membres ou d'autres veulent dire quelque chose.
M. Hassan Yussuff: Une étude porte sur l'investissement canadien en Colombie. Elle titre à sa fin. Nous la mettrons probablement à la disposition des membres du comité.
Le fait est, je suppose, que l'investissement canadien en Colombie s'est accru. Il nous faut comprendre le lien qui existe entre l'accroissement de l'investissement et la réalité, la violence et la répression des syndicats dans ce pays. C'est justement pour cette raison que des sociétés canadiennes vont dans des pays comme la Colombie. Il est entendu que la situation y est telle que les droits des syndicats n'y sont pas respectés. Le fait est qu'elles peuvent le faire en toute impunité. Un lien direct est donc établi ici.
D'après ce que j'en sais, l'étude indique déjà très spécifiquement que là où l'investissement a lieu, il y a une recrudescence de la violence et des violations des droits de la personne. Il incombe au gouvernement canadien de commencer à veiller à ce que les sociétés canadiennes qui investissent dans des endroits comme la Colombie adhèrent très strictement aux valeurs fondamentales de notre pays à cet égard.
Quant au comité, il serait important qu'il demande aux entreprises canadiennes qui investissent en Colombie de venir témoigner sur la façon dont elles font la promotion des droits de la personne et des valeurs internationales à l'égard de leur investissement en Colombie. Il le faut absolument, je crois. Le comité devrait les sommer de témoigner. Nous le croyons fermement. Il est impérieux que ce lien soit établi, car nous savons qu'il y a effectivement un lien entre la violence et les stratégies d'investissement. Des populations entières ont été déplacées à cause de projets hydroélectriques.
M. Garzon pourrait peut-être citer des exemples de cela dans d'autres secteurs.
Par exemple, dans le secteur de la floriculture, les gens travaillent avec des substances très toxiques pour produire des fleurs, qui sont vendues pour la plupart dans notre pays. Quelle corrélation y a-t-il entre l'expédition de fleurs au Canada et l'adhésion à des normes internationales de promotion de la santé et de la sécurité au travail pour les travailleurs de la Colombie?
M. Garzon peut sans doute présenter d'autres observations.
M. Bill Fairbairn: En fait, je voudrais ajouter quelque chose.
Nous signalons également dans notre mémoire que le gros du commerce et de l'investissement canadiens en Colombie se fait dans des secteurs comme les télécommunications et le pétrole et le gaz, qui sont précisément ceux où le mouvement syndical est le plus durement frappé en Colombie. Le camarade Garzon pourrait certes nous en parler.
Dans les témoignages que nous recueillons sur le terrain, en Colombie, nous apprenons que beaucoup de régions où sont installées des compagnies minières sont des régions où les collectivités sont déplacées de force. Francis Deng, le représentant de l'ONU pour ce qui est des populations déplacées, reconnaît aussi que les multinationales sont un des éléments clés derrière les déplacements forcés en Colombie.
Je tiens donc à confirmer ce que le dit CTC sur la nécessité que les compagnies canadiennes rapportent ce qu'elles font pour ne pas contribuer aux violations des droits de la personne. On ne peut pas aller en Colombie et s'en tenir à la routine. Le seul fait d'être dans ce pays peut entraîner de sérieuses violations des droits de la personne, comme on l'a appris ici, il y a quelques semaines à peine, à propos du peuple Embera Katio du nord de la Colombie.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Garzon.
M. Luis Eduardo Garzon (Interprétation): Le secteur colombien du gaz est vraiment entre les mains de Canadiens, du Nord au Sud, dans tout le pays. Cela vous montre à quel point les capitaux canadiens sont importants dans ce pays. Les Canadiens y sont les véritables propriétaires du secteur pétrolier.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Madame Marleau.
Mme Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Merci de comparaître devant nous. À l'instar de mes collègues, je dirai que nous sommes très préoccupés par ce qui se passe en Colombie. La situation y est très grave.
• 1200
Vous dites que des sociétés canadiennes sont peut-être mêlées
à des violations des droits de la personne. Si vous avez des cas
précis en tête, je vous demanderais de les citer. La plupart des
sociétés canadiennes se targuent d'avoir un comportement éthique
et, si ce n'est pas vrai, la population canadienne voudrait le
savoir.
Les Canadiens seraient de grands alliés pour exercer des pressions auprès des entreprises canadiennes qui ne font peut-être pas les choses comme elles le devraient. Il serait très important d'avoir des exemples ou des cas spécifiques plutôt que des allégations vagues. Il est très difficile de savoir exactement ce qui se passe à cet égard. S'il vous plaît, s'il y a des cas précis, rendez-les publics! Cela ferait beaucoup pour y mettre fin, s'ils existent.
Pour ce qui est de la consolidation de la paix, je crois savoir que des programmes sont mis en oeuvre en Colombie. Ils sont raisonnablement couronnés de succès, mais ils sont très petits. Pouvez-vous me dire jusqu'où nous pouvons aller et ce que nous pouvons faire d'autre pour aider à promouvoir la paix entre les belligérants?
Les guérilleros kidnappent beaucoup de monde. Ils sont responsables de certains problèmes, je crois. Qu'est-ce que l'ACDI, par l'intermédiaire de sa direction de la consolidation de la paix, peut faire de plus pour promouvoir les mesures de pacification qui sont possibles, d'abord?
Mme Eleanor Douglas: Nous qui travaillons dans le domaine du développement international reconnaissons certes un certain nombre d'initiatives que le Canada a prises en Colombie—par exemple, le fonds de 1,5 million de dollars sur trois ans qui vise à appuyer quatre organisations de défense des droits de la personne. Ce que nous disons, c'est qu'il faut beaucoup plus que cela. Je ne crois pas que nous ayons besoin d'autres choses qu'appuie l'ACDI, qui supposeraient des sommes beaucoup plus importantes...
Mme Diane Marleau: De quelles autres choses s'agit-il au juste?
Mme Eleanor Douglas: Dans le secteur des télécommunications, par exemple, aider le gouvernement colombien à comprendre les règles de la déréglementation. La compagnie a été mise en vente la semaine dernière. La Compagnie de Téléphone Bell est en Colombie et a des intérêts importants dans le téléphone cellulaire.
Oui, nous demandons qui va bénéficier de cela. Le peuple colombien ou les sociétés canadiennes?
L'ACDI poursuit un autre projet d'environ 11 millions de dollars, afin d'examiner les règlements dans le secteur minier et de prendre en considération les problèmes environnementaux. Il semble que ce genre de programme de l'ACDI ne soit pas celui que nous envisageons pour le pays dont il a été question ici pendant tout l'avant-midi. L'équipe de l'ACDI est actuellement sur place. Elle y est depuis trois semaines. Nous allons rencontrer ses membres dès qu'ils rentreront pour leur proposer, comme nous l'espérons, un nouveau genre de programme.
Je pense que votre question traite la situation selon la perspective canadienne. Or, si l'on prend la perspective colombienne, on se rend compte qu'une myriade de gens travaillent au niveau local, dans des collectivités comme celles dont Steven et Luis ont parlé, et au sein de groupes de défense des droits de la personne. Il y a aussi des femmes qui s'occupent de la formation en vue d'une action non violente, pour montrer comment on peut négocier et discuter avec les divers intervenants rencontrés dans les régions rurales.
Il y a des milliers d'initiatives que le Canada pourrait appuyer pour vraiment bâtir la paix et rétablir la justice. Ce ne sont pas les occasions qui manquent. Nous insistons donc auprès de l'ACDI—et je m'en tiens à ce point de vue—pour qu'un nouveau type de programme soit appliqué en Colombie, parce que le programme actuel ne reflète pas la situation qui se vit dans le pays.
[Français]
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Madame Lalonde.
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Je voudrais d'abord dire que je souhaiterais que nous puissions convoquer une autre réunion pour discuter de cette question parce que j'ai été très impressionnée par la qualité de tous vos témoignages. Vous avez émis des points de vue contradictoires, et c'est cela qui est intéressant. Si vous disiez tous la même chose, on n'aurait pas besoin de convoquer toutes ces personnes de qualité.
Mais si nous voulons dire plus que des généralités généreuses, il nous faut pouvoir parler davantage avec ces personnes. Relire les témoignages ne suffira pas. Madame la présidente, je vous soumets respectueusement cette question.
• 1205
En attendant, je voudrais poser une question à M.
Garzon. Si nos autres témoins souhaitent
ajouter quelque chose, je les invite à le faire.
J'ai cru comprendre que le noeud, c'est que
le gouvernement et les éléments à l'intérieur du
gouvernement qui sont pour la justice et la
société civile et qui voudraient faire des changements
sont eux-mêmes intimidés par les groupes
paramilitaires. Ce peut être aussi la guérilla dans certains
cas. De toute façon, l'armée, qui est
chargée de faire appliquer les lois ou les
arrestations, est elle-même partie prenante de
la violence. Est-ce que le noeud n'est pas là?
Comment la société civile, avec l'aide
internationale, peut-elle venir à bout de l'armée?
Faut-il la convaincre? Peut-être n'ai-je rien compris.
[Traduction]
M. Luis Eduardo Garzon (Interprétation): La première chose qu'il faut comprendre concernant la situation en Colombie, c'est que les institutions ne fonctionnent pas; il n'y a aucune institution efficace. Une société démocratique suppose obligatoirement des partis politiques, des syndicats, un système de justice, un système parlementaire et un gouvernement qui travaillent efficacement au sein de la société civile. Cela ne s'applique pas en Colombie. De telles institutions n'existent pas.
D'ailleurs, les problèmes dus à l'absence d'institutions efficaces comportent divers éléments. Il y a une violence quotidienne qui est causée par le trafic de stupéfiants, les problèmes économiques, la pauvreté et l'intolérance politique.
Il faut commencer par bâtir la société civile, la société démocratique, en partant vraiment de la base. Ensuite, il faut amener toutes les parties à comprendre et à diffuser l'information sur ce qui se passe dans le pays, et aussi à se connaître mutuellement, parce que, comme on le constate, non seulement la confusion... Les intervenants sont tellement nombreux et les problèmes tellement variés en Colombie. Il est normal que vous ne puissiez pas comprendre le conflit qui s'y déroule. Le même problème existe à l'intérieur du pays, justement parce que les intervenants sont trop nombreux et qu'il y a trop de positions différentes.
Il faut d'abord qu'il y ait des tribunes comme celle-ci, où l'on peut discuter et saisir ce qui se passe; ces tribunes doivent exister tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de la Colombie pour que les gens sachent ce qui se passe.
• 1210
La semaine dernière, nous avons discuté de la question avec
les représentants des gouvernements italien et espagnol. Nous avons
conclu qu'il fallait des tribunes—tant dans ces pays que dans la
société colombienne—pour bien faire comprendre le processus de
paix ou de guerre. Cette compréhension permet de voir quelle
contribution la société canadienne peut faire. Sa première
contribution consiste à mettre en place des tribunes pour que l'on
puisse bien faire comprendre ce qui se passe dans notre pays.
M. Emmanuel Rosenthal: Il y a deux exemples concrets de tribunes au Canada auxquelles il serait important d'avoir recours, parce que cela a donné de bons résultats dans le passé.
Pour mon premier exemple, il faut se replacer au moment de la guerre en Amérique centrale. Les tribunes étaient ouvertes, mais cela ne s'arrêtait pas là. Dans le cadre d'une alliance entre les gouvernements, les agences gouvernementales responsables de tels processus, les ONG canadiennes au fait des problèmes en Colombie et expérimentées dans le domaine, et leurs homologues—les ONG et les membres de la société civile—en Colombie, nous avons d'abord dressé la liste des principaux problèmes auxquels il fallait s'attaquer pour établir la paix.
Il y a eu une table ronde d'une durée déterminée sur chaque point... Nous avons d'abord négocié l'ordre des points à discuter, puis nous avons invité les représentants des différentes factions à faire valoir leur point de vue. Ensuite, chaque chapitre a présenté aux diverses parties une série de recommandations faisables, viables et concrètes qui étaient fondées sur une connaissance exacte de la situation là-bas. C'est ma première proposition.
L'autre, c'est qu'il y a des institutions, des groupes et des organisations en Colombie qui sont au beau milieu des hostilités. Ce sont justement ceux qui luttent... ceux à qui il faut fournir des propositions claires visant à changer la situation. Dans le passé, quand le cône Sud était dirigé par des dictatures, le Canada appuyait ces organisations non seulement pour qu'elles survivent, mais aussi pour qu'elles fassent des propositions visant la création d'une nouvelle société. Voilà l'autre proposition concrète.
Comme Svend Robinson l'a dit plus tôt, poursuivons le dialogue, parce que ce ne peut qu'être le commencement. Mais nous avons vraiment des propositions concrètes à présenter.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Monsieur Raby.
M. David Raby: C'est très simple. Oui, à certains égards la situation est très compliquée, mais, comme Luis Eduardo Garzon l'a dit, c'est en partie à cause de la confusion créée par les médias. Les problèmes fondamentaux ne sont pas nécessairement si complexes. Les négociations ont commencé et je pense qu'il serait tragique si elles échouaient à cause du manque de soutien de la communauté internationale. À cet égard le Canada, de concert avec d'autres pays, peut vraiment jouer un rôle important en appuyant et en élargissant la portée de ces négociations.
La vice-présidente (Mme Colleen Beaumier): Merci.
Je regrette sincèrement de devoir lever la séance, car toutes vos observations nous aideront à poser de meilleures questions aux représentants du gouvernement qui comparaîtront devant nous la semaine prochaine.
Merci à vous tous d'avoir témoigné devant nous et d'avoir pris la peine de rédiger vos mémoires. Nous allons les lire et nous en servir pour nous préparer à interroger les représentants du gouvernement la semaine prochaine.
La séance est levée.