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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 2 novembre 1999

• 1601

[Traduction]

Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): La séance est ouverte.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui le ministre des Affaires étrangères de la République hellénique, l'honorable George Papandreou, qui a passé une partie de sa jeunesse à Toronto et qui est manifestement une personne ayant un imposant bagage d'expérience sur la scène mondiale. Nous sommes très heureux de vous avoir avec nous, monsieur. Je sais que les députés s'intéresseront vivement à vos propos.

Je m'excuse du fait que plusieurs députés, qui étaient ici, aient dû partir puisque la séance a été quelque peu retardée.

Normalement, nous demandons à nos invités de faire un exposé de 10 à 15 minutes, selon ce qui leur convient, et ensuite nous ouvrons la discussion et les députés sont autorisés à poser des questions. Je vous invite donc, monsieur, à faire votre déclaration liminaire devant le comité et ensuite, je donnerai le coup d'envoi à la période de questions.

L'honorable George Papandreou (ministre des Affaires étrangères, République hellénique): Merci beaucoup. Je m'excuse d'être un peu en retard. J'étais avec le premier ministre et notre entretien s'est prolongé au-delà de ce qui avait été prévu.

Les relations entre la Grèce et le Canada sont, évidemment, très bonnes. Nous avons toujours eu des relations chaleureuses, mais le fait qu'il y ait un grand nombre de citoyens canadiens d'origine grecque a renforcé encore davantage les rapports entre nos deux pays. Nous sommes heureux d'en voir autant participer à la vie politique. Personnellement, je suis l'un de ces Grecs du Canada, d'une certaine façon. Ma famille a vécu ici pendant cinq ans. En effet, nous avons passé cinq ans ici alors que la Grèce était sous la botte d'un dictateur, ce qui a été une période fort difficile pour mon pays.

Aujourd'hui, la Grèce est un pays fort différent, un pays démocratique, le plus stable de la région. En fait, nous assumons une responsabilité considérable dans notre coin du monde. Le sud-est de l'Europe, la région orientale de la Méditerranée, la mer Noire, toute cette région est très volatile. La Grèce est un pays qui est à la fois membre de l'OTAN et de l'Union européenne. À ses yeux, sa principale tâche consiste à faire en sorte que cette région devienne membre à part entière de la grande famille européenne, laquelle a offert à un grand nombre de pays depuis les 50 ans qui ont suivi les deux grandes Guerres mondiales, la sécurité, le développement, la démocratie et un sentiment de stabilité sans précédent sur ce continent depuis quelques décennies, voire quelques siècles.

Nous estimons que cette perspective, cette vision d'une région faisant partie prenante du giron européen—ou de la structure euro-atlantique, comme nous l'appelons parfois—est une vision qui, à ce stade-ci, a un effet rassembleur sur les peuples et ouvre de nouvelles avenues de compréhension et de coopération.

C'est dans cet esprit que nous avons oeuvré lors des diverses crises qui ont secoué les Balkans. Notre rôle a souvent été celui d'un intermédiaire dans ces conflits. Nous avons essayé d'éviter les problèmes au Kosovo en travaillant à la fois avec les Albanais et les Serbes. Malheureusement, comme vous le savez, nos efforts ont été vains.

• 1605

Cependant, nous avons collaboré très étroitement avec nos alliés au cours de cette guerre et bien entendu, avec le Canada également, par l'entremise de Lloyd Axworthy. Nous avons participé à un certain nombre de réunions ensemble et grâce à cette étroite collaboration, le Canada—et nous l'en remercions—a appuyé nos efforts humanitaires au Kosovo et dans le reste de la Yougoslavie où, en fait, à un moment donné, la Grèce était le seul pays qui y avait des organisations humanitaires. C'était pendant les bombardements, évidemment, et nous avons été les seuls à pouvoir avoir accès à l'un et l'autre camp en reconnaissance de notre rôle.

Nous avons également développé une nouvelle ouverture avec notre autre voisin, la Turquie, qui fait aussi partie de l'OTAN, mais avec lesquels nous avions un certain nombre de problèmes depuis des années. Chypre est l'un de ces problèmes. En 1974, sous prétexte de venir protéger la communauté turque-chypriote, la Turquie a envahie l'île et environ 3 500 soldats y sont stationnés depuis. Nous espérons que les efforts renouvelés du G-8, auquel le Canada a participé, et des Nations Unies permettront d'amorcer de nouvelles négociations de fond en vue du règlement du problème. Nous pensons que les deux communautés peuvent vivre ensemble en paix, sous un même toit, certainement dans une structure fédérale décentralisée sous l'égide de l'Union européenne, ce qui garantira à la fois la prospérité et le respect des droits de la personne.

Je pense que nous avons montré que les Grecs et les Turcs peuvent vivre ensemble et que c'est un mythe qu'ils en sont incapables. Lors du récent tremblement de terre, il y a eu de multiples manifestations de solidarité en provenance de la Grèce, non pas du gouvernement, mais des simples citoyens. J'ai été inondé d'appels téléphoniques de personnes me demandant comment s'y prendre pour donner du sang, envoyer de l'argent, faire don de vêtements, de tentes, etc. Un grand nombre d'organismes non gouvernementaux se sont rendus en Turquie pour apporter leur aide, et cela s'est transformé en une véritable diplomatie populaire, en un sens, en une diplomatie du peuple. Du côté de la Turquie, on a chaleureusement accueilli cette aide, particulièrement la population et la presse. Les Turcs nous ont rendu la pareille lorsque nous avons traversé une épreuve analogue mais moins dévastatrice environ un mois plus tard, à Athènes.

Nous avions déjà amorcé un dialogue avec la Turquie dans des dossiers d'intérêt commun comme le commerce, le tourisme, la culture, la sécurité, l'environnement et la coopération multilatérale. Cette ouverture a aussi aidé, de sorte que lorsque les tremblements de terre ont frappé, un nouvel espoir pointait déjà à l'horizon.

Dans nos relations bilatérales avec la Turquie, ce que nous souhaitons essentiellement est très simple: le respect des traités et des frontières. S'il existe quelque doute que ce soit au sujet des traités existants, il faut que cela se règle par la voie juridique et non par l'usage de la force. En outre, nous avons proposé que si la Turquie a quelque grief que ce soit... Pour notre part, nous n'avons pas de grief, sauf celui de la délimitation du plateau continental. Cela mis à part, nous estimons que nos frontières sont très claires et qu'elles le sont depuis la Seconde Guerre mondiale. Le Dodécanèse a été cédé à la Grèce par l'Italie, qui a avec la Turquie des frontières qui ont été très clairement définies à la suite de négociations. Par conséquent, nous estimons qu'il n'y a pas vraiment de problème, mais si la Turquie est d'un autre avis, elle peut toujours s'adresser au Tribunal international de justice de La Haye pour formuler une plainte, et nous accepterons volontiers le verdict rendu.

C'est donc sur ces bases que nous avons amorcé un dialogue avec la Turquie et nous espérons que les choses évolueront dans la bonne direction. En décembre prochain, à Helsinki, en Finlande, il sera décidé si l'Europe fera de la Turquie un pays candidat à l'Union européenne. C'est une décision importante. C'est un peu devenir comme une autre province plutôt qu'un membre de l'ALENA. Par conséquent, c'est une décision cruciale. Évidemment, la Turquie ne deviendrait que candidate. Selon les négociations que nous aurons au sein de l'Union européenne, nous prendrons une décision affirmative ou négative en décembre.

• 1610

Je pourrais parler encore longtemps. Notre région est aux prises avec de nombreux dossiers et problèmes. Je sais que vous vous intéressez vivement au Kosovo, ainsi qu'à la Bosnie, où des troupes canadiennes sont déployées.

Je tiens à vous remercier pour les positions que vous avez adoptées au sujet de questions qui nous touchent de près, comme Chypre et la Macédoine. Dans le passé, vous avez manifesté une très belle solidarité avec la Grèce et je tiens à vous exprimer ma reconnaissance.

Je suis tout à fait disposé à répondre aux questions dans les domaines qui vous intéressent. Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Ce fut fort intéressant.

Les députés ont-ils des questions?

[Français]

Monsieur Rocheleau.

M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): Je vous remercie, monsieur Papandreou, d'être ici présent aujourd'hui. J'aimerais savoir comment vous entrevoyez l'avenir de la Grèce dans le cadre de son intégration à la grande famille européenne. Comment le concept de la souveraineté évoluera-t-il face à la nouvelle Europe qui se développe? Où en sera le concept de la souveraineté des peuples dans 10 ans, 50 ans ou 100 ans?

[Traduction]

Mr. George Papandreou: C'est une question très intéressante.

Comme vous le savez, la Grèce est membre de l'Union européenne depuis 1980. L'Union européenne est unique au monde, en ce sens que c'est une organisation où les États-nations souverains, en s'alliant, cèdent une part de leur souveraineté à un organe supranational. Cet organe, qui s'appelle maintenant l'Union européenne s'appelait auparavant la Communauté européenne et, si l'on remonte plus loin, la Communauté européenne de l'acier et du charbon. À mesure que les temps changent, on constate une intégration croissante étant donné que les grands dossiers, comme nous les appelons, revêtent de plus en plus un caractère communautaire. Essentiellement, sa mission est d'élaborer des politiques communautaires.

À mon avis, cette situation comporte de nombreux aspects positifs mais aussi certains aspects négatifs. Parmi les aspects positifs, citons le fait que dans un monde intégré, les problèmes de nature sociale, économique, etc. auxquels nous faisons face peuvent être résolus plus facilement si nous unissons nos forces. Prenons l'exemple de l'environnement. Les problèmes environnementaux transcendent les frontières et par conséquent, il est très important de collaborer ensemble et d'élaborer une politique environnementale commune. Si la Grèce avait pour ses produits des normes différentes de celles de l'Italie et de l'Allemagne, cela créerait de nombreuses difficultés, notamment dans le commerce. À mesure que nous harmonisons les normes, normes qui, espérons-le, sont à l'avantage de nos citoyens, nous pouvons multiplier les échanges commerciaux, promouvoir le développement économique, etc. En même temps, nous protégeons également nos propres citoyens grâce à ces normes spécifiques.

D'autres questions nous occupent, comme l'UEME, l'Union économique et monétaire européenne qui, selon nous, créera une économie beaucoup plus vigoureuse et concurrentielle en Europe et suscitera un sentiment d'identité commune parmi les Européens. Qui plus est, la création d'une structure aussi imposante signifie que le citoyen moyen se sent loin du gouvernement, particulièrement du gouvernement européen, et a moins tendance à y participer. Par conséquent, il existe au sein de l'Union européenne ce que nous appelons un déficit démocratique. Il nous faut donc commencer à repenser nos structures décisionnelles pour assurer la participation des citoyens et des représentants des divers segments de la société dans le processus de décision, que ce soit par le biais d'organisations non gouvernementales, de syndicats, d'associations d'employeurs, d'instances locales, etc.

Un débat important a cours en ce moment. De 15 pays, à l'heure actuelle, il se peut que dans quelques années, l'Union européenne en comptions 26, voire 30 d'ici 10 ou 15 ans. Voilà pourquoi on y consacrera les deux prochaines années à discuter de réformes constitutionnelles d'envergure. À cet égard, il y a deux tendances différentes.

La première consiste à adopter un modèle confédératif comportant deux Chambres, disons un Sénat et une Chambre des représentants pour reprendre l'exemple américain. L'autre tendance privilégie une organisation plus souple où bon nombre de décisions continueront d'être prises au sein de l'Union européenne tout en permettant une grande autonomie aux États-nations. C'est un processus fascinant. C'est une chose très intéressante, une expérience en histoire humaine.

Le président: Monsieur Mifflin.

M. Fred Mifflin (Bonavista—Trinity—Conception, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Tout d'abord, je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre, pour cette déclaration liminaire empreinte de franchise. Cela est énormément apprécié.

Je m'intéresse vivement au pourcentage du produit national brut que vous consacrez à la défense. Je crois que c'est l'un des plus élevés de l'OTAN, sinon le plus élevé. Je sais, bien sûr, que vous avez des problèmes différents du Canada étant donné la région du monde où vous êtes situé. Ma question porte sur la démocratie. Est-il difficile de maintenir un tel ratio défense-PNB, compte tenu des pressions bien connues qui s'exercent sur les programmes sociaux et autres? Pensez-vous que ce pourcentage va monter, descendre ou demeurer le même?

Mr. George Papandreou: Je pense que notre pourcentage est le plus élevé de tous les pays de l'OTAN puisqu'il représente 4,7 p. 100 de notre PIB. La Turquie vient au second rang avec 4,5 p. 100 et les États-Unis au troisième rang avec environ 3 p. 100. Je ne suis pas sûr du pourcentage.

C'est effectivement élevé, mais cela est attribuable au genre de problèmes auxquels nous devons faire face dans la région. Chose certaine, si nous vivions dans une autre région du monde, dans une région plus tranquille, il ne serait pas aussi élevé. Mais ce n'est pas le seul facteur qui fait la différence. Au sortir de la guerre froide, notre mission est différente.

Bien sûr, nous avons un problème avec la Turquie. Il y a donc eu une escalade dans l'acquisition d'armes depuis 20 ou 30 ans. Cependant, comme je l'ai dit, c'est un problème que nous espérons régler car il y a à cet égard une certaine ouverture. Cela signifierait que nous pourrions réduire nos dépenses de défense, mais aussi les réaménager en fonction d'une armée de type différent davantage axée sur l'intervention en cas de crise, l'imposition et le maintien de la paix, les efforts humanitaires et ainsi de suite. Mais ce n'est pas ce pourquoi notre armée a été formée. Des régions comme la Bosnie, le Kosovo et d'autres où nos troupes sont stationnées sont en fait un théâtre de formation à cette nouvelle mission qu'assumerait notre armée.

C'est un fardeau pour deux raisons. La première, ce sont les programmes sociaux que vous avez mentionnés. Nous pourrions dépenser davantage dans le domaine de l'éducation, de la santé et d'autres programmes sociaux comme les pensions. Mais étant donné que nous sommes dans cette Euro-zone, comme on l'appelle... Nous espérons faire partie de cette Euro-zone en 2001. En fait, nous comptons présenter notre candidature pour en être membre au début de l'an prochain. L'une des exigences est que notre budget affiche une dette inférieure à 3 p. 100. À l'heure actuelle, nous sommes bien en deçà de ce seuil, avec 2,1 p. 100. Nous nous attachons maintenant à juguler l'inflation, qui doit être sous la barre des 2 p. 100. Pour l'heure, elle se situe chez nous à 2,4 p. 100, ce qui représente un changement notable. En effet, il y a deux ans, elle se situait à 14 p. 100 environ. Évidemment, si nous pouvions réduire notre budget militaire, cela faciliterait beaucoup les choses.

• 1615

Le président: C'est ce qui retient l'attention de tout le monde.

Mr. George Papandreou: Je sais que vous avez un débat similaire sur cette question.

Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Oui, cela a été soulevé à la Chambre aujourd'hui.

Le président: Monsieur Cannis.

M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Oui, monsieur le ministre, mais nous ne savons pas où nous en sommes car notre Opposition nous enjoint un jour de dépenser et le lendemain, de sabrer dans les dépenses. Par conséquent, nous sommes dans la confusion totale.

Monsieur le ministre, je commencerai par rappeler que vous avez accueilli l'Association parlementaire Canada OTAN en Grèce en 1996. À l'époque, vous étiez ministre des l'Éducation et vous nous aviez reçu dans votre bureau. Maintenant, c'est une belle occasion pour nous de vous rendre la pareille ici, au Canada.

Mr. George Papandreou: Oui, et je vous remercie beaucoup.

M. John Cannis: Il est bon de vous revoir chez vous—et je pense que c'est l'expression juste.

Monsieur le ministre, vous avez abordé certaines questions très importantes. Je vais passer la liste en revue et vous pouvez choisir la façon dont vous souhaitez répondre à chacune d'elles.

J'ai été ravi d'entendre vos commentaires quant aux efforts du G-8 en ce qui concerne Chypre. Je pense que cela a donné lieu à des signaux très positifs. Chose certaine, après 25 ans, les communautés concernées—et particulièrement la communauté canadienne chypriote-grecque—sont assoiffées de nouvelles positives et nous sommes très heureux des signaux que nous avons reçus. Mais à propos de Chypre, vous avez également parlé de l'Union européenne et du fait que la Turquie souhaite joindre les rangs de la famille européenne. J'apprécierais que vous nous en disiez davantage et que vous nous expliquiez comment la Grèce perçoit son rôle.

Je veux aussi faire le lien avec la question des frontières, et plus particulièrement le cas du Dodécanèse. Vous savez certainement que je suis né sur l'île de K«limnos, région qui a été contestée ces dernières années. Ce qui inquiète non seulement les personnes qui vivent dans cette région, mais aussi celles qui ont fait du Canada leur patrie, qui ont fait de l'Australie leur patrie, qui ont fait des États-Unis leur patrie mais qui ont là-bas des propriétés ancestrales et des membres de leur famille, c'est de voir certaines incursions. Il y a à cet égard des questions qui font périodiquement surface.

Je vous pose la question suivante: Ne pensez-vous pas que si la Turquie devenait membre de l'Union européenne, la sécurité à l'égard des frontières en découlerait? Hypothétiquement, je n'envisage guère que les frontières italiennes puissent être contestées par un autre membre de l'Union européenne aujourd'hui.

Une autre chose me préoccupe. Vous avez parlé du modèle confédératif. Nous, au Canada, sommes aussi distincts que tous les habitants des régions de l'Europe. Il y a une différence importante entre un Espagnol et un Italien, un Grec et un Français. Au Canada, la population est fort diversifiée. Si vous parcourez le pays d'un bout à l'autre, vous verrez ce que nous appelons cette remarquable mosaïque. Il y a une chose dont nous sommes fiers, par exemple, et c'est le fait que le Québec a une société distincte, tout comme l'Ontario, la Colombie-Britannique, etc. Dans un système confédératif, comment envisagez-vous de maintenir l'identité culturelle dont jouissent les Grecs, les Italiens, les Allemands ou les Français? Quelles mesures sont maintenant en place ou le seront pour que dans le cadre de cette union confédérale, l'identité individuelle des États et leur fierté culturelle puissent survivre et s'épanouir?

Merci.

Mr. George Papandreou: Ce sont là de très vastes questions.

Le président: Étant donné que c'est une longue série de questions, monsieur le ministre, au sujet de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, vous pourriez peut-être simplement nous dire s'il est possible que Chypre puisse être intégrée à l'Union européenne. Dans l'affirmative, cela suppose-t-il au préalable un règlement du problème de la région septentrionale ou y a-t-il une autre façon de procéder?

Mr. George Papandreou: D'accord, je commencerai par Chypre.

Chypre a commencé à négocier avec l'Union européenne il y a près de deux ans, peut-être un peu moins. Ces négociations progressent très bien. Un certain nombre de chapitres—30 environ, si je ne m'abuse—, doivent être respectés. Il y a toutes sortes de discussions qui ont cours. Dans les faits, chaque pays doit adopter et adapter le cadre juridique de l'Union européenne et peut le faire de différentes façons. C'est ce qui est négocié. Ce que l'on négocie également, ce sont les délais de mise en oeuvre de ces changements. On détermine aussi s'il y a lieu d'accorder des exceptions et pour quelle durée. Ordinairement, nous n'acceptons pas d'exceptions, et s'il y en a, ce n'est pas pour très longtemps.

• 1620

Ainsi, lorsque les Autrichiens ont voulu adhérer à l'Union européenne, ils ont dit qu'ils ne voulaient pas que des Allemands puissent acheter de propriétés foncières chez eux. Nous leur avons expliqué qu'au sein de l'Union européenne, chacun était libre d'acheter une propriété dans un autre pays membre. Ils ont réclamé une exemption de cinq ans et l'ont obtenue. Au cours de cette période, ils ont instauré un système qui, sans être discriminatoire à l'égard des autres membres, faisait qu'il était plus difficile pour un Allemand d'acheter une propriété foncière chez eux en raison des règles et règlements imposés à tout acheteur potentiel. Ce n'est qu'un exemple. Par conséquent, c'est un processus assez long.

Chypre progresse très bien dans ses négociations et il va de soi que le problème politique a été évoqué. Nous espérons que ce mouvement de la Turquie vers l'Union européenne permettra à cette instance de se servir de cette dynamique pour résoudre ces problèmes.

Pourquoi une solution concernant Chypre au sein de l'Union européenne? Pensez seulement à la communauté turque-chypriote et aux avantages qu'elle tirerait de son adhésion à cette Union. Elle ne se sentirait plus isolée sur cette île avec pour seul voisin la communauté grecque; elle ferait partie d'une communauté beaucoup plus vaste qui comportera plus de 15 nations à ce moment-là. Le turc deviendra une langue officielle à la communauté européenne et les représentants du pays pourront participer au Parlement européen ainsi qu'aux diverses instances de l'Union européenne, y compris le conseil des ministres. Les tribunaux devront faire respecter les dispositions spécifiques du Traité d'Amsterdam, qui assure le respect des droits de la personne dans tous les États membres. En outre, la Turquie recevra des fonds considérables qu'elle pourra consacrer à son développement. En effet, le niveau de vie des Turcs chypriotes est le quart de celui des Grecs chypriotes à l'heure actuelle.

Nous pensons donc que cela ferait vraiment l'effet d'un catalyseur, mais disons qu'ils ne le voient pas sous cet angle, pas plus que Denktas qui est un genre de petit roi et qui en est fort satisfait; il ne veut pas être le numéro deux d'un grand pays. Cela signifie-t-il que Chypre ne pourra jamais devenir membre de l'Union européenne? Ce serait vraiment dépasser la mesure, dans un certain sens, puisque les Chypriotes grecs ne sont pas les envahisseurs; ce sont les Turcs qui ont envahi Chypre. Ils veulent résoudre le problème, mais que faire si les Turcs ne le veulent pas? Faudrait-il exclure les Chypriotes de l'Union européenne?

Nous affirmons qu'ils devraient faire partie de l'Union européenne, qu'une solution soit trouvée ou non. Nous voulons bien sûr trouver une solution et il vaudrait beaucoup mieux que Chypre devienne membre de l'Union européenne après qu'une solution ait été trouvée, mais cela ne devrait pas être une condition requise. Beaucoup de pays de l'Union européenne sont d'accord avec nous sur ce point. La Grande-Bretagne, par exemple, a été très franche à ce sujet et très positive, mais d'autres, comme la France, doivent peut-être être convaincus de cette réalité. Je dois d'ailleurs me rendre en France la semaine prochaine pour essayer de convaincre les Français.

Au sujet de la Turquie, bien entendu, nous voulons que tout le processus d'adhésion à l'Union européenne permette de résoudre certaines de ces questions.

En fait, qu'est-ce que l'Europe? L'Europe a été créée après la Seconde Guerre mondiale, lorsque ses habitants ont pris la décision de ne plus se battre au sujet des frontières: respectons-les telles qu'elles sont, même si elles ne semblent pas logiques; en effet, ces frontières sont parfois fort illogiques, si l'on sait qui vit d'un côté et qui vit de l'autre. Respectons-les toutefois pour en diminuer l'importance. Aujourd'hui, ou très bientôt, on pourra voyager d'Athènes à Berlin sans passeport; dans de nombreux pays, on voyage déjà sans passeport, si bien que l'on ne s'aperçoit même pas qu'il y a des frontières au sein de l'Union européenne.

Cela veut dire que les pays résolvent leurs problèmes, s'ils en ont, de manière pacifique. C'est ce dont il va être question à Helsinki: si des pays comme la Turquie veulent devenir membres de l'Union européenne, ils doivent d'abord accepter certaines règles du jeu. S'ils les acceptent, s'ils adoptent des réformes dans le domaine des droits de la personne, s'ils respectent le droit international, s'ils acceptent la compétence de la Cour internationale de justice de la Haye, les principes démocratiques, les droits minoritaires des Kurdes, etc., et s'ils s'attaquent à plusieurs autres problèmes économiques, à ce moment-là, il sera possible d'entamer de véritables négociations au sujet de leur adhésion à l'Union européenne.

C'est ainsi que nous voyons les choses, et c'est la raison pour laquelle nous disons qu'effectivement, la Turquie peut faire partie de l'Europe, à condition, bien entendu, qu'elle s'européanise—non seulement en devenant européenne, mais en adoptant de véritables réformes, manifestant ainsi une véritable volonté politique de changement.

Je dirais enfin que l'Europe, dans un certain sens, devient une mosaïque d'identités qui est toutefois différente de celle que l'on retrouve au Canada, en Australie ou aux États-Unis. Les États-Unis, bien sûr, ont adopté une politique légèrement différente, puisqu'ils ont à l'origine essayé de mettre en pratique le principe du melting pot. Le Canada, par contre, est à l'avant-garde d'une approche beaucoup plus multiculturelle.

En Europe, nous avons deux processus: un processus d'intégration, où nous élaborons une culture commune—essentiellement une culture politique—de démocratie et de valeurs politiques européennes; en plus, nos cultures sont très particulières—nos langues, nos traditions, notre histoire, nos façons de vivre. Vous pouvez voir qu'en Europe, cette réalité n'est pas amoindrie par l'Union européenne, mais qu'elle y prend au contraire tout son sens. Je crois que les Européens sont très fiers de leurs caractéristiques ou alors qu'il est beaucoup plus intéressant de faire ressortir ces caractéristiques. Il suffit d'aller en Catalogne ou au Pays basque espagnol pour s'apercevoir que ces deux régions sont davantage intégrées, mais que leur identité ressort davantage au sein de l'Union européenne. Cela semble également avoir joué un rôle important et positif dans le conflit de l'Irlande du Nord.

Je crois que nous nous rapprochons du concept de mosaïque, qui ne sera pas exactement la réplique de ce que l'on retrouve au Canada, mais qui comportera beaucoup de ses éléments.

Le président: Merci, monsieur le ministre. Je crois que vous prenez du retard et que vous devez vous rendre à une réception. Peut-être pourrais-je prendre une minute de plus pour vous poser une question qui nous rend perplexes.

Quelle est la position adoptée par la Grèce au sujet de la reconstruction de la Serbie et est-ce que l'aide à la Serbie devrait être apportée à la condition que parte M. Milosevic ou non, ou est-ce qu'une forme d'aide humanitaire ou d'aide pour la reconstruction devrait être apportée de toute façon? Nous avons reçu la semaine dernière le ministre roumain de la Défense qui nous a fait remarquer que la Roumanie est considérablement tributaire du Danube, sans compter que d'autres pays sont tributaires de la Serbie et attendent impatiemment une solution. Il se peut qu'ils ne veuillent pas attendre le départ de M. Milosevic. Quelle est la position de la Grèce?

Mr. George Papandreou: Eh bien, nous partageons l'avis de tous ceux qui s'inquiètent au sujet de Milosevic. La question que nous posons est la suivante: comment pouvons-nous réussir à changer les choses en Serbie et en Yougoslavie? Je crois que deux questions s'entremêlent, en fait. La première est d'ordre humanitaire, la seconde d'ordre politique.

Pour ce qui est de la question humanitaire, je crois qu'il apparaît très clairement, à nos yeux à tout le moins et, à mon avis, aux yeux de bien d'autres pays de l'Union européenne, que la question humanitaire l'emporte sur l'idéologie et la politique. Nous devons apporter une aide humanitaire à ceux qui en ont besoin, qu'il s'agisse des Serbes, des Albanais ou des Turcs—il y a quelques Turcs au Kosovo—ou des Roms, etc. Par conséquent, c'est important. L'hiver ne va pas tarder et beaucoup de problèmes aigus vont se poser. Dans certaines villes, l'approvisionnement en énergie ne correspond qu'à 20 p. 100 des besoins à cause des dommages causés par les bombardements.

On arrive ensuite à la question politique, celle de la reconstruction. À notre avis, certaines mesures devraient être prises pour indiquer clairement au peuple serbe que la communauté internationale n'est pas contre lui, mais contre le régime et les politiques de ce dernier. Comment faire la distinction? Eh bien, c'est l'une des questions dont nous débattons.

• 1625

Nous tentons d'aider l'opposition pour qu'elle arrive à une certaine unité—qu'elle présente ses propres programmes, qu'elle propose un leader ou une forme de leadership collectif qui soit crédible. Suite à ses demandes, nous prenons quelques mesures pour lever certaines des sanctions, de manière à lui donner une légitimité et plus de crédibilité au sein de la Yougoslavie et également, pour indiquer clairement au peuple serbe que nous sommes de son côté, et non de l'autre, que nous sommes en fait contre Milosevic.

La Grèce et la Hollande ont présenté à l'Union européenne une proposition commune intitulée: «De l'énergie pour la démocratie», qui a été adoptée; nous envoyons maintenant du pétrole à plusieurs municipalités de Serbie qui sont dans l'opposition. Nous allons poursuivre ce genre d'activité.

Enfin, certains points doivent être réglés, comme la question du Danube dont l'assainissement s'impose, à notre avis, car toute la région en souffre, la Grèce y compris. Bien que nous n'ayons pas de lien direct avec le Danube, si l'économie de nos voisins en souffre, la nôtre va également en souffrir—nos investissements, nos marchés, etc. Ces pays supplient la communauté internationale de lever ces sanctions et, en particulier, de participer à la reconstruction le long du Danube.

Le président: Monsieur le ministre, nous devons céder la place et je sais que vous devez vous rendre à une réception donnée par l'Association interparlementaire Canada—Grèce; par conséquent, au nom de tous les membres du comité, j'aimerais vous remercier chaleureusement...

Mr. George Papandreou: Merci beaucoup et j'espère vous voir en Grèce.

Le président: J'espère vous voir également, ne serait-ce que dans le corridor.

Mr. George Papandreou: Oui, ce sera certainement plus facile.

Le président: J'ai ici un rapport parlementaire dont j'aimerais vous remettre un exemplaire.

La séance est levée.