JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 22 février 2000
Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): La séance est ouverte. Je souhaite la bienvenue à nos témoins d'aujourd'hui. J'espérais qu'il y aurait plus de membres du comité, mais si je n'attends pas, c'est parce que je veux tirer de vous le plus de renseignements possible.
On m'a dit que chacun d'entre vous allait faire son exposé. Nous vous demandons normalement de ne pas prendre plus de 10 minutes, mais je suis un juge très indulgent; je m'adapte. Que celui qui veut commencer commence.
Le juge en chef Heino Lilles (juge en chef, Cour territoriale du Yukon; témoignage à titre personnel): Je ne parlerai pas au nom du juge Allard, puisqu'il prendra lui-même la parole. Je vous dirai toutefois que nous trois—nous avons eu l'occasion de nous retrouver avant de venir ici aujourd'hui—nous sommes très heureux d'être ici. Nous vous sommes très reconnaissants de l'invitation que vous nous avez faite de comparaître.
Je m'appelle Heino Lilles, et je viens de Whitehorse, au Yukon. Je pourrais prendre quelques instants pour vous décrire la situation démographique du Yukon, mais je serai bref et vous dirai seulement que les Autochtones représentent 20 p. 100 de la population, mais représentent 75 p. 100 des détenus. Le même pourcentage vaut pour les jeunes dans le système de justice pour les adolescents.
• 1535
Permettez-moi de vous dire quelques mots de mes antécédents.
Je suis juge au Yukon depuis 13 ans. Auparavant, j'enseignais à
l'université Queen's. J'ai enseigné à la faculté de droit pendant
15 ans et j'ai travaillé un peu à la Loi sur les jeunes
contrevenants, que j'ai expliquée aux membres de ma profession.
J'ajouterai que j'ai un point de vue parfois différent de celui d'autres juges. Je suis juge du tribunal pour adolescents, mais je m'occupe aussi de protection de l'enfance et des criminels adultes. Je connais donc très bien la situation des jeunes dans le système de protection de la jeunesse, qui passent au système des jeunes contrevenants et qui passent ensuite—ce n'est ordinairement qu'une question de temps—au système des adultes.
Je suis juge de la court de circuit. Ce n'est ni habituel ni rare d'entendre une affaire de protection de l'enfance, d'agression conjugale et de jeunes délinquants appartenant tous à la même famille pendant la même séance de la cour de circuit. Cela illustre pour moi les rapports qui existent entre ces comparutions devant le tribunal.
Toutefois, nous sommes ici aujourd'hui pour discuter de la loi sur le système de justice pour les jeunes, qui en est à sa deuxième lecture.
Pour débuter, je dirais que le texte comporte d'excellents éléments. Je m'intéresse tout particulièrement à ce que j'appelle l'amont, des mesures extrajudiciaires, qui comprennent les mises en garde par la police et par le juge, et je pense que cela est très prometteur.
La possibilité de faire participer des citoyens, des victimes, au processus consultatif peut certainement réduire l'anxiété que ressentent souvent les victimes lorsque le crime ne leur est pas expliqué à fond et qu'elles n'ont pas la possibilité de participer à la sanction de l'infraction. En faisant intervenir des citoyens dans le processus, nous pouvons informer la population de ce qui se passe vraiment dans le processus de justice pour les adolescents et leur dire quels sont les vrais problèmes au lieu de se fier à ce que Herb Allard appelle un consensus fondé sur l'ignorance complète ou partielle qui guide souvent les décisions dans ce domaine.
Même si cet article, l'amont, est excellent, je vais être précis et signaler qu'à mon avis il existe des problèmes en puissance importants au paragraphe 10(2).
Le texte se lit ainsi:
-
(2) En outre, il est assujetti aux conditions suivantes:
-
a) la sanction est prévue dans le cadre d'un programme autorisé
soit par le procureur général, soit par une personne...
D'après mon interprétation, cela laisse entendre de façon quasi catégorique que seuls les programmes autorisés par le procureur général de la province ou du territoire peuvent servir de sanction extrajudiciaire. C'est mal comprendre et mal interpréter le développement très important d'initiatives extrajudiciaires dans tout le pays au cours des dernières décennies, en particulier la création des groupes consultatifs.
Il y a des formes de groupes consultatifs communautaires très novatrices en Colombie-Britannique, à Edmonton et ailleurs créées par la population locale en collaboration avec la police. Les procureurs généraux des provinces n'en voulaient pas. Ils n'ont pas voulu les entériner par crainte d'éventuelles retombées politiques. À mon avis, cette intervention en amont est compromise au point de rendre cette disposition presque inutile si l'on exige que tous les programmes soient approuvés par le procureur général de la province ou du territoire avant de pouvoir servir de sanction extrajudiciaire.
Il y a cinq ans, j'ai passé une année sabbatique en Australie. Les États australiens venaient de se prendre d'un fort engouement pour les groupes consultatifs. Ils sont parvenus à déjudiciariser entre 30 et 80 p. 100, selon l'État, des affaires des jeunes contrevenants. Celles qui suivaient la filière normale étaient les affaires les plus graves, celles qui exigeaient des ressources, des programmes et souvent l'emprisonnement. Les autres étaient réglées dans la collectivité.
• 1540
Ce que je crains, c'est que si seuls les programmes approuvés
sont autorisés, il se peut bien qu'au bout du compte le Québec en
approuve beaucoup et sanctionne ainsi le principe et l'idée, et
déjudiciarise entre 50 et 80 p. 100 des affaires de jeunes et que
ce ne soit pas le cas pour l'Ontario et que cela cause des
inégalités.
Même si l'approbation préalable n'est pas nécessaire, ces programmes ne survivront pas sans un certain appui. Il faudra un soutien financier et autre. Et même dans ce cas, on pourra se retrouver avec des disparités entre les provinces.
J'ai lu récemment un article de Patrick Healy intitulé Differential Application of Criminal Law, et il est bien clair pour moi que lorsque l'on se retrouve avec ce genre d'inégalités, on évoque le spectre d'une délégation illégale—les articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique—du droit pénal fédéral aux provinces. Si ce genre de variantes importantes sur le fond apparaissent au pays, je suis certain qu'il y aura des contestations de ce genre.
Le paragraphe 37(2) me plaît beaucoup. C'est celui qui prévoit que la peine ne doit pas être plus grave que celle qui serait indiquée dans le cas d'un adulte. C'est un énoncé vigoureux et excellent, plus vigoureux que l'énoncé correspondant dans la Loi sur les jeunes contrevenants, qui établissait que la peine la plus lourde pour un adulte était la peine maximum pour un jeune contrevenant. L'ennui, c'est qu'il serait difficile de respecter ces critères. Cela donne à penser que les adolescents ne devraient pas être punis plus gravement que les adultes, mais la loi ne nous fournit pas les outils qu'offre le système pour adultes.
Par exemple, on ne retrouve pas dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents la totalité des modifications récentes relatives aux peines apportées il y a trois ou quatre ans au Code criminel. Par exemple, il n'y est pas fait mention des délinquants autochtones et du traitement spécial qui leur est réservé, alors que cela existe pour les adultes. Je crois que c'est une invitation à une contestation pour atteindre au principe de l'égalité. En tout cas, il est difficile de voir comment la décision Gladue de la Cour suprême du Canada et les décisions ultérieures qui la mentionnent pourront être incorporées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Je suis heureux de voir que la nouvelle loi autorise l'ordonnance de placement et de surveillance. C'est l'équivalent de la condamnation à l'emprisonnement avec sursis dans le cas des adultes. C'est un outil très important, s'il est utilisé à bon escient. La difficulté, c'est que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne permettrait d'utiliser cet outil que dans le cas des infractions contre les biens, alors que pour les adultes il peut être utilisé, d'après la Cour suprême du Canada et le Parlement canadien, pour toutes les infractions, sauf celles qui sont passibles d'une peine minimale d'emprisonnement.
Ce que je vous dis, c'est que la loi et la Charte renferment des principes d'égalité sans qu'on nous fournisse les outils pour les appliquer, et je crois que cela va causer des difficultés. Elles seront sûrement évoquées au tribunal, et c'est pourquoi j'espère que le comité pourra régler certains de ces problèmes.
Je vais aussi vous parler d'un problème que nous avons tous à propos du placement sous garde. Il est dit au paragraphe 38(5) que «le placement sous garde ne doit pas se substituer à des services de protection de la jeunesse ou de santé mentale, ou à d'autres mesures sociales plus appropriées». Il y a une disposition semblable dans la Loi sur les jeunes contrevenants.
Je vous avoue tout de suite que j'enfreins cette disposition tous les jours. Je substitue le placement sous garde à des services de protection de la jeunesse ou de santé mentale ou à d'autres mesures sociales plus appropriées parce que ces services ne sont pas à ma disposition.
• 1545
Je vais vous donner un exemple. Récemment, j'ai statué sur le
cas d'une fillette de 13 ans que l'on a retrouvée dans un banc de
neige derrière son école, ivre morte, son pantalon abaissé
jusqu'aux chevilles. Elle n'avait aucune idée de ce qui lui était
arrivé.
Elle a été placée sous garde pour consommation d'alcool par un mineur. Elle était peut-être aussi en probation.
Je ne l'ai pas libérée. Cette fillette, cette enfant, aurait dû être confiée au système de protection de l'enfance. Trop souvent, par contre, si l'enfant est malcommode et exige davantage de ressources que la normale, le système de protection de l'enfance ne tarde pas à le confier au système de justice pénale dès l'âge de 12 ans.
Le paragraphe 38(5) est un principe merveilleux, auquel nous souscrivons tous, mais sans les ressources nécessaires de l'autre côté, il n'y a pas, ou il y a très peu—ou ils ne sont pas à votre disposition lorsque vous en avez besoin—«de services de protection de la jeunesse ou de santé mentale, ou d'autres mesures sociales plus appropriées». Nous tous, juges de tribunaux pour la jeunesse, nous nous retrouvons à enfreindre cette disposition à tout bout de champ. Nous n'avons pas le choix.
Il serait très utile pour moi—et je sais que je parle au nom des deux collègues qui sont à mes côtés, parce que je leur en ai parlé—de faire en sorte que ce nouveau texte autorise expressément un juge du tribunal pour la jeunesse à confier un jeune, à l'audience de mise en liberté ou de prononcé de la peine, à un organisme de protection de l'enfance pour y être évalué de manière à voir s'il a besoin de protection. Je sais qu'il y a ici une limite relative aux articles 91 et 92 que je ne peux pas franchir. Je sais que je ne peux pas envoyer l'enfant là-bas, mais je ne pense pas enfreindre les principes des articles 91 et 92 si j'ai le pouvoir de faire évaluer l'enfant et de demander un rapport.
Comme vous le savez, la loi me fait obligation de n'imposer le placement sous garde qu'en dernier recours, après avoir examiné toutes les mesures de rechange. Voilà sûrement une mesure de rechange si la place de l'enfant est dans le système de protection de l'enfance, mais je ne peux pas la mettre là. Il serait très utile que je puisse la lui confier et que je reçoive un rapport.
Je sais que nous disposons de peu de temps, mais je voudrais aussi parler de ce que j'appelle les dispositions sur «la peine obligatoire» dans la nouvelle loi. C'est en fait une forme de loi de la deuxième récidive, comme cela existe aux États-Unis. Vous savez peut-être que l'Australie de l'Ouest et le territoire du Nord de l'Australie ont aussi adopté des mécanismes semblables. Ces deux États comptent une population aborigène importante.
Les dispositions sur la peine obligatoire dans ce texte—applicables à la deuxième récidive—dépendent de la définition d'«infraction grave avec violence», que l'on retrouve à l'article 2.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je me demandais si vous pourriez finir rapidement. Si je vous dis cela, c'est parce que nous disposerons de peu de temps pour vous poser des questions, et nous tenons à vous en poser.
Le juge en chef Heino Lilles: Oui. Tout à fait. Je vais uniquement parler de ceci, monsieur le président.
Je vous le dis, cette définition est imprécise et peut-être vague du point de vue constitutionnel. J'ignore ce que cela veut dire. Je l'ai lue, j'ai lu le texte de loi, je l'ai bien parcouru. Si vous demandiez aujourd'hui si une infraction donnée correspond à cette définition, je ne pourrais sans doute pas vous répondre. Or, pour l'application de tout le texte de loi, c'est le critère en fonction duquel il y a présomption de renvoi à une peine applicable aux adultes.
Mes collègues conviendront avec moi, je crois, que c'est ce qui détermine l'imposition d'une peine pour adultes. Je vous le dis, le procureur dispose aussi d'une grande latitude dans la décision d'appliquer ou non cette disposition.
Je peux aussi vous dire que nous disposons de bons travaux de recherche en provenance des États-Unis et de l'Australie qui montrent très clairement que la «loi de deuxième récidive accentue et exagère la discrimination systémique dans le système de justice».
Vous ne serez pas étonnés d'entendre que l'imposition obligatoire d'une peine a un effet radical et disproportionné sur les Noirs qui se retrouvent en prison aux États-Unis et sur les Aborigènes de l'Australie de l'Ouest et du Territoire du Nord, qui se retrouvent en nombre disproportionné en prison. Quand je pense à notre population autochtone, qui est déjà sur-représentée dans nos prisons, je crains beaucoup que cette formule ne soit pas constructive du tout et augmente le nombre de jeunes qui se retrouvent emprisonnés.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, juge Lilles.
Qui veut être le suivant?
Juge Jasmin, à vous la parole.
[Français]
Le juge Michel Jasmin (juge en chef adjoint du Tribunal de la jeunesse du Québec et président du Groupe de travail chargé d'étudier l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants du Québec): Je vais vous donner rapidement mon curriculum vitae et vous dire que mon opinion personnelle est fondée sur une carrière de 20 ans en qualité de juge auprès des enfants. J'ai été juge en chef de la Chambre de la jeunesse et j'ai formé un groupe de travail.
Je crois qu'il s'agit fondamentalement d'un problème au niveau de l'application de la loi. On aura beau apporter des changements à la loi, tant et aussi longtemps que ce problème n'aura pas été résolu, on n'arrivera absolument à rien pour les jeunes.
L'exemple que j'emploie souvent est le suivant. Le gouvernement fédéral fournit une automobile et ce sont les provinces qui en sont le conducteur. Chaque fois que la loi ne fonctionne pas, on demande au gouvernement fédéral de changer l'automobile. Moi, je vous dis qu'il serait temps de questionner le chauffeur de l'automobile et de demander aux provinces ce qu'elles ont fait de la loi que le fédéral leur a donnée. Avant de modifier la loi, il faudrait leur demander quelles sont leurs politiques en matière d'application de la loi à la jeunesse. Voilà ce qui m'apparaît fondamental.
Pendant trois ans, j'ai interrogé des policiers, des jeunes en centre d'accueil, des victimes, des parents et des gens sur la rue. Le ministère de la Justice du Québec et le ministère des Affaires sociales ont parcouru toute la province pendant ces trois années. Nous en sommes arrivés à la conclusion que c'était un problème d'application de la loi. J'ai fait ce qu'on appelle en anglais le beat avec les policiers. Je suis allé dans la rue avec les policiers le vendredi soir à Montréal, au mois de juin, pour voir dans quels milieux se tenaient les jeunes. Je suis allé sur le terrain.
Nous avons constaté qu'il y avait absence d'une politique jeunesse. On a demandé aux corps policiers de quelle façon ils abordaient un jeune lorsqu'ils l'arrêtaient. Pour les policiers, les jeunes ne sont pas les ligues majeures; ce sont les ligue mineures. Chaque fois que la Couronne, les juges ou les avocats se retrouvent face à cette question d'application de la loi, ils constatent que lorsqu'on fait affaire avec les jeunes, on dirait qu'il n'y a pas de politique jeunesse. Peu importe les modifications que renfermera la nouvelle loi, si on n'a pas résolu ce premier problème fondamental, dans trois ou quatre ans, il n'y aura plus de Loi sur les jeunes contrevenants. On dira tout simplement que le Code criminel s'applique aux jeunes de 16, 17 et 18 ans.
Je vous ai apporté un résumé de notre rapport. Malheureusement, moi qui suis du Québec, j'en ai oublié la version française à mon bureau et je n'ai apporté dans mon porte-documents que la version anglaise.
Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Ça va mal.
Le juge Michel Jasmin: Oui, ça va mal. Je dois vous avouer que je souffre de maux de dos et que je m'étais dépêché à boucler mon porte-documents.
On doit d'abord signaler la grande complexité de ce projet de loi. Je n'ai jamais vu une loi qui soit aussi complexe que celle-ci aux yeux des jeunes et de leurs parents. On n'a qu'à regarder le début du projet de loi. La déclaration de principes et les objectifs sont énoncés dans six articles qui se subdivisent en 16 paragraphes, 34 alinéas et 4 sous-alinéas, si on ne tient pas compte du préambule. Je dois vous dire que la loi qui ressemble le plus à celle-ci est la Loi de l'impôt sur le revenu. On n'a qu'à faire la lecture de l'article 42 pour le constater:
-
42. Sous réserve du paragraphe 41(13), l'adolescent
assujetti à une peine infligée en application des
alinéas 41(2)n), p) ou q) et à qui une peine
supplémentaire est infligée en application de l'un de
ces alinéas est, pour l'application du Code
criminel, de la Loi sur les prisons et les maisons
de correction, de la
la Loi sur le système correctionnel et la mise en
liberté sous condition et de la
présente loi, réputé n'avoir été condamné qu'à une
seule peine commençant le jour du début de l'exécution
de la première et se terminant à
l'expiration de la dernière.
• 1555
Savez-vous ce
le gouvernement fédéral a fait à l'intention des
juges en matière criminelle? Ses spécialistes, des
comptables, nous ont envoyé un livre pour nous
enseigner comment calculer les peines. Pouvez-vous
vous imaginer comment on pourra réussir à expliquer les
dispositions de cette nouvelle loi à des parents ou à
des jeunes?
Cet exercice de calcul des peines est un exercice pour
adultes. Nous, les juges, n'arrivons pas à le faire
seuls. Nous devons suivre des cours.
C'est une loi très compliquée.
J'ai demandé à une professeure de la faculté de droit de l'Université du Québec à Montréal de me faire un exposé sur cette loi-là. Elle m'a dit qu'une loi aussi complexe était d'abord et avant tout un déni de justice pour les jeunes. Une loi aussi complexe représente donc déjà un déni de justice pour les jeunes.
Je vous dis de refaire vos devoirs et d'essayer de reformuler cette loi. On passe de 70 articles dans la loi actuelle à 164 articles dans le projet de loi. C'est absolument impensable de croire qu'on pourra s'y retrouver.
Peu importe les modifications que vous déciderez d'y apporter, vous devrez inscrire dans la déclaration de principes la notion de temps. Pour les jeunes, cette notion de temps est pratiquement ce qu'il y a de plus important. Je ne sais pas si vous êtes tous des pères ou des mères de famille, mais si vous prêtiez votre automobile à votre fils de 16 ans le samedi soir à condition qu'il entre à la maison à minuit et ne consomme pas d'alcool, et qu'il ne rentrait qu'à 2 heures du matin, sentant la bière, je ne crois pas que le dimanche matin, au café, vous lui diriez que vous allez retarder votre décision de trois semaines. Non, comme parents, vous rendriez une décision immédiatement. Pour le jeune, ce serait une punition, mais si vous attendiez trois semaines, cela deviendrait un acte vindicatif. Je crois qu'il s'agit d'un principe qu'on doit invoquer si on veut travailler avec les jeunes. On doit inclure dans la déclaration de principes la notion de temps en rapport avec toute intervention auprès d'un jeune, sinon ce sera l'échec.
La notion de temps est présente partout. Pendant que nous préparions notre rapport, nous avions demandé aux policiers combien de temps il leur fallait pour rédiger une plainte. Ils nous ont répondu qu'il leur fallait trois semaines. Combien de temps faut-il au procureur de la Couronne pour déposer la plainte? Quatre semaines. Combien de temps faut-il attendre pour comparaître devant la cour? Quatre, cinq ou six semaines. Il s'écoule parfois de huit à 12 mois entre l'arrestation du jeune et sa prise en charge. Que fait le jeune pendant ce temps? Il se dit que les adultes ne sont pas sérieux face à lui et qu'il va récidiver. Je sais qu'en inscrivant la notion de temps dans la déclaration de principes, vous saurez exercer de la pression sur les provinces.
J'aimerais vous faire part d'un article au sujet de 27 États américains qui ont inscrit dans leur loi cette notion de temps, qui m'apparaît primordiale. Le temps joue toujours en faveur du jeune.
J'ai été entraîneur de hockey pendant 10 ans et je peux vous dire que lorsqu'un jeune de 12 ans revient l'année suivante, il a beaucoup grandi. Il était un bon joueur l'année dernière, mais il est maintenant déséquilibré et il s'écrase parce que sa stature a changé et que son centre de gravité n'est plus le même. Le jeune est en progrès. Puisque c'est une loi qui touche les jeunes, inscrivez-y des notions pour les jeunes. Sinon, ce sera un échec.
J'ai une foule de choses à vous dire, mais j'aimerais parler en dernier lieu de la définition d'un adolescent. Dans la loi, on ne devrait pas se contenter de stipuler qu'il s'agit d'un jeune de 12 à 17 ans. On devrait définir un adolescent comme une personne qui est en devenir, en progrès. On devrait définir sa fonction d'adolescent et préciser qu'il est en voie de développement. On devrait tenir compte de plusieurs facteurs relatifs à cette personne.
Lorsque j'ai lu ce projet de loi, j'en suis arrivé à la conclusion suivante. La Loi sur les jeunes contrevenants actuelle porte sur le jeune qui commet une infraction, tandis que la nouvelle loi porterait sur l'infraction qu'a commise un jeune.
Excusez-moi d'avoir peut-être pris trop de temps.
[Traduction]
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, juge Jasmin. En fait, vous n'avez pas employé tout le temps qui vous était accordé.
Je tiens à vous dire que je me sens mieux après vous avoir entendu, parce que je ne suis pas avocat, et il y a des choses que je ne comprends pas non plus. C'est réconfortant d'apprendre que vous ne comprenez pas non plus.
Le juge Michel Jasmin: Imaginez ce que c'est pour les jeunes.
Le vice-président (M. Ivan Grose): C'est vrai.
Qui veut être le suivant? Juge Kirkland?
Le juge Kent Kirkland (juge, Cour de justice de l'Ontario, Division est; témoignage à titre personnel): Oui, je vais finir pour le groupe de trois juges qui ont discuté de ces questions. Je ne vais pas ajouter grand-chose, mais je voulais revenir sur deux points.
D'abord, comme mon collègue, le juge Lilles, je préside un tribunal pour la jeunesse, un tribunal de protection de l'enfance et un tribunal pour adultes. Il m'est arrivé la même chose que lui. C'est-à-dire que je vois les mêmes familles et ceux qui passent d'une filière à l'autre. Je suis juge depuis 21 ans et j'ai vu beaucoup de progrès dans le système de justice pour ceux qui s'y sont retrouvés jeunes, mais qui se sont aussi retrouvés dans le système de justice à l'âge adulte.
Je veux faire une observation qui reprend un des éléments mentionnés par le juge Lilles et un autre du juge Jasmin. Le juge Lilles et le juge Jasmin ont tous les deux parlé du facteur temps et du facteur de complexité. Le juge Jasmin vient d'en parler. Nous-mêmes nous avons essayé, dans certains cas, de passer en revue ce projet de loi et d'en faire l'analyse pour bien comprendre un certain nombre d'articles ou de questions précises. Plus nous l'avons examiné, plus cela nous a paru complexe.
Le juge Lilles, après avoir pris connaissance du texte, a conclu que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, dont vous êtes saisis, prévoit 13 audiences devant un juge qui n'existe pas dans la loi actuelle. Il est certain que cela accroît la complexité si l'on ajoute de nouvelles audiences entre l'étape de l'accusation et celle de la peine. Je ne vais pas les énumérer toutes les 13. Si vous voulez savoir ce qu'elles sont, j'ai la liste, mais je ne vais pas faire perdre le temps du comité en vous énumérant tous les numéros d'articles. Ils ajoutent à la complexité du texte, mais, surtout, ils ajoutent au délai nécessaire à l'instruction d'une affaire.
Je suis tout à fait d'accord avec le juge Jasmin lorsqu'il dit que la conception du temps d'un jeune est bien différente de celle d'un adulte. Si mon enfant fait une bêtise aujourd'hui, je ne lui en parle pas deux semaines plus tard. C'est comme ce qu'a dit le juge Jasmin à propos de votre fils qui prend la voiture pour la soirée. De la même façon, si un jeune comparaît devant moi en février et que je statue sur son cas en juillet, cela a beaucoup moins de poids. Il est encore beaucoup plus difficile pour moi d'avoir le même effet sur lui quand il a comparu la première fois, parce que c'est maintenant une vieille histoire. C'est la réalité. L'impact d'une infraction ou des circonstances qui l'entourent s'atténue. Je suis tout à fait d'accord avec le juge Jasmin pour réclamer qu'il y ait dans le préambule ou ailleurs une indication que le tribunal, le ministère public, etc., doivent respecter certains délais.
Je ne pense pas que l'on puisse les fixer dans le texte de loi, parce que cela ne ferait que créer des difficultés. Les délais ne seront pas respectés. C'est particulièrement le cas dans la loi sur la protection de la jeunesse. Il y a des délais très stricts, et ils ne sont pas respectés. Moi-même je ne les respecte pas; je sais donc que cela arrive. Mais s'il y avait au moins une instruction, comme le juge Jasmin l'a dit, cela nous rappellerait que nous traitons avec des jeunes.
La seule autre question dont je vais parler a été soulevée par mon collègue, le juge Lilles. C'est à propos de ce qu'il a dit au sujet du placement sous garde, qui se substitue trop souvent au placement auprès des services de protection de l'enfance. Cela se fait maintenant. Moi aussi je fais mon mea-culpa parce que je place des jeunes sous garde parce que je n'ai pas d'autre choix.
Je sais que ce sont les provinces qui sont au premier chef chargées de fournir les ressources pour les peines ne comportant pas de placement sous garde, ou même pour le placement sous garde, et qui doivent se débrouiller lorsqu'il y a des problèmes.
• 1605
Il y a tant de jeunes qui comparaissent devant nos tribunaux,
et vous avez entendu l'exemple que le juge Lilles vous a donné. Je
vais vous en donner un autre—et je vais conclure là-dessus—parce
que je pense que cela vous permettra de voir quel est notre lot
quotidien. Vous regardez la télévision et vous voyez des jeunes qui
sont poursuivis, trouvés coupables et condamnés à une peine. Cela
donne l'impression que c'est ainsi que cela se passe en cour, et
c'est le cas parfois. Mais vous avez entendu le juge Lilles vous
raconter un cas où ce n'est pas exactement arrivé comme ça. Je vais
vous en raconter un autre qui est arrivé à Terre-Neuve.
Un de mes collègues siégeait au tribunal et a vu devant lui Johnny—appelons-le comme cela—pour la huitième fois à peu près pour avoir commis un petit méfait dans son village. Ce n'est pas de la grande délinquance: il ne va pas devenir un tueur en série ou commettre quoi que ce soit de plus grave à l'âge adulte que de petits méfaits. Exaspéré, mon collègue finit par lui demander ce qu'il doit faire pour ne plus jamais le revoir dans son tribunal. Johnny, qui regardait le sol, finit par lever la tête et demande au juge de dire à son père d'arrêter de lui enfoncer la tête dans la toilette.
Qui est la victime ici? Est-ce que c'est Johnny? Est-ce que c'est la société? Je pense qu'il y a beaucoup de victimes ici, et cela ne va pas aider Johnny d'être placé dans un lieu de garde où quelqu'un va lui montrer comment crocheter une serrure, voler une voiture ou trafiquer le démarrage d'une voiture. La question du placement sous garde comme substitution aux mesures de protection de l'enfance ou de peines ne comportant pas de placement sous garde est une question sérieuse. Je pense moi aussi que vous devriez au moins nous donner la possibilité d'inviter les services de protection de l'enfance à faire une évaluation et à participer à l'octroi de soins appropriés pour les jeunes.
Merci.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, juge Kirkland. J'ai relevé votre allusion à la bande des trois. Il me semble bien avoir déjà entendu l'expression dans un autre contexte.
Juge Kent Kirkland: Je ne pense pas avoir employé le mot «bande».
Le vice-président (M. Ivan Grose): C'est une variante.
Juge Allard, vous avez la parole.
M. Herbert Allard (juge en chef à la retraite, Tribunal pour la jeunesse de Calgary; témoignage à titre personnel): Tout d'abord, j'aimerais savoir combien d'entre vous ont une copie du document que j'ai fait parvenir au greffier du comité pour être distribué et traduit. J'ai préparé un document à l'avance, mais je crois que vous ne l'avez pas sous la main.
Mme Pierrette Venne: Non, nous ne l'avons pas.
M. Herbert Allard: C'est dommage, mais, quoi qu'il en soit, je vais essayer de discuter rapidement des questions que je vous avais envoyées à l'avance.
Chacun d'entre nous vous a en quelque sorte montré sa crédibilité...
Le vice-président (M. Ivan Grose): Juge Allard, je voudrais vous dire que le document a déjà été remis à nos bureaux. Cela faisait partie de mes lectures de minuit. Je ne sais pas ce qui en est des autres, mais j'imagine que c'est la même chose.
M. Herbert Allard: Merci.
Je pense qu'il est bon de revendiquer une certaine expertise lorsque l'on comparaît sur un sujet très controversé ou très émotif. Je fréquente le système de justice pénale pour les adolescents depuis mon tout jeune âge. J'en ai fait partie quand j'étais enfant, j'y ai travaillé pendant 48 ans, et j'ai été juge administratif au tribunal pour la jeunesse et au tribunal de la famille pendant 37 ans. J'ai été directeur adjoint des services sociaux d'une ville. J'ai dirigé un programme de protection de l'enfance. J'ai été un pionnier de la protection de l'enfance autochtone, des services du tribunal pour la famille et des programmes de lutte contre la violence familiale, autant de formules qui viennent d'être redécouvertes. Si l'on vit assez vieux, on s'aperçoit que l'on réinvente effectivement la roue.
J'ai participé à une étude nationale, que certains d'entre vous connaissent, sur les infractions sexuelles commises contre les enfants, un programme que l'on est aujourd'hui en train de redécouvrir. Nous avons débattu de l'âge du consentement. Comme vous le savez, nous pénalisions le comportement sexuel des adolescents, tout comme on pénalisait le vagabondage, et aujourd'hui on redécouvre cela. On redécouvre la roue.
J'ai effectué la première étude nationale des juges des tribunaux pour la jeunesse au Canada en 1967, pour l'Association canadienne des juges des cours pour jeunes délinquants, et nous avons examiné beaucoup des mêmes questions que l'on étudie aujourd'hui.
Je ne veux pas avoir l'air d'un vieux casse-pieds, parce que moi aussi j'ai été une victime. Un de mes enfants a failli être tué. Mes enfants ont été menacés et mes vitres brisées, dans tous les cas par des hommes qui ne voulaient pas subvenir aux besoins de leurs femmes, quelque chose que je trouve fascinant. Je n'ai pas eu beaucoup de difficulté avec les jeunes. Je me souviens d'avoir demandé à un jeune ce qu'il s'attendait à ce que je fasse; il m'a répondu que j'étais payé pour le savoir. Je n'ai jamais plus reposé cette question.
• 1610
Mais il y a des thèmes que l'on retrouve dans tout ceci.
Lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants, la loi actuelle, a été
adoptée, c'était l'expression de la méthode dure, d'après les
médias. Voici une autre forme de méthode dure. Jusqu'où faut-il
aller avant d'avoir le sentiment qu'on a mis au pilori suffisamment
de jeunes dans notre société pour qu'on se sente bien et en sûreté?
Je vois dans ce texte un petit tribunal pénal qui repose sur des idées erronées, à savoir que la criminalité chez les jeunes est en plein dérapage, que l'on ne fait rien d'autre que de leur donner une tape sur les doigts. Vous avez entendu tout ça. Ce sont là des distorsions grossières de la réalité de la situation dans laquelle se trouvent les enfants au Canada.
Je suis d'accord, et je voudrais ajouter à cela le facteur temps. Par exemple, quand je regarde ces choses sur les peines, je trouve que ce sont les choses les plus barbares que j'aie jamais lues à propos d'enfants dans ma vie. Comme je l'ai dit, j'ai occupé bien des fonctions—je donne encore des conférences à l'université sur le sujet—en plus de 50 ans. Deux mois pour un enfant, c'est une éternité quand cela signifie perdre sa liberté ou être envoyé ailleurs. Les enfants qui vont dans les internats les plus luxueux ou en Suisse se mettent à pleurer lorsqu'ils y sont envoyés pour sept ou huit mois. C'est une éternité. Ils perdent leurs amis. Échouer son année, ne pas être en classe pendant un an, c'est une éternité. Pourtant, on parle avec désinvolture d'imposer l'emprisonnement à perpétuité sans libération conditionnelle à un jeune de 14 ans. À 14 ans?
Je trouve incroyable que certains croient que si nous emprisonnons plus de gens et que nous recrutons plus de policiers, nous aurons le pays le plus sûr du monde. Ces gens se trompent. À ce compte, ce sont les États-Unis qui devraient être le pays le plus sûr du monde.
Je ne veux pas faire preuve de trop d'émotivité et je me contenterai donc de relever une ou deux bonnes choses au sujet du projet de loi. Je suis à tout le moins heureux qu'on ait conservé les limites de 12 et de 18 ans. À un moment donné, j'ai pensé qu'on incarcérerait plus tôt encore plus d'adolescents. J'ai vraiment eu l'impression que c'était ce qu'on allait recommander. J'estime donc qu'on a maintenu ce que je considère comme étant des limites raisonnables.
Autrefois, on allait jusqu'à considérer les enfants de sept ans comme des contrevenants. Vous savez sans doute que la Cour européenne a déploré la façon dont on avait mené, en Angleterre, l'affaire Bulger mettant en cause des enfants de dix ans. Les jeunes enfants ne comprennent tout simplement pas le processus pénal. Ils font une distinction entre le bien et le mal, mais j'estime qu'ils ne comprennent pas le processus pénal.
Soit dit en passant, je pense qu'on devrait demander à un adolescent de 14 ans de lire cette loi pour voir s'il la comprend, étant donné qu'elle est censée viser les jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Je l'ai moi-même lue 15 fois et je ne comprends toujours pas quelles sont les véritables limites en ce qui touche la peine. À titre d'exemple, je ne sais pas si les adolescents qui sont traités comme des adultes et à qui on impose une peine d'adulte sont assujettis aux mêmes dispositions en ce qui touche la liberté conditionnelle que les adultes. À l'heure actuelle, dans la plupart des provinces, les adolescents purgent une partie plus importante de leur peine que les adultes ayant commis le même type de crime parce qu'ils n'ont pas obligatoirement droit à la libération conditionnelle. Je ne m'oppose pas à la notion de libération conditionnelle. Je pense que ce mécanisme peut être utile. Si l'on impose cependant à un adolescent une peine de trois ans sans possibilité de libération conditionnelle, cela équivaut à une peine de neuf ans pour un adulte. À mon sens, cela n'est pas juste.
Cela revient à notre préoccupation au sujet de la sécurité du public. Nous cherchons des solutions simples et peu coûteuses à ce problème. Nous hésitons toujours entre la réadaptation et le châtiment. Nous n'arrivons pas à nous décider là-dessus. Dans le cas des adolescents, nous réclamons, par exemple, un renvoi présomptif vers un tribunal pour adultes et l'imposition de peines minimales pour certains crimes. Nous réclamons des peines consécutives pour les adultes et nous les réclamerons également pour les enfants.
Le fait de recueillir une déclaration auprès d'un enfant pose aussi des difficultés. Comme adultes, nous savons par expérience qu'il ne sert à rien de dire à un enfant de 12, de 13 ou de 14 ans qu'il a le droit au silence. Les enfants pensent souvent que les personnes exerçant l'autorité les traiteront bien s'ils disent un certain type de vérité et que le fait de dire la vérité ne peut qu'entraîner de bonnes choses. Nous élevons nos enfants de cette façon. Nous confondons cependant ce qui est moral et ce qui est légal. Nous ne savons pas non plus comment sortir de ce dilemme.
La même chose vaut pour les dispositions touchant le transfert. La question des transferts pose problème depuis 1908. Il existe des cas bien connus en droit où le transfert a été retardé. J'ai d'abord cru que la disposition sur le transfert était bonne parce que je me suis dit que la décision relative au transfert serait prise après que l'innocence ou la culpabilité de l'adolescent aura été établie. La pratique actuelle, soit dit en passant, encourage l'abus d'accusation de la part de la police parce qu'il y a alors renversement du fardeau de la preuve. J'ai pensé que ce n'était pas une mauvaise chose parce que cela accélérerait le processus. À mon sens, il ne s'agit cependant pas d'un bon compromis, étant donné qu'un adolescent de 14 ans peut se voir imposer une peine d'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle.
Si on y réfléchit, on pourrait même parler des précédents au Canada où des jeunes, à tort, ont été reconnus coupables au même titre que des adultes. Marshall, Morin, Milgaard, et maintenant un garçon de Terre-Neuve, avaient 16 et 17 ans lorsqu'on a porté les premières accusations contre eux. Je crois que le projet de loi reflète une conception intéressante des enfants, et notamment des enfants qui ont des démêlés avec la justice.
• 1615
Je crois vous en avoir assez dit pour l'instant. J'aimerais
maintenant essayer de répondre à vos questions en me reportant à
mon expérience.
Le débat qui s'est engagé au Canada sur ces questions a été mené par des personnes qui ne disposent pas de l'information voulue. Ainsi, pourquoi voudrions-nous reproduire le système pour adultes? Tout le monde s'entend pour dire qu'il est un échec. Dans ce cas, pourquoi voudrions-nous appliquer aux enfants les mêmes mesures qu'aux adultes? Est-ce tout ce que nous pouvons faire pour les enfants de ce pays?
N'y aurait-il pas mieux à faire aussi que de punir des parents? Les parents que j'ai rencontrés au cours de ma carrière étaient d'ordinaire désespérés et pauvres. Il y a aussi la question très concrète de savoir de quels parents nous parlons. Tout le monde oublie que la grand-mère aimante est aussi une belle-mère. Certains d'entre vous sont suffisamment âgés pour savoir ce que je veux dire.
Nous savons aussi que les camps de type militaire ne fonctionnent pas. Ils sont cependant très bien vus dans le pays. Je suis fasciné de voir que le camp de type militaire qui existe en Alberta est une bonne institution. J'espère que le gouvernement ne se rendra pas compte que le personnel qui y est affecté est très bon et que cet établissement n'est pas dirigé comme un camp de type militaire. Les employés qui y travaillent ont à coeur le bien-être des détenus et veulent les aider à changer de vie.
On ne demande jamais aux employés qui travaillent dans des établissements de détention qu'ils aient la capacité d'aider les gens à changer de vie. On leur demande simplement d'emprisonner les gens et de faire en sorte d'éviter qu'ils ne s'échappent. À mon avis, ce n'est pas une façon d'amener les enfants à changer. Peut- être parvient-on à court terme à protéger ainsi la société, mais c'est peine perdue à long terme si l'on n'amène pas les gens à changer.
Ces propos modérés mettent fin à mon exposé. J'espère que vous me poserez des questions qui me permettront d'exprimer mes vues sur l'évolution de la situation de façon moins modérée.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous remercie, juge Allard.
Nous tenons des audiences sur cette question depuis un certain temps déjà, messieurs, et je peux vous assurer que vous avez abordé aujourd'hui le sujet sous un angle nouveau. Je m'attends à ce que l'échange qui suivra soit très animé.
J'accorde d'abord la parole à M. Cadman. Vous avez sept minutes.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie aussi tous nos témoins de leur présence ici aujourd'hui.
Juge Lilles, vous avez mentionné le paragraphe 10(2) du projet de loi, qui porte sur les sanctions extrajudiciaires qui peuvent être imposées par le procureur général. Je présume qu'il est possible d'assurer l'uniformité à cet égard. Comment retirer ce pouvoir au procureur général et s'assurer que les programmes qui sont mis en oeuvre dans tout le pays sont cohérents et efficaces? Quelles mesures doit-on prendre à cet égard? Ma question s'adresse à vous tous.
Le juge en chef Heino Lilles: Je pense que ce genre d'uniformité et de contrôle ne sont pas souhaitables. Les programmes extrajudiciaires qui existent dans le pays ne reposent pas tous sur les mêmes principes, mais ils sont axés sur les besoins des collectivités.
Il est possible de tirer des enseignements des meilleurs programmes. Autrement dit, si tous les programmes sont uniformes, il y a de bonnes chances pour qu'ils soient médiocres. Il est bon de pouvoir tirer parti des initiatives nouvelles qui donnent de bons résultats pour améliorer les programmes en place. Je ne pense pas nécessairement que l'uniformité soit souhaitable.
C'est mon avis, mais peut-être que certains de mes collègues...
M. Chuck Cadman: Permettez-moi de vous interrompre. Le mot «contrôle» était sans doute mal choisi. Je songeais plutôt à une certaine uniformisation. Il peut exister 10, 15 ou 20 bons programmes qui ne reposent pas sur les mêmes principes, mais il peut y en avoir un qui est inefficace et qu'on ne remet pas en cause. Comment assurer le contrôle de la qualité sans qu'il y ait nécessairement uniformisation?
Le juge en chef Heino Lilles: Nous pouvons prendre certaines mesures pour indiquer la tendance à suivre. Les gouvernements produisent actuellement des manuels et des lignes directrices destinés aux collectivités. Les gouvernements peuvent obliger les collectivités à appliquer certaines normes si elles veulent obtenir des fonds. Je crois qu'il y a donc des façons de favoriser les bonnes initiatives sans décourager la créativité.
Combien existe-t-il à l'heure actuelle de programmes autorisés par le procureur général qui font appel à des mesures comme les groupes consultatifs? Je n'en connais aucun. Je connais environ 20 programmes faisant appel aux groupes consultatifs dans des collectivités de la Colombie-Britannique. Aucun de ces programmes n'est autorisé par le procureur général.
• 1620
Le fait qu'il existe déjà 20 programmes de ce genre en
Colombie-Britannique est assez impressionnant, compte tenu du fait
que cette loi serait la première à reconnaître ce genre de
mécanisme. En fait, le projet de loi reflète simplement ce qui
existe déjà en Colombie-Britannique. Le programme qui a servi de
modèle pour ce projet de loi est le programme Sparwood.
M. Chuck Cadman: Je crois que le programme de Maple Ridge est autorisé par le procureur général, mais c'est le seul.
M. Herbert Allard: Il s'agit d'une question importante, parce que la loi actuelle prévoit ce qu'on appelle des comités de la justice pour les jeunes. Les procureurs généraux des provinces fixent le mandat de ces comités ainsi que les critères d'admissibilité à ces comités.
Au sujet du point 12 de mon mémoire, permettez-moi de vous lire simplement... Je devrais cependant revenir un peu en arrière. J'ai mis en oeuvre ce genre de programme à Calgary de 1949 à 1952 ou 1953. On appelait autrefois ce genre de programme une entente officieuse. Ces programmes étaient approuvés par la police. Nous y avons mis fin pour la raison que vous invoquez, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas d'uniformité dans la collectivité.
Si l'on avait les cheveux courts et qu'on disait «monsieur» à un endroit, on échappait aux accusations. Si l'on avait les cheveux longs et qu'on appartenait à une minorité visible et qu'on disait des mauvais mots, on n'y échappait pas. On ne décidait pas de porter des accusations selon le crime qui avait été commis, mais selon que le contrevenant manifestait ou non du repentir.
J'ai appris très tôt dans mon travail devant les tribunaux que seuls les fous ne manifestent aucun repentir. Il suffit de se lever, de dire «monsieur» et de jouer le jeu. C'est ce qu'on peut reprocher aux excuses qui sont faites aux victimes. Seul un fou ne se servirait pas non plus de la religion. Si l'on veut être libéré plus tôt, on invoque la religion. L'Armée du Salut le fait depuis 50 ans. Je ne veux pas donner l'impression de mépriser qui que ce soit, car je ne fais qu'exposer les faits.
Il faut s'inquiéter des écarts qui peuvent exister à l'étape qui précède le procès. On le fait bien pour ce qui est du prononcé de la peine. On veut, par exemple, éviter qu'il y ait des écarts dans les transferts au Canada. Certaines provinces transfèrent tous les détenus qu'elles peuvent et d'autres presque aucun. Je peux vous dire quelles sont les provinces où les transferts sont difficiles. Il y a aussi la question du pouvoir discrétionnaire qui est accordé au procureur général et à la police. Des pouvoirs discrétionnaires sont conférés non seulement au procureur général, mais aussi aux forces policières. Le débat à cet égard n'est pas nouveau.
J'ai des réserves au sujet de toute la notion de justice alternative parce qu'elle présente des risques. Je décris les comités de la justice pour les jeunes comme des groupes de justiciers bienveillants. Si ces comités ne sont pas bien encadrés, ils peuvent vraiment outrepasser leurs pouvoirs. Certains des membres de ces comités que j'ai rencontrés pensent même qu'ils doivent être plus durs que les tribunaux. Voici ce qu'ils pensent: «Les tribunaux n'ont pas fait leur travail, et nous devons faire mieux qu'eux. Mme Smith, au bout de la rue, sait vraiment ce qu'il faut faire avec ces méchants enfants.»
J'ai peut-être une conception un peu vieillotte de la justice. Des mesures de rechange qui existent maintenant étaient autrefois considérées comme des mesures aggravant un acte délictueux grave. Dans le nouveau système, il s'agit d'en arriver à une entente que personne ne pourra refuser. Autrefois, si l'on cherchait à se soustraire à la justice, on commettait un crime. On considérait comme dangereux le fait de demander à quelqu'un d'indemniser une victime ou de faire du travail communautaire, parce que c'était quelque chose qui lui était imposé. On a remplacé la notion d'aggravation de l'acte délictueux grave par des mesures de rechange.
Il y a lieu de s'inquiéter de l'importance qui est accordée à la déclaration de la victime. Le juge doit-il imposer une peine plus sévère si la victime en veut toujours à son agresseur? Doit-il imposer une peine plus légère si celle-ci lui a pardonné? Nous n'avons pas réfléchi à cela. Nous pensons qu'il y a quelque chose de magique à faire participer les victimes au processus. À mon avis, c'est beaucoup plus compliqué que cela.
J'ai mis en oeuvre ces programmes et je sais qu'ils ne sont efficaces que dans la mesure où ils sont bien mis en oeuvre. Certains d'entre eux présentent vraiment beaucoup de risques. J'ai entendu des victimes dire à des adolescents en cour: «Je veux que tu pourrisses en enfer pour toujours.» J'ai dû leur dire que ce qui se passait en enfer n'était pas de mon ressort.
Des voix: Oh, oh!
M. Herbert Allard: Que dire au sujet de ces programmes et comment les mettre en oeuvre? On peut bien écrire des pages et des pages là-dessus, mais le juge Lilles et moi ne partageons pas toujours la même position sur ces questions, et notamment sur la confiance qu'il faut accorder à la collectivité. Je crois que l'on attend beaucoup trop actuellement de la collectivité. Comment la collectivité peut-elle s'occuper des délinquants si elle n'a pas les ressources voulues?
Ce qui m'a beaucoup attristé au cours de ma carrière, c'est de voir que je possédais toutes sortes de pouvoirs en ce qui touche le prononcé de la peine, mais que je n'avais pas d'endroit où envoyer un adolescent. Nous avons transféré des enfants vers des tribunaux pour adultes parce que les tribunaux pour adolescents étaient débordés. C'est inexcusable en droit et c'est injuste envers l'adolescent.
• 1625
Dans certaines collectivités, les adolescents sont dirigés
vers des comités consultatifs. Dans d'autres, ils sont dirigés vers
les tribunaux et ils ont ensuite un casier judiciaire. En vertu de
la nouvelle loi, leur nom pourra même être rendu public. Leurs
parents doivent faire faillite pour payer ces frais juridiques. Je
pourrais poursuivre encore longtemps comme cela.
Je pense que vous posez une très bonne question. Quel écart entre les peines pouvons-nous tolérer sans que cela aille à l'encontre de notre sens de la justice? Il est très intéressant à cet égard de parler à des contrevenants. Ils réclament tous une peine personnalisée, pourvu qu'ils obtiennent une peine moins longue que les autres. Ils n'accepteront jamais que leur peine soit plus longue.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Cadman, votre temps est écoulé. Je pense que les témoins ont cependant répondu à des questions que vous n'aviez pas posées.
M. Chuck Cadman: Ne m'en tenez pas rigueur.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Madame Venne.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Je me demande si M. le juge Jasmin veut ajouter quelque chose à ce qui a été dit précédemment. Non?
On entend des témoins ici depuis quelque temps, les uns après les autres, et on se rend compte que la loi qui nous est proposée a été concoctée pour faire plaisir à ceux qui trouvaient que les jeunes étaient traités trop légèrement et qui estimaient qu'on devait les responsabiliser en les envoyant en prison.
Il faut évidemment se rappeler toute la publicité qui est donnée aux cas comme celui de Chambly, que vous devez certainement connaître, où cinq jeunes ont battu à mort une vieille femme de 80 ans avec, si je me souviens bien, des bâtons de base-ball. Cet événement tragique a eu lieu tout récemment. Je crois que deux des cinq jeunes ont été envoyés à l'Institut Philippe-Pinel. Après cela, on se demande pourquoi le public ne favorise pas la clémence. Il est bien évident qu'un meurtre aussi barbare n'attire la sympathie nulle part.
Nous savons aussi, puisqu'on le répète partout, que la ministre n'a pas l'intention de retirer son projet de loi. Ne craignez-vous qu'on se retrouve de plus en plus avec des juges comme Mme la juge Ruffo qui, dans le fond, essayait par tous les moyens de prouver que le système actuel ne fonctionnait pas? Je me demande si ce n'est pas ce vers quoi on va aller avec une telle loi. Je vous demande votre avis là-dessus.
Le juge Michel Jasmin: Je pense que la loi actuelle n'est juste pour personne au Canada. Cela n'a aucune espèce d'importance que le jeune vienne d'Edmonton, du Québec ou d'ailleurs. Je pense que la loi est complexe et qu'elle est complexe pour tout le monde. Je pense que la loi est sévère et qu'elle est sévère pour tout le monde. Il est évident que la notion de sévérité entre en jeu lorsqu'un jeune commet un crime dans une communauté. Toute la communauté signe une pétition pour s'assurer que ce jeune sera enfermé pendant longtemps.
La même chose se produit face aux gens qui assurent la sécurité aérienne lorsqu'on voit trois avions s'écraser en l'espace de six mois dans l'océan et qu'on montre chaque soir aux nouvelles une pièce d'équipement qu'on vient de repêcher. Pourtant, les statistiques indiquent qu'il n'a jamais été aussi sécuritaire de voyager par avion. Bien que le nombre de vols et d'heures de vol ait augmenté depuis 1980, on a toujours l'impression que voyager par avion n'est pas sécuritaire.
Chaque fois qu'un jeune commet un crime, on entend parler de ce qui ne fonctionne pas, mais non pas de ce qui fonctionne bien. On ne raconte jamais les histoires de réussite. En 1985, on a fait au Québec une étude au sujet de 24 jeunes qui avaient commis des homicides de 1970 à 1983, qui avaient été envoyés à Boscoville et qui avaient suivi le système pour jeunes délinquants et contrevenants de l'époque. On a constaté qu'il n'y avait eu qu'une seule récidive pour fraude et que les 23 autres jeunes étaient devenus des citoyens ordinaires qui étaient sur le marché du travail. Mais on ne veut pas entendre parler de telles réussites. Bien que ces succès existent, ils ne font jamais les manchettes. Les gens veulent s'assurer que si ça ne fonctionne pas à une place, on soit en mesure d'imposer des sentences très dures.
• 1630
En ce qui a trait à l'incarcération des jeunes,
on doit imposer la bonne mesure au bon moment, et
aussi protéger la société.
S'il faut imposer une peine de détention à un jeune qui
a commis un crime, il faut que
cette peine soit juste, en fonction de son âge et
de ses besoins. Tel est le vrai défi de
la justice pour les jeunes.
Selon ce projet de loi, les jeunes peuvent terminer leur peine dans un pénitencier pour adultes. Je trouve cela absolument aberrant. On va travailler avec le jeune pendant trois ans dans le système des jeunes et on l'enverra ensuite dans un pénitencier pour adultes, où il apprendra à voler, à faire sauter les coffres-forts, à faire sauter les systèmes d'alarme, à faire partir des automobiles et à se faire un bon gang et de bons amis à sa sortie. Je trouve absolument aberrant qu'on puisse penser ainsi. Dans ce cas, il vaut mieux envoyer le jeune immédiatement dans le système pour les adultes. On ne devrait pas investir dans ces jeunes si on veut leur faire terminer leur peine dans des pénitenciers pour adultes. Telles sont les aberrations de ce projet de loi. Elles me désarment.
Est-ce que j'ai répondu à votre question?
Mme Pierrette Venne: Oui.
Je pense que c'est à l'article 18 qu'on parle de comités de citoyens ou de comités de justice. À l'alinéa 18(2)d), on dit que ces comités vont servir à:
-
d) renseigner le public sur les dispositions de
la présente loi et sur le système de justice pénale
pour les adolescents;
Si cela peut vous consoler, un des rôles de ces comités de justice sera de renseigner la population sur cette loi, si quelqu'un peut réussir à la comprendre correctement. Je voulais juste vous le mentionner en passant.
C'est tout ce que j'ai à dire. Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. Ivan Grose): Madame Carrol, vous avez la parole.
Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.
Ce que vous nous dites ne me surprend pas. J'espérais que quelqu'un aborderait certaines des questions que vous venez d'aborder. Je vous remercie tous d'avoir accepté de comparaître devant le comité.
Je représente une circonscription de l'Ontario. Il est très difficile à l'heure actuelle de faire passer un point de vue qui va à l'encontre du point de vue officiel dans la province. On peut bien parler du fait qu'il faut éduquer la population, mais il faut le faire par l'intermédiaire d'une presse qui semble accepter le point de vue officiel.
À titre de membre du comité, j'ai entendu beaucoup de témoignages. Je me rappelle en particulier le témoignage d'un groupe. Je ne me souviens pas du nom exact de ce groupe, mais il mettait en oeuvre des projets pilotes. Le groupe nous a présenté les résultats de quatre projets pilotes. Les membres de ce groupe nous ont décrit le type de familles dont proviennent souvent les jeunes contrevenants.
Il s'agit de familles pauvres dont les membres connaissent aussi des problèmes de santé. Quand on est pauvre, sa santé s'en ressent. Un camp de type militaire ne conviendrait absolument pas à un adolescent provenant de ce genre de famille. Or, dans ma province, l'idée de ces camps est de plus en plus populaire... On a remplacé la pédagogie par la jurisprudence.
Vous êtes des juges et vous ne semblez pas croire que les camps de type militaire conviennent aux adolescents. À votre avis, comment pourrions-nous faire passer ce message dans la population?
Je veux vous laisser du temps pour répondre à ma question, mais je voulais signaler le fait que le chef de police de Toronto prend la parole devant les participants au congrès du Parti conservateur. Je pense que c'est tout à fait déplacé. Même les journaux qui appuient le gouvernement l'ont admis. Ils ont dit qu'on allait trop loin.
On se livre actuellement une guerre de statistiques. Statistique Canada nous informe que la criminalité a diminué chez les jeunes. Or, les médias veulent nous faire croire le contraire. Proposer une loi qui tienne compte de tous ces aspects de la question constitue un défi de taille. J'aimerais connaître les conseils que vous pourriez nous donner à cet égard.
Je vous remercie, monsieur le président.
Le juge en chef Heino Lilles: Permettez-moi de dire que cela complique le problème.
Mme Aileen Carroll: C'est juste. C'est un gros problème.
Le juge en chef Heino Lilles: Cela aggrave clairement le problème, mais je pense que nous sommes tous à blâmer pour la situation actuelle, y compris les dirigeants politiques, parce que, lors des dernières élections fédérales, tous les partis, à l'exception du Bloc québécois, ont soutenu que le problème de la violence chez les jeunes était très grave. Chaque parti a dit qu'il réglerait le problème si on l'élisait et qu'il se débarrasserait de la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous avons tous donné l'impression—vous comme moi—qu'une nouvelle loi allait régler le problème.
Cette loi ne va pas régler le problème, parce qu'on ne peut pas régler ce problème à court terme. Je prédis que vous allez modifier cette loi dans quelques années et que la population vous reprochera alors de ne pas avoir réglé le problème.
Il convient donc de concevoir des stratégies en vue de diffuser l'information pertinente. L'information, les recherches et les études longitudinales abondent sur le sujet. Elles nous indiquent ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Nous savons donc ce qui fonctionne. Ce sont des choses comme les soins prénataux, les programmes Bon départ pour les enfants de moins de cinq ans, les programmes de visites à domicile, les programmes qui visent à enseigner aux parents comment être de bons parents, les mesures visant à aider les jeunes à risque et l'affectation de ressources en vue de lutter contre les facteurs criminogènes. Toutes ces mesures fonctionnent et sont raisonnablement peu coûteuses.
Il faut que davantage de juges et d'intervenants du domaine disent ce qui fonctionne. Les juges qui sont ici sont assez exceptionnels. Herb n'a jamais hésité à faire connaître son point de vue. Bon nombre de nos collègues—je dirais même la majorité de nos collègues—nous reprocheraient de vous parler aujourd'hui...
M. Herbert Allard: Même à la retraite, je crains d'exprimer mes vues.
Le juge en chef Heino Lilles: ...et encore plus de parler à la presse, mais il nous appartient de le faire à titre de juges. Nous devons encourager d'autres juges et les dirigeants politiques à exprimer leurs vues. Cela demande du courage, parce que vous savez quelle réaction cela suscite. Nous devons aussi amener les autres intervenants du système de justice à participer aux débats.
Le juge Michel Jasmin: Permettez-moi de vous citer Winston Churchill: «L'attitude du public au sujet du traitement des criminels et de la criminalité constitue le test le plus sûr du degré de civilisation d'un pays.»
J'ai pu le constater depuis 20 ans. Les gens ne s'écartent pas de leur chemin pour défendre la loi. Vous êtes les législateurs, et nous sommes ceux qui sont chargés d'appliquer la loi. On ne peut pas dire que la loi soit bonne. Nous nous laissons influencer par la société américaine... Permettez-moi de vous donner en exemple la juge Judy. J'ai vu pour la première fois hier soir à la télévision la juge Judy.
Mme Aileen Carroll: La juge qui?
Le juge Michel Jasmin: La juge Judy.
C'est une parodie de la justice. Nous subissons ce genre d'influence. Nous sommes très près des États-Unis. J'ai fait connaître la Loi sur les jeunes contrevenants partout dans le monde. J'ai participé à un congrès international en Allemagne où nous avons discuté de la criminalité chez les jeunes. Parce que le Canada est à mi-chemin entre l'Europe et les États-Unis dans ce domaine, les gens se tournent vers le Canada pour voir ce que nous faisons. Des gens du Brésil et du Chili viennent voir ce que nous faisons au Canada, mais nous pensons nous-mêmes que notre système n'est pas bon.
À Montréal, beaucoup de visiteurs venaient me voir. Aucun représentant des provinces n'est jamais venu me voir. Ma porte est toujours ouverte. Je parle français et je parle anglais, mais personne ne vient me voir. Je vous invite tous à venir voir comment nous faisons les choses à Montréal. Je serai heureux de vous montrer ce que nous faisons.
Nous devons croire en la valeur de nos institutions. Nous laissons faire les journaux, et
[Français]
on administre par sondages,
[Traduction]
et c'est très injuste aussi.
J'ai un document dans les deux langues officielles que j'aimerais vous remettre. Il s'agit de statistiques sur le revenu et le bien-être des enfants établies par le Conseil canadien de développement social. Il ressort de ce document qu'il y a un monde de différence entre la situation des gens qui ont un revenu de 20 000 $ ou moins et celle de ceux qui ont un revenu de 80 000 $ et plus.
Voici certains des problèmes auxquels font face les gens dont le revenu est de 20 000 $ ou moins: famille dysfonctionnelle, dépression des parents, traumatisme des enfants, stress chronique, tabagisme, changement d'écoles, mauvais logement et absence d'ordinateurs à la maison. Ces gens vivent dans des quartiers peu sûrs où ils peuvent être victimes d'agressions.
• 1640
Ce sont les gens dont le revenu est de 20 000 $ et moins qui
sont susceptibles d'avoir des démêlés avec la justice. Ce sont ces
gens qui sont nos clients. Les enfants intelligents qui proviennent
de familles dont le revenu est de 80 000 $ et plus vont retenir les
services d'un bon avocat qui connaît bien le droit. Cette loi vise
les Autochtones, les Noirs, les membres des minorités ethniques et
les pauvres. Je vous exprime très sincèrement mon point de vue. Je
ne répéterais pas la même chose à la télévision, parce que je suis
un juge et que je dois appliquer la loi.
J'ai des exemplaires de ce document pour vous.
Mme Aileen Carroll: Je vous remercie.
[Français]
Merci beaucoup.
[Traduction]
Le juge Kent Kirkland: Monsieur le président...
Le vice-président (M. Ivan Grose): Oh, je regrette, monsieur Kirkland.
Le juge Kent Kirkland: ...puis-je faire une dernière observation?
Je viens du sud de l'Ontario. Je crois en la valeur de l'éducation. Je pense qu'on a appris aux gens qu'ils ne peuvent pas conduire et boire en même temps, nous les avons sensibilisés aux risques du tabagisme et nous leur avons appris qu'il fallait dénoncer les mauvais traitements infligés aux enfants. Je pense que nous pouvons aussi leur enseigner beaucoup de choses au sujet de la justice pour les jeunes. Je crois que nous devons bien les informer et le faire au bon moment.
Lorsque je participais à l'élaboration des politiques au début de la mise en oeuvre de la loi sur la justice pour les jeunes, il était question d'aller parler aux jeunes dans les écoles secondaires. J'ai alors fait valoir qu'il fallait aller parler aux enfants des écoles primaires, parce que les problèmes commencent à se poser lorsque les enfants ont huit, neuf et dix ans. Pourquoi ne pas cibler ces enfants-là?
Je sais bien qu'il faut éduquer aussi les adultes, mais il n'y a pas de réponse simple à votre question. Je n'essaie pas de simplifier les choses. Si les choses étaient simples, nous ne serions pas ici. Je pense que l'expérience montre cependant qu'on peut enseigner aux gens ce qu'il convient de faire.
Les législateurs, les juges et tous les intervenants du domaine du droit doivent traiter avec la presse. Je pense qu'on peut aussi travailler à l'éducation de la presse. J'ai recommandé à mes collègues d'inviter les représentants des médias à venir discuter avec nous de leurs préoccupations.
Mme Aileen Carroll: Monsieur le président, je pense que ce serait une très bonne idée.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Ce qui se produit souvent en Ontario—c'est peut-être aussi la même chose dans d'autres provinces—c'est que des conseils municipaux adoptent des motions qu'ils demandent ensuite à d'autres conseils municipaux d'adopter.
À Niagara Falls, une motion a été adoptée qui a critiqué vivement la Loi sur les jeunes contrevenants et a exigé qu'elle soit plus sévère et plus draconienne. Cette motion a été soumise à un conseil municipal dans ma circonscription qui a dit: oui, nous sommes d'accord, indiquons au député que nous approuvons la motion présentée par Niagara Falls.
Donc, j'ai pris le temps de leur écrire et de leur dire: vous avez tort, et voici pourquoi: vous réagissez de façon instinctive sans prendre le temps de faire vos devoirs.
Je viens de faire une émission de télévision avec le chef de police de South Simcoe, qui est très perspicace, qui est d'une grande lucidité, qui voit toutes les bonnes choses qui se passent et qui n'a cessé de faire valoir que les statistiques ne sont pas valables, qu'elles ne reflètent pas ce qui se passe dans sa collectivité, que l'on n'arrête pas de nous rebattre les oreilles à propos des méfaits d'environ 5 p. 100 des adolescents sans que personne se rende compte des choses positives qu'il y a à dire à propos des 95 p. 100 restants. C'est le chef de police qui le dit.
Mais, quoi qu'il en soit, ces idées fausses se multiplient au point qu'on en vient à les croire; donc je pense qu'il serait utile d'entendre le témoignage du juge en plus du mien.
M. Herbert Allard: Monsieur le président, pourrais-je répondre de façon un peu plus approfondie à cette question?
Il s'agit encore une fois d'une de ces questions passionnantes à propos de la complexité de notre société, parce que certains soutiendraient que le conseil municipal est le porte-parole de la collectivité.
Mme Aileen Carroll: Oui, mais ce n'est pas le cas.
M. Herbert Allard: J'ai parlé publiquement de cette question. J'ai prononcé mon premier discours là-dessus lorsque j'étais très jeune et que je participais au programme pour la jeunesse à Calgary. Voyons voir... cela fait pratiquement 60 ans. Ce qui était fascinant, c'est que je m'occupais d'un groupe du centre-ville, mais personne ne croyait ce que je disais. Puis je suis devenu agent de probation, j'ai prononcé des discours, et personne ne m'a cru. J'ai été le premier agent de probation pour adultes dans le Sud de l'Alberta, et personne ne m'a cru. Puis je suis devenu juge, et personne ne m'a cru. Mais si le policier Smith fait partie du groupe avec moi et estime que ces méthodes dures de dissuasion fonctionnent, alors on le croit.
C'est parce qu'il n'existe pas de groupe informé ou ayant le mandat de parler de ces questions de façon très générale. Je trouve que les professeurs qui enseignent la criminologie dans les universités—j'ignore qui ils sont. Je ne les ai jamais vus à mon tribunal, même pas à titre d'observateurs. Et tous les autres qui critiquent—la plupart d'entre eux—n'ont jamais mis les pieds dans un tribunal ou lu la loi. Pourtant, on les tient pour des spécialistes. Je ne crois pas que les juges soient libres d'en dire trop à propos de certaines questions très controversées.
• 1645
J'ai participé à la création d'un projet de recherche à
Edmonton portant sur les mesures de dissuasion, et nous n'avons pas
été surpris de constater qu'aucune mesure n'arrivait à dissuader de
jeunes adultes qui n'avaient rien à perdre. Les jeunes disent
simplement: «Je n'ai pas de réputation, je n'ai pas de famille. En
fait, si j'allais en prison, j'aurais du prestige auprès de mes
copains.» Rien d'étonnant là-dedans. Mais devinez quoi? Personne
n'était prêt ensuite à demander ce que nous devions faire, non pas
pour eux, mais avec eux, pour qu'ils aient quelque chose à perdre.
Autrement dit, on arrive à dissuader les gens bien, mais pas ceux qui n'ont rien à perdre. D'ailleurs, cela va aussi pour les homicides: les mesures de dissuasion ne marchent pas non plus parce que d'autres genres de phénomènes interviennent. C'est donc une question très complexe parce qu'il s'agit de types de crimes différents.
D'ailleurs, personne n'a parlé d'une question qu'à mon avis il faut examiner, et c'est le phénomène des récidivistes. Je crois que la solution ne réside pas tant dans des mesures plus dures, et je l'ai peut-être dit indirectement déjà. Si notre système ne change pas les vies, alors nous devrions condamner ce que nous faisons dans le cadre de l'incarcération plutôt que de simplement condamner à nouveau l'adolescent. Et la même chose vaut pour le système pour adultes. Je pense que cela est très logique. J'ai aidé à administrer un programme de détention. J'ai dit: si vous arrêtez de m'envoyer de mauvais éléments, je vous obtiendrai de meilleurs résultats, et en fait si vous m'envoyez des jeunes qui n'ont absolument rien à faire ici, je vous obtiendrai un taux de réussite de 100 p. 100.
Donc je comprends la difficulté de réorienter ces jeunes, mais jusqu'à ce que nous le fassions, nous gaspillons notre temps et notre argent.
Le juge en chef adjoint Michel Jasmin: Lorsque j'ai animé le groupe de travail, le rapport, j'avais des parents qui se plaignaient que la vie était trop facile. Un soir, j'ai rencontré un groupe de parents et je leur ai donné des devoirs. Je leur ai amené l'une de mes causes, et je leur ai remis le rapport. J'ai modifié le nom, et je leur ai dit: «C'est à vous de rendre une décision.» Le type le plus dur, c'était moi. Et c'était eux qui se plaignaient que le système était trop laxiste; le type le plus dur, c'était moi. J'ai expliqué ma décision aux parents.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous remercie, madame Carroll.
Pourriez-vous m'envoyer une photocopie de vos lettres? J'ai l'impression qu'elles sont meilleures que les miennes.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Je conviens avec vous que l'émission de la juge Judy est une parodie de la justice. Et les autres émissions qui s'en sont inspirées sont encore pires.
J'aimerais simplement vous donner un exemple à propos de l'impression que se fait le public des tribunaux pour adolescents. Lors de ma première expérience dans un tribunal pour adolescents—il y a un peu plus de sept ans—j'étais présent lorsqu'on a prononcé la peine d'un jeune homme d'environ 13 ou 14 ans. Son avocat était en train de plaider devant le juge. Le juge allait prononcer la peine. Le jeune homme était assis là, avec sa chaise complètement penchée en arrière, ses pieds sur la table, en train de jouer avec une petite balle «hacky sack», tout en mâchant de la gomme et en saluant de la main tous ses amis. Je ne veux absolument pas laisser entendre que c'est ce qui se passe dans vos tribunaux...
M. Herbert Allard: Pas dans mon tribunal.
M. Chuck Cadman: ...mais j'étais accompagné de mon beau-père. Il venait de terminer 23 ans comme officier de carrière dans l'armée. Il est sorti du tribunal complètement dégoûté.
C'est un problème. Lorsqu'on voit ce genre de chose, on est porté à condamner l'ensemble du système. Et je peux certainement le comprendre. Bien sûr, il ne faut pas généraliser, mais il arrive que des gens assistent à ce genre de chose, et ils sont alors portés à dénigrer tout le système.
Mais ce n'était pas là ma question; c'était simplement une observation. Ma question concerne le rôle des parents dans votre tribunal lorsque des adolescents doivent comparaître officiellement devant les tribunaux.
J'ai entendu un certain nombre de plaintes de la part de parents—en fait je sais que vous allez entendre un parent plus tard cette semaine—qui estimaient que le système ne leur permet pas d'avoir leur mot à dire dans le traitement de leurs propres enfants. Les avocats usurpent complètement ce rôle. Les parents exigent... Ils savent que l'enfant est coupable—et je crois dans l'application régulière de la loi—le jeune a avoué sa faute à ses parents, et les parents ont dit: «Avoue, assumes-en les conséquences, et voyons ce qu'on peut faire.» Puis l'avocat arrive et dit: «Ne vous en faites pas, nous pouvons vous faire acquitter.» Les parents s'en plaignent amèrement auprès de moi. Je me demande simplement quel devrait être à votre avis le rôle des parents dans le système judiciaire.
Le juge Michel Jasmin: C'est un problème d'application de la loi. Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que le système laisse de côté les parents. Lorsqu'un jeune commet un crime, les parents se mobilisent, ils entourent le jeune et ils veulent aller à la police. Le jeune signe une déclaration—pour soulager sa conscience—et dit qu'il est coupable. Il arrive au tribunal et rencontre un avocat. L'avocat, qui travaille pour l'aide juridique, a de très nombreux dossiers; il ne voit pas le jeune très souvent, et il lui dit: «Écoute, tu plaides non coupable, et nous irons simplement devant le tribunal. Voici ma carte. Nous plaiderons non coupable.»
• 1650
Les parents ne vont pas au tribunal parce qu'ils ont honte de
ce qui est arrivé à leur famille; c'est un échec pour la famille.
Ceux qui se présentent au tribunal longent les couloirs. Ils ne
marchent pas au milieu du couloir, car ils marchent tête baissée.
Ils arrivent en cour, et, qu'est-ce qui se passe? Ils passent toute
la matinée en cour à écouter un avocat dire: «Non coupable, fixez
une autre date.» Ils sortent du tribunal et disent: «Je ne
reviendrai plus ici parce que c'est une perte de temps. Je pensais
que mon fils était coupable, et je ne veux plus rien avoir à faire
avec ce système.»
Donc il est vrai que nous n'intéressons pas les parents, et lorsque nous siégeons en cour je m'assure toujours, lorsque les parents sont là, de les saluer. Lorsqu'en tant que juge je signe une ordonnance de probation, c'est simplement une question d'application. Je demande aux parents de s'approcher avec leur enfant et je leur dis que l'article 33 de la présente loi—pas la nouvelle loi—en fait les premiers responsables de leurs enfants. Puis je passe à la signature officielle de l'ordonnance de probation—ce qui me prend environ trois ou quatre minutes. Je dis aux parents qu'ils sont les premiers responsables.
C'est une question d'application. Cela n'est pas énoncé dans la loi. On ne peut pas imposer ce genre de chose et dire: c'est la façon de procéder, c'est tout simplement la façon de l'appliquer. Nous avons toujours le même problème d'application de la loi.
Il y a aussi une question de temps pour les parents. Si nous nous mobilisons et que nous tenons rapidement une audience, alors les parents vont rester avec nous pendant toutes les étapes du processus. Si nous retardons le processus et qu'il prend deux ou trois mois, les parents vont tout simplement abandonner.
Lorsque j'étais entraîneur de hockey, un jeune est venu me demander quelle était la peine prévue pour un jeune coupable d'une introduction par effraction. Je lui ai dit qu'il devrait parler à son père. Il est allé voir son père. Le père est venu me voir à l'aréna trois mois plus tard et m'a dit: «Mon fils est venu me voir et m'a dit qu'il s'était introduit dans une maison par effraction.» Je lui ai demandé ce qu'il avait fait, et il a répondu qu'il était allé au poste de police et avait dit aux policiers ce que son fils lui avait raconté. Il lui avait imposé un couvre-feu et était allé voir la personne qu'il avait volée.
Puis le système judiciaire s'en est mêlé, et nous avons opté pour des mesures de rechange, mais le processus a été très long, et les parents ont dû revenir trois mois plus tard. Après trois mois, il a dit qu'il en avait assez du système judiciaire. Vous savez, si nous n'agissons pas rapidement, nous échouerons.
Le seul endroit dans le projet de loi où on mentionne le facteur temps, c'est à l'alinéa 4b). C'est une initiative très timide qui concerne les mesures extrajudiciaires. Pourquoi ne pas prévoir cela à l'article 3 et indiquer clairement que le facteur temps est très important? Tous ceux qui s'occupent des jeunes contrevenants devraient prendre en compte cette notion de temps. Pour moi, c'est une façon très timide de s'attaquer au problème. N'oubliez pas que le temps est un facteur très important.
Le juge en chef Heino Lilles: J'aimerais répondre rapidement, si vous me le permettez, monsieur le président.
Je pense que M. Cadman a soulevé un très bon argument, qui m'a fait réfléchir à la façon dont nous agissons dans les tribunaux. Même si nous tâchons d'être très sensibles aux besoins des enfants et des familles autochtones, lorsque je songe à nos salles d'audience, c'est un véritable zoo. Les couloirs sont un véritable zoo, avec tous ces jeunes qui sont entassés là. C'est une image lamentable que nous présentons. Donc je pense que c'est un excellent argument.
Il faut aussi déterminer comment assurer la participation des parents au processus. C'est un aspect qui me préoccupe beaucoup. Ce projet de loi ne nous permet pas de le faire.
Pour ce qui est de la marche à suivre, je procède à bien des égards comme le fait mon collègue Michel. J'essaie d'engager la conversation avec eux, et de les faire s'asseoir à côté de leur enfant. Mais vous savez, la moitié du temps ils ne viennent même pas au tribunal avec leur enfant, et je dois rendre des ordonnances les obligeant à comparaître. Je suis tout à fait estomaqué qu'un jeune de 12, 13 ou 14 ans comparaisse la première fois devant moi tout seul. Cela se produit constamment. Comment pouvons-nous faire pour assurer la participation des parents?
Enfin, je tiens à dire que dans ma juridiction—et ce qui n'est pas du tout le cas pour d'autres juridictions—il n'est pas rare que j'aie affaire à des parents qui sont encore plus dysfonctionnels que leurs enfants et qui vraiment contribuent au problème plutôt qu'à la solution.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous remercie, monsieur Lilles.
Monsieur Cadman, vous n'avez pas dit grand-chose mais vous avez utilisé plus du double du temps qui vous était alloué. Je ne comprends pas comment.
Monsieur Saada.
[Français]
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
[Traduction]
Juge Allard, je tiens à vous rassurer: si personne ne voulait vous croire, sachez que nous, les politiciens, ne pouvons pas compter sur beaucoup d'appui à cet égard non plus.
[Français]
Il y a une chose qui me fascine. Ce n'est pas directement relié à l'application de la loi qu'on propose ou de celle qui existe actuellement; c'est peut-être plus profond que ça.
Vous avez fait allusion à plusieurs reprises au manque de ressources, ce qui vous a d'ailleurs amenés quelquefois à prendre des décisions qui étaient illégales, à toutes fins pratiques. Vous avez parlé de problèmes de perception publique. Vous avez parlé de problèmes relatifs aux décisions politiques prises par les provinces, aussi bien au niveau de la police qu'en matière de bien-être social. On aurait pu aborder aussi la question de la tolérance zéro, qu'on adopte un peu partout, dans les écoles et ainsi de suite. On a parlé du rôle des médias. On a parlé de politiques populistes.
Est-ce que vous n'êtes pas en train de demander à une loi de faire quelque chose que ni la loi actuelle ni celle qu'on propose ne peuvent faire? Est-ce que, pour arguer sur les mérites ou les inconvénients du projet de loi qu'on propose, on n'est pas en train de faire le procès d'une chose autre que la loi elle-même?
Le juge Michel Jasmin: Vous ne vous attaquez pas au vrai problème à ce moment-là. Si j'étais législateur fédéral, je suspendrais mon projet de loi pour l'instant et je demanderais aux provinces comment elles appliquent la loi actuelle et quelles politiques jeunesse elles ont chez elles.
Dans notre groupe de travail, nous sommes allés voir le gouvernement du Québec et nous l'avons interrogé sur ses politiques jeunesse. Nous lui avons demandé comment il agissait avec les jeunes.
On a demandé aux policiers comment ils intervenaient avec les jeunes et quelles étaient leurs politiques jeunesse.
On a demandé au Barreau du Québec comment ses avocats agissaient avec les jeunes et s'il avait des politiques jeunesse. Il n'avait pas alors de politiques jeunesse, mais il en a maintenant. L'avocat qui représente maintenant un jeune doit suivre des règles de déontologie, par exemple sur le plea bargaining. Les jeunes apprennent que la justice est un bargain. On a sensibilisé les personnes. Les procureurs de la Couronne sont maintenant sensibilisés à la jeunesse. Quand ils plaident, ils ont en tête la Loi sur les jeunes contrevenants et non pas le Code criminel.
Si on n'a pas de politiques jeunesse sur le terrain, on ne pourra pas réussir, quelle que soit la loi.
M. Jacques Saada: L'un des témoins que nous avons entendus autour de cette table il y a quelques jours nous a dit que l'Ontario avait décidé de consacrer 80 p. 100 de l'argent que lui envoie le fédéral au chapitre de la justice pour les jeunes à la construction d'installations d'incarcération et de mise sous garde. Je dois dire que je n'ai pas vérifié ce chiffre.
Si on demande à l'Ontario quelle est sa politique, on va savoir que la province fait cela, mais cela ne nous donne pas les instruments pour intervenir au moyen de la loi afin de changer la situation.
Le juge Michel Jasmin: Je sais que vous avez un problème. Aux États-Unis, le Vermont, le New Hampshire et le Maine ont des politiques qui ressemblent un peu à celles du Nouveau-Brunswick, du Québec et de la Nouvelle-Écosse. J'ai assisté dans le Maine à un procès de motion de renvoi. Je me sentais comme chez nous devant ce genre de procédure judiciaire. Mais il y a une différence entre le Vermont et la Floride, par exemple. En Floride, on peut imposer la peine de mort à un enfant de 14 ans et plus. Telle est la différence qu'on constate actuellement dans les pays. Les politiques des États de la Nouvelle-Angleterre sont semblables, mais il y a la peine de mort pour les enfants de 14 ans et plus en Floride. Il faut que les gens se parlent. Les gens ne se parlent pas et ne se réunissent pas. Ils n'échangent pas de propos. Ils sont tous dans leur propre province en train de gérer leurs propres affaires et de se dire qu'ils ont la solution. Je pense que c'est cela, le problème.
• 1700
La loi de 1984 permettait l'imposition
de mesures alternatives, de
mesures de rechange. Qu'est-il arrivé de ces
mesures de rechange 15 ans plus tard? Où sommes-nous
rendus? Quel est le bilan de ces mesures de rechange?
Dans le nouveau projet de loi, on parle des mesures extrajudiciaires. Elles sont optionnelles. Elles ne sont pas obligatoires. Chaque province may do it, mais non shall do it.
Qu'est-ce qui va arriver? Les gens vont prendre ce système...
Excusez-moi. Je pense avoir dépassé le temps.
[Traduction]
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Saada, je suis désolé, mais votre temps est écoulé. Il ne nous reste que 20 minutes, et j'essaie d'accorder la parole à tout le monde.
M. Jacques Saada: J'ai simplement une brève question pour obtenir un complément...
Le vice-président (M. Ivan Grose): J'ai déjà entendu vos brèves questions, mais je prendrai le risque une fois de plus. Allez-y.
[Français]
M. Jacques Saada: Monsieur Jasmin, j'aimerais vraiment comprendre ce que vous venez dire, parce que c'est fondamental pour moi. On dit spécifiquement au paragraphe 38(2):
-
(2) Le tribunal pour adolescents n'impose le placement sous
garde qu'en dernier recours...
C'est clair, net et précis. Je ne comprends pas votre allusion à la discrétion et au fait que les mesures de rechange ou les mesures extrajudiciaires, comme on les appelle, sont facultatives. Je ne comprends pas.
Le juge Michel Jasmin: C'est la peine d'emprisonnement. Si on n'applique pas les mesures de rechange, c'est qu'en dernier recours, on peut imposer la probation ou d'autres choses. On peut imposer une amende. On peut faire d'autres choses. La détention...
M. Jacques Saada: La détention est un dernier recours.
Le juge Michel Jasmin: La détention est un dernier recours, mais en attendant, on peut imposer des mesures autres que la détention, mais qui ne soient pas des mesures alternatives.
[Traduction]
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je demanderais à ceux qui posent les questions et à ceux qui y répondent d'être brefs. Notre temps est limité. Nous allons bientôt entendre la sonnerie, et vous savez comment nous réagissons à la sonnerie; nous nous mettons à saliver.
M. Herbert Allard: J'implore votre indulgence, monsieur le président. J'aimerais répondre brièvement à cette question. Cela ne correspond pas à ce que vous lisez. Il y a des dispositions ici qui sont présomptives et impératives. C'est une loi contradictoire.
Comment peut-on dire que l'emprisonnement, la peine minimale, est la même que pour un adulte? La peine minimale pour un adulte, c'est l'emprisonnement à vie sans libération conditionnelle. Comment pouvez-vous parler de...? C'est là que la loi prête tant à confusion. On l'interprète d'une façon à un endroit, et si on l'interprète d'une autre façon, on arrive à une autre conclusion. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les lois ne changent pas le monde, mais si cela rend le système pire, alors vous n'avez sûrement pas contribué à protéger la collectivité ni à rendre justice aux adolescents.
Je pense que ce projet de loi renferme beaucoup de dispositions qui rendent le système pire qu'il n'est. Elles ne font que semer la confusion. Je suis sérieux. J'ai lu cela tant de fois que je finis par dire que c'est comme Alice au pays des merveilles. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais; ou oui, vous pouvez, mais par contre vous ne pouvez pas—ou quelque chose de ce genre. Même les mots «désignée» et «transfert», etc... Puis il y a l'expression «peine applicables aux adultes». Mais ce ne sont pas des adultes. Comment pouvez-vous imposer à un jeune de 14 ans une peine applicable à un adulte? Ce n'est pas un adulte.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur Allard, c'est la raison pour laquelle nous vous avons demandé de comparaître devant nous. Nous voulions avoir votre opinion. Je vous remercie.
Madame Venne.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Ma question s'adresse au juge Lilles. La semaine prochaine, le comité doit recevoir des autochtones. Je ne sais pas exactement de quel endroit ils viennent, mais je pense que, comme cela a souvent été le cas, les autochtones vont nous demander de les considérer à part. Ils vont nous dire qu'ils ne sont pas traités différemment dans cette loi, comme c'est le cas dans le Code criminel.
J'aimerais avoir votre opinion là-dessus. Pensez-vous qu'on devrait les traiter à part? Pensez-vous qu'on devrait leur permettre d'avoir leur propre système de justice?
[Traduction]
Le juge en chef Heino Lilles: C'est une très bonne question. Je ne crois pas qu'il y ait de modèle pour ce qui est de la détermination de la peine. Je ne crois pas que l'uniformité soit souhaitable ou possible en ce qui concerne la détermination de la peine. À cet égard, je suis tout à fait en désaccord avec Herb Allard. Cela est tout simplement impossible, car chaque situation varie. Les gens sont différents. Je crois que la complexité et la différence sont souvent accentuées lorsque nous traitons avec des gens provenant de cultures différentes.
• 1705
Nous devons effectivement traiter les Autochtones
différemment. Je crois aussi que nous devons traiter certaines des
personnes qui ont fui le Vietnam au cours de cette épreuve tout à
fait différemment, parce que leur culture et leur expérience
diffèrent nettement des nôtres. Donc, effectivement, je pense que
nous pouvons et que nous devons traiter chaque personne
différemment.
Devraient-ils avoir un système distinct? Il est très difficile de répondre à cette question. Voici ce que j'ai déjà dit à ce sujet. Au Yukon, modifié notre système judiciaire de façon assez marquée et nous avons adopté un grand nombre de principes de la justice réparatrice auxquels souscrivent les Autochtones dans le cadre de leur système de valeurs. Nous procédons ainsi depuis une dizaine d'années. Si on autorisait les Autochtones à avoir leur propre système judiciaire, le plus grand perdant, ce serait notre système, parce que nous n'aurions plus la possibilité de profiter de leur enseignement et de travailler avec eux. Nous avons beaucoup à apprendre d'eux. À cet égard je dirais que non, je ne crois pas qu'ils devraient avoir leur propre système, parce que nous en serions amoindris.
[Français]
Mme Pierrette Venne: Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur McKay, je vous prie.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.
J'aimerais adresser ma question principalement au juge Lilles—j'allais dire le professeur Lilles, puisqu'il a déjà été professeur—en ce qui concerne le paragraphe 10(2) et ce qu'il a dit à propos de la façon dont les procureurs généraux des provinces pourraient se trouver à saboter tout le système ici en ne prévoyant pas ou en ne sanctionnant pas ce genre de programmes. Puis il s'est demandé s'il s'agissait d'une délégation illégale du droit pénal à une province. C'est un argument juridique intéressant et très paradoxal, compte tenu de ce qui est en train de se passer en ce qui concerne notre Loi sur le contrôle des armes à feu, où l'argument invoqué est exactement l'inverse.
Nous avons décidé de ne pas inviter de politiciens à comparaître devant le comité. On nous a reproché cette décision, et les paradoxes s'accumulent. J'aimerais vous lire un extrait d'une lettre où on nous demande de revenir sur notre décision. Il s'agit d'une lettre du procureur général de la province de l'Ontario, du ministre des Services correctionnels de la province de l'Ontario et du solliciteur général de la province de l'Ontario. Ils disent:
-
Notre gouvernement n'a cessé de maintenir qu'Ottawa doit renforcer
la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette mesure s'impose pour que
les citoyens se sentent en sécurité dans leur collectivité et pour
que les jeunes comprennent qu'enfreindre la loi entraîne des
conséquences concrètes. Les résidents de l'Ontario sont préoccupés
par les crimes avec violence perpétrés par les jeunes. Ils sont
convaincus que les peines imposées aux jeunes contrevenants
équivalent souvent à une simple tape sur les doigts.
Je ne crois pas pouvoir exprimer de façon plus éloquente le paradoxe des représentations que vous faites auprès de nous aujourd'hui, à savoir que peu importe ce dont nous discutons, qu'il s'agisse du paragraphe 10(2), ou de quelque autre disposition, le présent gouvernement va saboter ce processus. Je reconnais que vous n'êtes pas des politiciens, mais je vous invite quand même à répondre à cette question. Comment pouvons-nous convaincre d'autres administrations que ceux qui font partie du système n'arrêtent pas de nous dire des choses qui sont tout à fait différentes de ce que nous lisons dans ce paragraphe? Il s'agit des trois plus importants juristes de la province de l'Ontario.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous remercie, monsieur McKay. Votre temps est écoulé. Nous allons maintenant laisser les témoins répondre à la question.
Le juge en chef Heino Lilles: C'est un dilemme avec lequel d'autres sont aux prises aussi, et c'est une tâche énorme. C'est une tâche énorme parce que nous avons laissé la situation se détériorer et que nous devons maintenant mettre au point des stratégies assez poussées.
• 1710
Êtes-vous au courant du fait que le Canada emprisonne un plus
grand nombre d'adolescents que ne le font les États-Unis—le tiers
du taux d'incarcération des adultes, mais le double du...? Je ne
crois pas que le public soit au courant de ces données. Il y a
vraiment un manque d'information. Vous voulez que le système soit
encore plus dur? C'est assez difficile à comprendre. C'est pourquoi
je crois qu'il faut envisager d'autres options.
Récemment, la revue Quantum Criminology a publié plusieurs articles vraiment intéressants. J'en ai certains à mon bureau et je devrais en envoyer un ou deux à votre greffier. Ils sont en train de produire des chiffres assez intéressants sur les coûts réels du système et les économies que l'on peut réaliser en gardant les adolescents hors de ce système. Ils ont des chiffres très intéressants, nettement meilleurs que ceux publiés il y a quelques années.
Je pense qu'il y a certaines personnes du secteur privé que ces chiffres intéresseraient beaucoup. Chez moi, j'ai fait quelques exposés devant le Club Rotary et certains des clubs philanthropiques. Ces types—en majeure partie des hommes, mais il y a aussi quelques femmes—sont pratiquement tombés en bas de leur chaise. Ils n'avaient aucune idée de ce que coûte le système et des ressources qui pourraient être orientées vers la santé, l'éducation et certains autres secteurs.
Donc je pense que nous devons faire des campagnes d'information et des campagnes ciblées, car il y a d'énormes lacunes à combler en matière d'information.
Le juge Kent Kirkland: Le mot clé, c'est «renforcé», je pense que c'était le troisième ou quatrième mot utilisé. Comment fait-on pour le renforcer? Pas forcément en rendant le processus plus long et plus sévère; mais en le rendant plus pur, en le rendant plus viable dans le cadre de ces dispositions.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous remercie, juge Kirkland.
Monsieur Cadman, brièvement, je vous prie.
M. Chuck Cadman: En ce qui concerne le transfert après jugement, la ministre, lorsqu'elle a d'abord parlé de l'orientation de la nouvelle loi, avait dit que ce transfert après jugement allait raccourcir le processus. La semaine dernière, au moins une personne a dit qu'elle croyait que cela allait rendre le processus aussi long, parce qu'on allait y consacrer du temps lors de l'audience sur la détermination de la peine plutôt que lors de l'audience sur le transfert.
J'aimerais ajouter à cet égard qu'il y a environ un an j'ai fait une émission de télévision dans ma circonscription avec un avocat de la défense avec qui je ne suis pratiquement jamais d'accord. Il a toutefois convenu avec moi, ou j'ai convenu avec lui, que les seules personnes qui vont profiter de cette mesure, telle qu'elle existe à l'heure actuelle, ce sont ses collègues et lui-même.
Le processus risque-t-il d'être beaucoup plus long et beaucoup plus compliqué?
Le juge Michel Jasmin: Il est sûr qu'il ne sera pas plus court, parce qu'il faudra suivre la même procédure après, qu'il soit déclaré coupable ou non. La première question dont il faut débattre, c'est s'il s'agit d'un crime avec violence ou non, et nous n'avons pas défini ce qui constitue un crime avec violence.
Vous savez, la violence peut être interprétée de façon tellement différente, et il faut tenir un débat sur la violence, s'il s'agit d'un crime avec violence ou non. Si j'ai des enfants qui se battent dans la cour d'école, ce sont des enfants violents. Tout enfant normal, si quelqu'un le pousse, devient violent. Où cela s'arrête-t-il? Nous devons suivre une procédure pour définir la violence. Puis nous devrons tenir une audience, la même audience que nous tenions auparavant, mais nous devrons le faire après. Donc je ne crois pas que cela fera gagner du temps.
Le juge en chef Heino Lilles: J'essaie simplement de songer à un moyen quelconque de faire réagir les provinces. C'est difficile à faire, parce qu'elles n'arrêtent pas d'exiger, et vous savez qu'elles ne fourniront pas les ressources—ou du moins certaines provinces ne le feront pas.
Certains ont calculé que cette mesure exigera 50 p. 100 plus de ressources judiciaires, de ressources pour les salles d'audience, de greffiers, de locaux. Il serait peut-être bon que quelqu'un en établisse le coût, même de façon approximative, et dise aux provinces: très bien, ce régime sévère va vous coûter beaucoup plus d'argent, et bientôt, parce qu'une fois que cette loi adoptée, vous allez devoir mettre des gens en place pour l'appliquer. Je pense qu'il est probablement exact de prévoir une augmentation de 33 à 50 p. 100.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous remercie, juge Lilles.
Madame Bennett, je sais que vous attendez depuis un bon bout de temps, mais j'espère que vous n'avez pas oublié ce que vous voulez dire.
Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.
J'aimerais avoir certains éclaircissements concernant ce que M. McKay a dit pour ce qui est de la délégation illégale. Qu'il s'agisse du juge Jasmin qui s'interroge sur le conducteur de la voiture, ou qu'il s'agisse de votre préoccupation à propos de disparités telles qu'éventuellement cela pourrait être considéré peut-être comme une délégation illégale, je suppose que ce qui me préoccupe, c'est que lorsque vous lisez la loi, vous voyez qu'on y indique que le dernier recours possible, c'est l'incarcération. S'il n'y a aucun soutien ni aucun service, alors le dernier recours possible est l'unique recours.
• 1715
Donc, que pouvons-nous faire lorsque nous rédigeons une loi
qui insiste sur l'existence de services, lorsque certaines
provinces s'y opposent? Je crains beaucoup que, peu importe ce que
nous fassions, ces gens ne siègent à un conseil et ne disent: «Je
sais que les chiffres indiquent que la criminalité chez les jeunes
est en baisse, mais je sais qu'elle est à la hausse.» Il n'y a rien
à faire pour les en dissuader, parce qu'ils parlent aux policiers
de leurs localités, ce qui équivaut plus ou moins à ce que vous
êtes en train de dire.
Mais certains parmi nous sont convaincus que la plupart de ces jeunes peuvent s'amender et méritent une chance de refaire leur vie. Comment pouvons-nous faire comprendre que 100 000 $ aideraient beaucoup un centre de traitement, un orienteur, l'Association des grands frères ou à faire bien d'autres choses en une année? Comment convaincre les gens qu'ils obtiendraient un meilleur résultat?
Le juge Kent Kirkland: Je sais que l'ex-ministre et peut-être la ministre actuelle ont indiqué que les paiements de transfert du gouvernement fédéral aux provinces ne devrait servir qu'à des fins autres que la mise sous garde. C'est une façon de faire. Il faut insister pour que cet argent ne serve pas à la mise sous garde, mais plutôt à des programmes communautaires et à des programmes de rechange à la mise sous garde. Je crois savoir qu'on envisage d'augmenter ces fonds accordés aux provinces, et c'est une façon de s'assurer que ces sommes seront consacrées à des fins autres que la mise sous garde.
Le juge Michel Jasmin: J'attendais la sonnerie. Si vous me le permettez, je ne répondrai pas à votre question, mais avant que la cloche ne se mette à sonner, je vous dirai que cette nouvelle loi changera l'approche québécoise aussi. Nous sommes des juges, et nous devons appliquer la loi. Si la loi stipule que c'est l'infraction qui prime, que notre premier critère, c'est la gravité de l'infraction, nous devrons modifier notre approche.
Peu importe ce qu'on dit, cela ne nous donne pas de marge de manoeuvre, parce que nous devrons toujours appliquer la loi en fonction de l'article 3 qui énonce les principes sous-jacents à la loi. Je suis juge en chef et j'ai reçu quatre lettres de juges qui me disent qu'ils prendront probablement leur retraite si ce projet de loi est adopté; je sais que d'autres voudront délaisser les dossiers de la jeunesse pour s'occuper plutôt d'affaires civiles.
Cette mesure législative est donc déplorable, car elle nous obligera à modifier la façon dont nous appliquions la loi. Les juges doivent toujours exercer leur jugement en fonction des lois du pays. C'est pour ça que nous tenons des discussions. Je crois que les juges du Québec partagent mon avis, nous en avons discuté. Cela m'attriste, mais c'est un fait que cette loi nous amènera à insister davantage sur l'infraction que sur le contrevenant, contrairement à ce que nous faisons à l'heure actuelle. Voilà où je voulais en venir.
M. Herbert Allard: Je pourrais ajouter une chose.
À l'heure actuelle, en matière de protection de la jeunesse, on ne peut recourir au traitement en milieu fermé car cela n'existe pas, puisqu'il ne s'agit pas de justice pénale ou de justice pour les adolescents. Ces jeunes sont inexorablement pris dans tout un réseau de services. Lorsqu'on sait que même le traitement se fait souvent sous garde, mais que de tels établissements n'existent pas, on ne peut...
À l'heure actuelle, il y a ce qu'on appelle la garde en milieu ouvert, mais si le lieutenant-gouverneur ne désigne pas un établissement à cette fin, il n'y a pas d'endroit pour cette garde en milieu ouvert. Si le lieutenant-gouverneur, dans sa sagesse, estime qu'un lieu de détention ordinaire est un milieu de garde ouvert, ce qu'on a déjà fait dans quatre provinces, c'est une parodie de la justice. C'est mal. Mais cela se fait à l'heure actuelle. Dans le cadre du nouveau régime, vous avez une question très pertinente. Cela nous ramène aux premières remarques sur les ressources. Sans ressources, on n'a pas de marge de manoeuvre dans l'imposition des peines.
• 1720
C'est l'un des dilemmes auxquels on fait face en Ontario où
l'on se sent mal à l'aise devant les données. On a fait du mauvais
travail dans les établissements de détention. Ce sont des endroits
épouvantables. Il y a des meurtres, des suicides, et tout le reste.
On préfère éviter ces questions.
L'une des difficultés, c'est que nous ne disposons pas de bonnes données. Si je vous disais que, au Canada, 5 000 enfants sont en détention alors qu'il n'y a que 13 000 détenus dans les établissements carcéraux fédéraux, vous en concluriez sûrement que le système pour les adolescents est très dur. En Alberta, il y a environ 500 jeunes contrevenants en détention. Certains devaient dormir par terre avant que nous ne lancions nos programmes de mesures de rechange. Nous ne demanderions pas à des détenus adultes de dormir par terre. Nous n'abaisserions pas des adultes comme nous le faisons avec les adolescents dans bon nombre de nos programmes. Mais qui vous fournit les données?
Notre chef de police, que Dieu la bénisse, a dit l'autre jour que 25 p. 100 des crimes sont commis par les adolescents de ce groupe d'âge, mais, le croiriez-vous, 35 p. 100 des crimes sont commis par le groupe d'âge comprenant les six années suivantes. Mais on ne dit pas ce genre de chose. En fait, il n'y a pas de véritable différence entre le taux de criminalité chez les 16 et 17 ans et le taux de criminalité chez les 18 et 19 ans. En réalité, les 18 et 19 ans commettent des crimes plus graves. Mais personne ne vous le dit.
Si vous pensez aux personnes de 18 à 24 ans... La logique nous dit que le crime, c'est l'affaire des jeunes gens. Pourquoi incluons-nous donc les personnes de 80 ans dans les données statistiques sur le profil des jeunes contrevenants? Pourquoi? Parce que cela sert une vision et un mandat politique.
Je crois que nous détestons les jeunes. Je crois que nous n'aimons pas les jeunes. Je crois que nous avons peur des jeunes. Certains d'entre nous ont même peur de nos femmes, mais ça, c'est une autre paire de manches.
Des voix: Oh, oh!
M. Herbert Allard: Je ne peux résister à la tentation de vous parler de la tolérance zéro, parce que la tolérance zéro va tout à fait à l'encontre de ces mesures souples dont nous parlons en thérapie familiale et en intrusion dans la famille. Nous n'y avons jamais vraiment réfléchi. Vous ne pouvez adopter une politique de tolérance zéro si vous croyez que la tolérance zéro ne mène qu'à la prison. Je présume que la tolérance zéro signifie qu'on intervient chaque fois qu'un délit est commis plutôt que d'en faire abstraction. La plupart des gens croient que la tolérance zéro, c'est la ligne dure. Mais les femmes et les maris ne peuvent pas adopter la ligne dure. Ils veulent la réconciliation. Les parents et leurs enfants veulent se réconcilier.
C'est ça, le dilemme. Au tribunal de la jeunesse, est-ce que nous nous adonnons à un exercice moral ou à un exercice de justice pénale? J'aimais bien le vieille Loi sur les délinquants juvéniles. Elle nous a bien servis pendant de nombreuses années, et je regrette sa disparition, car elle traduisait bien le fait que nous voulons que les jeunes tirent des leçons de leurs expériences et qu'ils puissent faire leur rééducation morale dans un milieu juridique. Nous avons abandonné cela. Maintenant, nous agissons de façon mécanique et légaliste.
Je ne blâme pas les jeunes de suivre les conseils de leur avocat. Souvent, ils plaident coupables. En vertu de l'ancienne loi, il leur arrivait de plaider coupable. Par exemple, ils avouaient avoir été complices, mais ils ne savaient pas ce que ce mot signifiait. Ils étaient là, tout simplement.
Encore aujourd'hui, il ne faut pas se le cacher. Voilà pourquoi j'ai parlé de Milgaard. Il y a beaucoup d'adolescents qui, à l'issue de leur procès, sont jugés non coupables, et à juste titre: ils n'ont pas commis le crime dont on les accuse. Mais nous ne parlons pas de ça.
Le juge Michel Jasmin: Pendant mon atelier, je me suis entretenu avec six jeunes contrevenants, six durs. La plupart de ces adolescents seraient probablement renvoyés devant un tribunal pour adultes. Je leur ai posé des questions sur le système pour les mineurs—six jeunes criminels endurcis, choisis au hasard. Je me suis entretenu avec eux. Je leur ai dit: «Je suis juge. Vous avez été condamnés par un tribunal. Je veux connaître vos impressions du système. Pouvons-nous dialoguer?». J'ai passé quatre heures avec eux.
Pendant la première demi-heure, ils ont fait les braves: «Je n'ai pas commis 50 introductions par effraction, j'en ai commis 120.».
M. Herbert Allard: Oui, c'est de la bravade.
Le juge Michel Jasmin: Ou encore: «Je fumais du pot pendant mes travaux communautaires.» Ça, c'est la première demi-heure.
Pendant la deuxième demi-heure, ils sont passés aux voeux pieux: «À 18 ans, tout ira bien pour moi, monsieur le juge.» Pour eux, l'âge de 18 ans est magique. «Tout ira bien pour moi. Ne vous inquiétez pas.»
Puis, nous avons commencé à parler du système de justice et, enfin, après trois heures, ça été comme si on jetait un plat de porcelaine par terre. Ils disaient: «Vous n'avez pas fait ce qu'il fallait quand j'avais 12 ans. Vous ne m'avez pas dit d'arrêter quand je pouvais encore le faire. Vous m'avez toujours dit que j'aurais une autre chance. J'ai rencontré un avocat qui m'a dit de ne pas plaider coupable. Vous n'avez pas imposé des bonnes mesures au bon moment. Vous, les adultes, n'avez pas agi comme des adultes à mon égard.» C'est resté leur principal préoccupation par la suite.
Ils étaient là, des durs, avec des tatouages, mais à la fin, l'un d'eux était en sanglots. Nous avons passé quatre heures ensemble. Ils nous ont dit: «Vous n'avez pas fait ce qu'il fallait au bon moment.»
Voilà pourquoi, dans notre rapport, nous disons qu'il faut trouver la bonne mesure au bon moment. Voilà pourquoi nous devons agir convenablement et rapidement. C'est ce que les jeunes attendent de nous, les adultes. Nous avons manqué le bateau. Nous manquons le bateau.
• 1725
Je suis fier de ce que fait le Canada en matière de contrôle
des armes à feu, de loi sur les relations de même sexe et de peine
de mort. Il y a une grande différence entre nous et nos amis
américains. Nous sommes plus forts qu'eux et plus sages qu'eux.
Dans l'État de l'Illinois, le gouverneur a suspendu la peine de
mort parce qu'on a ordonné la tenue d'un nouveau procès pour 12
détenus sur 25.
En 1908, nous avions une loi qui ne se préoccupait que des jeunes. En 1984, nous avons adopté une loi qui se préoccupait des jeunes et de la société. Cette loi-ci ne se préoccupe que de la société, elle ne s'occupe pas du tout des jeunes. J'en suis sûr. Je serai à la retraite dans cinq ans, mais je peux vous dire que, d'ici cinq ans, nous aurons une loi disant que la Loi sur les jeunes contrevenants ne s'applique pas aux adolescents de plus de 16 ans. J'ignore si mes collègues sont du même avis, mais c'est mon sentiment personnel.
M. Herbert Allard: Ça ne fonctionnera pas, alors, il faut faire quelque chose. Nous croyons qu'en adoptant une loi, nous apportons des changements. Mais ce pourrait être des changements pour le pire.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci.
Monsieur Maloney, si vous voulez bien conclure.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): J'aimerais revenir au processus postdécisionnel. Vous êtes d'avis qu'il ne sera pas moins long.
Nous avons entendu le témoignage d'une jeune femme qui avait été accusée de meurtre au premier degré. Elle a attendu un an avant que ne s'amorce le processus prédécisionnel qui devait déterminer si elle serait renvoyée devant un tribunal pour adultes, ce qui a été le cas. Est-ce la norme? Disons qu'un enfant est accusé de meurtre au premier degré et traduit devant un tribunal pour la jeunesse. La décision serait-elle rendue plus rapidement? Il y aurait ensuite le processus postdécisionnel visant à déterminer si une peine pour adultes devrait être infligée. Même si cela se fait en même temps que le processus postdécisionnel, n'est-il pas préférable, dans la mesure où... est-ce qu'on ne fait pas fi de la présomption d'innocence lorsqu'on tient une procédure prédécisionnelle mais que l'adolescent est ensuite renvoyé devant un tribunal pour adultes? On pourrait présumer que cet adolescent est un très mauvais garçon. On perd aussi les protections prévues par le système pour les adolescents concernant la confidentialité pendant le procès, notamment.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Le juge en chef Heino Lilles: J'aimerais répondre à votre question.
Je suis d'accord avec vous. J'estime que l'approche postdécisionnelle est plus sensée. Premièrement, elle s'applique à un groupe plus petit de contrevenants et, ce qui est le plus important, il y a constatation des faits. J'ignore si vous avez déjà assisté à une demande de renvoi présentée au début de la procédure. Vous êtes tenu de croire les allégations de la police à une étape où elle ignore encore ce qui s'est passé exactement, ou, si elle le sait, elle tend à exagérer parce que les allégations n'ont pas encore été mises à l'épreuve. Il est donc plus logique de tenir ce genre d'audience plus tard.
Nous disons que le processus ne sera pas moins long, parce que le projet de loi prévoit toutes sortes d'étapes additionnelles. Je vous ai déjà dit que rendu à l'article 103, j'avais recensé 13 nouvelles audiences. Presque toutes ces audiences interviendront dans le cas d'un adolescent pour lequel on demande un renvoi ou qui risquerait un renvoi. Vous devez tenir une audience pour déterminer ceci et une autre pour déterminer cela. Tout cela ralentira le processus.
Pour en revenir à votre question, oui, à mon avis, le renvoi postdécisionnel est plus logique. Dans bien des cas, cela pourrait accélérer le processus, mais cela ne se fera pas aux termes de ce projet de loi.
Le juge Michel Jasmin: Ce que nous dirons à l'adolescent qui attend sa décision, c'est que la période d'attente du procès comptera double dans la durée de la peine. Cette période sera multipliée par deux. Les jeunes feront le calcul. Les jeunes contrevenants pensent vite. Ils voient quels traitements on réserve aux contrevenants adultes pour le même crime. Ici, on n'insiste pas sur la tenue d'un procès dans les meilleurs délais, comme on le fait aux États-Unis—c'est l'un de leurs rares points forts. Les adolescents constateront que le temps qu'ils passent sous garde entre leur comparution et le procès comptera double, comme pour un adulte. Les deux mois qu'un adolescent passe en détention dans l'attente de son procès compteront pour quatre mois s'il est reconnu coupable.
M. Herbert Allard: Mais cela ne fait pas de différence si on lui inflige une peine d'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Je me dois de revenir à cela. À mon sens, l'idée de traiter les jeunes comme des adultes à ces fins-là est tout à fait répugnante. J'ai vu trop de jeunes qui, en vertu de la loi actuelle, ont passé leurs années formatrices dans des prisons et des pénitenciers.
M. Jacques Saada: Qui les met en prison?
M. Herbert Allard: Le système, les tribunaux, la loi, la procédure de renvoi qui existent maintenant. Nous mettons des adolescents dans des prisons pour adultes depuis 1908. Auparavant, cela se faisait dans tous les cas. L'idée du renvoi n'est pas nouvelle. Le système pour adultes n'est pas un nouvel outil.
Le juge en chef Heino Lilles: Je ne débattrai pas de cela.
Ce sont les juges. Les juges mettent les gens en prison. Vous faites bien de le souligner, monsieur Saada. Je le dis à mes collègues.
Au Yukon, les juges ont l'esprit très ouvert et sont très sensibles aux besoins des adolescents. Les premiers cercles de détermination de la peine du Canada se sont tenus au Yukon. Les chefs de clan de certaines collectivités siègent avec moi depuis 10 ans. Nous avons l'un des taux d'incarcération les plus élevés du Canada. Les juges ont donc une part de responsabilité à assumer, mais c'est une responsabilité qui se partage avec tout le système.
Dans le Grand Nord, il n'y a pas de ressources. La seule façon pour moi de faire en sorte qu'un adolescent alcoolique suive un programme de désintoxication, c'est de l'envoyer dans un établissement de garde en milieu fermé. Ce programme n'est offert nulle part ailleurs.
Le vice-président (M. Ivan Grose): On semble avoir oublié la sonnerie, ce qui est très bien. Continuons donc à puiser dans la fontaine de sagesse que nous avons ici.
Monsieur McKay.
M. John McKay: Le juge Lilles a abordé une question cruciale. Dans une certaine mesure, nous traitons ici de statistiques. Il est clair que les Autochtones sont surreprésentés. Il est aussi clair que bien des peines de mise sous garde sont infligées car il n'y a pas de solutions de rechange. La question est donc de savoir si ce projet de loi permettra de corriger cette situation. Dans cinq ans, devrons-nous refaire tout cela parce que les ressources nécessaires n'auront pas été mises à la disposition des juges qui voudraient offrir des mesures de rechange, et qui continueront par conséquent d'envoyer des adolescents en prison, d'envoyer un nombre disproportionné d'Autochtones en prison...?
M. Herbert Allard: En fait, je crois qu'on décidera alors d'assujettir les enfants de sept ou huit ans à 16 ans à la loi et qu'un nombre encore plus grand d'entre eux seront mis sous garde. Nous dirons: «Ça ne marche pas, alors, il faut incarcérer davantage. Nous ne sommes pas assez durs.» Jusqu'à quel point devons-nous être durs pour satisfaire ceux auxquels vous avez fait allusion qui nous demandent de l'être? Quelle ligne dure est suffisamment dure? Peut-être qu'on devrait rétablir la pendaison des jeunes. Truscott a été condamné à la pendaison pour un crime qu'il avait commis à l'âge de 14 ans. Personne n'est à l'abri de ce genre d'attitude. Il n'y a pas si longtemps, nous condamnions encore des jeunes à la pendaison.
M. John McKay: Cela me rappelle Alice au pays des merveilles.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: J'ai une courte question pour M. Allard. Vous avez parlé d'une peine d'emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Je ne vois pas où, dans le projet de loi, on prévoit une telle peine. Je crois savoir que les dispositions concernant la détermination de la peine qui figurent dans le projet de loi sont celles qu'on trouve dans la loi actuelle et qui prévoient une peine maximale de sept ans et de 10 ans pour les meurtres au premier et deuxième degré.
M. Herbert Allard: Ce n'est pas la lecture que j'en fais.
M. Chuck Cadman: Je ne vois aucune mention d'une peine d'emprisonnement à vie sans libération conditionnelle.
M. Herbert Allard: C'est intéressant. Cela m'a causé des difficultés, et c'est pour cela que j'en ai fait mention. J'ai lu et relu cette disposition; on y parle de peine pour adultes, ce qui signifie que la peine qui aurait été infligée à un adulte est celle qui sera infligée au jeune contrevenant.
M. Chuck Cadman: Les dispositions concernant la libération conditionnelle ne sont pas les mêmes pour les jeunes contrevenants que pour les adultes. La peine d'emprisonnement à perpétuité s'applique, mais les dispositions concernant la libération conditionnelle...
Le juge en chef Heino Lilles: C'est 10 ans.
M. Chuck Cadman: C'est 10 ans et sept ans.
M. Herbert Allard: Ce n'est pas une peine obligatoire, je dis seulement qu'elle pourrait être infligée à un jeune contrevenant.
M. Chuck Cadman: Pour l'admissibilité à la libération conditionnelle, bien sûr.
M. Herbert Allard: Je connais des adolescents qui ont passé 20 ans en prison en vertu de la loi actuelle, ce qui semble empêcher... Lorsque je dis «obligatoire», je veux dire que le juge ne peut imposer qu'une seule peine, l'emprisonnement à vie.
M. Chuck Cadman: Certainement.
M. Herbert Allard: C'est ce que je voulais dire.
M. Chuck Cadman: C'est une question de sémantique. Je comprends.
M. Herbert Allard: C'est cela qui donne lieu à tout ce débat sur les peines réelles. Ne nous lançons pas dans un tel débat. Mais cela fait partie du dilemme. Comment lire une loi et faire abstraction de tous ces détails pour déterminer précisément ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait?
Le juge en chef Heino Lilles: Je ne veux pas causer de confusion, car je sais qu'il est très difficile de comprendre ces dispositions. Nous savons aussi que ces articles ont été modifiés environ cinq fois ces 10 dernières années et qu'ils ont fait l'objet d'une longue réflexion. Mais je crois que M. Cadman a raison. Les peines maximales prévues pour les adolescents sont de 10 et sept ans.
M. Chuck Cadman: Pour l'admissibilité à la libération conditionnelle?
Le juge en chef Heino Lilles: Oui.
M. Herbert Allard: Dans le cas d'un adolescent faisant l'objet d'une présomption de renvoi et traité comme un adulte? Excusez-moi, mais ce n'est pas mon interprétation.
M. Chuck Cadman: C'est une peine d'emprisonnement à vie, mais il y a admissibilité à la libération conditionnelle. C'est ce que je veux dire. Vous dites qu'il n'y a pas de possibilité de libération conditionnelle.
M. Herbert Allard: C'est exact.
Le juge en chef Heino Lilles: Je comprends maintenant. Je suis d'accord avec vous.
M. Herbert Allard: Il y a la peine...
Le juge en chef Heino Lilles: Vous parlez des renvois.
M. Herbert Allard: Oui, et, encore une fois, c'est ce qui est si compliqué dans tout cela. Je continue de croire que l'intention, ici, c'est d'envoyer des adolescents de 14 ans en prison à perpétuité.
Le juge en chef Heino Lilles: J'en reviens à la question. Le véritable défi, pour vous, les politiciens, comme on vous l'a déjà indiqué à maintes reprises, c'est de trouver une façon de transmettre le message. Aussi, que pouvons-nous faire, nous, les juges, pour vous aider à transmettre ce message? Si vous ne trouvez pas une façon de mettre fin à cette spirale, les choses ne s'amélioreront pas.
M. Herbert Allard: Monsieur le président, il y a une chose dont nous n'avons pas parlé, c'est l'impression que semble avoir le comité que les jeunes s'en tirent à bon compte. En fait, au moment du procès, il y a davantage d'adolescents qui plaident coupables et qui sont condamnés que d'adultes. Nous avons de bonnes données à ce sujet, et si nous incarcérons deux fois plus d'adolescents pour des périodes deux fois plus longues que nous le faisions il y a 10 ans, c'est que la loi actuelle est plus dure que celle qui la précédait. Ce qui me ramène à ma question de tout à l'heure: jusqu'où devrons- nous aller pour satisfaire les partisans de la ligne dure?
Le vice-président (M. Ivan Grose): Monsieur le juge Allard, honnêtement, je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que, si vous dites aux gens que la loi est assez dure, ils vous croiront, mais si les policiers disent le contraire, c'est eux qu'on croira. J'en ai fait l'expérience: une foule m'a hué lorsque je lui ai dit que notre Loi sur les jeunes contrevenants était la plus dure du monde. Le policier, lui, a prétendu le contraire. Soit dit en passant, il n'avait jamais lu la loi, mais c'est lui qu'on a cru, et pas moi.
Le juge Michel Jasmin: La mesure la plus dure, c'est la pendaison. En Angleterre, au XVIIIe siècle, 200 crimes étaient passibles de la peine de mort. L'un d'eux était le vol à la tir. Pendant qu'on pendait un pickpocket sur la place publique, ceux qui assistaient à la pendaison se faisaient vider les poches par d'autres voleurs à la tir. Alors, jusqu'où doit-on aller? Ressortir le gibet, à mon sens...
Le vice-président (M. Ivan Grose): Une dernière question, rapidement.
M. John McKay: Une petite précision, pour m'aider à comprendre. Lorsqu'un juge inflige une peine pour adulte, est-il d'avis que toutes les conditions et tous les paramètres concernant la libération conditionnelle s'appliquent à cette peine comme si cet enfant était un adulte?
Le juge en chef Heino Lilles: En vertu de quelle loi?
M. John McKay: Aux termes du projet de loi.
Le juge en chef Heino Lilles: Je l'ignore.
Le juge Kent Kirkland: Nous en avons discuté entre nous plus tôt aujourd'hui, et nous n'avons pas trouvé la réponse dans le projet de loi.
M. Herbert Allard: Je ne crois pas.
M. John Maloney: N'y a-t-il rien... [Note de la rédaction: Inaudible]
Le juge Kent Kirkland: Peut-être, mais nous ne l'avons pas encore trouvé.
Une voix: Il n'y a pas de différence.
M. Herbert Allard: On croit généralement qu'ils y ont droit, mais j'ignore comment préciser cela.
M. John McKay: Devrions-nous stipuler explicitement dans le projet de loi que, lorsque la peine s'applique, la libération conditionnelle et l'admissibilité à la libération conditionnelle s'appliquent aussi?
M. Herbert Allard: Ça ne vous aide pas beaucoup. Si nous voulons imposer des peines obligatoires, des peines consécutives et tout le reste, qu'est-ce que ça peut bien faire? De toute façon, la libération conditionnelle sera bientôt un anachronisme.
Le juge Kent Kirkland: La réponse la plus simple est oui, ce serait très utile si c'était précisé dans la loi. Nous ne pourrions pas alors plaider l'ignorance.
M. John McKay: C'est une précision utile en guise de conclusion.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous remercie, distingués témoins. J'ai accordé beaucoup plus de temps qu'à l'habitude pour les questions et les réponses, car non seulement vous nous avez fait part de vos opinions, vous nous avez fait part du fruit de votre sagesse et de votre expérience. Je vous remercie sincèrement d'être venus.
Maintenant, j'ai de mauvaises nouvelles. Nous ne pourrons aller dîner ensemble ce soir. Nous devrons jouer aux phoques dressés à la Chambre des communes et devons donc annuler notre dîner.
Le juge Michel Jasmin: Si vous aimeriez venir à Montréal pour visiter le nouveau Palais de Justice, je serai heureux de vous y accueillir. J'invite officiellement le comité, pour que vous puissiez nous voir en action. Vous êtes tous invités, si ça vous intéresse.
Le vice-président (M. Ivan Grose): Cela nous intéresse certainement. Merci beaucoup, monsieur le juge. Nous allons certainement faire l'impossible pour vous rendre visite. Pour ma part, j'aimerais beaucoup accepter votre invitation, et je suis certain qu'il en va de même pour mes collègues.
Merci encore une fois.
Le juge en chef Heino Lilles: Merci beaucoup de nous avoir invités. Nous vous savons gré de nous avoir écoutés. Je vous remercie sincèrement.
Le vice-président (M. Ivan Grose): La séance est levée.