SDEV Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité des droits de la personne et du développement international du comité permanent des affaires étrangères et du commerce international
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 20 avril 2005
¹ | 1535 |
Le président (M. Navdeep Bains (Mississauga—Brampton-Sud, Lib.)) |
M. Kenneth Roth (directeur général, Alerte aux droits de la personne) |
¹ | 1540 |
Le président |
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, PCC) |
M. Kenneth Roth |
Le président |
M. Stockwell Day |
¹ | 1545 |
M. Kenneth Roth |
Le président |
Mme Diane Bourgeois (Terrebonne—Blainville, BQ) |
Le greffier du comité (M. Richard Rumas) |
Mme Diane Bourgeois |
¹ | 1550 |
M. Kenneth Roth |
Mme Diane Bourgeois |
M. Kenneth Roth |
Mme Diane Bourgeois |
M. Kenneth Roth |
¹ | 1555 |
Mme Diane Bourgeois |
Le président |
L'hon. Paddy Torsney (Burlington, Lib.) |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Paddy Torsney |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Paddy Torsney |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Paddy Torsney |
M. Kenneth Roth |
º | 1600 |
L'hon. Paddy Torsney |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Paddy Torsney |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent (Ottawa-Centre, NPD) |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Ed Broadbent |
º | 1605 |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Ed Broadbent |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent |
º | 1610 |
M. Kenneth Roth |
Le président |
M. Peter Goldring (Edmonton-Est, PCC) |
M. Kenneth Roth |
º | 1615 |
M. Peter Goldring |
M. Kenneth Roth |
Le président |
M. Peter Goldring |
Le président |
L'hon. Paddy Torsney |
Le président |
M. Peter Goldring |
M. Kenneth Roth |
º | 1620 |
M. Peter Goldring |
Le président |
M. Wajid Khan (Mississauga—Streetsville, Lib.) |
M. Kenneth Roth |
º | 1625 |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Kenneth Roth |
L'hon. Ed Broadbent |
Le président |
L'hon. David Kilgour (Edmonton—Mill Woods—Beaumont, Ind.) |
M. Kenneth Roth |
º | 1630 |
L'hon. David Kilgour |
M. Kenneth Roth |
L'hon. David Kilgour |
M. Kenneth Roth |
L'hon. David Kilgour |
M. Kenneth Roth |
L'hon. David Kilgour |
M. Kenneth Roth |
L'hon. David Kilgour |
M. Kenneth Roth |
L'hon. David Kilgour |
M. Kenneth Roth |
L'hon. David Kilgour |
Le président |
L'hon. David Kilgour |
Le président |
L'hon. David Kilgour |
Le président |
CANADA
Sous-comité des droits de la personne et du développement international du comité permanent des affaires étrangères et du commerce international |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mercredi 20 avril 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¹ (1535)
[Traduction]
Le président (M. Navdeep Bains (Mississauga—Brampton-Sud, Lib.)): La séance est ouverte. Merci beaucoup.
D'entrée de jeu, je vous dirai qu'aujourd'hui, nous devrons être particulièrement conscients du temps qui file. Il est un peu après 15 h 30 maintenant, et nous accueillons M. Roth pour environ une heure.
Bienvenue, monsieur Roth. Je vous remercie beaucoup d'être venu ici aujourd'hui. Je ne veux pas prendre trop de votre temps. Comme nous avons environ une heure, je vous demanderais de bien vouloir nous présenter votre déclaration liminaire. Ensuite, nous élargirons la discussion pour permettre aux députés de poser des questions.
M. Kenneth Roth (directeur général, Alerte aux droits de la personne): Je vous remercie beaucoup de votre invitation. J'admire énormément le travail de votre comité. Nous considérons le comité comme un allié très important, et je suis honoré d'avoir l'occasion de comparaître devant vous.
J'ai déjà parlé à quelques reprises aujourd'hui de divers dossiers. Plutôt que de résumer mes commentaires, permettez-moi de m'attacher à un sujet en particulier qui, à mon avis, ne manquera pas d'intéresser le comité : le défi que représente la situation au Darfour.
Le moment est venu pour nous de reconnaître qu'on ne saurait prétendre plus longtemps que l'Union africaine résoudra seule le problème du Darfour. L'Union africaine fait un travail éminemment admirable. J'ai rencontré certains de ses soldats du maintien de la paix sur le terrain, et ils prennent leur mandat très au sérieux. Leur présence est bienvenue parmi les personnes déplacées dont la vie est menacée tous les jours. Elles se sentent manifestement plus en sécurité avec un contingent de l'UA à proximité. Mais des mois et des mois se sont écoulés, on compte les morts par dizaines de milliers et pourtant, on n'a pas sur le terrain les 3 300 soldats du maintien de la paix de l'UA dont le déploiement a été autorisé. Il n'y en a que les deux tiers environ. Nous n'avons aucun espoir que ce total soit envoyé, encore moins les 6 000 soldats dont les gens parlent, ou les 10 000, qui représentent sans doute le minimum nécessaire.
Ce fut une belle expérience. Tout le monde souhaitait que l'UA réussisse seule, et j'espère que la communauté internationale contribuera à bâtir la capacité de l'UA pour qu'elle puisse régler seule la prochaine crise. Cela dit, je pense qu'il faut faire face à la réalité et reconnaître qu'il en coûte 10 000 vies par mois de poursuivre cette expérience du règlement de la crise au Darfour par l'UA. Le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Il faut se poser la question suivante : comment pouvons-nous aider l'UA? Je ne parle pas de remplacer l'UA, mais d'appuyer sérieusement ses efforts. À vrai dire, il était bien commode pour nous de dire que l'UA s'occupait du problème; cela déchargeait les autres gouvernements occidentaux de l'obligation d'envoyer leurs propres troupes. En tant qu'auteur du concept de « la responsabilité de protéger », le Canada comprend mieux que quiconque que nous ne nous acquittons pas de notre responsabilité en attendant tout simplement que l'UA règle, dans un lointain futur, les problèmes du Darfour.
Au cours de ma visite, j'ai proposé que le Canada prenne l'initiative dans le dossier du Darfour, et cette idée a été reçue avec beaucoup d'intérêt et de sympathie. Non pas que le Canada agirait seul—personne ne préconise que le Canada prenne en charge le Soudan occidental—, mais il lui reviendrait de trouver une solution internationale à la crise qui sévit au Darfour. Par là, je n'entends pas simplement un processus de paix, mais plutôt une solution pour protéger la population du Darfour, ce qui devrait vraiment être notre priorité.
Je pense que si le Canada voulait assumer cette responsabilité, on la lui confierait volontiers. De toute évidence, ce n'est pas là une mission dont le Canada s'acquitterait seul. Il lui faudrait aller chercher l'appui des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne, de l'Australie et de nombreux autres pays. Il faut que quelqu'un assume le rôle de chef de file. On s'est trop renvoyé la balle avec embarras pendant que l'AU se débrouillait tant bien que mal. Je pense qu'il est temps que quelqu'un sorte du rang et le Canada est, de loin, le choix le plus logique pour jouer ce rôle.
Cela signifie qu'il faudrait que des soldats du maintien de la paix canadiens soient déployés sur le terrain. Je sais que le Canada est en train d'accroître sa présence en Afghanistan, dans le cadre d'une mission très importante là-bas. Je sais aussi que le Canada a pris l'engagement crucial d'augmenter sa capacité de maintien de la paix à long terme. Je conçois bien que cette capacité accrue ne sera pas disponible à court terme et qu'il ne sera pas nécessairement facile de trouver ces troupes. Mais je ne peux pas croire qu'il soit impossible de trouver au sein des Forces armées canadiennes, dont la taille, après tout, n'est pas négligeable, les quelque 500 soldats dont aurait besoin le Canada pour assurer une présence crédible au Darfour, soit un nombre suffisant pour attirer une contribution comparable d'autres États.
Je vous conjure donc tous d'user de votre influence pour essayer de faire en sorte que cela se concrétise. Il faut affirmer que nous n'attendrons plus pendant que des gens meurent, que nous avons essayé l'approche d'une intervention en solo de l'UA au Darfour, mais que cela n'a pas réussi et que maintenant, nous avons la responsabilité d'intervenir et d'apporter une aide concrète sur le terrain.
Merci.
¹ (1540)
Le président: Merci beaucoup.
Je vais passer tout de suite aux questions des députés.
Monsieur Day.
M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, PCC): Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Roth.
Nous avons fait largement campagne en faveur d'une telle intervention. Je le dis au risque de paraître partisan, car ce n'est pas un dossier qui se prête à des jeux politiques. Nous avons sincèrement fait valoir que nous devrions être présents sur le terrain. La dernière fois que je me suis informé, on m'a dit que nous avions trois représentants là-bas. Je crois savoir que nous en avons six en Floride. Autrement dit, nous avons en Floride, pour assurer la protection des Floridiens, deux fois plus de représentants qu'au Darfour. Dans l'énoncé de politique internationale qui a été rendu public hier, la seule fois qu'il a été question du Darfour, c'était pour mentionner qu'on y aurait besoin d'hélicoptères. Comme vous le savez, nous avons déjà du mal à envoyer des hélicoptères à Halifax, alors au Darfour, vous imaginez.
Nous avons fait tout notre possible pour inciter le gouvernement actuel à s'engager, d'une façon ou d'une autre, à l'égard de cette population. Il n'est pas question d'une force d'invasion; n'Importe quel contingent, particulièrement de la taille que vous évoquez, aurait un effet dissuasif. Compte tenu de vos activités, de ce que vous avez vu—et je pense que le Canada devrait faire preuve de leadership dans ce dossier—, quel serait le processus à suivre, concrètement? Étant donné que notre gouvernement semble avoir de la difficulté à s'engager dans une action spécifique, d'après votre expérience, quel est le processus à suivre? Suffit-il d'aller aux Nations Unies et de dire : « Nous sommes là; nous sommes prêts à partir, qui veut venir avec nous? » Dans votre perspective, pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Kenneth Roth: Premièrement, vous avez tout à fait raison de dire que l'énoncé de politique internationale du premier ministre n'est pas allé au-delà du paradigme voulant que l'UA assume seule cette mission. On a offert une aide financière accrue, une aide logistique, des hélicoptères et ainsi de suite. Ce n'est pas suffisant. Je crois savoir qu'en fait, le premier ministre est très préoccupé personnellement par la situation au Darfour et je ne serais pas du tout étonné qu'il soit ouvert à l'idée que le Canada joue un rôle plus actif, mais il n'en était pas fait mention dans l'énoncé de politique rendu public hier.
Au plan logistique, il est bien évident que le Canada ne peut simplement frapper à la porte de l'ONU en disant : « Je vais m'en occuper ». Il faut qu'au préalable, des conversations aient lieu entre des représentants du Canada et le secrétaire général Kofi Annan.
D'après moi,—et cette opinion n'est pas fondée sur des renseignements privilégiés, mais simplement une bonne connaissance du dossier du Darfour—, le secrétaire général confierait volontiers la direction des opérations au Canada ou à un pays analogue, mais je vais me limiter au Canada car je pense que le Canada serait sans doute le premier choix, si tant est qu'il veuille bien assumer cette mission. En l'occurrence, la difficulté n'est pas de convaincre qui que ce soit de confier au Canada un tel rôle. Il faut plutôt que le Canada soit lui-même convaincu que c'est un geste qu'il doit absolument poser si l'on veut que « la responsabilité de protéger » ait un sens.
Il va de soi que le Canada ne devrait pas faire cavalier seul. Je sais qu'en 1996, si je ne m'abuse, le Canada a essayé de jouer un rôle de chef de file similaire à l'égard du Congo oriental, devenu par la suite le Zaïre. Personne n'a suivi. Pour que cette initiative soit couronnée de succès, il faudrait qu'il fasse auparavant une préparation sérieuse. Il lui faudrait envoyer des représentants à Londres, Paris, Berlin, Washington et Canberra et obtenir des engagements à l'avance, avant de pouvoir jouer un rôle de chef de file.
À mon avis, il serait possible d'obtenir ces engagements. Bien sûr, chacun est occupé à d'autres choses. Nous sommes au courant des autres engagements de autres pays. Mais c'est d'un petit nombre de soldats dont il est question. En fait, il s'agirait d'un contingent bien moins nombreux que les 10 000 soldats du maintien de la paix qui ont déjà été promis pour le Soudan austral, où nous souhaitons effectivement renforcer la paix, mais où l'ampleur des tueries ne se compare absolument pas à ce qui se passe au Darfour, au Soudan occidental.
En conclusion, je pense que c'est faisable. Cela exigera du travail sur la scène diplomatique, mais ce n'est pas comme si le Canada allait devoir plaider pour obtenir de jouer ce rôle. Ce rôle lui serait confié. Cela exigerait de réunir une coalition de gouvernements qui accepteraient d'assumer la responsabilité qu'ils auraient dû assumer il y a longtemps.
Le président: Il vous reste du temps, monsieur Day.
M. Stockwell Day: Il y a d'autres dossiers chauds, évidemment, même si celui-ci revêt une importance cruciale. Dans l'énoncé de politique internationale—encore une fois, au risque de sembler partisan, ce que je suis—on a évoqué nos relations avec la Chine, par exemple, et mentionné la nécessité de poursuivre nos relations avec l'Amérique latine. Il a été aussi question des problèmes en Colombie.
Pour citer ces deux premiers cas en exemple, on a passé sous silence le bilan désastreux de la Chine en matière de respect des droits de l'homme et ses relations avec le Tibet. Le mot « Taïwan », pour décrire un pays, n'est pas mentionné une seule fois dans tout le document. Nous reconnaissons qu'il y a des difficultés en Colombie, mais personne ne semble avoir sourcillé devant les graves atteintes aux droits de l'homme à Cuba.
Compte tenu de l'atmosphère politique lourdement chargée dans laquelle nous vivons actuellement, pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur tout cela?
¹ (1545)
M. Kenneth Roth: Human Rights Watch travaille dans 70 pays du monde environ. Tous les pays que vous avez nommés sont des sujets de préoccupation. En ce qui concerne la Chine, évidemment, la question que beaucoup de gouvernements se posent, c'est de savoir comment empêcher les attraits commerciaux de la Chine de faire obstacle à une réaction fondée sur des principes face à la répression menée par la Chine au Tibet ou au Xinjiang, ou contre les activités religieuses, politiques ou syndicales? C'est un défi que beaucoup de gouvernements échouent à relever et je ne crois pas que le Canada fasse du très bon travail non plus à cet égard.
Dans des pays comme la Colombie, le principal problème présentement est de savoir comment réfréner les activités des milices paramilitaires et comment empêcher le président Uribe d'accorder aux paramilitaires l'amnistie qu'ils réclament. Essentiellement, ils veulent qu'on leur dise : gardez vos millions de dollars, oubliez vos meurtres, retournez sur vos fermes et menez-y une belle vie. Je trouve que ce serait rendre un bien mauvais service aux victimes de ces paramilitaires et ce serait aussi un gage de nouvelles tueries. Il faut être naïf pour s'imaginer que les paramilitaires vont cesser leurs tueries à partir de maintenant si on leur donne l'amnistie aujourd'hui. Cela n'arrivera pas. Il y a donc de graves problèmes là-bas.
Vous avez absolument raison de mentionner Cuba. En fait, la Commission des droits de l'homme de l'ONU est saisie d'une résolution—je crois qu'elle sera probablement mise aux voix demain, quoique je n'ai pas pu savoir ce qui s'était passé aujourd'hui—au sujet du traitement par les États-Unis des détenus à Guantanamo; cette résolution exhorte les États-Unis à permettre que des inspecteurs de l'ONU aillent s'entretenir librement avec les détenus là-bas. C'est triste à dire, mais le seul parrain de cette résolution était Cuba. Personne d'autre ne voulait élever la voix contre les États-Unis. J'aimerais que d'autres pays acceptent de coparrainer cette résolution. Idéalement, le Canada voterait en faveur de cette résolution demain, quoique je crains que le mieux que l'on puisse espérer, c'est que le Canada s'abstienne. Si l'on s'en tenait aux principes, il faudrait modifier la résolution pour affirmer que nous voulons que des inspecteurs se rendent à Cuba et qu'ils visitent toute l'île de Cuba. Qu'ils aillent à Guantanamo et qu'ils aillent aussi voir les prisons de Castro.
Voilà qui serait une réponse fidèle aux principes, et c'est ce que Human Rights Watch a préconisé. Qu'arrivera-t-il? Je l'ignore. Mais il est important de ne pas oublier Cuba.
En fait, quand les gens condamnent la Commission des droits de l'homme de l'ONU, ils évoquent le fait que la commission était présidée par la Libye et que le Soudan en fait partie. À dire vrai, l'une des véritables taches sur la réputation de la commission, c'est le rôle actif et constant que Cuba y joue, essayant constamment de faire obstruction aux visées de la commission, toujours pour tenter de défendre Castro et autres de la même farine. Et il faut en parler. En fait, la raison pour laquelle c'est tellement important d'abolir la commission et de recommencer à neuf avec un nouveau conseil des droits de la personne, c'est de mettre fin à cette farce, d'essayer de placer la barre plus haut et de réunir au sein d'un nouveau conseil des droits de la personne un groupe de gouvernements qui seraient sincèrement déterminés à faire respecter les droits humains, au lieu de faire obstruction à toutes les tentatives visant à les faire respecter.
Le président: Le temps est écoulé, monsieur Day. Merci.
Madame Bourgeois.
[Français]
Mme Diane Bourgeois (Terrebonne—Blainville, BQ): Bonjour, monsieur.
J'ai assisté à votre conférence ce midi et je l'ai beaucoup appréciée. Je félicite votre organisation pour l'excellent travail qu'elle fait. Vous faites office de phare — parce que vous êtes sur le terrain — et vous nous indiquez dans quelles conditions vivent les gens.
Au tout début — c'était en octobre, je crois —, notre comité a étudié très sommairement la question du Darfour. Il en avait résulté une motion dans laquelle on demandait au gouvernement d'être plus présent dans cette question. Je ne sais pas où en sont les choses. On n'a pas assuré le suivi de cette motion, qui a été présentée, je crois, au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international. On ne le sait pas, on n'a pas eu de résultats.
Sait-on ce qu'il est advenu de cette motion?
Le greffier du comité (M. Richard Rumas): Madame Bourgeois, quand M. Kilgour était président, on a essayé de trouver une date pour présenter les trois rapports, mais ça n'a pas été possible.
Mme Diane Bourgeois: Ça n'a pas été possible.
Donc, mon cher monsieur, vous nous demandez d'utiliser notre influence. Notre sous-comité va devoir évaluer l'influence qu'il peut avoir. Quand vous parlez d'utiliser notre influence, je comprends qu'il peut s'agir de deux types d'influence: celle du sous-comité et l'influence canadienne, celle qu'on a en tant que Canadiens, celle de notre grand gouvernement. Nous siégerons à huis clos tout à l'heure. Nous tenterons de voir si nous avons l'influence nécessaire pour transmettre votre position sur le Darfour.
Cela étant dit, je vais vous poser une question assez délicate. J'espère que vous me répondrez très franchement. Le premier ministre, lorsqu'il est arrivé à la tête du gouvernement actuel, a scindé le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: il en a fait le ministère des Affaires étrangères et le ministère du Commerce international. Selon vous, cela peut-il avoir des incidences sur le comportement du Canada en matière de droits humains?
¹ (1550)
[Traduction]
M. Kenneth Roth: Je vous remercie pour votre question.
[Français]
J'espère que vous m'excuserez de répondre en anglais.
Mme Diane Bourgeois: Allez-y: nous avons un service de traduction.
M. Kenneth Roth: Ce n'est pas un problème? D'accord.
[Traduction]
Pour commencer, au sujet de votre influence, je dirai que dans le domaine de la défense des droits de la personne, le point de départ, c'est de faire entendre la voix des gens, et de dire tout haut le fond de sa pensée. Vous pouvez toujours vous dire, « quelle influence pouvons-nous bien avoir, nous ne sommes qu'un comité », mais la manière de défendre les droits de la personne, c'est de dire tout haut ce que vous dicte votre conscience, de prendre la parole en vous fondant sur des principes, et de dénoncer ceux qui ne respectent pas ces principes. C'est tout ce que nous pouvons faire.
Dans la plupart des pays où nous travaillons, il n'y a pas de tribunal auquel on puisse s'adresser pour poursuivre le gouvernement. Il n'y a pas de corps policiers auxquels nous pouvons demander d'arrêter les agresseurs. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de parler haut et fort, de jeter une lumière crue sur les violations, de gêner et de mettre dans l'embarras ceux qui violent les droits de la personne. Et vous êtes tout aussi capable de faire cela que je le suis.
C'est pourquoi nous en appelons au comité pour qu'il use de son influence dans des situations comme celle du Darfour, parce que vous avez une influence. Même si celle-ci peut vous sembler intangible, la façon de défendre les droits de la personne, c'est de parler haut et fort et d'éclairer les violations comme un phare. C'est pourquoi je suis très heureux d'être ici, parce que vous êtes des partenaires importants dans cette entreprise, et je vous remercie pour vos nombreux efforts vers la réalisation de nos objectifs mutuels.
Pour répondre maintenant à votre question principale, je ne peux pas dire que j'ai suivi ce débat de près. Je sais qu'on a en effet proposé de scinder le ministère des Affaires étrangères, mais je ne connais pas tous les tenants et aboutissants de la question. Si l'objet de cette scission est de faire en sorte que les intérêts commerciaux ne fassent pas obstacle à la défense des principes, de sorte qu'on ne mettrait pas dans la balance les possibilités commerciales de la Chine contre l'importance de dénoncer la répression chinoise, alors je suppose que c'est une bonne chose. Mais s'il y a d'autres facteurs dont je ne suis pas au courant, ce n'est peut-être pas aussi bon.
Je suis un visiteur au Canada et je sais que cela fait l'objet d'un débat intense ici. Je ne voudrais pas me prononcer de manière définitive sur une question qui, je m'en rends compte, est très controversée.
[Français]
Mme Diane Bourgeois: Je vais vous poser une autre question.
J'ai bien lu tous les documents qu'on nous a remis aujourd'hui en vue de votre visite. Je me rends compte que le Canada est assez silencieux en ce qui concerne la protection des droits humains. Il pourrait davantage prendre position à ce sujet. En effet, il est très bien vu; les gens le perçoivent comme un pays pacifique qui a de l'influence.
J'aimerais savoir ce que vous pensez du comportement du Canada, par exemple face à des crimes contre l'humanité. On peut parler ici du Darfour, de la Tunisie ou de la Colombie. Pensez-vous que le Canada pourrait aller plus loin encore? Qu'est-ce qu'il pourrait faire?
[Traduction]
M. Kenneth Roth: Bien sûr que le Canada pourrait en faire plus. Je m'en voudrais de donner une autre réponse à cette question. Mais permettez que je prenne un peu de recul pour vous dire quelques mots sur les raisons pour lesquelles il m'apparaît que la voix du Canada est relativement unique.
Si vous jetez un coup d'oeil autour du monde, sur les gouvernements des principaux pays occidentaux, relativement peu d'entre eux ont un engagement profond envers les droits de l'homme et une voix indépendante. Il y a maintenant 25 pays européens qui font partie de l'Union européenne et leurs gouvernements passent un temps démesuré à essayer d'en arriver à un consensus de ces 25 pays. En particulier dans les institutions multilatérales, l'Europe ne pèse pas de tout son poids à cause de cette obsession du consensus. Ce qui arrive souvent, c'est que le consensus est établi au niveau du plus bas commun dénominateur. On en arrive à une position que les 25 pays peuvent appuyer, mais c'est une position floue et inefficace.
Je sais que dans l'examen de la politique étrangère du premier ministre, on dit que la non-appartenance du Canada à un bloc régional est une source de faiblesse, mais je pense en fait que dans le domaine des droits de la personne, c'est peut-être au contraire un atout, parce que vous avez le luxe de pouvoir vous prononcer sans avoir à convaincre 24 autres gouvernements. Si vous regardez autour du monde, vous verrez qu'il y a relativement peu de gouvernements qui sont dans cette position. Je vais laisser de côté les États-Unis, parce que ce pays a ses propres problèmes en matière de crédibilité, mais voyez quels sont les gouvernements qui ont des engagements de longue date en faveur des droits de la personne et qui ne sont pas membres de l'UE : il y a la Suisse, la Norvège, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Parmi les principaux gouvernements occidentaux, je pense que c'est tout. Or si vous considérez ces cinq pays, il n'y a pas de doute que le Canada a la plus grande influence.
Je pense donc que le Canada a une influence supérieure à son poids propre, parce qu'il a une telle importance en tant que voix indépendante et qu'il est profondément respecté dans le monde entier. Le Canada représente encore aujourd'hui un engagement en faveur du maintien de la paix. C'est l'une des forces sur lesquelles repose la Cour pénale internationale, le traité sur les mines terrestres, le traité sur les enfants soldats. Cela vous donne un extraordinaire réservoir de bonne volonté dans le monde entier et je vous encourage simplement à utiliser cette influence. En tant que pays, vous êtes en mesure de parler et d'être entendu, peut-être beaucoup plus que vous n'en êtes conscients, à cause d'une part de votre engagement historique en faveur des droits de la personne, et d'autre part du fait qu'il n'y en a pas beaucoup d'autres qui peuvent comme vous faire entendre leur voix de manière indépendante.
¹ (1555)
[Français]
Mme Diane Bourgeois: Merci.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup.
Madame Torsney.
L'hon. Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Merci.
Premièrement, vous n'avez probablement pas eu l'occasion de prendre connaissance de l'énoncé de politique internationale.
M. Kenneth Roth: J'ai ce document.
L'hon. Paddy Torsney: Dans ce cas, vous savez bien sûr qu'au deuxième paragraphe, au sujet de l'approche canadienne, le premier ministre dit que le Canada doit son succès continu au fait de savoir concilier démocratie, droits de la personne et primauté du droit. En fait, il y a tout un chapitre sur les droits de la personne et sur la défense des droits de la personne. Je suis donc particulièrement contente que vous soyez ici parce qu'on trouve de nombreuses références au rôle des droits de la personne dans notre approche face au développement et dans notre position diplomatique.
Certains d'entre nous ont eu la chance d'entendre votre allocution au déjeuner. Il y a eu une discussion sur la proposition relative au Conseil de sécurité et sur ce que nous pourrions faire pour faire avancer ce dossier, et aussi sur la question de la responsabilité de protéger. Donc, autant j'aimerais vous entendre parler du Soudan et de ce que nous pourrions faire d'autre... Il faut respecter la population de l'Afrique, qui a un rôle à jouer dans tout cela. Certains d'entre nous ont pris la parole à des réunions internationales, en particulier d'hommes et femmes politiques. En fait, je me suis fait taper sur les doigts parce que je voulais que la question du Soudan demeure sur la table, et en particulier le Darfour. Les pays africains nous ont dit catégoriquement : « Ne vous mêlez pas de cela. Comment osez-vous? Laissez-nous régler cela. »
Nous avons donc besoin de soutien et nous devons nous occuper de ce dossier, mais nous devons aussi respecter les Africains et leur donner notre soutien pour régler cette crise, et c'est ce que nous essayons de faire par notre politique étrangère et en particulier au moyen de l'ACDI.
Au sujet du Soudan, par exemple, mais aussi de manière plus générale, je me demande si vous pourriez nous parler de ce que nous pourrions faire pour affronter la prochaine crise d'un État non viable et pour faire avancer les dossiers des droits de la personne du Conseil de sécurité et aussi le dossier de la responsabilité de protéger.
M. Kenneth Roth: Je suis tout à fait conscient que les gouvernements africains disent qu'ils peuvent s'en occuper. Ils disent cela depuis combien de temps maintenant, huit mois?
L'hon. Paddy Torsney: Malheureusement.
M. Kenneth Roth: Oui. Nous n'avons pas beaucoup progressé.
L'hon. Paddy Torsney: Non.
M. Kenneth Roth: Je pense que le temps est venu de leur dire : c'est bien beau, mais vous n'avez pas la situation bien en main et nous insistons pour vous venir en aide parce que la population du Darfour a besoin de ce partenariat pour assurer sa protection. Il y a là une tension entre la fierté des membres de l'Union africaine et la vie des habitants du Darfour. Nous devons reconnaître franchement l'existence de cette tension et, à mon avis, il est absolument clair que nous devons avoir gain de cause.
C'est pourquoi j'en ai appelé au Canada et aux autres gouvernements pour qu'ils voient la réalité en face et qu'ils viennent en aide à l'Union africaine, pas seulement avec de l'argent, des hélicoptères et un soutien logistique, mais avec des troupes sur le terrain. Voilà ce qu'il faut.
Il y aura de la résistance de la part de l'Union africaine et le seul moyen de contrer cette résistance est de dire : « Votre fierté est-elle vraiment plus importante que la vie de 10 000 Darfouriens chaque mois? » Si on leur présente la situation sous cet angle, je pense que les Africains devront reculer.
Maintenant, cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner l'objectif de créer une capacité africaine de s'attaquer à ces dossiers. Nous convenons tous que c'est important. En fait, j'espère qu'un partenariat pourra être en même temps un exercice de renforcement de la capacité, de sorte que quand la prochaine crise éclatera, peut-être que l'Union africaine pourra s'en charger. Mais nous n'en sommes plus au point où nous pouvons prétendre que cela va se faire dans le cas de cette crise-ci. Cela n'arrivera pas.
º (1600)
L'hon. Paddy Torsney: Comment faire progresser le dossier du Conseil de sécurité de l'ONU et de la responsabilité de protéger?
M. Kenneth Roth: Le rapport du groupe de travail de haut niveau de l'ONU et le rapport du secrétaire général appuient fortement tous les deux l'idée canadienne d'une responsabilité de protéger. Je trouve que c'est un point fort de ces deux rapports. En fait, la responsabilité de protéger est devenue un peu une idée généralement acceptée au niveau théorique. Le défi est de savoir comment la mettre en pratique.
Vous m'avez entendu parler tout à l'heure du débat nourri à l'heure actuelle sur la réforme du Conseil de sécurité. Ce débat porte en grande partie sur des points sur lesquels je ne vais pas me prononcer : vous savez, quelle devrait être la taille du conseil, quels devraient en être les membres permanents, etc. Enfin, nous avons tous des idées là-dessus, mais c'est un autre débat.
Par contre, il y a une idée qui aiderait à mon avis à transformer la capacité du conseil de protéger les peuples qui font face à des atrocités de masse, et c'est la proposition que l'on a faite et selon laquelle les membres permanents devraient s'abstenir d'utiliser leur veto dans des situations d'atrocités de masse. Le veto a été conçu pour permettre aux membres permanents, au cas où un intérêt national vital serait en jeu, d'empêcher le Conseil de sécurité de compromettre cet intérêt. C'est difficile de concevoir une situation où un intérêt national vital serait en jeu lorsqu'un autre peuple subit des atrocités de masse.
Je ne pense pas qu'il sera possible d'adopter une règle officielle excluant le recours au veto dans de telles circonstances, mais il devrait être possible de créer une norme non officielle. Nous en avons parlé aux Français et aux Britanniques pour qu'ils prennent l'initiative dans ce dossier. En tant que membres permanents qui n'exercent jamais leur veto, ils devraient certainement appuyer et ils appuient effectivement l'idée de ne pas utiliser le veto en cas d'atrocités. Il leur faudra obtenir l'appui d'autres gouvernements, comme celui du Canada, qui ont une expérience approfondie du Conseil de sécurité. Si nous créons une vaste coalition de gouvernements qui ont de très sérieuses réserves à l'utilisation du veto ou même à la menace d'utiliser le veto dans des situations d'atrocités...
Par exemple, il aurait été beaucoup plus facile d'agir au Darfour si la Chine n'avait pas menacé d'utiliser son droit de veto. Il aurait été plus facile de faire intervenir la Cour pénale internationale beaucoup plus tôt s'il n'y avait pas eu la menace du veto chinois. Et je peux citer une foule d'autres cas où le problème du veto se posait, qu'il s'agisse de la Russie ou des États-Unis.
Je pense donc que c'est une recommandation très importante qui mérite l'appui du Canada et d'autres qui veulent faire du Conseil de sécurité un organe plus efficace.
L'hon. Paddy Torsney: Merci.
Enfin, indépendamment des éventuels rapports de notre comité, c'est à chacun de nous, en tant que députés au Parlement et en tant que membres des caucus, de choisir les questions qui sont posées à la Chambre. C'est regrettable qu'il n'y ait pas eu tellement de questions posées à la Chambre des communes sur la situation au Soudan. Peut-être qu'en conséquence de votre témoignage ici, nous en aurons plus que dix en quatre mois.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Broadbent.
L'hon. Ed Broadbent (Ottawa-Centre, NPD): Je suis tenté de faire un commentaire là-dessus, mais je vais m'en abstenir.
Je souhaite la bienvenue à M. Roth. Nous avons tourné dans de vieux films ensemble, dans les années 90. Je voudrais seulement dire que vous représentez ce que je considère comme la toute première organisation de défense des droits de l'homme au monde...
Des voix : Bravo!
L'hon. Ed Broadbent : ... en termes d'intégrité et de rigueur de ses rapports. J'ai la plus haute estime pour le travail que vous faites maintenant et pour le travail accompli par votre prédécesseur et par l'organisation dans son ensemble.
Je voudrais vous demander, étant donné l'importance que vous accordez à juste titre au Darfour, si vous avez eu l'occasion de vous entretenir avec des représentants haut placés du gouvernement canadien pendant votre séjour là-bas, que ce soit au niveau des fonctionnaires ou des politiques.
M. Kenneth Roth: Oui, bien que je ne sois pas vraiment à l'aise d'en parler publiquement. C'est un dossier sur lequel nous travaillons activement. Je dois dire que nos démarches ont été accueillies avec un intérêt que je crois sincère et ont été sérieusement prises en compte. Je crois que c'est une possibilité et qu'il vaut la peine de s'y attacher.
L'hon. Ed Broadbent: Dois-je comprendre que vous avez présenté au gouvernement du Canada la demande que vous avez formulée à notre comité?
M. Kenneth Roth: Oui.
L'hon. Ed Broadbent: Au sujet du secrétaire général, vous avez dit explicitement qu'il accueillerait favorablement une initiative du Canada dans ce dossier. Pourrais-je demander pourquoi le Canada en particulier? Je ne veux pas du tout dénigrer le Canada, évidemment, dans ce dossier, mais est-ce qu'il cherche seulement quelqu'un qui voudrait prendre l'initiative, ou bien souhaite-t-il particulièrement que le Canada s'en charge?
M. Kenneth Roth: Je ne peux pas parler au nom du secrétaire général...
L'hon. Ed Broadbent: Non, je le comprends très bien.
M. Kenneth Roth: ... et je vous demande donc de considérer que ce ne sont là que conjectures de ma part et non pas le fait de connaissances privilégiées.
À un certain niveau, oui, n'importe quel gouvernement occidental de premier plan possédant une capacité de maintien de la paix pourrait jouer ce rôle. Mais si l'on considère les candidats probables, beaucoup d'entre eux sont occupés ailleurs. Il n'est absolument pas question que les États-Unis s'en chargent, pas plus que les Britanniques. Ils sont tous les deux complètement accaparés par l'Iraq. La France semble en avoir plein les bras à l'heure actuelle avec la Côte-d'Ivoire et le Congo oriental. En théorie, l'Allemagne pourrait jouer ce rôle, mais l'Allemagne n'a pas encore pleinement accepté l'idée d'intervenir ne serait-ce que dans un rôle de maintien de la paix, et je ne pense pas que les Allemands soient prêts à jouer un rôle de premier plan dans des opérations de maintien de la paix qui exigeraient en l'occurrence une intervention assez musclée.
Il n'y a donc pas tellement de pays dans le monde qui possèdent une solide tradition de maintien de la paix et qui ont la possibilité d'assumer le leadership moral que le Canada peut offrir. Cela ne m'étonne pas que, quand on fait un survol rapide des possibilités, on arrive assez rapidement au Canada.
L'hon. Ed Broadbent: Merci.
Au sujet du problème du veto que vous venez d'évoquer, dans un contexte différent, et étant donné la position de l'UA et son opposition à toute ingérence extérieure, comment voyez-vous la situation au niveau des arrangements? Supposons que le Canada veut intervenir; on peut supposer que le Canada ne le ferait pas sans avoir l'autorisation de l'ONU. Le problème, pour obtenir l'autorisation de l'ONU, c'est l'existence du veto. En termes pratiques, avons-nous réfléchi à la manière dont on pourrait s'y prendre?
º (1605)
M. Kenneth Roth: Dans ce dossier, le seul veto possible pourrait venir de la Chine. Le déploiement de troupes de maintien de la paix au Darfour menace moins les intérêts de la Chine que de saisir la Cour pénale internationale de la situation au Darfour; or la Chine n'a pas opposé son veto en l'occurrence. La Cour pénale internationale est une menace pour les dirigeants de Khartoum, les gens qui ont signé des contrats pétroliers avec la Chine. Envoyer des troupes de maintien de la paix au Darfour ne menace personne dont la Chine se soucie le moindrement. Cela menace l'organisation Janjaweed et les commandants militaires subalternes qui sévissent au Darfour, mais la Chine ne s'en soucie pas. Donc, étant donné que la Chine a déjà acquiescé au renvoi devant la CPI, je ne vois pas pourquoi elle ferait obstacle à l'envoi d'un contingent plus important de maintien de la paix.
Maintenant, cela dit, je n'envisage pas que cela puisse se faire en dépit des objections de Khartoum. À mes yeux, le scénario plus probable serait de convaincre Khartoum de ne pas s'y opposer.
J'en ai parlé en privé avec quelques-uns d'entre vous, mais je trouve que l'analogie qui convient le mieux est ce que Kofi Annan a fait au Timor oriental en 1999. Pour ceux qui ne se rappelleraient pas ce qui s'est passé dans cette affaire, l'Indonésie à ce moment-là assassinait à tour de bras au Timor oriental; ce n'était pas tellement différent du Darfour. L'Indonésie disait : « Ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle, nous n'avons pas besoin de forces de maintien de la paix venues de l'extérieur ». Kofi Annan, très courageusement, a dit que Jakarta serait complice de crimes contre l'humanité s'il ne mettait pas fin au massacre lui-même ou s'il refusait l'envoi d'une force extérieure qui arrêterait le massacre. C'était une déclaration très ferme et elle a été suffisante pour faire bouger Jakarta, même s'il n'y avait alors à l'horizon aucune cour pénale internationale.
Dans ce dossier-ci, nous avons une cour pénale internationale qui a juridiction. Je pense qu'une déclaration semblable, et le fait d'exercer de telles pressions sur Khartoum serait un outil très efficace et convaincant, surtout quand on sait—et j'ai passé quelque temps à Khartoum—que les dirigeants du gouvernement soudanais craignent beaucoup la CPI. Ils craignent par-dessus tout de devoir passer le reste de leur vie à errer dans le désert soudanais pour échapper à des mandats d'arrestation. Ce n'est pas la belle vie dont ils rêvent.
Je trouve donc qu'on peut exercer un levier sur Khartoum pour convaincre de donner le consentement et il deviendrait alors d'autant moins probable que la Chine oppose son veto à l'envoi d'un contingent plus important de maintien de la paix.
L'hon. Ed Broadbent: Ai-je le temps de poser une autre question?
Le président: Il vous reste une minute.
L'hon. Ed Broadbent: Sur un tout autre sujet, je veux aborder la grande saga de la mondialisation, en particulier la mondialisation définie en termes d'activités économiques, plus particulièrement en ce qui concerne la Chine. Comme chacun sait, quand le mur de Berlin s'est écroulé au début des années 90, tous les dirigeants démocratiques occidentaux, et je les ai déjà vérifiés un par un, ont dit que dorénavant, le monde accueillerait à bras ouverts les droits de la personne et la démocratie d'une part, et le commerce d'autre part. Ensuite, ils se sont tous empressés d'oublier les droits de la personne et ont tous, presque sans exception, y compris le Canada, défendu énergiquement leurs propres intérêts commerciaux. Je trouve que c'est un chapitre abominable dans l'histoire moderne de l'humanité.
Par ailleurs, nous sommes tous conscients de la puissance commerciale de la Chine. Je ne vais pas énumérer vos rapports, entre autres documents, faisant état des épouvantables violations des droits en Chine. Avez-vous réfléchi récemment ou pouvez-vous nous faire part de certaines suggestions sur ce que les gouvernements occidentaux pourraient faire, sur le plan pratique, pour obtenir des résultats auprès d'un pays comme la Chine?
º (1610)
M. Kenneth Roth: C'est évidemment un immense dilemme pour beaucoup d'entre nous. Il n'y a pas de solution globale à ce problème.
Je pense que l'on peut maintenant tirer la leçon que le simple fait de commercer avec la Chine n'a pas été suffisant pour améliorer la situation. Vous savez, cela a créé des libertés personnelles plus étendues, dans le sens que les Chinois ont maintenant une plus grande liberté de choisir leur emploi, de choisir l'endroit où ils veulent habiter, de choisir l'école où ils veulent envoyer leurs enfants. Ce sont toutes là des libertés personnelles importantes. Mais cela n'a pas tellement changé le paysage politique. Le moyen le plus sûr de se retrouver en prison, c'est de fonder un syndicat indépendant, de fonder un parti politique indépendant, de fonder un groupe de défense des droits de la personne, de fonder une section Falun Gong, d'ouvrir un lieu de culte, de parler de séparatisme pour ceux qui habitent au Xinjiang ou au Tibet. Dans tous les cas, on se retrouve directement en prison. Cela n'a pas changé.
Beaucoup de gouvernements et de compagnies parlent de l'importance de la responsabilité sociale des entreprises, de faire des affaires en tenant compte des valeurs et des droits de la personne. Puis, du même souffle, ils créent une immense exception pour la Chine. Ils disent : « Bien sûr, nous permettrons toujours la présence de syndicats indépendants dans nos usines, dans les usines de nos fournisseurs », mais quand on les interroge sur la Chine, ils rétorquent : « Oh, nous ne pouvons pas faire cela, ce n'est pas permis ».
Je pense que l'un des objectifs que nous devons nous fixer ou l'un de nos défis, c'est d'insister auprès des gouvernements et des entreprises pour qu'ils soient fidèles à ces principes, même en Chine, et pour qu'ils s'efforcent de créer des oasis de liberté dans les diverses usines ou entreprises qui constituent en quelque sorte autant d'ambassades occidentales en Chine. Il faudra pour cela bien plus que des codes de conduite d'application volontaire, parce qu'on a vu ce qui s'est passé. Les gens ne tiennent tout simplement pas compte de ces codes d'application volontaire. Il faudra faire appliquer des normes obligatoires par les entreprises.
Je sais que le gouvernement canadien n'a pas voulu aller jusque-là. Il faudra pourtant le faire parce que c'est le seul moyen de s'assurer que la mondialisation, dans le cas de la Chine, favorise vraiment la liberté au lieu d'y faire obstacle.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Broadbent. Je veux faire respecter les limites de temps.
Monsieur Goldring, vous avez la parole.
M. Peter Goldring (Edmonton-Est, PCC): Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Roth, je vous remercie d'être venu témoigner devant nous aujourd'hui.
Je voudrais vous parler d'un autre pays de notre hémisphère qui semble être perpétuellement en crise, je veux parler d'Haïti. C'est encore un autre pays qui a été rayé de la liste des 25 pays bénéficiant de l'aide de l'ACDI, avec tous les problèmes qui accablent ce pays.
Chacun sait que le Canada, les États-Unis et la France ont participé au renversement du président élu de ce pays. À ce moment-là, le Canada a envoyé 500 soldats, mais ensuite il les a retirés. Et puis nous avons envoyé des policiers à Haïti. Nous avions pris l'engagement d'en envoyer une centaine. Je pense qu'il y en a maintenant plutôt 50 ou 60, et récemment, on a retiré ce pays de la liste de l'ACDI.
Quels sont vos sentiments à ce sujet? Comment comparez-vous les situations? La situation est-elle tellement désespérée à Haïti? Est-ce qu'il faut absolument faire quelque chose? Que devrions-nous faire et comment devrions-nous nous y prendre?
M. Kenneth Roth: Haïti est de loin le pays le plus pauvre de notre hémisphère. C'est un pays auquel on doit donner de l'aide si on le peut, si cela peut faire une différence.
Je ne sais pas pourquoi Haïti ne figure pas sur la liste des 25, mais je soupçonne que c'est dû à un sentiment d'inutilité, qu'à cause de la structure gouvernementale actuelle, ou plutôt l'absence de structure gouvernementale, donner de l'aide à Haïti reviendrait à jeter de l'argent dans les toilettes. Je pense donc que le défi est de créer une structure gouvernementale quelconque pour qu'Haïti puisse être réinscrit sur la liste, parce qu'il a certainement besoin d'argent.
Je suis le dossier d'Haïti depuis longtemps, peut-être pas d'aussi près que je l'ai déjà fait; il fut un temps où je passais pas mal de temps là-bas. Le problème, historiquement et jusqu'à aujourd'hui, en est un d'impunité. La raison pour laquelle Haïti est saccagé par la violence, la raison pour laquelle on a constamment des bandes de brutes et de voyous qui se combattent et se succèdent au pouvoir, c'est que tout le monde commet les pires crimes et s'en tire impunément. Je pense que le plus grand défi est en effet de mettre sur pied une police professionnelle, mais une police établie en l'absence d'un système de responsabilisation ne fera qu'inviter le groupe suivant de voyous à s'emparer du pouvoir.
Dans le cadre de l'engagement du Canada à Haïti—et j'encourage assurément l'engagement actuel au niveau de la politique et de la formation—je crois qu'il est important que les vrais efforts soient consacrés à la création d'un système judiciaire fonctionnel et que la police ne se contente pas de faire régner l'ordre dans la rue, mais qu'elle veille aussi à la primauté du droit. C'est une tâche compliquée dans un endroit comme Haïti, mais tant que cela ne se fera pas, tant que l'on n'aura pas un État qui se rapproche de la règle de droit, ce ne sera qu'une succession de dictatures brutales.
º (1615)
M. Peter Goldring: Vos commentaires sur le Darfour indiquaient que vous aimeriez voir le Canada assumer un rôle de leader dans la situation là-bas. Est-ce que le Canada ne pourrait pas en faire autant à Haïti également? Peut-être que le problème, au fil des années, n'était pas nécessairement dans l'insuffisance des ressources mises à la disposition de ce pays, mais plutôt dans l'incohérence des approches, ce qui vient exacerber la situation. Une fois de plus, nous changeons complètement d'orientation dans notre approche de la situation, en retranchant le pays de la liste de l'ACDI, parce que cela soulève la question de savoir ce que le Canada va faire dorénavant? Nous doutons qu'il abandonne tout simplement Haïti, mais que va-t-on faire exactement et cela n'est-il pas encore un signe d'incohérence?
M. Kenneth Roth: Premièrement, j'espère que le retrait d'Haïti de la liste de l'ACDI ne signifie pas qu'Haïti est exclu de l'aide visant à instaurer la primauté du droit dans ce pays et des efforts visant à mettre sur pied un système de responsabilisation et de transparence. J'espère que l'on continuera d'apporter une aide en ce sens et j'espère donc qu'un jour, à un moment donné, Haïti redeviendra admissible à l'aide traditionnelle de l'ACDI.
Le Canada devrait-il prendre la tête du mouvement dans le dossier d'Haïti? Je trouve que c'est un élément très positif que le Brésil se soit présenté et je crois que nous devrions encourager cela. Vous savez, le Brésil a la capacité de faire ce qui doit être fait à Haïti. Ils ont peut-être besoin d'aide, mais il y aurait lieu de se féliciter de l'émergence du Brésil comme pays contribuant au maintien de la paix. Je crois que nous devrions encourager cela et trouver des manières d'aider ce pays à continuer de jouer un rôle de leader à Haïti, mais peut-être plus efficacement que dans le passé.
Vous avez toutefois absolument raison au sujet de l'incohérence. Les problèmes d'Haïti s'expliquent par de nombreuses raisons, mais l'une des principales est qu'il a toujours été trop facile pour les plus proches alliés d'Haïti d'appuyer un dictateur militaire ou de renverser un dirigeant démocratique. Je suis très ambivalent au sujet d'Aristide. Il fut un temps où je voyais en lui le grand espoir pour contrer la dictature de Duvalier. Par la suite, il est lui-même devenu un populiste violent. Je ne défends donc pas du tout Aristide, mais il est important de nous en tenir à nos principes et d'appuyer l'instauration à long terme de la primauté du droit et de la démocratie à Haïti.
Le président: Très brièvement, je signale à l'attention du comité—mon intervention ne va pas réduire votre temps de parole, monsieur Goldring, et je m'excuse de vous interrompre—qu'Haïti n'est pas mentionné au chapitre des partenaires pour le développement, mais à la rubrique des États en déroute ou fragiles, Haïti est nommé dans l'énoncé de politique internationale. Je voulais seulement porter cela à l'attention du comité puisqu'il est question d'Haïti.
M. Peter Goldring: Il ne figure pas sur la liste des 25.
Le président: Non, je voulais seulement porter cela à l'attention du comité.
L'hon. Paddy Torsney: Oui, ce n'est pas un partenaire pour le développement, monsieur Goldring, mais ce pays fait tout à fait partie de nos préoccupations. C'est une approche gouvernementale globale. Il y a donc la diplomatie, la défense, l'aide...
Le président: Je tenais seulement à préciser que ce pays y figurait. Vous avez raison de dire qu'il ne fait pas partie de la liste des 25, mais il est mentionné dans l'EPI.
Merci.
M. Peter Goldring: Au sujet de cette incohérence, dans le cadre de nos entretiens avec les dirigeants d'autres pays des Caraïbes, nous semblons prendre des initiatives et opérer des changements sans nécessairement être en ligne avec le CARICOM, qui est l'organisation régionale. Je pense que le meilleur exemple en est cette dernière décision d'envoyer des troupes là-bas et de les retirer par la suite. La réalité sur le terrain à Haïti en ce moment même, c'est que dans bien des régions du pays, c'est risqué de s'y aventurer même à bord de véhicules blindés. Si l'on veut injecter de l'argent pour assurer la primauté du droit, ne croyez-vous pas que la première mesure à prendre à Haïti serait d'arrêter les bandits armés et de mettre fin aux tueries, pour passer ensuite à d'autres mesures?
Autrement dit, le Canada ne devrait-il pas d'abord envoyer des troupes dans la région avant de travailler à l'instauration de la règle de droit et autres raffinements?
M. Kenneth Roth: Vous avez posé deux questions distinctes. Premièrement, est-ce que ce devrait être le Canada, et deuxièmement, que devrait faire le pays qui s'en charge? Évidemment, je me féliciterais que le Canada soit présent à Haïti. Haïti a besoin de toute l'aide qu'il peut obtenir. Je suis conscient qu'actuellement, on réclame l'engagement du Canada à droite et à gauche, et je ne vais donc pas me lancer dans le jeu des comparaisons entre Haïti et le Darfour. Quant à savoir ce qu'il faudrait faire, il faut bien sûr établir la sécurité élémentaire, mais à plus long terme, et même à plutôt court terme, il faut établir que quiconque commet un meurtre sera arrêté et puni.
Cette attente n'existe pas à Haïti aujourd'hui. Elle n'existe pas depuis un certain temps. Tant que ce ne sera pas établi, un pays aussi pauvre qu'Haïti va inévitablement donner naissance à des bandits qui se rendent compte que la manière la plus facile de gagner sa vie, c'est de tirer sur tout ce qui bouge. Tant qu'on n'aura pas franchi ce seuil, il sera impossible de sortir Haïti de l'ornière dans laquelle le pays est embourbé.
º (1620)
M. Peter Goldring: Merci beaucoup.
Le président: Merci.
Monsieur Khan.
M. Wajid Khan (Mississauga—Streetsville, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur. Je me compte chanceux de vous avoir ici et de pouvoir vous écouter. Je suis d'accord avec vous pour dire que le Canada devrait prendre l'initiative. J'ai deux ou trois questions à poser. Vous pouvez y répondre et je vais vous écouter.
Les gouvernements africains veulent que vous régliez le problème. Ils sont incapables de le faire ou ne le veulent pas. Il faut en prendre acte et d'autres doivent intervenir. Serait-il possible de prendre un engagement à long terme auprès des pays africains, pour les former ou les amener à un niveau où ils seront capables de faire cela à l'avenir? Y a-t-il de l'espoir, à l'heure actuelle, que ces pays puissent un jour résoudre leurs propres problèmes?
Mon honorable collègue M. Broadbent a posé une question au sujet des intérêts commerciaux qui l'emportent sur les droits de l'homme. Je voudrais entendre vos observations là-dessus.
Enfin, on entend toujours parler de pays non démocratiques, de pays communistes et d'autres où il y a beaucoup de violations des droits de la personne, mais il y a beaucoup de démocraties où la situation en matière de respect des droits de la personne est tout aussi mauvaise, sinon pire. On n'en entend jamais parler. Est-ce que la démocratie est suffisante pour leur donner en quelque sorte un vernis de respectabilité?
M. Kenneth Roth: Premièrement, je place de grands espoirs en l'Union africaine comme facteur positif intervenant sur le continent pour mettre fin aux atrocités. Si vous examinez la progression depuis...
Prenez par exemple la CEDEAO, qui est un élément de l'UA. La différence entre le rôle qu'elle jouait initialement, d'abord au Libéria et ensuite au Sierra Leone, et puis de nouveau au Libéria, c'est qu'il y a eu une progression réelle et positive dans le professionnalisme de ses forces, dont le principal contingent est évidemment fourni par le Nigéria. Les troupes du Nigéria constituent aussi un élément important de l'effectif de l'UA au Darfour.
Je pense donc que, pourvu qu'elle reçoive une bonne formation et qu'elle acquière de l'expérience, l'UA peut devenir une force très positive et efficace. C'est simplement que cela n'arrivera pas assez vite pour aider les gens du Darfour. C'est ma seule réserve.
Au sujet de nos intérêts commerciaux et des droits de la personne, je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qui a déjà été dit, mais il est vrai qu'il y avait en effet une tension à cet égard. Je pense que cela fait partie du rôle d'un comité comme le vôtre d'essayer d'empêcher le commercialisme de fouler aux pieds les droits de la personne.
Pour ce qui est de la démocratie, je voudrais mettre en relief un abus particulièrement important de la démocratie, dont on a parlé aujourd'hui, dans d'autres cadres. L'un des grands défis auxquels nous avons été confrontés, c'est l'inquiétude légitime que la lutte contre le terrorisme ne serve de prétexte pour violer les droits de la personne. La question s'est posée dans le cas des détentions arbitraires, et en particulier dans le cas d'interrogatoires donnant lieu à des abus. Les États-Unis ont évidemment été au premier plan de ces préoccupations.
J'ai fait ressortir un fait que je voudrais porter à votre attention, à savoir que pendant les audiences de confirmation du nouveau procureur général des États-Unis, Alberto Gonzales, ce dernier a dit clairement, pour la première fois, que les États-Unis considèrent avoir le droit d'utiliser des traitements cruels, inhumains ou dégradants pourvu que ce soit contre quelqu'un qui n'est pas un citoyen américain ou qui n'est pas présent sur le territoire des États-Unis. Le gouvernement des États-Unis est le seul gouvernement au monde à avoir adopté une position pareille comme politique officielle. Tous les autres font au moins semblant de ne pas se livrer à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les États-Unis affirment le faire parce que c'est leur politique.
C'est un scandale. Cela menace d'ébranler l'une des protections les plus fondamentales qui existent en droit international au chapitre des droits de la personne. J'ai fait des démarches pressantes auprès d'autres membres du gouvernement canadien, et je vais le répéter ici : le Canada doit déposer une protestation officielle contre cette réinterprétation de la convention contre la torture. Il existe une procédure établie; quand un gouvernement formule une réserve qui est incompatible avec l'objet du traité, d'autres membres adhérant au traité peuvent formuler une réserve officielle. Cet énoncé de politique constitue une réinterprétation d'une réserve qui a été formulée il y a dix ans, mais ce n'est qu'en janvier qu'on l'a réinterprétée. Il convient donc tout à fait que le Canada et d'autres pays formulent immédiatement une objection officielle à cette démarche qui revient essentiellement à déchirer le traité, du moins en ce qui a trait à l'un de ses aspects les plus importants.
Au sujet des autres démocraties, je dois dire que Human Rights Watch, comme vous le savez, a exprimé des réserves au sujet de la position du Canada à d'autres égards. Nous avons publié il y a quelques jours un rapport sur l'importance de ne jamais renvoyer quelqu'un dans un pays où la torture existe. Même si l'on reçoit des assurances de la part du pays en question qui affirme que la personne ne sera pas maltraitée, ces assurances ne valent rien de la part d'un pays qui pratique la torture.
Je suis conscient du dilemme dans lequel se trouve le Canada relativement aux personnes détenues aux termes d'un certificat de sécurité; le Canada veut les renvoyer dans leur pays, mais ne peut pas le faire parce que leur pays d'origine pratique la torture. On craint donc de les libérer parce qu'ils constituent une menace pour la sécurité. La meilleure solution en pareil cas est d'intenter des poursuites. Si la personne constitue effectivement un risque pour la sécurité, il doit y avoir des preuves d'un complot en vue de perpétrer des actes de terrorisme ou quoi que ce soit qui justifierait d'intenter des poursuites. Si c'est vraiment impossible, il doit alors y avoir d'autres méthodes, à part la détention intégrale, qui permettrait au Canada d'avoir à l'oeil ces gens-là de manière à neutraliser la menace pour la sécurité, comme on l'a fait pour l'un des détenus qui a été relâché.
º (1625)
Le président: Merci.
Monsieur Broadbent, après quoi nous tenterons de donner du temps à M. Kilgour.
L'hon. Ed Broadbent: J'ai une question sur ce que vous avez dit au sujet des intérêts commerciaux en Chine qui l'emportent sur les droits de la personne. Notre comité a entendu des présentations sur une situation mettant en cause une mine canadienne aux Philippines. Nous continuons notre examen de cette question. Si je vous ai bien compris, un aspect de ce que vous proposez, c'est que les entreprises canadiennes sont assujetties au droit canadien; nous pourrions donc légiférer et inscrire dans notre Code criminel des dispositions rendant les propriétaires et les dirigeants des grandes entreprises responsables du traitement de leurs travailleurs à l'étranger.
Seriez-vous en faveur d'une telle approche?
M. Kenneth Roth: Permettez que je propose une approche légèrement différente. Je suis en faveur de rendre obligatoires des normes de responsabilité sociale des entreprises. Je pense que si cela se fait pays par pays, il y aura de la résistance. Les compagnies canadiennes diront : « Vous nous désavantagez face à nos concurrents, lesquels peuvent supprimer les syndicats dans les usines chinoises et payer leur main-d'oeuvre moins cher, alors pourquoi les compagnies canadiennes ne pourraient-elles pas en faire autant? »
C'est un problème auquel nous avons été confrontés dans une situation légèrement différente mais analogue dans le domaine de la corruption. Comme vous le savez peut-être, à la fin des années 70, le gouvernement des États-Unis a adopté une loi interdisant aux compagnies américaines de verser des pots-de-vin à des fonctionnaires à l'étranger. Les compagnies américaines ont protesté avec la dernière énergie, disant : « Vous nous infligez un désavantage concurrentiel. Les Français ou les Allemands peuvent obtenir des contrats à coup de pots-de-vin, tandis que les compagnies américaines ne le peuvent pas ». Cela a déclenché un mouvement pour l'adoption de normes dans l'ensemble des pays de l'OCDE. En fait, il a fallu 20 ans pour y arriver, mais il existe aujourd'hui un engagement de l'OCDE d'avoir des normes anti-corruption comparables parmi tous les principaux pays industrialisés.
Je pense qu'il faudra un mouvement semblable dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises, parce que j'ai déjà reçu des PDG de grandes compagnies qui sont venus me voir pour me dire : « Nous aimerions faire ce qui est juste, mais nous sommes défavorisés ». En fait, ce dont ils se plaignent, c'est que les grandes compagnies de marques réputées sont déjà fortement encouragées à ne pas être complices d'abus des droits de la personne, de crainte d'entacher la réputation de leur marque. Ce sont plutôt les compagnies sans nom, les petites compagnies qui peuvent fonctionner en quelque sorte dans l'ombre, en échappant aux écrans radar, et qui n'hésitent pas à se livrer à pareils abus pour avoir un avantage concurrentiel.
Je constate donc de plus en plus que les grandes compagnies veulent des normes coercitives comme moyen de mettre tout le monde à niveau. Je pense que tout le monde pourra travailler dans ce contexte. Si nous pouvons établir de manière suffisamment solide le sentiment qu'il est inéquitable de ne pas avoir de normes coercitives, je pense que vous serez en mesure de trouver une solution qui ne sera pas exclusivement canadienne, mais qui fera appel par exemple à l'OCDE.
L'hon. Ed Broadbent: Êtes-vous prêt à attendre 20 ans que cela se fasse?
M. Kenneth Roth: Non, je n'attendrais pas 20 ans. Je pense que cela doit être mis en chantier dès maintenant.
L'hon. Ed Broadbent: Bien, je vais en rester là.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
On a porté à mon attention, monsieur Roth, que vous avez encore quelques minutes à nous consacrer et je pense que cela tombe très bien pour nous tous.
Comme vous le savez, nous avons aussi avec nous aujourd'hui M. Kilgour, à titre d'observateur. Si tout le monde est d'accord, je vais lui permettre de poser une question.
Des voix : D'accord.
Le président : Merci.
Monsieur Kilgour.
L'hon. David Kilgour (Edmonton—Mill Woods—Beaumont, Ind.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Il y a beaucoup de questions que j'aimerais poser à M. Roth et elles portent toutes sur le Darfour.
Des 51 personnes qui ont été mises en accusation—je suppose que c'est scellé—, je pense que beaucoup étaient des personnalités du gouvernement. Croyez-vous que cela incitera vraiment le gouvernement de Khartoum à mettre fin à la tuerie au Darfour, par exemple?
M. Kenneth Roth: Premièrement, il n'y a pas eu 51 mises en accusation. La commission d'enquête a nommé 51 personnes au sujet desquelles on pensait qu'il existait des preuves de leur complicité dans la perpétration d'atrocités, et la commission a recommandé que ces personnes fassent l'objet d'enquêtes. La preuve a maintenant été remise à la CPI. Mais ce ne sont pas des mises en accusation. Personne n'a encore été mis en accusation.
Je suis convaincu que la CPI a une valeur de dissuasion. Ce n'est pas suffisant et cela ne peut remplacer l'envoi de troupes sur le terrain. Cela dit, c'est beaucoup mieux que rien.
Ce qui m'a frappé après avoir rencontré les dirigeants à Khartoum, c'est que ce sont des gens très avertis. Ils ont beaucoup voyagé. Beaucoup d'entre eux ont fait leurs études en Occident. Ce ne sont pas des gens qui veulent mener une existence clandestine et se cacher pour le reste de leur vie. Ce sont donc des gens qui sont vulnérables à la menace d'une arrestation internationale.
º (1630)
L'hon. David Kilgour: Bien.
Le temps m'est vraiment compté, surtout à titre d'observateur.
M. Kenneth Roth: Pardon, allez-y.
L'hon. David Kilgour: Vous avez dit qu'il fallait passer par le système de l'ONU. Que dites-vous des exemples de la Bosnie et du Kosovo, où l'on a dû contourner le système de l'ONU parce que le Conseil de sécurité de l'ONU refusait d'agir? Vous pensez que cela pourra fonctionner dans le cadre du système de l'ONU à cause du veto de la Chine, etc.; est-ce bien cela?
M. Kenneth Roth: Quelle était la question?
L'hon. David Kilgour: Sommes-nous dans une situation semblable à celle de la Bosnie ou du Kosovo, c'est-à-dire qu'il nous faudra trouver une manière de mettre en place des mécanismes qui vont fonctionner à l'extérieur du système de l'ONU, ce que nous préférerions tous?
M. Kenneth Roth: Vous parlez donc d'intervention militaire.
L'hon. David Kilgour: Oui.
M. Kenneth Roth: Comme je l'ai dit tout à l'heure, je ne pense pas que la Chine opposera son veto là-dessus, surtout que nous pourrons à mon avis convaincre Khartoum d'y consentir, en définitive.
Je serais disposé à y aller avec une force multinationale sans avoir l'autorisation du Conseil de sécurité, si c'est ce qu'il faut. Je ne pense pas que ce sera nécessaire, mais je suis convaincu que le principe en cause est primordial puisqu'il s'agit de sauver la vie des personnes qui habitent dans la région. S'il faut pour cela une coalition du Canada, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de quelques autres pays, qu'il en soit ainsi.
L'hon. David Kilgour: Deux autres très brèves questions.
Premièrement, votre argument sur l'Indonésie est excellent et je vous en remercie, mais d'aucuns ont soutenu que les situations sont différentes, que l'Indonésie n'est pas le Soudan et qu'il y a des différences entre le Timor oriental et le Darfour. Trouvez-vous que c'est une observation juste?
M. Kenneth Roth: Évidemment, chaque pays est différent. L'Indonésie est un pays beaucoup plus puissant que le Soudan. L'Indonésie n'a jamais été le paria que le Soudan est actuellement. Donc, toutes différences qui peuvent exister sont des différences qui incitent à croire qu'il devrait être plus facile de convaincre Khartoum de consentir au déploiement d'une force multinationale, et non pas l'inverse.
L'hon. David Kilgour: Bien.
Enfin, nous avons un premier rapport... et après votre départ, je voudrais convaincre mes collègues de passer à l'action là-dessus. Mais vous avez par ailleurs entendu aujourd'hui à l'heure du déjeuner Errol Mendes qui évoquait l'idée de recourir au FMI et à la Banque mondiale pour exercer des pressions sur le Soudan. Auriez-vous l'obligeance de répéter ici ce que vous avez dit là-bas?
M. Kenneth Roth: Tout ce que j'ai dit, c'est qu'à mon avis, la Banque mondiale a fait beaucoup de progrès sous l'égide de Jim Wolfensohn pour ce qui est de reconnaître que les questions de bonne gouvernance et de primauté du droit, qui sont essentiellement la question des droits de la personne formulée autrement, sont directement pertinentes pour le succès de l'aide au développement. Le FMI a adopté une approche différente. Il traite davantage au niveau macro-économique. Mais même à ce niveau, nous avons fonctionné de façon constructive avec le FMI, par exemple en Angola, en exhortant le gouvernement à dévoiler ses revenus et ses dépenses.
Dans le cas du Soudan, nous devons éviter soigneusement que les institutions financières internationales agissent de manière à contrecarrer ce que nous essayons d'accomplir au Darfour. D'une part, on désire récompenser Khartoum pour l'accord de paix dans le Sud, mais il faut aussi pénaliser Khartoum pour les atrocités qui se poursuivent dans l'Ouest. Il faut faire attention de bien reconnaître qu'il s'agit encore d'un seul pays. En fait, je pense qu'on peut soutenir que le refus de s'attaquer sérieusement au dossier et de l'obliger à rendre des comptes pour les atrocités commises dans le Sud est en partie ce qui a amené Khartoum à croire qu'il pouvait s'en tirer en continuant de commettre des atrocités dans l'Ouest.
Nous devrions donc en tirer la leçon et adopter une approche holistique face à l'ensemble du pays tenant compte du fait que l'on continue à commettre des atrocités.
L'hon. David Kilgour: Merci.
Merci, monsieur le président.
Le président: Je vous en prie.
Y a-t-il d'autres questions de la part d'autres députés?
Merci beaucoup, monsieur Roth. Je tiens à dire personnellement que nous accordons une grande valeur à votre contribution, surtout en ce qui a trait à votre expertise au Darfour.
En fait, j'allais mentionner au début que nous aimerions discuter de l'EPI et je suis donc content que vous ayez été en mesure de nous en parler également, surtout compte tenu du rôle du Canada. Je trouve qu'il est très important de reconnaître que nous avons une voix indépendante et que nous avons en effet un solide bilan dans le dossier des droits de la personne. Je trouve qu'il était très important de le signaler.
Merci encore de nous avoir consacré de votre temps à même votre horaire chargé.
Nous allons maintenant passer à huis clos pour régler des affaires internes.
L'hon. David Kilgour: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Avant de passer à huis clos, je crois que le greffier sera d'accord pour dire que l'ancien président était censé présenter au comité plénier le premier rapport de notre sous-comité traitant du Darfour. Je me demande si vous seriez tous d'accord, quand vous siégerez à huis clos—je suppose que je vais m'en aller—pour demander au nouveau président de présenter ce rapport au comité plénier.
Le président: Absolument. Je vous en remercie.
L'hon. David Kilgour: Merci.
Le président: Merci beaucoup.
[La séance se poursuit à huis clos.]