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LANG Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des langues officielles


NUMÉRO 031 
l
2e SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 8 mai 2008

[Enregistrement électronique]

(0905)

[Français]

    Bonjour à tous. Je vous souhaite la bienvenue à cette 31e séance du Comité permanent des langues officielles.
    Ce matin, notre rencontre porte sur l'accès à la justice dans les deux langues officielles au pays. Nous recevons des témoins de marque, à commencer par notre commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser.
    Je vous souhaite la bienvenue à votre comité préféré, monsieur Fraser.
    M. Fraser est accompagné de Mme Tremblay, directrice de la Direction des affaires juridiques.
     Bienvenue, madame Tremblay.
    Nous recevons également M. Michel Doucet, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Moncton, qui est aussi un habitué du comité.
    Bienvenue, monsieur Doucet.
    Nous recevons également Mme Aucoin, présidente de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law.
    Bienvenue, madame Aucoin.
    Ces témoins nous feront un exposé. Pour répondre aux questions des parlementaires, sont aussi présents deux représentants du ministère de la Justice à qui on souhaite la bienvenue, soit Mme Andrée Duchesne, avocate-conseil et gestionnaire à Francophonie, Justice en langues officielles et Dualisme juridique, qui a déjà comparu devant le comité, et M. Tremblay, avocat général et directeur du Groupe du droit des langues officielles. Ils pourront répondre à toutes les questions des députés sur ce sujet.
    Sans plus tarder, écoutons les présentations. J'invite d'abord M. Fraser à prononcer quelques mots.
    Je voudrais d'abord vous remercier de me donner l'occasion de vous adresser la parole. J'en profiterai pour vous proposer quelques réflexions sur le processus de nomination des juges et la pénurie de juges bilingues.
    La pénurie de juges bilingues dans les cours supérieures des provinces et territoires est l'un des principaux obstacles à l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Pourtant, ce sont précisément ces tribunaux qui entendent les causes en droit criminel, en droit familial et en droit de la faillite. Or, le droit de tout citoyen et de toute citoyenne d'employer le français ou l'anglais devant les tribunaux du Canada est l'un des droits linguistiques fondamentaux de notre pacte confédératif.
    Afin que les justiciables aient véritablement accès aux cours supérieures dans la langue officielle de leur choix, il est essentiel que ces tribunaux disposent d'un nombre suffisant de juges bilingues. Par conséquent, le processus de nomination des juges doit garantir la capacité bilingue des cours supérieures. Sinon, l'accès à la justice dans les deux langues officielles est compromis.
    La nécessité de revoir le processus de nomination des juges a fait couler beaucoup d'encre depuis 1995, tant chez certains de mes prédécesseurs que de la part des associations de juristes d'expression française et des comités parlementaires qui ont été saisis de cette question.
    Je voudrais rappeler brièvement les efforts déployés par tous ces acteurs pour convaincre le gouvernement du Canada d'agir.

[Traduction]

    En 1995, le commissaire Goldbloom a publié une étude sur l'usage du français et de l'anglais devant les tribunaux canadiens. Dans cette étude, il concluait que les capacités linguistiques des cours supérieures et des cours d'appel des provinces et des territoires étaient inégales et insuffisantes. A l'époque, le commissaire avait recommandé au gouvernement fédéral d'accorder une importance appréciable aux capacités linguistiques lors du choix des candidats à la magistrature fédérale.
    En 2003, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a recommandé que le bilinguisme soit reconnu comme critère de sélection des juges. Dans sa réponse, le gouvernement s'est contenté de souligner que les comités consultatifs tiennent compte de la capacité des candidats à la magistrature de s'exprimer dans les deux langues officielles.
    En juin 2005, le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile de la Chambre des communes a créé un sous-comité spécial ayant pour mandat d'étudier la procédure de nomination des juges à la magistrature fédérale. Ce sous-comité a entendu plusieurs témoins dont l'Association du Barreau canadien, la Fédération des associations des juristes d'expression française et la commissaire aux langues officielles qui m'a précédé, Mme Dyane Adam. Tous ces témoins ont cherché à sensibiliser les membres du comité au problème de la pénurie de juges bilingues et ont proposé des changements au processus de nomination.
(0910)

[Français]

    En novembre 2005, le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile a déposé son 18e rapport faisant état des travaux du Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale. Le sous-comité n'a pas eu le temps de terminer ses travaux avant la fin de la 38e législature parlementaire, mais il a néanmoins dégagé quelques avenues intéressantes à explorer.
     Par exemple, un consensus s'était manifesté sur le bien fondé d'interviewer les candidats à la magistrature au cours du processus de nomination. À mon avis, cette mesure permettrait de vérifier la capacité linguistique des candidats avant leur nomination. Les membres du sous-comité avaient convenu que le ministre de la Justice devrait consulter le juge en chef de la juridiction en cause pour les besoins linguistiques particuliers du tribunal visé. Enfin, dans son rapport annuel déposé en 2004, ma prédécesseure, la commissaire Adam, avait recommandé au gouvernement du Canada de réexaminer le processus de nomination des juges des cours supérieures afin de les doter d'une capacité bilingue adéquate.

[Traduction]

    Jusqu'à maintenant, les réponses du gouvernement fédéral aux recommandations de certains de mes prédécesseurs et à celles des comités de la Chambre et du Sénat ont été timides et nettement insuffisantes.
    Je reconnais que la pratique du ministre Nicholson, qui consiste à consulter le juge en chef du tribunal concerné au sujet des besoins particuliers en matière de capacité bilingue du tribunal, est un pas dans la bonne direction. Toutefois, j'incite le ministre à faire preuve de leadership et à explorer d'autres solutions, et ce, de concert avec ses homologues provinciaux et territoriaux.
    Le temps est opportun puisque le procureur général de l'Ontario, Chris Bentley, se penche actuellement sur la question. Il a entrepris, au début de l'année, un processus de consultation sur les recommandations faites par l'honorable juge Osborne dans son rapport sur la réforme du système de justice civile en Ontario. Le juge Osborne a reconnu le problème que pose la pénurie de juges bilingues et a recommandé que toute nomination future à la Cour supérieure tienne expressément compte du besoin de juges bilingues dans une région donnée. J'ai profité de l'occasion pour écrire à M. Bentley et l'encourager à amorcer un dialogue avec tous les acteurs clés, notamment la communauté franco-ontarienne, afin d'assurer l'accès à la justice dans les deux langues officielles.
    En terminant, je voudrais donner mon avis sur le processus de nomination du prochain juge à la Cour suprême du Canada. À l'aube du 40e anniversaire de la Loi sur les langues officielles, il me semble que la connaissance des deux langues officielles devrait être l'une des compétences recherchées chez les juges siégeant au plus haut tribunal du pays. Une telle exigence démontrerait à l'ensemble du public canadien l'engagement du gouvernement du Canada envers la dualité linguistique. Il est essentiel, selon moi, qu'une institution aussi importante que la Cour suprême du Canada soit non seulement formée de juges ayant des compétences juridiques exceptionnelles, mais qu'elle soit aussi le reflet de nos valeurs et de notre identité canadienne en tant que pays bijuridique et bilingue.

[Français]

    L'accès à la justice est l'une des pierres angulaires du système juridique canadien. L'absence de capacité bilingue suffisante au sein des cours supérieures et des cours d'appel des provinces et des territoires prive une partie importante de la population canadienne de son droit d'accéder à la justice dans la langue officielle de son choix.
    Comme le constatait récemment la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Belende, «  la violation de ces droits [...] constitue un préjudice grave à la minorité linguistique. » La révision du processus de nomination des juges représente la clé de voûte de l'égalité d'accès à la justice dans les deux langues officielles.
    Je vous remercie de m'avoir écouté. Je serai prêt à répondre à vos questions, lorsque le temps sera propice.
    Merci beaucoup, monsieur le commissaire, de cette présentation. C'est toujours apprécié.
    Maintenant, on se tourne vers notre professeur, M. Michel Doucet.
     J'aimerais encore une fois remercier le Comité permanent des langues officielles de m'avoir invité à le rencontrer aujourd'hui.
    Ma présentation a deux volets. Premièrement, je vais parler du cadre juridique en ce qui concerne l'accès à la justice dans les deux langues officielles au Canada. Deuxièmement, je vais partager avec vous mon expérience en tant que juriste et avocat ayant eu à plaider des dossiers à tous les niveaux de cour et dans plusieurs provinces canadiennes, ce qui m'amènera à parler des obstacles à surmonter lorsqu'on doit présenter une cause devant un juge qui ne comprend pas directement la langue du plaideur.
    Je n'ai pas à rappeler au comité que le système judiciaire d'un pays se doit de traduire les valeurs et la culture de celui-ci. Dans un régime bilingue, comme c'est le cas au Canada, il se doit donc de refléter non seulement les valeurs de la majorité, mais également celles de la minorité de langue officielle. Pour cette dernière, le droit d'employer sa langue dans une instance judiciaire vise plus que le simple droit à l'équité procédurale et à la justice naturelle. Le bilinguisme, dans le domaine judiciaire, requiert que les minorités de langue officielle aient le droit de comparaître devant des juges qui parlent et comprennent leur langue.
    Par bilinguisme judiciaire, j'entends notamment le droit, pour le justiciable, d'employer devant les tribunaux l'une ou l'autre des langues officielles du pays. Par tribunaux, j'entends les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs. Les activités concernées comprennent les plaidoiries orales et écrites, les décisions définitives, les jugements et ordonnances ainsi que les communications entre le système judiciaire et le public.
    En ce qui concerne les droits linguistiques ayant trait au système judiciaire, force nous est de reconnaître que ceux-ci ont généralement été interprétés de manière restrictive par les tribunaux. Ainsi, l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 garantit les droits linguistiques devant toute cour établie par le Parlement ainsi que devant les tribunaux du Québec; l'article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870 et l'article 19 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissent certains droits aux justiciables du Manitoba, du Nouveau-Brunswick et du Québec devant les tribunaux fédéraux. Les autres provinces ne sont pas liées par ces dispositions constitutionnelles, mais elles sont quand même liées par les dispositions que l'on retrouve à l'article 530 du Code pénal canadien. Bien qu'il soit possible de faire valoir que le contexte historique ayant donné naissance à chacune de ces dispositions est différent, nous devons admettre que ces dispositions sont similaires.
    La Cour suprême a d'ailleurs eu l'occasion de se pencher sur celles-ci dans les arrêts de la trilogie MacDonald, Société des Acadiens du Nouveau- Brunswick et Bilodeau de 1986. La cour, dans ces décisions, a conclu que le droit de s'exprimer dans sa langue devant les tribunaux n'imposait pas à l'État ou à un autre individu l'obligation correspondante d'employer la langue ainsi choisie ni d'autre obligation que celle de ne pas empêcher ceux qui souhaitent exercer ce droit de le faire. On ne peut que souhaiter, à la suite de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Beaulac, que les tribunaux reviendront sur ces décisions et reconnaîtront finalement que le droit d'utiliser une langue devant un tribunal inclut également le droit d'être compris directement dans cette langue.
    D'ailleurs, je reprends les propos de feu le juge en chef Dickson dans sa dissidence dans l'affaire Société des Acadiens. D'ailleurs, le juge Dickson était un juge unilingue anglophone, mais dans sa dissidence, il avait bien compris le problème lorsqu'il avait demandé à quoi servait le droit de s'exprimer dans sa propre langue si ceux à qui on s'adresse ne peuvent la comprendre.
    Le législateur est intervenu pour chercher à corriger les effets néfastes des décisions de la trilogie de 1986 en adoptant le paragraphe 16(1) de la Loi sur les langues officielles. Ce paragraphe prévoit que tous les tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada sont tenus de veiller à ce que la langue choisie par les parties soit comprise du juge ou de l'officier de justice présidant l'audience, et ce, sans l'aide d'un interprète. Certains justifient l'exception faite pour la Cour suprême en indiquant que puisqu'elle siège en formation de neuf juges, elle n'a pas, sur le plan de l'organisation, la souplesse des autres tribunaux. À mon avis, dans le contexte actuel, cette justification ne tient plus.
     Le cadre juridique étant ainsi posé, je vais maintenant me pencher sur ce que cela veut dire dans la pratique.
(0915)
    Mon expérience en droit me démontre, par exemple, qu'au Nouveau-Brunswick lorsqu'on décide de procéder en français, on élimine pratiquement les deux tiers de la magistrature, c'est-à-dire les deux tiers des juges, car à peu près 40 p. 100 des juges de la province sont bilingues. Le choix des juges, pour le justifiable francophone, est donc beaucoup moins étendu dans une circonstance comme celle-là que celui de son concitoyen anglophone, et ce, dans la seule province bilingue du Canada.
    En ce qui concerne les autres provinces, j'ai eu à plaider des dossiers portant sur l'article 23, des dossiers qui traitaient du droit à l'éducation dans la langue de la minorité. J'ai dû le faire en anglais parce que ces tribunaux, ces cours n'avaient pas de juges bilingues ou alors les citoyens n'avaient pas le droit d'utiliser la langue officielle de leur choix.
    Je voudrais surtout parler de mon expérience devant la Cour suprême du Canada. J'ai eu à plaider plusieurs dossiers devant la Cour suprême du Canada. Lorsqu'on gagne un dossier par neuf voix contre zéro, c'est loin d'être dramatique, mais lorsqu'on perd un dossier par cinq voix contre quatre, comme cela m'est arrivé à un moment donné, et qu'on a plaidé ce dossier en français, on rentre ensuite à la maison et on écoute l'interprétation anglaise qui a été faite de notre plaidoirie devant la cour dont trois juges ne comprenaient pas le français. Comme ils devaient écouter la plaidoirie par l'intermédiaire de l'interprétation anglaise sur CPAC, on se pose des questions sur ce que les juges ont compris.
    J'ai écouté l'interprétation anglaise de ma plaidoirie et je n'y ai rien compris moi-même. J'ai beaucoup de respect pour les interprètes et le travail qu'ils ont à faire. Ce doit être déjà assez compliqué de le faire dans un contexte politique, j'imagine ce que ce doit être dans un contexte judiciaire, où chaque mot compte, où l'interaction entre le banc et le plaideur joue un rôle très important, et où les questions qui sont posées au plaideur et les réponses qui sont données peuvent avoir une influence. Devant ces circonstances, si je devais plaider un autre cas devant un banc où trois juges ne comprennent pas directement la langue dans laquelle je veux plaider, je suggérerais peut-être à mon client de procéder dans l'autre langue pour s'assurer que les neufs juges sont en mesure de comprendre la plaidoirie.
    Je crois donc que le contexte canadien est aujourd'hui suffisamment mûr sur le plan du bilinguisme pour qu'une modification soit apportée à la Loi sur les langues officielles afin de retirer l'exception faite pour la Cour suprême du Canada. Il est également suffisamment mûr pour que dorénavant, si les juristes sont avertis assez longtemps à l'avance, on puisse exiger que tout juge et toute personne qui voudrait siéger ou qui voudrait être nommée à la Cour suprême du Canada soit bilingue avant sa nomination.
    Sur ce plan, je rejoins les propos tenus par l'Association du Jeune Barreau de Montréal dans un article publié dans La Presse il y a quelques semaines. Il demandait effectivement que lors des prochaines nominations à la Cour suprême, on s'assure que les juges peuvent comprendre directement le français des plaidoiries faites par les parties, et non pas à l'aide indirecte de l'interprétation ou d'autres moyens.
    Je rejoins également les propos du commissaire en ce qui concerne l'obligation d'avoir, dans toutes les provinces canadiennes, un nombre suffisant de juges en mesure d'entendre les procès dans les deux langues. J'irai plus loin. Il faudrait que dorénavant au Nouveau-Brunswick, qui est la seule province officiellement bilingue, on exige lors d'une nomination à la magistrature, que toutes les personnes soient également bilingues afin que les justiciables francophones ne soient pas limités dans le choix des juges devant lesquels ils vont comparaître.
    Merci.
(0920)
    Je vous remercie, monsieur Doucet, de cette présentation.
    Nous entendrons maintenant Mme Aucoin, présidente de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law.
    Je vous remercie de cette invitation.
    Permettez-moi de vous parler très brièvement de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law. La FAJEF regroupe sept associations de juristes d'expression française et a pour mandat de promouvoir et de défendre les droits linguistiques des minorités francophones, notamment — mais pas exclusivement — en matière d'administration de la justice. Nous regroupons 1 350 juristes. Plusieurs sont diplômés de l'Université de Moncton et de l'Université d'Ottawa, c'est-à-dire de facultés de droit de common law. Nous regroupons tout de même beaucoup de juristes francophones et francophiles diplômés de toutes les facultés de droit du Canada. Nous avons une très belle représentation de juristes de partout au Canada. La FAJEF est aussi membre de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.
     Notre présentation d'aujourd'hui portera sur le processus de nomination des juges à la magistrature fédérale en général, bien que nous voulions faire quelques commentaires et suggestions quant au processus de nomination de juges à la Cour suprême du Canada. Je suis accompagnée aujourd'hui de Me Rénald Rémillard, le directeur général de la FAJEF.
    Quelles sont les obligations linguistiques judiciaires des provinces? Comme l'a souligné mon collègue Me Doucet, le degré de bilinguisme judiciaire varie d'une province à l'autre, au Canada. Par exemple, les tribunaux du Manitoba, du Québec et du Nouveau-Brunswick doivent tous fonctionner dans les deux langues officielles. En Ontario, le même principe s'applique dans les régions désignées bilingues, qui comprennent environ 90 p. 100 de la population de l'Ontario. Depuis 1990, dans les régions non désignées bilingues de l'Ontario, en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, en Nouvelle-Écosse, à l'Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve-et-Labrador, les obligations en matière de bilinguisme judiciaire se limitent largement, mais pas toujours exclusivement, aux procès en matière criminelle. Chose certaine, en 2008, toutes les provinces et territoires doivent avoir un nombre minimal de juges bilingues. Ce n'était pas le cas avant. Il y a eu certains progrès depuis 1990, moment où le processus actuel de nomination de juges a été adopté.
    Que donne le processus actuel de nomination des juges à la magistrature fédérale? À notre avis, le processus actuel mène trop souvent à des résultats inacceptables. D'ailleurs, ce constat est confirmé par nos membres qui, depuis plusieurs années, nous font part de certaines situations alarmantes dans plusieurs provinces. Voici quelques exemples.
    Au Manitoba, les citoyens ont le droit constitutionnel d'utiliser la langue de leur choix devant tous les tribunaux. En dépit de ce droit, aucun juge bilingue ne siégeait à la Division de la famille de la Cour du Banc de la Reine jusqu'en février 2005. Pendant des années, les justiciables francophones du Manitoba qui voulaient divorcer en français devaient comparaître devant un juge de la Division générale de la Cour du Banc de la Reine. Concrètement, cela voulait dire qu'un justiciable qui voulait procéder en français au Manitoba devait souvent attendre plus longtemps pour divorcer que s'il procédait en anglais, à cause de l'absence de juges bilingues. Le processus actuel de nomination des juges à la magistrature fédérale n'a donc pas assuré le respect des droits linguistiques au Manitoba pendant des années, et rien ne garantit que ce sera mieux à l'avenir.
    En Ontario, la Cour supérieure doit être en mesure d'entendre des procès en français dans les régions désignées. En dépit de ce droit, la Cour supérieure de l'Ontario a perdu ses compétences bilingues à Windsor ainsi qu'à Welland. À Toronto, la capacité bilingue est nettement insuffisante. La situation n'est guère meilleure dans d'autres régions de l'Ontario, comme à Parry Sound, à Sault Ste. Marie et à Thunder Bay.
    Étant donné qu'il n'existe pas de statistiques officielles sur le nombre de juges bilingues à la magistrature fédérale du Canada, nous sommes incertains du nombre de juges bilingues à l'Île-du-Prince-Édouard ou à Terre-Neuve-et-Labrador.
    En Alberta et en Colombie-Britannique, deux juges par province parlent couramment français au tribunal supérieur provincial, mais en Saskatchewan, il n'y a qu'un seul juge bilingue à la Cour du Banc de la Reine. Si ce juge est en congé de maladie, en vacances ou s'il y a un conflit d'intérêts, le droit de subir son procès en français en vertu du Code criminel disparaît dans cette province. Ce droit est donc très précaire.
(0925)
     La FAJEF est d'avis que le processus actuel de nomination des juges à la magistrature fédérale ne tient pas suffisamment compte des droits linguistiques. D'ailleurs, l'absence de mécanisme pour évaluer le degré de bilinguisme des candidats à la magistrature fédérale confirme, selon nous, le peu d'importance qu'on accorde au critère du bilinguisme lors de la nomination des juges à la magistrature fédérale. Une réforme du processus de nomination actuel s'impose, du moins en matière de langues officielles.
    Voici quelques réformes ou pistes de solution possibles à explorer. Il nous semble qu'il serait important d'évaluer le nombre de juges bilingues nécessaire pour assurer un accès égal en français. Ce nombre devrait être réévalué régulièrement pour chacune des provinces ou régions en tenant compte, entre autres, du principe de l'accès égal et des obligations constitutionnelles et législatives de la province ou de la région. Lors d'une telle évaluation, les associations de juristes devraient être consultées, car celles-ci savent si le nombre de juges bilingues affecte ou non l'accès à la justice de justiciables francophones dans leur province. Cette information n'est pas toujours connue par d'autres intervenants ni par les juges en chef, qui se fondent souvent sur la demande réelle en français, mais pas nécessairement sur la demande possible.
    Des mécanismes qui permettent clairement au ministre de demander des candidats bilingues au comité constitueraient une autre piste de solution. On devrait prévoir spécifiquement que le ministre puisse exiger des comités une liste de candidats bilingues, et que ce soit indiqué sur les listes de juges qui sont soumises au ministre. La capacité bilingue des candidats devrait être évaluée, car elle n'est aucunement mesurée à l'heure actuelle. Une personne peut se déclarer bilingue dans le formulaire de demande sans l'être véritablement. D'ailleurs, l'expérience démontre que les gens se déclarent assez facilement bilingues, alors que dans les faits, ils le sont beaucoup moins. Lorsqu'il s'agit d'entendre un procès, il ne suffit pas de pouvoir dire: « Bonjour, comment allez-vous? »
    Pour évaluer la capacité bilingue des candidats à la magistrature, il pourrait y avoir des entrevues avec les candidats et il faudrait qu'au moins un des membres du comité de sélection soit couramment bilingue. Il pourrait ainsi évaluer le niveau de bilinguisme. Bien sûr, dans certaines provinces, un minimum de membres bilingues serait inacceptable. Nous appuyons donc la suggestion de Me Doucet.
     Il faudrait également identifier les candidats bilingues de façon obligatoire. Il faudrait indiquer si les candidats recommandés pour leur province ou leur région sont bilingues. À l'heure actuelle, rien ne porte à croire que le bilinguisme d'un candidat est identifié lorsqu'il apparaît sur la liste des personnes recommandées.
(0930)
    En ce qui a trait au recul qu'on a remarqué dans certaines provinces, il ne devrait pas y avoir de perte de capacité bilingue lors de la retraite ou du départ d'un juge bilingue. On devrait au moins remplacer automatiquement par une autre personne bilingue tout juge bilingue qui prend sa retraite. Cela aurait l'avantage d'éviter des reculs en matière de bilinguisme judiciaire, comme nous l'avons vu récemment en Ontario et en Nouvelle-Écosse.
    Il vous reste environ deux minutes, madame Aucoin. C'est intéressant, mais j'ai un peu de mal à vous entendre. J'inviterais les députés qui tiennent des conversations à le faire à l'extérieur de la salle pour qu'on puisse bien entendre les propos de nos témoins.
    Merci.
     Je vais parler tout de suite de la Cour suprême du Canada. La FAJEF trouve essentiel que tous les juges de la Cour suprême du Canada soient bilingues, et ce, pour les raisons suivantes. Le français et l'anglais ont un statut constitutionnel ou législatif dans les systèmes juridique et judiciaire fédéraux ainsi que dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada. Les versions française et anglaise des lois ont valeur égale au fédéral, au Québec, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, en Ontario et dans les trois territoires. Dans un tel contexte, la capacité des neuf juges de la Cour suprême du Canada de bien comprendre les deux versions des lois nous semble essentielle.
    La Loi sur les langues officielles du Canada reconnaît déjà l'importance d'être compris sans l'aide de l'interprétation devant les tribunaux fédéraux comme la Cour canadienne de l'impôt, la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale. Le même droit devrait s'appliquer à la Cour suprême du Canada.
    Au Canada, le français bénéficie d'une égalité de statut et d'usage avec l'anglais. Aucun justiciable francophone ne devrait donc être entendu par le biais de l'interprétation devant le plus haut tribunal du Canada. Pour ces raisons, la FAJEF demande que le bilinguisme devienne un critère obligatoire pour être nommé à la Cour suprême du Canada.
(0935)
    Merci, madame Aucoin. Je dois vous interrompre. Vous aurez l'occasion de vous exprimer en répondant aux questions des parlementaires.
    Commençons maintenant du côté de l'opposition officielle.
     M. D'Amours, nous vous écoutons.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à vous remercier, tous et chacun, d'être présents ce matin.
     Vous avez bien mentionné que pour avoir accès à la justice, il faut pouvoir se faire comprendre ou du moins avoir l'impression que tout ce qu'on dit est compris. Or, il ne semble exister aucun mécanisme qui permette de s'assurer, lorsqu'un candidat à la magistrature se dit bilingue, qu'il l'est réellement. C'est à se demander si certains n'étirent pas un peu la vérité pour s'assurer d'un poste. Je ne sais pas si vous accepterez de vous avancer sur ce terrain, mais d'après ce qu'on peut voir, on dirait bien que certains étirent un peu la vérité.
    Par ailleurs, pour obtenir certains postes à la fonction publique du Canada — appelons-les des postes de service à la clientèle —, si les personnes ne réussissent pas un examen, si elles ne se qualifient pas sur le plan linguistique, elles n'obtiendront pas ce poste. Or, il s'agit de simples services à la clientèle et d'offrir un service dans les deux langues officielles. Ce sont souvent des choses extrêmement banales. C'est de l'information générale destinée à la population canadienne.
    Mais lorsque vient le temps de se présenter devant une cour pour faire valoir ses droits, aucune procédure n'assure le citoyen qu'il pourra se faire comprendre adéquatement. Tout cela est un peu ironique. Dans le cas d'un simple service d'information générale, on s'assure que la personne est bilingue; si elle ne réussit pas l'examen, elle n'a pas le travail. Dans le cas de la protection des droits du citoyen, on n'est pas obligé de s'assurer que la personne qui prend les décisions est bilingue.
    Quand vous pensez à ces deux extrêmes, trouvez-vous cela ironique? Par ailleurs, êtes-vous prêts à vous aventurer sur le terrain dont j'ai parlé plus tôt, celui de la vérité qu'on étire pour obtenir un poste? Ensuite, j'aimerais savoir si les plus récentes nominations de juge faites par le gouvernement fédéral — je pense notamment au Nouveau-Brunswick — offrent la garantie aux francophones qu'ils pourront se faire servir davantage dans la langue de leur choix.
    Monsieur Fraser, monsieur Doucet et madame Aucoin, je vous laisse répondre.
    Je répondrai de façon très brève, en partie parce que je ne suis pas avocat.
     Comme vous, je trouve cela très ironique, surtout quand on considère les autres qualifications qui sont vérifiées. Quand on postule un poste de juge, il nous faut une série de qualifications, dont celle d'être membre du Barreau, qui, je présume, exigent une certaine vérification. Je trouve ironique que ce soit un élément qui soit considéré non pas comme une qualification, mais comme un atout. Comme vous, je suis étonné de voir qu'il n'y a pas de processus pour vérifier si cet atout existe ou non.
    Monsieur Doucet.
    La fiche de candidature des candidats, c'est de l'autoévaluation. Le candidat décide lui-même s'il est bilingue ou non. Tôt dans ma pratique, j'ai comparu devant un juge, et les deux avocats n'étaient pas certains que ce juge comprenait bien le français. Pourtant, le juge, lui, était convaincu de le comprendre. Au milieu de l'après-midi, il a reconnu éprouver un peu de difficulté. Comprendre le français et fonctionner socialement dans cette langue, c'est une chose. Fonctionner dans une langue lors d'un débat juridique, c'est autre chose. Évidemment, il faut qu'il y ait une procédure.
(0940)
    Monsieur Doucet, trouvez-vous que la situation actuelle des nominations dans certaines provinces, dont la nôtre, montre bien qu'un francophone a de plus en plus de difficulté à faire valoir ses droits dans sa langue? Il ne suffit pas de dire qu'on est bilingue. Il faut s'assurer que la personne devant nous l'est et comprend adéquatement. Comme vous le dites, ce n'est pas une discussion sociale. C'est une question d'avenir, de défense de ses droits et d'avancement de la justice dans sa langue.
    Ma réponse ne vous plaira peut-être pas. Je dirai simplement que ça ne s'est pas amélioré, mais que ça ne s'est pas détérioré non plus. Ce problème existe au Nouveau-Brunswick depuis longtemps déjà, mais les proportions restent les mêmes.
     Ça s'est amélioré à la Cour d'appel au cours des 10 dernières années, je dois le reconnaître. Mais lorsqu'un avocat francophone décide d'intenter une poursuite en français à la Cour du Banc de la Reine, il doit éliminer presque 60 p. 100 des juges. Cela pose un problème au justiciable, à cause des délais, par exemple. Parfois, on doit attendre un long moment pour avoir une juge francophone. Cela pose des problèmes sur le plan du financement.
    Mon temps passe vite, mais je vous laisserai le temps de répondre, madame Aucoin.
    Plus tôt, Me Doucet a émis un commentaire à ce sujet et a expliqué sa position. Personnellement, je crois qu'il est clair et net que les juges de la Cour suprême devraient toujours être tous bilingues. Ils devraient être parfaitement bilingues et réussir des examens pour garantir que lorsque vous écouterez ensuite votre plaidoirie, vous n'aurez pas le sentiment de ne pas avoir été compris et que la décision n'a pas été rendue comme elle aurait dû l'être normalement. Il est certain que les juges de la Cour suprême doivent être bilingues. On doit s'assurer qu'un mécanisme le permette.
    Madame Aucoin, je vous écoute.
    À mon avis, c'est un problème systémique. Pour avoir des garanties, on devrait établir des critères. C'est ce que nous souhaiterions. Il faudrait des critères sur le plan de la langue. Il faudrait aussi vérifier de façon vraiment objective si les gens ont effectivement cette capacité.
     Merci beaucoup monsieur D'Amours.
    Je donne maintenant la parole à M. Nadeau, du Bloc québécois.
    Merci, monsieur le président.
     Bonjour à tous.
    D'après ce que je viens d'entendre, il semble que des candidats à un poste de juge trichent en disant qu'ils sont bilingues. Ce qui m'inquiète, c'est que ces gens devront présider une cour de justice. Cela donne froid dans le dos de penser que de futurs juges ou des gens peut-être déjà en place auraient fait une chose semblable.
    Un autre aspect ressort. Si j'ai bien compris, le Canada est encore un pays soi-disant bilingue qui, soi-disant, respecte les francophones. Dans ce pays, les personnes qui se trouvent devant un juge peuvent être entendues par lui, mais pas nécessairement comprises par lui. Est-ce encore la situation au Canada? Ai-je bien compris?
    Monsieur Fraser, monsieur Doucet et madame Aucoin, ma question s'adresse à vous tous.
    J'aimerais d'abord répondre au postulat de votre question. Je ne pense pas qu'on puisse parler de tricherie. Quand des gens se déclarent bilingues, ils le font de bonne foi, sans nécessairement comprendre qu'il y a des niveaux de compréhension linguistique et qu'ils sont tout à fait capables de fonctionner jusqu'à un certain degré.
     L'exemple qu'a donné M. Doucet n'était pas un exemple montrant de la mauvaise foi, mais un exemple montrant que la compréhension du juge n'était pas adéquate.
    Je ne cherchais pas dire qu'il s'agissait de tricherie de la part des candidats, mais à dire qu'on a souvent tendance à surévaluer ses connaissances de l'autre langue. Si on devait évaluer mon anglais, certaines personnes diraient que, moi-même, je ne suis pas parfaitement bilingue.
    Quant à l'autre aspect dont vous avez parlé, à savoir qu'il existe encore des situations où on ne peut être compris directement dans notre langue, la Cour suprême est l'exception, dans la Loi sur les langues officielles. L'article 16 stipule qu'à la Cour suprême, on n'a pas besoin de comprendre directement et qu'on peut le faire par la voie de la traduction. Or, la loi prévoit que tous les autres tribunaux fédéraux ont l'obligation de comprendre directement.
(0945)
    J'appuie les commentaires de mes collègues.
    M. Doucet a parlé de la compréhension. Pour ma part, j'ai fait mon premier baccalauréat en anglais. J'avais fait mon droit en français, et quand j'ai commencé la maîtrise, il m'a fallu quelques mois avant de pouvoir commencer à penser au droit en anglais. Je pense que des examens pour vérifier les capacités linguistiques sont essentiels, parce qu'une langue ne s'apprend pas aussi facilement. Ce serait une solution pour assurer un meilleur respect des droits linguistiques des justiciables.
    Dans les provinces où il est prescrit que la personne qui se retrouve devant un juge a le droit d'être entendue et comprise dans la langue de son choix, reste-t-il encore des situations où on est entendu et non compris? Je parle des provinces où cette obligation existe.
    Dans le cas du Nouveau-Brunswick, la réponse est non parce que la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick prévoit spécifiquement que le juge qui préside un tribunal au Nouveau-Brunswick doit être en mesure d'entendre et de comprendre sans l'aide de traduction, à toutes les étapes de la procédure.
    Cependant, un problème se pose. Comme tous les juges ne sont pas bilingues, on réduit le nombre de juges auxquels on a accès.
    Vous parlez du Nouveau-Brunswick, mais qu'en est-il des autres provinces?
    Je ne peux pas me prononcer là-dessus.
    Je pense qu'on s'organise tant bien que mal. Parfois, on fait venir des juges d'une autre province pour entendre une cause. On arrive à s'organiser.
    Il reste donc des possibilités d'être entendu sans être compris.
    On est en 2008 et on n'évalue toujours pas, au moyen d'un examen, la compréhension et la subtilité de la langue seconde des futurs juges. Pouvez-vous nous suggérer, à nous parlementaires, des modifications à apporter à une loi afin qu'on respecte enfin les francophones, et qu'ils aient devant eux, non pas un juge qui pense qu'il comprend le français, mais un juge qui va effectivement respecter la personne et rendre un jugement juste et équitable?
    Je pense que la fonction publique vous en donne un modèle. Il ne s'agit pas d'un modèle parfait: on peut encore y apporter des améliorations.
    Par ailleurs, je sais que des cours spécialisés en français langue seconde s'adressent aux juges ou aux juges potentiels qui ont déjà atteint un certain niveau de français. Je sais qu'une école spécialisée de Québec offre un cours intensif spécialisé aux juges qui veulent perfectionner leur français. Avec ces institutions, on ne part pas de zéro.
    Si on a un système de qualification, de classification et d'examen, il faut avoir des institutions de formation. On ne peut pas décréter soudainement que ceux qui n'ont pas prévu cela dans leur jeunesse sont exclus du processus et n'ont aucune possibilité de devenir juge.
    Merci beaucoup, monsieur Nadeau.
    On va maintenant continuer avec M. Godin.
    Merci, monsieur le président. J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités de ce matin.
    En écoutant les témoignages, je me dis que cela devient inquiétant dans un certain sens. Monsieur Doucet, quand vous avez parlé de « 9 à 0 », je pensais que vous parliez de la joute de hockey des Canadiens. Je n'avais vraiment pas pensé que la Cour suprême comptait neuf juges. Or, l'expression « 9 à 0 » signifiait qu'il y avait neuf juges et que lorsqu'ils étaient tous du même avis, il y avait moins de problèmes. Sauf que quand la partie se joue à cinq contre quatre, c'est une partie serrée qui risque de se rendre en prolongation, et à ce moment-là, vous avez dit que le cinquième point a été que le juge n'a pas compris le plaidoyer, puisque vous ne l'avez pas compris vous-même en écoutant la traduction, malgré tout le respect que vous portez aux traducteurs.
    C'est inquiétant. La Cour suprême, c'est la dernière instance à laquelle on peut s'adresser au Canada. C'est la dernière étape du processus de justice pour un Canadien ou une Canadienne. Pour la personne qui est jugée, c'est tout son avenir qui peut être ruiné. C'est pourquoi on a un système de justice.
    Ce qu'on entend de votre part ce matin est effrayant. J'ai bien hâte de vous entendre à ce sujet. Je n'aurais pas aimé être votre client, même si vous êtes un bon avocat. Vous avez gagné beaucoup de causes à la Cour suprême avec des collègues. Mais quand vous me parlez du service de traduction que vous avez reçu à la Cour suprême dans un cas particulier, je pense que ce jour-là, quelqu'un n'a pas eu de chance à la cour.
    J'aimerais vous entendre à ce sujet..
(0950)
    Je voudrais simplement spécifier que l'exemple que je donnais est survenu à une époque où il y avait trois juges qui n'étaient pas bilingues. Je n'ai pas dit que ces juges n'avaient pas compris. J'ai simplement expliqué que je me suis posé des questions par la suite. Lorsque le rapport était de cinq juges contre quatre, je me suis posé des questions à savoir si la situation aurait été différente si j'avais plaidé mon dossier en anglais.
    Je crois qu'il est légitime de se poser cette question lorsqu'on utilise la traduction. J'ai eu moi-même à faire des présentations à l'étranger où je devais écouter par l'intermédiaire de la traduction et où, parfois, je perdais le fil du débat qui était en train de se dérouler. Alors, je ne pouvais pas suivre exactement ce qui se disait. Je dis tout simplement que je me suis posé la question.
    À la Cour suprême, la situation actuelle s'est améliorée énormément comparativement à cette époque, mais il y a encore des problèmes. Il faut donc s'assurer que, effectivement, tous les juges soient bilingues.
    Mais d'un autre côté, ce n'est pas à un juge d'expliquer — j'essaie de me faire comprendre — à un autre juge ce que le témoin a voulu dire. Je pense que cela devrait être dit directement au juge, et non interprété par un autre juge qui pense avoir compris.

[Traduction]

    Non. vous n'avez manifestement pas bien compris ce qu'il a voulu dire. Il n'est malheureusement plus là pour nous l'expliquer à nouveau, et je trouve cela fort gênant.

[Français]

    C'est souvent le problème: après la traduction, si le juge voulait une clarification et poser une question à l'avocat, le temps de recevoir la traduction et d'être en mesure de poser la question, on avait déjà passé à quelque chose d'autre.
    Mais le problème, c'est que si un juge demande des explications à un autre juge, parce qu'il a mal compris, il est possible qu'il s'adresse à un juge qui a déjà formé son opinion. Je ne veux pas dire qu'il serait méchant, mais peut-être qu'il ne dira pas tout ce que le premier juge aurait besoin d' entendre.
    De cette façon, l'accusé n'est pas devant une Cour qui est juste à son égard.
    J'aimerais ajouter un autre élément au dossier. On vit dans ce système bijuridique où la Cour suprême est appelée à rendre des décisions, à trancher des débats dont certains sont tenus en français. Tout le concept est débattu en français dans un système juridique qui n'est pas nécessairement le droit commun, dans un pays où il y a un débat linguistique depuis 40 ans qui a des implications juridiques profondes. Ce n'est donc pas par l'interprétation qu'on va nécessairement comprendre tous les éléments du débat antérieurs à l'arrivée de la cause devant la Cour suprême.
    Monsieur le président, il y a une question importante qu'on a posée aux sous-ministres la semaine dernière ou au début de cette semaine.
    Vous dites que le débat sur les langues perdure depuis 40 ans, mais je crois qu'il perdure plutôt depuis 400 ans. Alors, concernant le débat en cours, combien y a-t-il de juges à la Cour suprême qui sont, par exemple, de langue française et qui ne parlent pas l'anglais? Y a-t-il jamais eu un juge complètement francophone nommé à la Cour suprême? Selon vos connaissances, savez-vous un unilingue francophone a déjà été nommé à la Cour suprême?
(0955)
    À ce que je sache, non.
    Monsieur Doucet.
    Je me suis déjà posé la question, et la réponse est non.
    Madame Aucoin.
    C'est la même chose.
    Monsieur Tremblay.
    On ne conserve aucune donnée à ce sujet, tant sur les francophones que sur les anglophones.
    Monsieur Tremblay, vous travaillez au ministère de la Justice. Pouvez-vous trouver ces données et les envoyer au comité?
    Nous ne sommes pas habilités à faire de telles recherches. Vous devez parler au commissaire à la magistrature fédérale.
    Il faudrait demander à d'autres témoins du ministère de la Justice de nous fournir ces données.
    Ils ne sont pas au ministère de la Justice mais au Bureau du commissaire à la magistrature fédérale.
    D'accord.
    Monsieur Fraser, serait-il possible de faire une étude pour savoir combien de personnes au Canada pourraient être nommées? En Saskatchewan, y a-t-il des avocats qui parlent les deux langues? On dit qu'il n'y en a qu'un dans cette province.
    J'en connais plusieurs. On a une association de juristes d'expression française en Saskatchewan.
    Dans toutes les provinces, le gouvernement, s'il le voulait — il semble qu'il faudra adopter une loi pour lui donner un petit coup de pied au derrière —, pourrait trouver des personnes compétentes ou encore envoyer le signal à l'effet que si une personne n'est pas bilingue, elle n'est pas compétente. On peut dire l'inverse. Mais maintenant, on dit que si une personne est bilingue, elle n'est pas compétente, puisqu'on dit qu'il faut recruter la personne la plus compétente.
    Merci, monsieur Godin.
    On va maintenant se tourner du côté du gouvernement.
    Monsieur Petit.
    Bonjour, monsieur Fraser. Bonjour aux autres invités aussi. Bienvenue au comité.
    Ma question s'adresse à M. Fraser, à M. Doucet et à Mme Duchesne. Je suis avocat depuis 35 ans et je n'ai pas eu l'occasion, contrairement à M. Doucet, d'aller à la Cour suprême. J'ai travaillé avec M. et Mme Tout-le-Monde en bas. Que désirent ces gens? Ils veulent d'abord avoir accès à la justice dans leur langue. La dénonciation doit se faire dans leur langue. Autrement dit, s'ils sont accusés de quelque chose, ils veulent pouvoir lire l'acte d'accusation.
    Si je n'ai pas d'argent, je veux que l'aide juridique financée par le fédéral me permette d'avoir un avocat qui parle ma langue. Lorsque je me présente devant le tribunal, je veux que la preuve qui m'est fournie par le procureur de la Couronne, puisque nous sommes au palier fédérale, soit dans ma langue. C'est ça, l'accès à la justice. Quand je me présenterai devant le juge, je verrai si je plaiderai coupable. Mais ça, c'est autre chose.
    Je veux aussi que le greffier du tribunal sache parler ma langue, parce qu'il détient certaines choses. Par exemple, il peut compiler une preuve qui servira lors d'un appel subséquent, le cas échéant. C'est ce que j'entends par un accès à la justice.
    Le juge est un instrument extrêmement important, mais avant d'arriver devant lui, j'ai tout ce cheminement à faire.
    Monsieur Fraser, ce cheminement se fait-il actuellement? Je vais ensuite demander à Mme Duchesne, à Mme Aucoin et à tout le monde de répondre à cette question.
    Corrigez-moi si j'ai tort, mais j'ai l'impression que c'est effectivement pour permettre de faire ce dont vous venez de parler que le projet de loi C-13 a été élaboré. J'ai déjà comparu devant le Comité de la justice de la Chambre et devant celui du Sénat pour exprimer mon appui à ce projet de loi parce qu'il essaie de régler les lacunes que vous avez identifiées.
    Je note une confusion dans tous les propos exprimés devant ce comité ce matin. Je crois qu'il est important de mettre les choses au clair. Lorsqu'il est question de compétence fédérale, de la Loi sur les langues officielles et du Code criminel, vous, comme parlementaires, et nous, en tant que gouvernement, avons une certaine mainmise et pouvons adopter des lois, des politiques, et ainsi de suite. Dans ces conditions, les dispositions du Code criminel dont on parle et la partie III de la Loi sur les langues officielles font en sorte, sauf la légère exception de la Cour suprême dont on a déjà traité, non seulement que chacun est libre d'utiliser le français ou l'anglais devant les tribunaux, mais qu'en vertu d'obligations corrélatives, le juge et le procureur de la Couronne doivent utiliser activement la langue choisie par l'autre partie. C'est déjà le cas dans la sphère que nous contrôlons et sur laquelle nous avons une influence.
    Par contre, les autres sphères sont de compétence provinciale. Dans un cas traitant d'accès à la justice au Manitoba, la Constitution ne garantit pas le droit d'être compris directement. Aucune législation provinciale ne confère ce droit. Le droit provincial est de compétence provinciale. Je pense que cette question est importante. En effet, si vous me demandez dans quelle langue va être rédigé l'acte introductif d'instance dans une affaire civile au Manitoba, je ne pourrai que vous répondre que ce n'est pas de notre ressort.
    Il existe des règles au fédéral. M. Fraser a fait allusion à celles du Code criminel qui sont en processus d'élaboration et qui visent à prévoir la traduction de la dénonciation. Au fédéral, le procureur général a l'obligation d'utiliser la langue de l'autre partie dès que celle-ci est connue. Il faut mettre ces choses bien au clair, sinon nos discussions iront, à plusieurs égards, dans la mauvaise direction.
(1000)
    Si vous le permettez, je vais vous servir une petite mise en garde.
    Je suis d'accord avec Me Tremblay quand il dit que la procédure civile est de compétence provinciale et que la procédure pénale est de compétence fédérale. La nomination des juges est de compétence fédérale. Par exemple, la nomination des juges de la Cour supérieure est du ressort du gouvernement fédéral.
    Dans le cas où il n'y a pas suffisamment de juges bilingues, je n'exercerai pas mon droit de demander un procès en français parce que mon client va vouloir accéder à la justice dans les meilleurs délais possibles. En effet, s'il s'avère qu'il faut attendre quelques mois, nous allons opter pour l'autre langue. Quoi qu'il en soit, la nomination des juges des tribunaux supérieurs relève du fédéral.
    Ma dernière question s'adresse à Mme Duchesne.
    Je siège également au Comité permanent de la justice et j'aimerais savoir en quoi consiste le Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles. À quoi sert-il? On parle d'une chose qui nous serait peut-être utile aujourd'hui.
    Le Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles est un programme fédéral géré par le ministère de la Justice du Canada. Un de ses objectifs est de contribuer à améliorer l'accès à la justice dans les deux langues officielles partout au pays. Pour ce qui est du sujet qui nous intéresse plus particulièrement ce matin, je dirai que nous travaillons à ce dossier en étroite collaboration avec les provinces et les territoires dans le cadre d'un groupe de travail fédéral-provincial-territorial. Nous avons appuyé des initiatives émanant de plusieurs provinces. Le but est d'aider ces dernières à faire en sorte que le personnel judiciaire, les greffiers et le personnel assurant le service de première ligne soient aidés et encouragés, à leur demande, à former des gens dans l'autre langue officielle.
    Par exemple, une initiative particulièrement intéressante ayant trait aux poursuivants provinciaux vise à améliorer chez ces derniers la capacité d'offrir des services dans l'autre langue officielle. Dans tous ces cas, les personnes doivent d'abord être bilingues pour pouvoir profiter de ce perfectionnement. Nous espérons accroître nos efforts auprès de nos collègues provinciaux dans ce domaine. À la demande des cours provinciales, nous avons appuyé dans certaines provinces la formation de juges de cours provinciales. Ça a été le cas au Québec, ça l'a été récemment en Alberta et ça l'est présentement au Nouveau-Brunswick.
    Merci, madame Duchesne, pour ces éclaircissements.
    Nous entamons maintenant notre deuxième tour de table avec M. Rodriguez.
    Merci, monsieur le président.
    Bienvenue à tous et à chacun d'entre vous.
    Monsieur Doucet, vous avez dit d'entrée de jeu que le système judiciaire devait refléter nos valeurs et qui nous sommes. En peu de mots, notre système judiciaire ne reflète pas qui nous sommes: le Canada, pays officiellement bilingue. Il y a encore beaucoup de travail à faire de ce côté.
    Ce qui me frappe, c'est la situation actuelle relativement à la Cour suprême, qui est l'instance suprême, la dernière instance, et pour laquelle il existe une exception. Puis-je savoir où elle est inscrite?
(1005)
    C'est dans la version de 1998 de la Loi sur les langues officielles, à l'article 16, qui se lit comme suit:
16. (1) Il incombe aux tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada de veiller à ce que celui qui entend l’affaire:

a) comprenne l’anglais sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en anglais;

b) comprenne le français sans l’aide d’un interprète [...]
    Cela incombe donc aux tribunaux autres que la Cour suprême, conformément à la version de la loi amendée en 1988.
    C'est donc une loi du Parlement qui peut être amendée par le Parlement.
    Serait-ce votre recommandation, monsieur Fraser?
    J'ai toujours pensé qu'il était très important de nommer des juges bilingues à la Cour suprême. Amender la loi est une façon de faire, mais il existe une autre façon plus simple de procéder. Il s'agit de faire en sorte, dans le processus de nomination, que cela se produise.
    En effet. Cependant, on ne peut pas garantir les souhaits et la volonté du gouvernement. Pour forcer le gouvernement à agir en conséquence, il faudrait donc modifier la Loi sur les langues officielles. Je présume que c'est le souhait d'à peu près tout le monde ici. Évidemment, vous restez neutre sur la question, mais c'est du moins le souhait de ceux qui travaillent dans ce domaine.
    Quelle est la situation actuelle des juges? Ai-je bien compris que huit sont bilingues et qu'un seul, le dernier à avoir été nommé, est unilingue?
    C'est exact.
    Cela crée une drôle de dynamique, par exemple lors de discussions non officielles à l'extérieur d'une salle où l'on offre un service de traduction. Je présume que tout le monde doit nécessairement parler anglais.
    Je pense que cette dynamique est inévitable lors de discussions sur une cause ayant été plaidée partiellement en français, sur une cause ayant trait à des éléments du Code civil ou encore sur des causes linguistiques. Ou bien le neuvième juge ne fera pas partie des discussions entre les juges bilingues, ou bien les juges francophones devront tenir la conversation en anglais.
    On peut donc dire que c'est légal, selon la loi, mais en quelque sorte inacceptable, selon les valeurs du bilinguisme que l'on essaie de défendre.
    Disons que...
    M. Doucet peut-il répondre à la question? On va lui permettre de parler un peu.
    J'ai toujours trouvé un peu bizarre qu'on impose ces obligations à tous les tribunaux fédéraux et qu'on fasse cette exception pour la Cour suprême du Canada, le tribunal le plus important du pays.
    C'est pour cette raison que je suis, moi aussi, favorable à une modification de cette disposition, en vue d'assurer la nomination de juges bilingues à la Cour suprême.
    Ce sujet m'intéresse énormément.
    Selon moi, il y a deux occasions où un individu qui se trouve en situation vulnérable requiert véritablement des services dans sa langue. Tout d'abord, c'est le cas en matière de santé. Quand on est malade, on est vulnérable et on a besoin d'être rassuré. On a donc besoin de pouvoir communiquer avec son médecin dans sa langue. C'est également le cas en matière de justice. Par exemple, si un pépin est survenu, on peut être intimidé ou nerveux. On se retrouve dans un domaine qu'on ne connaît pas et on veut pouvoir s'exprimer dans sa langue, mais cela semble compliqué.
    Monsieur Doucet, vous avez parlé d'un cas récent où vous avez dû plaider en anglais. Cela arrive-t-il souvent?
    Je ne parlais pas d'un cas récent. J'ai donné un exemple qui s'est produit au début de ma carrière. J'aimerais bien dire que les débuts de ma carrière juridique sont tout récents, mais cela remonte déjà à plusieurs années.
    C'était donc un cas survenu au début de ma carrière juridique. On avait entamé un procès en français, mais au milieu de la première journée d'audience, le juge lui-même a avoué qu'il comprenait, mais peut-être pas suffisamment.
    Arrive-t-il souvent que vous deviez plaider en anglais?
    En effet, cela arrive souvent lorsque j'ai à plaider des dossiers linguistiques dans d'autres provinces. On doit les plaider en anglais, même si les témoins sont francophones.
    Au Nouveau-Brunswick, ça peut arriver. J'essaie personnellement de le faire le moins souvent possible, parce que je représente les justiciables francophones.
    Merci à tous.
    Merci beaucoup, monsieur Rodriguez.
    C'est maintenant au tour d'un député du côté du gouvernement. Monsieur Lemieux, vous avez la parole.
    Merci beaucoup et merci à nos témoins.
    J'aimerais commencer en posant une question à M. Fraser.
    Votre prédécesseure, la commissaire Adam, mentionnait en 2003 que le Bureau du commissaire aux langues officielles avait reçu très peu de plaintes quant à l'exercice des droits linguistiques devant les tribunaux. Si ma mémoire est bonne, en 10 ans, elle avait reçu environ 24 plaintes. Elle a expliqué cet état de fait par un certain nombre de facteurs, dont peut-être le manque de sensibilisation des justiciables canadiens quant à leurs droits linguistiques.
    J'aimerais savoir si vous pouvez nous mettre au courant du nombre de plaintes reçues depuis les dernières années. Ce nombre a-t-il augmenté ou diminué, ou est-il resté presque le même?
(1010)
    Pour ce qui est du domaine particulier de l'accès à la justice, je vais demander à Mme Tremblay de vous répondre.
    Je crois que la commissaire Mme Adam parlait des plaintes déposées en vertu de la Partie III, qui vise les tribunaux fédéraux quasi judiciaires ou administratifs. Effectivement, un faible nombre de plaintes ont été déposées depuis les 10 dernières années.
    Dans plusieurs cas, les justiciables ne sont pas informés de leurs droits, dont celui de pouvoir être entendus dans la langue officielle de leur choix. Et souvent, ceux qui en sont informés préfèrent procéder en anglais, en raison de l'incapacité de ces tribunaux à plaider en français.
    Actuellement, nous avons deux plaintes qui visent la capacité de cours supérieures de plaider dans les deux langues. Je ne suis pas en mesure en ce moment de vous indiquer le nombre de plaintes qui viseraient les tribunaux fédéraux quasi judiciaires, mais si le comité le souhaite, on pourrait vous fournir ces chiffres.
    Je voudrais ajouter un petit commentaire.
    On semble déduire que cette absence de plaintes découle d'une méconnaissance des droits. Or, c'est une opinion. Je ne suis pas certain que le commissariat détienne des données précises qui pourraient appuyer ce fait.
    Pour ma part, je peux indiquer qu'au cours de mes 10 années au ministère de la Justice à m'occuper de droits linguistiques, à ma connaissance, nous avons eu à traiter une seule plainte qui touchait la question de l'accès et qui impliquait le procureur général du Canada, que ce soit devant des instances criminelles ou devant des instances civiles.
    On fait des efforts pour sensibiliser les justiciables chez nous. Le Commissariat aux langues officielles a un mandat de sensibilisation du public à ses droits linguistiques. On doit certainement continuer à déployer des efforts de ce côté.
    Par contre, avant de tirer des conclusions négatives de l'absence de plaintes, il faudrait peut-être repenser un peu à ce processus.
    Je n'avance pas d'hypothèse. J'aimerais tout simplement savoir combien de plaintes ont été reçues.
    Des initiatives ont été prises par le ministère de la Justice, mais aussi par des groupes comme l'Association des juristes d'expression française, pour sensibiliser les Canadiens à leurs droits linguistiques.
    Quelle est votre opinion sur ces initiatives? En avez-vous une impression positive, ou négative? Cela contribue-t-il à la cause?
    Je fais allusion au fonds d'appui que mentionnait Mme Duchesne. Je vais en profiter pour dire qu'il est très important que le fonds d'appui soit renouvelé dans le contexte du plan d'action. C'était un programme de 18,5 millions de dollars sur cinq ans qui est maintenant en attente du renouvellement du plan d'action.
    Effectivement, j'entrevois cela de manière positive, mais j'ai tout de même certains soucis du fait qu'on est toujours en attente du renouvellement du plan d'action.
    Madame Aucoin, allez-y très brièvement.
    J'aimerais simplement ajouter que le plan comme tel a été évalué et que l'évaluation est très positive. Cela s'est fait dans le cadre d'une évaluation externe, et l'évaluation est excellente.
(1015)
    Merci, madame Aucoin et monsieur Lemieux.
    Nous allons maintenant passer à Mme Freeman.
    Je vous remercie d'être présents aujourd'hui.
    Je voudrais poser d'autres questions sur la nomination des juges à la Cour suprême.
    J'ai eu le privilège d'être membre du comité lorsque le juge Rothstein a comparu. Nous avons énormément insisté sur sa connaissance de la langue française. Je dois dire qu'à tout moment, il déclarait son engagement à suivre des cours qui lui permettraient, en l'espace de deux ans, de maîtriser suffisamment la langue pour pouvoir obtempérer.
    Plus tard, au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, dont je suis également membre, le juge Nicholson avait comparu. Le ministre nous avait bien assuré que ce n'était pas un handicap majeur, puisqu'on pouvait fort bien apprendre la langue assez rapidement. Ce qui primait pour la nomination d'un juge à la Cour suprême, semblait-il, était davantage la compétence juridique que la compétence linguistique.
    J'ai également entendu M. Doucet dire qu'on notait une nette amélioration pour ce qui est des juges à la Cour suprême. Pourriez-vous donner des précisions à cet égard? Pour ma part, je ne vois pas une grande amélioration.
    Ce que j'ai simplement voulu dire, c'est qu'il y a eu une époque où il y avait beaucoup plus de juges unilingues à la Cour suprême du Canada, une époque où pratiquement la majorité des juges de la cour pouvait être unilingue. Il n'y a pas tellement longtemps également, à peine quatre ou cinq ans, il y avait trois ou quatre juges qui ne fonctionnaient pas en français.
    J'écoutais mes collègues dire, tout à l'heure, qu'il n'y en a présentement qu'un seul. Aussi longtemps qu'il y en aura un, je ne dirai pas que la situation est parfaite. À mon avis, il est essentiel que tous les juges de la Cour suprême du Canada soient en mesure d'entendre directement les dossiers dans les deux langues officielles. Tant et aussi longtemps que ce ne sera pas le cas, je ne pourrai pas dire que c'est parfait.
    Je pense que vous avez tout à fait raison de dire qu'il est élémentaire, dans un pays qui défend les deux langues officielles, que le plus haut tribunal puisse oeuvrer dans les deux langues. Il me semble que c'est élémentaire. Si on prend le problème à la source, on dit que la nomination des juges est de compétence fédérale. Tout le monde sait que le gouvernement a procédé unilatéralement à la modification de la nomination des juges, en novembre dernier, en changeant la composition du comité d'évaluation. Au comité d'évaluation, évidemment, on a oublié de tenir compte de la disposition linguistique.
    Vous savez qu'auparavant, pour nommer un juge — et c'est de compétence fédérale —, le comité d'évaluation devait compter un membre du Barreau canadien, un membre du barreau de la province, le procureur général, un représentant de la magistrature et trois personnes nommées par le gouvernement. On a modifié cette façon de nommer les juges en désignant un membre du Barreau canadien, un membre du barreau de la province, un membre du service policier, ou qui le représente de façon unilatérale, et trois personnes du gouvernement. On a complètement modifié le comité.
    Pensez-vous qu'on pourrait le modifier davantage afin de tenir compte de la langue? Présentement, on tient beaucoup compte des prétentions du gouvernement conservateur, mais pourrait-on introduire cette disposition dans la façon de nommer les juges, au comité d'évaluation?
    M. Graham Fraser: Tout à fait.
    Mme Carole Freeman: Et que proposez-vous?
    J'aimerais revenir sur un point que vous avez soulevé à l'effet que ce qui est important, c'est la compétence juridique. On fait une distinction et je ne pense pas qu'on devrait la faire. Je pense que la capacité linguistique fait partie intégrante de la compétence juridique. Nos lois ne sont pas traduites, elles sont écrites dans les deux langues. Donc, si on n'est pas capable de lire l'autre version de la loi, on comprend la moitié de la loi, étant donné qu'il n'y a pas une version officielle ayant préséance sur l'autre. À mon avis, il est essentiel qu'à la Cour suprême, au minimum, on puisse exiger... En ce qui a trait à la question des lois écrites dans les deux langues, la traduction ne suffit pas, car il faut comprendre les deux versions.
    Je vous remercie.
     Madame Aucoin?
    Je voudrais seulement ajouter que la façon objective qu'on a établie pour assurer la compétence juridique est qu'il faut être membre du barreau depuis 10 ans pour être admissible comme juge. Alors, il me semble qu'on pourrait peut-être également avoir un critère objectif pour assurer la capacité linguistique des candidats.
(1020)
    Je n'ai pas compris ce que vous venez de dire.
    On a un critère objectif pour évaluer la capacité juridique d'un candidat, c'est-à-dire qu'il faut qu'il fasse partie du barreau depuis 10 ans pour être nommé juge. Donc, il me semble qu'il serait intéressant d'avoir un critère objectif pour évaluer aussi la capacité linguistique. Je suis bien d'accord que cela fait partie de la capacité...
    C'est là ma question.
    Merci, madame Freeman. On a déjà utilisé plus de temps que celui qui vous était imparti.
    Monsieur Godin.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Tremblay, tout à l'heure, vous disiez que le débat était un faux débat et que c'était comme si on ne savait pas de quoi on parlait. Or, pour moi, il était très clair qu'on parlait des juges de la Cour suprême des provinces dont la nomination est de compétence fédérale. C'est le débat aujourd'hui. En Nouvelle-Écosse, par exemple — vous devriez être au courant de cela —, combien y a-t-il de juges à la Cour suprême?
    Je ne travaille pas au Bureau du commissaire à la magistrature fédérale, monsieur Godin. Je n'ai pas de mainmise sur les questions que vous me posez.
    Vous dites que vous ne travaillez pas là, mais vous aimez répondre à certaines questions, par contre. On constate que la Nouvelle-Écosse vient de nommer deux juges unilingues à des postes occupés auparavant par deux juges bilingues. Comme M. Doucet le disait, on perd les deux tiers des chances d'être servi en français à la cour. On perd la chance d'être jugé dans sa langue. Cela me fait penser à quand on tente de joindre le gouvernement par téléphone, qu'on nous dit d'appuyer sur le 1 pour l'anglais et sur le 2 pour le français. Le 1 pour l'anglais donne accès à un service immédiat, alors que le 2, pour le service en français, on attend une demie-heure ou deux heures. N'est-ce pas la même chose? On ne parle plus d'une heure ou deux, mais on peut attendre six mois pour obtenir que justice soit rendue dans sa langue. La justice devrait être accessible immédiatement, et non dans six mois.
    En effet, la question que vous soulevez directement ne peut être posée à moi. Cependant, je vais saisir l'occasion pour vous parler de choses dont je peux vous parler, comme je l'ai fait pour clarifier les propos des invités d'aujourd'hui, qui, à certains égards, ne faisaient pas les distinctions qui s'imposent entre les niveaux de tribunaux.
    Vous dites que vous voulez parler de tribunaux supérieurs, et c'est tout à fait correct. Toujours est-il, cependant, que quelle que soit la cour concernée, ce qui n'a pas été dit aujourd'hui est que s'il y a un délai, en vertu du Code criminel, dans le cas d'une audition qui doit se dérouler dans la langue de l'accusé — parce que c'est le droit de l'accusé, conformément aux articles 530 et 530.1 — ou s'il y a une incapacité, une absence de juge ou si on n'est pas en mesure de donner effet au droit, il y a des recours prévus dans le Code criminel. La Cour suprême a été très claire à cet égard dans l'arrêt Beaulac: il y aurait arrêt des procédures, libération des accusés...
    Bien souvent, dans ce cas-là, les gens baissent les bras et décident de procéder en anglais. À ce moment-là, vous ne recevez pas de plainte. Vous étiez prompt à dire que vous aviez reçu seulement une plainte en 10 ans. Combien de plaintes de la part d'anglophones avez-vous reçues en 10 ans?
    Pardon?
    Combien de plaintes?
    Moi, j'en ai reçu une en 10 ans.
    D'accord.
    Était-ce un anglophone qui disait ne pas pouvoir se faire servir dans sa langue?
    C'était un francophone, dans ce cas.
    D'accord.

[Traduction]

    Comme nous disons en français, je m'en tiens à mon quant-à-moi.

[Français]

    Sur la base d'une plainte, monsieur Godin, c'est un peu prématuré, je crois avec égards, de tirer de grandes conclusions.
    Ce n'est pas prématuré. Ce qui arrive, c'est que les postes de juge devraient être accordés à des personnes qui connaissent les deux langues, et je vois que le gouvernement conservateur de Stephen Harper n'a pas, présentement, la volonté de dire qu'il va respecter les deux langues du pays, le français et l'anglais, et de faire une nomination à la Cour suprême qui respecte les deux langues officielles. C'est vers ça qu'on se dirige. C'est du moins mon opinion. Peut-être ai-je tort. Je pense que si on parle aux gens et qu'on fait un sondage afin de savoir comment ils voudraient être servis, ils diront certainement, en ce qui concerne la justice, qu'ils voudraient être servis dans la langue de leur choix.
    Si vous me permettez, je compléterai sur un dernier point. Encore là, c'est l'objet du gouvernement, dans le projet de loi C-13, de voir à la plus grande publicité des droits, en s'assurant d'aviser tous les accusés, qu'ils soient représentés ou non, de leurs droits dans le contexte du Code criminel. On entend ces propos. On n'est pas en train de dire qu'il n'y a pas de place pour certaines améliorations dans le système de justice au Canada. Ce que je suis en train de dire, c'est qu'il faut s'assurer de bien comprendre les nuances qui s'imposent selon les niveaux de cour, le type d'instance et les responsabilités constitutionnelles qui s'appliquent à chacun. Je ne peux vous parler de nominations judiciaires, ce n'est pas de mon ressort, mais dans les champs de compétence fédérale, les mesures qui peuvent être prises l'ont largement été. On travaille encore activement à faire diminuer les obstacles lorsqu'il en demeure, et même au-delà de nos compétences.
(1025)
    Merci beaucoup, monsieur Godin. Vous aurez l'occasion d'y revenir.
    Par contre, je voudrais rappeler que la magistrature est une commission indépendante, et comme telle, elle est indépendante du ministère de la Justice. Tous les membres du comité en sont conscients.
    On entame maintenant le troisième tour. On ouvre le bal avec M. Coderre.
    Merci, monsieur le président. Je ne veux pas parler de cours donnés par le ministère de la Justice, mais des cours. Je veux surtout vous annoncer, monsieur le président, que je déposerai une motion afin de demander que le Comité permanent des langues officielles recommande que les juges nommés à la Cour suprême soient bilingues. Je déposerai éventuellement un projet de loi d'intérêt privé pour faire les changements nécessaires afin d'assurer que l'on ait du bilinguisme. Quand une cour constitue le dernier ressort, c'est là que ça se passe. C'est comme au hockey. Quand la rondelle dépasse le gardien de but, on ne peut plus l'arrêter: elle est entrée, c'est fini. Il faut donc faire preuve de nuance. Ce sont des concepts techniques et juridiques importants. Si des personnes ne sont pas en mesure de se faire comprendre dans leur langue, je regrette, mais elles ont le sentiment d'être des citoyens de seconde zone. Il faut qu'il y ait justice — n'est-ce pas M. Tremblay? —, il faut qu'il y ait apparence de justice. Il est donc nécessaire que cette apparence de justice puisse également prendre toute sa force.
    Ce qui m'inquiète également, c'est que, malheureusement, on a toujours le sentiment que le bilinguisme, c'est un francophone qui parle anglais. Quand il y a huit personnes bilingues et un anglophone et que tout le monde parle anglais, c'est gentil, c'est correct, mais personnellement, ça me cause des problèmes. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il existe un problème de perception, qu'il y a deux poids deux mesures lorsqu'on se retrouve dans des cours supérieures où le juge éprouve de la difficulté à communiquer, ou que l'on n'est pas capable d'avoir des juges qui vont permettre que l'on soit entendu.
    J'aimerais tout simplement vous demander si vous avez le sentiment que même si dans le Code criminel il y a des arrêts de procédure et des éléments qui permettent de remettre une cause à plus tard, bien souvent on a besoin de se faire entendre, et si on n'est pas sur le même pied que des gens qui peuvent se faire comprendre immédiatement en anglais, il y a une certaine injustice quelque part. Même si on balaie la poussière sous le tapis en se disant que ça va venir un jour, finalement, c'est comme si on se disait qu'on va s'arrêter au coin de la rue et attendre un policier de la GRC deux heures de plus parce qu'on veut se faire servir en français.
    Que pensez-vous de ce que je viens de vous dire, monsieur le commissaire et, ensuite, monsieur Doucet?
    Très brièvement, il existe un adage en anglais qui dit:

[Traduction]

Une justice différée est une justice refusée.

[Français]

    Il s'agit d'un principe qui a été endossé plusieurs fois par les cours canadiennes. Effectivement, le droit qu'une cause soit entendue a été récemment renforcé en Ontario par la décision dans la cause Belende. Je pense que l'argument que vous soulevez est très légitime.
    J'ajouterais tout simplement qu'il y a toujours l'aspect psychologique pour le justiciable se trouvant dans une situation semblable. Me Tremblay disait qu'il n'y a pas de plaintes. Je sais très bien que, la semaine dernière, j'aurais pu faire une plainte concernant un tribunal fédéral. Cependant, le client est lui aussi devant une structure imposante, importante, et il ne veut pas porter plainte. Il veut procéder devant le tribunal en se disant qu'il ne veut pas faire de vagues.
    En ce qui concerne l'autre aspect, je le comprends très bien et je respecte énormément les modifications apportées au Code criminel pour rendre l'accès à la justice en français plus facile. Toutefois, lorsqu'on est devant un tribunal pénal, très souvent, en ce qui concerne la question linguistique, à moins que quelqu'un ne nous l'explique très bien et que ce soit accessible immédiatement, on n'ose pas exercer ce droit, de peur de froisser le tribunal.
(1030)
    C'est un bon argument.
    Il y a l'aspect psychologique, mais il y a également l'aspect financier. On sait que si jamais l'ordonnance est de recommencer, ça coûte pas mal plus cher. Tout cela réduit l'accès à la justice.
    Je parle au nom de mon parti. Je suis critique en matière de langues officielles et je peux vous assurer de notre appui entier à cet égard.
    Je suis heureux de voir que l'on avait un plan d'action qui fonctionnait, notamment pour ce Fonds d'appui à l'accès à la justice. Malheureusement, il n'est pas dans le budget, alors on ne sait pas s'il existe des enveloppes pour l'avenir.
    Cependant, je suis d'accord, j'aime l'idée d'un fonds d'appui. Toutefois, ne pensez-vous pas qu'il serait également nécessaire que l'accès à la justice comporte un programme de contestation judiciaire qui nous permettrait de nous assurer, pour les mêmes raisons psychologiques, que les gens puissent savoir que justice leur sera rendue? Ils n'ont pas toujours la capacité financière d'aller jusqu'au bout. Un droit ne doit pas être en fonction de l'épaisseur du portefeuille.
    Je vais répondre très brièvement. Je suis intervenu devant les tribunaux dans la cause qui a été soulevée par la Fédération des communautés francophones et acadienne sur la question de l'abolition du Programme de contestation judiciaire. Il s'agit d'un débat avec le gouvernement devant les tribunaux. Je ne vais pas répéter tous les arguments que nous avons soulevés devant la cour, mais je vais passer la parole à Me Doucet.
    Soyez très bref, s'il vous plaît.
    Je suis l'avocat de la Fédération des communautés francophones et acadienne.
    D'accord. Merci.
    C'est grâce au Programme de contestation judiciaire qu'on a plus de services en français. On n'a qu'à penser à nos écoles en Nouvelle-Écosse, au Manitoba ou ailleurs.
    Merci, madame Aucoin.
    On va maintenant continuer avec M. Nadeau, du Bloc québécois.
    Monsieur le président, on a beaucoup parlé de la situation de la francophonie canadienne minoritaire.
    Les citoyens anglo-québécois peuvent-ils se faire servir en anglais dans les cours de justice? J'aimerais savoir si quelque chose est fait en ce sens.
    Je vais demander à Mme Tremblay de vous donner des détails là-dessus. Pour notre part, d'après les informations qu'on a recueillies, les tribunaux fédéraux au Québec ne posent aucune difficulté à cet égard. Toutefois, il y a eu un certain malaise vis-à-vis les tribunaux provinciaux.
    Voulez-vous donner plus de détails?
    Dans les cours supérieures au Québec, le niveau de bilinguisme serait adéquat. Selon les informations qu'on a pu recueillir, il n'en est pas de même chez les juges des cours provinciales.
    Monsieur le président, je vais partager mon temps avec Mme Freeman.
    J'aimerais que Mme Aucoin, que j'ai interrompue plus tôt, complète sa réponse au sujet de l'évaluation de la compétence juridique ou linguistique. Aviez-vous terminé votre intervention?
    La nomination des juges pose un problème systémique. Il faudrait changer le système et établir des critères objectifs pour s'assurer que les cours supérieures sont suffisamment bilingues. Pour assurer la compétence juridique, le barreau impose un critère de 10 ans pour y être admissible. Quant à la compétence linguistique dans les cours supérieures, il faut que les critères objectifs deviennent systémiques. Ceux-ci pourraient figurer sur un formulaire ou quelque chose du genre.
    Que pourrait-on faire au sujet de la structure des comités de nomination des juges? On essaie de trouver une solution. Seize comités ont été mis sur pied pour nommer les juges dans l'ensemble du Canada. Il y a sûrement moyen d'améliorer la capacité des membres qui évaluent les candidatures. Avez-vous quelque chose à suggérer?
    Lorsque les gens se présentent devant un tribunal, leur dit-on systématiquement qu'ils ont le droit de subir leur procès dans l'une ou l'autre langue? Est-ce dit clairement? Dans le reste du pays, informe-t-on vraiment chacun des citoyens qui se présente de la possibilité de subir son procès dans sa langue?
(1035)
    Des membres des associations de juristes pourraient siéger aux comités de nomination. Par exemple, on a jugé important qu'un policier siège à ces comités. Si on avait des membres des associations de juristes, cela assurerait une présence à ce niveau.
    Quant à savoir si on donne de l'information aux justiciables, l'article 530 prévoit qu'on a ce droit uniquement si on n'est pas représenté par un avocat. Par contre, on est en train de modifier la loi afin que le juge puisse informer les justiciables.
    Je pense que M. Fraser, qui a comparu au sujet du projet de loi C-23, pourrait compléter.
    Avez-vous quelque chose à ajouter?
    La modification de la loi a pour but de remédier à ce problème. Si je comprends bien, c'est le projet de loi C-13. Je ne sais pas si cela a changé entre le projet de loi C-23 et la dernière version du projet de loi C-13, mais cela exige que les dénonciations soient...
    [Note de la rédaction: inaudible] n'est pas représenté par l'avocat. Mais on veut apporter une modification pour que ce soit fait.
    Ce serait modifié pour que tout le monde soit informé de ce droit.
    Que tout le monde soit prévenu avec la... Mais c'est mort au Feuilleton parce qu'il y a eu une...
    Non, c'est devant le Sénat, en ce moment.
    C'est devant le Sénat?
    Oui, mais c'est en matière criminelle. Il ne faut pas oublier non plus les procès en matière civile. Le discours se fait toujours. Il y a cette obligation d'informer, mais il y a tout le volet des procès civils. En Ontario, les Franco-Ontariens ont le droit d'être entendus devant les tribunaux dans les régions désignées — on l'a mentionné —, ce qui touche 90 p. 100 de la population. Dans ce contexte civil, il n'y a pas cette obligation d'offre active. Les justiciables ne sont donc pas nécessairement informés de leurs droits. En vertu de leur code d'éthique, les avocats ont maintenant cette obligation d'informer leurs clients, mais ce n'est pas...
    Merci beaucoup, madame Freeman.

[Traduction]

    La parole est maintenant à M. Michael Chong.
    Je constate que, si je ne me trompe, tous les témoins, hormis bien sûr les fonctionnaires du ministère de la Justice, ont été d'avis que le prochain candidat, ou plutôt le prochain juge nommé à la Cour suprême, devra être bilingue. J'aimerais simplement faire figurer au compte rendu que John Major, l'un des anciens juges à la Cour suprême qui a pris sa retraite en 2005, a estimé selon des articles parus aujourd'hui qu'il ne s'agissait pas là, à ses yeux, d'une exigence absolue. Je trouve la diversité de points de vue sur ce sujet intéressante.
    Je tenais simplement à ce que cela figure au compte rendu.
    L'une des questions que j'aimerais poser...
    Puis-je répondre à celle-ci?
    Je ne suis pas convaincu que l'opinion d'un juge anglophone unilingue doive nécessairement être déterminante sur l'importance qu'il faut accorder à la maîtrise des deux langues officielles. L'ancien juge Major a dit que le système d'interprétation lui avait paru parfaitement adapté, et il s'en est félicité. Je ne suis pas sûr qu'il faille se fier à l'évaluation d'un juge anglophone unilingue pour décider si l'interprétation est la meilleure solution pour permettre à un juge de comprendre les subtilités du litige qui lui est soumis. Nous avons entendu nombre de témoignages éloquents sur les problèmes qui peuvent apparaître, malgré les compétences des interprètes, que je vois travailler derrière cette vitre.
    Monsieur le commissaire, je ne suis pas en désaccord avec vous. Je voulais simplement que cette opinion figure au compte rendu parce qu'un journal en a fait état aujourd'hui.
    Eh bien, cela m'a sauté aux yeux aussi lors de mon petit déjeuner.
    Puis-je répondre à cela également?
    Il me semble que vous pourriez trouver intéressant d'écouter la traduction simultanée en anglais lorsqu'un avocat plaide en français, pour voir ce que vous en comprenez. Si vous êtes bilingue et que l'avocat plaide en anglais, écoutez la traduction simultanée en français et nous verrons ensuite ce que vous en aurez compris.
    Pour l'essentiel, je suis d'accord avec le commissaire car je ne crois pas qu'un juge unilingue soit en mesure de bien saisir...
(1040)
    Je voulais simplement que cela figure au compte rendu.
    J'ai une question en deux temps à poser au professeur à la Faculté de droit de l'Université de Moncton que vous êtes, M. Doucet. Exigez-vous, dans un premier temps, que les étudiants voulant s'inscrire à votre faculté maîtrisent les deux langues officielles et, dans un deuxième temps, l'exigez-vous de ceux qui passent les examens finaux obtenir leur diplôme de droit?
    Sachez tout d'abord que nous enseignons le droit en français, mais aussi qu'il est impossible d'étudier la common law sans être bilingue. Tous les diplômés de la Faculté de droit, qu'ils soient francophones ou anglophones, parce que beaucoup d'anglophones de toutes les provinces du Canada viennent aussi chez nous, sont parfaitement bilingues. Quant aux francophones, ils doivent lire les jugements des tribunaux et les recueils de jurisprudence en anglais. Il est donc impossible pour eux d'étudier la common law en étant unilingues. Il se peut qu'un ou deux y parviennent, mais la vaste majorité, et je dirais qu'il s'agit de 98 ou de 99 p. 100 de ceux qui obtiennent leur diplôme, sont bilingues.
    La connaissance des deux langues officielles est donc une condition d'admission?
    Ce n'est pas une condition d'admission, mais...
    C'est une condition pour l'obtention du diplôme?
    Ce n'est pas non plus une condition pour l'obtention du diplôme mais plutôt une exigence pratique.
    La seule raison pour laquelle j'aborde cette question...
    Il n'en va pas de même à l'Université du Nouveau-Brunswick, par exemple.
    Je comprends parfaitement, et je ne montre pas du doigt l'Université de Moncton, parce que c'est un établissement francophone et il est évident que le nombre de vos diplômés bilingues est naturellement beaucoup plus élevé, pour les raisons que vous avez indiquées.
    La seule raison pour laquelle je soulève cette question est que, audience après audience, ce comité entend régulièrement parler de la difficulté de tenir compte du fait français dans nos institutions nationales. Or, il me semble souvent que nous mettons l'accent sur les symptômes et non pas sur les causes fondamentales. Je me demande toujours pourquoi les universités et les facultés de droit de tout le pays, en particulier les anglophones, ne précisent pas dès le départ à leurs étudiants que s'ils veulent accéder à la magistrature dans la suite de leur carrière, il faudra qu'ils connaissent les deux langues officielles.
    Je constate que même votre faculté n'exige pas la connaissance des deux langues officielles pour obtenir un diplôme alors que nous sommes confrontés à la difficulté de garantir le fonctionnement de nos institutions nationales dans les deux langues officielles.

[Français]

    Très rapidement.

[Traduction]

    Permettez-moi de vous indiquer très rapidement que le juge Bastarache, avant d'être nommé à la Cour suprême, a présidé en 1980 un comité au Nouveau-Brunswick, appelé Comité Barry-Bastarache, qui a proposé au gouvernement provincial que tout avocat obtenant son diplôme au Nouveau-Brunswick de l'une des deux facultés de droit soit bilingue. Malheureusement, le barreau a répondu non. S'il avait alors accepté cette proposition, nous aurions peut-être aujourd'hui un plus grand nombre d'avocats et de juges bilingues, au moins au Nouveau-Brunswick.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Je vous remercie, M. Chong.

[Français]

    Je tiens à informer les membres du comité qu'à notre horaire, selon notre plan d'étude, une fois qu'on aura fini de discuter des accords sur les ententes de collaboration, le comité prévoit se pencher sur l'enseignement postsecondaire des langues secondes et des langues en général dans le secteur de l'éducation.
    Monsieur Godin, vous avez la parole.
    Je ne sais pas si j'ai déjà couvert ce terrain, mais je pense comme vous, monsieur le commissaire, quand vous dites, et je vous cite:
Je reconnais que la pratique du ministre Nicholson, qui consiste à consulter le juge en chef du tribunal concerné au sujet des besoins particuliers en matière de capacité bilingue du tribunal, est un pas dans la bonne direction.
    Êtes-vous satisfait des résultats?
    Selon moi, dans une situation où la capacité de bilinguisme est une question d'autoévaluation par les candidats, on ne peut pas dire que les résultats sont tels que souhaité. Ce qui est important, je pense — M. Chong a d'ailleurs soulevé la question —, c'est que si les écoles de droit ne tiennent pas compte de l'importance de la situation, on n'aura pas un bassin suffisant d'avocats. Si on ne tient pas compte de l'importance de la capacité linguistique dans la nomination des juges aux instances inférieures, il n'y aura pas un bassin suffisant pour les instances supérieures. C'est un système écologique où il faut commencer dès le début et expliquer aux étudiants que c'est une exigence très importante, et ce, afin de viser le haut du système juridique.
(1045)
    Lorsque le juge Bastarache a fait sa recommandation, le barreau n'a pas fait une faveur aux gens qu'il représentait. Si on parle de compétence, avoir la compétence d'interpréter la loi, c'est une chose, mais si la loi et le plaidoyer ne se rejoignent pas, ce n'est plus une question de compétence. On vient de perdre cette compétence, pas seulement en ce qui concerne ce qui est écrit sur papier et l'interprétation. Il faut qu'on le comprenne. On ne veut pas l'obtenir d'une tierce partie. Ce n'est pas juste. Pourtant, c'est exactement ce qui se passe présentement.
    Personnellement, lorsque je fais un discours à la Chambre des communes, quand je retourne dans ma circonscription, des gens me disent que c'est dommage que je ne puisse pas prendre 10 minutes pour faire un discours dans une langue et 10 autres minutes pour faire un discours dans l'autre langue, parce qu'ils perdent la moitié de ce que j'ai dit. Je ne dis pas cela pour être méchant envers les traducteurs: c'est que je parle trop vite. Ils ne peuvent pas me suivre. Le pauvre juge... Je ne voudrais pas être avocat et présenter un plaidoyer, parce que je ne ferais pas un bon travail. En acadien, on dit: « Je ne ferais pas une belle job, je vous garantis cela. » C'est là le problème.
    Plus tôt, M. Coderre a volé mon idée. J'avais l'idée de proposer un projet de loi d'intérêt privé. Je pense que vous allez avoir l'appui...
    J'invoque le Règlement. Il est inacceptable, monsieur le président, de dire que parce que monsieur, qui a eu trois fois la possibilité de parler avant moi, n'a pas été assez vite... Il commence à dire qu'on vole ses idées. Il devrait se concentrer sur le gouvernement néo-démocrate du Manitoba, qui n'a pas fait son travail en matière de droits.
    Monsieur Coderre, c'est plutôt une question de débat.
    Monsieur Coderre, concernant votre rappel au Règlement...
    Ce n'est pas un rappel au Règlement, mais une question de débat.
    Continuez, monsieur Godin.
    Quand on parle de la Cour fédérale, c'est le gouvernement libéral qui n'a pas agi durant les 13 ans qu'il était au pouvoir. On parle d'« appointements » au fédéral; ce n'était pas le gouvernement NPD du Manitoba...
    On dit « nomination », monsieur Godin. Le mot « appointement », ce n'est pas de chez nous.
    Malgré l'énervement soudain de M. Coderre, il aura un appui. Il devrait être fier au moins que je soutienne un projet de loi. Je pense qu'il n'a pas aimé le mot « vol », et c'est normal, c'est correct. Disons qu'il a emprunté mon idée. On parle de pickpocket, en anglais.
    On cherche des solutions. On est en 2008 et on se bat pour ça depuis 40 ans. Ça fait plutôt 400 ou 402 ans. Les Acadiens sont arrivés avant les Québécois. Ils ont fêté leur 400e anniversaire il y a deux ans. On pourrait dire que d'ici un certain temps, c'est ce que la loi prévoira et qu'il faut se préparer en conséquence. À l'avenir, il faudra que les avocats qui veulent devenir des juges fassent leurs devoirs.
    Est-ce une bonne idée?
    J'ai souvent dit aux gens qui se plaignent des obligations linguistiques dans la fonction publique que si un jeune veut être juge, il commence par faire son droit. Je ne me plains pas du fait que je n'aie pas été nommé juge, puisque je n'ai pas fait mon droit. De la même façon, si on veut être juge à la Cour suprême, on devrait s'y préparer. Il y a des cours de formation spécialisée pour les juges. Je connais des juges qui suivent ces cours pour maintenir leur niveau de français et se perfectionner. Ils en sont très satisfaits.
    Merci beaucoup, monsieur Godin.
    Voilà qui met fin à notre réunion. On doit libérer la salle pour 11 heures. Je veux remercier nos témoins pour leurs précieux commentaires ainsi que les parlementaires. On se reverra la semaine prochaine pour poursuivre les travaux sur les accords de collaboration Canada-communauté. Merci.
    La séance est levée.