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AAND Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ABORIGINAL AFFAIRS AND NORTHERN DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU DÉVELOPPEMENT DU GRAND NORD

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 6 juin 2000

• 1103

[Traduction]

La présidente (Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs.

Monsieur Cornell, je vous souhaite la bienvenue à nos audiences. Je vous préviens qu'il va y avoir un peu de va et vient pendant la séance.

Aujourd'hui, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le comité procède à une séance d'information sur la Loi sur les Indiens. Le témoin est M. Stephen Cornell, codirecteur du Harvard Project on American Indian Economic Development, de l'Université de l'Arizona.

Vous avez dû tous recevoir la déclaration préparée par M. Cornell. C'est un document de neuf pages. Vous l'avez? Non? Avons-nous la traduction?

Nous allons vous donner tout le temps dont vous avez besoin pour nous expliquer votre mémoire et ensuite, il y aura une série de questions de la part des représentants des divers partis. Vous pouvez commencer quand vous voudrez.

M. Stephen Cornell (codirecteur, Harvard Project on American Indian Economic Development): Merci, madame la présidente. Je suis très heureux d'être ici et je vous remercie de m'avoir invité à participer à vos débats.

• 1105

Je ne veux pas reprendre toute la déclaration que j'ai soumise au comité et je vais seulement en résumer certaines parties, puis ajouter quelques points qui n'ont pas été inclus dans ce document. Je peux en résumer l'essentiel, je pense, assez rapidement.

Ces 12 dernières années, j'ai codirigé un projet de recherche que j'avais lancé à l'université Harvard à la fin des années 80, le Harvard Project on American Indian Economic Development. Nous avons entrepris ce projet il y a une douzaine d'années afin d'expliquer un phénomène que nous avions remarqué parmi les nations amérindiennes des États-Unis: le fait que plusieurs de ces nations avaient réussi à développer leur économie mieux que d'autres.

Par «réussi», je veux dire qu'elles avaient commencé à mettre en place, sous leurs propres auspices, des économies soutenues et productives qui épousaient essentiellement leurs propres orientations et préférences. Nous avons donc décidé d'essayer de comprendre pourquoi certaines nations indiennes avaient réussi à faire cela mieux que d'autres.

Les résultats de cette recherche ont été assez frappants et ne correspondaient pas du tout à ce que nous pensions intuitivement. Nous nous sommes lancés dans cette recherche en pensant que nous allions découvrir que les facteurs économiques standards étaient les déterminants de la réussite économique—par exemple, que les nations qui réussiraient le mieux seraient celles qui possèdent de bonnes ressources naturelles; qui ont de bonnes voies d'accès aux marchés; où le niveau d'instruction est relativement plus élevé; et ainsi de suite.

En réalité, au fur et à mesure que nos travaux avançaient, nous avons découvert que ce ne sont pas habituellement ces facteurs qui déterminent la réussite. Il s'est avéré que les déterminants étaient presque entièrement de nature politique. Cela ne veut pas dire que les autres facteurs dont j'ai parlé n'ont pas d'importance. Ils en ont. Mais les nations qui possèdent de bonnes ressources naturelles et un niveau d'instruction relativement élevé ont tendance à réussir moins bien lorsqu'elles n'ont pas réglé certaines des questions politiques que nous abordons dans nos travaux de recherche. Voici ce dont il s'agit.

Les nations amérindiennes qui réussissent à développer leur économie sont celles qui, premièrement, jouissent de l'autonomie gouvernementale. Au bout d'une douzaine d'années de recherche, nous n'avons pas découvert aux États-Unis de nation indienne qui a réussi à développer son économie, où une autre entité que la nation elle-même prend les décisions majeures concernant l'allocation des ressources, la stratégie de développement, l'organisation des affaires internes, les relations avec l'extérieur et ainsi de suite. Il semble que l'autonomie gouvernementale soit une condition nécessaire, mais non suffisante, d'un développement économique réussi.

Cependant, la deuxième chose que nous avons découvert, c'est que l'autonomie gouvernementale, si c'est le seul facteur qui entre en ligne de compte, n'est pas une garantie de réussite. Il faut que cette autonomie repose sur une bonne gestion des affaires publiques—c'est-à-dire des institutions gouvernementales efficaces. Nous avons pu constater qu'il existe des nations indiennes qui, essentiellement, possède une chose que l'on appelle aux États-Unis la «souveraineté»—c'est-à-dire la capacité de prendre ses propres décisions—, mais qui font des choix peu judicieux et sont dotées d'institutions gouvernementales inefficaces.

En revanche, celles qui ont réussi ont des institutions gouvernementales créatrices d'un climat porteur d'un sentiment de sécurité pour les investisseurs. Je donne à investisseur une définition très large et intégratrice—en effet, je veux dire non seulement les gens de l'extérieur qui ont de l'argent, mais également les membres des tribus qui investissent leurs idées ou leur énergie pour assurer l'avenir de leur nation.

Qu'entendons-nous par de bonnes institutions? Il y a des facteurs qui se sont révélés cruciaux au cours de notre recherche, par exemple, un régime judiciaire solide et indépendant et d'autres mécanismes de règlement des litiges qui garantissent aux gens que leurs investissements seront sûrs, qu'ils auront la possibilité de fructifier et ne seront pas soumis aux aléas de la politique ni à la corruption. Cela s'est révélé essentiel. Deuxièmement, il faut que les nations indiennes puissent réduire l'ingérence politique dans les affaires commerciales. Troisièmement, il faut qu'elles mettent en place des administrations qui «livrent la marchandise». Ainsi donc, une bonne administration des affaires publiques requiert ce genre de caractéristiques institutionnelles.

La troisième conclusion que nous avons tirée de cette recherche, c'est que non seulement les nations indiennes ont besoin de bonnes institutions gouvernementales, mais que, pour être efficaces, ces institutions doivent s'intégrer dans la culture autochtone, notamment la culture politique de ces peuples. Il faut qu'il y ait des institutions dans lesquelles les gens croient et, par conséquent, il faut tenir compte de la culture autochtone lorsqu'on définit ce que vont être ces institutions.

• 1110

Nous avons fait une quatrième découverte qui est moins systématique: c'est tout simplement que les tribus qui fondent leur développement sur des approches stratégiques ont tendance à mieux s'en tirer. La plupart des nations indiennes des États-Unis sont dans une situation économique très précaire. Elles ont tendance à rechercher une solution miracle, des stratégies gagnantes qui leur permettront de résoudre tous leurs problèmes plutôt que des moyens de bâtir progressivement leur économie. Elles ont souvent tendance à laisser le gouvernement fédéral décider ce qui sera financé et ce qui ne le sera pas. Cela enlève des mains des nations indiennes le programme de développement.

Une approche stratégique permettant à ces nations de définir leurs propres priorités et de réfléchir consciencieusement à la façon dont elles peuvent atteindre ces objectifs se révèle plus productive que la recherche de solutions miracles.

Telles sont les principales conclusions que nous avons tirées de cette recherche. Elles sont résumées plus en détail dans le mémoire que je vous ai remis.

Je veux juste ajouter deux ou trois choses. Ces résultats sont solides. Nous continuons à découvrir des indices qui les étayent. Au fur et à mesure que notre recherche se poursuit, nous en tirons d'autres conclusions, mais je pense que celles-ci sont le plus fondamentalement intéressantes.

Toutefois, on est en droit de se poser des questions sur les limites de cette recherche et de ces résultats et, en l'occurrence, de se demander dans quelle mesure ils s'inscrivent dans le contexte canadien, notamment au plan pratique.

Il y a quelques points que, je pense, je devrais mentionner brièvement et sur lesquels je pourrais donner plus de détails plus tard si vous le souhaitez. Premièrement, cette recherche se fonde sur des données rassemblées aux États-Unis. Nous n'avons pas fait de recherches comparables au Canada. Nous n'avons pas de données similaires sur les Premières nations canadiennes. À ce que je sache, personne n'a fait de recherches comparables au Canada, même si nous et d'autres en avons parlé et qu'il a été question d'entreprendre des études de ce type. Les résultats que je vous présente concernent uniquement les États-Unis.

Deuxièmement, il y a sans aucun doute des différences significatives entre la situation des nations indiennes aux États- Unis et celle des Premières nations du Canada. D'abord et avant tout, il y a des différences au plan légal qui ont trait à la situation de ces nations dans le contexte politique et légal de ces deux sociétés. Il y a également des différences démographiques et géographiques qui peuvent être importantes.

Les liens entre les Premières nations et les provinces canadiennes et les relations entre les nations indiennes américaines et les États, aux États-Unis, sont très différents. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral joue un rôle prépondérant dans les relations entre les pouvoirs publics et les Indiens. Jusqu'ici, les États n'ont joué qu'un rôle mineur, même si la situation évolue quelque peu à cet égard.

Il y a d'autres différences qui peuvent rendre plus complexes certains des liens et des résultats mis en évidence par nos recherches. Deux choses méritent d'être signalées, à mon avis, en la matière.

Tout d'abord, aux États-Unis, le droit des nations indiennes à l'autonomie gouvernementale est bien établi. Il l'a été par le biais de nombreux traités. Les tribunaux américains, notamment la Cour suprême, ont défendu ce droit de façon intermittente, mais souvent vigoureuse. Il est fréquemment contesté, mais il reste reconnu aux États-Unis, et il jouit d'un soutien important de la part de la population; en effet, certains événements récents touchant l'industrie des jeux de hasard ont démontré que la population américaine était fortement en faveur de ce que l'on appelle aux États-Unis la souveraineté des nations indiennes.

Je crois savoir qu'au Canada, la mesure appropriée dans laquelle l'autonomie gouvernementale des Autochtones peut s'exercer reste une question en suspens, alors qu'aux États-Unis, dans une large mesure et sous de nombreux angles, c'est une question qui est résolue depuis longtemps.

L'autre différence qui doit être soulignée a trait à la taille du territoire et de la population. Comme au Canada, on trouve aux États-Unis de très nombreuses petites tribus qui occupent des territoires peu étendus, notamment en Alaska et en Californie, mais il y a également quelque 70 tribus dont la population dépasse 600 personnes. Certaines comptent même beaucoup plus que 10 000 membres—les Navajo sont près de 250 000—et plusieurs nations occupent des territoires très étendus, beaucoup plus grands que ceux sur lesquels la plupart des Premières nations canadiennes exercent un contrôle.

Que devrions-nous penser de ces différences? Elles ont une certaine importance, c'est clair, me semble-t-il. Reste à savoir si, à cause de cela, les résultats de nos recherches ne sont pas pertinents dans le contexte canadien. J'en doute beaucoup.

Nous avons vu des tribus, de moindre et de large envergure, influer fortement sur leurs perspectives de développement en se préoccupant du genre de choses que nos recherches ont mises en évidence, des principes que nous avons pu dégager: le rôle central de l'autonomie gouvernementale, l'importance d'asseoir cette autonomie sur une bonne gestion des affaires publiques, l'avantage de tenir compte de facteurs culturels dans la conception des institutions gouvernementales et l'importance des orientations stratégiques. Je suis convaincu que ces principes s'appliquent ici comme ils s'appliquent de façon probante aux nations indiennes des États-Unis et d'ailleurs à travers le monde.

• 1115

Je pense que ce qui est important, c'est la façon d'appliquer ces principes. Les petites bandes peuvent réaliser des économies d'échelle en nouant des alliances organisationnelles avec des bandes qui ont le même passé culturel. Des initiatives ont été prises en ce sens aux États-Unis, en Alaska et en Californie. Il me semble que c'est une stratégie logique. La taille d'une bande n'est pas nécessairement un facteur qui limite la possibilité d'appliquer ces résultats.

On peut dire la même chose en ce qui concerne l'étendue du territoire. Deux des cas que j'ai cités dans mon mémoire—les Choctaw du Mississippi, qui occupent un grand territoire où l'on ne trouve pas beaucoup de ressources naturelles, et les Potawatomi de l'Oklahoma, dont le territoire est très petit—montrent que pouvoir disposer de ressources naturelles et d'un territoire étendu n'est pas un facteur essentiel, en soi, pour aboutir à un développement économique réussi.

Quant à l'autonomie gouvernementale, je ne peux pas parler de ce qui se passe au Canada, mais je me permettrais de signaler que le gouvernement des États-Unis a essayé, pendant presque tout le XXe siècle, de définir une politique efficace pour alléger la pauvreté et les problèmes sociaux qui en découlent, une pauvreté qui, au cours du siècle écoulé, a presque invariablement—et implacablement—caractérisé les nations amérindiennes. L'administration américaine a essayé de fermer les réserves. Elle a essayé de relocaliser la population indienne dans les principales villes américaines. Elle a essayé d'imposer de façon systématique une évolution culturelle.

Enfin, au milieu des années 70, à cause de pressions exercées par des militants indiens—et pour d'autres raisons—le gouvernement fédéral a adopté une politique d'autodétermination. Du côté des pouvoirs publics, cela n'a guère généré d'enthousiasme, mais les nations indiennes ont réagi de façon très positive. Elles saisirent l'occasion. Elles commencèrent à prendre le contrôle de leurs propres affaires de façon plus assurée. C'est la seule politique fédérale du XXe siècle et je dirais même, jusqu'ici en tout cas, du XXIe siècle—nous n'avons pas encore eu le temps d'évaluer grand chose—qui a produit des résultats positifs qui se sont confirmés.

Aucune autre politique relative aux nations indiennes mise en oeuvre par le gouvernement des États-Unis n'a eu les résultats positifs qu'a produit l'autodétermination. Je pense que c'est une recommandation en faveur de cette méthode qui parle d'elle-même.

Je serais très heureux de répondre aux questions.

Merci.

La présidente: Merci.

Avant de commencer, avez-vous tous le document complet devant vous?

Allez-y, monsieur Konrad, s'il vous plaît.

M. Derrek Konrad (Prince Albert, Alliance canadienne): Merci.

Merci, monsieur Cornell. C'était un exposé intéressant.

Dans votre document, vous avez mentionné la notion de souveraineté. Au cours de vos remarques liminaires, vous avez employé les mots «nation» et «autochtone»; vous avez également parlé de «tribus» et je pense que vous avez aussi mentionné le mot «bandes». Étant donné que vous avez utilisé tous ces termes différents et que vous les avez liés à la souveraineté et à l'autodétermination, j'aimerais que vous me donniez une définition de cette notion en la plaçant dans le contexte du gouvernement fédéral, puisque vous avez déclaré que c'est l'entité principale qui a des liens avec les bandes indiennes, les tribus indiennes ou encore les Premières nations, quel que soit le terme utilisé.

Pourriez-vous définir les liens qui existent entre les gouvernements des Premières nations et le gouvernement fédéral? S'agit-il de relations qui ressemblent quelque peu à celles que peut entretenir le gouvernement d'un État ou un gouvernement municipal ou bien est-ce quelque chose d'entièrement nouveau? Lorsque des fonds sont transférés à ces gouvernements, comment rendent-ils compte de leurs dépenses? Quel genre d'accord conclut-on?

Pourriez-vous répondre à ces questions, s'il vous plaît?

M. Stephen Cornell: Oui, avec plaisir.

Je vais commencer par une mise en garde, madame la présidente. Je ne suis pas avocat et je vais probablement donner une réponse que certains avocats n'estimeraient pas appropriée, mais je vais faire de mon mieux.

La constitution des États-Unis reconnaît trois paliers de gouvernement: les autorités fédérales, celles des États et les nations indiennes. Au tout début de l'histoire des États-Unis, notamment dans les années 1820 et 1830, la Cour suprême américaine a précisé que les nations indiennes étaient ce qu'elle a appelé «des nations souveraines dépendantes». Depuis, pour déterminer exactement ce que cela veut dire, on s'est adressé aux tribunaux et bâti de multiples théories politiques et juridiques, et je dirais que l'on débat encore de la question.

• 1120

Toutefois, il semble que les nations indiennes aient, aux États-Unis, un statut qui est différent de celui des États, tout en étant quelque peu comparable. Dans le régime américain, les États ne sont pas compétents dans le domaine des affaires indiennes. En vertu de la constitution des États-Unis, le gouvernement fédéral contrôle les relations avec les nations indiennes. C'est la raison pour laquelle les liens qui priment sont ceux qu'entretiennent ces nations avec le gouvernement fédéral.

À l'heure actuelle, le contrôle que ces nations peuvent exercer sur leurs affaires internes est assez étendu. Mais il faut qu'elles fassent valoir leur droit d'exercer ce contrôle. Au sein du gouvernement fédéral, les bureaucrates ont tendance à se substituer aux nations dans les domaines dont elles ne revendiquent pas le contrôle. Mais elles ont le droit d'exercer un contrôle significatif sur leurs ressources naturelles, la citoyenneté, ainsi que les décisions stratégiques qu'elles peuvent prendre.

La définition de leurs droits a tendance à changer avec le temps, au rythme des décisions prises par les tribunaux. Par exemple, récemment, la Cour suprême a rendu un jugement selon lequel les nations indiennes n'ont pas juridiction sur les non-Indiens résidant sur leurs territoires. Cela signifie que les personnes en question relèvent des tribunaux fédéraux ou de ceux des États et non des tribunaux tribaux. Mais beaucoup de questions de ce type restent à régler.

Il existe de nombreuses filières par lesquelles passent les fonds transférés par le gouvernement fédéral à ces tribus. Ils peuvent être alloués directement par le biais des programmes du Bureau of Indian Affairs, la principale institution fédérale chargée d'administrer les services fournis aux nations indiennes. En vertu d'une loi adoptée dans les années 70, certaines nations indiennes peuvent maintenant conclure des marchés selon leurs propres conditions pour obtenir ces services. Donc, s'il existe, par exemple, un programme fédéral financé par le Bureau of Indian Affairs, une nation indienne pourrait dire: «Donnez-nous ces fonds directement et nous allons gérer le programme ou embaucher quelqu'un pour le faire». C'est ce que l'on appelle conclure un marché.

Il est également possible à l'heure actuelle de faire ce que l'on appelle des transferts groupés, c'est-à-dire d'allouer aux nations indiennes des subventions en bloc, sans préciser à quel programme les fonds sont destinés, mais en transférant simplement une somme d'argent en bloc que les nations indiennes peuvent alors répartir entre les programmes selon leurs propres priorités stratégiques.

Manifestement, selon qu'elles choisissent l'une ou l'autre de ces trois méthodes, les nations indiennes exercent plus ou moins leur autonomie gouvernementale. Cette autonomie est réduite à sa plus simple expression lorsque le Bureau of Indian Affairs gère directement les programmes. Elle s'exerce plus largement si c'est la méthode des transferts groupés qui est adoptée, selon laquelle les tribus administrent des programmes qui sont conçus ou financés par Washington. Lorsqu'une tribu reçoit une subvention en bloc et prend les décisions stratégiques concernant la façon dont ces fonds seront dépensés, elle exerce au maximum son autonomie gouvernementale. De plus, certaines nations indiennes ont leur propres sources de revenu, auquel cas le gouvernement fédéral n'exerce aucun contrôle sur la façon dont elles dépensent ces fonds.

Récemment, aux États-Unis, plusieurs nations indiennes ont réussi à créer des économies assez fortes pour réduire de façon significative les programmes financés pour le gouvernement fédéral. Ces dernières années, j'ai entendu plusieurs présidents de tribu—l'équivalent des chefs de bande ici—dire que leur objectif stratégique était de ne dépendre aucunement du financement du gouvernement fédéral.

La plupart des nations indiennes des États-Unis aimeraient se débarrasser éventuellement du financement fédéral parce qu'elles estiment que cela les lie irrévocablement à l'administration fédérale et les empêche de prendre leurs propres décisions; certaines d'entre elles appliquent des stratégies économiques exclusivement conçues pour répondre à cet objectif. Les dollars qu'elles gagnent elles-mêmes sont leurs dollars.

Telles sont donc certaines méthodes de financement des tribus.

Dans quelle mesure doivent-elles rendre des comptes? Je pense que cela varie d'un programme à l'autre.

Nous avons fortement défendu le point de vue selon lequel si l'on veut que la souveraineté apporte quelque chose, il faut que cela signifie accepter les conséquences de ses erreurs aussi bien que récolter les bénéfices des bonnes décisions que l'on a prises. Toutefois, il y a une courbe d'apprentissage. Certaines nations indiennes, au fur et à mesure qu'elles deviennent plus autonomes, font des erreurs; c'est la même chose dans toutes les autres sociétés humaines. Avec le temps, toutefois, elles acquièrent des compétences et des connaissances, ainsi que de l'expérience en autonomie gouvernementale.

Nos données indiquent qu'avec le temps, la qualité de leurs décisions s'améliore. Ce que nous espérons, c'est qu'au fur et à mesure que la qualité de leurs décisions s'améliore et qu'elles acquièrent de l'expérience et des compétences, ces nations deviennent directement responsables de leurs actes de façon à ce qu'éventuellement, elles prennent entièrement leur avenir en main. Pour nous, c'est ce que signifie la souveraineté tribale.

• 1125

La présidente: Merci.

[Français]

Monsieur Bachand, veuillez commencer.

M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Merci beaucoup, monsieur Cornell.

Je voudrais vous féliciter pour votre présentation. Il est toujours intéressant de voir comment des notions ou des concepts que nous tentons de définir ici, au Canada ou au Québec, sont interprétés un peu différemment dans un pays comme les États-Unis.

Vous m'entendez toujours bien?

[Traduction]

M. Stephen Cornell: Je crains fort de ne pas avoir saisi la première partie de votre question. Je n'avais pas sélectionné le bon canal, mais maintenant, j'ai bien l'anglais.

[Français]

M. Claude Bachand: Je voulais vous féliciter pour votre présentation parce qu'il est intéressant de constater que les concepts que nous élaborons ici ont un sens différent dans un pays voisin comme les États-Unis.

Je voudrais apporter quelques précisions quant à ce que vous avez dit jusqu'à maintenant. Vous savez qu'ici, au Canada, la Couronne a un lien privilégié avec les autochtones, qu'on appelle le lien fiduciaire. Si je comprends bien, du côté américain, c'est Washington qui a un peu ce même rôle. Ici, lorsqu'il y a des ententes d'autonomie gouvernementale, c'est souvent une entente tripartite; Ottawa doit signer, de même que la nation autochtone et la province.

J'aimerais, dans un premier temps, que vous clarifiiez la participation d'un État aux États-Unis. Est-ce que ça veut dire que l'État n'a pas un mot à dire et que seul Washington négocie directement avec la nation autochtone pour instaurer une entente indépendamment de ce qu'en pense l'État? C'est là ma premières question.

Voici la deuxième. Vous avez parlé d'une politique du gouvernement de Washington sur l'autodétermination. J'ai cru comprendre que les nations autochtones américaines avaient un statut de nation souveraine dépendante. Il me semble que c'est un drôle de statut. Ici, quand on parle de la notion de souveraineté, on y associe la notion d'indépendance.

J'ai cru comprendre aussi que depuis que cette politique a été instaurée, ce sont les tribunaux qui font évoluer le concept. C'est aussi une chose qui arrive au Canada; les tribunaux, qui sont très présents, font évoluer un certain nombre de concepts. Pour ce qui est de la souveraineté, c'est un concept un peu tabou ici, au Canada, parce que certaines provinces sont souverainistes, veulent devenir souveraines. Mais cela touche aussi des nations autochtones. Ce sont donc des notions importantes pour nous.

Alors, serait-il possible que vous nous fassiez parvenir la politique du gouvernement américain sur l'autodétermination? Quand on parle d'autodétermination au Canada, certains sont favorables à l'autodétermination des autochtones, mais selon une conception plus restreinte qu'on appelle l'autonomie gouvernementale, dans laquelle la souveraineté n'existe pas vraiment.

S'il vous plaît, tentez de m'expliquer le statut de nation souveraine dépendante conféré à des nations autochtones. J'ai un peu de difficulté à concevoir cela, étant souverainiste moi-même.

[Traduction]

M. Stephen Cornell: Nous avons tous de la difficulté à comprendre cela. Oui, mais je vais faire de mon mieux pour vous l'expliquer.

Vous avez tout à fait raison de dire que la situation est très différente aux États-Unis. La Cour suprême américaine a déterminé que le Congrès des États-Unis, l'assemblée législative fédérale, détient ce que la Cour appelle «les pleins pouvoirs» en ce qui concerne les affaires indiennes, ce qui signifie essentiellement que le gouvernement fédéral peut faire ce qu'il veut à cet égard.

Les principales contraintes auxquelles a été soumis le gouvernement fédéral en ce qui concerne les affaires indiennes sont les suivantes: (1) des contraintes morales—le fait qu'il y ait des obligations solennellement scellées par des traité que le gouvernement fédéral a pris très au sérieux; et (2) des contraintes publiques—un soutien important des nations indiennes de la part de la population américaine. Ce genre de chose a limité l'exercice du pouvoir fédéral, mais c'est ce pouvoir qui joue un rôle prépondérant dans les affaires indiennes.

Les États ont des pouvoirs très limités en la matière, et ils leur ont habituellement été transmis par le biais d'une loi adoptée par le gouvernement fédéral. Je vais vous donner un exemple pour préciser.

• 1130

Aujourd'hui, comme vous le savez tous, il existe aux États-Unis, sur certains territoires occupés par les Indiens, une industrie des jeux de hasard florissante. C'est une industrie qui s'est révélée très lucrative pour quelques tribus indiennes. En 1988, le Congrès américain a adopté une loi intitulée la Indian Gaming Regulatory Act, précisant que les nations indiennes ne pouvaient avoir, en matière de jeux de hasard, que des activités qui étaient légales dans les États où elles étaient établies. Cette loi était en partie une réaction à des pressions exercées par les États dans le but d'avoir un certain pouvoir de réglementation sur les nations indiennes qui évoquaient leur souveraineté pour se lancer dans l'industrie des jeux de hasard. Par cette loi, le Congrès limitait essentiellement la souveraineté des tribus et les obligeait à négocier avec les États concernés. Par conséquent, cela a augmenté le pouvoir des États sur les nations indiennes et diminué le pouvoir des tribus vis-à-vis les États.

Il s'agit là d'un exemple illustrant comment les États ont gagné un certain contrôle sur les nations indiennes, mais c'est un contrôle qui est le plus souvent très limité, que ce soit dans des lois de ce type ou dans les quelques décisions rendues par les tribunaux qui ont déclaré, pour diverses raisons, que le champ de compétence de certains États s'étendaient à ce que nous appelons aux États-Unis le «pays indien»—c'est-à-dire essentiellement les réserves, les collectivités installées dans des réserves.

Ainsi donc les pouvoirs des États sont très limités, mais cela a évolué avec le temps. Je dirais qu'au cours des deux dernières décennies, on a pu constater une augmentation graduelle du pouvoir des États. Aux États-Unis, on a lancé un processus que vous connaissez peut-être et qui permet au gouvernement fédéral de déléguer certains pouvoirs aux États. Ce processus inquiète certainement les nations indiennes vu qu'il soulève la question du pouvoir que les États peuvent exercer sur ces nations. Certains des changements qui affectent à l'heure actuelle ces relations tripartites découlent du fait que le gouvernement fédéral cherche à déléguer certains de ses pouvoirs.

La souveraineté—et lors de réunions avec les Premières nations du Canada, certaines personnes m'ont dit que souveraineté était «le» mot qu'il ne fallait pas prononcer—est un terme qui a une signification complexe aux États-Unis. Il est clair que cela ne veut pas dire la même chose qu'ici. Aux États-Unis, en ce qui concerne les nations indiennes, il ne s'agit pas d'un jeu à somme nulle. Ce n'est pas tout ou rien. Il y a différents degrés de souveraineté.

Dans certains domaines, la souveraineté des tribus est étendue—par exemple, en ce qui concerne le contrôle de leurs propres ressources naturelles. Les tribus détiennent certainement le pouvoir de contrôler ce qui arrive à ces ressources, quoi qu'en disent les États. Évidemment, ce genre d'activité peut avoir des effets externes qui impliquent les États, et ces derniers peuvent s'adresser aux tribunaux afin d'essayer de contrôler ce que font les tribus, mais essentiellement, les tribus contrôlent leurs terres à certaines fins.

Les tribus ont également compétence en matière de citoyenneté. Elles peuvent décider qui peut être membre, ou non, de leur nation. Elles ont le droit d'avoir leur propre système judiciaire pour contrôler leurs affaires internes. Le règlement des litiges relève des tribus quand cela touche un domaine interne.

Autrement dit, dans certains domaines, les tribus ont des pouvoirs souverains étendus et dans d'autres, cette souveraineté est moins marquée.

Le gouvernement fédéral américain a clairement stipulé qu'il contrôlait le commerce transfrontières des nations indiennes. Les textes législatifs en question remontent aux années 1820 et 1830. Cela signifie que le gouvernement américain a le pouvoir de réglementer certaines des activités économiques dans lesquelles s'engagent les nations indiennes. Par conséquent, elles jouissent d'une souveraineté plus limitée à cet égard.

Je pense qu'il est tout à fait possible, quand on songe à ces choses-là, de laisser ce terme de côté et d'utiliser à la place l'expression «autonomie gouvernementale», auquel cas, à mon avis, tout tombe beaucoup mieux en place, étant donné que cela signifie que les nations ont le pouvoir nécessaire pour se gouverner elles-mêmes dans certains domaines. Dans d'autres, leur pouvoir en la matière est très limité. Et dans certains autres cas, l'acteur principal est le gouvernement fédéral. De plus en plus, il y a également des cas dans lesquels les États jouent un rôle plus important.

Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve. À l'heure actuelle, un des candidats à la présidence a dit clairement qu'à son avis, la loi des États devrait être celle qui prévaut dans les territoires indiens. Pour les nations indiennes, c'est un cauchemar. La plupart des États ont un programme simple: s'approprier les ressources et les utiliser à leurs propres fins.

Le gouvernement fédéral et la jurisprudence vont clairement dans la même direction: la loi des États n'est pas celle qui prévaut dans les territoires indiens. Nous nous apprêtons donc à entrer dans une période où ces relations risquent fort d'être contestées.

Madame la présidente, j'espère que cela éclaircit quelque peu les questions qui se posent. Elles sont remarquablement complexes.

La présidente: Merci.

Madame Karetak-Lindell, allez-y, je vous en prie.

• 1135

Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.): Merci.

Je représente une circonscription où 85 p. 100 de l'électorat est autochtone et qui constitue le tout nouveau territoire du Canada, le Nunavut; je suis donc très intéressée par les observations que vous venez de faire sur l'autonomie gouvernementale. Il est trop tôt pour que nous puissions, nous aussi, déterminer quels sont les résultats et les mesures différentes qui s'avèrent positifs ou non, parce que cela ne fait qu'un an et quelques mois que dure l'expérience.

Je peux dire sans trop risquer de me tromper qu'il est rassurant d'entendre des chercheurs dire la même chose que ce que la plupart des Autochtones disent depuis toujours. Il semble bien que finalement, on ait des données qui confirment ce que les gens prétendent: si nous décidons de nos vies, nous allons faire des erreurs, mais nous allons également en tirer des leçons et apprendre à résoudre nous-mêmes nos problèmes.

J'ai deux ou trois questions. Vous avez parlé du contrôle exercé par les États par opposition à celui du gouvernement fédéral. Avez-vous des données qui démontrent quelles sont les bandes qui réussissent le mieux à assurer leur propre prospérité économique? Est-ce celles qui traitent directement avec le gouvernement fédéral, par opposition aux groupes qui entretiennent des relations à la fois avec les États et les autorités fédérales? Est-ce que les bandes qui sont obligées d'avoir des relations tripartites réussissent mieux que celles qui n'ont que des relations directes avec le gouvernement fédéral?

À la page 2 de votre mémoire, dans l'avant-dernier paragraphe, dernière phrase, vous dites que beaucoup de gens qui avaient quitté les réserves il y a des années reviennent. Un des témoins que nous avons entendus en Colombie-Britannique, un professeur, a déclaré que nous devrions assimiler tous les Autochtones, que les intégrer dans les centres urbains et les traiter tous sur un pied d'égalité dans le contexte des courants dominants dans la société canadienne serait une façon de résoudre les problèmes autochtones au Canada.

Je trouve que ce que vous déclarez contredit totalement cette hypothèse. Vous dites que les autorités ont tout essayé sans obtenir de résultats positifs. A-t-on, parmi les conclusions qui ont été tirées, déterminé que cela ne servirait à rien d'essayer de faire vivre les Autochtones dans de grands centres urbains et de les intégrer aux courants dominants de la société?

M. Stephen Cornell: Pour répondre à votre première question, nous avons pu constater récemment que certains projets coopératifs menés conjointement par les nations indiennes et certains États se sont avérés très productifs.

Quant à savoir s'il y a des différences dans la façon dont les nations indiennes sont parvenues à la réussite, suivant qu'elles ont collaboré avec le gouvernement fédéral ou avec les États, je dirais que non. Cela est dû principalement au fait qu'historiquement—et je veux dire par là au cours des 20 dernières années—, c'est vis-à-vis du gouvernement fédéral que les nations indiennes ont établi leur autonomie gouvernementale. Une des caractéristiques essentielles de la plupart de ces réussites a été le fait que le gouvernement fédéral est passé d'un rôle de décideur à celui de ressource. Dans ce processus, nous n'avons vu aucun État jouer un rôle que je qualifierais de prépondérant.

Cependant, beaucoup de nations indiennes sont établies dans des États. Elles reconnaissent qu'elles doivent traiter avec le gouvernement et la population de ces États. Elles reconnaissent que nombre des grandes ressources, l'eau, l'air et la faune, échappent à toute juridiction et qu'elles doivent donc conclure des accords de cogestion avec les États.

• 1140

Certaines nations indiennes se sont montrées très créatives pour établir une collaboration harmonieuse avec les États, notamment dans le domaine de la gestion des ressources, de la police, sous certains aspects, et en ce qui concerne des services comme le placement des enfants en foyers d'accueil. Habituellement, le fait que la nation indienne en question n'a pas pu démontrer sa capacité dans les domaines visés joue un rôle crucial pour assurer la réussite des initiatives. Dans certains cas, cela a été spectaculaire.

Il y a dans la réserve des Apaches de Jacarilla, au Nouveau- Mexique un grand troupeau de wapiti qu'ils géraient eux-mêmes. L'État du Nouveau-Mexique avait des réserves sur la façon dont ils s'y prenaient et s'est adressé aux tribunaux pour essayer de mettre fin à cette entreprise. Au cours de l'enquête préalable au procès, l'État du Nouveau-Mexique a découvert que les Apaches de Jacarilla possédaient des connaissances supérieures et qu'en fait, ils géraient mieux leur troupeau de wapiti que l'État lui-même. Les autorités de l'État mirent donc fin aux poursuites et conclurent un accord de gestion cynégétique conjointe qui permet à l'État et à la tribu de collaborer pour gérer cette population de wapiti.

C'est un cas où une tribu a adopté une approche assertive. Elle a fait valoir les pouvoirs qui découlaient de son autonomie gouvernementale. Elle a consolidé ces pouvoirs en se dotant de capacités réelles pour gérer la faune. Il s'est avéré que ces capacités étaient supérieures à celles de l'État du Nouveau-Mexique. Le résultat a été l'établissement d'une solide collaboration entre l'État et la tribu.

On voit de plus en plus de cas de ce genre à l'heure actuelle. Les tribus prenant de plus en plus d'assurance pour exercer leur autonomie gouvernementale, elles réalisent rapidement qu'elles doivent collaborer avec les États et que, si elles peuvent démontrer leurs capacités, les États les respectent.

En ce qui concerne votre deuxième question, sur l'assimilation et la relocalisation en milieu urbain, il y a une certaine logique dans un argument voulant que si l'on élimine les terres indiennes et que l'on oblige tout le monde à aller vivre en ville, le problème, par définition, disparaîtra. Ce ne sera plus un problème de pauvreté en milieu rural; le problème qui se posera sera celui de la pauvreté en milieu urbain. C'est ce qui est arrivé aux États-Unis dans les années 50 et 60, dans la foulée de mesures exceptionnelles, allant même parfois jusqu'à la coercition ou du moins, à une coercition à peine déguisée, pour déplacer dans les villes la population indienne. C'est vrai, cela a réussi à certains. Il y a des gens qui se sont bien intégrés et sont devenus des participants productifs de l'économie urbaine, mais cela n'a pas été le cas pour beaucoup d'autres.

Le résultat, c'est que dans certaines villes, il existe aujourd'hui des ghettos où de nombreux Indiens vivent dans la pauvreté, comme d'autres populations des quartiers défavorisés des États-Unis. On a donc résolu le problème dans le sens où on l'a déplacé d'un endroit à l'autre, mais cela a été la source de beaucoup d'amertume chez de nombreux Indiens parce que derrière cette initiative, se cachait tout simplement l'idée que leur façon de vivre, leur culture, etc. ne valaient pas la peine d'être préservées et qu'ils devaient devenir comme nous. C'est une notion qui a été prédominante dans la plupart des politiques du gouvernement fédéral à l'endroit de ces peuples depuis le début du XIXe siècle. Cela s'est donc avéré également contre-productif à cet égard.

Nous avons des données qui montrent que beaucoup d'Indiens décident d'aller vivre dans les villes. Dans certains cas, c'est parce qu'ils veulent vivre dans des endroits plus cosmopolites, comme bien d'autres gens. Dans d'autres cas, ils décident de déménager parce que, sur le plan économique, ils n'ont pas d'avenir sur leur territoire. En revanche, comme c'est le cas des Indiens Choctaw du Mississippi et de certains autres, lorsqu'une économie vigoureuse commence à prendre souche sur les territoires autochtones, il y a des gens qui étaient partis qui reviennent. Cela ne vaut pas pour tout le monde. La majorité des Amérindiens des États-Unis vivent aujourd'hui dans les villes. La population indienne qui vit dans des réserves est une minorité. Et un grand nombre des Indiens qui vivent dans les villes ont fait ce choix tout à fait volontairement.

Je crois qu'il y aura toujours une bonne partie de la population indienne des États-Unis—et pas seulement parmi les gens plus âgés—qui souhaitera demeurer sur les territoires indiens et y établir des sociétés prospères. Personnellement, je pense que l'assimilation est une solution qui ne fonctionne que lorsqu'elle émane de mesures extrêmement coercitives; ensuite, c'est quelqu'un d'autre qui doit faire face au problème et cela permet de libérer des ressources qui sont clairement très en demande.

Voilà donc, à mon avis, ce qu'indique l'expérience américaine.

La présidente: Merci.

Monsieur Konrad, s'il vous plaît. C'est le deuxième tour de table. Après, je donne la parole à M. Finlay et ensuite, à M. Bachand.

• 1145

M. Derrek Konrad: Merci, madame la présidente.

Vous indiquez que les Pueblos ont instauré une théocratie. Au Canada, il y a des Indiens qui pratiquent les religions traditionnelles et il y en a probablement autant qui sont Chrétiens. Je ne sais pas quelles sont les autres religions qu'ils peuvent pratiquer, ni quel est leur nombre. Mais lorsqu'on instaure une théocratie, cela veut dire qu'une religion domine et que le reste passe en second. Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne dans une société comme celle des États-Unis, où il doit y avoir une séparation claire entre l'Église et l'État et où les gens sont libres de prendre ce genre de décision eux-mêmes? De fait, si je me souviens bien, les États-Unis ont essentiellement été fondés par des gens qui souhaitaient qu'on ne leur impose pas une religion donnée.

M. Stephen Cornell: Il faudrait que je consulte l'un de mes amis avocats et que je lui demande si l'instauration de théocraties comme celle du Pueblo Cochiti—il y en a plusieurs au Nouveau-Mexique—a été contestée sur la base de la séparation de l'Église et de l'État. À ma connaissance, ce n'est pas le cas. Je ne suis pas certain que cette question ait été portée devant les tribunaux. Autrement dit, je ne pense pas que les tribunaux se soient prononcés sur la question de savoir si le type de gouvernement mis en place par les Cochiti viole le principe de la séparation de l'Église et de l'État. Je ne suis pas sûr que cela ait été porté devant les tribunaux; peut-être que si.

Il y a eu des procès portant sur certaines mesures prises par ces gouvernements. Par exemple, au sein de la communauté des Cochiti, seuls les hommes peuvent occuper des fonctions au sein du gouvernement. C'est ainsi que sont gouvernés les Pueblos depuis l'arrivée des Espagnols; autrement dit, cela fait des siècles qu'il en est ainsi. Certains procès ont abouti à confirmer le droit des Pueblos de se gouverner selon leur propre tradition. Selon moi, il y aura d'autres poursuites à propos de questions du même genre. Je doute fort que celle-là ait été vidée.

On a adopté aux États-Unis, en partie à cause des Pueblos, une déclaration des droits des Indiens qui concernait certaines de ces questions. Je pense que le dossier n'est pas clos. Je peux vous dire toutefois, à ce propos, que la solidité du type de gouvernement instauré par les Cochiti vient du fait que le Pueblo le considère tout à fait légitime. Tant et si bien que la gestion des affaires publiques est excellente, même si les moyens employés seraient considérés, de façon générale, aux États-Unis, comme peu propices pour aboutir à ce résultat.

Nous avons tendance, aux États-Unis, à nous montrer très arrogants et à faire valoir que nos propres institutions sont idéales pour répondre aux problèmes des autres; nous avons donc souvent pensé, je crois, que ces formes de gouvernement autochtone aboutiraient inévitablement à un échec. Mais lorsqu'on fait des recherches, on découvre que ce n'est pas tant une forme de gouvernement particulière qui a de l'importance que la façon dont cette forme de gouvernement permet d'obtenir deux résultats: premièrement, au plan de l'activité gouvernementale, est-elle efficace? Deuxièmement, est-elle appuyée par la population autochtone qu'elle concerne?

Aux États-Unis, le plus grand clivage est celui qui existe entre les gouvernements qui jouissent de l'appui de leur population et ceux qui ne l'ont pas, et entre les gouvernements qui semblent avoir la capacité nécessaire pour effectivement livrer la marchandise, si je peux m'exprimer ainsi, et ceux pour qui ce n'est pas le cas. Le problème le plus épineux est de marier les deux ingrédients.

Dans certaines circonstances, des traditions autochtones ont été inventées pour résoudre des problèmes qui ne font plus partie de ceux auxquels les nations font face. Par conséquent, un gouvernement autochtone traditionnel peut tout simplement être incapable de gérer convenablement les affaires publiques dans un contexte contemporain où les conditions ont changé. La nation indienne qui se retrouve dans cette situation doit inventer des moyens de gouverner qui correspondent toujours à l'idée que se font les gens de la façon dont l'autorité doit être organisée et exercée.

Les Cochiti ont ajusté leur régime gouvernemental afin de prendre en compte le rythme accéléré et le caractère formel du monde très différent dans lequel le Pueblo doit opérer, mais ils ont retenu des éléments essentiels de ce régime, si bien que cela semble le rendre légitime, dans un sens, aux yeux de la population qui accorde son appui au gouvernement.

• 1150

En ce qui concerne la question précise que vous posez, je crains de ne pas pouvoir vous dire s'il y a eu des contestations fondées sur la séparation de l'Église et de l'État ou sur certaines autres questions qui se posent comme le droit des femmes d'occuper des postes au sein du gouvernement.

M. Derrek Konrad: Si les autres membres du comité m'y autorisent, est-ce que je peux poser une brève question de plus à ce propos?

La présidente: Étant donné que j'ai déjà accordé deux ou trois minutes de grâce, vous pouvez y aller.

M. Derrek Konrad: Merci.

Alors, dans le cas des Pueblos, d'après ce que je comprends, si quelqu'un ne fait pas partie d'un ordre religieux quelconque—je ne sais trop comment on appelle cela—cette personne n'a pas non plus le droit de faire partie du gouvernement. Vous pouvez répondre par oui ou par non.

M. Stephen Cornell: Eh bien, malheureusement, c'est un peu plus compliqué que cela, et je ferais mieux de vous donner un bref résumé.

M. Derrek Konrad: Peut-être pendant la prochaine série...

La présidente: Ça va. Allez-y, monsieur Cornell.

M. Stephen Cornell: Le chef religieux, le cacique, détient l'autorité suprême. Le cacique choisit tous les ans ceux qui occuperont des postes au gouvernement pendant 12 mois et, au bout de cette période, désigne un nouveau groupe. Toutes les personnes qui ont occupé un des six postes les plus importants au sein du gouvernement deviennent membres à vie du conseil, je veux dire l'assemblée législative, le conseil tribal. Aucune de ces personnes, nécessairement, n'est prêtre; elles ont toutes le titre de gouverneur. Mais l'autorité suprême est entre les mains de leur chef religieux.

La présidente: Merci, monsieur Konrad.

Monsieur Finlay, vous avez la parole.

M. John Finlay (Oxford, Lib.): Merci, madame la présidente.

Monsieur Cornell, c'est un plaisir de vous avoir parmi nous et de vous entendre nous expliquer la question plus clairement.

Vous devez connaître le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Pour ma part, ce que vous dites et ce que vous avez découvert relève essentiellement du sens commun et est étayé par l'histoire à travers le monde, quand on parle d'autonomie gouvernementale et de la façon dont les peuples sont passés du statut de tribu à celui de nation, d'État, etc.

Les quatre points fondamentaux du rapport sur les peuples autochtones étaient, me semble-t-il, qu'en ce qui concerne les Premières nations, nous devions reconnaître qu'elles existaient, respecter cette réalité et développer les notions de partage et de responsabilité. Selon moi, ce que vous avez découvert, c'est que pour assurer le développement économique des peuples autochtones, il faut que ces choses-là aient lieu. Notre tâche, manifestement, est de veiller à ce que cela se fasse. Je veux croire que c'est ce qui arrive avec le Nunavut, les Nisga'as et certaines autres ententes que nous avons conclues.

Dans le deuxième paragraphe de votre mémoire, vous dites que vous avez passé la plupart des 15 dernières années à faire des recherches sur les nations indiennes des États-Unis et «dans une moindre mesure, sur les Premières nations du Canada». Pouvez-vous me donner une idée de ce que cela signifie, des résultats de vos travaux et de leur envergure et de la mesure dans laquelle cela correspond à ce que vous nous dites de l'expérience américaine?

M. Stephen Cornell: Oui. Les travaux que nous avons menés au Canada n'ont pas été systématiques. Je pense que c'est la meilleure façon de les décrire, madame la présidente.

Par exemple, j'ai travaillé à titre d'expert-conseil auprès de quelques Premières nations, notamment la bande de Hatchet Lake, dans le nord de la Saskatchewan. J'ai présenté des exposés à plusieurs Premières nations. Nous avons tenu ce que nous appelons «des ateliers de formation des cadres» pour certains dirigeants des Premières nations. C'est une chose à laquelle les responsables du Harvard Project ont consacré pas mal de temps: tirer des résultats de leurs recherches des enseignements utiles pour les dirigeants des Premières nations et passer deux ou trois jours avec ces chefs indiens pour étudier de manière intensive les implications de ces travaux de recherche.

Nous avons tenu quelques ateliers au Canada et nous nous sommes adressés à plusieurs groupes appartenant à des Premières nations canadiennes. C'est peut-être aller un peu loin que d'appeler cela de la «recherche», mais nous sommes des chercheurs invétérés et nous essayons toujours de poser des questions sur les divers cas que nous pouvons rencontrer.

• 1155

À la suite de ces travaux, je suis intimement persuadé que si nous pouvions faire au Canada des recherches systématiques du même type que celles que nous avons faites aux États-Unis, nous aboutirions à des résultats comparables. Je pense qu'il y aurait des variantes dans les détails, parce que c'est dans les détails que les situations diffèrent ici, mais je n'ai rien appris au cours des quelques dernières années qui m'amènerait à penser que nous puissions arriver à des conclusions très différentes.

M. John Finlay: Merci.

Ai-je encore du temps?

La présidente: Oui, il vous en reste beaucoup.

M. John Finlay: Nous avons conclu d'importants accords tripartites touchant notamment le nord du Québec et certaines régions de l'Ontario, des ententes qui impliquaient la modification des réseaux hydrographiques parce qu'elles portaient sur l'énergie hydroélectrique et ainsi de suite. Ces accords prévoyaient notamment l'instauration de régimes de cogestion pour administrer les ressources naturelles, etc., une fois les plans mis en oeuvre et les gens relocalisés etc. La plupart des gens que cela concerne font rapport tous les ans au Parlement parce qu'ils font partie d'un groupe tripartite, et de façon générale, les membres des Premières nations ne sont pas très heureux des résultats. Je soupçonne que c'est surtout parce que trois paliers de gouvernement sont impliqués—l'administration fédérale, les provinces et les Premières nations. Ne constituant qu'un tiers du groupe, les membres des Premières nations ont l'impression que les deux autres paliers de gouvernement s'allient contre eux, qu'ils n'obtiennent pas ce qu'ils veulent et que ce qu'ils souhaitent voir arriver ne se produit pas très souvent.

Je présume que nous devrions faire quelque chose à ce sujet. Peut-être en changeant le personnel ou en modifiant les accords de cogestion de façon à ce qu'il y ait une participation véritablement «conjointe» de la part des Premières nations, que leurs délégués constituent au moins la moitié du groupe, si bien que de temps en temps, ils pourraient avoir la majorité ou obtenir qu'une mesure quelconque soit prise, je ne sais trop. Avez-vous des observations à faire à ce sujet?

M. Stephen Cornell: À mon avis, il n'y a aucune raison de croire que c'est la nature tripartite de ces relations qui pose un problème. Certes, aux États-Unis, il y a des accords de cogestion qui impliquent le gouvernement fédéral, un État et une tribu ou même plusieurs États et plusieurs tribus. Notamment dans les domaines des ressources hydriques et fauniques, plusieurs accords de cogestion impliquent des intervenants multiples et parfois des gouvernements qui se situent au-dessous du palier de l'État. Il y a certains accords qui impliquent les municipalités.

Je dois vous avouer que nous n'avons pas fait une étude systématique de ces accords de cogestion, mais nous en avons parlé à plusieurs tribus et nous avons examiné certains cas. Pour ma part, la façon dont les Autochtones envisagent ces accords dépend beaucoup plus de la qualité de leur participation que du nombre d'entités différentes qui sont impliquées. Bien des groupes autochtones, lorsqu'ils ont le sentiment d'avoir participé aux prises de décision en toute égalité, considèrent que ces accords sont positifs, même s'ils ne leur permettent pas nécessairement d'obtenir exactement ce qu'ils veulent. Donc, en ce qui me concerne, la qualité de la participation est plus importante que la multiplicité des intervenants.

La présidente: Merci.

Avant de faire un autre tour de table, je voudrais simplement poser quelques brèves questions pour que certains points soient enregistrés au compte-rendu. Je pense que vous pourrez répondre rapidement.

J'aimerais savoir s'il y a aux États-Unis un texte équivalant à la Loi fédérale sur les Indiens. J'aimerais également savoir qui, aux États-Unis, est propriétaire des terres sur lesquelles sont établies les réserves. Est-ce le gouvernement fédéral ou bien les bandes ou les tribus? Lorsque des Autochtones vont vivre en ville, la compétence des autorités dont ils dépendaient continue-t-elle de s'exercer dans le milieu urbain?

M. Derrek Konrad: Pourrais-je poser une question rapide?

La présidente: Oui. Nous sommes sur la même longueur d'ondes. Nous allons au moins ce soir faire enregistrer cela au compte-rendu et après, Derrek, vous allez pouvoir explorer ces réponses. Merci.

Allez-y.

M. Stephen Cornell: Madame la présidente, je dois vous avouer que ma connaissance de la Loi sur les Indiens n'est pas suffisante pour que je puisse dire de façon catégorique que nous avons un texte législatif équivalent. Il y a plusieurs textes législatifs qui s'appliquent de façon générale dans tous les territoires occupés par les Indiens. Aucun d'entre eux, je pense, n'a tout à fait le même statut juridique. Cela démontre que deux choses ont joué un rôle important pour déterminer le statut des nations indiennes, je veux parler de la série des premiers traités et des décisions de la Cour suprême des États-Unis, les deux choses ayant eu un impact très important sur leur statut actuel, probablement un plus grand impact que n'importe quel texte législatif.

• 1200

En ce qui concerne la seconde question, à savoir qui est propriétaire des terres où sont établies les réserves, la plupart sont techniquement détenues en fiducie par le gouvernement fédéral au nom des Premières nations. Je pense qu'il faudrait préciser que dans le cadre de cet arrangement, c'est le gouvernement fédéral qui, en bout de ligne, prend les décisions, et peut-être que ce qui démontre le mieux qu'il en est ainsi est le fait que les nations indiennes ne peuvent pas aliéner leurs terres sans l'approbation du gouvernement fédéral. C'est sans doute la seule chose que le gouvernement fédéral a voulu se réserver. Les nations indiennes jouissent d'une grande liberté pour décider de la façon dont elles utilisent leurs terres, mais elles ne peuvent pas les aliéner.

Cette relation de fiduciaire est un peu comme la souveraineté. Cela a abondamment été contesté et a fait l'objet de textes législatifs aux États-Unis. Toutefois, le gouvernement fédéral, selon cette définition, détient les terres fédérales au nom des nations indiennes. Le gouvernement a cependant tendance à considérer ces terres comme des terres indiennes. Il est clair que certaines tribus considèrent qu'il s'agit de leurs propres terres. Comme vous pouvez le voir, répondre par oui ou par non est difficile lorsqu'on parle d'affaires touchant les Indiens.

Quant au maintien des compétences sur les Indiens qui vivent en milieu urbain, généralement, la réponse est non, mais les Indiens qui vivent en ville, tant et aussi longtemps qu'ils restent des membres inscrits de leurs tribus, ont le droit de voter, dans la plupart des cas, lors des élections tribales. Certaines tribus ont décidé de ne pas les autoriser à voter. Les tribus ont le pouvoir de décider des conditions qui régissent l'affranchissement de leurs membres. Dans la plupart des cas, les Indiens qui vivent en ville et qui sont des membres inscrits de leurs tribus peuvent voter lors des élections tribales et de référendums où l'on demande à la tribu d'exprimer son avis. Mais la tribu n'exerce aucune compétence civile ou criminelle importante sur ses membres lorsqu'ils sont partis habiter en ville.

La présidente: Merci.

Monsieur Konrad, s'il vous plaît.

M. Derrek Konrad: Est-ce que c'est le tour de Claude ou le mien?

[Français]

M. Claude Bachand: Est-ce que ce n'est pas mon tour?

La présidente: Excusez-moi, monsieur Bachand. C'est votre tour.

M. Claude Bachand: Merci. Ma première question aura trait à la commission royale d'enquête.

Le gouvernement avait institué une commission royale d'enquête pour étudier toutes les conséquences des prises de décision sur les peuples autochtones et pour connaître les conditions de vie des autochtones. Au Canada, la commission royale a répertorié de 50 à 70 nations réparties entre 625 communautés. Il y a à peu près un demi-million d'Indiens qui vivent dans les réserves et à peu près un demi-million qui vivent hors réserve.

Ma première question servira peut-être à établir certaines comparaisons. Pourriez-vous nous donner quelques statistiques sur les autochtones aux États-Unis? Au Canada—Mme Barnes en a un peu parlé—, il existe une Loi sur les Indiens. En fait, il existe deux régimes: celui de la Loi sur les Indiens, selon laquelle le gouvernement défraie un autochtone de tout, et celui d'une autonomie gouvernementale, qui s'accompagne de droits territoriaux.

Il y a donc deux régimes. Le premier date d'une centaine d'années et c'est celui sous lequel vivent, malheureusement quant à moi, 90 p. 100 des communautés autochtones. Certaines en sortent lorsqu'elles concluent une entente, habituellement tripartite, avec les différents paliers de gouvernement.

C'est donc là mon autre question, monsieur Cornell. Est-ce que tous les autochtones américains vivent sous un même régime aux États-Unis? Est-ce que tout le monde est traité équitablement par les lois ou si certaines nations ont des ententes qui leur confèrent le statut de nation souveraine dépendante, comme vous dites, alors que les autres demeurent sous l'égide de Washington?

Il y a aussi un concept dont je veux que vous m'entreteniez. C'est le concept de nation building. Je viens de le voir dans votre document. C'est un concept qui fait beaucoup de vagues ici, au Canada. Il y a du nation building qui se fait dans toutes les nations et chez tous les peuples.

Or, à ce que je lis dans votre document, vous me semblez avoir une approche surprenante; vous dites faire du nation building auprès des autochtones. Comment une communauté de Blancs ou une étude faite par des Blancs—car je ne crois pas que vous ayez des origines autochtones—peut-elle faire du nation building auprès des autochtones? Pour moi, le nation building commence d'abord au sein de la nation elle-même.

Comment vous, étant Blanc, pouvez-vous faire du nation building avec les autochtones dont vous parliez tout à l'heure ou avec les autochtones d'une autre partie des États-Unis, où la culture et l'approche sont souvent très différentes?

• 1205

Êtes-vous en train de nous dire que vous avez trouvé une façon de faire du nation building auprès des autochtones qui soit valable d'un océan à l'autre aux États-Unis? Nous avons des problèmes avec ça, ici aussi.

[Traduction]

M. Stephen Cornell: Pour répondre à votre première question, on compte environ aux États-Unis 500 nations indiennes, au bas mot Parmi elles, environ 220 sont situées en Alaska.

M. Claude Bachand: En Alaska?

M. Stephen Cornell: Oui, en Alaska. Ainsi donc, dans les 48 États situés au sud, on compte approximativement 280 nations indiennes.

Quant au nombre de personnes que cela représente, tout dépend de la façon dont on définit un Amérindien. Pour ce qui est des Indiens inscrits, il y en a probablement plus d'un million. Ils ne résident pas tous dans des réserves; ce n'est sans doute le cas que pour environ la moitié d'entre eux. Mais mes informations sont un peu floues, vu que cela fait dix ans qu'a eu lieu le dernier recensement, et qui sait quand nous verrons les résultats de celui qui vient de s'achever.

Quant aux relations entre le gouvernement fédéral des États-Unis et les nations indiennes, elles se fondent, d'abord et avant tout, sur des traités qui, effectivement, varient d'une nation à l'autre mais qui, généralement, aboutissent à placer les nations indiennes dans une position comparable. Les raisons pour lesquelles nos recherche ont un certain poids, c'est que nous avons pu, dans un sens, tenir compte de la réalité politique.

Les nations indiennes reconnues au niveau fédéral aux États-Unis—et j'aimerais ajouter quelque chose à ce sujet dans un moment—occupent la même position politique vis-à-vis le gouvernement fédéral. La plupart des lois adoptées qui ont des conséquences explicites sur les nations indiennes s'appliquent à toutes les nations indiennes reconnues par le gouvernement fédéral. La plupart—et ici, je dois être prudent, mais disons la plupart—des décisions rendues par les tribunaux fédéraux, y compris la Cour suprême, qui ont des conséquences politiques sur les nations indiennes s'appliquent à toutes celles qui sont reconnues par le gouvernement fédéral.

L'expression «reconnues par le gouvernement fédéral» souligne le fait qu'il y a aux États-Unis des nations indiennes que le gouvernement fédéral ne reconnaît pas et qui, en conséquence, n'ont pas le droit à l'autonomie gouvernementale dont jouissent les tribus reconnues par le gouvernement fédéral. Elles n'ont pas droit aux services fournis par le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire du Bureau of Indian Affairs.

Quelques-unes de ces tribus sont reconnues par les États. Il y a aux États-Unis des réserves qui sont établies sur des terres appartenant aux États. Mais qu'il s'agisse des tribus qui ne sont pas reconnues par le gouvernement fédéral ou de celles qui sont reconnues par les États, elles sont beaucoup moins nombreuses par comparaison avec les 500 tribus reconnues par le gouvernement fédéral. Autrement dit, ce n'est pas... Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une population qui n'a pas son importance. Pour les membres de ces tribus, cela a une importance énorme. Mais du point de vue des chercheurs, ce n'est pas une population importante.

Donc, en général, on peut dire que toutes les nations indiennes ont une relation commune avec les États-Unis. Il y a une exception, l'Alaska, qui a fait l'objet de recours devant les tribunaux au cours des deux dernières années. Il n'y a qu'une seule réserve indienne en Alaska. La plupart des tribus de l'Alaska ne possèdent pas de territoires sur lesquels elles peuvent exercer les mêmes compétences que les tribus établies dans les 48 États situés au sud.

Cela a été le sujet d'une récente décision de la Cour suprême. Il y a une expression juridique que l'on utilise aux États-Unis, «Indian country», ce qui signifie des terres sur lesquelles les tribus indiennes ont compétence. La question qui a été portée à l'attention des tribunaux était la suivante: est-ce que la plupart des tribus de l'Alaska occupent un territoire qui peut être considéré comme «Indian country». Le tribunal a répondu non. Donc, l'Alaska est dans une situation unique qui constitue en quelque sorte une anomalie.

Pour ce qui est de votre dernière question, celle qui portait sur la notion de nation building, à l'heure actuelle, trois personnes s'occupent du Harvard project, et l'une d'entre elles est autochtone, mais cela n'a pas vraiment d'importance en la matière. Nous avons fait des travaux de recherche qui, selon nous, ont des répercussions pratiques sur les nations indiennes. À titre de chercheurs, nous nous sommes engagés à transmettre ces résultats aux nations concernées sous une forme accessible et utilisable.

• 1210

Parmi les résultats et les conclusions clés de cette recherche—et peut-être est-ce indiqué dans mon mémoire—, il y a l'idée que, comme la plupart des sociétés humaines, les sociétés indiennes font face à une série de problèmes communs dans le domaine de la gestion des affaires publiques, ou encore qu'elles sont confrontées à une série de problèmes communs lorsqu'il s'agit d'instaurer des sociétés qui fonctionnent. La recherche indique cependant que les solutions à cette série de problèmes ont tendance à varier d'une société indienne à l'autre, parce qu'elles ne sont pas dans la même situation et, ce qui est plus important, parce que leurs cultures ne sont pas les mêmes. Nous sommes donc dans une situation où les mêmes problèmes existent, mais exigent des solutions différentes.

Lorsque nous parlons aux dirigeants des nations indiennes—ce que nous faisons très souvent, sur invitation—nous tâchons de les aider à comprendre la nature de ces problèmes et d'orienter la conversation sur le développement économique, mais centré sur les questions de capacité, de responsabilisation et de responsabilité et sur les moyens grâce auxquels les tribus elles-mêmes peuvent commencer à créer une situation favorable au développement.

Nous avons tendance à ne pas dire: «Et voici exactement la façon dont vous devriez vous y prendre». Ce que nous pouvons leur dire c'est ceci: «Voici comment cette nation a procédé; voici comment telle ou telle nation s'y est prise. Plusieurs nations ont procédé de cette façon. Il y a toute une gamme de moyens qui peuvent permettre de relever le défi, mais il va falloir que vous décidiez ce qui convient particulièrement à votre situation, à votre culture, à votre façon de voir le monde et à la vision stratégique que vous avez de votre propre avenir.»

Autrement dit, nous pouvons être considérés, dans un certain sens, comme une source d'informations émanant de recherches, et comme des facilitateurs, puisque nous essayons d'aider les nations indiennes à se concentrer sur les obstacles importants qui les empêchent d'instaurer des économies durables. Mais les mesures que ces nations prennent ne sont généralement pas des mesures que nous leur avons dit de prendre; elles sont prises à la suite de décisions qui sont la conséquence de l'information que nous fournissons et de ce processus.

La présidente: Madame Karetak-Lindell.

Mme Nancy Karetak-Lindell: Merci.

J'aimerais simplement en quelque sorte récapituler la réponse que vous m'avez donnée. Ce que j'essayais de vérifier c'est que dans la plupart des cas, à mon avis, les groupes autochtones s'efforcent de créer des partenariats avec les gens qui les entourent pour assurer la prospérité de leur région. Je suis très satisfaite de la réponse que vous n'avez donnée.

J'ai une question qui se rapporte aux impôts. Ici au Canada, il y a plus d'un groupe de peuples autochtones: la population indienne, que nous appelons les Premières nations, et les Inuit. Ces peuples ont tous des revendications territoriales différentes à l'égard du gouvernement fédéral. Les gens du Nunavut ont leur propres revendications territoriales. M. Finlay a mentionné que les habitants du nord du Québec ont conclu un accord particulier. Certains groupes acquittent des impôts. Tous les Inuit versent des impôts, mais les gens qui habitent dans des réserves n'en paient pas. Nous connaissons donc par conséquent cette même problématique au Canada, où il n'est pas possible de traiter tout le monde sur un même pied d'égalité, vu que les gens possèdent des droits foncièrement différents en matière de fiscalité.

J'aimerais donc savoir si aux États-Unis ces populations sont dispensées de verser des impôts quand elles vivent dans les réserves plutôt que dans des centres urbains? La population indienne aux États-Unis est-elle traitée de manière uniforme? Il y a, avez-vous dit, des nations indiennes reconnues au niveau fédéral. Cela inclut-il tous les Autochtones des États-Unis autres que ceux qui sont reconnus par les États ou qui ne sont pas reconnus du tout?

M. Stephen Cornell: Je commencerais par répondre à la dernière partie de cette question, madame la présidente.

Il y a deux critères: il faut qu'il s'agisse d'une nation indienne reconnue au niveau fédéral et que, personnellement, vous en soyez un membre inscrit. L'inscription représente un autre concept relativement complexe, mais on pourrait correctement résumer en disant que, d'une manière générale, une liste des Indiens a été établie par le gouvernement fédéral peu après le début du siècle, au début des années 1900, et qu'il est nécessaire de démontrer un certain degré de filiation avec une personne figurant sur cette liste pour pouvoir être un membre inscrit de la tribu.

• 1215

La nation indienne elle-même détermine le degré de filiation nécessaire pour être reconnu. Dans le cas de certaines nations indiennes, il vous faut établir une filiation par au moins un parent. Pour d'autres, il suffit qu'il y ait un degré de filiation par un grand-parent. Quelques rares nations indiennes acceptent depuis peu tout degré de filiation démontré. Mais ce sont ces nations qui décident.

Les tribus indiennes reconnues au niveau fédéral ne comportent que des Autochtones qui sont des membres inscrits de ces tribus, et par conséquent, il existe en fait deux types de critères auxquels il faut satisfaire. On voit donc aux États-Unis des Indiens qui ne sont pas des membres inscrits dans des tribus reconnues au niveau fédéral, ni des membres inscrits dans n'importe quelle autre tribu et qui, dans un sens, ne possèdent aucun statut. Cela ressemble, je suppose, à la situation au Canada.

Pour ce qui est de la fiscalité, les Indiens des États-Unis paient les mêmes impôts sur le revenu que moi, sans qu'il y ait vraiment de différence en ce qui concerne leur lieu de résidence. Les tribus indiennes ne versent pas d'impôt sur leur propre revenu—c'est-à-dire sur l'argent gagné par leurs entreprises. Elles sont donc dispensées de verser des impôts aux États ou au gouvernement fédéral, mais les membres des tribus ne le sont pas.

Mme Nancy Karetak-Lindell: [Note de la rédaction: inaudible]... entre le Canada et les États-Unis.

La présidente: La parole est à M. Konrad et ensuite, à M. Finlay.

En fait, je m'excuse. Il vous reste encore une minute, madame Karetak-Lindell, vous pouvez poser une autre question. Je n'avais pas regardé la pendule. Ça va?

Alors, allez-y.

M. Derrek Konrad: Merci.

Lors du dernier tour, nous avons abordé la question de la théocratie, et vous avez dit en gros que la fin justifie les moyens.

M. Stephen Cornell: Je vous demande pardon?

M. Derrek Konrad: J'ai dit qu'au cours du dernier tour, nous avons parlé un peu de la théocratie, et vous avez dit qu'au fond, la fin justifie les moyens—que vous avez une dictature bienveillante et que, puisque cela fonctionne, c'est bon pour les États-Unis.

Au Canada, la question des terres occupées par les réserves pose un problème important. La question a été portée récemment à notre attention à cause d'une réserve située en Colombie-Britannique, celle de Musqueam. Je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler. On y trouve des titulaires de domaines à bail qui ont perdu la totalité de la valeur de leur domicile et qui risquent d'être endettés pour le reste de leur vie du fait que leurs loyers ont augmenté de—j'ai oublié le montant exact—de plus de 1 000 p. 100. Naturellement, personne n'a les moyens de faire face à un tel fardeau, mais il y a en ce moment une affaire devant les tribunaux qui franchit les divers niveaux de recours, dans le but d'invalider la décision prise par la bande.

C'est un problème. Cela fait qu'il est très difficile, je suppose, pour la bande de Musqueam d'élaborer une politique d'aménagement du territoire susceptible d'être acceptée, lorsqu'elle prend de telles décisions arbitraires qui risquent d'acculer à la faillite tous les gens qui résident dans le lotissement en question.

Vous avez dit qu'aux États-Unis, les Indiens ne peuvent pas disposer de leurs terres. S'agit-il d'une restriction à 100 p. 100, ou existe-t-il une méthode par laquelle la terre peut être transférée ou cédée comme on dit au Canada?

M. Stephen Cornell: Les terrains peuvent très bien être transférés, mais seulement avec l'approbation du gouvernement fédéral. Autrement dit, si j'étais une nation indienne, je pourrais communiquer avec le secrétaire de l'Intérieur, le fonctionnaire fédéral qui détient la responsabilité ultime sous la tutelle du président, et lui dire «Nous voulons vendre cette portion de notre réserve.»

Historiquement, je ne connais aucun cas où cela ait été approuvé. En fait, Je ne connais aucun cas où cela ait été proposé par une nation indienne. Il est effectivement possible de disposer des terres de cette façon, et la condition est qu'il faut obtenir l'approbation des autorités fédérales.

M. Derrek Konrad: L'investissement le plus gros et l'actif le plus important que possèdent la plupart des gens est leur maison. Sur les terres indiennes, il n'est pas possible de posséder un certificat de titre. Au Canada on appelle ce qui ressemble le plus à la propriété à 100 p. 100 le «fief simple». Je suppose que c'est la même terminologie que vous utilisez aux États-Unis.

M. Stephen Cornell: Oui.

M. Derrek Konrad: On vous délivre un certificat de titre. Je ne sais pas si vous utilisez toujours ou non un certificat d'enregistrement de titre aux États-Unis. Mais dans les réserves, on ne peut obtenir qu'un certificat de possession, ce qui signifie que vous possédez la chose, mais que vous n'en êtes pas propriétaire. Je ne suis pas très sûr de ce que signifie cette différence qualitative.

• 1220

On sait aussi que les gens qui sont propriétaires de leur logement et qui prennent une deuxième hypothèque pour financer une initiative commerciale à laquelle ils ont pensé jouent un rôle énorme au plan du développement économique, non seulement au niveau de la personne concernée, mais pour la communauté et même la région et la nation. Avez-vous tenu compte de cela dans vos recherches ou non?

Avez-vous effectué des recherches sur la possibilité qu'ont les gens de devenir propriétaires de plein droit de leur terre, de verser des impôts à la bande en retour des services rendus et d'hypothéquer leur maison?

M. Stephen Cornell: Nous n'avons pas fait de recherches systématiques sur cette question. Aux États-Unis les terres des réserves varient de façon significative en fonction de la manière dont les différents lotissements des réserves sont détenus.

Il y a eu un mouvement qui a débuté dans les années 1880 et qui s'est poursuivi jusque dans les années 20 en faveur de l'individualisation des terres indiennes aux États-Unis. On trouve donc des réserves où de nombreux particuliers sont propriétaires à fief simple de terres situées au sein des réserves, et il y a d'autres réserves où la tribu est le propriétaire de toutes les terres. Il existe donc des situations où les Indiens peuvent disposer de terres à titre individuel, car ils en détiennent le titre, et non la tribu. La terre n'est pas détenue en fiducie ni par le gouvernement fédéral de la même façon.

Il y a aussi un nombre grandissant de cas aux États-Unis où les tribus se livrent à des expériences en matière de propriété des logements, et où la terre elle-même, si elle appartient à la tribu, peut faire l'objet d'un bail emphytéotique, mais où la maison appartient en droit à son propriétaire et peut être utilisée comme caution pour un emprunt ou un tas d'autres choses.

Cela ne fait que commencer à se développer sur une grande échelle aux États-Unis, et nous n'avons pas encore eu la possibilité d'en faire un examen systématique, d'en évaluer les éventuels avantages et de dire quelles pourraient en être les conséquences. Il est certain qu'à première vue, cela devrait faire une très grosse différence au niveau de la capacité des Indiens à trouver de l'argent pour, par exemple, lancer une entreprise, une petite affaire ou quelque chose du genre. Mais je n'ai rien de très solide à vous dire sur la question.

M. Derrek Konrad: Avez-vous l'intention de vous y intéresser?

M. Stephen Cornell: Je pense que nous allons nous y intéresser.

Madame la présidente, si vous le permettez, j'aimerais dire une chose en réponse à vos remarques liminaires au sujet des conditions des baux. Il n'est pas inhabituel pour moi d'entendre ce genre de chose. Nous avons des cas semblables aux États-Unis, et le gouvernement des nations indiennes prend des décisions qui, compte tenu des situations, sont injustes et ont pour conséquence de réduire l'activité économique et de décourager les investisseurs. Mon seul commentaire est que cela ne semble pas être une manière de faire la distinction entre ces tribus et, par exemple, la ville de Chicago où j'ai passé neuf ans et qui prenait continuellement des décisions qui me paraissaient aller à l'encontre du développement des intérêts de quiconque excepté de ceux de la personne qui prenait la décision.

C'est ici qu'entre en jeu la courbe d'apprentissage dans le milieu indien. Si vous prenez une décision et que vous vous rendez compte que tous les investisseurs potentiels ont disparu, il y a de bonnes chances que vous ne reprendrez pas la même décision une deuxième fois. J'ai assez bonne confiance dans les mérites d'une courbe d'apprentissage accentuée mais lente pour les nations indiennes dans exactement les domaines que vous avez décrits—et elles feront des erreurs, mais elles finiront, espérons-le, par apprendre.

La présidente: Monsieur Konrad.

M. Derrek Konrad: Je voudrais poser une brève question.

La présidente: Vous avez déjà utilisé sept minutes. Le comité consent-il à ce que je vous accorde une question de plus?

M. Derrek Konrad: Cela concerne quelque chose que Nancy a demandé.

La présidente: Allez-y, monsieur Konrad. Vous êtes dans mes bonnes grâces aujourd'hui.

M. Derrek Konrad: Est-ce vos Hawaïens entrent dans la même catégorie que les Inuit du Canada?

M. Stephen Cornell: Les Hawaïens? Non.

Une voix: Il y a 60 degrés de différence.

Des voix: Oh, oh.

M. Stephen Cornell: La situation des indigènes hawaïens est différente du fait qu'il n'existe pas de relations fondées sur un traité, et qu'ils sont actuellement...

M. Derrek Konrad: Il n'y en a pas ici non plus.

M. Stephen Cornell: C'est peut-être semblable en ce sens. Je ne connais pas assez la situation des Inuit pour en parler.

En ce moment, aux États-Unis, certains se demandent si les Hawaïens devraient être traités comme s'ils formaient une nation indienne, mais je pense que cette discussion n'en est qu'à ses balbutiements. On en arrivera peut-être à les traiter comme les autres nations indiennes, mais à l'heure actuelle, je pense que les Autochtones d'Amérique sont perçus aux États-Unis comme ne pouvant être comparés ni aux nations indiennes, ni aux populations inuit de l'Alaska.

La présidente: Monsieur Finlay, vous avez la parole.

• 1225

M. John Finlay: Vous avez déclaré, monsieur, que 220 des quelque 500 nations indiennes des États-Unis se trouvent en Alaska, et vous avez ajouté qu'il n'y a pas de terres de réserve en Alaska. Toutes ces nations sont-elles couvertes par un même traité? Quelle est la situation?

M. Stephen Cornell: La situation en Alaska est très complexe. Ce n'est pas qu'il n'existe pas de terres de réserve en Alaska, mais le gouvernement fédéral a adopté, en 1971, une loi appelée Alaskan Native Claims Settlement Act, qui a résolu la question des considérables revendications territoriales des Autochtones de l'Alaska et qui l'a résolu d'une façon particulière, sans que l'on procède à la création de réserves. Cette loi a établi, en revanche, des sociétés de gestion autochtones qui sont les principaux propriétaires fonciers. Par ailleurs, les villages autochtones de l'Alaska détiennent des avoirs fonciers, habituellement petits—ils ne le sont pas tous, mais un grand nombre le sont—qui ne peuvent pas être qualifiés de réserves. Cela dit, ils n'exercent pas sur ces terres le même degré de compétence que les tribus indiennes des 48 États plus au sud.

La situation en Alaska a relativement évolué ces derniers temps. Il existait une réserve en Alaska avant la loi de 1971 qui continue d'exister aujourd'hui—c'est la réserve Metlakatla. Mais le régime foncier indien fonctionne en Alaska dans le cadre d'un régime légal quelque peu différent de celui qui est en vigueur dans les 48 États plus au Sud. Cela ne veut pas dire que les Indiens ne possèdent pas de terres en Alaska. Il y en a. La différence se situe plutôt au niveau du contrôle exercé sur ces terres.

M. John Finlay: Je vous remercie.

La présidente: Vous avez encore beaucoup de temps si vous voulez, monsieur Finlay.

M. John Finlay: Non, je vous remercie.

La présidente: Je note que vous nous avez distribué ce document. Je suis sûre que vous y avez consacré beaucoup d'efforts à notre intention, mais comme vous ne l'avez pas lu, je veux que vous sachiez qu'il ne figurera pas au compte-rendu, à moins que mes collègues souhaitent qu'il y soit annexé.

[Français]

M. Claude Bachand: Je n'ai pas compris l'interprétation. Est-ce qu'on peut avoir une interprétation?

La présidente: Oui, bien sûr.

M. Claude Bachand: Est-ce que je peux poser des questions?

[Traduction]

La présidente: Très bien.

[Français]

M. Claude Bachand: Monsieur Cornell, un éminent juge du Canada, le juge Hamilton, a fait une excellente étude sur la certitude, ce que vous appelez certainty, et l'extinction des droits. Il y a là un problème de société et de culture. Nous, les Blancs, pensons que la terre nous appartient. D'ailleurs, quand on achète un bout de terrain, on veille toujours à ce que ce soit reconnu et consigné dans des actes notariés. Du côté autochtone, on a une conception plus collective de la possession de la terre. Pour eux, la terre appartient à tout le monde. Il y a donc une difficulté qui se pose quant à la certitude.

Il y a deux façons de voir les choses: ou bien on abolit les droits, ce qui crée une certitude parce qu'on est sûr que les autochtones ne pourront pas revenir à la charge, ou bien on signe des ententes d'autonomie et de revendications territoriales, des espèces de traités qui sont équivalents à des contrats avec des sociétés.

Pourriez-vous nous dire si, du côté américain, vous avez été confrontés à des choses telles que l'extinction des droits? Ici, nous avons des problèmes, surtout en Colombie-Britannique. Plusieurs compagnies commencent à dire que là où il y a eu des décisions de cour, il y a tant d'incertitude qu'elles ne veulent pas s'y installer.

Avez-vous la même chose du côté américain? Avez-vous déjà demandé l'extinction des droits? Continuez-vous à la demander ou si, maintenant, vous mettez vos oeufs dans le panier de la souveraineté dont il était question tout à l'heure?

[Traduction]

M. Stephen Cornell: Le problème de la certitude est le problème clé en l'occurrence. Tout investisseur veut évidemment avoir des certitudes ou préférerait en avoir quand il choisit d'investir. Nous rencontrons ce problème dans certains cas aux États-Unis.

Aux États-Unis, on a essayé—et naturellement, cela ne venait pas des nations indiennes—d'éteindre les droits des Autochtones. Il y a eu des cas où le degré d'incertitude a empêché l'investissement. Mais en général, je pense que l'une des distinctions qui doivent être faites entre les États-Unis et le Canada, c'est qu'il existe beaucoup plus de certitude aux États-Unis qu'au Canada en ce qui concerne le statut des terres autochtones, et par conséquent le problème de l'incertitude ne revêt pas la même ampleur que chez vous. Habituellement, nous savons qui exerce le contrôle sur ces terres, et quel est le degré de contrôle qui est exercé.

• 1230

Des gens qui souhaitaient investir dans des terres indiennes ont demandé, disons, aux Autochtones une renonciation partielle à leur souveraineté. Ils ont demandé certaines garanties concernant les limites des pouvoirs autochtones. Certaines nations indiennes se sont montrées disposées à faire des arrangements, habituellement temporaires, en vertu desquels elles acceptaient l'arbitrage de tiers pour les questions concernant le droit de propriété, ou encore de s'en remettre à un tribunal spécifié. Nous considérons qu'il s'agit d'initiatives qui découlent de l'autonomie gouvernementale dont bénéficient les nations indiennes. Elles peuvent dire par exemple: nous acceptons de soumettre ce problème particulier à la décision d'un tiers accepté par toutes les parties en cause. Cela se passe ainsi aux États-Unis dans certaines situations où se pose le problème de la certitude.

Mises à part les tentatives politiques récurrentes pour abolir purement et simplement les titres de propriété foncière des Indiens et pour faire disparaître les réserves aux États-Unis, il n'y a pas eu, en revanche, beaucoup de propositions de la part d'investisseurs qui allaient en ce sens. Je pense qu'ils reconnaissent qu'il existe certains antécédents en matière de droits de propriété, et que ces antécédents sont assez bien établis. Mais il y a ces mouvements politiques, particulièrement de la part de certains groupes qui s'intéressent aux ressources naturelles et qui font appel au Congrès pour tout simplement supprimer les droits de propriété des Indiens et pour ouvrir ces terres au marché. Aucun de ces mouvements n'a fait beaucoup de progrès, du moins au cours des 50 dernières années.

[Français]

M. Claude Bachand: J'ai une dernière question, monsieur Cornell. J'ai cru comprendre que vous aviez dit qu'un des candidats à la présidence des États-Unis voulait qu'il y ait une certaine décentralisation aux États-Unis et qu'on donne beaucoup plus de pouvoirs aux États. Il semble que ce soit un problème pour les autochtones. D'ailleurs, on a un peu le même problème ici, au Canada. Les autochtones ont fait appel à la reine quand la Constitution canadienne a été rapatriée et, à l'heure actuelle, ils s'opposent quand des pouvoirs sont transmis aux provinces. Si je vous ai bien compris, on voit la même chose aux États-Unis.

Pouvez-vous me dire lequel des candidats à la présidence veut une décentralisation aux États-Unis?

[Traduction]

M. Stephen Cornell: Le candidat qui a dit au cours d'une entrevue qu'il pensait que les lois des États devraient prévaloir sur les terres indiennes est George Bush.

M. Claude Bachand: George Bush.

La présidente: Je crois que vous vous retrouvez dans une salle pleine de politiciens politiquement curieux.

Madame Karetak-Lindell, s'il vous plaît.

Mme Nancy Karetak-Lindell: Je n'ai pas beaucoup de questions, mais plutôt une observation.

Vous avez parlé de la protection des wapiti ou de quelque chose du genre, mais je vois qu'à la page 4, vous citez la gestion des ressources forestières en disant qu'il a été démontré que ces tribus sont de meilleurs gestionnaires de leurs propres ressources. Cela me paraît très encourageant, car nous avons un grand nombre de projets de cogestion dans les ententes sur les revendications territoriales que nous avons conclues avec le Nunavut ainsi que dans le cadre du traité des Nisga'as, où il a été stipulé qu'il y avait un minimum en deçà duquel il n'était pas possible d'aller, mais qu'il était toujours possible d'appliquer des règlements plus rigoureux concernant les ressources. Je pense que les exemples que vous avez donnés sont une forme de reconnaissance de ce qu'un grand nombre de peuples autochtones ont toujours soutenu—que nous savons mieux comment gérer les ressources naturelles; donnez-nous la possibilité de le démontrer dans le cadre de partenariats autorisés par la législation nationale.

Un autre bon point, selon moi, c'est que, dans le cadre de nos ententes sur les revendications territoriales et l'autonomie gouvernementale, nous nous montrons disposés à oeuvrer dans le cadre de la constitution et des lois nationales et à faire partie du pays, au lieu d'être une entité distincte qui serait dotée de ses propres lois.

• 1235

J'ai été très intéressée par toutes les observations que vous avez faites. Je ne manquerai pas d'en faire part aux gens que je connais qui seront également très intéressés par tout cela.

Je vous remercie.

M. Stephen Cornell: Madame la présidente, puis-je faire une brève observation?

Je vous remercie d'avoir fait ces remarques. Je pense qu'il y a une chose à souligner en matière de gestion des ressources: la raison pour laquelle il semble, du moins d'après nos recherches, que les nations indiennes gèrent mieux leurs ressources que les gens de l'extérieur tient au fait qu'il s'agit de leurs propres ressources. Ce n'est pas que ces nations sont, de façon innée, de meilleurs gestionnaires des ressources; c'est parce qu'il y a un lien entre les décisions qu'ils prennent et leurs conséquences. La pièce du puzzle qui manque souvent, à mon avis, c'est qu'il faut ajouter au droit de gérer ces ressources la capacité de le faire.

Par exemple, aux États-Unis, il y a une nation indienne qui a assumé la gestion de ses ressources fauniques, a ouvert la chasse et a ainsi réussi à faire disparaître la faune parce qu'elle n'avait pas mis en place un mécanisme de contrôle de la chasse qui aurait permis de préserver ses ressources fauniques. Elle a agi comme elle aurait pu le faire il y a un siècle lorsque les ressources fauniques étaient essentiellement inépuisables, pour ainsi dire.

Il faut donc que les droits soient étayés par un ensemble de structures gouvernementales qui peuvent... C'est là où se pose la question: «Pouvez-vous livrer la marchandise?» Je comprends que cela ait un écho dans votre propre expérience. Mais je soulignerais simplement qu'il y a deux volets de nos recherches qui, à mon avis, devraient être intégrés. Les droits et les capacités ont tendance à aller ensemble.

Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci.

Est-ce que les membres du comité peuvent me dire s'ils souhaitent poser des questions? Monsieur Konrad, aimeriez-vous poser d'autres questions?

M. Derrek Konrad: J'aimerais bien.

La présidente: Très bien. Madame Karetak-Lindell? Non. Monsieur Bachand? Non. Alors, la présidence ajoutera simplement quelques remarques à la fin. Allez-y, monsieur Konrad.

M. Derrek Konrad: Très bien.

Ici, au Canada, nous avons un ministère des Affaires indiennes et du Nord. Vous, aux États-Unis, vous avez le Bureau of Indian Affairs. On parle beaucoup d'éliminer la Loi sur les Indiens et de fermer le ministère des Affaires indiennes avant de transférer ses responsabilités à d'autres ministères, comme le ministère de la Santé ou des Ressources humaines ou tout autre ministère qui joue un rôle dans la vie des Canadiens. Est-ce que l'on envisage prendre le même genre de mesures aux États-Unis? Si c'est le cas, quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Stephen Cornell: Oui, cela fait longtemps que l'on parle d'éliminer le Bureau of Indian Affairs. Son rôle a beaucoup évolué aux États-Unis au cours des 25 dernières années. Il y a 25 ans, et c'est encore vrai dans certains cas aujourd'hui, le Bureau était la principale entité qui prenait les décisions dans les réserves.

La semaine dernière, un de mes collègues est rentré d'une réserve du Montana et a remarqué que l'on se croyait là-bas dans les années 50; tout était encore décidé par le Bureau. Toutefois, dans bien des cas, le Bureau n'est pas l'organe qui prend des décisions, mais plutôt un centre de ressources techniques qui joue également un rôle administratif dans le cadre duquel il se charge de certaines tâches comme, disons, l'enregistrement des droits de propriété foncière et ce genre de choses, pour toutes les nations. Mais son rôle de décideur a été très réduit et, selon moi, cela a calmé ceux qui voulaient qu'on le démantèle. Autrement dit, le Bureau avait des détracteurs à cause de ses antécédents, parce qu'il avait pris de mauvaises décisions. Étant donné qu'il n'a plus vraiment le pouvoir de prendre des décisions, sa disparition est devenue une question qui soulève beaucoup moins de passions.

Je pense que certaines tribus diraient aujourd'hui que sur le plan technique, il offre des services de ressources très utiles. En outre, il joue un rôle administratif dans le cadre de certains programmes sociaux et autres qui seront probablement toujours gérés par les autorités fédérales étant donné qu'ils ont été mandatés par le Congrès. Le Bureau peut probablement continuer à jouer un rôle pendant longtemps dans divers domaines, mais pas en ce qui concerne les prises de décision.

Est-ce que cela implique que le Bureau doit continuer à exister sous sa forme actuelle, je ne sais pas. Il reste qu'il y a des services à fournir. Le Bureau peut, ou non, être l'organe le plus approprié pour le faire. Je n'ai pas véritablement d'avis sur cette question.

M. Derrek Konrad: Merci.

• 1240

La présidente: Merci.

Monsieur Cornell, je vais vous donner la possibilité de conclure, mais avant cela, j'aimerais tout d'abord mentionner que nous avons consulté votre site Web, ce qui est toujours instructif, et l'une des choses que j'ai trouvé intéressante, personnellement, est le fait que le Harvard Project décerne des prix pour reconnaître une bonne administration des affaires publiques fondée sur le recours aux meilleures pratiques, non seulement aux États-Unis, mais dans des endroits comme le Brésil et dans d'autres régions du monde.

À toutes fins utiles, la bonne administration des affaires publiques veut dire beaucoup de choses pour beaucoup de gens et bien évidemment, vous devez recevoir des demandes très diverses. Comment cela fonctionne-t-il? Essentiellement, c'est un programme incitatif qui reconnaît les réalisations au plan de l'administration des affaires publiques. J'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet et éventuellement, au sujet de certains de vos autres projets. Je sais que vous menez des recherches depuis 1987. Vous avez parlé de l'aide directe que vous apportez aux dirigeants en leur offrant des conseils ou des cours de formation, quel que soit le nom que l'on donne à ce genre d'initiative. Quels sont les autres projets sur lesquels vous souhaiteriez attirer notre attention?

M. Stephen Cornell: Le programme dont vous avez parlé est connu, en bref, sous le nom de Honouring Nations Program. Le projet, qui s'intitule en fait, si vous voulez avoir son nom au complet, Honouring Contributions in the Governance of Indian Nations, est financé par la Fondation Ford. C'est une initiative qui a pour but d'identifier, de reconnaître et de faire valoir des exemples de bonne administration des affaires publiques par des nations indiennes. C'est un projet qui a été lancé il y a deux ans. C'est la deuxième année au cours de laquelle le programme est offert. Les nations indiennes peuvent demander à être reconnues dans le cadre du Honouring Nations Program en faisant valoir la façon dont elles administrent, seules ou conjointement, un programme gouvernemental particulier.

L'an dernier, nous avons reçu 62 demandes émanant de plus de 50 nations indiennes des États-Unis et en novembre de l'année dernière, le conseil consultatif qui prend les décisions en la matière a attribué huit prix d'excellence et huit mentions honorables à des programmes que nous avons trouvé particulièrement remarquables et particulièrement solides.

Cette année, c'est le mois dernier que tombait la date limite pour faire acte de candidature. Nous avons reçu cette année 70 demandes. Nous sommes actuellement en train de les évaluer et cette année encore, en automne, il y aura une cérémonie de remise des prix. Ces deux dernières années, cette cérémonie a été organisée en marge de la réunion annuelle du National Congress of American Indians, une association comparable à l'APN canadienne. C'est probablement le plus grand rassemblement des tribus aux États-Unis, et la cérémonie de remise des prix a lieu un soir pendant le Congrès. Elle attire donc beaucoup de monde.

Je pense que le programme a suscité énormément d'intérêt parmi les nations indiennes des États-Unis. Je dois dire que nous ne nous y attendions pas. Nous avons lancé ce programme sur les instances de la Fondation Ford. Ce n'était pas notre idée. La Fondation Ford organise dans plusieurs pays des programmes axés sur les meilleures pratiques en matière de gestion des affaires publiques, a suggéré qu'il devrait y en avoir un pour les nations indiennes et a demandé au Harvard Project de l'administrer, ce que nous avons fait. Ce à quoi nous ne nous attendions pas, c'est que ce programme a joué un rôle significatif en amenant les gouvernements indiens eux-mêmes à approfondir la question de savoir ce qui constitue une bonne gestion des affaires publiques dans les territoires indiens. Ainsi, dans un sens, ce programme a stimulé, selon moi, un débat extrêmement salutaire.

À quoi ressemblent les programmes en question? Celui dont je vous ai parlé, le programme de protection de la faune de la tribu des Apaches de Jacarilla, a été l'un de ceux qui a obtenu un prix d'excellence l'année dernière, parce qu'il s'agit d'un programme remarquable, probablement le meilleur programme de gestion de la faune qui existe à l'heure actuelle dans l'ouest des États-Unis—le meilleur parmi tous les programmes mis en oeuvre par les États, les tribus, le gouvernement fédéral ou qui que ce soit d'autre. C'est un programme qui est absolument extraordinaire.

On nous a signalé ce genre de chose, des programmes de gestion des ressources ou encore ce programme qui concernait les foyers d'accueil et par le biais duquel une tribu du nord du Midwest a réussi à accroître considérablement le nombre d'orphelins indiens qui ont pu être placés dans des foyers indiens et non dans des familles blanches, et qui a, par ailleurs, mis en place également des mécanismes de contrôle de la qualité remarquables.

C'est donc toute une large gamme d'activités ayant trait à la gestion des affaires publiques qui a pu être reconnue par le biais de ce programme. Un ou deux des programmes de logement dont j'ai parlé plus tôt, les deux auxquels je pense et dont l'objectif est la propriété privée résidentielle, font l'objet de demandes transmises cette année, et c'est au cours des quelques dernières semaines que j'en ai lu la description.

• 1245

Je pense que ce programme de prix a été très efficace. Plusieurs publications indiennes en ont parlé. Les tribus auxquelles on a décerné une mention honorable ou un prix d'excellence l'ont immédiatement fait savoir haut et fort. Parmi les tribus, on a le sentiment que l'on devrait chercher le moyen de participer à ce programme.

Pour ce qui est des autres, le Harvard Project reste essentiellement intéressé par la recherche, mais au cours des 12 dernières années, surtout sur les instances des nations indiennes, nous avons développé deux autres éléments, dont un qui a une vocation éducative. En particulier, le Harvard Project, en collaboration avec le Udall Center for Studies in Public Policy à l'Université de l'Arizona, dont je suis le directeur, est en train d'établir un nouvel institut à l'Université de l'Arizona, le Native Nations Institute for Leadership, Management, and Policy.

Une des principales activités de cette institut sera d'offrir des programmes de formation conçus pour les hauts dirigeants des tribus, et c'est une initiative dont l'objet est d'offrir à ces dirigeants le genre de programmes de formation dont peuvent bénéficier les gouverneurs des États, les officiers militaires et les diplomates étrangers dans des institutions comme la Kennedy School of Government à Harvard ou à Johns Hopkins ou dans d'autres universités. Il s'agira d'un programme de formation pour cadres conçu spécialement pour répondre aux besoins des responsables indiens de la gestion des affaires publiques, si je peux m'exprimer ainsi.

Nous offrons également des programmes de formation pour cadres aux dirigeants de certaines Premières nations du Canada. À l'heure actuelle, je suis en pourparlers avec le chef Sophie Pierre du Conseil tribal Ktunaxa/Kinbasket, en Colombie-Britannique. Le conseil souhaite que le Harvard Project offre aux dirigeants des cinq bandes qui y sont représentées des programmes de formation en gestion des affaires publiques. Nous explorons la possibilité de le faire par l'intermédiaire de l'Université de l'Arizona.

Je dirais donc que c'est un autre volet de nos activités qui se développe de plus en plus. Nous recevons maintenant fréquemment des demandes émanant d'organisations et de nations indiennes établies aux États-Unis et au Canada qui souhaitent ce genre d'intervention.

Enfin, on peut ranger au nombre de nos activités certains travaux—que l'on pourrait décrire, je présume, comme des services d'expert-conseil, même si nous les fournissons généralement gratuitement—que nous exécutons pour les nations indiennes et qui portent sur des questions de politique qui ont pour elles une importance critique. Dans certains cas, ce sont des étudiants du troisième cycle de la Kennedy School of Government d'Harvard qui s'en chargent. Dans d'autres cas, nous faisons nous-mêmes ces analyses.

Le Harvard Project s'intéresse donc désormais à des questions de politique concrètes auxquelles une nation peut être confrontée. Certaines d'entre elles nous ont demandé de les aider à concevoir des mécanismes de règlement des litiges—par exemple, comment instaurer un tribunal tribal qui respecte nos principes culturels, mais qui est également capable de prendre des décisions fiables et qui s'assurera le respect des tribunaux non indiens? D'autres nations nous ont demandé notre aide pour élaborer des politiques touchant le personnel et beaucoup d'autres choses de ce genre. C'est donc le troisième volet de nos activités.

Les recherches elles-mêmes se poursuivent. Une des choses qui nous intéresse de plus en plus est le fait qu'il y a des éléments probants significatifs qui démontrent que la prospérité économique a tendance à réduire la pathologie sociale, l'alcoolisme, le suicide et ce genre de choses. Nous sommes convaincus que l'autonomie gouvernementale combinée au développement économique peut avoir des retombées significatives sur ces indicateurs. Nous essayons à l'heure actuelle de mettre sur pied un projet de recherche afin d'approfondir ce genre d'idées.

Merci.

La présidente: Au nom du comité, je tiens à vous remercier d'être venu de si loin témoigner devant nous aujourd'hui. Merci.

La séance est levée.