Bonjour, mesdames et messieurs.
Je dirai, pour commencer, que je m’appelle Linda Garwood-Filbert. Je suis actuellement agente de projets spéciaux à l’Établissement de Stony Mountain. Mon travail consiste à effectuer des recherches et à rédiger des réponses pour le commissaire, le sous-commissaire, le directeur du pénitencier et l’enquêteur correctionnel, à établir des ordres de convocation pour des enquêtes et des plans d’action pour des enquêtes locales et nationales. Je travaille pour la fonction publique du Canada depuis 30 ans, dont 28 dans le domaine des services correctionnels, au Canada comme à l’étranger.
A la fin de 2006, j’ai été choisie pour occuper le nouveau poste de directrice de la composante correctionnelle de l’Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar. Ce poste a été créé pour renforcer le portefeuille de la primauté du droit, car il n’y avait pas d’expertise en matière correctionnelle à Kandahar. Cette composante a permis d’accroître les efforts déjà entrepris dans le domaine de la reforme de la justice et des services policiers et d’envisager d’une manière globale les réformes dans le secteur judiciaire. J’ai fait partie de l’Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar du 5 février au 22 décembre 2007.
Par la suite, du 2 janvier 2008 au 2 janvier 2009, j’ai travaillé pour l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime en Afghanistan, à titre de coordonnatrice internationale de la réforme des prisons. Mes principales fonctions consistaient à élaborer et à appliquer les nouveaux règlements sur les prisons, à terminer et à mettre en œuvre le processus de réforme et de restructuration prioritaire, l’infrastructure pénitentiaire dans l’ensemble de l’Afghanistan, la formation et l’encadrement du personnel des prisons et l’élaboration de programmes d’éducation et de formation professionnelle, en plus de mettre l’accent sur l’éducation et les possibilités offertes aux femmes et aux jeunes filles détenues après leur mise en liberté. Au total, j’ai passé deux ans à visiter et à surveiller le système carcéral de l’Afghanistan.
Mes principales fonctions à titre de directrice de la composante correctionnelle étaient les suivantes: établir une présence correctionnelle au sein de l’EPRK; évaluer les problèmes d’infrastructure, surtout à la prison de Sarposa, mais aussi à la Direction nationale de la sécurité et, dans une moindre mesure, au Centre de détention du quartier général de la Police nationale afghane; acquérir des connaissances approfondies sur le Service central des prisons, en particulier sur les besoins en formation et en mentorat du personnel correctionnel; et, enfin, établir des relations de travail avec les intervenants des secteurs de la justice et du gouvernement de l’Afghanistan à Kandahar, tout en établissant des liens correspondants avec le conseiller correctionnel de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) et les ministères pertinents à Kaboul.
Ces liens devaient nous aider à étendre le pouvoir actuel du ministère de la Justice et du Service central des prisons dans la province de Kandahar, et à influer ainsi sur la réforme du secteur de la justice. Le groupe de travail sur les prisons à Kaboul disposerait également ainsi d’un forum où des questions propres à Kandahar seraient examinées à l’échelle nationale.
J’ai non seulement travaillé de concert avec les Forces canadiennes, le MAECI et la police civile, mais j’ai pu aussi collaborer étroitement avec le Comité international de la Croix-Rouge, la Commission indépendante des droits de la personne de l’Afghanistan, les ONG et d’autres conseillers correctionnels des Nations Unies, des États-Unis, de la Norvège et du Royaume-Uni. J’ai surtout pu travailler étroitement avec le directeur de la prison de Sarposa, son équipe de gestion et des représentants du gouvernement de l’Afghanistan.
II en a résulté une proposition de programme présentée par l’entremise du Fonds pour la paix et la sécurité mondiales, qui portait sur l’amélioration des infrastructures, la formation du personnel, l’éducation et la formation professionnelle des détenus, les conditions de détention et les soins de santé offerts aux détenus, en particulier la problématique homme-femme et les besoins des enfants, et ce, conformément aux normes internationales des droits de l’homme pour les détenus.
Nous avons commencé à effectuer des visites dans les prisons dès le 13 février 2007, bien avant la conclusion de l’accord supplémentaire de mai 2007 entre les gouvernements du Canada et de l’Afghanistan, qui a défini de manière explicite nos droits en matière de surveillance. Pendant cette période, nous avons effectué 13 visites à la prison de Sarposa et deux visites à la Direction nationale de la sécurité. Après la conclusion de l’accord, nous avons effectué 20 visites supplémentaires à la prison de Sarposa et dix autres à la Direction nationale de la sécurité avant mon départ fin décembre.
Autrement dit, pendant la seule année 2007, nous avons visité la prison de Sarposa à 33 reprises, la Direction nationale de la sécurité, 12 fois, et le Centre de détention de la Police nationale afghane, à 2 occasions, soit au total 47 visites. II s’agissait généralement de visites inopinées. Dans l’ensemble, je peux affirmer sans trop m’avancer que le Service correctionnel avait en général un accès libre et inconditionnel à la prison de Sarposa, à la Direction nationale de la sécurité et au quartier général de la Police nationale afghane.
J’ai parlé à des détenus tout au long de ma mission; il s’agissait dans bien des cas d’entretiens informels. Au cours des visites, nous avons eu des discussions et des entretiens de nature générale avec des prisonniers, des détenus et des défenseurs des détenus pour connaître leurs points de vue au sujet des conditions de détention et du traitement des détenus dans le système carcéral. En général, les plaintes portaient sur la nourriture, les conditions de vie, l’accès aux visites familiales et les soins médicaux. Ce sont également les plaintes habituelles des détenus au Canada.
Mon rôle particulier consistait à évaluer le traitement des détenus par rapport à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies et à indiquer à l’administration les améliorations à apporter. Je cherchais habituellement des signes de blessures ou de détresse attribuables à l’utilisation de fers et je donnais suite aux plaintes d’ordre médical portées à mon attention.
Toutefois, en plus de jouer ce rôle, j’ai participé au processus plus officiel de la surveillance des détenus. Au cours de ces entrevues de contrôle tenues avec les détenus à la prison de Sarposa et à la Direction nationale de la sécurité, on nous a toujours fourni, à mon collègue du MAECI et à moi, un bureau ou un local où nous pouvions parler en privé avec les détenus. Pendant ces visites, le SCC a observé environ 26 entrevues avec des détenus. Certains ont raconté ce qu’ils avaient entendu, ce qu’on leur avait dit ou ce qui leur était arrivé personnellement, et dans la mesure du possible j’ai essayé de prouver le bien-fondé de leurs allégations. Même si j’ai pris soin de les examiner, je n’ai trouvé aucun signe physique de violence pour corroborer leurs affirmations. Au cours de toutes mes visites et entrevues auprès de ces détenus, je n’ai personnellement jamais observé de signes de violence physique ou de torture chez ces détenus. Tous ceux qui savaient qu’ils avaient été capturés par les Forces canadiennes ont dit du bien du traitement qui leur avait été réservé, y compris les soins médicaux donnés lorsqu’ils en avaient eu besoin.
Néanmoins, en avril 2007, j’ai signalé à la CIDPA et au CICR les allégations de deux détenus au sujet des mauvais traitements qu’ils auraient subis. Par la suite, j’ai consigné toutes les autres allégations et observations dans mes rapports.
En particulier, il y a eu un cas où un détenu avait été informé par d’autres de corrections administrées, un autre cas où un détenu a dit qu’il croyait avoir entendu un autre détenu se faire battre dans la cellule voisine et six cas où des détenus ont indiqué qu’ils avaient été battus, dont deux qui ont dit qu’ils avaient été battus par la Police nationale afghane avant leur transfèrement à la Direction nationale de la sécurité. Enfin, au cours d’une visite à la Direction nationale de la sécurité, le 19 novembre 2007, j’ai pris connaissance de commentaires concernant la découverte d’un bout de câble électrique tressé dans le bureau du directeur des enquêtes pendant la visite du 5 novembre 2007. Le rapport du MAECI à ce sujet a mené à la révocation du directeur.
Les seuls traitements observables que j’ai notés aux deux endroits et qui allaient à l’encontre de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies — ces observations ne s’appliquent pas spécifiquement à des détenus transférés par le Canada — étaient les suivants: utilisation constante de chaînes pour entraver les détenus de la sécurité nationale; à la Direction nationale de la sécurité, refus d’autoriser les exercices en plein air, détention des enfants avec des adultes et, à une occasion, recours à la privation de lumière; et, à la prison de Sarposa, détention arbitraire de détenus après la date de leur mise en liberté. Dans chacun de ces cas, j’ai parlé immédiatement au gardien et au directeur de la prison, et j’ai signalé ces incidents au conseiller correctionnel de la MANUA, au MAECI et au Service correctionnel pour qu’on établisse des plans d’action afin de résoudre le problème.
Au début, nous recevions également des appels de la CIDPA, qui nous informait que la Direction ne permettait pas à ses représentants d’entrer dans l’établissement, et nous servions de médiateurs. La situation s’est toutefois améliorée avec le temps. Le spécialiste des droits de l’homme des Nations Unies avait aussi indiqué que même s’il avait accès à la prison de Sarposa et au Centre de détention de la Police nationale afghane, il n’avait pas eu de succès auprès de la Direction nationale de la sécurité.
Je devrais également signaler qu’à quelques occasions, on nous a refusé l’accès à certaines zones des établissements, par exemple lorsqu’on était en train de transférer des détenus. Toutefois, d’après mon expérience, ces cas étaient justifiés et n’étaient pas inhabituels.
Pendant mon séjour en Afghanistan, j’ai constaté une amélioration des conditions générales à la prison de Sarposa. Je pense, par exemple, à l’installation d’une nouvelle fosse septique, à des médicaments pour la clinique, à la construction de quatre nouvelles tours de surveillance périphérique, à l’éclairage solaire, à des métiers à tisser et à un nouvel atelier de menuiserie, à un centre de formation sur place et à la formation de base des agents, pour ne nommer que ceux-là.
Les responsables de l’administration pénitentiaire avec qui j’ai travaillé étaient généralement réceptifs et acceptaient volontiers de collaborer avec nous pour aider à améliorer les conditions en milieu carcéral. Pendant que je travaillais pour les Nations Unies, j’ai aussi eu la possibilité de visiter des prisons dans d’autres régions du pays. Par comparaison et à la suite d’investissements considérables du Canada, la prison de Sarposa à Kandahar était considérée comme celle qui offrait les meilleures conditions de détention dans tout le pays.
En conclusion, pendant mon séjour en Afghanistan, j’ai été impressionnée par le travail qu’on y accomplit pour faire respecter les droits et les normes qui doivent s’appliquer aux prisonniers et aux détenus. J’ai vu que les membres du personnel correctionnel au Service central des prisons s’efforçaient sincèrement d’apprendre et d’observer le mieux possible les normes internationales. Leur acceptation de mon ministère et la coopération dont ils ont fait preuve ont permis de préparer le terrain pour assurer la réforme du secteur de la justice et faire régner la primauté du droit à Kandahar.
Je vous remercie.
:
Merci, monsieur le président.
Je vais faire ma présentation en anglais, mais je serai en mesure de répondre à vos questions dans la langue officielle de votre choix.
[Traduction]
Je m’appelle Scott Proudfoot. Je suis actuellement directeur du groupe de travail sur le Soudan du ministère des Affaires étrangères, poste que j’occupe depuis août 2007. À ce titre, je suis responsable de la coordination de l’action pangouvernementale du Canada au Soudan et je dirige la politique étrangère canadienne dans ce pays.
Avant d’assumer ces fonctions, j’étais directeur des Politiques et de la défense des intérêts au Groupe de travail sur l’Afghanistan jusqu’en juillet 2007. J’ai commencé à m’occuper de l’Afghanistan en août 2006 lorsque le groupe de travail, connu sous l’acronyme FTAG, a été créé. J’en ai été le premier directeur.
Le groupe de travail a été établi notamment pour regrouper diverses fonctions liées à l’Afghanistan qui étaient auparavant éparpillées dans le ministère. Elles comprenaient la formulation des politiques et l’engagement diplomatique, les opérations bilatérales et les communications publiques. Jusqu’à ce que le groupe de travail soit renforcé et réorganisé début 2007, d’autres directions avaient la responsabilité d’un certain nombre de dossiers. Les questions qui échappaient au contrôle du groupe de travail comprenaient le déploiement de civils, la conception et l’exécution des programmes, la lutte antidrogue et la question des détenus, dont la responsabilité incombait surtout à la Direction générale de la sécurité internationale du MAECI jusqu’à l’été 2007.
Même si je ne m’occupais pas directement de la question des détenus à ce moment, je me souviens d’avoir vu des rapports sur le sujet au cours de l’automne 2006. J’ai eu l’occasion de relire ces rapports depuis. Ils n’indiquaient pas que les détenus transférés par les Forces canadiennes étaient maltraités. Les rapports étaient essentiellement administratifs et signalaient un certain nombre de lacunes dans la mise en œuvre des ententes en place régissant le transfert des détenus aux autorités afghanes.
Je me souviens également du fait que le MAECI et la Défense nationale avaient pris des mesures pour remédier à ces lacunes et améliorer les modalités établies.
Toutefois, on s’est rendu compte dans les premiers mois de 2007 que des mesures supplémentaires étaient nécessaires pour minimiser le risque que les détenus transférés par les Forces canadiennes soient maltraités. Cela se fondait sur des rapports et des recommandations venant du personnel sur le terrain et d’autres sources, y compris des renseignements concernant le contexte général des droits de la personne.
Par conséquent, le Canada a élargi et officialisé ses relations avec la Commission indépendante des droits de la personne de l’Afghanistan pendant l’hiver et le printemps 2007, renforçant ses activités de programme afin de créer des capacités afghanes de surveillance, d’améliorer les conditions dans les prisons locales et de mettre en place un plan d’urgence diplomatique à mettre en œuvre en cas d’allégations de mauvais traitements subis par les détenus transférés par le Canada. Le plan a été mis en vigueur lorsqu’il y a eu de telles allégations en avril 2007.
En mars et avril 2007, j’ai eu à m’occuper davantage de la question des détenus, de concert avec beaucoup d’autres représentants du MAECI et d’autres ministères. J’ai contribué à l’élaboration de l’accord supplémentaire conclu avec le gouvernement afghan le 3 mai 2007. Comme vous le savez, aux termes de cet accord, le Canada a obtenu des droits renforcés d’accès aux établissements de détention auxquels les Forces canadiennes avaient transféré des détenus, afin qu’il soit possible de contrôler leurs conditions de détention.
Je serai maintenant heureux de répondre à toute question que vous voudrez me poser.
Je vous remercie.
:
Merci, monsieur le président et membres du comité. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître aujourd’hui pour vous présenter mon point de vue sur la question des détenus transférés par le Canada en Afghanistan. J’espère que mes observations permettront d’éclaircir trois points.
Premièrement, d’importants efforts ont été déployés pendant toute la période où je me suis occupée de ce dossier afin d’empêcher que les détenus transférés par le Canada soient maltraités. Deuxièmement, nous avons actuellement en place un système de suivi et de surveillance des détenus transférés par le Canada qui est aussi rigoureux que celui de n’importe lequel de nos alliés de l’OTAN. Troisièmement, je me suis toujours attendue à des rapports objectifs de la part du personnel sur le terrain et j’ai toujours bien accueilli ces rapports.
Permettez-moi d’abord de situer quelque peu le contexte. En septembre 2006, après avoir passé un an comme ambassadrice du Canada aux Pays-Bas, j’ai été invitée à rentrer à Ottawa pour assumer les fonctions de sous-ministre adjointe à la sécurité internationale et de directrice politique du G8. Ma direction générale comptait quelque 300 employés et avait une vaste gamme de responsabilités, y compris les questions de paix et de sécurité, le désarmement et la non-prolifération, le contre-terrorisme, la gestion des situations d’urgence occasionnées par des catastrophes naturelles, la sécurité des missions à l’étranger et la gestion d’un budget de 250 millions de dollars attribué à trois programmes différents, dont celui des projets du secteur de la sécurité en Afghanistan.
Une entreprise telle que la mission en Afghanistan est, par nature, multidimensionnelle. Dans ma direction générale, trois directions s’occupaient de différents aspects du dossier. La direction responsable de la liaison avec le MDN assurait la direction fonctionnelle du dossier. Une autre direction était chargée des politiques humanitaires et des relations avec le Comité international de la Croix-Rouge. La troisième gérait la composante civile de notre opération de paix à Kandahar. Bien entendu, nous avions également recours aux experts en droit humanitaire de la Direction générale des affaires juridiques du ministère.
À mon arrivée, il y avait également au MAECI un groupe de travail relativement petit sur l’Afghanistan, que dirigeait mon collègue sous-ministre adjoint du Secteur géographique et dont relevait l’ambassade à Kaboul. Pendant tout l’automne 2006, j’ai coordonné l’équipe interne du MAECI chargée de la question des détenus et me suis occupée personnellement des dossiers qui nécessitaient l’attention d’un responsable au niveau de sous-ministre adjoint. Lorsque David Mulroney a été affecté au MAECI fin février 2007, il m’a demandé d’assurer la coordination des activités du groupe de travail interministériel sur les détenus, afin de donner une certaine cohérence à notre politique et de préparer les mesures supplémentaires plus détaillées qu’il y avait lieu de prendre.
En avril 2007, l’ampleur de la tâche a mené à la création, au MAECI, d’un groupe de travail sur l’Afghanistan doté de ressources beaucoup plus importantes relevant de David Mulroney. Par suite de cette évolution organisationnelle, lorsque les autres responsabilités liées au G8 sont devenues plus pressantes fin mai et début juin 2007, le groupe de travail a assumé le principal rôle de coordination dans le dossier des détenus.
La politique du Canada relativement aux transferts des détenus afghans s’est toujours inspirée d’une perception sincère de l’importance de deux principes fondamentaux: d’abord, la souveraineté de l’Afghanistan et la responsabilité du pays en matière de droits de la personne; ensuite, les valeurs canadiennes, y compris le respect du droit humanitaire et, plus généralement, des droits de la personne. Il n’a pas été facile de concilier ces deux principes et de les transposer dans des mesures concrètes, compte tenu du contexte de sécurité très difficile et du niveau de développement très faible en Afghanistan. D’importants efforts étaient déployés pendant toute la période où je me suis activement occupée de ce dossier pour remédier à toutes les lacunes qu’on découvrait et pour déterminer les mesures supplémentaires à prendre afin de réduire le risque que les détenus transférés par le Canada ne soient maltraités. J’aimerais présenter quelques exemples pertinents.
Dans le cadre des préparatifs d’une visite que devait effectuer à Ottawa le président du Comité international de la Croix-Rouge fin septembre 2006, j’ai assisté à une séance d’information au cours de laquelle j’ai appris qu’il y avait eu plus tôt des difficultés liées à des retards dans la notification des transferts. Je crois que cela fait l’objet du rapport de mai 2006 de M. Colvin. Comme le protocole d’entente de décembre 2005 accordait au CICR le droit de visiter les détenus à tout moment, c’était une question importante, dont nous nous sommes occupés rapidement. Des instructions ont été envoyées sur le terrain dans la semaine pour préciser les mesures que nous prenions et désigner un point de contact unique pour le CICR à Kandahar afin d’assurer des notifications rapides. Des réunions ont eu lieu à Ottawa et à Genève en juin 2006, par suite desquelles nous avons modifié nos procédures. Nous avons essentiellement commencé à téléphoner au CICR pour le mettre au courant de façon informelle avant de l’informer officiellement par écrit au moyen d’une note qui était remise en mains propres au bureau du CICR à Kandahar. En même temps, l’administration centrale du MAECI a continué à envoyer des notifications officielles au siège du CICR à Genève. Toute difficulté particulière qui était signalée au sujet des notifications était immédiatement portée à l’attention des responsables.
À mon arrivée en septembre 2006, l’orientation politique que nous avions était conforme au protocole d’entente de décembre 2005. Aux termes du protocole, les autorités afghanes étaient responsables des détenus confiés à leur garde et de la tenue de dossiers. L’entente mentionnait également l’important rôle joué, en matière de traitement des détenus, par les experts internationaux en affaires humanitaires, le Comité international de la Croix-Rouge et la Commission indépendante des droits de la personne de l’Afghanistan, organisme qui a le mandat constitutionnel de promouvoir les droits de la personne.
Nous avions également élaboré une stratégie visant à établir des contacts étroits avec le gouvernement de l’Afghanistan au sujet de sa propre responsabilité de protection des droits de la personne sur le territoire afghan. Cette stratégie comprenait le renforcement des capacités dans le secteur de la justice et des services correctionnels parce que nos opérations précédentes de soutien de la paix nous avaient appris qu’un bon système de justice, de police, de détention et de prisons constitue, pour un pays, le fondement de la primauté du droit et du respect des droits de la personne.
C’est ainsi qu’en octobre 2006, le MAECI a reçu un rapport, qu’il avait commandé au Service correctionnel du Canada, sur les capacités correctionnelles et de détention dans la province de Kandahar. Le rapport était le résultat d’une mission d’évaluation des prisons de Kandahar. Il recommandait de la formation et du mentorat ainsi que l’amélioration de certains éléments d’infrastructure. Cela a mené au déploiement à Kandahar de deux agents du Service correctionnel du Canada, qui étaient financés par le programme du Secteur de la sécurité du MAECI. Nous avons entendu aujourd’hui le témoignage de Mme Garwood-Filbert.
En février, mars et avril, ces deux agents, de concert avec quelques autres collègues de l’Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar, ont fait un grand nombre de visites dans trois établissements de détention de la province. Je dois préciser qu’à ce stade, ils ne s’occupaient pas particulièrement des prisonniers transférés par le Canada, mais ils ont eu l’occasion d’observer eux-mêmes les conditions dans les prisons afghanes et d’entreprendre des mesures initiales d’aide dans les domaines de l’infrastructure et de la formation.
J’avais une autre tâche prioritaire à l’automne 2006: obtenir le renouvellement du financement dont nous avions besoin pour les projets du Secteur de la sécurité, y compris ceux du domaine de la justice et des services correctionnels. Notre ambassadeur à Kaboul et d’autres Canadiens affectés en Afghanistan insistaient régulièrement auprès des autorités afghanes sur l’importance du respect des droits de la personne et des normes internationales. Compte tenu du rôle du Canada dans le pays, les autorités afghanes, même aux niveaux les plus élevés, se sont montrées très réceptives face à nos démarches. Elles comprenaient parfaitement l’importance que nous attachons à cette question. Nous étions persuadés que leurs assurances et leurs efforts témoignaient d’un engagement authentique envers leurs obligations internationales.
Lorsque nous avons été informés, à un moment donné, que la Commission indépendante des droits de la personne de l’Afghanistan avait de la difficulté à accéder à certains établissements de détention, nous avons soulevé la question auprès des autorités afghanes et avons immédiatement obtenu gain de cause.
En février 2007, un échange de lettres a officiellement établi que la Commission indépendante des droits de la personne de l’Afghanistan informerait le Canada si elle avait connaissance de mauvais traitements infligés à des prisonniers transférés par le Canada. Les deux agents du Service correctionnel étaient arrivés sur place. Un groupe de travail interministériel poursuivait ses travaux, examinant les options à court, moyen et long terme en vue d'un engagement plus actif dans ce dossier.
En avril 2007, nous avons élaboré, après des consultations interministérielles aussi étendues que soigneuses, un plan d’urgence détaillé à mettre en œuvre en cas d’allégations concernant de mauvais traitements infligés à des prisonniers transférés par le Canada. Nous n’étions alors au courant d’aucune allégation de ce genre, mais nous voulions être certains d’être en mesure de réagir, le cas échéant, pour réduire le risque de voir se reproduire les mêmes situations.
Le groupe interministériel a également examiné ce dont nous aurions besoin si nous établissions notre propre régime de surveillance. L’examen comprenait des discussions avec nos alliés de l’OTAN, le CICR, la Commission indépendante des droits de la personne de l’Afghanistan et le gouvernement afghan. Nous avons considéré d’importantes questions pratiques, comme les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de nos employés, la formation des membres de notre personnel que nous chargerions de la surveillance, un meilleur outil de suivi, des modèles normalisés de rapports et des procédures normalisées de fonctionnement. Nous étions déterminés non seulement à annoncer que nous commencerions à exercer une surveillance, mais aussi à trouver les moyens de bien le faire.
Pour résumer, des efforts constants et de nombreuses réactions venant du personnel sur le terrain et de l’administration centrale du ministère ont tous contribué à la conclusion du protocole d’entente révisé de mai 2007 sur les transferts. Le Canada a donc mis en place un processus de transfert et de surveillance qui est plus rigoureux que celui de n’importe lequel de nos alliés de l’OTAN qui, je dois le souligner, transfèrent également des prisonniers aux autorités afghanes.
Je voudrais répondre brièvement à certaines observations formulées par Richard Colvin dans son témoignage devant le comité. Il a avancé des arguments valides au sujet de la complexité de la tâche et du manque de ressources civiles dans nos premiers temps en Afghanistan. Les agents du MAECI, comme Richard et tous les civils qui servent en Afghanistan et dont certains s’occupent de surveillance dans les prisons afghanes, travaillent dans un environnement où ils risquent leur vie, comme la famille de Glyn Berry ne le sait que trop bien.
Richard a également indiqué que j’ai appelé à un moment donné pour suggérer de ne plus mettre des choses par écrit. En réalité, j’appelais pour lui donner l’assurance que l’administration centrale travaillait sur certaines possibilités et pour l’encourager à transmettre ce qu’il était le mieux placé pour nous offrir, à savoir des rapports étayés et précis au sujet de ce qui se passait sur le terrain. Je l’ai encouragé à m’appeler s'il souhaitait discuter de suggestions ou de préoccupations relatives à notre politique. Je voulais qu’il comprenne quelle contribution il était le mieux placé pour faire sur le terrain, dans le contexte du travail qui se poursuivait à l’administration centrale. Comme il a envoyé quelques rapports plus précis par la suite, je suppose que j’avais réussi à lui faire comprendre ce dont nous avions besoin sur le terrain.
La confidentialité est essentielle pour permettre au Comité international de la Croix-Rouge de s’acquitter de sa mission humanitaire, mais je tiens à rappeler au comité ce qu’avait dit le chef du CICR en public à Ottawa au début d’octobre 2006. Je cite:
Je n’ai pas de raison de craindre que le Canada ne fasse pas de son mieux. Je suis sûr que les Canadiens nous avertiront. De plus, je suis persuadé qu’ils feront leur possible pour s’assurer que les personnes remises au système afghan seront convenablement traitées.
Je crois que nous l’avons fait.
[Français]
En conclusion, la question du traitement des détenus dans le contexte d'une mission complexe de stabilisation et de contre-insurrection comme celle menée en Afghanistan est probablement la question la plus difficile à laquelle je me sois attaquée durant mes 29 années de service dans la fonction publique.
Toute option imaginable a des défis qui lui sont inhérents. La leçon que j'ai retenue au cours de l'évolution de ce dossier est l'importance de mettre au point une réponse multidimensionnelle. Lorsque nous essayons de renforcer les capacités d'un pays qui sort d'une période de conflit ayant duré des décennies et qui se trouve aux échelons les plus bas de l'indice du développement humain, la voie vers le respect des droits de la personne est longue, mais nous devons commencer quelque part et continuer encore plus ardemment.
[Traduction]
Je tiens également à donner au comité l’assurance que chacune des personnes à qui nous avons eu affaire, tant au MDN que dans les ministères civils qui participent à la mission canadienne en Afghanistan, a toujours fait de son mieux tant pour minimiser les risques pour les prisonniers transférés par le Canada que pour améliorer d’une façon générale le secteur de la justice et des services correctionnels en Afghanistan.
Je vous remercie.
Mes questions s’adressent à Mme Garwood-Filbert.
Je vais être très précis, et j’espère que vos réponses le seront autant, madame.
Je vais vous montrer trois documents. Le premier est marqué 1. Il y a ensuite la partie 1(a), puis les documents 2 et 3. Je vais vous les faire passer, si quelqu’un veut bien les prendre.
Madame, vous avez maintenant les documents. Vous avez en main les feuilles 1 et 1a. Elles ont comme sujet FW: KANDH-0039.
Mes questions sont les mêmes pour les trois documents. Tout d’abord, étiez-vous présente au cours des visites à Sarposa mentionnées dans ces documents? Deuxièmement, avez-vous rédigé le document ou avez-vous été consultée au sujet de sa rédaction? Troisièmement, s’agissait-il de détenus transférés par le Canada? Je vous signale qu’il semble bien que ce soit le cas. Quatrièmement, est-ce que chacun de ces documents fait état d’allégations précises de torture à l’endroit de ces détenus? En soi, oui, ce sont des allégations, mais elles sont très précises.
Ce sont donc les quatre questions que je veux poser.
Permettez-moi de passer en revue la première question. Si vous regardez le document 1, vous noterez qu’il mentionne quelque part que vous étiez présente. Au sommet de la page 2, on peut lire que Fairchild, Garwood-Filbert et d’autres ont effectué une visite de suivi. Au bas de la première page, on peut lire: « Nous informerons MINA dans une note distincte. » Je demanderai peut-être plus tard à Colleen Swords de nous dire si cela a effectivement été transmis au cabinet du ministre.
À la page 3 du document 1, on peut lire: « Nombre de prisonniers transférés par le Canada qui étaient présents ». « Nature de l’interaction avec les prisonniers transférés par le Canada: Entrevue privée d’environ 20 minutes avec chaque prisonnier ». « Interaction avec d’autres prisonniers...: Aucune ». Je dirai donc que toute l’interaction mentionnée s’est faite avec des prisonniers transférés par le Canada.
À la page suivante, qui ne porte aucune désignation... Il y a un 2 au sommet. Vers le milieu de la page, au quatrième paragraphe, on peut lire: « Un prisonnier... a soutenu avoir été “fouetté avec des câbles électriques avec un bandeau sur les yeux” à une occasion au cours de son... à l’établissement de la DNS à Kandahar. » Il y a également quelque chose au sujet des soins médicaux: « ... nous a demandé cependant de taire son nom pour éviter des répercussions possibles. » C’est le premier document.
Le document 1a en fait aussi partie, mais figure sur un autre formulaire caviardé. Le document 1a révèle que le document 1 a été rédigé le 4 juin 2007, si vous regardez à la page 2. On peut lire au sommet 5 juin 2007. Je suppose donc que le document 1 a été écrit le 4 ou le 5 juin 2007.
Si vous passez au document 2, madame, vous verrez qu’il a pour sujet KANDH0138. On peut y lire: « Nombre de prisonniers transférés par le Canada qui étaient présents: [caviardé] ». « Nombre de prisonniers transférés par le Canada vus par les fonctionnaires en visite: [caviardé] ». « Nature de l’interaction avec les prisonniers transférés par le Canada ». La réponse, c’est: « ... entrevue privée avec [caviardé] prisonniers ». « Interaction avec d’autres prisonniers...: Néant ». Par conséquent, ce rapport aussi traite de prisonniers transférés par le Canada.
Dans le dernier tiers de la seconde page, on peut lire que cet homme a reçu une ou deux gifles sur le visage.
À la page suivante, marquée 3 en bas, on peut lire, dans le premier tiers de la page: « Il affirme qu’il a été interrogé [caviardé] fois pendant qu’il était à la DNS... et qu’il a été battu à [caviardé] de ces occasions. Il soutient que les interrogatoires ont été dirigés par [caviardé] ». « ... chaque interrogatoire a duré entre deux et quatre heures. Il a affirmé qu’il a été battu plusieurs fois avec un câble et qu’on lui a dit qu’il serait [caviardé]. Il a prétendu que [caviardé] ». Voilà pour ce document, madame.
J’aimerais savoir si vous avez écrit ces textes ou avez été consultée au sujet de leur rédaction.
Le troisième document est marqué 3. Les questions sont les mêmes.
Madame, vous verrez, au sommet de la page 2: « Nombre de prisonniers transférés par le Canada qui étaient présents [caviardé]: [caviardé] il y a des prisonniers transférés par le Canada qui purgent des peines d’emprisonnement dans l’établissement ». « Nombre de prisonniers transférés par le Canada vus par les fonctionnaires en visite: [caviardé] ». Ensuite: « Interaction avec d’autres prisonniers...: Néant ».
Je suppose donc qu’il s’agissait encore de prisonniers transférés par le Canada. À la page 3, dans le premier tiers, on peut lire: « [Caviardé] est venu à la DNS, mais ne l’a pas vu en personne. [Caviardé] l’a vu à la DNS. » Et, plus loin: « Il a également utilisé les mots... torture. » On l’avait empêché de dormir « pendant [caviardé] jours ». De plus, « il a été sévèrement battu, mais il ne savait pas avec quoi parce qu’il avait les yeux bandés. Quand on lui a demandé ce qui avait été utilisé, il a dit que c’était un câble ou un fil électrique et a montré son flanc et ses fesses. Par torture, il voulait dire qu’il avait été enfermé à la DNS [caviardé] et maintenu à l’état de veille. Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas donné ces renseignements auparavant, il a dit qu’il ne nous faisait pas confiance parce que nous l’avions remis à la DNS. »
Madame, je voudrais vous demander de répondre aux questions que je vous ai posées au début au sujet de ces documents.