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Je n'ai que quelques mots à dire, monsieur le président. Je n'ai pas l'intention de parler très longtemps, ce qui sera une première pour moi.
Permettez-moi d'abord de vous remercier de votre invitation, monsieur le président. Toute cette affaire aura au moins produit une bonne chose, à mon avis : je me suis fait couper les cheveux pour la première fois en trois mois parce que je ne voulais pas me présenter mal soigné devant le comité.
Monsieur le président, je suis heureux d'être ici et de pouvoir dire quelques mots pour essayer de replacer les choses dans leur contexte. Au départ, je ne croyais vraiment pas pouvoir ajouter quoi que ce soit d'utile à vos débats mais, après avoir suivi vos délibérations à la télévision pendant une dizaine de minutes un après-midi et avoir entendu dire que je suis un menteur et que j'ai fait preuve de négligence dans mes fonctions, je me suis dit que je devais vraiment venir ici pour présenter mon point de vue d'ex-chef d'état-major sur ce qui s'était produit pendant les deux ans et demi à trois ans qui vous intéressent.
Me voici donc, ravi d'être devant vous.
Permettez-moi d'abord d'établir le contexte du travail que nous avons entrepris, et qui continue, bien sûr, lorsque j'étais chef d'état-major de la Défense entre le 4 février 2005 et mon départ à la retraite, le 2 juillet 2008.
Notre tâche durant cette période, et la mission qui m'avait été confiée par le premier ministre et par le ministre de la Défense nationale sous deux gouvernements successifs, représentait un très grand défi. Il s'agissait à toutes fins pratiques de rebâtir et de transformer les Forces canadiennes, ce qui signifiait plusieurs choses pour nous tous.
Premièrement, cela signifiait que nous devions participer à l'élaboration d'une politique de la défense pour guider les dépenses, les actions et les changements, travail qui a débouché sur l'énoncé de la politique de la défense de 2005 et, ensuite, sur l'expression de la politique de la défense d'un gouvernement conservateur.
Deuxièmement, cela signifiait que nous devions changer notre conduite des opérations internationales face à des menaces inédites, fondées sur des acteurs apatrides ou sur des États effondrés ou défaillants. Autrement dit, mener nos opérations internationales en assurant une coopération efficace et efficiente des forces de terre, de mer et de l'air sous un seul commandement et dans le cadre d'une mission à la fois unique et focalisée.
Autrefois, je disais en plaisantant que nous avions une grande armée capable de travailler avec n'importe qui au monde, une grande marine capable de travailler avec n'importe qui au monde, et une grande armée de l'air capable de travailler avec n'importe qui au monde, mais qu'aucune n'était capable de travailler avec l'autre. Nous avons décidé de changer cela.
Troisièmement, nous voulions transformer et remodeler notre approche des opérations au Canada et notre état de préparation pour venir en aide aux Canadiens en cas de besoin. Qu'il s'agisse de catastrophe naturelle, d'attaque de l'extérieur ou d'attaque de l'intérieur, nous voulions être le mieux préparés possible. Au fond, nous devions nous transformer en considérant le Canada comme un théâtre d'opérations.
Quatrièmement et finalement, nous voulions gérer, modeler et transformer les programmes nécessaires pour faire toutes ces choses, c'est-à-dire l'acquisition du matériel dont nous aurions besoin dans ce nouvel environnement, la transformation de l'entraînement, la revitalisation du leadership et tous les autres éléments nécessaires pour assurer notre succès.
Il s'agissait là de tâches très exigeantes, incontestablement, chacune concernant des dizaines de milliers de pièces, de gens et d'activités rien que pour lancer le mouvement. Je dis cela parce que, même si nous étions focalisés sur l'Afghanistan, nous avions une foule d'autres missions à mener en même temps.
Nous avons prêté assistance à nos amis américains lors de l'ouragan Katrina, comme vous vous en souvenez. Nous avons déployé l'équipe DART lors du tsunami pour aider des gens en situation désespérée à la suite de cette terrible catastrophe. Nous avons à nouveau déployé l'équipe DART au Pakistan à la suite d'un tremblement de terre, tout en transférant, je me permets de le préciser, la mission de Kaboul vers Kandahar, un énorme défi en soi. Nous avons participé à l'évacuation de civils du Liban durant l'été de 2006. Nous avons lutté contre des incendies de forêt et contre des inondations, nous avons aidé la GRC à faire des saisies de drogue, nous avons mené des missions d'interdiction aérienne et des patrouilles pour protéger notre pêche et notre souveraineté. En bref, nous avons fait tout ce que notre nation attendait de nous. Tout cela faisait partie de notre tâche quotidienne.
Cela étant, l'Afghanistan était notre mission primordiale. Nous avons mis en application la première décision du gouvernement, à l'automne de 2005, nous ordonnant de passer de Kaboul à Kandahar dans le but de travailler sous le commandement des Américains, au départ, puis de faciliter la transition de la structure de commandement américaine à une mission de l'OTAN dans l'ensemble de l'Afghanistan.
Donc, notre mission a été transférée de Kaboul à Kandahar par le gouvernement précédent. Nous avons dû ensuite déménager et établir notre équipe provinciale de reconstruction de Kaboul à Kandahar tout en fermant le Camp Julien et en nous débarrassant de toutes les choses que nous avions à Kaboul. Nous avons dû nous préparer à déployer le groupe de bataille en 2006 — près de 2 000 soldats avec tous les éléments d'appui nécessaires — alors que, durant toute cette période, nous nous attendions à subir des attaques.
Nous avons eu beaucoup de chance lors du transfert de notre EPR dans la mesure où nous n'avons pas été attaqués à ce moment-là, mais cette accalmie s'est terminée le 15 janvier 2006 quand nous avons subi notre première attaque au sud depuis notre groupe de bataille en 2005. Malheureusement, nous avons alors perdu notre diplomate, Glyn Berry; en outre, trois jeunes hommes incroyables, trois jeunes Canadiens incroyables, Paul Franklin, Will Salikin, et Jeff Bailey, ont été gravement blessés.
Nous avons dû nous organiser pour assumer le commandement du Commandement régional du Sud le 1er mars 2006 qui a bien sûr été placé sous le commandement de mon voisin de gauche, le brigadier-général David Fraser. Ensuite, nous avons dû travailler avec lui et avec toutes les autres nations de l'OTAN pour entreprendre la transition de cette mission de la structure de commandement américaine que j'ai mentionnée à la mission de l'OTAN elle-même.
D'un seul coup, en 2006, nous nous sommes retrouvés en plein milieu d'une guerre. Nous avons mené des opérations de combat plus intenses que tout ce que nous avions pu connaître depuis la Guerre de Corée. Nous faisions face à un ennemi déterminé et impitoyable, composé de gens bien préparés, bien entraînés et totalement dévoués à leur objectif. Ce n'étaient pas des géants mais c'étaient de sacrés bons combattants. Les Talibans étaient au courant de la transition des États-Unis vers l'OTAN qui se préparait. Ils avaient le sentiment que les États-Unis étaient moins focalisés à cause des opérations en Irak et ils ont décidé d'en profiter. Ils ont dissimulé des combattants dans Kandahar et dans toute la province, surtout dans les districts de Zhari et Panjwayi, leur objectif étant de prendre le contrôle de la ville de Kandahar, ne serait-ce que psychologiquement. Autrement dit, s'ils pouvaient faire croire à la population que Kandahar était isolée et était sous leur contrôle et à leur merci, ils auraient presque aussi bien réussi que s'ils en avaient pris réellement le contrôle. Ils croyaient pouvoir dissimuler des combattants dans la ville et détacher celle-ci du reste du pays. Ils croyaient pouvoir discréditer l'OTAN, discréditer le Canada et, probablement, provoquer la chute du gouvernement afghan à Kaboul.
Nous avons été confrontés à des embuscades, à des combats directs, à des engins explosifs improvisés, à des assassinats de civils, et tout ça a débuté au printemps de 2006. Par exemple, nous avons perdu quatre soldats au printemps de 2006, le 22 avril. Quatre magnifiques jeunes Canadiens — Matthew Dinning, Randy Payne, Myles Mansell et Bill Turner — ont été tués le 22 avril.
Nous nous sommes retrouvés en plein milieu de combats intenses au printemps et à l'automne de 2006. Nous avons constaté aussi durant cette période que les Talibans changeaient de tactique car, outre les embuscades, les engins explosifs improvisés et les attentats-suicides, ils étaient maintenant prêts à nous attaquer de front avec des centaines de combattants. Des centaines de combattants talibans déployés dans la région de Zhari et Panjwayi étaient prêts à se battre à la mort contre nous. Cette phase a trouvé son apogée — selon nous — à la fin de l'été et au début de l'automne de 2006 avec l'opération Medusa, lorsque nous avons participé à des combats très durs contre plusieurs milliers de Talibans masqués. Nous avons subi de nombreuses pertes, des soldats ont été tués et d'autres ont été blessés. Nous avons commencé à transformer la manière dont nous allions réagir à cette situation, c'est-à-dire aussi bien aux dépouilles des soldats tués qu'aux soldats blessés, en transformant la manière dont nous nous occuperions de leurs familles et la manière dont nous nous occuperions de leurs camarades de combat.
Nous avons aussi réalisé, après une décennie de noirceur qui représentait l'aboutissement de nombreuses années de coupures budgétaires et d'absence de soutien, qu',une partie de notre équipement était complètement inadaptée à cet environnement. C'est à cette époque-là, par exemple, que nous avons commencé à nous débarrasser de nos plus vieilles jeep qui n'étaient tout simplement plus acceptables.
Mon objectif durant cette période était d'assurer la survie de nos jeunes soldats, de nos fils et de nos filles. C'était ma toute première préoccupation, et celle de la chaîne de commandement. Je n'aurais pas toléré qu'il en fût autrement.
Durant les opérations dont je viens de parler, nous avons également fait des prisonniers. Des hommes qui s'était rendus après de violents combats ayant causé des pertes dans nos rangs. Des hommes qui n'avaient plus de munitions et aucun moyen de s'échapper, des hommes ayant des résidus d'explosifs — de niveau 3 — sur les mains, ce qui signifiait qu'ils avaient manipulé des engins explosifs sophistiqués et avaient des résidus de poudre sur le corps. Des hommes qui résistaient violemment et physiquement à leur détention. Et des hommes qui ont tous étés traités de manière professionnelle, ce dont on doit absolument rendre le crédit à nos soldats canadiens et à leurs chefs, et les en féliciter, malgré l'émotion que suscite inévitablement le fait de s'emparer de quelqu'un qui vient de tirer sur votre ami ou de faire exploser le véhicule où se trouvaient les autres.
Malgré tout cela, nous avons toujours assumé nos responsabilités, y compris à l'égard de ces détenus. Nous les avons traités avec professionnalisme et nos soldats ont fait un travail magnifique. Même dans les cas où il y a eu des plaintes, nous avons fait enquête et avons constaté qu'elles étaient sans fondement. Nous avions un accord gouvernemental passé par le gouvernement précédent avec le gouvernement afghan au sujet du transfert des détenus, et les responsabilités du gouvernement afghan y étaient clairement énoncées.
Nous avons fourni les informations nécessaires au Comité international de la Croix-Rouge pour qu'il puisse faire son travail. Quand il nous disait que les informations n'étaient pas suffisantes ou n'étaient pas utiles, car, dans la plupart des cas, les Afghans ne nous donnaient que leur nom et refusaient de nous dire quoi que ce soit d'autre, nous ne pouvions rien faire de plus. Nous avons changé notre processus et avons changé notre système d'informations de façon à améliorer la situation.
Nous avons appuyé le reste de l'équipe 3D dans son action, notamment en en protégeant les membres. Autrement dit, quand M. Colvin est allé visiter l'une de ces prisons ou d'autres sites en Afghanistan, il n'aurait pas pu le faire sans le travail, le soutien et la protection de nos soldats.
Nous continuons de collaborer avec les autres ministères pour résoudre les problèmes dont nous entendons parler. Nous avons mis sur pied un organisme d'enquête et avons institué une enquête sur la police militaire quand nous avons reçu des allégations, qui se sont avérées fausses, au sujet de notre traitement des détenus. Nous avons appuyé l'élaboration de l'accord supplémentaire. Durant cette période, simplement pour avoir l'assurance absolue que nous agissions de manière responsable, nous avons décidé que, si nous faisions d'autres prisonniers durant la période immédiate de négociation et de mise en application de l'accord supplémentaire, nous les garderions sous notre responsabilité en attendant la finalisation de l'accord supplémentaire et la mise en place du cadre de soutien nécessaire pour en assurer l'application. Autrement dit, nous voulions nous assurer que la capacité et le processus du MAECI étaient là, avec les ministères de soutien, pour appliquer l'accord supplémentaire. Nous avons mis fin totalement aux transferts le 5 novembre 2007, jusqu'à ce que les commandants sur place estiment qu'on avait mis en place le processus nécessaire, que nous pouvions assumer nos responsabilités et que nous pouvions faire tout ce qu'il fallait.
Sur la base de toutes ces mesures — c'est-à-dire, de preuves sérieuses de mauvais traitements —, nous avons interrompu les transferts jusqu'à ce que les choses changent sérieusement en novembre 2007.
Nous n'avons pas agi sur la base d'ouïe-dire, d'hypothèses ou de ragots. Nous ne nous sommes pas fondés sur les déclarations de détenus talibans ne pouvant être corroborées. Ma hiérarchie, avec mes visites sur place et mes vidéoconférences avec ses membres, me donnait toute confiance et elle ne m'a pas déçu.
Nous ne nous sommes pas fondés sur des choses telles que les rapports rédigés en mai et juin 2006 où l'on ne parlait pas d'abus, de torture ou de quoi que ce soit d'autre qui aurait retenu mon attention et, évidemment, l'attention d'autres personnes.
En regardant certains reportages à la télévision et en écoutant certaines des remarques de votre comité, j'ai commencé à m'interroger. Je me suis demandé si j'étais vraiment passé à côté d'une chose aussi grave que celle-là. Avais-je vraiment fait preuve de négligence dans mes fonctions?
Ensuite, j'ai lu les rapports et j'ai réalisé que non, je ne les avais pas vus. Je lis très rarement les messages C4. Je n'y ai pas immédiatement accès, à moins que quelqu'un ne les porte à mon attention et, considérant ce qu'il y avait dans ces rapports, il n'y avait aucune raison qu'on les porte à mon attention. Après les avoir lus, j'ai la conviction absolue que tel fut le cas. J'ai également la conviction absolue qu'il n'y avait rien dans ces rapports qui eût pu amener le général Gauthier à venir m'en parler, encore une fois parce qu'ils ne contenaient rien. Quand l'auteur parle d'infrastructure et affirme que la prison de Sarposa est meilleure que celles des provinces d'Uruzgan et de Helmand, entre autres choses, il ne dit rien qui justifie l'intervention du chef d'état-major.
Nous n'avons pas non plus fondé nos actions sur des déclarations indiquant que la plupart ou la grande majorité — je simplifie — des détenus que nous remettions aux Afghans étaient des cultivateurs innocents. Rien ne saurait être plus faux. Nous avons détenu, après des combats violents, des gens qui essayaient de tuer nos fils et nos filles, des gens qui, dans certains cas, y avaient réussi et continuaient de le faire. Des gens qui faisaient exploser des véhicules et lançaient des EEI contre nous et que nous avions pris sur le fait ou qui avaient sur les mains des résidus d'explosifs de niveau 3 ou des résidus de poudre.
Certes, il nous est peut-être arrivé de détenir des cultivateurs à l'occasion mais il serait très difficile de dire s'il s'agissait de cultivateurs le jour qui devenaient des Talibans la nuit. Nous avons très rarement détenu des cultivateurs innocents et, si c'est arrivé, nous les avons presque toujours immédiatement libérés.
Nous n'avons pas fondé nos décisions sur des déclarations telles que « tous les détenus étaient torturés ». Comment quelqu'un qui n'en savait rien pouvait-il dire une telle énormité? Nous n'avons certainement eu aucune preuve concrète que c'était le cas.
Nous n'avons certainement pas fondé nos actions sur le fait que quelqu'un a dit que le MAECI disait à la Défense nationale des choses que nous ne voulions pas entendre. Les commandants peuvent en témoigner eux-mêmes — chacun et chacune d'entre eux, pas seulement les deux types assis à côté de moi — et ils vous diront qu'ils voulaient connaître la vérité, qu'ils la demandaient et qu'ils avaient besoin de la connaître parce que c'est comme ça que nous voulions faire notre travail.
Nous n'avons pas non plus fondé nos actions sur le fait que quelqu'un a dit qu'il savait que le général Hillier était parfaitement au courant ou avait lu son rapport. C'est absolument faux. Il était impossible pour quiconque, surtout à 12 000 km de distance, ayant rédigé un rapport et l'ayant envoyé à de nombreux destinataires, de déterminer que je l'avais vu, d'autant plus que ce n'était pas le cas.
Je voudrais également préciser qu'au moment du rapport du 26 mai et de celui du 2 juin, je me trouvais en fait sur le théâtre d'opérations avec le général Fraser. J'ai rendu visite à l'équipe provinciale de reconstruction et j'ai parlé à tous les gens qui étaient disponibles à ce moment-là. Durant cette période, j'ai fait de nombreux allers-retours et personne ne m'a jamais pris à part pour me dire quoi que ce soit. Personne ne m'a chuchoté à l'oreille : « Nous avons un problème et je l'ai mentionné dans un rapport ».
Finalement, nous n'avons pas non plus fondé nos décisions sur le fait que quelqu'un affirme que le général Gauthier avait informé le général Hillier. Je le répète, à 12 000 km de distance, personne ne peut savoir ce que nous faisons, où nous sommes et à qui nous parlons. Quiconque prétend le contraire ment effrontément et se discrédite.
La seule chose que je suis prêt à accepter, dans les déclarations du témoin, c'est que le général Gauthier est un cabochard. C'est vrai, c'était une vraie tête de cochon, mais permettez-moi de vous dire ceci : c'était une tête de cochon dans les 20 années où je l'ai connu parce qu'il a toujours exigé des informations factuelles claires et sans ambiguïté, qu'il a toujours exigé que nos décisions soient fondées sur ces informations actuelles, et qu'il m'a toujours tenu redevable, puisque j'étais son supérieur, de veiller à ce qu'il ait une mission claire et précise, et à ce qu'il ait mon appui et celui du reste de la structure pour pouvoir faire son travail.
Je crois que je vais en rester là, monsieur le président. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.
Merci.
[Français]
Je vais m'exprimer en anglais. Ma présentation sera principalement en anglais, mais je serai évidemment prêt à recevoir toute question en français.
[Traduction]
Établissons d'abord le contexte.
Le 1er février 2006, je me suis vu confier le commandement de la Force expéditionnaire du Canada, en étant son tout premier commandant basé ici, à Ottawa, et j'ai eu pour mission d'assumer au nom du chef d'état-major la responsabilité de toutes les opérations militaires canadiennes outre-mer dont, bien sûr, la mission en Afghanistan. J'ai assumé cette responsabilité pendant près de trois an et demi. Durant cette période, plus de 24 000 hommes et femmes ont servi sous mes ordres dans le cadre de 28 missions différentes autour de la planète.
J'avais ici, à Ottawa, plus de 200 personnes civiles et militaires très compétentes composant mon quartier général. Beaucoup de ces personnes avaient servi en Afghanistan et toutes, je peux vous l'assurer, étaient totalement déterminées à écouter et à appuyer nos gens sur le terrain, qu'il s'agisse de gens des Forces canadiennes, des Affaires étrangères, de l'ACDI ou de quoi que ce soit d'autre.
Je viens tout juste de prendre ma retraite après 36 années au service de mon pays au mieux de mes capacités, dont une bonne partie pour des missions très exigeantes. J'estime que c'est un honneur incroyable d'avoir reçu la confiance de mes supérieurs pour assumer la responsabilité de certaines des missions les plus importantes, les plus difficiles et les plus dangereuses des Forces canadiennes, pas seulement en Afghanistan, comme vient d'en parler le général Hillier, mais aussi en mer, avec certaines missions maritimes très dynamiques de sécurité et de lutte contre la piraterie qui présentaient leurs propres défis, tout à fait particuliers.
La gravité de mes responsabilités et l'importance des enjeux en Afghanistan m'étaient sans cesse rappelés chaque fois que mon téléphone se mettait à sonner en pleine nuit, comme cela arrivait souvent, et que Dave Fraser ou quelqu'un d'autre me fournissait les détails attristants d'un nouvel incident pénible. La même expérience m'était accordée, et c'était pour moi une source d'humilité mais aussi de détermination renouvelée, chaque fois que je devais aller à Trenton, et c'est arrivé souvent, avec le général Hillier ou le général Natynczyk pour rencontrer des familles de soldats tombés, afin d'essayer de les réconforter durant les heures les plus sombres de leur vie.
J'ai toujours eu profondément à coeur ma responsabilité à l'égard de la vie de nos soldats et du succès de nos missions. Dès que j'ai assumé la responsabilité de ces défis, en février 2006, je peux dire que toute la chaîne de commandement a compris que la politique relative aux détenus était une question difficile et extrêmement délicate, pour toutes les raisons que vous connaissez aujourd'hui. Mon rôle était de veiller à ce que cette politique, ainsi que toute instruction militaire émanant du CEMD, soit mise en oeuvre par nos commandants sur le terrain avec le plus de diligence possible et, évidemment, en respectant totalement le droit international. C'est ce que j'estime avoir fait, et oui, comme l'a dit le général Hillier, il m'est arrivé, de temps à autre, d'être une vraie tête de cochon.
Avec le recul, il est facile de dire que la politique formulée en décembre 2005 n'était pas parfaite mais, considérant ce que nous comprenions à l'époque, je pense quelle était conforme aux obligations du Canada et qu'elle reflétait la situation sur le terrain.
Début 2006, la force d'intervention en Afghanistan a collaboré étroitement avec un très petit nombre d'employés disponibles du MAECI, ainsi qu'avec d'autres par leur intermédiaire, pour instaurer une politique de transfert des détenus car il n'en existait pas réellement auparavant. Le général Fraser pourra vous donner des détails à ce sujet mais, à mes yeux, durant ces premiers jours et à tous les niveaux, nous étions confrontés à un niveau de complexité et d'ambiguïté défiant littéralement toute description et évoluant à un rythme incroyable. Le général Fraser avait plus de décisions à prendre en cinq minutes là-bas — je l'ai vu à l'oeuvre — que la plupart des personnes normales prennent au Canada en une journée, une semaine ou un mois.
Surtout durant ces premiers jours, alors que COMFEC venait juste d'être créé et que la Force expéditionnaire en Afghanistan subissait littéralement son baptême du feu, il n'y avait pas vraiment de solutions parfaites aux centaines de problèmes que nous avons dû collectivement résoudre. Nous étions en guerre et, parfois, ce n'était pas beau à voir.
Tout cela pour dire qu'entre février 2006 et le printemps de 2007, des gens sur le terrain ont établi le cadre de transfert des détenus tout en s'occupant de nombreux autres problèmes et qu'ils ont à cette occasion découvert et soulevé un certain nombre de questions devant être résolues. Vous avez recueilli des témoignages à ce sujet la semaine dernière.
Je peux affirmer que, début 2007, alors que nous commencions à mieux comprendre la capacité des agences sur le terrain à surveiller les droits humains, en particulier, nous avons commencé à nous dire que nous devrions faire plus. En mars 2007, je peux vous dire — et vous pourrez demander à d'autres de vous le confirmer — qu'un processus interministériel piloté par le MAECI se consacrait totalement à la question des prisonniers.
Comme nous le savons tous, le gouvernement a annoncé début mai 2007 des modifications au dispositif de transfert des détenus. De ce fait, les agents civils canadiens ont été chargés de surveiller le statut de nos détenus au lieu de laisser cette tâche strictement à des agences indépendantes.
Un peu plus tard, à partir de juin 2007, alors que le MAECI avait commencé à exercer cette surveillance, je crois qu'on a reçu une poignée de plaintes concernant des abus, et toutes ont été prises au sérieux et ont fait l'objet d'un suivi de la part de nos gouvernements. Aucune des allégations n'a été validée mais, en novembre 2007, on nous a signalé un cas de torture physique, durant une visite de contrôle. Cela nous donnait clairement des raisons solides de croire que nos détenus couraient un risque sérieux d'être torturés et nous avons donc cessé les transferts, comme l'a dit le général Hillier.
Près de trois mois plus tard, après beaucoup de travail et d'autres améliorations apportées aux pratiques de l'ensemble du gouvernement sur le terrain, j'ai reçu fin janvier 2008 une évaluation signée par M. David Mulroney au nom des ministères concernés exprimant son opinion qu'il « existe à nouveau un contexte dans lequel il pourrait être approprié de reprendre les transferts de détenus ». C'était fin janvier 2008. Toutefois, le général Laroche, sur le terrain, n'était pas complètement satisfait à ce moment-là car il voulait avoir la preuve que les nouvelles mesures étaient efficaces et c'est donc seulement un mois plus tard, après avoir reçu cette évaluation, qu'il a pris la décision d'aller de l'avant et de reprendre le transfert de détenus aux autorités afghanes.
Tout cela pour dire que la politique et les pratiques sur le terrain ont continuellement évolué, surtout à mesure que se développait la capacité de l'ensemble du gouvernement sur le terrain. Cela n'est pas différent de tous les autres aspects de cette mission incroyablement complexe. À mesure que nous comprenions mieux les réalités du sud de l'Afghanistan, semaine après semaine, mois après mois, l'équipe de l'ensemble du gouvernement et les forces militaires ont tiré les leçons et se sont constamment adaptées. Je peux vous garantir que rien n'était mis sous le boisseau, sur le théâtre d'opérations ou ailleurs.
À CEFCOM, pour vous donner une perspective locale de la question, et pas une perspective complète d'Ottawa mais la perspective de mon quartier général, j'étais personnellement informé chaque jour de la situation des détenus. Cela faisait partie de la structure de mon information quotidienne. J'avais désigné au sein de mon équipe des personnes — un conseiller juridique, un conseiller de la police militaire, un conseiller de politique civile et des agents opérationnels — qui comprenaient très clairement que la question des détenus était une question d'importance primordiale qu'il fallait surveiller de très près, en plus des nombreuses autres choses importantes à faire. Et ces personnes très professionnelles et honnêtes étaient reliées à un réseau plus vaste de gens sur le théâtre, au QG de la Défense nationale, et encore plus dans les autres ministères, qui travaillaient ensemble et faisaient de leur mieux pour trouver des solutions raisonnables à des problèmes qui étaient loin d'être clairs.
Je suis certain que nos commandants et nos gens sur le terrain étaient tout aussi sensibles à ce problème. À partir de la deuxième rotation de troupes, je m'adressais personnellement à une centaine de chefs de chaque force expéditionnaire à qui j'exposais en détail, parmi les nombreuses autres questions concernant leur déploiement, le fait que la situation des détenus était l'une des trois questions cruciales auxquelles ils devaient prêter une attention particulière. Faire autrement pouvait entraîner l'échec stratégique. Voilà l'importance que nous accordions à cela.
Bien des gens d'agences différentes devaient s'occuper de cette question à tous les niveaux. Nos soldats ne sont ni des spécialistes des droits humains ni des agents de surveillance des droits humains, et ce serait une erreur de leur confier cette responsabilité. Le rôle de la hiérarchie militaire était de s'assurer que, dans nos activités de traitement et de transfert des détenus, nos actions étaient conformes au droit international et à notre politique nationale. Dans tout ce que nous faisions, les commandants recevaient l'appui direct de conseillers juridiques et étaient reliés au réseau complet de gens du gouvernement ayant l'expertise requise pour surveiller la situation. Je ne voudrais pas vous faire croire, nonobstant ce qu'a dit le général Hillier à mon sujet, que je m'occupais personnellement du cas de chaque détenu. Bien sûr que non. Par contre, j'assumais la pleine responsabilité de toutes les actions de mon équipe et de mes subalternes, y compris ceux sur le terrain. Tous savaient ce qu'ils avaient à faire, ils l'ont bien fait et ils ont reçu mon appui total.
Pendant le temps qu'il me reste, je voudrais aborder les allégations que vous avez entendues la semaine dernière et qui ont été si souvent répétées depuis. Je suis évidemment heureux d'avoir la chance de rétablir la vérité au nom du commandement dont j'ai assumé la responsabilité. Je me trouve dans une situation un peu inconfortable étant donné que je ne peux raisonnablement aborder les questions en jeu sans faire référence à M. Colvin et à son témoignage. Je ne suis pas ici pour tirer sur le messager. Je connais à peine ce monsieur et je veux plutôt vous parler de ce que je sais au sujet des allégations formulées la semaine dernière et de ce qui est dit dans l'affidavit correspondant déposé devant la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire.
J'aimerais aborder deux seulement des aspects les plus larges et les plus importants du témoignage de la semaine dernière. Les deux ont déjà été abordés dans une certaine mesure par le général Hillier mais je serai plus précis, comme c'est mon habitude.
La première grande question semble être de savoir quand et comment nous avons été informés à Ottawa du risque de torture, puisqu'on a affirmé que nous avons su pendant 18 mois qu'il y avait « un risque très élevé de torture » et que avons continué à ordonner à nos gens de transférer des détenus. C'est une affirmation très grave qui peut même suggérer une grave activité illégale. Croyez-moi, nous, de la hiérarchie militaire, comprenions dès le départ notre responsabilité juridique dans ce domaine de manière personnellement très directe.
Si je me fonde sur ce que je sais, sur mon tout premier souvenir, la première fois qu'une allégation quelconque de torture a été portée à ma connaissance, à titre de commandant de CEFCOM, c'était au début d'avril 2007. Cela ne provenait pas de rapports du théâtre d'opérations mais du fait que moi-même et d'autres avions été informés par nos agents de relations publiques militaires qu'un journaliste du Globe and Mail se penchait sur la question et qu'avait bien voulu nous en prévenir. Son article a été publié le 23 avril 2007 et le message que j'ai reçu était que cela allait vivement m'intéresser, ce qui fut évidemment le cas.
Le premier rapport de terrain nous adressant une mise en garde précise sur le fait qu'un détenu transféré par le Canada avait peut-être été torturé nous est parvenu le 4 juin 2007 de Kandahar. Le lendemain, un rapport similaire est arrivé de M. Colvin à Kaboul. Ces deux rapports résultaient des premières visites de surveillance du MAECI dans le cadre du dispositif révisé de surveillance des détenus. Je crois qu'ils ont été portés à la connaissance du public il y a quelque temps.
Soyons clairs et précis : le témoin de la semaine dernière a affirmé catégoriquement que le risque très élevé de torture dans les prisons afghanes avait été porté pour la première fois à la connaissance des autorités supérieures des Forces canadiennes en mai 2006, et à plusieurs reprises ensuite. En fait, moi-même et d'autres n'avons reçu ces mises en garde de manière substantielle pour la première fois que plus d'un an plus tard.
On vous a dit la semaine dernière que de nombreux rapports ont été envoyés à CEFCOM et ailleurs. Je les ai examinés attentivement ces derniers jours et ce qu'ils contiennent est évidemment crucial. Je crois que tous les rapports que l'on dit avoir été envoyés à mon quartier général ont effectivement été reçus. Je ne saurais dire si je les ai tous vus, ou même quelques-uns, très franchement, mais, s'ils étaient suffisamment importants, mes collaborateurs m'en auraient certainement informé. Ils comprenaient la situation. Quoi qu'il en soit, j'assume la pleine responsabilité de les avoir reçus.
Je voudrais parler précisément de ces rapports dans le contexte de ce qu'on vous a dit la semaine dernière. Je peux vous dire directement que, contrairement aux affirmations, il n'y a strictement aucune mention d'un risque ou d'un soupçon de torture dans le rapport du 26 mai 2006, ni dans aucun des autres rapports de 2006 figurant dans la déclaration sous serment de M. Colvin, c'est-à-dire ceux du 2 juin 2006, du 28 août 2006, du 19 septembre 2006 et du 28 septembre 2006. Le mot « torture » n'apparaît qu'une seule fois, dans le rapport du 4 décembre 2006, mais celui-ci ne saurait être raisonnablement interprété comme un avertissement au sujet de la torture, et M. Colvin ne suggère pas cette interprétation dans son affidavit.
Je répète que je peux dire sans l'ombre d'un doute qu'il n'y a rien dans aucun de ces rapports de 2006 qui ait pu amener n'importe lequel des spécialistes de mon équipe ou, par extension, moi-même à être alerté sur le fait qu'il pourrait y avoir de la torture ou un risque très élevé de torture. Rien. En outre, il n'y avait dans ces documents rien qui eût pu m'amener à parler au CEMD ou amener celui-ci à parler à notre ministre. Ces rapports ont également été envoyés au QG de la Défense nationale et je ne peux pas parler de ce qui s'est passé à ce niveau-là. Je n'ai personnellement pas breffé le général Hillier.
M. Colvin vous a dit la semaine dernière que, selon ses informations, « tous les Afghans que nous avons transférés ont été torturés ». Ces rapports, dont je viens de parler, ne disent aucunement cela. J'ai entendu ces paroles, comme déclaration de fait, pour la première fois la semaine dernière à la télévision nationale.
Par la suite, entre le 20 avril 2007 et la première alerte, le 4 juin 2007, bon nombre des rapports reçus traitaient en fait de la torture. Il s'agit d'une période durant laquelle le MAECI et nous-mêmes procédions à une révision complète de notre position et les rapports sont arrivés au sein d'un processus dynamique entre le MAECI, en particulier, et les gens de terrain.
Étant donné ce qui est en jeu, vous pouvez avoir la certitude que je les ai tous lus de nombreuses fois, autant les versions originelles classifiées que les versions récemment expurgées. Il y a là selon moi fort peu de place à l'interprétation. Il n'y avait dans ces rapports rien qui eût pu amener mes collaborateurs ou moi-même à y voir de nouveaux avertissements sérieux, imminents ou alarmants en matière de torture avant les rapports de juin 2007, et l'on fait erreur en laissant entendre que les autorités militaires ou les commandants n'en ont pas tenu compte ou ont voulu les dissimuler.
Le deuxième point que je souhaite aborder très brièvement est l'affirmation faite la semaine dernière que la haute hiérarchie du MAECI et des Forces canadiennes ne souhaitait pas recevoir de rapports ou d'avis du terrain et que ces derniers ont d'abord été à toutes fins pratiques essentiellement mis sous le boisseau. Cette critique n'est tout simplement pas confirmée par les faits. Si — ou quand — vous recevez la version expurgée des documents — et j'espère sincèrement que vous la recevrez bientôt —, vous pourrez voir des réponses utiles et positives non seulement du MAECI mais aussi de mon propre personnel adressées à M. Colvin, avec des remerciements au début et à la fin des réponses.
Je sais qu'il y a dans mes propres dossiers, conservés au MDN, des références aux questions que j'ai posées à mes collaborateurs et aux instructions que j'ai données pour assurer le suivi de certaines des questions soulevées dans les rapports de M. Colvin. Je sais qu'il y a eu un suivi, tout comme je sais que moi-même et ceux qui travaillaient avec moi jugeaient que ces questions étaient importantes. CEFCOM a été créé dans le but explicite de prêter une attention soutenue aux personnes déployées dans les opérations afin de leur faciliter le travail et de faire en sorte qu'elles paraissent aussi bien que possible.
Vous ne pourriez imaginer l'énormité du fardeau que nos commandants — des hommes comme ce monsieur à ma gauche — ont porté pendant ces missions. Mon rôle était de faire tout mon possible pour alléger ce fardeau, et je pense l'avoir fait. J'ai en tout cas essayé de le faire chaque fois que c'était possible. C'était notre raison d'être et c'est ce que nous avons fait 24 heures par jour, sept jours sur sept. Voilà pourquoi aucun d'entre nous n'aurait délibérément fait fi, négligé, éliminé, dissimulé ou mis au secret quoi ce soit que nous recevions du terrain, surtout sur une question aussi importante que celle des détenus. Je vous le dis aussi objectivement que possible. Je vous le dis en toute sincérité.
Durant mon commandement, c'est-à-dire pendant une période de trois an et demi, je suis allé en Afghanistan une fois tous les deux mois. Le chef aussi, à des moments différents. Durant chacune de ces visites, j'ai rencontré littéralement des milliers de soldats et des douzaines de civils. Je les ai encouragés à exprimer toutes leurs préoccupations et, croyez-moi, la plupart ne s'en sont pas privés et n'ont pas gardé la langue dans leur poche.
Durant ces visites, et j'ai fouillé ma mémoire, personne n'a jamais soulevé devant moi ce que M. Colvin prétend au sujet de la torture dans les prisons afghanes, jusqu'aux préoccupations qui sont apparues en avril et, plus précisément, à partir de juin 2007. À ce moment-là, évidemment, nous avons eu d'innombrables discussions à ce sujet parce que c'était une question qui se posait réellement, nous le comprenions.
J'ajoute aussi que, durant ces visites, j'ai souvent passé des heures avec les deux ambassadeurs en poste durant la période passée par M. Colvin en Afghanistan. Je peux vous garantir que, si l'un d'entre eux ou si M. Colvin avait soulevé cette question devant moi, je m'en souviendrai et je serais intervenu. Aucun ne l'a fait.
En conclusion, cette mission en Afghanistan a été sans aucun doute la mission la plus exigeante entreprise par le Canada durant mes 36 années de service. De par sa complexité, elle a été un grand défi pour nous, les militaires, pour le Canada lui-même et pour la communauté internationale. Cela a été un honneur pour moi d'y participer.
Permettez-moi de partager une dernière réflexion avec vous. La semaine dernière — cela me ramène à la remarque du général Hillier —, lorsque mon épouse et moi-même regardions la télévision, à la maison, nous avons été mortifiés de voir un membre de ce comité passer à une émission d'information nationale et mentionner mon nom et le nom de trois autres personnes en disant, comme si c'était un fait établi, que nous avions fait preuve de négligence ou que nous avions menti c'est-à-dire, à toutes fins utiles, en nous qualifiant de criminels de guerre. Le tort causé à ma réputation est fait et je dois l'accepter comme conséquence d'avoir occupé un poste de commandement dans l'une des institutions nationales du Canada, ce que j'accepte, mais je vous demande de réfléchir à ceci.
Rien que dans mon quartier général, la plupart des rapports ont dû être vus par au moins une douzaine de personnes vraiment brillantes et diligentes à qui je fais implicitement confiance. Dans un QG menant une guerre pendant plus de trois ans, aucune de ces personnes ne m'a jamais déçu, pas une seule fois. En outre, il y a facilement dans cette ville ainsi que sur le théâtre d'opérations une centaine de personnes qui ont dû voir ces rapports à l'époque, et je soupçonne qu'il y en a maintenant plusieurs centaines au sein du gouvernement qui ont eu l'occasion de les lire, de les relire et de les décortiquer sous tous les angles. Beaucoup sont des experts en droit international et en droits humains.
Je connais la plupart de ces personnes, et ce sont de bonnes et honnêtes personnes, civiles et militaires. Ce sont de magnifiques professionnels animés du souci de préserver la réputation du Canada. C'est donc avec le plus grand respect que je demande à chacun d'entre vous de garder cela à l'esprit quand vous tirerez vos conclusions de ce que vous avez entendu et que vous les communiquerez au public. Comme vous le savez très bien, il y va de la réputation de notre pays.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions et je vous remercie très sincèrement de m'avoir permis de m'exprimer. Merci de votre attention.
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Je remercie le comité de m'accorder le privilège de m'exprimer devant lui sur cette question importante.
De février à novembre 2006, j'étais le type sur le terrain. Je commandais à la fois la Force expéditionnaire en Afghanistan et la Force opérationnelle de la coalition AEGIS. Au fond, je portais deux casquettes : la casquette de commandant canadien et la casquette de commandant multinational.
La Force expéditionnaire en Afghanistan est l'organisation qui représentait toutes les forces militaires canadiennes sur le théâtre afghan. En qualité de commandant de la Force expéditionnaire en Afghanistan, j'assumais la responsabilité des opérations menées par les Forces canadiennes en Afghanistan. Je relevais du lieutenant–général Gauthier, commandant de la Force expéditionnaire canadienne à Ottawa.
Je commandais aussi, au niveau multinational, la Force opérationnelle AEGIS, également appelée le Commandement régional du Sud. Elle comprenait les forces militaires de neuf pays différents dispersées entre les provinces d'Uruzgan, de Helmand, de Zaboul et de Kandahar, ce qui représente un théâtre d'opérations de plus de 200 000 kilomètres carrés.
En qualité de commandant de la Force opérationnelle AEGIS, j'étais responsable des opérations du Commandement régional du Sud et je faisais rapport au commandant de la Combined Joint Task Force 76 des États-Unis, situé à Bagram.
Les forces militaires du Commandement régional du Sud faisaient partie de la mission appelée Liberté immuable, de la coalition menée par les États-Unis, jusqu'en juillet 2006, après quoi le commandant a été transféré à la FIAS, qui est la coalition menée par l'OTAN, basée à Kaboul.
À mon avis, l'Afghanistan est la mission la plus complexe menée par le Canada depuis peut-être la fin de la Deuxième Guerre mondiale. C'était en tout cas la mission la plus complexe que j'aie jamais eu à commander et à diriger pendant mes 29 années de service.
Mon mandat consistait à monter des opérations de sécurité afin d'établir et de maintenir la stabilité pour aider les Afghans à bâtir leur nation. Notre travail consistait à appuyer les autorités afghanes.
L'objectif des Forces canadiennes était d'aider à établir les conditions nécessaires à la reconstruction et au développement à long terme telles qu'elles sont définies dans le Pacte pour l'Afghanistan. Le contingent canadien en Afghanistan comprenait de nombreuses facettes, notamment des forces de sécurité, une équipe provinciale de reconstruction et des entraîneurs des forces de sécurité afghanes. Le contingent canadien se composait de militaires et de civils.
Étant donné la complexité de cette tâche, j'ai demandé et reçu un appui sous la forme d'un conseiller politique des Affaires étrangères — que je n'avais pas et que j'ai reçu après l'avoir demandé — et d'un conseiller au développement de l'ACDI, en plus d'autres membres, par exemple de la GRC, qui faisaient partie de l'équipe provinciale de reconstruction à Kandahar.
En allant là-bas, notre objectif était de mener des opérations destinées à établir la sécurité et à appuyer le développement de la capacité du gouvernement afghan. En 2006, toutefois, nous nous sommes retrouvés dans un conflit armé intense et prolongé qui était du jamais vu pour les Forces canadiennes depuis la Corée. Nous avons géré un niveau d'opérations qui dépassait fréquemment 30 opérations et incidents importants par jour. Ces événements comprenaient des combats sous forme d'attaques directes ou indirectes contre les soldats canadiens et de la coalition, des accidents, des écrasements d'aéronefs et des rencontres à Kandahar et dans tout l'Afghanistan dans un environnement multinational particulièrement tendu. Je n'avais encore jamais, jamais vu quoi que ce soit de ce genre dans ma vie.
Malgré la complexité de cette mission, ce fut l'opération la mieux préparée et la mieux soutenue à laquelle j'aie jamais participé. Durant ma période de commandement, les besoins opérationnels étaient identifiés et satisfaits et, lorsque les choses changeaient, je pouvais apporter des changements sur le terrain pour répondre aux besoins de nos soldats et des Afghans.
Le général Hillier, le chef d'état-major de la défense, m'avait communiqué son objectif avant mon départ pour l'Afghanistan. Il s'agissait clairement d'aider les Afghans à bâtir leur nation. Il avait mis l'accent sur trois points qu'il jugeait essentiels pour atteindre l'objectif stratégique du Canada : les victimes afghanes, les victimes canadiennes et les prisonniers. À son avis, il s'agissait là de trois éléments qui risquaient de mettre sérieusement en danger le succès de la mission. Nous étions constamment conscients de l'importance de chacun de ces trois éléments stratégiques et nous en avons donc tenu compte activement dans tout ce que nous avons fait avant d'arriver en Afghanistan, après y être arrivé et durant mon déploiement.
Chaque soldat avait reçu un entraînement particulier au sujet des détenus. Nous avions formulé un ordre de mission du théâtre sur la manière dont ils devaient être traités. Les instructions étaient claires et étaient parfaitement conformes à la politique du gouvernement du Canada. Les Forces canadiennes transféreraient les détenus aux autorités afghanes. Aucun détenu ne serait transféré à une autre nation et nous ne partagerions aucune information sur nos détenus avec d'autres nations. Je précise en passant que les autres nations ne nous communiquaient pas non plus de détails sur les leurs. Les détenus représentaient une responsabilité nationale que chaque nation devait assumer elle-même ou avec les autorités afghanes. La politique à ce sujet avait été clairement communiquée à nos partenaires de la coalition ainsi qu'à la chaîne de commandement de l'opération Liberté immuable et de la FIAS. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour ne pas perdre l'appui de la population afghane. Nous n'avons pas détenu d'Afghans arbitrairement.
L'ordre de mission du théâtre dont je viens de parler précisait qui pouvait être détenu. Nous pouvions détenir les personnes ayant démontré soit un engagement concrètement hostile contre nos soldats, soit une intention hostile envers les soldats canadiens ou de la coalition. Les personnes ayant participé à des attaques directes ou indirectes contre des Canadiens ou des forces de la coalition pouvaient être détenues. Les citoyens afghans dont nous pouvions établir qu'ils n'avaient pas participé à une attaque contre des Canadiens ou des forces de la coalition ne seraient pas détenus.
La capture d'un prisonnier pendant les opérations déclenchait une série détaillée d'événements comprenant l'envoi d'un rapport immédiat à ce sujet par la chaîne de commandement à mon QG de Kandahar. En recevant l'information qu'un individu avait été fait prisonnier, les membres du QG de mon contingent national suivaient les dispositions de mon ordre de mission sur les détenus. Cet ordre de mission exigeait qu'un rapport soit adressé à CEFCOM, le QG du général Gauthier. Si j'étais disponible, je faisais l'effort de téléphoner au général Gauthier, quelle que soit l'heure, pour lui indiquer que nous avions un prisonnier et que le processus était en cours d'exécution pour son transfert aux autorités afghanes.
Comme je l'ai dit, les détenus représentaient un élément critique pour ma mission, et l'instruction qui m'avait été donnée était de transférer les détenus aux autorités afghanes. Chaque jour, j'examinais des documents et je recevais des informations des services de renseignement. Chaque matin, à 7h30, je parlais à mon conseiller politique, à mon conseiller en développement, à mon adjoint hollandais, à mon chef d'état-major britannique et à mon adjoint américain. Je n'ai à aucun moment reçu d'informations concernant la torture ou la maltraitance de détenus. Si tel avait été le cas, je serais intervenu.
Je n'ai été informé d'aucune allégation de torture et j'ai continué à transférer des détenus aux autorités afghanes en vertu du dispositif de transfert de 2005, conformément à la politique du gouvernement du Canada. L'année 2006 fut une période très animée pour les Canadiens, qui trouva son apogée dans l'opération Medusa. Nos efforts étaient concentrés sur nos opérations continues dans toute la région et j'ai été particulièrement fier, durant ma mission, du travail accompli par les Canadiens et de la manière dont les Canadiens se sont comportés. Nous pouvons tous en être fiers.
Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions, sous réserve de l'obligation de protéger les informations classifiées relevant de la sécurité nationale, et les informations de sécurité nationale.
Merci beaucoup, monsieur.
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M. Dosanjh, je suis sûr que mes voisins voudront participer à cette discussion mais je dirai simplement, si l'objet de votre question est de me demander si j'estime m'être acquitté de mes responsabilités comme chef d'état-major de la Défense, que ma réponse est oui. J'ajoute que j'étais en fait tenu de rendre compte à toute une équipe qui m'appuyait dans l'exercice de mes fonctions. Mon juge–avocat général, le brigadier–général Ken Watkins, qui jouit d'une réputation internationale pour sa connaissance du droit international, me tenait redevable de mes décisions chaque jour. Même si j'avais voulu prendre des raccourcis ou contourner des difficultés, il ne me l'aurait pas permis.
Donc, oui, j'étais redevable, j'étais à l'aise et j'étais satisfait. Dans la situation la plus complexe à laquelle nous ayons jamais été confrontés, j'ai été satisfait. Ce qui ne veut pas dire que tout était parfait.
Deuxièmement, en ce qui concerne la connaissance des risques, j'ai expliqué... Tout d'abord, merci beaucoup d'avoir acheté mon livre. J'espère que vous en avez aussi acheté un exemplaire pour en faire cadeau à Noël. Sinon, vous devriez le faire.
En ce qui concerne les risques, M. Dosanjh, je vous dirai simplement que mon objectif en Afghanistan était de permettre à nos jeunes hommes et jeunes femmes de bien faire leur travail, d'être une source de fierté pour leur pays et de rentrer intacts à la maison. Deuxièmement, pour leur permettre de rentrer intacts à la maison, il m'incombait de ramener les risques auxquels ils étaient exposés au niveau le plus bas possible, de diverses manières, même si l'on ne peut jamais les ramener à zéro.
Même dans une société fonctionnant parfaitement, comme celle de notre grand pays, si vous allez au pénitencier de Millhaven demander à la moitié des détenus s'ils ont été maltraités, ils vous diront probablement que oui, parce que c'est la nature de la bête. Il y a toujours un risque que quelque chose se produise et l'essentiel est de savoir qu'il existe un processus de suivi pour en tenir compte.
Guy Laroche est l'un de nos commandants incroyables. J'ai dit que la chaîne de commandement ne m'a jamais déçu et c'est parce que des gens comme lui et comme Dave Fraser, qui est ici aujourd'hui, ont toujours agi correctement, sous le commandement de Mike Gauthier. Je pouvais me fier à eux.
Toutes sortes d'événements périphériques m'étaient communiqués, et j'entendais parler de choses diverses, que ce soit au sujet des articles de Graeme Smith au sujet de la poursuite qui se déroulait au Canada au printemps de 2007. Je prenais toutes ces choses en considération mais ce que je voulais avant tout, c'était d'avoir une analyse claire et concise de la situation de la part de ces commandants.
Quand nous avons tous conclu en novembre 2007, surtout après avoir perdu confiance dans le système — et cela me ramène à ma première réponse sur la question de savoir si j'étais satisfait —, que nous devrions cesser de transférer les prisonniers, Guy Laroche était parfaitement d'accord. Lui-même, Mike Gauthier et moi-même en avons parlé et avons décidé qu'il fallait cesser de transférer des prisonniers. Évidemment, nous avons aussi continué à faire notre travail.
Quand j'ai dit qu'il y avait de la pression, c'est ce que je voulais dire. En fait, je pense que le général Gauthier y a fait allusion quand il a dit avoir reçu une lettre de David Mulroney le 29 janvier, à peu près, indiquant qu'il pensait que la situation s'était rétablie. Tout le monde avait un point de vue différent et nous avions fixé en fait une norme très élevée.
Donc, notre point de vue était différent et il allait donc falloir attendre plus longtemps pour retrouver le degré de confiance nécessaire pour reprendre les transferts. Voilà le genre de pression dont je voulais parler. Les gens avaient un point de vue différent sur le degré de confiance nécessaire. Comme nous étions les commandants, nous devions assumer la responsabilité. Je n'ai certainement pas décliné ma responsabilité, et je ne m'attendais pas à ce que Mike Gauthier ou Guy Laroche déclinent la leur, mais il y avait des pressions parce que tout le monde avait un point de vue différent.
En ce qui concerne les personnes présentes à cette réunion, je crois qu'il y avait Margaret Bloodworth, qu'il y avait Rob Fonberg, et qu'il y avait David Mulroney, qui est prêt à témoigner, et peut-être une ou deux autres personnes mais je ne m'en souviens pas.