:
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Merci beaucoup. Je suis vraiment très heureuse de l'occasion qui m'a été ici donnée de comparaître devant vous aujourd'hui.
J'aimerais dire à l'intention de ceux d'entre vous qui ne me connaissent pas, qui ne m'ont pas rencontrée — je connais certains membres du comité que j'ai eu l'occasion de rencontrer à Kandahar —, que j'ai, pendant 11 mois, soit entre février 2008 et janvier 2009, été la représentante du Canada à Kandahar, ou RCK. C'est en effet le plus beau titre que j'aie jamais porté en tant que fonctionnaire.
Vous m'offrez aujourd'hui une occasion formidable de vous entretenir de certaines des grandes leçons que j'ai apprises pendant mon séjour à Kandahar. Si vous me le permettez, avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais rendre hommage à l'équipe fabuleuse composée de civils et de militaires avec laquelle j'ai eu le plaisir de travailler à Kandahar. Chaque membre de l'équipe a montré une volonté et un engagement considérables et, surtout, fait d'énormes sacrifices, chose qui n'est peut-être pas toujours bien comprise ni reconnue.
[Français]
Notre mission à Kandahar est nouvelle pour le Canada. Assurément, les antécédents sont en partie issus de notre expérience ailleurs, mais le fait de prendre part à une contre-insurrection active dans le cadre de laquelle nous sommes un agent d'exécution à l'échelle nationale, provinciale et locale oblige le Canada à élaborer de nouveaux outils et de nouvelles approches, tant sur le plan militaire que civil.
Je crois que nos efforts des deux dernières années nous ont permis d'en apprendre beaucoup. Certaines initiatives sont uniques, propres au contexte, mais certains aspects peuvent être généralisés et appliqués à d'autres contextes. J'en suis très consciente, et j'espère mettre cela en application dans le cadre de mon nouveau rôle de directrice générale du Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction, au ministère des Affaires étrangères du Canada.
[Traduction]
J'aborderai aujourd'hui trois leçons importantes que j'ai retenues de mon expérience dans le théâtre des opérations.
Premièrement, l'importance des approches communes, d'une stratégie unifiée, si vous voulez. Cela signifie qu'il faut une intégration et pas simplement une coordination, sur le terrain et à Ottawa.
Deuxièmement, la valeur de mesures concrètes, de repères, de l'établissement de priorités et d'évaluations objectives, tant sur le terrain qu'à Ottawa.
Troisièmement, l'impact que l'on peut obtenir avec un plus grand engagement de la part des civils — disposer des bonnes personnes, dotées des bons outils —, conjugué au leadership et à l'appropriation des Afghans.
[Français]
J'aimerais d'abord faire quelques commentaires sur les fonctions de représentant du Canada à Kandahar. Comme vous le savez, le représentant du Canada à Kandahar, qui relève du chef de mission, est le principal représentant du Canada dans le Sud de l'Afghanistan. Il est chargé des volets liés à la gouvernance et au développement de la mission. J'étais le principal lien avec le gouvernement de la République islamique d'Afghanistan, à l'échelle provinciale, ainsi qu'avec les autres pays, les organisations non gouvernementales et les organisations internationales des Nations Unies, notamment.
Le représentant du Canada à Kandahar est aussi l'homologue du brigadier-général canadien responsable de la Force internationale d'assistance à la sécurité dans la province de Kandahar. Ensemble, nous avons tous les deux assuré une approche civile et militaire unifiée pour réaliser les priorités canadiennes et internationales.
Lorsque j'étais sur le théâtre des opérations à Kandahar, nous avons fait passer notre équipe civile de 15 à 63 personnes, ce qui comprenait des membres de la police civile canadienne ainsi que des agents correctionnels politiques et des agents de développement de l'ACDI.
[Traduction]
Si vous me le permettez, j'aimerais aborder les cinq principales mesures qui ont selon moi fonctionné pendant mon séjour à Kandahar. J'aimerais également traiter des possibilités qui existent, d'après l'expérience que j'ai acquise au cours de la dernière année.
La première leçon clé pour moi est l'importance de la gouvernance politique et de mécanismes souples. Vous en êtes un parfait exemple. Je citerai la création du comité ici réuni et celle du comité du Cabinet sur l'Afghanistan. Les mécanismes que nous avons créés à l'interne sont des communautés de pratique, réunissant les différents éléments en vue d'entretiens réguliers et intégrés, choses qui ne se faisaient pas forcément auparavant. Une orientation claire du palier politique, émanant de vous-mêmes et du comité du Cabinet, ajoutée à un engagement au niveau ministériel lorsque des décisions sont nécessaires, ont changé la situation.
J'ai vécu le pré-CCOA, ou Comité du Cabinet sur l'Afghanistan, et j'ai vécu le post-CCOA. J'ai eu l'occasion de vivre les deux choses. Ces mécanismes de coordination sont très importants en vue d'imposer des liens qui, autrement, ne s'établiraient pas, et ils facilitent également l'effet de levier. Je vais vous donner un exemple. Nos communautés de pratique réunissent l'équipe à Kandahar, Kaboul, Ottawa, ainsi que nos autres missions à l'étranger. Lorsque nous vivons un problème, mettons avec l'OTAN, il ne s'agit pas simplement d'aller à Kaboul et de demander à Kaboul de s'entretenir avec le COMISAF, le Commandant de la Force internationale d'assistance à la sécurité de l'OTAN. Nous pouvons également faire intervenir Bruxelles, possibilité que nous n'exploitions peut-être pas de manière suffisamment efficace autrefois.
La deuxième leçon clé est qu'ils faut des intentions claires. L'établissement des six priorités et des trois projets de premier plan était à mon sens absolument essentiel, aux côtés des mesures qui ont suivi et des évaluations objectives des progrès que nous faisions. Je me souviens de mon premier jour au PRT à Kandahar lorsque notre collègue de l'USAID est venue me voir, et la première chose qu'elle m'a dite était que le problème de nous autres Canadiens était que nous essayons d'être tout pour tout le monde. Les six priorités nous ont en vérité aidés à ne pas être tout pour tout le monde. Cela ne veut pas dire qu'il ne demeure pas d'importantes autres activités devant être menées à Kandahar. Cela veut dire que le Canada n'a pas forcément à toutes les diriger. Nous pouvons veiller à ce que d'autres dirigent ces initiatives. Nous nous concentrons sur la livraison de choses que les gens de Kandahar nous ont dit vouloir, et qui sont intégrées dans ces six priorités.
Ce sont ces types d'investissements que souhaitent les habitants de Kandahar. Vous l'entendez dire à toutes les shuras auxquelles vous assistez. Peu importe où vous vous trouvez dans la province. J'ai beaucoup voyagé. Je ne passais que deux journées et demie par semaine au KAF, l'aérodrome de Kandahar. Le reste de la semaine, je la passais ou au PRT ou dans des bases d'opérations avancées. Je me déplaçais sans cesse sur les routes. J'avais le sentiment d'avoir une assez bonne idée de ce que recherchaient les habitants de Kandahar.
La troisième leçon clé que j'ai apprise est la nécessité de l'adoption d'une approche intégrée entre l'équipe civile et l'équipe militaire. C'était là l'objet même de la création du poste de RCK. Il s'agissait de veiller à l'établissement d'une meilleure intégration entre les éléments militaire et civil de la mission. Pour ce qui est du premier élément, il s'agissait de reconnaître et d'apprivoiser les différences culturelles, englobant tant les cultures bureaucratiques que les expériences de vie générales.
J'ai travaillé étroitement avec le brigadier-général Laroche et le brigadier-général Thompson à la co-occupation physique de nos personnels, à la planification conjointe entre les personnels, aux activités conjointes de renseignement et à la co-affectation des ressources. Cela a été un progrès énorme, et il s'agit d'un aspect que le Canada réussit beaucoup mieux que n'importe lequel de nos alliés. Le développement sur le terrain d'une stratégie civile-militaire conjointe intégrée, le plan d'action de Kandahar, a été la première initiative du genre. Certains de nos alliés ont relevé la chose et ont régulièrement fait état des progrès qu'ils ont constatés sur le plan de l'intégration. Ils savaient que lorsque le général Thompson et moi travaillions ensemble, nous avions un front uni. Ils savaient que s'ils s'entretenaient séparément avec nous, nous allions chacun renforcer la vision des choses de l'autre, ce qui était très important.
La leçon à tirer de notre expérience est fondamentale. Il importe que chaque membre de l'équipe épouse la même analyse. Pour faire avancer cela, nous avons envoyé nos civils de plus en plus loin, sur les bases d'opérations avancées, où nous avions en place, dans « l'omelette », des policiers, des agents de développement et le groupement de combat. Nous avons tout de suite, dans les deux semaines qui ont suivi, constaté une différence dans l'analyse qui nous revenait des équipes sur le terrain. Les gens avaient une vision commune de ce qui se passait au niveau du district, et c'est ainsi que nous avons pu mieux mettre à profit les ressources du PRT. Nous avons ainsi pu envoyer dans les districts certaines des ressources du gouvernement afghan à Kandahar. C'était là quelque chose que nous n'avions pas pu faire auparavant, sans avoir sur place nos collègues du développement politique ou de la police.
La quatrième chose que j'aimerais souligner est l'expertise et l'engagement actif autonome des civils, tout en mettant l'accent sur le leadership et l'appropriation des Afghans, même si cela doit prendre du temps.
Nous avons tiré de nombreuses leçons de nos deux premières années à Kandahar et nous sommes adaptés pour livrer des résultats en matière de gouvernance et de développement dans un environnement non permissif. C'est vraiment là la clé. Nous nous efforçons d'exécuter des programmes de gouvernance et de développement dans un contexte que le Canada n'a, franchement, jamais connu auparavant. Nous avons modifié notre cycle de planification et notre approche de manière à pouvoir mieux mettre en oeuvre nos stratégies. Comme je l'ai dit, nous avons augmenté sensiblement l'empreinte en matière d'exécution. Cela a été tout particulièrement important en ce qui concerne la police et les agents correctionnels. Le fait que mon équipe de policiers et d'agents correctionnels travaille aux côtés de leurs homologues afghans chaque jour fait toute la différence. Il vous faut avoir une proportion suffisante de votre équipe dans le théâtre afin d'y maintenir dans le temps une incidence soutenue. L'autre chose a été l'engagement auprès des autorités civiles. Avec la création du poste de RCK, il y avait maintenant un homologue civil, une personne à laquelle pouvait s'adresser le gouverneur, une personne à laquelle les ministères responsables pouvaient faire appel dans un contexte civil, et qui était en mesure d'établir pour eux le lien avec Kaboul et ses ministères responsables. Il n'y a pas toujours un lien évident entre ce qui se passe aux paliers national et provincial; nous pouvions faciliter cela, ce qui fournissait en même temps la preuve que l'intérêt du Canada à Kandahar s'étendait bien au-delà des questions de sécurité et était intimement lié à nos préoccupations en matière de développement et de gouvernance.
Enfin, la cinquième leçon pour moi a vraiment été la délégation de pouvoirs, et sur ce plan, il y a eu toute une évolution. Les pouvoirs décisionnels et financiers délégués ont beaucoup changé le cours des choses en ce qui concerne notre souplesse et notre possibilité de réagir aux développements sur le terrain. Par exemple, le fait que le RCK se soit vu accorder un pouvoir de signature d'une valeur de 2 millions de dollars — ce qui est sans doute, franchement, le pouvoir de signature le plus important que ce soit jamais vu accorder, dans l'une quelconque de nos missions, un agent sur le terrain civil — nous a, lors du bris de prison de Sarapoza, permis d'intervenir dans les 24 heures, nous rendant sur place avec les ingénieurs et les fonctionnaires du ministère de la Justice afghan pour y faire une évaluation préliminaire des mesures à prendre. C'est ainsi que, dans les 24 heures, nous avions déjà un plan de réhabilitation du périmètre de sécurité, de manière à pouvoir aider les Afghans à renforcer leur capacité, mais, ce qui est plus important encore, à faire en sorte que les résidents de Kandahar ne voient pas chaque jour en passant dans la rue l'entrée défoncée de la prison, ce qui avait une incidence sur leur perception de la sécurité. Du fait que nous ayions des pouvoirs délégués, il ne m'avait pas fallu revenir à Ottawa pour discuter de l'allocation de ressources. J'ai tout de suite pu distribuer les ressources et lancer le travail d'ingénierie. C'est ainsi que nous sommes beaucoup mieux en mesure de réagir aux situations au fur et à mesure qu'elles surviennent.
Nous avons également créé de nouveaux outils adaptés à l'environnement non permissif dans lequel nous oeuvrons. La création du Fonds pur la paix et la sécurité au Kandahar et du Programme d'initiatives locales à Kandahar a été un réel tournant. Encore une fois, grâce à ces initiatives, le directeur politique et le directeur du développement sur le terrain sont en mesure de réagir aux initiatives locales au fur et à mesure qu'elles sont lancées. Nous pouvons établir des liens sans être soumis à un processus étiré, ce qui était le cas auparavant. Nous pouvons également être plus créatifs aux côtés des partenaires avec lesquels nous travaillons. Je dirais cependant que le défi en ce qui concerne nos partenaires, et c'est un défi auquel nous continuerons d'être confrontés, est de trouver et de conserver un mélange de partenaires ayant une certaine tolérance à l'égard du risque et qui soient prêts à travailler dans certains de ces secteurs de Kandahar.
En conclusion, je dirais que nous avons fait des progrès considérables au cours des 16 derniers mois. Nous continuons de manifester notre leadership et de nous engager de manière positive auprès de nos homologues afghans, mais il nous faut maintenir le cap. Il nous faut continuer de nous adapter aux circonstances changeantes et de fixer des objectifs réalistes par rapport auxquels faire état de nos progrès tout en facilitant un plus grand leadership de la part des Afghans.
[Français]
Je suis très consciente que le temps passe. Je m'arrête donc ici pour qu'on puisse faire des échanges et répondre aux questions.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Elissa, il est bon de vous revoir, dans des circonstances quelque peu différentes.
J'ai été frappé par deux points que vous avez soulignés relativement à l'engagement, soit la nécessité de disposer des bonnes personnes et celle de disposer des bons outils. Clairement, dans le cadre du rapport fait par le gouvernement en mars de cette année, la deuxième priorité concernait l'augmentation de la capacité de prestation des services essentiels, le développement économique, etc.
Vous n'avez pas traité de ce dont je vais vous parler, mais je vais vous demander si vous en êtes au courant. La Fédération canadienne des municipalités avait provisoirement prévu de se rendre en Afghanistan fin juin, l'idée étant d'examiner la possibilité d'élaborer certains programmes d'établissement de capacité au niveau des villages, c'est-à-dire plus ou moins ce dont il est question ici. Elle n'y va plus, pour quelque raison, qu'elle soit politique, financière ou autre. Mais pour moi, il s'agit là d'un partenaire. J'ai soulevé la question il y a un mois ou deux avec l'USAID. À mon sens, il s'agit d'un partenaire essentiel. Si vous voulez parler d'établissement de capacité, et j'ai un certain parti pris en tant qu'ancien président, mais, je peux vous dire, je connais les projets que nous avons entrepris de par le monde et en règle générale on faisait appel à nous dans le but précis — surtout dans les régions où il n'existe aucune infrastructure quelle qu'elle soit — d'essayer de développer le genre de travail que nous autres Canadiens, quel que soit notre parti politique, appuyons.
Je vous invite à vous prononcer là-dessus, pour commencer, puis à nous dire quel rôle, s'il en est, vous proposeriez que nous jouions pour faire avancer les choses sur ce plan.
:
Si vous permettez, je vais simplement donner une amorce de réponse, et Elissa pourra compléter, en se basant sur son expérience personnelle.
En gros, nous sommes toujours guidés par les priorités que le gouvernement a adoptées —, ces six priorités que vous connaissez. Ces priorités comportent un certain nombre d'objectifs, comme vous le savez, de même que l'indicateur de rendement auquel on essaie de se conformer. Le travail de nos collègues sur le terrain est un travail intégré, comme Elissa l'a expliqué. Il vise à atteindre les objectifs contenus dans ces six priorités.
Je peux parler du point de vue d'Ottawa. Évidemment, nous essayons de donner à nos collègues les outils dont ils ont besoin pour prendre les décisions nécessaires pour atteindre nos objectifs. C'est ce qui nous guide. On ne revoit pas les objectifs en fonction de ce qui se passe lors d'une journée en particulier. Par contre, on essaie de voir comment mieux atteindre nos objectifs compte tenu des circonstances au moment où on travaille.
Je vais vous donner des exemples du quotidien. Ainsi, Elissa nous envoyait souvent des messages, à mes collègues du Conseil privé ou de l'ACDI et moi, parce qu'on travaille de manière très intégrée. Nous tenir tous informés en même temps est un défi que j'avais à relever. Elle pouvait nous dire que selon elle, la meilleure façon d'atteindre tel ou tel objectif était de faire ceci ou cela. Elle pouvait aussi nous dire qu'elle avait besoin qu'on lui fournisse telle ou telle chose. Si elle a la latitude de prendre des décisions, elle en prendra sur le terrain.
Un des principes de base que nous avons essayé d'adopter et de respecter était de laisser à nos collègues qui oeuvraient sur le terrain le plus de marge de manoeuvre possible. Ils sont là-bas, mais nous, pas. Notre tâche est de leur donner les moyens de remplir leur mandat. Comment cela se passe-t-il sur le terrain? Elissa peut parler de son expérience.
J'aimerais souligner une chose intéressante et importante: nous sommes les seuls! Le Canada est le seul pays à travailler de manière aussi étroite et intégrée que cela. En pratique, les civils — représentés d'une certaine façon par Elissa — et les militaires sont sur le même pied. Il n'y a pas de hiérarchie. Les militaires et nous devons nous rejoindre. Nous devons travailler ensemble, nous sommes des partenaires. C'est couché par écrit dans un document que l'on appelle le plan d’action de Kandahar. Ce document, auquel tous les partenaires souscrivent, reflète les priorités du gouvernement dans son ensemble. Les partenaires s'engagent donc à travailler dans ce sens.
C'est un bon modèle, et c'est d'ailleurs le seul. Je crois que seul le Canada fait cela, à tel point que même nos partenaires américains s'y intéressent. Ce document évolue dans le temps et on arrivera probablement à une deuxième mouture dans les semaines à venir. On discutera de cette mouture avec nos collègues américains, étant donné leur présence croissante.
Je vais m'arrêter ici. Elissa, tu peux peut-être continuer.
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Merci beaucoup. Je suis heureuse de l'occasion qui m'est ici donnée d'être parmi vous.
L'on ne saurait trop insister sur l'importance de la fréquentation scolaire pour ces filles et leurs parents. Il s'agit d'un virage fondamental dans la société afghane.
Et vous en êtes tout particulièrement frappé lorsque vous rendez dans une des écoles que le Canada ou qu'un autre donateur a aidé à réhabiliter et que vous y voyez des enfants de sept ans, et je dis sept ans car, bien sûr, vous regardez ces enfants âgés de sept ans, qui apprennent à compter, à lire, à chanter, et vous êtes tout de suite frappé par le fait qu'il y a sept ans cela ne leur aurait pas été permis. C'est nouveau, la situation est en train de changer, et c'est une adaptation que vit la société afghane.
Je ne vais pas vous chanter une jolie chanson fêtant la liberté. Il reste encore beaucoup de travail à faire. La région de Kandahar en particulier, le sud, sont extrêmement conservateurs. Il s'agit de la région la plus conservatrice du pays.
Néanmoins, chaque fois que, dans le cadre de nos pérégrinations, je m'entretenais avec un comité enseignants-parents — car nous ne construisions pas d'écoles à moins que les comités soient d'accord —, les gens disaient vouloir que leurs filles aient l'occasion de fréquenter l'école. Ils demandaient que cette possibilité leur soit offerte. Et ce n'était pas que des filles. C'était aussi des adultes.
L'un des mes projets préférés sur le terrain — et permettez-moi de chanter un petit peu mes propres louanges là-dessus — est un petit projet que nous finançons dans le cadre du Programme d'initiatives locales de Kandahar pour la littératie et la numératie chez les adultes. Près de 14 000 adultes, dont 80 p. 100 de femmes, ont participé à ce programme. Lorsque je discutais aux diplômés de ce programme, ces femmes me disaient « Je peux maintenant aller au marché et savoir qu'on me donne la monnaie juste ». Elles vous disent également que cela a changé la façon dont leur mari les regarde. Cela est purement anecdotique, tiré des commentaires faits par certaines des diplômées. Elles vous diront également que cela a modifié la dynamique de leur famille, que leur conjoint est maintenant davantage en faveur de laisser les enfants, tant les filles que les garçons, fréquenter l'école.
L'autre chose que nous faisons pour essayer de faciliter cela dans ces contextes dans le cadre desquels il y aurait peut-être, autrement, certains soucis — car les enfants sont, bien sûr, souvent considérés également comme étant un atout économique pour la famille — , c'est assurer un appui additionnel. Grâce au Programme alimentaire mondial, nous assurons des programmes de vivres contre littératie. C'est ainsi que nous distribuons des légumineuses et des huiles pour encourager les familles à laisser leurs enfants aller à l'école. Il y a toute une gamme de choses que nous faisons dans cette perspective.
Cela ne se limite pas à l'éducation; il y a également des possibilités d'emploi. L'une des choses que nous essayons de faire par l'intermédiaire du Programme d'initiatives locales à Kandahar est de cibler tout particulièrement, aux côtés du ministère du travail et des affaires sociales de l'Afghanistan, des possibilités d'emploi pour les femmes.
Encore une fois, la province de Kandahar est différente du reste du pays. Je sais que le comité a déjà parlé du MISFA, le programme de microfinancement. Celui-ci a connu un succès extraordinaire ailleurs au pays. Nous avons eu beaucoup plus de difficulté à l'implanter au Kandahar. Pourquoi? Selon ce que l'on nous rapporte, c'est parce que le sud est beaucoup plus conservateur. La raison pour laquelle les programmes de microfinancement réussissent généralement est que les femmes peuvent travailler à l'extérieur de la maison.
Nous oeuvrons avec nos collègues américains pour essayer de trouver des possibilités de création d'emploi pour les femmes chez elles — élevage de volailles, couture et confection, et ainsi de suite — afin qu'elles aient une activité rentable, tout en respectant la culture dans laquelle elles vivent.
La dernière chose que je mentionnerai concerne les soins de santé. L'accès aux soins de santé pour les femmes dans le sud s'est amélioré de manière incroyable. Toute personne qui s'est rendue là-bas par le passé sait que les femmes n'étaient bien franchement pour la plupart pas autorisées à chercher par elles-mêmes à se faire soigner. Il leur fallait toujours être accompagnée par un parent du sexe masculin. Et, franchement, le système de soins de santé lui-même n'était pas à un niveau tel qu'il pouvait répondre aux besoins des femmes.
Certaines choses dans lesquelles nous investissons visaient précisément à faciliter l'accès par les femmes à de meilleurs services médicaux, qu'il s'agisse de sages-femmes, par exemple, ou de choses comme le premier foyer pour femmes enceintes en attente d'accoucher à ouvrir en Afghanistan, et qui se trouve à Kandahar. Ce centre va améliorer sensiblement les chances des femmes de survivre à l'accouchement et, en conséquence, celles de leurs enfants de grandir.
Voilà donc quelques uns des progrès marquants que nous faisons, mais ce n'est là que la pointe de l'iceberg. Ce travail va demander un gros investissement en temps, et croire autre chose serait se bercer d'illusions.
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Je vais faire vite, car je sais qu'Elissa veut intervenir, et c'est elle qui a vécu là-bas, et non pas moi.
Il est important de comprendre que notre véritable moteur n'est pas la volonté d'imposer des valeurs. Vous pourriez organiser toute une conférence autour de ce que cela signifie et de ce que sont les valeurs occidentales comparativement aux autres. Il s'agit d'un débat fort complexe. Il est d'autant plus complexe du fait de la nature de la société afghane, qui est familiale, tribale, et vous venez y ajouter encore une couche de plus qui ressemble, à bien des égards, à ce que nous avons, à ce que nous vivons en tant que démocratie parlementaire, avec ces infinies variantes.
Il est clair dans mon esprit, et je pense qu'il en est de même pour mes collègues, que nous ne sommes pas là-bas pour essayer d'imposer des valeurs. Nous sommes là-bas pour essayer d'aider les Afghans à bâtir la société qu'ils veulent pour eux-mêmes. Ils ont une constitution, et si vous ne l'avez pas lue, il vaudrait la peine que vous y consacriez un quart d'heure. Il s'agit d'un très court document. Il traite de bien des façons du genre de société dans laquelle les Afghans veulent vivre. Cette constitution n'est pas en train d'être contestée. Je pense que les Afghans appuient dans l'ensemble la constitution, mais ils sont en même temps très profondément attachés à certains aspects de leur vie traditionnelle: clans, familles, tribus. Cela est très important. Il nous faut en fait garder cela très présent à l'esprit lorsque nous intervenons sur le terrain, s'agissant d'essayer de mettre les gens à l'aise et de les aider à renforcer leur structure décisionnelle.
Ces différents aspects entrent parfois en collision, non pas avec nous, mais avec l'Afghanistan lui-même. Ce n'est pas facile, mais, compte tenu de la complexité de la situation, les Afghans font un assez bon travail. La situation est difficile pour nous aussi, car dès lors que vous prenez une décision, il vous faut examiner le puzzle depuis différentes perspectives; il existe différentes perspectives, et il vous faut trouver le point de rencontre, le point de convergence de tous les éléments.
Je ne pense pas que les Afghans nous rejettent. Je ne pense pas qu'ils veuillent que nous leur disions comment mener leurs vies, mais ils souhaitent certainement que nous les aidions à bâtir un espace dans lequel ils pourront mener une vie qui soit conforme à leurs propres valeurs.
Voulez-vous...?