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NRGO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON NATURAL RESOURCES AND GOVERNMENT OPERATIONS

COMITÉ PERMANENT DES RESSOURCES NATURELLES ET DES OPÉRATIONS GOUVERNEMENTALES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 21 mars 2000

• 1112

[Traduction]

Le président (M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.)): Chers collègues, je vous remercie beaucoup de votre patience. Je sais que certains d'entre vous êtes allés à l'édifice de l'Est et j'ai essayé d'être un bon berger en allant là-bas chercher les brebis égarées. J'espère que vous appréciez ce geste très altruiste de ma part.

M. Werner Schmidt (Kelowna, Réf.): Qui a fait l'erreur? Nous ou eux?

Le président: Quoi qu'il en soit, j'ai ramené tout le monde au bercail et nous sommes prêts à commencer. Je fais mes excuses à M. Jean-Pierre Kiekens, le directeur exécutif et l'éditeur de Forest Certification Watch.

Monsieur Kiekens, je vous fais nos excuses pour ce retard.

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous sommes réunis aujourd'hui pour faire l'examen de la gestion des forêts au Canada dans la perspective du commerce international.

Monsieur Kiekens, bienvenue à notre comité. J'ai appris que vous n'avez pas pu nous remettre un mémoire. Ce n'est pas essentiel. Je conseille cependant à mes collègues de ne pas chercher de document et d'être bien attentifs.

Monsieur Kiekens, d'habitude nous accordons aux témoins dix minutes pour exposer un cas, une opinion et des arguments et pour lancer le dialogue. J'espère que cela vous convient.

M. Jean-Pierre Kiekens (directeur exécutif et éditeur de Forest Certification Watch): Merci, monsieur le président. J'aimerais bien avoir un peu plus de temps. Le sujet dont je vais parler est assez vaste et difficile, pour le moins.

Le président: De combien de temps pensez-vous avoir besoin, monsieur Kiekens?

M. Jean-Pierre Kiekens: Je dirais une vingtaine de minutes pour tout mon exposé.

Le président: Cela ne nous pose pas de problème; c'est seulement qu'il y aura moins de temps pour la période de questions. Vous pouvez prendre le temps qu'il vous faut, monsieur Kiekens. Si vous souhaitez engager mes collègues dans un dialogue, cependant, je vous conseille de suivre ma première suggestion. Si vous voulez exposer un point de vue que vous jugez important de soumettre à notre examen, faites comme bon vous semble. Je ne vous interromprai pas—ça pourrait arriver à l'occasion, mais je ne vous empêcherai pas de terminer votre exposé.

Je pense que mes collègues sont d'accord avec moi. Merci beaucoup.

D'accord, monsieur Kiekens. Vous avez la parole.

M. Jean-Pierre Kiekens: Merci, monsieur le président.

[Français]

Monsieur le président et honorables membres du comité, c'est un réel honneur pour moi d'être ici aujourd'hui.

[Traduction]

C'est un très grand honneur pour moi d'être ici aujourd'hui. Je commencerai mon exposé en français, et je poursuivrai en anglais.

[Français]

La gestion des ressources forestières et le commerce international sont un sujet qui est évidemment d'actualité. Le Vancouver Sun rapportait vendredi dernier que le groupe papetier allemand Haindl Papier était prêt à annuler des contrats d'une valeur de 75 millions de dollars plutôt que de perdre ses propres clients magazines et journaux. Selon cet article, les pertes potentielles de contrats, en Allemagne seulement, pourraient s'élever à 600 millions de dollars. Ce représentant allemand insiste pour que soit conclue une entente entre groupes environnementalistes et industries en Colombie-Britannique dans le cadre des négociations qui ont été révélées la semaine passée dans la presse canadienne, entente qui, selon diverses estimations, pourrait entraîner des centaines de pertes d'emplois en Colombie-Britannique.

• 1115

Comme vous le savez, l'Europe n'est pas la seule région où les problèmes d'accès au marché sont présents. Alors qu'il est question de supprimer des restrictions quantitatives relatives à l'accord entre le Canada et les États-Unis sur le bois d'oeuvre résineux, on assiste à un développement de barrières non douanières relatives aux méthodes de production de bois. Home Depot, par sa vice-présidente Suzanne Apple, déclarait au Globe and Mail le 22 janvier dernier, et je cite:

[Traduction]

    Le Canada a tout un passé de mauvaises pratiques de déboisement [...] «Nous ne voulons pas faire affaire avec des gens qui ne veulent pas évoluer avec nous».

[Français]

D'autres sociétés, telles que IKEA International, Wickes Lumber et HomeBase ont aussi annoncé leur intention de restreindre leur approvisionnement de bois à certaines sources en fonction des modes de production du bois qu'elles considèrent acceptables. Le Canada semble être la victime désignée de toutes ces politiques.

J'ai choisi quatre thèmes pour ma présentation: expériences canadiennes et internationales en matière de certification forestière; certification et questions commerciales; certification et organisations internationales; et certification et information des consommateurs. Je voudrais préciser que je tiendrai aujourd'hui des propos en ma capacité propre, en tant qu'observateur de cette problématique au niveau international.

Parlons de l'expérience en matière de certification forestière. Typiquement, au Canada, trois options sont distinguées et considérées: ISO, CSA et FSC, le Forest Stewardship Council. Dans votre analyse, il est important de ne pas vous restreindre à ces trois systèmes, et je voudrais vous expliquer pourquoi.

Tout d'abord, une quatrième approche, le système de vérification mis au point par la Sustainable Forestry Initiative aux États-Unis, initiative de l'association américaine des forêts et du papier, semble intéresser plusieurs sociétés canadiennes, notamment celles au Nouveau-Brunswick.

Deuxièmement, concernant les propriétaires privés forestiers non industriels, deux initiatives nord-américaines,

[Traduction]

le système américain de fermes sylvicoles et le virage sylvicole.

[Français]

semblent être intéressantes, tant pour la province de Québec que pour les Maritimes, des provinces où les propriétaires forestiers non industriels sont relativement nombreux.

Deux expériences intéressantes se sont déroulées en Europe, l'une en Finlande et l'autre en Grande-Bretagne. En Finlande, on a mis en place un système national de certification. Aujourd'hui, la certification en Finlande couvre 14 millions d'hectares, de sorte que la Finlande est le pays qui a la plus grande surface forestière certifiée au monde. Qui plus est, le système a été développé dans l'optique d'une intégration des petits propriétaires forestiers et, de manière également intéressante, il y a une certaine forme de reconnaissance du système finlandais sur les marchés. La chaîne de bricolage B & Q, en Grande-Bretagne, a reconnu l'été dernier le système finlandais tout comme elle reconnaît le système FSC. Une telle reconnaissance ne semble pas être présente dans le cas du système canadien.

L'autre exemple intéressant en Europe est le système britannique UK Woodland Assurance Scheme, qui représente probablement la seule approche nationale acceptée par les organisations de défense de l'environnement. Le Fonds mondial pour la nature, grand promoteur du système FSC, a loué l'approche britannique comme nouveau modèle lors de son lancement, en juin 1999. Ce système britannique UK Woodland Assurance Scheme est un standard national développé par un groupe de travail qui était facilité et présidé par l'administration forestière, la UK Forestry Commission. Il est actuellement reconnu par le FSC, tandis qu'une reconnaissance par une autre initiative, l'initiative européenne Pan European Forest Certification Scheme, est en cours.

• 1120

Donc, comme vous le voyez, il y a plus de trois options à considérer dans le cas du Canada et il y a également pas mal d'expériences intéressantes en matière de certification forestière de par le monde qui pourraient vous inspirer pour formuler les recommandations d'actions les plus pertinentes, tant au niveau national que sur le plan d'une éventuelle action internationale.

Il est aussi à noter que le standard national canadien, contrairement aux standards nationaux finlandais et britannique, n'a jusqu'à présent que faiblement été adopté par le secteur forestier canadien. Il est important d'analyser les raisons de cette faible adoption.

Je traiterai maintenant du deuxième point, soit les questions commerciales. Comme je l'ai indiqué lors de mon introduction, nous observons des obstacles croissants au commerce des produits forestiers en rapport avec les méthodes de production, tant en Amérique du Nord qu'en Europe.

Un récent rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture soulignait la difficulté de cette problématique, et je le cite:

[Traduction]

    Bien qu'il y en ait beaucoup qui soutiennent que la certification n'est pas une mesure de restriction du commerce, elle semble en avoir beaucoup des caractéristiques. En fait, c'est dans une certaine mesure exactement le but recherché—encourager les consommateurs à faire de la discrimination en faveur de certains produits (et, par conséquent, contre d'autres).

[Français]

On peut distinguer deux types de mesures: des mesures de type gouvernemental et des mesures privées. Bien que les mesures gouvernementales soient particulièrement intéressantes, notamment les mesures mises en place par le gouvernement des Pays-Bas, je vais me restreindre aux mesures de type privé, qui sont plus complexes à appréhender et, je dois vous l'avouer, qui me laissent parfois perplexe.

Aux États-Unis, Home Depot a décidé d'adopter la certification forestière à la suite de manifestations de groupes tels que Rainforest Action Network devant ses magasins. Home Depot a indiqué qu'il donnerait jusqu'à nouvel ordre la préférence au système de certification FSC, le seul système considéré comme étant acceptable par Greenpeace, Rainforest Action Network, le Fonds mondial pour la nature et d'autres, qui sont d'ailleurs tous membres de ce Forest Stewardship Council.

D'autres sociétés ont reçu diverses menaces de manifestations par divers groupes écologistes qui essaient maintenant de faire adopter la certification FSC par les concurrents de Home Depot et aussi, plus récemment, par l'industrie de la construction aux États-Unis. Bien sûr, ce type de pression n'est pas le seul facteur amenant ces sociétés à participer aux dits groupes d'acheteurs, tels que le Certified Forest Products Council aux États-Unis, ou encore à définir des politiques d'achat de bois, mais il semble que ce facteur soit important, contrairement, par exemple, aux primes de prix qui semblent être plus ou moins négligeables dans ce domaine.

En Europe, nombre de sociétés sont devenues membres des groupes d'acheteurs organisés par le Fonds mondial pour la nature dans le but d'éviter des pressions similaires de la part des groupes écologistes. Quel que soit leur mérite, les systèmes de certification alternatifs, notamment ISO et CSA, ont montré peu de capacité à rivaliser sur les marchés avec le FSC. Les méthodes que je viens de décrire ne sont peut-être pas étrangères à cela. C'est notamment le cas du système canadien CSA, qui est pourtant reconnu par nombre d'observateurs comme étant particulièrement rigoureux.

Mais d'autres observateurs, par exemple Simon Bryceson, qui était anciennement avec le cabinet de relations publiques Burson-Marsteller, ont conclu que, quelles que soient les qualités des systèmes alternatifs, la suprématie de la certification FSC était probablement inévitable, malgré les nombreux problèmes associés à cette initiative comme, par exemple, la récente polémique entourant le standard régional FSC dans les provinces Maritimes et la défection de la société J.D. Irving, pourtant détentrice de la plus grande surface certifiée FSC au Canada.

Personnellement, tout ceci me laisse perplexe. Je vous inviterais à analyser en profondeur les questions commerciales posées par la certification forestière. Demandez-vous si les pratiques que je viens de décrire sont réellement acceptables sur le plan commercial. Sont-elles acceptables pour le Canada et ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis?

• 1125

Parlons maintenant de certification et d'organisations internationales.

[Traduction]

Je vais maintenant analyser avec vous le comportement de certaines organisations internationales en ce qui concerne la certification.

Pour analyser ce comportement, il convient de noter premièrement le consensus international officiel sur la certification, à la suite d'un forum intergouvernemental sur les forêts tenu récemment. Les conclusions de ce forum sont les suivantes:

    L'IIF reconnaît que la certification volontaire, en matière de gestion des forêts et d'étiquetage des produits forestiers, pourrait être un outil potentiel de promotion de la gestion forestière et de différenciation des produits et services forestiers offerts sur le marché. Cependant, il faudra acquérir plus d'expérience pratique avant de pouvoir tirer des conclusions sur l'efficacité d'un tel programme. De plus, une mauvaise conception de tels mécanismes ou un manque de transparence dans leur application pourrait, dans certains cas, dresser des obstacles injustifiés à l'accès au marché.

Deux organisations internationales dont le Canada est membre semblent agir en contradiction avec ce consensus: la Commission nord-américaine de coopération environnementale, qui relève de l'ALENA et, plus important encore, la Banque mondiale. À propos de la CCE, elle a financé plusieurs projets de certification avec l'argent des contribuables, mais tous ces projets étaient axés sur la norme FSC, alors qu'il conviendrait, il me semble, si la CCE décidait de s'intéresser à ce secteur, de couvrir aussi les autres normes comme ISO 14000, les initiatives de foresterie durable, la norme CSA, le système de ferme forestière américain, et le virage sylvicole.

Il y a probablement plus important encore, soit l'alliance qu'a conclu la Banque mondiale en 1997 avec le World Wide Fund for Nature. Cette entente découlait apparemment d'une décision du président de la Banque, M. James Wolfensohn, et il semble que le conseil d'administration n'ait même pas été consulté à ce sujet. La Banque mondiale et le WWF ont fixé un objectif commun, c'est-à-dire que 200 millions d'hectares de forêts soient sous certification indépendante d'ici 2005.

Même si le WWF est un grand promoteur de la norme FSC, officiellement, la Banque ne veut pas promouvoir un régime au détriment d'un autre. En pratique, cependant, cette alliance semble favoriser le régime FSC bien plus que tout autre système. Dans un rapport conjoint publié en mai 1999, l'alliance Banque mondiale-WWF annonçait qu'au moins 25 millions d'hectares de forêts, dans le monde entier, répondaient à leurs critères. Certains nourrissaient l'espoir, alors, que la Banque révélerait quel régime de certification répondait aux critères et quelles forêts étaient sur la liste, mais jusqu'ici, la Banque s'est refusée à dire où se trouvaient ces 25 millions d'hectares de forêts qui répondaient à ses critères et en vertu de quelle norme elles étaient certifiées.

Il convient aussi de mentionner le soutien financier qu'apporte la Banque mondiale à une organisation appelée Forest Trends. Cette organisation est une branche de la Banque mondiale et du World Resources Institute, lui-même un grand promoteur du régime FSC. Encore là, il semble que Forest Trends, qui est financé par la Banque mondiale et une fondation privée, la MacArthur Foundation, favorise la norme FSC comparativement à d'autres régimes de certification forestière.

Tout comme dans le cas de la Commission de coopération environnementale, la Banque mondiale semble avantager indûment un système de certification au détriment d'un autre. La Banque, dans certains des rapports qu'elle publie conjointement avec le WWF, laisse entendre aussi qu'il convient de faire l'éloge d'initiatives comme les groupes d'acheteurs, tandis que d'autres,—par exemple, la FAO—comme je l'ai dit plus tôt, les considèrent comme une mesure potentiellement nuisible de restriction du commerce.

Un autre élément gênant est le fait que le WWF laisse maintenant entendre aux marchés financiers que la certification FSC est l'indicateur d'une bonne situation financière, en dépit de l'existence d'au moins un exemple—certains l'appellent un scandale—à preuve du contraire. Je le répète, la Banque mondiale, en s'alliant avec le WWF, donne du poids aux déclarations du WWF.

• 1130

Tous ces éléments méritent, à mon avis, l'attention de votre comité permanent et, peut-être même, d'autres comités de la Chambre des communes. Il ne s'agit pas uniquement de certification forestière, de commerce et de forêt, mais aussi de régie des organisations internationales par les pays membres et d'utilisation de deniers publics.

Je passe maintenant au dernier volet de mon exposé—la certification et l'information des consommateurs.

La certification, et particulièrement le régime FSC, le seul régime existant qui prévoit un système opérationnel d'étiquetage des produits forestiers, est présentée par ses défenseurs comme un moyen d'améliorer l'information diffusée aux consommateurs. Tout le monde n'est pas d'accord là-dessus.

L'Association des consommateurs du Canada a déclaré dans un exposé de principes, en août 98, qu'aucun des régimes de certification en vigueur sur le marché canadien ne peut, pour l'instant, appuyer de façon adéquate les résultats sur lesquels s'appuient les déclarations sur les produits.

Au sujet du régime FSC, l'Association des consommateurs du Canada a déclaré ce qui suit:

    Le programme d'étiquetage du régime FSC ne répond pas aux critères que nous avons fixés pour pouvoir affirmer qu'un programme est crédible. Plus important encore, le programme ne tient pas compte du cycle de vie du produit. Il laisse la porte ouverte pour que le point de mire ne soit plus sur l'impact sur l'environnement des forêts mais sur la phase de distribution du produit [...] Le régime FSC permet en fait que des étiquettes soient appliquées sur des produits qui n'ont jamais eu rien à voir avec une forêt FSC, le bois étant étiqueté dans les entrepôts au moment du traitement, sans qu'aucun processus soit appliqué pour garantir la continuité de la possession [...] La lacune, probablement la plus importante, du régime FSC est que les affirmations qu'il permet de faire ne peuvent pas, pour le moment, être vérifiées.

Trois grands problèmes sont donc relevés du point de vue du consommateur: le système d'étiquetage n'est pas fondé sur une analyse du cycle de vie, il n'y a aucune garantie que les produits qui portent le label FSC viennent réellement de forêts qui ont été certifiées, et des déclarations invérifiables sont faites relativement aux mérites des produits forestiers étiquetés.

En dépit de tous ces problèmes, FSC déploie une énergie énorme pour faire reconnaître son logo en Amérique du Nord. Il affiche notamment dans sa publicité des visages célèbres, comme Pierce Brosnan et Olivia Newton John, dans des revues à grand tirage comme People, Plaboy et Time Magazine.

Dans la publicité où apparaît Pierce Brosnan, par exemple, il est indiqué que le sceau FSC garantit que la forêt dont vient le produit est gérée de manière à protéger les cours d'eau, l'habitat faunique et les zones récréatives. Cette affirmation semble trompeuse si on en croit l'analyse qu'a faite l'Association des consommateurs du Canada. Fait intéressant, ces publicités ont été diffusées comme des communiqués d'intérêt public, ce qui signifie que le FSC n'a même pas eu à payer pour elles, ce qui nous amène à nous demander si d'autres régimes de certification, comme CSA, pourraient bénéficier du même genre de générosité de la part des maisons d'édition américaines.

J'ai une question vous à poser, vous qui êtes des politiciens professionnels. J'aimerais seulement savoir qu'est-ce qui est d'intérêt public dans tout cela?

Comme vous le voyez, la certification est aussi un brandon de discorde sur le plan de l'information des consommateurs. Les problèmes dont je parle sont, pour l'instant, spécifiques au régime FSC, mais ils pourraient faire surface plus tard dans le contexte d'autres programmes de certification, comme le système paneuropéen de certification forestière. Peut-être votre comité permanent et, qui sait, d'autres comités de la Chambre voudront-ils se pencher sur l'incidence de l'information diffusée aux consommateurs sur la certification.

Monsieur le président, je dirai pour terminer qu'en effet, la certification est devenue un élément central de l'examen sur les pratiques de gestion forestière et le commerce international. Beaucoup soutiennent que la question relève du secteur privé et qu'il faut le laisser régler cela. Mais je pense qu'il y a une grande part de l'intérêt public qui est en jeu et je vous conseille de bien en tenir compte en analysant l'expérience d'autres pays du monde entier—j'ai parlé de la Finlande et du Royaume-Uni—pour voir comment cette expérience peut contribuer à améliorer la situation au Canada; en analysant les répercussions de la certification sur le commerce, y compris des mesures que prennent un éventail de grandes sociétés privées comme Home Depot; en analysant le rôle de certains organismes internationaux, particulièrement la Banque mondiale, dans la promotion de la certification; et, enfin, en analysant la pertinence de la certification des produits forestiers pour l'information des consommateurs.

• 1135

Monsieur le président, j'ai terminé.

Le président: Monsieur Kiekens, je vous remercie beaucoup. J'apprécie particulièrement la concision de votre exposé, dans les deux langues officielles.

Je vais tout de suite laisser la parole à l'un de nos collègues. Je crois que presque tout le monde a signalé son intention d'intervenir.

Monsieur Schmidt.

M. Werner Schmidt: Merci beaucoup, monsieur le président et merci à vous aussi, Jean-Pierre, pour votre exposé. Je l'ai trouvé très bien organisé et facile à suivre.

La question que j'ai à poser tourne, en fait, autour de tout ce concept de certification et de principes scientifiques objectifs. Vous avez parlé de tellement de régimes différents ce matin, et je trouve avec beaucoup de justesse. Je crois que c'est très bien. La difficulté que, je pense, nous éprouvons, et l'intérêt public que nous devons défendre, se rapporte aux critères permettant de déterminer qu'un régime vaut mieux qu'un autre. Vous n'avez pas ménagé la Banque mondiale pour son choix d'appuyer la norme FSC et, semble-t-il, de le préférer à d'autres, et il existe un tas d'autres normes.

Pour moi, la grande question qui se pose c'est quels critères je peux appliquer, en examinant ces divers régimes, qui seraient fondés sur des principes scientifiques objectifs plutôt que sur des principes politiques? Nous savons que la politique y tient une grande place. Mais qu'est-ce qui est réellement en jeu? Quel principe scientifique pourrais-je appliquer pour certifier qu'une forêt fait l'objet d'une gestion appropriée qui assure sa durabilité?

Le président: Eh bien, monsieur Kiekens, en supposant qu'il n'y a pas de politique dans le régime de certification, je suis curieux d'entendre votre réponse.

M. Jean-Pierre Kiekens: Merci, monsieur le président.

Je crois qu'il faut envisager la problématique en visant au moins le moyen terme, et alors on constate qu'il n'y a absolument rien qui démontre qu'un système vaut mieux qu'un autre. Je pense que c'est d'ailleurs ce qui ressort de l'extrait tiré de la conclusion du forum intergouvernemental sur les forêts.

Les résultats de certaines études empiriques ont été diffusés très récemment. Il y a eu, par exemple, des interviews de sociétés de la Suède au sujet des normes ISO 14001 et FSC, et ces sociétés semblent dire que les deux régimes leur sont utiles. Il y a trop peu de données actuellement pour qu'on puisse fonder un jugement sur la science à ces sujets.

M. Werner Schmidt: Alors s'il est vrai que ce n'est pas un problème scientifique, mais principalement politique, si c'est vraiment ce qui se passe, ici, j'ai une question très sérieuse à vous poser, parce que ce n'est pas comme si les forêts venaient d'apparaître. L'exploitation forestière n'a rien de nouveau. Ces compagnies fonctionnent depuis très, très longtemps. La gestion des forêts se pratique depuis des siècles dans beaucoup de pays, et ce n'est pas quelque chose qui vient tout juste de faire surface.

Donc, il y a eu un temps où quelqu'un était satisfait de la gestion des forêts, et un moment où quelqu'un a dit non, cela ne nous satisfait pas. Maintenant, pouvez-vous nous dire sur quoi se fondait cette satisfaction, puis ensuite cette insatisfaction?

M. Jean-Pierre Kiekens: C'est une dimension sociale, une dimension politique en vérité, si on pense à la raison qui fait que la foresterie est si importante pour la Colombie-Britannique et moins ailleurs. Je crois que cela vient tout simplement des divers groupes qui composent la société et de leurs impressions sur le sujet.

Je n'ai pas de bonne réponse à donner à votre question.

M. Werner Schmidt: Je le vois. Il n'y a pas de quoi rire, avec tout le respect que je vous dois; parce qu'environ 60 à 80 p. 100 de l'économie de la Colombie-Britannique, par exemple, repose sur la foresterie. Ce n'est pas une petite affaire. C'est l'un des principaux générateurs de recettes, non seulement pour la Colombie-Britannique mais aussi pour le Canada. C'est pareil pour le Québec, et aussi pour le Nouveau-Brunswick.

• 1140

Le simple fait que ces activités de boycott se poursuivent pose un obstacle sérieux au développement économique du pays. Lorsqu'on met la pagaille et qu'on laisse entendre que c'est à cause des impressions que les gens ont sur certaines choses, il me semble qu'il devrait y avoir une explication un peu plus scientifique que cela. Quelque part, il doit exister une espèce d'arbitre qui puisse dire où se trouve l'équilibre, qu'il existe une mesure qu'on peut appliquer, qui sera reconnue par la Finlande, le Japon et d'autres pays du globe. Ce n'est rien d'arbitraire, et ce n'est pas une question d'impression des gens sur le sujet.

Avec toute votre expérience, tout ce que vous avez lu et toute la recherche que, manifestement, vous avez faite—et qui est impressionnante—vous devez bien avoir trouvé quelque chose qui permettrait d'atteindre un consensus et de s'entendre au sujet de ce qui constitue une gestion durable et valable des forêts. Il doit bien y avoir une solution quelque part.

Le président: Monsieur Kiekens, voulez-vous répondre à cela?

M. Jean-Pierre Kiekens: Je ne peux pas vraiment dire plus que ce que j'ai dit plus tôt.

Le président: Merci. Je présume que vous voudrez sûrement revenir à la charge, monsieur Schmidt.

Monsieur St. Denis.

M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'aimerais remercier monsieur Kiekens d'être ici. Nous avons entendu beaucoup d'excellents exposés, et je pense que celui-ci figure parmi les meilleurs que nous ayons eus sur le sujet. Je pense que le fait qu'il puisse admettre naturellement et franchement l'impossibilité dans laquelle il est de répondre à certaines des questions très pertinentes de Werner fait ressortir la nature très politique du processus de certification.

Si je comprends bien son rôle de surveillant professionnel et d'observateur de ces choses, le facteur basculant—si on veut utiliser une nouvelle terminologie pour indiquer le moment où un problème caché devient une question d'intérêt public—a été lorsqu'il est devenu possible d'obtenir des fonds publics pour promouvoir ses propres intérêts, comme dans le cas de la chasse au phoque. On y revient parce que je pense que c'est motivé par l'argent et la capacité de certaines de ces ONG de réunir des fonds.

J'en viens maintenant à mes questions, monsieur le président.

Une voix: Ce ne serait pas une mauvaise idée.

M. Brent St. Denis: Merci.

Il y a quelques réunions, j'ai posé une question à Elizabeth May, du Sierra Club. Je l'ai interrogée sur la pléthore, le nombre énorme de régimes de certification qui existent dans le monde. Vaut-il mieux avoir tout un tas de régimes, ou encore, à un moment donné, n'en prendre qu'un seul, qui soit en quelque sorte intégré?

Je dois avouer que sa réponse m'a surpris; elle a dit qu'il valait mieux avoir tout un tas de régimes différents. Il pourrait y avoir de bonnes raisons à cela, mais à mon avis, intuitivement, comme le suggère Werner, ce serait mieux d'en convenir à un moment donné—que ce soit à court, à moyen ou à long terme—d'un seul régime pour tous les pays forestiers du monde, les exploitants forestiers et les compagnies forestières.

C'est ma première question, et peut-être que j'en resterai là. Qu'en pensez-vous? Quelles sont les chances qu'un jour il n'y ait qu'une seule norme, et est-ce qu'en fait, ce serait préférable?

Merci, monsieur le président.

M. Jean-Pierre Kiekens: Les proposants du Forest Stewardship Council—le Sierra Club est en quelque sorte une exception—diraient généralement qu'il suffit d'une seule norme mondiale et d'un label unique pour ne pas confondre les consommateurs, etc. C'est ce qui a été largement soutenu. Les autres initiatives de certification et les organisations qui les soutiennent, que ce soit les propriétaires de forêts en Europe ou l'industrie au Canada, disent en fait qu'il faut une variété de normes pour éviter le monopole, etc. Je ne fais pour l'instant qu'observer la situation, mais la vérité est qu'il existe divers régimes et qu'ils ne vont pas disparaître d'un jour à l'autre. Il y en a de plus en plus. C'est cela la réalité.

C'est sûr qu'il y en a qui font tout pour qu'il y ait une reconnaissance mutuelle des divers régimes. L'un des plans qui est envisagé prévoit essentiellement que chaque pays aurait un régime national, et qu'il y aurait un système de reconnaissance mutuelle de tous ces régimes. Il y a même eu une tentative du ministre australien des Forêts, l'honorable M. Tuckey, qui a tenté de convaincre les gouvernements d'intervenir pour simplifier les choses et instituer des régimes comparables dans divers pays. On en discute, parce qu'un régime national doit avoir d'autres qualités, à part le fait d'être national, pour être concurrentiel sur le marché mondial. Ce sont les tendances actuelles, et elles ne s'estomperont pas de sitôt.

• 1145

Pensez aux groupes d'intérêt derrière ces divers régimes. Par exemple, en Europe, la plus grande partie du secteur forestier est contrôlée par des petits propriétaires forestiers. La certification forestière paneuropéenne est un régime qui a été créé par les petits propriétaires forestiers, donc c'est un groupe d'intérêts. La norme FSC, bien qu'elle se soit ouverte à l'industrie et aux groupes sociaux, était au départ en grande partie contrôlée par les groupes environnementaux, et l'est toujours. Puis il y a aussi la norme ISO, qui est plus axée sur l'industrie. Donc en un sens, c'est le reflet de la société, voyez-vous, ou du moins de certains segments de la société.

[Français]

Le président: Monsieur Lebel.

M. Ghislain Lebel (Chambly, BQ): Monsieur Kiekens, je suis moins spécialisé que mes collègues dans le domaine de la foresterie, mais j'ai visité, avec une délégation parlementaire, une exploitation forestière en Colombie-Britannique. Il s'agit de Lignum, à Williams Lake. J'ai trouvé cela absolument extraordinaire.

Vous savez que les Américains ont perdu le débat sur la surtaxe sur le bois d'oeuvre et, comme par enchantement, presque le lendemain du jugement final dans cette cause, les groupes environnementaux sont arrivés et nous ont menacés de nous boycotter. Dans le fond, est-ce que l'industrie du bois américaine ne nous impose pas une espèce de chantage tout simplement? Est-ce que ce n'est pas ça, le fond de l'histoire? Ils n'ont pas gagné en vertu des règles de l'ALENA, mais ils vont nous avoir avec l'environnement. Quelle que soit la norme à laquelle nous voudrons bien nous soumettre, nous serons toujours pris en défaut quelque part.

M. Jean-Pierre Kiekens: Je ne détiens pas tous les éléments d'information pour vous répondre, mais je peux vous dire qu'il y a une grande distinction à faire entre les sociétés qui distribuent le bois, par exemple Home Depot, etc., et l'industrie américaine. L'industrie américaine a elle-même de la difficulté à répondre à ces nouvelles exigences environnementales de Home Depot et consorts. Donc, il faut se rendre compte que l'industrie canadienne et l'industrie américaine du bois d'oeuvre ont certains éléments de cause commune face à la question de la certification.

M. Ghislain Lebel: Ma question était plus pointue. J'irais même jusqu'à soupçonner l'industrie du bois américaine de subventionner ou de financer les groupes écologistes américains. C'est ça, le fond de ma question. On dit que, puisqu'on ne peut pas nous avoir avec l'ALENA, on va nous avoir avec l'environnement. Est-ce que je vois juste ou si je suis dans le champ?

M. Jean-Pierre Kiekens: Je n'ai pas les éléments d'information pour répondre à cette question. Je pense qu'il y a pas mal d'information sur les sources de financement des groupes environnementalistes. En général, pour les questions de certification, ce sont largement des fondations privées de type Rockefeller Foundation et Metcalf Foundation. Je ne pense pas que vous trouverez des traces bien évidentes de financement, mais je peux me tromper. C'est un domaine qui est assez opaque. Il n'y a pas un vérificateur général pour cela.

M. Ghislain Lebel: C'est tout.

Le président: Merci.

Monsieur Provenzano.

[Traduction]

M. Carmen Provenzano (Sault Ste. Marie, Lib.): Merci, monsieur le président. J'ai beaucoup de questions à poser, alors j'essaierai d'éviter celles qui ont déjà reçu une réponse.

Vous avez demandé en quoi le public s'intéresse à la question. Je pense que nous aurions beaucoup de difficulté à répondre à cela maintenant. Je ne crois pas que nous puissions y donner une bonne réponse. Le problème est en partie dans le fait que les provinces et le gouvernement se partagent l'autorité en matière de foresterie.

• 1150

Vous avez mentionné quatre éléments, à la fin de votre exposé, qui je crois se rapportent en fait à tout cet exercice visant à nous défendre contre le genre d'attaques que les environnementalistes arrivent à lancer contre le marché forestier canadien. Je crois que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer là-dedans, pour repousser l'attaque. Je pense que les quatre éléments que vous avez mentionnés contribueront certainement à formuler une stratégie en ce sens.

Le gouvernement fédéral doit aussi avoir un rôle à jouer dans l'élaboration du processus de certification. À ce que je comprends, il y a en ce moment au Canada trois normes en voie d'élaboration. J'ai autant de difficulté à comprendre le rôle du gouvernement fédéral dans le développement de ce processus de certification que celle que j'éprouve à répondre à votre question sur l'intérêt public. Avons-nous un rôle à jouer? Le cas échéant, est-ce que nous nous en sommes acquittés jusqu'ici? L'avons-nous fait efficacement, si toutefois nous sommes de la partie? Dans la négative, que devons-nous faire pour être de la partie et aider l'industrie?

L'autorité du gouvernement fédéral dans ce domaine me semble essentiellement résiduelle: d'un côté il y a les aspects de l'industrie forestière canadienne qui sont attaqués, et de l'autre les domaines où il semble que le gouvernement fédéral ait réellement un rôle à jouer. Mais il ne me semble pas que nous nous acquittions de ce rôle, et j'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

M. Jean-Pierre Kiekens: C'est certainement une question difficile, et je vous encourage fortement à y réfléchir et à donner quelques conseils au gouvernement, ou peut-être même à envisager de légiférer. Il se pourrait que je fasse une observation qui ne semble pas très sérieuse, voyez-vous, mais c'est un domaine très obscur, alors peut-être vous faut-il une espèce de projet de loi sur la clarté pour y faire la lumière.

Il y a eu des exemples concrets d'intervention du gouvernement. Citons par exemple la Grande-Bretagne. Par l'entremise de sa commission de la foresterie, la Grande-Bretagne a dirigé de très longues réunions qui ont donné lieu au régime britannique d'assurance des forêts, le Woodland Assurance Scheme. C'est une espèce de régime de gestion des forêts. Maintenant, cela poserait certainement un problème au Canada, parce que les forêts relèvent de la compétence provinciale, mais peut-être pourriez-vous examiner ce genre d'expérience pour voir comment vous pourriez intervenir.

Récemment, le gouvernement de la Colombie-Britannique a pris la décision de recourir à un programme de microfinancements pour mener ce genre d'étude et un essai pilote des trois systèmes de certification: ISO, CSA et FSC. C'est l'argent des contribuables. Mais il y a plusieurs situations dont vous pourriez tirer des leçons pour formuler une politique. Je n'ai pas assez étudié le sujet pour faire la moindre recommandation.

M. Carmen Provenzano: J'ai une autre question à poser, monsieur le président. Est-ce que c'est d'accord?

J'ai eu le plaisir de pouvoir visiter quelques-unes des forêts de l'île de Vancouver. J'ai pu en apprendre un peu sur certaines des pratiques forestières de compagnies comme MacMillan Bloedel et Lignum, et il me semble que les méthodes qu'elles appliquent actuellement ne sont pas, en réalité, de bonnes pratiques de gestion forestière mais plutôt des pratiques de gestion de l'écosystème. Elles partent de ce qui vit dans le sol, puis elles conçoivent leurs plans de déboisement d'après toutes ces données exhaustives sur l'écosystème.

En fait, si on veut gérer l'écosystème et établir un système de certification, qu'est-ce qu'on peut faire de plus? Une fois qu'on adopte une pratique qui, en fait, relève de la gestion de l'écosystème, c'est bien plus que la forêt. C'est l'écosystème. Que voulez-vous faire de plus? C'est ce que je me demande. Nous différencions nos systèmes entre les programmes axés sur le rendement et ceux qui sont axés sur la gestion ou le système, mais je demande à quel moment on pense aux pratiques des grandes compagnies, qui en réalité sont aussi près des pratiques de gestion de l'écosystème que... Comment les caractériser et que faire à partir de là? Il me semble que nous avons établi une norme—et je pourrais très bien me tromper—pour nos pratiques qui correspondraient au système de certification le plus strict qui soit.

• 1155

M. Jean-Pierre Kiekens: Je crois qu'il y a, en plus, une question d'utilisation du terrain, qui est en jeu en Colombie- Britannique. Environ 12 p. 100 du territoire, je crois, est entièrement protégé, mais l'une des grandes revendications des groupes environnementaux de la Colombie-Britannique est qu'il faut augmenter de beaucoup ce pourcentage du territoire entièrement protégé, et cela signifierait évidemment empêcher le déboisement dans bien des secteurs où il est actuellement autorisé.

Si vous regardez les plans d'écoforesterie, il y a diverses approches, mais la Silva Forest Foundation de la Colombie- Britannique a conçu un de ces plans. Elle a mené certaines études et a conclu qu'il faut réduire le 70 à 80 p. 100 le déboisement, ce qui représente une réduction très importante.

Donc on ne s'entend pas vraiment sur ce qu'est l'écoforesterie, et il est probable que si les points de vue de ce genre de groupes devaient l'emporter, il y aurait de bien plus importantes réductions des activités de déboisement que ne l'imposent les lois actuelles.

M. Carmen Provenzano: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Monsieur Bélair.

[Français]

M. Réginald Bélair (Timmins—Baie-James, Lib.): Monsieur Kiekens, merci d'être parmi nous ce matin.

De toute évidence, vous êtes passablement versé dans la matière qui nous préoccupe. Je fais partie du Comité des ressources naturelles depuis 12 ans, depuis mon arrivée à la Chambre des communes. Il y a huit ou neuf ans, ce comité a recommandé la création d'un conseil des ministres des Ressources naturelles pancanadien pour étudier la certification et le développement durable. Du côté du développement durable, beaucoup d'efforts ont été faits et beaucoup d'améliorations ont été apportées, mais dans le cas de la certification, c'est une autre histoire. Force nous est de constater aujourd'hui que nous ne possédons même pas d'entente sur les critères nationaux de certification qui devraient régir nos normes. On peut même affirmer que les disparités provinciales, voire même régionales sont beaucoup trop grandes pour que nous puissions aller de l'avant. J'aimerais avoir un commentaire de votre part là-dessus.

Deuxièmement, si vous avez suivi le cheminement du Conseil des ministres, quelles sont vos recommandations additionnelles afin que nous arrivions d'abord à une certification nationale et que nous étendions ensuite notre vision au niveau mondial?

M. Jean-Pierre Kiekens: Je vais peut-être vous contredire légèrement. Le Canada a été très rapide à développer un système national de certification. Même avant que la norme ISO 14000 ne soit finalisée, les travaux ont eu lieu. C'est un premier point.

Deuxièmement, le Conseil canadien des ministres de forêts, le CCMF, a défini les critères et les indicateurs de gestion durable, qui ont été approuvés par toutes les provinces si je ne me trompe, et ce sont ces mêmes critères qui ont été intégrés dans le système canadien, le CSA. Le Canada est le seul pays au monde à avoir élaboré un système d'accréditation pour les certificateurs et pour les auditeurs en matière de certification forestière. Il a exploité à fond la structure existante en termes d'organismes de normalisation: le Standards Council of Canada, etc.

• 1200

C'est le seul pays au monde à avoir fait cela. Il n'y a aucun autre système aussi développé de par le monde. En principe, quand l'industrie canadienne a demandé au Standards Council of Canada et à CSA de développer un système de certification, l'idée était de réunir tout le monde à la table et d'arriver à un consensus que tout le monde admette afin que la certification ait lieu selon ce système. En pratique, ce consensus n'a apparemment pas eu lieu. Je ne connais pas les détails, car je n'étais pas encore au Canada à ce moment-là. Je n'ai pas suivi cela de près, mais aujourd'hui, on peut constater de manière claire que le standard existe selon toutes ces spécifications que vous avez mentionnées.

M. Réginald Bélair: Est-ce que les normes sont mises en vigueur, cependant?

M. Jean-Pierre Kiekens: C'est volontaire.

M. Réginald Bélair: Il existe une différence très marquée entre les provinces.

M. Jean-Pierre Kiekens: C'est un système volontaire. Actuellement, il y a deux sociétés de Colombie-Britannique qui ont décidé d'adopter ce système. Maintenant, il y a d'autres sociétés qui utilisent ISO 14001, en principe pour passer à l'étape suivante, qui est la certification CSA.

Donc, le Canada avait fait un travail unique dans un premier temps, mais il s'est fait rattraper et même dépasser par la Finlande et la Grande-Bretagne pour ce qui est des surfaces certifiées, premièrement, et de l'acceptation du système au niveau des marchés, deuxièmement.

M. Réginald Bélair: Ma deuxième question porte sur l'exploitation forestière dans les pays du tiers monde. Vous venez d'affirmer, et je suis en partie d'accord avec vous, que certains critères sont respectés au Canada.

Cependant, nous sommes toujours en concurrence avec les autres pays exportateurs de produits forestiers. Dans le tiers monde, les normes environnementales sont plutôt négligées; ces pays cherchent surtout à obtenir des dollars américains pour leur développement. Qu'est-ce que le Canada pourrait faire? Je pense au Brésil en particulier, à l'exploitation et à la destruction des forêts vierges au Brésil. Qu'est-ce que le Canada pourrait faire de plus pour convaincre les pays du tiers monde d'adopter des standards, peut-être pas aussi rigides que ceux du Canada, mais certains standards pour protéger les forêts?

M. Jean-Pierre Kiekens: C'est un domaine éminemment vaste. De manière paradoxale, si je vous rencontre aujourd'hui, c'est largement de par la problématique forestière tropicale. En 1988, l'Organisation internationale des bois tropicaux a fait l'objet d'un lobbying très sérieux de la part de groupes environnementalistes qui voulaient avoir un système de labels sur les bois tropicaux, et uniquement sur les bois tropicaux. Puis il y a eu une extension du dossier en 1992, avec le Sommet de la terre de Rio, et on a alors constaté la tendance prévisible, qui s'est tout à fait révélée. J'ai d'ailleurs écrit un article là-dessus dans le journal forestier de la FAO, Unasylva, en 1995. D'une part, les pays industrialisés seraient beaucoup plus à même de pratiquer la certification forestière que les pays en voie de développement et, deuxièmement, les grosses opérations forestières, avec les grandes surfaces, seraient bien plus à même de le faire. On se retrouve donc avec un paradoxe.

À l'origine, cette certification était largement conçue pour aider les pays en voie de développement, puis on a constaté que, finalement, cela devenait un problème commercial entre les États-Unis, l'Europe et le Canada. C'est une constatation. J'ai une certaine expérience dans le domaine forestier tropical.

Il n'y a quasiment aucune forêt certifiée dans le milieu tropical actuellement. Il y a des certifications passagères. Il y a eu plusieurs certifications passagères qui ont été octroyées, enlevées, etc. en Afrique. La certification est en général un aboutissement. Il faut un peu voir quelles sont les conditions de travail de beaucoup de sociétés.

• 1205

Vous avez parlé du Brésil. Là il y a quand même une exception et il pourrait être intéressant de porter cela à votre attention.

Au Brésil, vous avez l'Amazone, puis il y a le sud du Brésil, une zone qui a été déboisée il y a bien longtemps pour l'essentiel et où on fait de l'agriculture. Une des agricultures que l'on pratique au Brésil est celle de l'eucalyptus. Moi, j'appelle cela de l'agriculture. Avec l'eucalyptus, on fait de la pâte à papier. Il y a des sociétés américaines, mais aussi des intérêts canadiens qui veulent aller investir parce que les arbres poussent 10 fois plus vite là-bas. En tout cas, les eucalyptus poussent 10 fois plus vite que les arbres dans les forêts tempérées et boréales canadiennes. Donc, le Brésil va devenir un peu un concurrent. Ce sont des monocultures d'eucalyptus, et certains groupes environnementalistes n'aiment pas ça et disent que ce sont des déserts verts, mais ces monocultures d'eucalyptus reçoivent la certification ISO ou FSC assez aisément et font très concrètement concurrence aux exportations canadiennes.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Kiekens.

Je tiens à prévenir mes collègues que j'ai une question urgente à régler avec eux avant que nous perdions le quorum. Comme l'un de nos collègues doit partir très bientôt, je vais demander à M. Reed d'être le dernier intervenant.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): J'aimerais poursuivre sur ce que disait M. Bélair, au sujet du tiers monde. Est-ce que Greenpeace fait campagne en Chine? Et en Indonésie? Est-ce qu'ils font campagne à Papua Nouvelle-Guinée? Et en Ouganda? Et est-ce que Home Dépôt achète du teck?

M. Jean-Pierre Kiekens: Nous allons pouvoir voir comment cela se passe, d'après moi, avec l'Indonésie. Comme vous le savez, le problème de déforestation est assez grave en Indonésie, qui est aussi un grand exportateur de contreplaqué. Et comme Home Dépôt distribue du contreplaqué de l'Indonésie, nous verrons si c'est l'approvisionnement du Canada ou de l'Indonésie qui sera réduit.

Si vous voulez résoudre le problème de foresterie en Indonésie, c'est un pays en développement dont la population croît rapidement et dont la croissance économique potentielle est énorme et représente une part importante de la consommation intérieure, et les consommateurs indonésiens n'ont absolument aucun intérêt à vouloir appliquer le label vert. Les marchés ne poseront donc pas de problème aux produits forestiers qui ne sont pas certifiés. Par conséquent, si vous voulez résoudre les problèmes de déforestation en Indonésie, il faudra autre chose que la certification, c'est certain. Alors quoi que Home Dépôt fasse, cela ne changera pas beaucoup la situation. Mais c'est dans ce pays que se fera l'épreuve, c'est sûr, parce que s'il veut être cohérent, il doit appliquer les mêmes règles à tous les fournisseurs.

M. Julian Reed: La raison pour laquelle je dis cela est que je pense que certains d'entre nous, dont je suis évidemment, croient que les groupes de défense de l'environnement qui insistent sur ce problème choisissent les pays où il y a de l'argent à faire. Et pour exposer sur toute une page du journal Der Stern le problème de la coupe à blanc... les cartes et les lettres affluent. Pour moi, c'est de l'hypocrisie au premier degré. C'est pourquoi je demande, que font-ils dans ces autres pays? Est-ce qu'ils y sont aussi actifs? S'ils ne le sont pas, je craindrais fort que ce soit uniquement une activité qui fait recette.

Le président: Peut-être devrions-nous poser la question à ces organisations, monsieur Reed, et je crois d'ailleurs que nous essayons d'en joindre certaines. Cependant, la question est légitime, très valable, et je ne suis pas certain qu'on doive mettre M. Kiekens sur la sellette, même s'il connaît la réponse.

Monsieur Kiekens, nous vous remercions d'avoir partagé votre expérience avec nous. Comme vous pouvez le constater, cela en a largement valu la peine. Je suis seulement un peu déçu, et je m'en excuse, que nous devions couper court à ce dialogue. Je vous remercie néanmoins au nom de tous mes collègues d'être venu nous ouvrir les yeux sur ce problème, du moins sur cet aspect du problème. Merci beaucoup.

M. Jean-Pierre Kiekens: Vous êtes le bienvenu.

Le président: Je vais demander à mes collègues de bien vouloir rester encore un petit moment. J'aimerais régler deux ou trois petites questions courantes pendant que nous avons encore le quorum.

[La séance se poursuit à huis clos]