FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 12 juin 2018
[Énregistrement électronique]
[Traduction]
Bienvenue au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous accueillons une délégation de la Moldova.
J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à Son Excellence Tudor Ulianovschi, ministre des Affaires étrangères et de l'Intégration européenne de la République de Moldova. Le ministre est accompagné d'Igor Bodiu, chef de la division américaine du ministère des Affaires étrangères et de l'Intégration européenne. Il va sans dire que nous recevons aussi notre bonne amie, l'ambassadrice de la République de Moldova au Canada, Son Excellence Ala Beleavschi.
Soyez les bienvenus au Comité.
Monsieur le ministre, nous avons invité des ministres des Affaires étrangères et des dignitaires à comparaître devant le comité des affaires étrangères. C'est l'occasion de vous exprimer au nom de la Moldova pour faire connaître aux Canadiens vos priorités et les liens qui existent avec la nation canadienne.
Nous sommes ravis de vous accueillir.
Chers collègues, nous avons un horaire assez serré cet après-midi, car le ministre a d'autres engagements. Nous tenterons donc de procéder avec rigueur, dans la mesure des capacités de votre président. Évidemment, nous allons vous laisser du temps pour poser des questions.
Tout d'abord, nous donnons la parole au ministre pour sa déclaration préliminaire.
Monsieur le ministre, c'est à vous.
Monsieur le président, monsieur le vice-président et madame la vice-présidente, chers membres du Comité, mesdames et messieurs, c'est un véritable honneur pour moi que de prendre la parole aujourd'hui devant le comité des affaires étrangères, qui est très cher à tout ministre des Affaires étrangères.
D'abord et avant tout, permettez-moi d'exprimer ma profonde gratitude au président Robert Nault pour l'occasion qui m'est donnée d'être ici aujourd'hui ainsi que pour son engagement personnel dans le soutien des jeunes démocraties confrontées à de multiples défis dans leur quête d'une voie indépendante, exempte de coercition et de pression extérieures. Qui aurait cru que, 30 ans après avoir accédé à l'indépendance, certains de ces pays auraient encore à lutter pour leur intégrité territoriale, leur indépendance et leur souveraineté, et qu'au lieu de se concentrer sur les transformations économiques et l'édification de démocraties fonctionnelles, ils continueraient d'être exposés à de multiples menaces planant au-dessus de leur souveraineté, de leur indépendance et, surtout, de leur sécurité nationale? Je suis donc ravi d'être ici aujourd'hui pour vous faire part de certaines de mes réflexions au sujet de la sécurité dans notre région et des défis actuels auxquels est confronté mon pays, la République de Moldova.
Nous sommes tous témoins de la complexité des changements dans le monde contemporain. En matière de sécurité, le contexte actuel est remodelé par des transformations continues qui génèrent de nouveaux risques et de nouvelles menaces. Ces défis nous incitent à redéfinir notre conception traditionnelle de la sécurité. La planification de la sécurité doit intégrer de nouvelles façons d'aborder les menaces asymétriques et non conventionnelles qui rendent nécessaires de nouveaux types de solidarité internationale et régionale.
Calé entre la Roumanie et l'Ukraine, sis sur les basses terres de l'Europe du Sud-Est, mon pays était censé, du fait de sa position géographique, servir de pont entre l'ouest et l'est. Or, il y a 26 ou 27 ans, un conflit armé a éclaté dans la région orientale de la Moldova, à savoir la région de la Transnistrie de la République de Moldova, engendrant des menaces sérieuses à la sécurité nationale et régionale. Ces menaces ont été alimentées par l'éclosion quasi simultanée d'autres conflits dans la plupart des anciennes républiques soviétiques, dont le conflit en Ukraine est le plus récent exemple.
Aujourd'hui, la région de la Transnistrie abrite environ 1 400 soldats russes et plus de 20 000 tonnes de munitions, dont la plupart remontent à la Seconde Guerre mondiale. Le conflit et la présence militaire étrangère sur le territoire moldave ne cessent de créer des tensions qui engendrent le risque d'une escalade de la confrontation. La présence militaire étrangère constitue un obstacle sérieux au règlement pacifique du conflit et à l'intégrité territoriale de mon pays; elle contribue au maintien de la situation de conflit puisqu'elle incite les forces destructrices à continuer de promouvoir leurs plans sécessionnistes.
De plus, le conflit transnistrien continue de nuire au développement politique, économique et démocratique global de la Moldova. Dans ce contexte d'incertitude à l'égard de l'avenir du pays, plusieurs tranches importantes de la population expriment de la méfiance et doutent que les transformations démocratiques auxquelles elles aspirent se réalisent. En conséquence, la société est polarisée et beaucoup de gens quittent le pays.
Au cours des dernières années, le groupe opérationnel de la Fédération de Russie a intensifié ses exercices militaires, lesquels sont menés conjointement avec les forces paramilitaires de la Transnistrie, ce qui constitue une violation flagrante de l'accord de cessez-le-feu signé en 1992. En outre, la Fédération de Russie continue d'enrôler dans son armée des recrues de la population locale, en plus de mener une vaste campagne de distribution de passeports russes à la population de la région dans le but d'étendre en dehors de ses frontières le soi-disant « monde russe ».
Le gouvernement moldave n'a eu de cesse de demander le retrait inconditionnel et complet des troupes russes de son territoire, car leur présence n'est pas fondée sur un cadre juridique ou sur le consentement du pays hôte. Bien que la Fédération de Russie s'est engagée à plusieurs reprises à retirer ses troupes de la région et à respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Moldova, elle n'a cessé d'agir à l'encontre du bon sens.
C'est donc avec un plaisir tout particulier que, du haut de l'importante tribune qui m'est offerte, je me fais le porte-parole du sentiment de reconnaissance que mon gouvernement éprouve envers le Canada pour la solidarité dont votre pays fait preuve à l'égard des efforts déployés par la Moldova en faveur d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies qui, pour la première fois depuis l'indépendance de notre république, demandera le retrait complet et inconditionnel des forces militaires étrangères du territoire national moldave.
Le Canada est le tout premier pays du monde qui ait décidé de coparrainer notre résolution. Cette décision témoigne de la position claire et cohérente du Canada au sujet de l'importance du respect rigoureux des principes du droit international, de la Charte des Nations unies et d'un ordre mondial fondé sur des règles. Selon nous, cette décision revêt aussi un caractère symbolique. Entre la Moldova et le Canada, le dialogue politique s'est intensifié.
Aujourd'hui, nous sommes sur le point de franchir une autre étape importante dans notre coopération avec la signature de l'accord bilatéral sur la promotion et la protection des investissements en République de Moldova et au Canada et avec la déclaration commune sur le commerce et l'investissement progressistes et inclusifs. Voilà qui enverra un message clair au milieu des affaires de nos deux pays en ce qui a trait à l'ouverture et aux garanties de nos marchés pour une coopération mutuelle et bénéfique.
Il est important de maintenir notre engagement à l'égard du programme de réforme entrepris par la Moldova dans le cadre de l'accord d'association signé avec l'Union européenne en 2014. Le gouvernement moldave est bien conscient de l'importance des réformes nationales.
J'estime qu'il y a ici deux objectifs stratégiques essentiels. Le premier objectif consiste en une profonde modernisation du pays qui passe par l'adoption de valeurs démocratique, par la primauté du droit et par l'indépendance de la magistrature. Le second objectif consiste à encourager la libre entreprise, à soutenir les microentreprises et les petites et moyennes entreprises, à investir continuellement dans la formation, dans la recherche et le développement et dans l'éducation, qui sont les facteurs clés d'une croissance économique durable.
En même temps, il s'agit de ressouder les liens de confiance entre les deux rives du Dniester, en montrant à la population de la région de la Transnistrie de la République de Moldova les avantages d'une coopération plus étroite avec l'Europe, d'une orientation stratégique claire en matière de développement et d'une perspective d'intégration européenne pour le pays, afin d'obtenir les résultats dont la société a tant besoin.
Étant donné que les troupes russes sont stationnées dans la région de la Transnistrie, qui s'étend sur plus de 400 kilomètres le long de la frontière occidentale de l'Ukraine et de la Moldova, et que le conflit se poursuit dans la région orientale du Donbass en Ukraine, la sécurité et la stabilité de la Moldova et de l'Ukraine sont étroitement liées.
Il est donc primordial que les deux pays voisins travaillent en étroite collaboration afin de lutter plus efficacement contre ces menaces. Le gouvernement de la Moldova continue de soutenir l'Ukraine dans ses efforts pour surmonter la crise du Donbass et résoudre le problème de la Crimée par des moyens politiques et diplomatiques afin de rétablir la paix en Ukraine ainsi que la pleine souveraineté et l'intégrité territoriale de ce pays.
La République de Moldova a condamné l'annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et soutient les efforts de l'Ukraine pour résoudre le conflit séparatiste dans le Donbass en se fondant sur les accords de Minsk. Amorcé en juillet dernier, le contrôle conjoint du tronçon transnistrien du poste frontalier moldave-ukrainien constitue un bon exemple de cette coopération. Dans un avenir rapproché, nous avons l'intention de passer à l'étape finale qui consiste à prendre le contrôle de facto de la frontière commune.
Samedi dernier, les parlementaires de la Géorgie, de l'Ukraine et de la Moldova ont tenu une assemblée parlementaire commune. On en a appelé à une nouvelle plateforme unique pour unir nos forces afin de s'attaquer collectivement aux menaces communes à la sécurité nationale et régionale, ainsi que pour renforcer la coopération et faire progresser les programmes de réforme.
Grâce à la mise en oeuvre des accords d'association, ces trois pays — la Moldova, l'Ukraine et la Géorgie — aspirent à devenir membres à part entière de l'Union européenne. Comme dans le cas de la Géorgie et de l'Ukraine, la Moldova a déjà arrêté son choix stratégique: il s'agit de l'intégration européenne. Pour notre pays, ce n'est pas seulement une option; c'est une nécessité vitale. Nos pays traversent un moment important et même crucial — ce n'est pas trop dire — et nous espérons pouvoir compter sur la solidarité et l'appui de nos partenaires et de nos amis que sont l'Union européenne, le Canada et les États-Unis.
Nous accueillons donc très favorablement les récents signaux en provenance du Canada, qui s'est montré ouvert à envisager nos trois pays comme faisant partie d'un ensemble régional unique et à adopter, en conséquence, une approche régionale commune. Je tiens à vous assurer de l'engagement de mon gouvernement à participer très activement, avec vous, à cette importante entreprise.
Je m'arrête ici pour laisser du temps pour nos échanges.
Merci, monsieur le président
Merci beaucoup, monsieur le ministre. Bienvenue au Canada. Merci de votre présence au Comité. Je suis vice-président du Comité et ministre du cabinet fantôme du Parti conservateur pour les Affaires étrangères.
Fait intéressant, le Comité a reçu ce matin une délégation de l'Ukraine pour qui les défis, liés à l'agression de la Russie, sont les mêmes, à savoir: un conflit gelé et la nécessité de stabiliser les institutions démocratiques et de créer un environnement de libre entreprise. Cela dit, l'Ukraine a pour sa part clairement exprimé son désir de se joindre à l'OTAN.
Je sais que la Moldova fait partie du Conseil de coopération nord-atlantique, mais au cours des dernières années, vous avez déployé des troupes dans des missions dirigées par l'OTAN au Kosovo et ailleurs. Quels sont les plans de votre pays concernant l'adhésion à l'OTAN?
Merci beaucoup, monsieur le vice-président, d'avoir effectué un rapprochement entre la Moldova et l'Ukraine.
Selon notre constitution, la Moldova ne peut se joindre à une alliance militaire comme l'OTAN. Cependant, il existe une excellente coopération entre la République de Moldova et l'OTAN. Il y a un an et demi, nous avons ouvert un premier bureau de liaison de l'OTAN à Chisinau, la capitale de la République de Moldova.
Même si la création d'un bureau de liaison de l'OTAN dans un pays neutre a suscité un débat politique, cette initiative a reçu un soutien très ferme de la part de mon ministère ainsi que du gouvernement et du premier ministre de la République de Moldova. À l'heure actuelle, il n'y a plus de débats. On ne peut que se réjouir de l'aspect très positif de cette activité de coopération extraordinaire ainsi que de la sensibilisation et des possibilités d'élargissement qui en découlent.
Comme vous l'avez mentionné, monsieur le vice-président, la République de Moldova participe activement aux opérations de maintien de la paix. Le ministère de la Défense comprend un bataillon spécial, le 22e bataillon, pour les opérations de maintien de la paix. Je signale au passage que ce bataillon est formé d'hommes et de femmes. Je crois fermement en la nécessité d'établir un équilibre entre les sexes, y compris dans les opérations de maintien de la paix.
Nous avons exprimé notre intérêt à participer à d'autres opérations de maintien de la paix. Je crois que la prochaine opération aura lieu au Mali. J'ai eu de longues conversations avec notre ministre de la Défense en vue d'une participation à cette opération.
En ce qui concerne l'OTAN et ses États membres, le ministère de la Défense de la République de Moldova a pour priorité de renforcer la capacité de l'armée de la République de Moldova afin qu'elle soit davantage spécialisée et parfaitement adaptée aux normes de l'OTAN. C'est pourquoi, lors de la récente visite du ministre de la Défense de la Roumanie, pays voisin de la République de Moldova et membre de l'OTAN, il a été décidé que les troupes moldaves feraient partie d'un bataillon binational moldave-roumain dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. L'objectif est d'accroître les normes opérationnelles et d'intégrer la préparation des instructions permanentes d'opérations de l'armée moldave.
Par ailleurs, les actions suivantes sont également des priorités: renforcer la capacité de l'armée moldave en matière de cybersécurité et travailler avec des centres d'excellence en Italie et aussi à Riga, si je ne m'abuse. L'objectif est de pouvoir répondre aux nouvelles menaces et aux nouveaux défis en matière de sécurité en maîtrisant notamment certains aspects des techniques de guerre hybride, ce qui comprend la cybersécurité. La Moldova est exposée à de telles menaces puisqu'elle fait partie du palmarès des 10 ou 12 pays les plus avancés du monde en matière de vitesse et d'utilisation de l'Internet. Nous devons maîtriser ces aspects techniques afin de prévenir les cyberattaques.
J'ai trouvé votre réponse au sujet de la neutralité constitutionnelle très intéressante, monsieur le ministre, et je vous en remercie.
Lorsque vous déployez le 22e bataillon dans le contexte d'une mission de l'OTAN, c'est que des votes à l'Assemblée nationale de Moldova ont autorisé l'intervention des troupes, je suppose. S'il s'agit d'une mission dirigée par l'OTAN et que votre pays est neutre, comment conciliez-vous vos exigences constitutionnelles et le rôle du Parlement en matière de supervision de la défense?
Le Parlement de la Moldova appuie la participation des troupes moldaves aux opérations de maintien de la paix dans le cadre d'actions non militaires. Le Parlement et les comités concernés soutiennent donc sans réserve le ministère de la Défense. Nous n'avons exprimé aucun désaccord au sujet de la neutralité moldave. Nous ne pensons pas que cela entre en contradiction avec la neutralité. Au contraire, la capacité de l'armée moldave s'en trouve renforcée.
Oui, merci.
Merci beaucoup, monsieur le ministre, de votre présence ici. Je souhaite de nouveau la bienvenue à l'ambassadeur, qui connaît bien notre Parlement.
Depuis l'accession de votre pays à l'indépendance, la communauté internationale, dont fait partie le Canada, a fourni une aide technique dans votre transition vers la démocratie. En 2014, le Canada a envoyé 20 observateurs électoraux par l'entremise de l'OSCE. Nous avons également fourni une expertise en matière de reddition de comptes budgétaires, entre autres. Pour tout dire, la transition démocratique de la Moldova est plutôt impressionnante.
J'ai une question pour vous. Nous revenons tout juste de la période des questions à la Chambre des communes. Notre premier ministre a répondu à toutes les questions des chefs de partis. Plus précisément, le mercredi, il répond à toutes les questions au cours d'une période de questions réservée au premier ministre. Envisage-t-on de procéder de la même manière au Parlement moldave?
Chaque semaine, il y a une heure réservée au gouvernement. Selon les demandes des députés et selon les sujets abordés, certains ministres viendront et, au besoin, le premier ministre se présentera aussi. Récemment, par exemple, à la suite de la réunion du 3 mai du Conseil d'association UE-Moldavie, le premier ministre a été invité par un groupe parlementaire à faire rapport des décisions et du suivi de cette réunion.
Nous connaissons bien cette pratique, qui est d'usage en Moldova.
Monsieur le ministre, c'est un immense plaisir de vous voir et de vous accueillir au Canada pour parler de la Moldova. C'est fantastique.
Aujourd'hui, on parle beaucoup de guerre hybride. Nous sommes bien conscients que, pour l'Alliance de l'Atlantique Nord, la Russie représente la plus grande menace.
Vous traversez cette situation depuis plus d'un quart de siècle. D'une certaine façon, votre pays formait un terrain d'essai pour les exploits futurs du Kremlin. Il est stupéfiant que vous ayez survécu. Je crois parler au nom de tous lorsque je vous félicite d'avoir réussi à maintenir la démocratie, la primauté du droit et la libre entreprise dans votre pays, malgré toutes les difficultés. Il y a des lacunes, bien sûr, mais lorsque l'on compare la situation en Moldova à celle qui prévaut actuellement en Transnistrie, la Moldova possède des valeurs démocratiques, tandis que la Transnistrie est un État-gangster. En Moldova, il y a la primauté du droit, tandis qu'en Transnistrie, la magistrature est utilisée comme arme de répression.
Vous avez parlé de l'entrepreneuriat en Moldova. La Transnistrie est un trou noir en Europe du fait des activités qui y ont cours: le blanchiment d'argent par les banques, le trafic de stupéfiants en Europe, le trafic d'armes et, pire encore, le trafic sexuel, la traite des personnes.
Comment peut-on renforcer les frontières autour de la Moldova — vous avez abordé cette question — et consolider les différents secteurs afin d'empêcher le blanchiment d'argent dans cet État-gangster?
Merci d’avoir exprimé votre point de vue.
La région de la Transnistrie fait partie de la République de Moldova parce que la Moldova est un État souverain unitaire. Aucun pays au monde ne reconnaît l’État ou l’indépendance de cette région sécessionniste. Au contraire, nous avons maintenant une excellente collaboration avec la police frontalière ukrainienne, la communauté du renseignement et nos collègues qui travaillent dans le domaine de l’application de la loi en vue de renforcer le plein contrôle de toute la frontière entre la République de Moldova et l’Ukraine, ce qui comprend les 440 kilomètres de la frontière de la région de la Transnistrie avec l’Ukraine.
Nous avons mis sur pied la mission de l’Union européenne d'assistance à la frontière ou EUBAM, à laquelle participent également des agents canadiens, j’en suis sûr. Le Canada a fourni de l’aide à la Moldova sur le plan de la sécurité frontalière, de la police frontalière, en faisant appel à d’anciens gardes-frontières. J’encouragerais davantage d’aide technique pour l’équipement ou le matériel technique, mais aussi la formation de la police frontalière pour assurer la sécurité et la transparence de la frontière entre la Moldova et l’Ukraine.
Vous avez parlé de la traite des personnes. Je suis président du Comité national de lutte contre la traite des personnes. C’est une priorité absolue pour nous. Pour empêcher cela, il nous faut avoir le plein contrôle de nos frontières. Une aide ciblée pour le contrôle frontalier est extrêmement importante.
La région moldave de la Transnistrie bénéficie de tous les accords internationaux auxquels le gouvernement moldave participe. Par exemple, concernant l’intégration à l’Union européenne, on a un accord de libre-échange approfondi et complet et l'exemption de visa. Ces avantages et le libre-échange sont automatiquement offerts aux entreprises en Transnistrie. Aujourd’hui, 78 % des entreprises de la région exportent vers l’Union européenne. C’est la puissance douce; il s’agit d’ouvrir les frontières et de faire comprendre aux gens et aux entreprises de cette région qu’ils sont mieux dans la Moldova unie et qu’ils tireront des avantages économiques, sociaux et démocratiques en faisant partie de la Moldova et en s'ouvrant à l’Europe et l’Occident également.
Vous avez parlé de guerre hybride. En effet, on a survécu et on est devenu plus fort, je pense, du moins mentalement et sur le plan de la maturité, en étant pleinement conscients du fait qu’il y a de l’ingérence étrangère dans nos élections, dans nos médias, dans nos médias sociaux et dans d’autres domaines également. On est prêt à discuter avec d’autres collègues de l’Ouest et à partager les leçons apprises parce que, malheureusement, on a été exposé à cela. À l’heure actuelle, on a également besoin de soutien pour être en mesure de relever les nouveaux défis de la cybersécurité et de la cyberguerre, car cela nécessite également de nouvelles technologies.
[Français]
Il n'y a aucun problème.
Je vous remercie de nous consacrer du temps cet après-midi.
Votre témoignage est vraiment très intéressant, et je suis certaine que tout le Comité peut en profiter.
J'ai moi aussi une question de parlementaire.
Comment la population de la Transnistrie est-elle représentée au Parlement moldave?
C'est une question qui est très claire.
[Traduction]
Jusqu’à présent, la région de Transnistrie de la République de Moldova n’avait pas de députés représentant spécifiquement cette région. À la fin de cette année, il y aura des élections parlementaires. Pour la première fois de notre histoire, on a adopté un nouveau code électoral avec un système mixte.
[Français]
[Traduction]
Quarante-neuf pour cent seront des listes de parti et 51 % seront des votes de circonscription. Pour la première fois, on a deux nouveaux éléments.
Premièrement, la Transnistrie élira trois députés pour représenter les intérêts de la région. On souhaite les encourager à débattre des enjeux, mais aussi les aider à participer à la vie publique.
Deuxièmement, pour la première fois, on aura trois sièges au Parlement pour la diaspora moldave à l’étranger. C’est une nouveauté pour la Moldova. De même, l’Amérique du Nord aura un député au Parlement moldave. C’est quelque chose que l'on fera aussi.
Pour répondre rapidement au sujet de la loi et du Parlement, je n’ai pas mentionné que l'on a adopté cette année une loi anti-propagande en Moldova comme moyen de se protéger. J’avais oublié, mais je tiens à le souligner.
Rapidement, pour répondre à votre question, non, jusqu’à maintenant, on n’avait pas de députés de la région, même si certains de nos députés étaient nés là-bas et connaissaient les enjeux. On aura maintenant pour la première fois des élections qui permettront à la Transnistrie d'être représentée.
[Français]
Je pense que le Canada pourrait peut-être apprendre de vous, de votre système d'élection mixte et de la rapidité de votre service Internet. Nous pourrons faire des échanges.
Vous avez mentionné également le désir de la Moldavie de devenir membre de l'Union européenne.
Quelles sont les étapes qu'il vous reste à accomplir? Comment entrevoyez-vous la démarche qui est nécessaire pour en devenir membre à part entière?
Merci.
Je vous remercie aussi.
[Traduction]
Manifestement, la principale priorité de la République de Moldova en matière de politique étrangère est l’adhésion à l’Union européenne.
Deuxièmement, je ne pense pas qu’il convienne de parler de lassitude de l’UE à l’égard de l’élargissement, parce que les rapports entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux évoluent positivement. On constate que Bruxelles et tous les États membres de l’UE envoient des signaux très clairs aux Balkans occidentaux pour leur donner une perspective d’intégration claire, avec des dates butoirs et des échéanciers.
Pour la République de Moldova, je serai diplomate et éviterai de répondre trop concrètement à votre question parce que, bien sûr, je suis clairement pro-occidental et pro-européen. J’aurais aimé que mon pays adhère hier, comme on dit, mais on n'est pas encore prêt. On doit préparer le pays par des réformes internes, consolider la démocratie et mettre en oeuvre l’accord d’association avec l’Union européenne, qui est une feuille de route pour préparer la Moldova à devenir admissible. J’aimerais toutefois dire ceci en réponse à votre question. En tant que pays qui a un accord d’association, un accord de libre-échange et un accord de régime sans visa, on souhaite que l’Union européenne offre à la Moldova, l’Ukraine et la Géorgie une perspective claire d’intégration. C’est ce que j’aimerais obtenir. On va se battre pour l'obtenir, pour que l’Union européenne ouvre la fenêtre. Après quoi on pourra se hisser et entrer par la fenêtre.
Merci, madame Laverdière.
On va prendre une minute pour entendre Ivan Krulko, coprésident du Groupe d’amitié parlementaire Ukraine-Canada, qui a une déclaration à faire et des commentaires à faire au sujet de la relation avec la Moldova.
Ivan.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, c’est un plaisir pour moi d’être ici et d’avoir l’occasion de renouer le dialogue avec vous.
Monsieur le ministre, c’est un plaisir pour moi d’être ici avec vous.
Il s’agit de la première visite du groupe d’amitié canado-ukrainien au Parlement du Canada.
Bien sûr, nous sommes voisins, l’Ukraine et la Moldova, et on comprend très bien que la Russie est non seulement un problème pour l’Ukraine ou pour la Moldova, mais aussi un problème mondial. Le conflit dans le Donbass et l’agression russe en Crimée confirment la politique d’agression de la Russie au plan régional. La Moldova ne peut contrôler une partie de son territoire en Transnistrie en raison des forces militaires russes à l’intérieur du territoire de la Moldova. C’est la réalité.
On entretient de bonnes relations avec la Moldova, et l’Ukraine appuie la Moldova dans le rétablissement de son intégrité territoriale. Nous sommes ensemble dans un partenariat oriental avec l’Union européenne, et nous sommes ensemble dans l’organisation internationale à vocation régionale dite GUAM, qui comprend la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldova dont le siège se trouve à Kiev, en Ukraine.
Bien sûr, j’aimerais informer le Comité que l’an dernier, à Kiev, on a établi une nouvelle organisation interparlementaire entre nos parlements. Cette organisation qui s’appelle l’Assemblée interparlementaire de l’Ukraine, de la Moldova et de la Géorgie, sera un excellent tremplin de développement de nos relations parlementaires.
Merci de votre coopération, et espérons que la Moldova rétablira son intégrité territoriale et l’Ukraine également.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur Krulko, de cette déclaration.
Chers collègues, si je comprends bien, le ministre a un engagement très important avec le ministre Champagne, alors, monsieur le ministre, on vous donnera quelques minutes pour conclure, si vous le voulez, pour dire quelques mots au Comité. Ensuite, on vous libérera pour cette cérémonie d’engagement et de signature avec notre gouvernement, jugée de la plus haute importance.
Je vous redonne la parole.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie infiniment vos collègues de leur intérêt et de leur appui.
Intérêt signifie compréhension, et compréhension signifie soutien. Il est extrêmement important d’avoir ce soutien parce que, effectivement, la région fait face aux mêmes défis et aux mêmes menaces, mais elle a aussi les mêmes aspirations. Ces aspirations devraient être soutenues non seulement par un soutien très clair sur le terrain, mais aussi par un soutien politique se manifestant par l'envoi au monde des bons signaux par l’entremise de diverses organisations internationales. Le Canada a été et restera je suis sûr, un chef de file qui encouragera d’autres pays à se prononcer en faveur de nos pays et de tous les principes de droit.
La République de Moldova collabore très bien avec le Canada. La collaboration est excellente, je dirais. Notre coopération bilatérale n'a jamais été aussi bonne. En témoigne le fait que j’ai aujourd’hui l’honneur de signer l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers; l’APIE, renforcera cette coopération, surtout sur le plan économique, et offrira garanties et débouchés aux entreprises canadiennes désireuses d'investir en Moldova et dans la région. On doit nouer des liens au plan politique, économique et interpersonnel. Je pense que c’est seulement ensemble que nous réussirons.
Je vous félicite d’être venus et d’avoir repris le flambeau que l'on vous tend en toute humilité. Je suis sûr que notre avenir sera un avenir sans troupes étrangères et mouvements sécessionnistes, avec des pays qui jouissent pleinement de leur espace territorial et de leur souveraineté, et qui sont vraiment indépendants et capables de résister à toute ingérence étrangère et, honnêtement, mais directement, de promouvoir leurs propres décisions quant aux modalités de leur développement et à leurs priorités en matière de politique étrangère.
Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de témoigner. Je suis impatient de poursuivre la coopération et la discussion.
Je vous remercie, monsieur le président, de votre contribution et de votre appui personnels et, bien sûr, j’invite Votre Excellence, les vice-présidents et leurs collègues à venir en République de Moldova. Nous avons un parlement très dynamique et un groupe d’amitié très dynamique qui est également prêt à entreprendre une visite peut-être cet automne à Ottawa, mais je pense aussi que ces visites devraient être réciproques.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur le ministre. Ce fut un honneur de vous accueillir. Je suis impatient de poursuivre le dialogue et de saisir les occasions. Nous sommes ravis de votre annonce d’aujourd’hui avec le ministre Champagne et nous avons hâte que vous deveniez membre de l'AECG à un moment donné au cours de la deuxième ronde. C’est ainsi que les choses devraient se passer lorsque vous entrez dans l'Union européenne. Merci au nom du Comité et bonne chance. Nous espérons faire un arrêt en Moldova à un moment donné lorsque nous nous rendrons en Ukraine.
Comme Borys le dit toujours, il n’y a aucune raison de ne pas être en Moldova.
Nous avons hâte d’en discuter davantage en comité.
On pourrait faire ça aussi.
Chers collègues, on va faire une pause et permettre au ministre de se rendre à l’événement.
Merci de cet exposé.
Chers collègues, nous reprenons nos travaux, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, pour la réunion avec la délégation du Tibet.
Nous avons devant nous la délégation complète.
Monsieur Sangay, bienvenue au Comité. On va, je pense, demander à tous vos collègues de se présenter, ou vous pouvez les présenter, aux fins du compte rendu. On vous donnera ensuite la parole pour votre déclaration préliminaire. Mes collègues vous poseront ensuite des questions, à vous et à votre délégation.
Bien sûr, je ferai les présentations.
[Le témoin s’exprime en tibétain.]
Il me semblait important que je dise quelques mots en tibétain, puisque je représente l’administration centrale tibétaine et que je reflète les aspirations de 6 millions de Tibétains.
C’est un honneur et un privilège d’être ici devant ce Comité. Je pense aussi qu’il est important et nécessaire d’avoir une voix réelle ici, après la récente audience de la délégation dite de la Région autonome du Tibet devant ce comité.
Aujourd’hui, j’aimerais dire que cette délégation reflète et représente vraiment les aspirations de six millions de Tibétains. En partant de la droite, ou dans le sens horaire, comme le font habituellement les Tibétains, nous avons Namgyal Dolkar, Migyur Dorjee, Pema Chagzoetsang, Dhondup Tashi et Van Tenpa Yarphel.
Ils représentent le Parlement tibétain en exil; Ngodup Tsering représente Sa Sainteté le Dalaï-Lama et représente l’Amérique du Nord pour l’administration centrale tibétaine. Il est basé à Washington, D.C. Comme vous pouvez le voir, on a dans cette salle des représentants élus du Parlement tibétain en exil et un représentant de Sa Sainteté le Dalaï-Lama.
Premièrement, en ce qui concerne la délégation précédente dite de la Région autonome du Tibet, elle ne représente qu’une partie du Tibet traditionnel. Le Tibet traditionnel comprend Ü-Tsang, Kham et Amdo, trois provinces, et couvre une surface d’environ 2,5 millions de kilomètres carrés, soit un territoire aussi grand que le Texas et la Californie combinés, si l'on se rapporte au contexte nord-américain, ou aussi grand que les pays d’Europe de l’Ouest.
Deuxièmement, l'envoi par la Chine d'une délégation tibétaine n’a rien de nouveau, car le gouvernement chinois a toujours eu pour stratégie d'interposer l’écran de fumée de telles délégations face aux graves violations des droits de la personne qui se produisent au Tibet. Dans le fond, on a affaire à des maîtres coloniaux qui forcent quelques perroquets autochtones à répéter leur propagande.
La nouveauté, c’est que la communauté mondiale gobe la propagande de la Chine, soit pour apaiser Beijing, soit qu'elle vende ses principes en échange de gains économiques à court terme. Il est donc encourageant et rafraîchissant de voir que le Comité est si courageux et moral en m’invitant à parler de ce qui se passe réellement au Tibet. Je dois dire que vous défendez tous les vraies valeurs canadiennes, et nous vous en sommes très reconnaissants.
Pour comprendre la Chine, il faut avoir le son de cloche tibétain, c'est dans ce contexte que s'inscrit ma présentation. Si vous ne comprenez pas le côté tibétain de cette histoire, vous ne comprendrez pas pleinement la Chine. On parle beaucoup, par exemple, de One belt, One Road. Une soixantaine de pays y ont souscrit. On a beaucoup écrit sur ses avantages et ses inconvénients, mais pour les Tibétains, One Belt, One Road nous rappelle un cauchemar, en ce sens que c'est une route qui a conduit à l’occupation du Tibet.
Dans les années 1950, le gouvernement communiste chinois promettait la paix et la prospérité aux Tibétains, si seulement les Tibétains les aidaient à construire une route reliant la Chine au Tibet. C’est ce que les Tibétains ont fait. En fait, il y a eu une chanson dans les années 1950 et 1960 qui disait que la Chine communiste est comme des parents, qu’ils vous donnent des pièces d’or et d’argent, si vous travaillez pour eux. Les Tibétains ont effectivement reçu des pièces d’argent pour construire cette route reliant la Chine au Tibet. Une fois la route terminée, sont arrivés des camions, des canons et des chars; le Tibet se retrouvait occupé. Depuis, la ligne de chemin de fer et les aéroports sont venus renforcer et affirmer l’occupation et le statut colonial de la région tibétaine.
Comme vous le savez peut-être, 36 ambassadeurs de pays européens se sont opposés à l’initiative une ceinture, une route en raison du manque de transparence dans l'attribution des contrats de mise en oeuvre.
La délégation chinoise a dit essentiellement que le Tibet est libre et que les Tibétains jouissent de la liberté. Je signale ici que Freedom House publie un rapport chaque année, un indice de liberté. Selon le rapport de 2016 et 2017, le Tibet est la région la moins libre après la Syrie. Tout le monde connaît la Syrie, et je sais qu’au Canada, c’est aussi l’une des questions dont on parle le plus, mais combien de Canadiens savent que le Tibet est la région la moins libre après la Syrie? De plus, depuis 2009, 152 Tibétains se sont immolés. Immolés par le feu.
Qu’est-ce qui oblige 152 Tibétains à s’immoler par le feu? C’est un acte de désespoir et de détermination revendiquant la liberté du peuple tibétain et le retour de Sa Sainteté le Dalaï-Lama au Tibet. C’est à cela qu'ils aspirent, mais rares sont ceux qui connaissent ces faits. Pourquoi? Comme vous le savez, Reporters sans frontières, une importante ONG internationale basée à Paris, a publié une déclaration fondée sur des reportages de journalistes à Beijing. Ils ont conclu que, pour les journalistes, il est plus difficile d’accéder au Tibet qu'à la Corée du Nord. Maintenant, avec la récente rencontre et la signature d’un accord entre le président Trump et Kim Jong-un, tout le monde connaît la Corée du Nord, mais combien sont au courant de la situation au Tibet? Pas beaucoup. Pourquoi? Parce que les journalistes ne peuvent pas aller au Tibet.
La récente délégation a également dit que le Tibet est libre et que les députés et les représentants du gouvernement du Canada pourraient s'y rendre pour voir par eux-mêmes, mais je dois vous dire que même les diplomates canadiens à Beijing ont beaucoup de difficulté à s'y rendre et qu'il est encore plus difficile de le faire sans aucune restriction ou sans être accompagnés à chaque visite par des représentants chinois qui décident qui ils peuvent ou ne peuvent pas voir.
Telles sont les réalités de la situation au Tibet. La pire après celle de la Syrie, et l’accès au Tibet est plus difficile qu’à la Corée du Nord. Dans un contexte plus large, sur le plan politique ou idéologique, on est face à un choix et le Canada aussi, je pense. Et ce choix c'est que, soit vous transformez la Chine pour qu’elle ressemble davantage à une démocratie libérale, comme la vôtre, soit la Chine vous transformera. La Chine transforme déjà de nombreux pays dans le monde. Je me rends dans diverses capitales du monde, et le consensus est que soit vous essayez de changer la Chine, soit la Chine vous transformera.
Il y a beaucoup d’autocensure, y compris dans les pays européens. Beaucoup d’ingérence dans la politique intérieure de nombreux pays. Voyez le débat en Australie, en Amérique et en Allemagne, ce ne sont pas seulement les investissements commerciaux que font les entreprises et les hommes d’affaires chinois; ils sont maintenant dans le milieu universitaire et en politique. Ainsi, dans une université australienne, plusieurs professeurs australiens ont mentionné Taïwan, le Tibet et la place Tiananmen. Les étudiants chinois forment le plus grand groupe d’étudiants étrangers en Australie, et certains d’entre eux se sont plaints de ces professeurs. Qu’a fait l’université? L’université les a virés.
Maintenant, l'interférence de la Chine est très présente dans le monde universitaire également, malgré le fait que la liberté de l'enseignement est ce que nous chérissons le plus. Son influence et sa pénétration dans le monde universitaire sont également très claires. Qu'est-ce que cela signifie? Dans un contexte plus large, comme je l'ai dit, soit vous transformez la Chine, soit la Chine vous transforme. Xi Jinping a été très clair lors du 19e congrès du parti. La pensée du Xi Jinping correspond à du socialisme aux caractéristiques chinoises, c'est-à-dire un régime à parti unique, aucune liberté d'expression, pas de démocratie. Voilà la contribution de la Chine à la tribune internationale. Ou bien nous devons l'accepter, ou bien nous devons la repousser et disons que la démocratie libérale est ce que nous chérissons et que le gouvernement de la Chine devrait également suivre cette direction.
Le deuxième point, également sur le plan environnemental, c'est que le président de la Chine, Xi Jinping, et le gouvernement de la Chine font toute une histoire dans les manchettes du monde entier en disant qu'ils veulent être des chefs de file mondiaux en matière environnementale. Si vous examinez le bilan du gouvernement chinois ou ses actions au Tibet, vous constatez que les résultats sont désastreux. Par exemple, le Tibet compte environ 123 types de minéraux — or, cuivre, uranium, etc. — et tous sont exploités sans aucun souci pour la culture locale, l'environnement local et la population locale. Par exemple, certains estiment que 75 % du lithium en Chine provient du Tibet. Certains disent que 90 % des terres rares en Chine et ailleurs dans le monde proviennent de la Mongolie intérieure.
Maintenant, je pense que si vous possédez un téléphone intelligent fabriqué en Chine, vous saurez qu'il est très bon marché parce qu'il utilise du lithium tibétain. L'extraction du lithium est très compliquée, parce qu'il faut utiliser beaucoup de chaleur pour l'extraire des roches, mais ce processus pollue le sol, l'eau, l'air. Les Tibétains locaux ne sont pas payés. Ce faisant, la terre, l'eau et l'air du Tibet sont pollués. Lorsque les Chinois obtiennent du lithium à un prix aussi bas, sans rien payer aux Tibétains, et qu'ils l'utilisent dans des piles, des téléphones intelligents et d'autres gadgets, c'est ce qui fait en sorte que le produit chinois est très bon marché. De même, ils ne paient pas grand-chose aux habitants de la Mongolie intérieure lorsqu'ils extraient des terres rares. Voilà pourquoi les produits chinois sont si bon marché.
Sur le plan environnemental, le Tibet est le château d'eau de l'Asie. Dix grands fleuves et rivières coulent du Tibet. Vous pouvez nommer n'importe lequel des principaux cours d'eau: Indus ou Sutlej pour l'Inde et le Pakistan, Brahmapoutre pour l'Inde et le Bangladesh, Salouen, Irrawaddy et Mékong. Tous les pays asiatiques tirent leur subsistance du Tibet. Le fleuve Yangtzé, le fleuve Jaune, le berceau de la civilisation chinoise, coule en provenance du Tibet. Le Tibet est le château d'eau de 1,4 milliard de personnes — voilà son importance.
Nous partageons gratuitement l'eau avec tous nos voisins. De nos jours, nous devons payer pour acheter l'eau dans le monde, ce qui nous fait dire que nous avons été très généreux. Malheureusement, le gouvernement chinois est assis sur le château d'eau de l'Asie et en contrôle le débit.
Le Tibet compte actuellement 42 000 grands glaciers, mais de nombreux scientifiques ont conclu qu'au cours des 70 à 80 dernières années, 50 % des glaciers ont fondu et ont disparu. De plus, selon la NASA, d'ici 2100, 75 % des glaciers restants fondront et disparaîtront. Si ces glaciers devaient disparaître, qu'arrivera-t-il au château d'eau de l'Asie? Qu'arrivera-t-il à 1,4 milliard de personnes qui dépendent de l'eau douce qui provient du Tibet?
Ce n'est pas tout. Sous les glaciers tibétains ou le plateau tibétain, comme au Canada, il y a le pergélisol. Sous le pergélisol, il y a du dioxyde de carbone et du méthane, environ 10 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Avec le réchauffement de la planète et l'industrialisation du plateau tibétain, avec l'abattage des arbres et toute la population chinoise qui se déplace des régions du Tibet, le pergélisol fond. S'il doit fondre, ce qui représente 70 % du plateau tibétain, et si les 10 millions de tonnes de dioxyde de carbone sont libérées, alors je pense que le réchauffement planétaire tel que nous le connaissons sera très différent. Si 10 millions de tonnes de méthane sont libérées, ce qui est 30 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, alors même si tous les Canadiens commençaient à marcher au lieu de conduire, cela n'aiderait en rien le réchauffement de la planète.
Les conséquences sont désastreuses pour le monde entier. D'un point de vue environnemental, le Tibet est un enjeu majeur pour seulement six millions de Tibétains, pas seulement pour l'Asie, mais aussi pour le Canada. En fait, des scientifiques au Québec ont dit que l'hiver au Canada, s'il est chaud ou froid, dépend des changements climatiques qui surviennent dans le plateau tibétain, parce que le courant jet au-dessus du Tibet influe sur les climats en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et jusqu'en Afrique. Par conséquent, comme nous manquons de temps, j'aimerais simplement dire que, du point de vue idéologique ou politique, environnemental et historique, le Tibet est un enjeu majeur pour le reste du monde.
Permettez-moi de conclure en disant que ce que nous demandons est aussi très raisonnable. Ce que nous recherchons, c'est un appui pour l'approche de la voie du milieu, c'est-à-dire la politique envisagée par Sa Sainteté le dalaï-lama et appuyée à l'unanimité par le Parlement du Tibet, c'est-à-dire la recherche d'une véritable autonomie, conformément à la Constitution de la Chine pour que le Tibet puisse demeurer au sein de la Chine, mais que l'autonomie ou les droits garantis par la Constitution de la Chine soient mis en œuvre. C'est très raisonnable et l'approche de la voie du milieu ne contredit pas la politique d'une seule Chine.
Je dis cela parce qu'en 2014 et en 2016, Sa Sainteté le dalaï-lama a rencontré le président américain Obama. Les deux fois, la Maison-Blanche a publié une déclaration, d'abord pour appuyer l'approche de la voie du milieu, puis, en 2016, non seulement pour appuyer, mais applaudir l'approche de la voie du milieu, ce qui signifie que le gouvernement des États-Unis ne voit pas de contradiction entre la politique d'une seule Chine et l'approche de la voie du milieu.
Essentiellement, l'approche de la voie du milieu consiste à chercher à obtenir une autonomie véritable au sein de la Chine — non pas à chercher à se séparer de la Chine, mais à obtenir l'autonomie au sein de la Chine. Il s'agit d'une politique modérée, raisonnable, qui est également une politique gagnante pour la Chine et le peuple tibétain. J'espère que le Parlement et le gouvernement du Canada appuieront l'approche de la voie du milieu.
D'une certaine façon, le Canada est le partenaire idéal ou le défenseur idéal pour l'approche de la voie du milieu ou l'autonomie véritable, parce que le Canada met en œuvre une véritable autonomie dans bon nombre des provinces canadiennes. Même comme ami de la Chine, le Canada peut dire qu'il met en œuvre une véritable autonomie pour différents groupes au Canada, ce qui est la meilleure façon de maintenir la paix, la prospérité et la stabilité au sein du pays. De fait, elle renforce aussi la souveraineté du Canada, parce que de nombreuses provinces du pays jouissent de l'autonomie que leur confère la Constitution canadienne. En ce qui concerne le Tibet, c'est également un bon modèle pour la Chine.
Voilà qui met fin à mon bref exposé. Je tiens à remercier le président Bob Nault de nous avoir donné l'occasion de nous exprimer sur la question du Tibet. Je tiens également à remercier les députés d'avoir consacré leur temps précieux à nous accorder une audience sur la question du Tibet.
Merci beaucoup.
Merci, monsieur Sangay.
Maintenant, chers collègues, nous avons 45 minutes pour poser des questions.
Nous allons commencer par M. Genuis.
Merci, monsieur le président, merci beaucoup à M. Sangay et à toute la délégation d'être venus. Bienvenue à notre Parlement.
J'ai trois commentaires ou questions. Je vous les présenterai tous en même temps, puis je vous laisserai répondre.
Je ne suis pas Tibétain et il n'y a pas beaucoup de Tibétains dans ma circonscription, mais j'ai été amené à appuyer la communauté tibétaine, en grande partie en raison de la nature de la lutte tibétaine. Il y a tellement de choses que les gens trouvent impressionnantes: la façon pacifique, optimiste et généreuse dont vous avez engagé la lutte; l'ouverture au compromis et à la collaboration que représente l'approche de la voie du milieu, sans oublier la façon dont vous avez préparé les institutions par l'entremise du gouvernement en exil, qui appuie la diaspora tibétaine, mais qui démontre l'expérience de la démocratie et la volonté des Tibétains à prendre cette véritable autonomie.
C'est vraiment un exemple pour d'autres peuples du monde qui sont confrontés à l'occupation et qui recherchent la justice, un exemple de la façon de répondre généreusement par l'ouverture, par la paix et aussi par l'établissement d'institutions qui démontrent une disponibilité envers cette autonomie.
Dans ce contexte, pourriez-vous nous parler un peu de vos institutions, du gouvernement en exil et des façons dont le Canada peut s'engager davantage et appuyer encore plus le gouvernement en exil?
C'est mon premier commentaire ou question.
Le deuxième est le suivant. J'ai été intrigué par cette idée d'infrastructure comme outil possible d'occupation et d'oppression. Ce n'est pas évidemment ainsi que nous sommes habitués à penser à l'infrastructure, mais c'est une chose à laquelle nous devons être sensibles lorsque nous travaillons à des projets d'infrastructure dans d'autres régions du monde. Dans ce contexte, j'aimerais connaître votre point de vue sur la participation du Canada à la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, parce que c'est quelque chose dont nous avons discuté et dont nous continuons de discuter et de débattre au Parlement.
Troisièmement, il y a ce mythe selon lequel le gouvernement chinois essaie de changer radicalement l'environnement. Notre premier ministre a déjà dit que la dictature chinoise permet au gouvernement de changer son économie du jour au lendemain et que la Chine devrait passer à l'écologie. Vous nous avez présenté des preuves du contraire à cet égard. J'aimerais donc que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet.
La Chine est-elle sérieuse lorsqu'elle parle de passer au vert ou s'agit-il d'un exercice de promotion de l'image de marque pour le reste du monde, afin d'essayer d'améliorer son image? Je vous laisse la parole.
Merci, monsieur le député. La dernière fois que la soi-disant délégation de la Région autonome du Tibet est venue, vous avez parlé très fermement et moralement. Cette vidéo est devenue virale dans le monde tibétain. Je dois donc vous remercier d'être un porte-parole direct, même s'il n'y a pas de Tibétains dans votre circonscription, ce qui en dit long sur vous, que vous êtes en fait en faveur de la justice, de la liberté, de la non-violence et de la paix, comme vous l'avez mentionné. Je crois que l'on ne peut pas dire: je suis pour la démocratie, je suis pour les droits de la personne, je suis pour la justice, je suis pour les droits environnementaux, mais je ne peux pas parler pour défendre la cause du Tibet et du peuple tibétain. Si vous ne parlez pas pour défendre la cause du Tibet et du peuple tibétain, vous n'êtes pas en faveur des droits de la personne, de la justice et de la liberté. Par conséquent, nous vous sommes très reconnaissants de vos efforts et de votre appui pendant toutes ces années.
En ce qui concerne le gouvernement du Tibet en exil, conformément à la vision et à l'orientation de Sa Sainteté le dalaï-lama, c'est démocratique dans le vrai sens du mot. Nous avons un Parlement, nous avons une magistrature et nous avons un organe exécutif. De plus, l'organisme le plus puissant, ou tout aussi puissant, c'est le Bureau du vérificateur général. Il est très strict en matière de dépenses. Nous nous inquiétons davantage de notre carte d'embarquement lorsque nous prenons l'avion que de notre passeport et de nos bagages, parce que si nous n'avons pas de carte d'embarquement, nous ne sommes pas remboursés. Avec un salaire mensuel de 300 $, si vous n'êtes pas remboursé pour un billet d'avion de 1 500 ou de 1 600 $, cela représente trois ou quatre mois de salaire. Je pense que cela en dit long sur le fait que le vérificateur général est tout aussi puissant dans un contexte d'exil, même si nous n'avons pas de police, de militaires ou de prisons. Ce dont nous nous préoccupons, c'est la cote que nous décerne le Bureau du vérificateur général, bien qu'il n'y ait aucune crainte d'aller en prison. C'est donc un travail d'amour. C'est tout à fait démocratique. Les Tibétains sont dispersés dans 40 pays, dont le Canada. À Toronto, à Ottawa ou à Vancouver, ils votent tous au cours d'une seule journée. Les bulletins de vote sont comptés manuellement à l'échelle locale et la commission électorale de Dharamshala compile tout, puis le résultat est annoncé. C'est donc une démocratie sans frontières. C'est magnifique.
Fait intéressant, au Canada, le vote est gratuit et on vous encourage à voter. Dans la démocratie tibétaine, vous devez payer votre taxe volontaire sur la liberté. C'est un oxymoron. Si vous ne payez pas votre taxe volontaire sur la liberté, vous n'avez pas le droit de voter. Donc, de 2006 à 2016, les 10 dernières années, il y a eu une augmentation de 70 % du nombre d'électeurs. Parmi toutes les démocraties du monde, je pense que c'est seulement dans la démocratie tibétaine qu'il y a eu une augmentation de 70 % de l'inscription des électeurs. Ce sont des électeurs qui paient leur taxe sur la liberté et qui se rendent ensuite aux urnes pour voter. C'est une belle chose.
De même, nous venons d'assister au débat parlementaire où le premier ministre Trudeau a abordé certaines des questions. Je pense que le nôtre est beaucoup plus poli.
Des voix: Oh, oh!
M. Lobsang Sangay: De fait, il est très étrange que les députés soient avec moi ici, parce que dans notre Parlement, les députés agissent à la fois comme l'opposition et le parti au pouvoir. Parfois, ils vous appuient, parfois, ils vous critiquent. J'espère que nos députés apprendront de vos procédures parlementaires, parce que dans notre Parlement, nos députés peuvent poser de 10 à 30 questions pendant 30 minutes à deux heures et nous devons répondre sur-le-champ. Ici, je pense que l'heure des questions au premier ministre est tellement précieuse. Vous avez une heure ou deux, n'est-ce pas? Nous avons 10 jours de questions. J'espère que nos députés ont appris quelque chose de la procédure parlementaire canadienne.
Des voix: Oh, oh!
M. Lobsang Sangay: Si nous avons moins de questions, c'est mieux pour l'exécutif. De plus, dans le vrai sens démocratique, c'est très robuste. Nous sommes également très fiers.
De fait, vous avez raison, de nombreux réfugiés, environ 60 millions de réfugiés dans la diaspora, pourraient apprendre quelque chose de la démocratie tibétaine et de la façon dont nous fonctionnons. Nous gérons nos propres écoles, nous dirigeons nos propres monastères, nous gérons nos propres peuplements, avec beaucoup de succès je me dois de préciser. Notre taux d'alphabétisation chez les moins de 60 ans est de 94 % et, en Inde, qui est le pays hôte, il se situe entre 76 et 82 %. Notre taux d'alphabétisation est plus élevé que celui du pays d'accueil, meilleur que celui du Népal, meilleur que celui du Bangladesh, meilleur que celui de nombreux pays voisins, même si nous sommes des réfugiés et en exil. C'est une chose dont nous sommes très fiers et que nous suivons.
D'ailleurs, vous avez raison, l'infrastructure est un outil de contrôle, absolument. La route que les Chinois nous ont aidés à construire — bien sûr, nous les avons aussi aidés à construire — a mené au contrôle et à l'occupation du Tibet. Par conséquent, comme vous pouvez le constater, il y a beaucoup de débats au sujet de l'initiative de la ceinture et de la route ainsi que de la question de savoir si elle est bonne ou non pour le monde. En ce qui concerne les Tibétains, c'est ainsi que nous avons été contrôlés. L'infrastructure est certainement utilisée comme outil de contrôle et d'occupation. C'est à vous de décider si le Canada participe ou non à la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures; je ne ferai aucun commentaire, mais il faut être sage lorsqu'il s'agit de traiter avec la Chine et le gouvernement chinois.
« Nous devons passer au vert » est le slogan du gouvernement et des dirigeants chinois. Est-ce qu'ils deviennent effectivement verts ou non? Je suis à peu près certain que lorsqu'ils vendent leurs panneaux solaires ou d'autres choses, ils veulent dire qu'ils passent au vert, mais ils ont un bilan de déforestation et d'exploitation de tous nos minéraux au Tibet, sans oublier qu'ils ne respectent pas les cultures locales. Par exemple, des montagnes sacrées et des cours d'eau sacrés sont minés et pêchés, voyez-vous. Vous connaissez peut-être le cas d'un militant mongol qui s'est tenu devant des camions pour protéger les montagnes sacrées. Qu'ont fait les camionneurs chinois? Ils ont tout simplement roulé sur le Mongol et l'ont tué. Ils agissent en toute impunité au Tibet ainsi qu'en Mongolie.
En ce qui nous concerne, nous passerons au vert lorsque les dirigeants chinois diront qu'ils passent effectivement au vert, avec réserve et anxiété. Il faut être très prudent.
Merci, monsieur le président.
Tashi delek.
C'est un plaisir de vous voir ici en si grand nombre, messieurs Lobsang, Ala, Pema, Ngodup et tous les députés, tant ceux qui sont en Amérique du Nord qu'en Inde. C'est vraiment un plaisir de vous accueillir et de vous entendre commencer votre déclaration en parlant en tibétain, ce qui est très important et qui a été une question controversée la dernière fois que nous avons discuté du Tibet à notre comité.
Comme vous le savez, je représente une collectivité qui fait la fierté de la communauté canado-tibétaine. Ma circonscription, Parkdale—High Park, en compte 7 000 électeurs et je prends leurs préoccupations très au sérieux, tant comme leur représentant que comme président de Les parlementaires amis du Tibet.
Je voulais vous poser plusieurs questions. La première, monsieur Sangay, correspond à la comparution de Pema Wangdu, qui s'appelle aussi Baimawangdui. Il était ici, devant notre comité, pour parler de Tashi Wangchuk. Il s'agit du Tibétain qui a été détenu en 2016 et inculpé en 2017 pour « incitation au séparatisme ».
Comme vous le savez, son crime présumé était de défendre les droits culturels des Tibétains d'étudier dans leur propre langue. Ses efforts pour promouvoir l'enseignement du tibétain ont fait l'objet d'un article dans The New York Times. Le gouvernement du Canada, notre gouvernement, a demandé et s'est vu refuser la permission d'assister à son procès, qui a eu lieu le 4 janvier. Après la comparution de Pema Wangdu devant notre comité le 22 mai, il a été condamné à cinq années d'emprisonnement. Cela a incité notre gouvernement à faire une déclaration par l'entremise de l'ambassade du Canada en Chine. On peut lire:
M. Tashi Wangchuk, un défenseur de la langue tibétaine, a été détenu en janvier 2016 pour avoir soulevé pacifiquement des préoccupations au sujet du manque d'enseignement en langue tibétaine dans le comté de Yushu et a été condamné le 22 mai 2018 à cinq ans d'emprisonnement pour incitation au séparatisme. Le Canada demande au gouvernement de la Chine de libérer Tashi Wangchuk immédiatement et sans conditions. Le Canada exhorte le gouvernement chinois à respecter sa propre Constitution et ses propres lois ainsi qu'à respecter ses obligations internationales en matière de droits de la personne. Le Canada appuie la déclaration des Rapporteurs spéciaux des Nations unies de février 2018, qui condamne la détention de M. Tashi Wangchuk comme étant la criminalisation de la défense des droits linguistiques et culturels.
Monsieur Sangay, pouvez-vous me dire ce que vous pensez de l'importance de l'enseignement de la langue tibétaine dans la Région autonome du Tibet ainsi que de l'arrestation et de la condamnation subséquente de M. Tashi Wangchuk?
Merci beaucoup de la question, Arif. Je sais que vous avez été président des Parlementaires amis du Tibet. Vous faites un très bon travail. Votre déclaration et la vidéo sont devenues virales.
Des voix: Oh, oh!
M. Lobsang Sangay: Les Tibétains apprécient beaucoup ce que vous avez fait jusqu’à maintenant et vous exhortent à continuer de diriger le groupe de soutien au Canada.
Je vous suis aussi reconnaissant d'avoir utilisé l'expression tashi delek qui signifie « bons voeux ». Malheureusement, les membres de la délégation tibétaine de la soi-disant région autonome du Tibet ne pouvaient pas parler en tibétain. Cela en dit long. Il est plus pratique pour les délégués de parler en chinois, la langue de leurs maîtres colonisateurs; ils peuvent ainsi propager ou répéter ce que le gouvernement chinois veut qu'ils disent. Rien ne se perd dans la traduction de sorte que lorsqu'ils reviennent, ils ne sont pas dans le pétrin.
En ce qui concerne Tashi Wangchuk, ce qu’il préconisait était essentiellement autorisé par la constitution et les lois chinoises. L’article 4 de la constitution chinoise dit clairement que les minorités devraient non seulement utiliser leur propre langue, mais aussi être encouragées à l'utiliser. Voilà ce que dit la loi. Ce que préconisait Tashi Wangchuk, c'est que la langue d'enseignement dans les écoles tibétaines devrait être le tibétain et le chinois. La constitution chinoise le permet et l'encourage.
Il a défendu cette cause, qui a fait l'objet d'un article dans The New York Times — qui est, somme toute, le journal le plus important et le plus influent au monde — et malgré cette couverture et ce plaidoyer, il a été condamné à cinq ans de prison simplement pour avoir défendu ce qui est légal, ce qui est prévu dans la constitution chinoise.
Pour les Tibétains, la langue tibétaine est très importante, parce qu’au bout du compte... Je suis sûr que les membres de la délégation qui sont ici... ils disent toujours que les Tibétains sont maîtres de leur propre région. S’ils sont maîtres de leur propre région, l’identité et la culture tibétaines sont essentielles, mais les Tibétains n'y ont pas droit.
La langue tibétaine est une composante essentielle de l’identité tibétaine. Si vous perdez votre langue, vous perdez une partie fondamentale de ce que vous êtes: un Tibétain. En décourageant l'utilisation de la langue tibétaine... Par exemple, les études collégiales, secondaires et intermédiaires se font en chinois. Cela fait partie de l’assimilation culturelle. Avec le temps, ils veulent faire du Tibet un quartier chinois et des Tibétains, des Chinois et la première chose à faire pour y parvenir est de décourager l'emploi de la langue tibétaine. Comme vous le savez, 98 % des monastères et des couvents tibétains ont été détruits et 99,9 % des moines et des religieuses ont été défroqués dans les années 1960 pour les empêcher de pratiquer le bouddhisme ou la religion.
Merci, monsieur Sangay.
J’aimerais poser une autre question. Nous avons également parlé au Comité, il y a environ un mois, du panchen-lama, Gedhun Choekyi Nyima, que le dalaï-lama, alors âgé de six ans, a reconnu comme étant le 11e panchen-lama au Tibet. Quelques jours après cette reconnaissance, lui et les membres de sa famille ont été mis en état d'arrestation par des représentants du gouvernement chinois. On ne les a jamais revus.
Notre gouvernement, le gouvernement du Canada, a demandé à plusieurs reprises des renseignements sur la sécurité et les allées et venues de Gedhun Choekyi Nyima depuis aussi longtemps que 1995. L'Organisation des Nations unies a demandé la permission de rendre visite à ce garçon pour s'assurer de son bien-être. Ces demandes ont été refusées.
Plus récemment, pendant une réunion de ce comité, plusieurs parlementaires ont posé des questions aux représentants de la RAT au sujet du panchen-lama. Ils ont confirmé indirectement qu’il était vivant, ce qui est une bonne chose, mais il est toujours impossible d'entrer en communication avec lui.
Pouvez-vous me dire comment l'inconnu entourant le panchen-lama affecte la communauté tibétaine que vous représentez?
Gedhun Choekyi Nyima, le panchen-lama, reconnu par Sa Sainteté le dalaï-lama, incarne la situation des droits de la personne au Tibet. À l’âge de cinq ans, il a disparu. L’an prochain, cela fera 25 ans qu'il sera porté disparu simplement parce qu’il a été reconnu comme un chef religieux. Il aura 30 ans. On ne peut lui reprocher d’avoir été reconnu comme un chef religieux par le comité nommé par le gouvernement chinois, composé de moines du monastère Tashi Lhunpo, qui est le principal monastère du panchen-lama. Maintenant, on ne sait pas où il se trouve.
Le gouvernement chinois prétend qu'il tient à sa vie privée et qu'il ne veut pas être dérangé. C’est pourquoi ils ne peuvent pas nous dire où il est et ce qu'il fait. Si c’est le cas, qu’il laisse les membres de sa famille s’exprimer, sortir et choisir de résider au Canada ou aux États-Unis et de parler au nom de Gedhun Choekyi Nyima, le panchen-lama. Il a plus de 18 ans et c'est à cet âge que nous obtenons tous le droit de vote. C'est un adulte. Qu'il vienne parler de ce qu'il veut faire. À moins de le voir en personne et de l'entendre face à face, nous ne pouvons pas croire ce que le gouvernement chinois dit.
Essentiellement, la situation ou l'état dans lequel se trouve le panchen-lama illustre ce qui se passe au Tibet. La liberté de religion et le droit fondamental d'une personne de pratiquer sa propre religion et de devenir ou de demeurer le chef spirituel du peuple tibétain sont réfutés.
[Français]
Monsieur le président, merci beaucoup.
Je remercie tous les témoins de leur présence et de leurs présentations.
Docteur Sangay, merci de votre présentation vraiment très intéressante.
Comme vous le voyez, j'ai le privilège de m'exprimer ici dans ma langue maternelle, le français.
[Traduction]
[Français]
Quand nous recevons des délégations, je me dis parfois qu'il y a des choses que nous pourrions apprendre d'elles. Vous pourriez peut-être venir nous donner un cours de politesse durant la période de questions, puisque cela se passe de façon plus polie chez vous, paraît-il.
Vous avez mentionné les problèmes d'accès des responsables canadiens, qui ont de la difficulté à entrer au Tibet. Cela nous préoccupe aussi beaucoup de ne pas pouvoir aller sur place.
Voici un dernier point, que j'exposerai brièvement.
Mon collègue M. Virani a posé certaines des questions que je voulais poser. Je le remercie donc, parce que je me rends compte que j'ai cinq ou six autres questions et, malheureusement, pas assez de temps.
J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de la notion d'autonomie. Que représente pour vous l'autonomie?
Je suis Québécoise. Le Québec est une province qui a un régime un peu particulier au sein du Canada et un certain niveau d'autonomie. Cela m'intéresserait particulièrement de savoir de quelle manière vous définissez l'autonomie.
Merci.
[Traduction]
Merci beaucoup de vos questions. C’est beau d’entendre votre langue. Le français est une belle langue. Nous croyons que la langue tibétaine est aussi très belle et qu’elle mérite d'être préservée. Elle a besoin de son propre espace au Tibet pour le peuple tibétain.
Vous avez tout à fait raison. Il est très difficile de se rendre au Tibet. Bien des députés ont présenté une demande. En fait, le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l'homme en a fait la demande et le gouvernement chinois a accepté de lui permettre de visiter le Tibet. Son mandat se termine en août, et il n’est en fait pas autorisé...
C’est pourquoi un projet de loi sur la réciprocité est présenté à Washington. Les députés et les hauts fonctionnaires, les journalistes et les universitaires chinois, y compris les membres de la délégation tibétaine— ceux qui font de la propagande — peuvent venir à Ottawa, au Canada. Un accès semblable devrait toutefois être accordé aux Canadiens— aux diplomates, aux députés et aux universitaires canadiens. C’est simplement une question de réciprocité. Vous venez chez nous et vous êtes les bienvenus, mais nous devrions aussi pouvoir vous rendre visite.
Chaque fois que la délégation chinoise se présente, les personnes qui en font partie soutiennent qu'à moins de voir les choses par soi-même, il est impossible de savoir ce qui se passe. Il est impossible de se fier au jugement ou à l'évaluation d'autrui qui n'y a jamais mis les pieds. C'est ce qu'elles me disent tout le temps.
En fait, je suis allé à Pékin en 2006. Ils m'en ont donné l'autorisation. J’étais professeur à la faculté de droit de Harvard. Lorsque j’ai demandé à aller au Tibet, un vol de trois heures seulement, on m’a dit qu’il n’y avait pas assez de gens pour me recevoir à Lhassa. J’ai dit: « Je suis venu en Chine où il y a 1,3 milliard d’habitants. Ne me dites pas que vous n’avez pas assez de gens pour me recevoir. » On ne m'en a toutefois jamais donné l'autorisation.
Je suis Tibétain. On me dit toujours que je devrais m'y rendre et voir par moi-même, que je comprendrais à quel point le Tibet est bon, mais cet accès nous est systématiquement refusé. Il est très important d’insister. Les Chinois sont les bienvenus au Canada, et les députés canadiens et les diplomates à Pékin devraient également avoir accès au Tibet.
En ce qui concerne l’autonomie, on réclame un peu moins que ce que demande le Québec, en fait. Nous disons essentiellement que ce qui est écrit dans la constitution chinoise, s'agissant des minorités et des Tibétains, devrait être mis en oeuvre, de sorte que les Tibétains aient leur propre langue, leur propre culture et leur propre administration. C’est ce que nous demandons, sans oublier l'éducation. Si le gouvernement chinois mettait en oeuvre ses propres lois, on pourrait considérer cela comme de l’autonomie.
En fait, en 2008, nous avons présenté un document intitulé « Mémoire pour une véritable autonomie ». Malheureusement, le gouvernement chinois a refusé d'appliquer les droits qui y figuraient. Essentiellement, l’autonomie signifie avoir une langue, une culture et une éducation tibétaines et veiller à ce que la région soit administrée par les Tibétains eux-mêmes.
[Français]
Je suis curieuse aussi d'en savoir davantage à propos de votre gouvernement — votre Parlement — en exil. Vous avez donc une forme d'opposition.
Je vais vous poser une vraie question de politicienne.
Qu'est-ce qui distingue l'administration actuelle et l'opposition, sur le plan politique?
[Traduction]
La bonne chose, c’est que le Parlement tibétain agit à la fois comme parti d'opposition et comme parti au pouvoir. Les députés sont tous élus sur une base régionale et la plupart agissent à titre individuel, de sorte qu’il n’y a pas de parti de l’opposition comme tel. Notre démocratie est une démocratie sans parti. Elle s'appuie sur une notion bouddhiste et l’idée pratique que s’il y a un parti politique dans un pays, celui-ci agira parfois davantage dans ses propres intérêts que dans les intérêts nationaux ou communs.
C’est pourquoi nous sommes une démocratie sans parti. Nous agissons tous dans l’intérêt national plutôt que dans l’intérêt des partis. C’est l’idée. C’est la façon bouddhiste de parvenir à un consensus dans toutes les décisions, ce qui est très difficile. C’est sur cette base que nous progressons. Jusqu’à présent, cela fonctionne. La démocratie sans frontières fonctionne.
Ne donnez pas l'idée aux membres du Parlement tibétain d'avoir une opposition. S’il y a une véritable opposition au sein du gouvernement, c’est nous, à l’exécutif, qui en subirons les conséquences.
Des députés: Oh, oh!
Monsieur Sangay, j'aimerais poursuivre sur un thème.
Hélène a volé une de mes questions, alors, touché, madame.
La question de la réciprocité est importante. Elle a été soulevée à plusieurs reprises dans divers contextes par le Parlement canadien et par des parlementaires de nombreux partis. M. Pema Wangdu — encore une fois, M. Baimawangdui — est venu nous dire que la porte sera de plus en plus ouverte au monde extérieur. Il a ajouté que nous avions de bonnes chances d'aller au Tibet pour observer.
Ce qui est frustrant, à mon avis, c'est que nous savons qu'il y a des entités et des programmes financés par le Canada dans la RAT. Je vais vous poser deux questions. . Pouvez-vous préciser un peu la réponse que vous avez donnée à Mme Laverdière concernant un gouvernement, qu’il s’agisse d’un gouvernement canadien ou d’un autre, qui injecte des fonds ou qui fait la promotion de projets sur le terrain dans la RAT et qui, pourtant, n’y a pas accès...?
Le deuxième point concerne la voie du milieu. Je suis content que vous ayez commencé par cela, monsieur Sangay, parce que plus je vous écoutais, plus cela semble anodin, n’est-ce pas? D'aucuns diront que c’est une idée radicale, révolutionnaire, indépendante et séparatiste, puis quand on la comprend et qu’on se renseigne à ce propos, c’est une question d’existence et de coopération mutuelles. Il s’agit de l’autonomie du Tibet au sein d’une fédération chinoise élargie.
Comme vous l’avez dit, la situation est très semblable à celle dans bien des régions du monde, y compris au Canada. C’est aussi une initiative très pacifique lancée par le dalaï-lama il y a de nombreuses décennies. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les raisons pour lesquelles, selon vous, la notion de voie du milieu a été modifiée ou qu'elle est interprétée de façon très différente de celle que je viens de décrire?
Pour ce qui est du dernier point, monsieur Sangay, pourriez-vous nous parler de l’état actuel de ce que nous appelons le « dialogue sino-tibétain », ce dialogue entre la Chine et le Tibet? Vous avez dit être vous-même allé à Pékin. Je crois comprendre qu’entre 2002 et 2010, il y a eu jusqu’à neuf séries de négociations différentes, puis ces négociations ont été interrompues brusquement.
Pourquoi cette interruption soudaine? Que peut-on faire pour relancer ce dialogue? Certes, en qualité de Canadiens, notre diplomatie depuis des décennies, je crois, a toujours été associée au fait de favoriser le dialogue entre les différentes communautés de la planète. Comment peut-on ressusciter ce dialogue et que peuvent faire les parlementaires pour aider?
Merci.
Merci pour ces excellentes questions.
Vous avez mentionné le nom du délégué qui est venu faire l'exposé, mais il faut savoir qu’il y a quelques Tibétains qui sont envoyés un peu partout dans le monde pour parler au nom du gouvernement chinois ou pour faire de la propagande. Au cours des 60 dernières années, le poste de la personne la plus puissante, même dans la région autonome du Tibet, le secrétaire du Parti communiste, n’a jamais été occupé par un Tibétain.
Même au niveau des préfectures ou des comtés, il est très rare que le secrétaire d'un parti soit un Tibétain. Un Tibétain peut avoir les mêmes qualifications et les mêmes titres de compétence, mais le poste est toujours confié à un Chinois. Par conséquent, ceux qui viennent ici pour parler au nom du peuple tibétain n’ont ni pouvoir ni autorité dans les régions tibétaines.
Oui, vous avez raison. Ce n’est pas seulement le gouvernement canadien et le gouvernement américain qui ont financé des projets au Tibet; il y en a d'autres. Par souci de transparence, pour évaluer le déroulement des projets et déterminer s’ils sont bénéfiques ou non, il est très important que les fonctionnaires canadiens ou les ONG se rendent dans la région, mais ils n'en obtiennent pas l'autorisation.
C’est ce qui est tragique: d'une part, ils acceptent le financement et, d’autre part, on ne saura jamais si le projet est mis en oeuvre ou non. Ça va tout à fait à l'encontre des normes internationales ou à l’entente conclue avec un gouvernement selon laquelle s'il finance des projets, il doit voir où va l’argent. Ce droit est vraiment refusé. Je pense que nous devons tous insister pour que l’accès soit accordé, d’où la réciprocité; il ne s'agit pas de chiffres exacts— trois représentants chinois au Canada, donc trois représentants canadiens —, mais bien de faire reconnaître l'idée que si le Canada vous a accueillis, vous devriez nous accueillir aussi.
En ce qui concerne la voie du milieu, vous avez raison. J’ai eu des centaines de séries de discussions avec des étudiants et des universitaires chinois. Nous leur expliquons que la voie du milieu ne vise pas à remettre en question la souveraineté de la Chine ni l’intégrité territoriale de la Chine. Il s’agit essentiellement de garantir une autonomie véritable, conformément aux lois chinoises, et de demeurer au sein de la Chine. C’est pourquoi le gouvernement Obama a dit qu’il appuyait l’approche de la voie du milieu, parce qu’elle ne contredit pas la politique d’une Chine unique.
Or, le gouvernement chinois et les hauts fonctionnaires chinois associent toujours la voie du milieu à une indépendance cachée; ils soutiennent qu'il y a anguille sous roche et que le dalaï-lama divise toujours... Les gens disent qu’il est la personne la plus aimée et la plus digne de confiance au monde. Il n'y a que le gouvernement et les dirigeants chinois qui ne lui font pas confiance. Je leur demande s'ils ne voient pas que c'est leur problème, car le monde entier fait confiance au dalaï-lama, mais eux, pas, qu'il y a quelque chose qui cloche dans leur façon de penser. D'accord, s'ils adoptent cette mentalité de méfiance... Je me souviens d'avoir dit que même si le dalaï-lama se trouvait dans les grottes des montagnes de Malaya ou dans un sous-marin au fond de l’océan, le gouvernement et les dirigeants chinois diraient encore qu'il y prépare quelque chose.
C'est fondamentalement un manque de confiance et ainsi, ils essaient de tourner autour du pot et de ne pas accepter la voie du milieu comme solution avantageuse pour tous, autant pour la Chine que pour le peuple tibétain. La Chine est en voie de devenir une puissance mondiale et elle peut avoir une puissance militaire ou monétaire, mais si elle veut exercer une plus grande autorité et gagner le respect, elle doit respecter les droits fondamentaux du peuple tibétain. Si elle ne le fait pas, elle n'aura aucune crédibilité et aucun respect de la part de la communauté internationale.
La Chine a beaucoup à y gagner, car le Tibet est, somme toute, un test révélateur pour la Chine et pour le Canada, car la Chine affirme mettre en oeuvre et respecter la primauté du droit et les droits de la personne. Si c'est le cas, vous devriez être en mesure de vous rendre au Tibet pour prendre le pouls de la situation et constater sur place qu'il faut mettre en oeuvre la voie du milieu ou la véritable autonomie pour le peuple tibétain. C’est aussi pour le Canada, parce que le Canada a de vraies valeurs: des valeurs morales et des valeurs propices au respect des droits de la personne. Si le Canada est en faveur de ces droits ou de ces valeurs, il devrait aussi parler au nom du peuple tibétain.
Les Tibétains sont non violents et pacifiques depuis des décennies. En ce sens, nous avons été les bons gars dans le monde entier. Parfois, les bons ne sont pas récompensés, mais nous aimerions obtenir une reconnaissance quelconque pour notre bonté.
Prenons les conflits en Syrie ou en Afrique — avec Boka Haram ou n'importe quel autre groupe —, les conflits partout dans le monde, les acteurs cherchent tous le modèle à suivre: le modèle de violence du groupe État islamique, le modèle bouddhiste militant ou le modèle tibétain pacifique et non violent. Si nous parlons de violence et de conflits, l'autre zone en cause dans le conflit songera à adopter le modèle violent qui suscite plus d'attention, qui fait plus souvent les manchettes et qui reçoit plus de soutien. Si le modèle pacifiste non violent du peuple tibétain n'est pas soutenu, alors, dans le fond, par défaut, vous encouragez la violence et vous encouragez le terrorisme et le militantisme partout dans le monde.
Je pense que nous méritons aussi un peu de soutien et d'attention parce que nous sommes les bons gars. Le fait que le Comité tient cette audience est une forme d'appui aux bons gars et nous en sommes très reconnaissants.
En ce qui concerne le dialogue sino-tibétain, les envoyés du dalaï-lama ont rencontré le représentant chinois pour neuf rondes de négociations ente 2002 et 2009. Ce n'est pas comme s'il n'y avait pas de dialogue. Les émissaires du dalaï-lama et le représentant chinois ont eu des entretiens, mais sans issue. La dernière conversation avec le Dalaï a eu lieu en janvier 2010. Depuis huit ans, il n’y a pas eu de dialogue entre les deux parties. Il est à espérer qu’avec l’appui des dirigeants du gouvernement canadien, il y aura aussi une certaine percée.
Je sais que le Canada négocie actuellement des accords sur le commerce ou qu'il en parle. Il est impératif d'entretenir une relation commerciale avec la Chine, mais il est tout aussi important de parler des droits de la personne pour que l'argent et la morale aillent de pair et que l'un ne soit pas échangé aux détriments de l'autre.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur, de comparaître devant le Comité.
En 1981, le Parti communiste a déclaré que la grande révolution prolétaire « fut responsable du plus grand recul et des pertes les plus sévères de notre parti, de l’État et du peuple dans l’histoire de la République populaire depuis sa fondation », mais il n’a jamais parlé du Tibet dans ce rare aveu des horreurs du régime du Parti communiste.
On a dit que, sur les 6 200 monastères qui existaient, seulement six subsistent. C’est moins de 0,1 % de ces milliers de monastères. Des 600 000 moines et nonnes tibétains, presque tous avaient été assassinés ou avaient disparu en 1979. On les qualifiait souvent de monstres et de démons, mais cette politique d’ethnocide semble se poursuivre sous le régime actuel.
En 2016, plus de 2 000 moines et nonnes bouddhistes ont été expulsés du plus grand institut bouddhiste, à Larung Gar, et vous avez parlé du désespoir des moines et des nonnes bouddhistes. Cent cinquante d'entre eux se sont immolés. Le bouddhisme est au coeur de l'identité de votre peuple, mais vous avez aussi dit que, alors qu'il y avait autrefois une seule route, il y en a maintenant un grand nombre. Il y a des liaisons aériennes et ferroviaires. On est en train d'installer au Tibet une toute nouvelle population. Le temps presse.
Comment réagissez-vous à cette réalité? On dirait que la situation n’est plus désespérée, mais presque irrécupérable. Combien de temps vous reste-t-il? Le temps presse.
Le gouvernement chinois chercher à convertir le Tibet en Chinatown et, grâce à l’assimilation culturelle, à transformer les Tibétains en Chinois. C’est pourquoi il décourage l'utilisation du tibétain comme moyen d'enseignement dans les écoles, par exemple.
Ensuite, grâce aux trains, aux voies ferrées, aux aéroports et à de nombreuses routes, les Chinois ont le contrôle physique du Tibet et du peuple tibétain. Par ailleurs, le peuple tibétain mène une lutte qui repose sur la résilience et la détermination. Vous avez tout à fait raison de dire que 98 % de ces plus de 6 000 monastères ont été détruits et que 99,9 % des moines et des nonnes ont dû quitter leurs habits religieux dans les années 1950 et 1960, mais 60 ans plus tard, le bouddhisme est de retour au Tibet dans un espace social privé.
L'État a pour politique de tout détruire systématiquement. Vous avez donc eu raison de rappeler que le monastère de Larung Gar, qui comptait 12 000 moines et nonnes, a été démoli entre août 2016 et août 2017 et que le nombre de moines et de nonnes a été ramené à 5 000. Il faut distinguer deux éléments, l'un spirituel et l'autre universitaire, comme le dit le rapport de Human Rights Watch. Les Chinois ont mis en poste 200 cadres communistes pour contrôler et surveiller les allées et venues à Larung Gar.
En ce moment même, Yarchen Gar, qui compte plus de 5 000 nonnes, est en voie de démolition. C’est la réalité. Mais après la destruction de 98 % des monastères bouddhistes au Tibet, ceux-ci sont de retour. En exil, ces monastères ont été reconstruits et relancés, et il y a des centres bouddhistes partout dans le monde, y compris au Canada. Étrangement, la Chine est devenue le plus grand pays bouddhiste au monde avec 300 à 400 millions de bouddhistes chinois pratiquants. S’il y avait une compétition entre le Dalaï-Lama et Mao Zedong, on voit bien, après 60 ans, que le Dalaï-Lama a gagné haut la main.
Depuis la destruction complète, il y a eu une renaissance du bouddhisme parmi les Tibétains exilés partout dans le monde, au Tibet et aussi en Chine, et je suis sûr que Mao Zedong doit penser qu’il a détruit tout ce qui était bouddhiste au Tibet, mais maintenant, le bouddhisme est revenu en force en Chine, et c’est pourquoi je dis que c’est une lutte fondée sur la résilience. Le Tibet est non violent et pacifique, mais il est aussi animé d'un grand esprit de détermination. Pacifiquement, discrètement, nous continuons de nous battre pas à pas et nous parvenons à nos fins.
Essentiellement, même si vous dites que le temps joue contre nous, nous estimons que le temps nous sert bien, parce que notre lutte repose essentiellement sur le bouddhisme, qui a 2 600 ans, tandis que le communisme a 100 ans. Il n’y a aucune commune mesure entre les deux. Si le bouddhisme a prévalu pendant 2 600 ans, il sera là pendant encore 2 500 ans. Le communisme s'estompant à Cuba, même si Raul Castro y est resté fidèle, et Kim Jong-un ayant signé le traité, si la Corée du Nord déserte aussi le communisme, la Chine sera dans le monde entier le seul pays soi-disant communiste, avec son économie de marché.
Nous croyons que le bouddhisme l'emportera de nouveau et que la paix prévaudra sur le plateau tibétain, mais les efforts ethnocidaires du gouvernement chinois, qui cherche au fond à détruire tout ce qui est bouddhiste et tibétain, se poursuivent. Il est également vrai qu’il y a un transfert de population et que beaucoup de Chinois s'installent sur le plateau tibétain et dominent l’économie et le marché. Par exemple, dans la capitale du Tibet, Lhassa, je crois que 80 %, voire 90 %, des magasins, des hôtels et des restaurants appartiennent à des Chinois ou sont exploités par eux. En fait, dans les années 1980, des annonces disaient, ce que la pratique confirmait, que les emplois offerts donnaient droit à une rémunération de 30 RNB par jour pour les employés tibétains et de 50 RNB pour les Chinois. C’est un peu comme si, à Ottawa, une boutique proposait une rémunération quotidienne de 50 $CA pour les Chinois et de 30 $CA pour les Tibétains ou les Canadiens. Ce genre de discrimination flagrante a toujours cours au Tibet.
D’une certaine façon, il s’agit d’un effort systématique visant à décourager et à détruire l’identité et les bases mêmes du peuple tibétain au Tibet, mais la résilience du peuple tibétain est toujours très forte. Nous l’avons montré en faisant renaître le bouddhisme, et nous n'agirons pas différemment sur le plan politique.
Merci.
Merci, monsieur Sangay.
Chers collègues, nous allons dépasser un peu la période prévue parce que nous voulons terminer le deuxième tour. M. Genuis sera le premier à intervenir, et il sera suivi de M. Saini. Et nous lèverons ensuite la séance.
Merci, monsieur le président.
Je voudrais revenir sur quelques points qui ont été abordés jusqu’à maintenant. Je commence par les rappeler.
Pour ce qui est de la question religieuse, j’ai l’impression que la répression religieuse en Chine est en train de se transformer, mais elle est encore très présente. Par le passé, la Chine essayait d’éradiquer la religion, et maintenant, l'État essaie de se l’approprier et de la contrôler. Nous le voyons en ce qui concerne leur approche de la réincarnation. C’est le seul régime athée au monde qui veut aussi contrôler la réincarnation. C’est comme la démocratie avec des caractéristiques chinoises; c’est la réincarnation avec des caractéristiques athées.
Que pensez-vous de la répression de la religion, qui se poursuit, mais sous une forme différente.
Pensez-vous que nous devrions financer des projets au Tibet? Les contribuables pourraient se demander comment, si nous ne sommes même pas en mesure d'exercer une surveillance et de constater les résultats, nous pouvons savoir si l’argent aboutit au Tibet. Mais, bien sûr, le peuple tibétain a besoin d’aide et doit affronter des circonstances très difficiles. Y a-t-il un moyen d’aider les gens au Tibet et de savoir que nous les aidons effectivement?
Enfin, je me demande si vous pouvez commenter certaines des tendances générales en ce qui concerne le Tibet et les droits de la personne en Chine. On a dit qu’il y avait un dialogue, mais il ne se poursuit pas. Y a-t-il d’autres secteurs où la situation s’aggrave et d'autres où nous observons des tendances positives? De quoi s’agit-il?
Merci.
Selon moi, nous devons tous faire parvenir des fonds à l'intérieur du Tibet. Nous encourageons toute forme de financement susceptible d'aider les Tibétains à l'intérieur du Tibet. Il est possible de tendre la main aux villages et aux collectivités qui ont besoin de fonds, aux localités qui ont besoin d'écoles et d'hôpitaux. Il faut instruire cette population et la traiter correctement, il faut préserver sa culture. Nous encourageons toujours l'apport financier du gouvernement du Canada et des autres gouvernements et nous leur en sommes reconnaissants.
Pour ce qui est de la réincarnation, vous avez raison de parler de « réincarnation aux caractéristiques athées ». C’est vrai. En 2008, le gouvernement chinois a établi des lignes directrices en huit points selon lesquelles toute réincarnation d’un moine doit être enregistrée et approuvée par le Parti communiste, par le Parti communiste du district. Pouvez-vous imaginer? Le sceau d’un parti athée est nécessaire à notre pratique spirituelle et à nos chefs spirituels. De même, il planifie ce que nous appelons la réincarnation des dalaï-lamas, mais comme je vous l’ai dit, si vous considérez ce qui est arrivé par le passé, comme la destruction de 98 % des monastères et des couvents et le fait que 99,9 % des moines et des nonnes ont dû renoncer à leur habit religieux, le fait qu'il décrive le Dalaï-Lama comme un loup sous une peau de mouton, un diable et tout le reste...
Compte tenu de tout ce passé, le gouvernement chinois n’a aucune crédibilité pour appuyer ou reconnaître la réincarnation. C’est presque comme si Kim Jong-un reconnaissait le prochain pape et s’attendait à ce que tous les catholiques disent: « Oh, oui, nous avons un pape parce que notre chef communiste l'a reconnu comme tel. » Le gouvernement chinois n'a pas plus de crédibilité en ce qui concerne la réincarnation. Il essaie de s’approprier et de contrôler la religion au Tibet et en Chine.
Ce qui est troublant, globalement, c’est qu’au Tibet, on a imposé un système de grille, ou un système de crédit social, dans lequel les citoyens doivent contribuer à la sécurité pour obtenir des subventions. Essentiellement, il faut dénoncer ou espionner ses voisins si on veut obtenir des choses essentielles comme la fréquentation scolaire pour ses enfants ou l'utilisation de n'importe quel service du gouvernement chinois. Celui-ci a également émis une carte d’identité avec des puces biométriques de deuxième génération. Une fois qu'on a glissé sa carte dans un appareil, tous vos déplacements sont suivis.
À Lhassa, par exemple, il y a un poste de contrôle à tous les 30 ou 40 mètres. Celui qui veut se rendre au marché doit glisser sa carte d'identité et tous ses déplacements sont suivis. L'État possède maintenant un logiciel perfectionné ou un algorithme qui lui permet de suivre les pèlerins des villages éloignés et des régions nomades qui visitent certains endroits au Tibet. Une fois qu'on a glissé sa carte d’identité, vos mouvements sont suivis. C'est ainsi que les autorités peuvent conclure que telle région ou tel village de nomades risque de poser un problème, puisque la plupart des nomades ou des agriculteurs se sont rendus à divers endroits au Tibet.
C’est un système extrêmement perfectionné. Il fonctionne tellement bien que le secrétaire du parti de la Région autonome du Tibet a été envoyé dans la Région autonome du Xinjiang pour mettre en place le même système de grille. Human Rights Watch et d’autres groupes de réflexion font des recherches à ce sujet.
Maintenant, ce système fonctionne si bien au Xinjiang que le secrétaire du parti du Xinjiang a été promu au politburo. Il s’agit des 20 dirigeants de la Chine. Il y a tellement de provinces et de ministres en Chine que pour atteindre les 20 premiers rangs, il faut avoir fait quelque chose de très remarquable pour le gouvernement chinois. Le secrétaire du parti de la Région autonome du Tibet, qui se trouve maintenant au Xinjiang, figure parmi les 20 plus hauts dirigeants grâce à ce système perfectionné.
Ce qui est inquiétant pour le Canada et le reste du monde, c’est que ce logiciel et cet algorithme seront vendus à des despotes et à des dictateurs du monde entier. Ils utiliseront ce logiciel pour contrôler leur propre population. Les Chinois excellent dans la commercialisation et la vente de leurs produits. Et ce produit sera bientôt sur le marché.
Par conséquent, ce qui se passe maintenant au Tibet se produira chez vous.
Merci, monsieur Sangay.
Nous allons passer à M. Saini, et cela mettra fin à nos questions pour aujourd’hui.
Merci beaucoup à tous d’être venus.
Monsieur Sangay, je vous dirai que je suis né à 125 kilomètres de Dharamshala, dans une petite ville appelée Mandi, dans l’Himachal Pradesh...
... que vous connaissez probablement. Cette présence en Inde m'est très familière.
En fait, je n’ai pas de question. J’ai une opinion à vous soumettre. Dans ce qui se passe au Tibet à l’heure actuelle, certaines choses sont flagrantes et d'autres sont subtiles. Avec l'initiative « Belt and Road » et la construction d'aéroports, il semble que la Chine ait un impact de plus en plus marqué au Tibet. Deux millions de nomades du Tibet ont été déplacés dans les régions urbaines, ce qui est un nouvel effort visant à perturber le mode de vie qu'est le nomadisme. De plus, la Chine a conclu des accords de coopération avec des pays voisins du Tibet pour s’assurer que les groupes en exil sont contrôlés ou surveillés.
Ma question est la suivante. Il me semble qu’il y a des points de vue diamétralement opposés au sujet de la succession. La Chine veut savoir qui est le successeur, tandis que le Dalaï-Lama a dit que c’est une question religieuse qui finira par trouver sa solution. Selon le Dalaï-Lama, qui a maintenant 80 ou 81 ans, je crois, on répondra à cette question vers la fin de sa quatre-vingtaine ou lorsqu’il aura 90 ans. Mais au cours de cette période, pendant laquelle on sait qu'il y aura un successeur, mais sans le connaître encore — et je sais que c’est une question très philosophique —, ne donne-t-on pas à la Chine plus de temps encore pour avoir un impact plus lourd au Tibet, alors qu’il est entendu qu’il y aura un autre dirigeant après le Dalaï-Lama? Qu’en pensez-vous? Il y a des voies parallèles; il y a la voie religieuse, où l’on ne sait pas qui sera le prochain Dalaï-Lama, et il y a la Chine, qui vous dit qu’elle doit approuver le prochain successeur. Il me semble que, lorsque cette personne émergera, il y aura un conflit parce que la Chine voudra savoir qui est l'authentique successeur, mais ce successeur ne sera pas choisi avant le bon moment.
Merci beaucoup de cette excellente question. De plus, il est agréable de rencontrer quelqu'un qui vient de ma région.
Vous avez raison. Les infrastructures et la migration chinoise servent à la Chine pour mieux assimiler le Tibet, mais, jusqu’à maintenant, cela n’a pas fonctionné, et cela, pour deux raisons.
Le Tibet est appelé le plateau tibétain, le « toit du monde », parce que son altitude moyenne est de 4 000 mètres. Il fait très froid en hiver. Les Chinois viennent au Tibet pendant l’été et doivent repartir pendant l’hiver. Même les Tibétains ont mis des milliers d’années à passer de 3 000 mètres à 4 000 mètres, parce que le blé ne peut pas pousser à 4 000 mètres, seulement à 3 000 mètres. Nous avons découvert l’orge, nous sommes allés plus haut et nous avons commencé à élever les yaks. C’est ainsi que nous avons survécu sur le plateau tibétain. Il nous a fallu 3 000 ans. Il faudra aussi 3 000 ans aux Chinois pour s’adapter génétiquement aux montagnes tibétaines. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils pourront survivre. Nous avons donc 3 000 ans devant nous. En ce sens, c'est vrai. De plus, 70 % de la population tibétaine est encore nomade et rurale, alors que l'implantation et la présence des Chinois restent bien inférieures et se heurtent à de grandes difficultés. En ce sens, nous avons un peu de temps devant nous, soit environ 3 000 ans. C’est un défi à relever.
Dans les régions urbaines, où il y a plus de développement et de meilleures infrastructures, les Chinois restent plus longtemps, mais c’est là que la discrimination est flagrante, y compris dans l’embauche et l’emploi. Même les Tibétains qui ont travaillé pour le Parti communiste et qui sont de loyaux membres du Parti communiste ne sont jamais promus au poste de secrétaire du parti au niveau de la préfecture ou du comté, même s’ils sont instruits et accrédités. Ils ressentent de la discrimination.
En 2008, par exemple, juste avant les Jeux olympiques, alors qu’il y avait une grande manifestation partout au Tibet, une manifestation nationale, la CCTV voulait que quelques universitaires tibétains, entre guillemets, passent à la télévision chinoise pour donner leur version. Ils ont été transportés par avion du Tibet à Beijing. Lorsqu’ils se sont présentés à l’hôtel où la CCTV leur avait réservé des chambres, on leur a répondu: « Vous ne pouvez pas descendre ici parce que vous êtes des Tibétains. Vous devez aller dans un autre hôtel qui est désigné pour recevoir des Tibétains. »
De la même façon, même les membres de niveau intermédiaire du Parti communiste, lorsqu’ils se sont rendus à Chengdu pour séjourner dans l’hôtel habituel, se sont fait dire qu’ils ne pouvaient pas y descendre, qu’ils devaient se rendre dans un autre. Même les intellectuels et les membres du parti ressentent de la discrimination. Imaginez ce que ce peut être pour le peuple. C'est ainsi que 152 Tibétains se sont immolés par le feu. C’est un acte de désespoir, bien sûr, mais c’est aussi une manifestation de détermination. Après 60 ans, après trois générations de Tibétains, le patriotisme, le sentiment et la passion pour la cause sont encore très forts.
En ce sens, vous avez raison. Le gouvernement chinois fait de son mieux pour contrôler la situation, mais il n’y parvient pas. Nous avons donc droit à cette audience et la délégation de la Chine est également venue pour essayer de faire connaître son point de vue.
Pour ce qui est de la réincarnation, comme je vous l’ai dit, il revient au peuple tibétain d’accueillir le prochain Dalaï-Lama. De toute évidence, le prochain Dalaï-Lama que les Tibétains adopteront sera celui que nous ou le Dalaï-Lama reconnaîtrons, et non celui du gouvernement chinois, étant donné tout ce qu'il a fait par le passé. Il est faux de supposer qu’il y aura une progression rationnelle, qu’il y aura deux candidats et qu’il y aura conflit, car l’autre candidat n’aura aucune crédibilité. Comme je l’ai dit, c’est presque comme si Kim Jong-un disait: « Voici mon pape et tous les catholiques doivent se rallier. » Je doute que quiconque se conforme.
Je ne voulais pas parler de deux candidats. Je voulais parler du candidat qui finira par émerger. Il ne sera peut-être pas jugé acceptable. Ce n’est pas qu’il y aura deux candidats, mais que la personne que le Dalaï-Lama reconnaîtra comme son successeur ne sera peut-être pas acceptable pour tout le monde. Comment régler ce problème?
Ce sera acceptable pour six millions de Tibétains. C’est bon pour nous. Même aujourd’hui, le Dalaï-Lama actuel n’est pas acceptable pour le gouvernement chinois, mais il est acceptable pour nous et pour six millions de Tibétains au Tibet. C’est le noeud du problème. Encore une fois, c’est une question de bouddhisme. C’est une question de spiritualité. Celui qui sera reconnu par le Dalaï-Lama sera adopté par les Tibétains. En définitive, la spiritualité est une question de coeur, une question de foi. On ne peut forcer personne à croire. On ne peut acheter la foi de personne. Il faut croire. Cela vient du coeur. Depuis 60 ans, les Tibétains qui se trouvent au Tibet font confiance à Sa Sainteté le dalaï-lama. C’est pourquoi les 152 Tibétains qui se sont immolés ont deux slogans, soit restaurer la liberté des Tibétains et ramener Sa Sainteté le dalaï-lama au Tibet. Il s’agit de la troisième génération de Tibétains qui demandent toujours le retour au Tibet de Sa Sainteté le dalaï-lama.
En 2001, par ailleurs, Sa Sainteté le dalaï-lama a proposé sa conception des choses: il a séparé l’Église et l’État et délégué toute son autorité politique à des dirigeants élus, ce qui se trouvait être moi et le Parlement à l’époque. Nous avons aussi deux voies. Il y a la voie spirituelle et la voie démocratique. Parmi les 60 millions de réfugiés et de membres de la diaspora dans le monde, la démocratie tibétaine est peut-être un modèle. C’est une démocratie bien implantée que vous pouvez observer. C’est ce que nous pratiquons.
Au sujet de la réincarnation... Le Sénat américain a récemment adopté une résolution unanime disant que la réincarnation est l’affaire du peuple tibétain; le prochain Dalaï-Lama sera reconnu par le Dalaï-Lama et personne d’autre; et le gouvernement chinois n’a absolument aucun rôle à jouer.
S’il y avait une résolution semblable du Comité et peut-être, idéalement, du Parlement canadien disant que reconnaître que la spiritualité appartient au peuple tibétain et que la réincarnation du Dalaï-Lama relève du Dalaï-Lama, ce serait une résolution équitable. Si cela se produisait, ce serait très bien.
Notre démocratie est une vraie démocratie. Il n’y a pas de caractéristique tibétaine; c’est une caractéristique universelle.
Merci, monsieur Sangay.
Sur ce, je vais mettre un terme à la séance. Je remercie mes collègues de nous avoir accordé plus de temps aujourd’hui. Il valait la peine d’écouter non seulement l’exécutif, mais aussi les députés qui sont ici. Je dois admettre que c’est le groupe de parlementaires le plus poli que j’aie jamais rencontré.
Nous devrions en prendre note, chers collègues, dans l'exécution de notre travail.
Merci. Cette séance a été très utile. Le Comité s'inspirera de l’information que les témoins ont fournie aujourd’hui et produira bientôt un rapport. Nous avons été très heureux de pouvoir échanger avec vous.
Chers collègues, merci beaucoup. À jeudi.
La séance est levée.
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