FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mercredi 7 décembre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Conformément à l'article 20 de l'ordre de renvoi du jeudi 14 avril relativement à l'examen prévu par la loi de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, nous accueillons nos deux témoins : Garry Kasparov et Irwin Cotler. Messieurs, je crois que, tous les deux, vous n'avez pas besoin de présentations.
Je vais veiller à ce que les questions soient le plus concises possible, de façon à ce que le plus de personnes possible puissent poser des questions. Veuille donc m'excuser d'avance si je suis un peu à cheval sur le temps.
Nous allons donc passer tout de suite aux déclarations préliminaires.
Monsieur Kasparov, voulez-vous commencer? M. Cotler passera ensuite, puis les membres des deux côtés poseront des questions tour à tour comme d'habitude.
Monsieur Kasparov, la parole est à vous.
Monsieur le président, membres du Comité, je suis heureux d'avoir l'occasion de comparaître aujourd'hui pour parler de la nature, des objectifs et des méthodes du régime de Vladimir Poutine en Russie.
Je ne suis pas un étranger, ni un observateur objectif de toutes ces choses. Personne ne peut ou ne devrait rester objectif lorsqu'il est question de répression, de torture ou de guerre. Nous devons non pas l'objectivité aux victimes de Poutine, mais bien la vérité.
Vladimir Poutine est sur le point de célébrer 17 ans ininterrompus et non contestés au pouvoir en Russie. Il a été élu en 2000, après avoir été trié sur le volet par Boris Yeltsine; il s'agissait en fait des dernières élections significatives en Russie. La démocratie russe a été systématiquement détruite, tout comme tous les autres aspects de la société civile pouvant remettre en question la mainmise de Poutine sur le pouvoir.
Ne parlez pas de la popularité présumée de Poutine à un Russe informé. Un chef populaire n'a pas besoin de fausses élections ni de détruire la liberté de presse, de mettre en prison ses critiques et de tuer les chefs de l'opposition. Un statut qui est créé de toutes pièces par une propagande menée 24 heures sur 24, la répression de toute dissidence et l'élimination des rivaux constituent non pas de l'approbation, mais bien de l'acceptation.
Durant ses premières années au pouvoir, Poutine était dans une position de faiblesse relative et il avait encore besoin d'amis à l'étranger. Il a très bien utilisé sa participation au G8, alors même que se poursuivait la répression en Russie. Des critiques comme moi et Boris Nemtsov avions raison lorsque nous disions que Poutine était un dirigeant autoritaire tandis qu'il était accueilli comme un égal — à bras ouverts et avec de grands sourires — par les dirigeants du monde libre.
Le contrat social que Poutine a conclu avec le peuple russe, c'est qu'il allait créer la stabilité en échange de notre liberté. Lorsque les prix du pétrole ont chuté, Poutine a été forcé de renier son contrat. Des centaines de milliers de Russes ont marché dans les rues en 2011 et 2012 pour manifester contre la corruption électorale et l'échec économique. La réponse de Poutine, comme nous le savons tous, a été la répression, la propagande et la guerre. Pour détruire les droits des gens, Poutine n'a plus besoin d'amis à l'échelle internationale. Il a besoin d'ennemis, de gros ennemis.
La propagande antioccidentale — et surtout antiaméricaine — à la télévision russe est beaucoup plus vicieuse qu'elle l'a jamais été en Union soviétique de mon vivant. Cette propagande de guerre a mené à une vraie guerre : l'invasion et l'annexion de la Crimée, même si Poutine l'a dans un premier temps niée, pour ensuite la confirmer avec fierté.
Lorsque l'offensive en Ukraine a ralenti, Poutine a eu besoin d'une nouvelle cible, d'un nouvel endroit où jouer au dur : la Syrie. Poutine n'est pas là pour Daesh ou l'État islamique, il est là pour aider son allié, Bashar al-Assad, et pour produire beaucoup de séquences vidéo de guerre excitantes pour la télévision russe.
Poutine réussit très bien à trouver les endroits où personne n'a le pouvoir de l'arrêter ni de s'opposer à lui : la Géorgie, l'Ukraine et la Syrie. Le danger, c'est qu'il se trompera peut-être un jour en choisissant une nouvelle cible, parce qu'il a rencontré très peu de résistance jusqu'à présent.
Pour garantir sa mainmise sur le pouvoir, Poutine a ciblé les seules forces qu'il considère comme des menaces : l'OTAN, l'Union européenne et les États-Unis. Poutine travaille activement depuis des années à miner l'unité du monde libre grâce à de la propagande et au soutien de politiciens qui partagent les mêmes objectifs que lui. La machine de Poutine soutient des mouvements comme le Brexit et des groupes d'extrême droite, comme ceux de Marine Le Pen, en France et l'Aube dorée, en Grèce. Il soutient aussi de possibles agents de chaos, comme Donald Trump. Et maintenant l'Italie est au bord du gouffre.
La guerre cybernétique, la guerre de l'information et l'exportation de la corruption et de l'intimidation sont des armes que Poutine utilise souvent et efficacement. Il faut faire quelque chose — et bientôt — parce que le prix pour le stopper ne fait qu'augmenter. Poutine ne peut plus redevenir l'ami qu'il était. Son pouvoir en Russie dépend d'une confrontation éternelle. Il n'y a plus de terrain d'entente, et le chercher n'est qu'une perte de temps qui le renforce.
Le langage de l'apaisement est réconfortant et pratique du point de vue de la politique nationale, mais il a toujours failli à arrêter les dictateurs étrangers, et cela ne changera pas. Pour arrêter Poutine, pour empêcher son agression, nous devons cibler la seule chose qui l'intéresse : sa mainmise sur le pouvoir en Russie. La meilleure façon de cibler le pouvoir de Poutine, c'est de viser ses agents et copains, ceux qui tiennent les leviers du pouvoir et qui bénéficient le plus du règne de Poutine.
En forçant l'élite de Poutine à choisir entre lui et leur mode de vie paisible à l'étranger, il est encore possible de créer une fracture ou d'au moins atténuer ses pires agressions
Les gens qui peuvent influer sur Poutine doivent être ciblés, sinon, aucune mesure de dissuasion ne sera efficace. Poutine n'a aucunement à coeur le peuple russe, l'économie russe ou l'image de la Russie à l'étranger. Je le répète, il n'en a rien à faire.
Les dictateurs ne se demandent pas « pourquoi », seulement « pourquoi pas ». La dissuasion est la réponse. Des pénalités très sévères doivent être à portée de main et bien connues. La dissuasion est difficile, parce que ses résultats ne sont pas apparents. Si elle fonctionne, rien ne se produit. À ceux qui disent que les sanctions ne fonctionnent pas, pouvez-vous imaginer ce que Poutine aurait fait s'il n'y avait pas eu les sanctions? Et pouvez-vous nous dire pourquoi il a travaillé aussi dur pour les faire éliminer?
Il y a 10 ans, lorsque je présentais des témoignages de même nature, on me disait que Poutine était un problème russe. Je disais oui, mais, si vous ne limitez pas bientôt les dégâts, ce sera un problème régional, puis ce sera le problème de tout le monde. Aujourd'hui, Poutine est en Ukraine, en Syrie, il se mêle des élections américaines, il mène une guerre cybernétique mondiale, il parraine des groupes fascistes partout en Europe et il dissémine de fausses nouvelles et de la propagande partout dans le monde.
La solution de rechange à l'apaisement, ce n'est pas la guerre, c'est la dissuasion. La meilleure façon d'éviter un conflit est de convaincre votre opposant qu'il perdra. La loi Magnitski canadienne démontrera la volonté de s'élever afin de prévenir d'autres agressions. Elle enverra un message au sujet de conséquences pour la torture, le meurtre et la guerre. Ce sera l'arme la plus efficace contre les nouveaux types de guerres hybrides de propagande et d'intimidation que mène Poutine.
Ne vous méprenez pas : il y a une guerre en cours, qu'on veuille l'admettre ou non, et c'est très facile de perdre une guerre si on refuse de reconnaître son existence même.
Merci.
Monsieur le président, membres du Comité, comme M. Kasparov, je suis ravi d'être ici et je vous remercie de l'invitation de participer à votre examen de la Loi sur le blocage des biens des dirigeants étrangers corrompus et de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Je comparais avec pour toile de fond, la motion unanime dans la Chambre des communes en juin dernier relativement au projet de loi d'initiative parlementaire que j'ai présenté, la loi de Magnitski sur la responsabilisation mondiale pour les violations des droits de la personne, dans laquelle je demande au gouvernement d'adopter un texte juridique mondial pour, entre autres choses, responsabiliser les gens qui bafouent les droits de la personne, y compris, entre autres, ceux dont M. Kasparov a parlé dans sa déclaration.
En effet, l'audience arrive en temps opportun et est nécessaire, parce que nous sommes témoins d'une résurgence de l'autoritarisme à l'échelle mondiale. C'est ce que reflète l'importante répression nationale, d'un côté, en Russie, en Iran, en Chine, en Arabie saoudite, en Turquie et dans les pays similaires, étayée par une culture généralisée et persistante d'impunité, accompagnée — et c'est regrettable — de l'autre côté, par une contraction démocratique, au moment même où il faudrait voir les démocraties se renforcer en adoptant des lois leur permettant de passer à l'action.
Heureusement, tandis que nous nous rencontrons, le Congrès américain vient d'adopter la loi Magnitski, qui fait suite à leur adoption d'une loi visant à faire justice à Sergueï Magnitski, en 2012. De plus, à l'heure actuelle, une coalition réunissant tous les partis du Parlement du Royaume-Uni lance une initiative similaire. Par conséquent, je propose d'organiser ma brève déclaration en fonction de trois thèmes.
Le premier thème consiste en une rapide critique des deux textes de loi dont vous êtes saisis. J'ai lu le témoignage des témoins, alors je n'aurai pas besoin d'en dire beaucoup sur cette critique.
Le deuxième, c'est la nature et la raison d'être non seulement de la loi visant à faire justice à Sergueï Magnitski, mais, en fait, d'une loi sur la justice et la responsabilisation à l'échelle mondiale.
Enfin, de façon corollaire, mais tout de même importante, je parlerai des objectifs que permettrait d'atteindre une telle loi. Encore une fois, j'ai lu les témoignages qui ont décrit les objectifs d'un régime de sanctions. Je crois qu'il y a peut-être certains motifs qui n'ont pas été abordés, et j'aimerais vous les souligner.
Je vais commencer par la Loi sur le blocage des biens des dirigeants étrangers corrompus adoptée en 2011. Il y a un problème et une limite majeurs dans cette loi, comme vous avez pu le voir dans les témoignages que vous avez entendus. Le problème de cette loi, qui, comme vous le savez, a été adoptée au début du printemps arabe, c'est que son application peut seulement être enclenchée sur demande d'un État étranger. Cependant, très souvent, les représentants d'un État sont eux-mêmes bénéficiaires de la corruption et complices d'une culture de corruption et de criminalité. Une telle limite, comme l'a montré l'étude de cas de l'importante corruption dans les Maldives fournie dans le cadre d'un témoignage, signifie que la culture de corruption et d'impunité est maintenue plutôt que tenue responsable grâce à cette loi.
Dans le cas de la LMES, une bonne partie du régime de sanctions du Canada au titre de cette mesure est conforme au régime de sanctions des Nations unies ou découle de l'association du Canada avec un régime multilatéral à cet égard. Cependant, le seuil pour l'imposition unilatérale de sanctions par le Canada — encore une fois, tout cela a été résumé dans des témoignages précédents — est à la fois trop élevé et trop général. Par conséquent, on l'invoque rarement. Cela fait en sorte qu'il y a seulement eu deux poursuites au titre de la LMES, et les deux poursuites étaient liées à des activités associées à l'Iran, ce qui donne à penser que les mesures découlaient de l'application du régime de sanctions général à l'échelle internationale, plutôt que de la décision indépendante du Canada de passer à l'acte quand il le faut.
Cela m'amène à mon deuxième thème, qui est la raison d'être de l'adoption de la loi Magnitski par le Congrès américain — et, maintenant, le Royaume-Uni et le Parlement européen — et de la loi visant à faire justice à Sergueï Magnitski, que j'ai moi-même déposée en 2011, et de la Loi sur la responsabilisation mondiale pour les violations des droits de la personne, que j'ai déposée en en 2015, suivant, comme je l'ai dit, une adoption à l'unanimité par le Parlement d'une motion à cet effet.
Ce n'est pas que j'ignorais à l'époque l'existence de ces deux lois que vous étudiez aujourd'hui. De fait, c'est précisément parce que ces deux instruments législatifs, dont j'ai abrégé la critique pour les raisons que j'ai mentionnées, justifiaient ces deux initiatives.
C'est en quelque sorte une façon de rendre justice à Sergueï Magnitski. Comme vous le savez — je n'ai pas besoin de m'appesantir sur le sujet —, Sergueï Magnitski a levé le voile sur la plus grande fraude fiscale d'entreprises de l'histoire de la Russie. Il a documenté les actes frauduleux des fonctionnaires responsables. Ceux-ci se sont alors arrangés pour le faire arrêter, détenir, torturer et tuer en prison; puis, dans une manoeuvre kafkaïenne pour étouffer l'affaire, ils ont intenté un procès posthume à Magnitski, l'accusant de la fraude qu'ils avaient eux-mêmes perpétrée. Par conséquent, la loi visant à rendre justice à Sergueï Magnitski a été déposée afin de lutter contre un cas concret qui incarne à la fois la culture de corruption et la culture de criminalité et d'impunité en Russie, une situation où les criminels, malheureusement, peuvent toujours voyager et blanchir leurs avoirs et non seulement être récompensés à la maison, mais aussi récolter les fruits de leur corruption et de leur criminalité à l'étranger, y compris dans des pays comme le Canada.
C'est pour cette raison que j'ai déposé le projet de loi, en octobre 2011, et que, peu après, Boris Nemtsov — mentionné également par Gary Kasparov —, chef de l'opposition démocratique en Russie, s'est joint à moi et est venu au Canada pour soutenir le projet de loi visant à rendre justice à Sergueï Magnitski afin, comme il l'a dit, de combattre la culture de corruption et la culture de criminalité et, en particulier, la culture d'impunité qui les sous-tend.
Vous pourriez répondre que la Russie n'est pas le seul État à bafouer les droits de la personne et que ce type de loi peut donner l'impression qu'on prend la Russie pour unique cible de sanctions. Je dois dire que ce ne serait pas la première fois. Il importe de comprendre que, sur le plan historique — et je serai très bref —, la Russie a fait l'objet d'un traitement particulier... et je vais vous donner un exemple, car l'impact est révélateur. Il s'agit du projet de loi adopté par le Congrès durant les années 1970, couramment appelé l'amendement Jackson-Vanik qui a mené à l'ouverture de l'émigration de l'ancienne Union soviétique à l'époque, et de la version finale de l'accord de Helsinki et d'autres sanctions connexes, lesquelles, dit-on, auraient mené, si vous me permettez une métaphore marxiste, au « dépérissement » de l'ancienne Union soviétique en raison d'un régime de sanctions efficace qui ciblait l'ancienne Union soviétique dans son ensemble.
En outre, en tant que personne ayant représenté des prisonniers politiques dans cette ancienne Union soviétique, je connais — à la lumière de discussions avec eux — toute l'importance de faire savoir aux personnes qui étaient alors dans le goulag qu'elles ne sont pas seules, que nous sommes avec eux, que nous allons imposer ces sanctions et que nous n'allons pas céder avant que leur pays devienne libre.
La remontée de l'autoritarisme que nous observons aujourd'hui commande l'adoption d'une loi mondiale sur les droits de la personne car, comme vous le diriez volontiers et comme je le reconnais, la Russie, même si elle compte parmi les États affichant le plus lourd bilan au chapitre des droits de la personne, même si elle est peut-être le plus menaçant de ces États en raison de ses actes d'agression à l'extérieur de ses frontières et de sa répression intérieure, n'est pas le seul pays à bafouer les droits de la personne, comme le reconnaissent les lois des États-Unis, du Royaume-Uni, du Parlement européen, entre autres.
En effet, en tant que personne ayant représenté et continuant de représenter des prisonniers politiques — en Iran, en Chine, en Arabie saoudite, au Venezuela — je peux vous dire que ces prisonniers politiques et leurs souffrances dévoilent la culture de criminalité et la culture d'impunité dans ces pays. Par conséquent, je comprends toute l'importance de sanctions mondialisées.
Je vais vous donner un autre cas concret, puis je vais passer à mon dernier point. Prenons l'Iran. Il est évident que le spectre de sanctions contre l'Iran a aidé à amener ce pays à la table de négociation et a facilité la conclusion d'un accord entre le P5+1 et l'Iran au sujet du programme nucléaire de ce pays, mais l'aspect qu'il nous arrive de passer sous silence ou de présenter de façon édulcorée est la conduite criminelle de l'Iran sur quatre plans.
Si je dis « sur quatre plans », c'est que, premièrement, l'Iran compte parmi les principaux États qui soutiennent le terrorisme international; ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Département d'État américain et d'autres intervenants qui continuent de le dire.
Deuxièmement, il y a ses actes d'agression hégémonique dans la région, que ce soit en Syrie, au Yémen ou en Irak, pour ne nommer que ceux-là.
Troisièmement, il y a l'incitation au génocide appuyée par l'État. Je rappelle aux membres du Comité que c'est la Cour suprême de notre pays — dans l'affaire Mugesera, en 2005 — qui a déclaré que la seule incitation au génocide constitue un acte criminel en soi, qu'il soit suivi d'actes de génocide ou pas. Par conséquent une loi mondiale prévoyant des sanctions pourrait également viser et tenir responsables les auteurs de l'incitation au génocide approuvée par l'État.
Quatrièmement, il y a la répression intérieure massive en Iran, comme en témoigne le fait que l'Iran est l'État qui exécute plus de personnes par habitant que tout autre pays du monde, qu'il poursuit et persécute... Je pourrais en parler encore longtemps. Vous savez que la Semaine de la responsabilisation de l'Iran a démontré cette réalité. L'exemple le plus troublant et ahurissant de la culture de l'impunité est le fait que le ministre de la Justice de l'Iran, Mostafa Pourmohammadi, demeure impuni. Il a été responsable de l'assassinat collectif de dissidents iraniens en 1988, événement que le Parlement a souligné en déclarant le 1er septembre journée des prisonniers politiques en Iran. Il continue de servir sans qu'on lui ait infligé de sanctions à cet égard. Je pourrais vous mentionner d'autres cas, mais je ne le ferai pas, faute de temps.
Je vais maintenant conclure en vous décrivant les buts des régimes de sanctions, un point à la fois.
Les témoignages présentés à votre comité ont montré qu'un régime de sanctions vise essentiellement à réaliser trois objectifs : un, forcer quelqu'un à changer de comportement; deux, gêner les activités de personnes ou de groupes; et trois, signaler une violation des normes internationales. Cependant, plusieurs autres fins impérieuses qui sont quelque peu passées sous silence ou marginalisées sous-tendent non seulement la loi visant à rendre justice à Sergueï Magnitski, mais aussi ma proposition que le Parlement promulgue une loi sur la justice et la responsabilisation mondiales qui serait tout aussi complète et englobante pour ce qui est de tenir responsables les auteurs de violations des droits dans le monde.
Il y aurait un certain nombre d'objectifs. Le premier est de combattre la persistante et omniprésente culture de corruption, de criminalité et d'impunité. Le deuxième est de dissuader par le fait même les transgresseurs éventuels. Le troisième est de faire du Parlement du Canada un promoteur de la justice internationale, de la même façon que nous cherchons à promouvoir la justice au pays. Le quatrième objectif est de maintenir la primauté du droit et la justice ainsi que la responsabilisation sur notre propre territoire, grâce à des interdictions de visa et à la saisie de biens, entre autres. Les récentes preuves de la façon dont des biens liés à l'affaire Magnitski ont été blanchis au Canada ne sont qu'un exemple parmi tant d'autres qui illustre toute l'importance d'adopter ce genre de loi exhaustive.
Le cinquième objectif est de protéger les entreprises canadiennes qui exercent leurs activités à l'étranger. Magnitski a découvert la plus grande fraude fiscale d'entreprise de l'histoire de la Russie, acte perpétré contre une entité ayant son siège au Royaume-Uni, Hermitage Capital, alors ce type de loi protégerait non seulement l'intégrité du commerce au Canada, mais aussi nos gens d'affaires canadiens qui évoluent à l'étranger.
Sixièmement, la loi viserait à stigmatiser les auteurs de violations des droits de la personne. Ainsi, en plus de ne pas pouvoir blanchir leurs actifs, de ne pas pouvoir voyager librement, de ne pas pouvoir envoyer leurs enfants à l'école à l'étranger, ce genre de choses, ces gens n'arriveront pas à obtenir des prêts de banques et à transiger avec des entreprises. Ils essuieront de sérieux dommages à leur réputation, et cela va permettre de protéger l'intégrité à la fois de la primauté du droit et de la primauté du commerce.
Septièmement, une telle loi donnerait au gouvernement le pouvoir d'agir au lieu de lui lier les mains. Elle nous permettrait de protéger les droits de la personne au lieu d'être complices de violations des droits de la personne.
Enfin, et c'est peut-être l'objectif le plus important, elle dit aux défenseurs des droits de la personne, les Magnitski d'aujourd'hui en Russie et ceux qui se trouvent dans tous les autres pays que j'ai mentionnés, comme Raif Badawi, en Arabie saoudite, ou Leopoldo López au Venezuela ou les bahaïs en Iran, qu'ils ne sont pas seuls, que nous sommes solidaires avec eux, que nous ne cesserons pas de nous battre pour leurs droits et que nous assumerons nos responsabilités internationales pour ce qui est de poursuivre la justice et de lutter contre la culture d'impunité et de criminalité dans ces pays.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Cotler et monsieur Kasparov.
Passons sans plus tarder aux questions. Nous allons commencer par M. Kent, pour six minutes.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux d'être ici aujourd'hui. Merci, monsieur Kasparov, de défendre courageusement la démocratie, la primauté du droit et la vérité; monsieur Cotler, c'est toujours un honneur d'être en votre présence.
Monsieur Kasparov, le Comité a entendu de nombreux témoignages d'appui à la loi Magnitski, la version originale comme les versions subséquentes, et maintenant à la Loi de Magnitski sur la responsabilisation mondiale pour les violations des droits de la personne adoptée par les États-Unis et au projet de loi déposé au Royaume-Uni, mais nous avons également entendu des gens dire, à l'instar du ministre des Affaires étrangères du Canada, que le Canada n'a pas besoin d'ajouter des sanctions et que le dialogue est préférable.
En outre, ces gens avancent que M. Poutine, par exemple, ou d'autres despotes comme lui, ne changeraient pas leur comportement à cause de sanctions. Plus tôt cette semaine, vous avez déclaré que l'actuelle loi Magnitski américaine fait peur à M. Poutine parce qu'elle entrave la liberté des kleptocrates de la Russie. Entendez-vous par cela que la loi suscite la peur et l'incertitude chez lui?
Elle doit susciter de l'incertitude chez lui, car elle porte atteinte à l'une des règles fondamentales d'un État mené par le crime organisé.
Poutine n'est pas un chef élu démocratiquement. Il s'agit d'un dictateur dont les règles sont fortement fondées sur l'immunité qu'il procure à ses complices, l'élite russe qui se trouve en Russie. En outre, ces gens, après avoir commis des crimes en Russie et volé de l'argent, peuvent mettre cet argent en lieu sûr à l'étranger.
Ce sont deux éléments très importants du pouvoir de Poutine. Il était perçu comme la seule personne pouvant garantir un système confortable où l'élite pourrait s'enrichir et protéger son argent et, un jour, même envoyer leur famille vivre confortablement à l'étranger.
Toute loi utile qui attaque les intérêts de ce groupe, de l'élite russe, même à l'échelon intermédiaire, aura des conséquences. Cela pourrait même faire un trou important dans le trésor de guerre de Poutine, car, dans le crime organisé, le dirigeant obtient une loyauté entière en échange d'une protection entière. Tous les tueurs à gages doivent être protégés.
Je ne dis pas que toutes ces personnes ont commis des crimes vraiment horribles, bien que, dans le cas de Magnitski, le fait qu'il a subi un procès posthume pour les crimes qu'il a découverts dépasse l'entendement. C'est pour cette raison que Poutine ainsi que ses amis, ses mandataires et ses lobbyistes ont livré une lutte si musclée pour faire abroger la loi Magnitski. C'est parce qu'elle va s'attaquer au fondement même du prétendu contrat social qu'il a conclu avec l'élite russe.
Est-ce qu'elle va immédiatement mener à sa chute? Je l'ignore, mais je peux vous dire que s'il voit un quelconque signe de faiblesse, comme le fait de tenter d'abroger ou même d'alléger les sanctions, ce sera perçu comme une victoire de Poutine. La façon de faire de Poutine depuis quelques années — par exemple après son acte d'agression en Ukraine et d'autres initiatives agressives sur le plan de la politique étrangère — a été de se présenter au public russe — qui subit sa propagande empoisonnée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 — comme étant le seul sauveur du pays face à une conspiration mondiale. Il sait que les dictateurs peuvent commettre nombre d'erreurs, mais ne doivent jamais montrer de la faiblesse. C'est pourquoi il a besoin de victoires.
Malheureusement, il est maintenant capable de présenter nombre de ses mesures stratégiques à l'étranger, qu'il s'agisse d'actes criminels — comme l'annexion de la Crimée ou la guerre en Ukraine orientale — ou d'autres actes d'ingérence dans les élections et dans la vie politique en Europe et en Amérique, ou de guerres génocides en Syrie, comme des démonstrations de sa puissance. C'est pourquoi je ne cesse de répéter que tout ce qui peut irriter un dictateur, tout ce qui peut le faire paraître faible, surtout si c'est une défaite venant de l'étranger, est extrêmement précieux.
Nous avons appris que la National Crime Agency du Royaume-Uni estimait que pour environ 100 milliards de dollars d'argent sale transitaient chaque année par le Royaume-Uni. Nous avons entendu les témoins exprimer leur scepticisme, devant notre comité, quant au fait que ces sommes ne pourraient probablement pas se retrouver au Canada et que les contrevenants russes ne chercheraient probablement pas asile au Canada, malgré les preuves. Nous avons également entendu dire que le Canada n'avait pas la capacité d'établir des priorités ni les moyens de chercher à retrouver ces sommes ou ces individus.
Voudriez-vous commenter s'il vous plaît?
L'argent cherche toujours un refuge. Nous parlons de centaines de milliards de dollars, si ce n'est pas plus, que l'on cherchera certainement à investir quelque part. Nous savons que cela fait longtemps que le Royaume-Uni représente une destination de choix. Nous savons qu'il y a également quelques endroits en Amérique, même si les États-Unis ont toujours eu des règlements sévères qui rendaient la chose plus difficile. On peut aussi trouver à Dubaï d'énormes sommes en provenance de la Russie. Encore une fois, cet argent est bien accueilli, là-bas.
Je ne serais pas surpris de voir le Canada devenir une destination possible, surtout si le gouvernement du Canada se montre prêt à conclure un accord, n'importe quel type d'accord, avec la Russie. Ce serait un signal indiquant que le Canada pourrait peut-être être le prochain refuge.
Merci.
Il me reste une petite question pour M. Cotler.
Étant donné que la Chambre des communes, l'an dernier, a appuyé à l'unanimité la loi Magnitski, êtes-vous surpris de la position du ministre des Affaires étrangères du Canada, qui s'oppose aujourd'hui à cette loi?
Je n'ai pas compris que le ministre des Affaires étrangères se soit opposé à cette loi. Selon ce que j'ai compris, il attend de voir l'issue des travaux de votre comité. C'est relié à votre déclaration préliminaire, qui est importante, vue dans un contexte plus général, en ce qui a trait à l'engagement, disons, avec la Russie ou d'autres États qui violent les droits de la personne.
Je crois que, dans le monde dans lequel nous vivons, nous devons nous engager, et je suis en faveur d'un engagement, mais ce n'est pas comme si nous avions le choix. Il ne s'agit pas de nous engager sans prendre de sanction ou de prendre des sanctions sans nous engager. Je crois que nous pouvons à la fois nous engager, comme nous devons le faire, et en même temps prendre des sanctions, qui vont probablement être nécessaires. Il ne s'agit pas de nous demander si nous devrions nous engager, mais comment nous allons le faire.
En termes clairs, allons-nous nous montrer indulgents pour les complices de Poutine, devenant ainsi nous-mêmes complices, même si c'est par inadvertance, ou allons-nous demander des comptes aux gens qui contreviennent aux droits de la personne, du moins aux termes de nos propres lois, en les laissant venir ici et blanchir ici leur argent sale? Comme Boris Nemtsov l'a dit ici même, dans les meilleurs termes qui soit, la loi visant à faire justice à Sergueï Magnitski est une loi pro-russe. C'est une loi faite au nom du peuple russe, mais elle tient les transgresseurs russes responsables.
Merci, monsieur Cotler et monsieur Kent.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Miller pour six minutes, s'il vous plaît.
Merci à vous deux. C'est extraordinaire d'avoir devant nous les plus grands défenseurs des droits de la personne du Canada, ainsi que le meilleur joueur d'échecs du monde. C'est véritablement un honneur de pouvoir vous poser des questions au sujet de ce dossier extrêmement complexe et des lois que nous étudions.
Pour votre gouverne, nous n'en sommes toujours pas arrivés à une conclusion. Nous n'avons pas terminé notre rapport et nous n'avons pas encore reçu tous les témoignages, cependant, nous sommes arrivés à identifier clairement une lacune quant à la capacité de geler les avoirs des étrangers qui ont commis de graves violations des droits de la personne. Maintenant, passer de cette prémisse ou de cette conclusion à une mise en oeuvre, c'est beaucoup plus difficile qu'il ne le semble au départ. Dans une démocratie pluraliste, cela soulève d'importantes préoccupations relativement au respect de la règle de droit, telle qu'elle est comprise, dans ses nombreuses facettes, entre autres, la collecte d'éléments de preuve de ces graves violations des droits de la personne. Dans le cas dont vous avez parlé, il est évident que des preuves suffisantes de ce qui s'est passé ont été recueillies. Je ne le conteste pas.
Ce que j'aimerais savoir, j'imagine, c'est comment on pourrait intégrer tout cela dans des lois. Nous sommes préoccupés, évidemment, par la règle de droit, la capacité d'une personne accusée de ces actes de comparaître et de présenter une défense. Vous nous demandez de geler les avoirs d'une personne, des avoirs qui ont peut-être été mal acquis, et, dans ce cas, il existe déjà dans notre Code criminel des dispositions à cet égard, ou encore, il se peut tout simplement que les avoirs aient été acquis d'une autre façon. Ce sont des arguments valables en faveur du gel, cela a un effet dissuasif, ou encore, il y a un impératif moral.
Monsieur Cotler, vous êtes un juriste et un avocat de premier plan. En fait, ce que j'aimerais entendre, ce sont vos préoccupations quant à la règle de droit.
Ensuite, monsieur Kasparov, quel effet, pensez-vous...? Vous avez parlé plus tôt, en répondant à M. Kent, de l'impact sur la Russie des mesures de ce genre qu'un pays comme le Canada pourrait prendre, ainsi que des mesures de prévention qu'il nous faut connaître si nous voulons mettre cette loi en vigueur à l'encontre d'un tel pays, ou, en fait, d'autres pays.
Le type de loi que je propose est un modèle; elle vise à modifier la LMES, et elle comprend des mesures permettant d'agir contre les fonctionnaires corrompus, pas seulement sur demande, mais de notre propre initiative. Toutefois, peu importe les sanctions qui seront au bout du compte adoptées, je crois qu'il est important que cette loi s'appuie sur des procédures légales régulières.
Je ne crois pas que nous puissions agir de manière péremptoire ou arbitraire. Le but de la loi, c'est justement que nous voulons agir conformément à la règle de droit et faire régner la justice sur la scène internationale et sur notre territoire. La seule façon dont nous pouvons le faire, c'est de donner aux gens l'assurance qu'ils ont droit à des recours, grâce à cette loi. C'est intégré dans le projet de loi que j'ai présenté. C'est également intégré dans les lois des États-Unis et dans celles du Royaume-Uni.
Je crois qu'il est possible, d'une part, de donner au gouvernement canadien les moyens d'agir pour combattre l'impunité et, d'autre part, de nous assurer que, ce faisant, nous accordons à toutes les personnes qui peuvent se retrouver visées par ricochet par cette loi, des avis, des audiences et des droits.
S'il y a une chose que j'ai apprise en lisant quelques livres d'histoire, c'est que tout retard des interventions visant un dictateur — un dictateur agressif — augmente les coûts.
Quand Boris Nemtsov est venu ici — je ne sais pas si c'est dans cette pièce même ou ailleurs — pour défendre l'affaire Magnitski, nous vivions dans un monde différent. C'était avant l'invasion de l'Ukraine, avant l'annexion de la Crimée, et, bien sûr, avant que Boris Nemtsov ne soit assassiné en face du Kremlin. Cela montre que le régime de Poutine se développe — je ne suis pas certain que ce soit le mot exact —, qu'il s'avance dans une direction.
Vous avez parlé de la violation des lois, mais nous devons trouver une façon de pénaliser le régime de Poutine, qui viole le droit international fondamental assurant la paix en Europe et dans le reste du monde, depuis 1945, et qui veut que les frontières ne puissent pas être déplacées par la force. Il n'y a eu qu'une exception, lorsque Saddam Hussein a envahi le Koweït, et la communauté internationale a réagi vigoureusement.
Si vous prétendez que l'annexion de la Crimée n'est qu'une affaire locale entre la Russie et l'Ukraine ou que cela n'aura pas de conséquences fondamentales pour la sécurité mondiale, vous envoyez à Poutine le message que rien ne va plus.
Quant à ceux qui soutiennent que l'Ukraine ne fait pas partie de l'OTAN, en effet, c'est le cas. Je sais qu'il n'y a aucune obligation de défendre l'Ukraine militairement. Il y a, bien sûr, le Mémorandum de Budapest, qui porte les signatures du président américain et du premier ministre britannique apposées à côté de celle de Boris Elstine. Cette entente concernait l'échange d'ogives nucléaires de l'Ukraine, qui possède le troisième arsenal nucléaire du monde en importance, contre la garantie du respect de l'intégrité territoriale par les Russes.
Quand, en somme, vous invitez Poutine à mettre à l'épreuve la résolution du reste du monde, du monde libre, n'ayez crainte, il le fera. La question n'est pas de savoir si Poutine va frapper, demain, le mois prochain ou l'année prochaine; la question est de savoir à quel moment et à quel endroit il va frapper, puisque ses politiques étrangères agressives sont la base de sa propagande intérieure. Il aura besoin d'alimenter le public russe de ses coups d'éclat sur la scène mondiale.
Certes, je comprends vos préoccupations quant aux délicats détails du droit canadien, et il est évident que vous ne voulez pas faire l'erreur de blesser des gens innocents, mais c'est à vous de proposer un plan pour protéger l'intégrité et la sécurité du monde dans lequel nous vivons. Si vous ne faites rien, la guerre que Poutine mène contre le monde libre, sa politique consistant à semer le chaos partout dans le monde, continueront. Il a prouvé qu'il était tout à fait capable de semer le chaos, et, contrairement à de nombreux autres politiciens, ses homologues du monde libre, il ne joue pas dans des recoins, il joue à l'échelle géopolitique. Il comprend que les réfugiés syriens pourraient aider ses camarades européens, tous les partis fascistes, à gagner en popularité, étant donné que tout cela ébranle les systèmes politiques de l'Europe. Cela l'aide à avoir davantage d'amis au pouvoir et, un jour, cela l'aidera à faire lever les sanctions, ou à les atténuer.
Voilà pourquoi je pense que c'est à vous de décider comment vous voulez résister à cette agression. Mais vous ne devriez pas discuter la question de savoir si le défi ultime sera inévitable; le défi ultime, ce pourrait bien être lorsque Poutine décidera de mettre votre détermination à l'épreuve dans les pays baltes.
Ce n'est pas si difficile que cela à imaginer, étant donné qu'un colonel du KGB qui a beaucoup d'expérience des guerres hybrides fera ce qu'il peut pour que l'OTAN ne soit rien d'autre qu'un nom sur un papier.
Merci beaucoup, monsieur Kasparov.
Monsieur Miller, nous allons donner la parole à Mme Laverdière, pour six minutes.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Traduction]
Merci à vous deux de ces exposés passionnés et si bien éclairés.
Si vous me le permettez, monsieur Kasparov, j'ai décelé dans votre exposé des agissements de Poutine le grand joueur d'échecs, qui analyse tous les déplacements.
Nous avons reçu des témoins qui nous ont dit, que si nous sanctionnions des individus, cela ne fera qu'augmenter la répression, par la suite. J'aimerais que vous commentiez cela.
Premièrement, je tiens à défendre l'intégrité de mon jeu. Je crois que si nous disons que Poutine est un joueur d'échecs, c'est en quelque sorte une insulte intellectuelle au jeu d'échecs.
Non, non, comme vous le pensez bien, ce n'est pas la première fois que je me vois obligé de défendre avec énergie le jeu que j'ai passé ma vie à jouer.
Sérieusement, les échecs sont un jeu de stratégie, et les dictateurs ne jouent pas un jeu de stratégie. Ils sont toujours excellents en tactique. La stratégie suppose de penser à long terme, tandis que les dictateurs s'occupent surtout de survie.
Poutine est un très bon joueur, mais je préférerais dire qu'il est un joueur de poker. Au poker, vous pouvez gagner avec une main très faible, mais vous pouvez bluffer; vous pouvez faire monter les enchères et vous devez être une personne capable de lire les pensées de vos adversaires. Encore une fois, il était un très bon agent du KGB qui s'est avéré être excellent pour lire les pensées de nombreux dirigeants étrangers en gagnant leur confiance et, un jour, bien sûr, en les trahissant.
Poutine joue toujours avec une main faible. La Russie aujourd'hui n'est plus que l'ombre de l'Union soviétique, sur le plan militaire et économique, mais Poutine connaît les règles de ses manoeuvres politiques : il sait comment faire du chantage, intimider et menacer. Il s'attend toujours à ce que ses adversaires, même ceux qui ont une excellente main, se couchent.
Quant à ma réponse à votre question concernant davantage de répression, écoutez, mon ami Boris est mort. La plupart des gens qui ont combattu avec moi en Russie, ceux qui ont pris part aux grandes manifestations de 2011 et de 2012, sont en exil comme moi, en prison ou pire encore. Ce qui reste en Russie est un groupe très discret de personnes qui ne représente pas vraiment un danger pour le régime, et c'est pourquoi celui-ci lui permet uniquement de faire de petites choses.
Nous savons que le régime de Poutine a atteint le point où il ne tombera pas en raison d'une dissidence interne à moins qu'elle soit provoquée par une défaite à l'étranger. C'est comme la retraite de l'Union soviétique en Afghanistan. Contrairement aux Américains en 1975, la retraite a été ordonnée. Les Russes ne fuyaient pas l'Afghanistan, alors il n'y avait aucune panique. Ils ont même laissé en place le régime de Najibullah, le régime pro-Moscou, pendant trois autres années. Pourtant, ce que les gens en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie et dans les États baltes ont vu était que l'empire ne menait plus de frappes. L'empire battait en retraite. Après le 15 février 1989, combien de temps l'Union soviétique a-t-elle survécu? Pas très longtemps.
Tout ce qui pourrait aider à démontrer que Poutine n'est pas invincible, que la Russie sous Poutine est non pas un joueur mondial, mais un pays qui souffre d'avoir une économie pauvre et dont les normes de vie se détériorent, que seuls les copains et les amis proches de Poutine pourraient être les bénéficiaires de ce régime corrompu et agressif... Tout ce qui affaiblira l'image de Poutine aux yeux de Russes ordinaires, mais plus important encore, aux yeux de l'élite russe, peut entraîner des conséquences imprévues.
Je ne vous dis pas que je sais quand Poutine va perdre le pouvoir. Fort probablement, pour un dictateur comme Poutine, la perte du pouvoir signifie également tout perdre, alors il ne prendra pas sa retraite. C'est la mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle est qu'il ne le sait pas non plus.
Vous pouvez rapprocher ce moment. Encore une fois, vous ne devez pas craindre les avertissements selon lesquels si Poutine tombe, ce sera pire. Qu'est-ce qui peut être pire? Lorsque j'entends cet argument, mon sang bout. Regardez la Syrie. Qu'est-ce qui pourrait être pire? Il y a 500 000 morts et 10 millions de réfugiés. Le système politique européen est en difficulté. Il y a une recrudescence du terrorisme. Qu'est-ce qui aurait été pire que de stopper une intervention potentielle en 2011 ou en 2012 parce que nous en craignions les conséquences?
Oui, la chute de Poutine signifie la chute du système parce qu'un seul homme dirige tout. Il ne s'agit pas d'un politburo; c'est une dictature d'un seul homme. Je préférerais avoir une certaine évolution chaotique plutôt qu'un cimetière tranquille.
Avec Poutine, nous connaissons le résultat. Chaque jour qu'il demeure au pouvoir, il endommagera encore davantage ce qui reste de la société russe. Il poursuivra sa politique étrangère agressive, et Dieu sait qui sera la prochaine cible. Il n'arrêtera pas. Il est impossible de lui accorder certaines concessions ou une trêve. Il l'acceptera. Il l'acceptera et ensuite passera à autre chose parce que c'est ce qu'il doit faire. C'est une règle de son engagement. Sa survie exigera de plus en plus de concessions et, à un certain point, il traversera la frontière et ensuite vous devrez engager une confrontation beaucoup plus importante avec lui.
Merci beaucoup, messieurs, d'être venus et de nous avoir fourni un témoignage très convaincant aujourd'hui.
Monsieur Cotler, j'ai une question à deux volets pour vous, et cela nous donnera un peu de contexte sur la façon dont nous devrions aborder ce sujet très exigeant.
Nous avons entendu des témoignages selon lesquels les sanctions au Royaume-Uni, même celles mises en place pour se conformer au Conseil de sécurité des Nations unies, ont été levées en raison de l'absence d'application régulière de la loi. Nous savons que, même s'il n'y a pas de procès en cours au Canada, il y a toujours des poursuites qui sont intentées ici.
Croyez-vous qu'il existe une possibilité que certaines de nos sanctions soient contestées et levées au Canada?
Je crois que, lorsqu'il existe une loi qui est trop large ou imprécise, alors on risque qu'elle soit contestée et que s'ensuive une incertitude relative à ce qu'un tribunal peut faire. C'est pourquoi j'ai dit que la question de l'application régulière de la loi doit être enchâssée dans toute loi prévoyant des sanctions que nous pourrions adopter.
En réalité, ce que je crois que nous devrions examiner, en tant que comité parlementaire et puis en tant que Parlement, c'est la possibilité de modifier la LMES de trois façons. Ces trois façons s'emploieraient à résoudre ce qui est maintenant un niveau de généralité dans la LMES elle-même, un manque de spécificité relativement à ce qui peut déclencher un régime de sanctions. Encore une fois, lorsque je dis « déclencher un régime de sanctions », je ne dis pas que le gouvernement sera forcé par la suite de promulguer ce régime; cela signifie qu'il a le pouvoir de le faire lorsque, selon son jugement, il croit que c'est approprié.
Laissez-moi vous donner trois exemples. La première chose est que nous modifions la LMES afin de sanctionner à l'échelle internationale des violations flagrantes des droits de la personne. En d'autres mots, cela comprendrait la responsabilité ou la complicité — et je vais utiliser mon propre projet de loi, mais il fait partie d'un modèle à cet égard — « de meurtres extrajudiciaires, de torture ou d’autres violations graves de droits de la personne reconnus à l’échelle internationale contre des personnes dans un pays étranger ». Voilà un exemple. Il porte précisément sur les violations des droits de la personne et il est intégré à la loi, à la LMES, laquelle comprend cet aspect.
Pour le deuxième exemple, nous devrions modifier la LMES afin de protéger ces personnes, comme Magnitski, ces braves défendeurs des droits de la personne, qu'ils soient en Russie, en Iran, en Turquie ou peu importe l'endroit où ils se trouvent, qui cherchent à exposer une activité illégale menée par des responsables du gouvernement, comme Magnitski l'a fait, ou qui cherchent à obtenir, à exercer, à défendre ou à promouvoir des droits et des libertés de la personne reconnus comme Raif Badawi l'a fait en Arabie saoudite. C'est mon deuxième exemple.
Mon troisième exemple — et il est lié à Gary Kasparov — est une des pires horreurs que nous continuons d'observer : les crimes de guerre et ceux contre l'humanité commis quotidiennement en Syrie. Cela dure depuis maintenant cinq ans et demi, depuis le début de la politique de la terre brûlée du régime Assad en mars 2011, et le régime continue de l'appliquer, tragiquement, avec impunité. J'aimerais aussi voir la LMES modifiée pour englober la prévention, si c'est possible, et les sanctions visant des crimes de masse atroces : les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le nettoyage ethnique et le génocide. Je sais qu'il s'agit d'une des recommandations que Jared Genser vous a présentées. Je m'associerais à cette recommandation parce que je crois que la responsabilité de protéger les gens devrait aussi être enchâssée dans la loi.
Je désire soulever un autre point avec vous, quelque chose que vous avez mentionné au cours de votre témoignage lorsque vous avez parlé de mesures de redressement, et je veux parler du concept de contrôle judiciaire.
Je suis certain que vous savez que les Nations unies ont nommé une protectrice du citoyen, Kimberly Prost, pour s'occuper des sanctions de l'ONU prises contre des agents d'Al-Qaïda. Croyez-vous que cela mériterait quelque chose dans notre propre loi nationale à certains égards pour que nous puissions garantir que la loi a du mordant, mais aussi qu'elle assure de la transparence et davantage de légitimité aux sanctions si elles sont un jour appliquées? Croyez-vous qu'il s'agit d'un concept sur lequel nous devrions nous pencher?
Je crois que si la loi est soigneusement rédigée, particulièrement en ce qui concerne l'identification de la criminalité qui doit être sanctionnée et des recours accessibles du point de vue de l'application régulière de la loi, alors je crois que nous pouvons laisser nos autorités gouvernementales, notre Parlement et les tribunaux aborder les problèmes qui peuvent survenir et utiliser des procédures de recours à cet égard.
J'ai lu l'exposé qu'a présenté Kimberly Prost à votre comité. Je la connais bien. Nous avons travaillé ensemble au ministère de la Justice lorsque j'étais ministre. Je comprends les raisons relatives à la protectrice du citoyen, de même que sa situation et ses préoccupations particulières. Je ne suis pas certain qu'il s'agirait de quelque chose qu'il serait nécessairement justifié d'intégrer dans la loi canadienne, mais c'est quelque chose qui doit être exploré.
Il ne nous reste pas beaucoup de temps, mais monsieur Sidhu, vous figurez sur la liste. Pourquoi ne poseriez-vous pas deux questions avant la fin de nos travaux?
Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux de votre témoignage aujourd'hui. Laissez-moi d'abord vous remercier, monsieur Cotler, de vos services rendus au pays. Vous avez été député pendant 11 ans et ministre pendant quelques années.
Comme le paysage politique au sud de la frontière change, et que nous allons avoir un nouveau président en janvier, je suis presque certain que les relations avec la Russie vont changer. Selon votre expérience politique, quelle incidence ce changement aura-t-il sur le Canada, le cas échéant?
Il est difficile d'émettre des hypothèses parce qu'une des choses concernant le président désigné Trump est qu'il est imprévisible, particulièrement en ce qui concerne la politique étrangère.
Quant aux États-Unis, compte tenu de leur système et de la séparation des pouvoirs, il est possible pour le Congrès de faire la même chose qu'il a faite en 2012, soit d'adopter la loi Magnitski et de dresser une liste documentée des personnes qui ne peuvent pas entrer aux États-Unis, qui ne peuvent pas blanchir leurs actifs aux États-Unis ni s'adonner à d'autres activités du genre. De même, le Congrès a adopté la loi de Magnitski sur la responsabilisation mondiale pour les violations des droits de la personne, et celle-ci se retrouvera au Sénat. La loi peut être adoptée sans le président, mais clairement celui-ci jouera un rôle par la suite concernant les relations bilatérales avec les pays d'où viennent les contrevenants.
Je crois qu'une loi mondiale est plus efficace et n'est pas visée par la notion qu'on a ciblé un pays en particulier. Il n'est pas question de poursuivre des pays; il s'agit de poursuivre ceux qui ont violé les droits de la personne. C'est une question de soutenir les pays qui appuient la primauté du droit et la justice en soutenant les personnes de ces pays parce que vous vous en prenez aux contrevenants qui jouissent de l'impunité en raison d'une culture de corruption ou de criminalité.
Pour ce qui est du président désigné Trump, premièrement, je crois que nous pouvons être indépendants en tant que Parlement, en tant que gouvernement et en tant que pays et promulguer notre propre loi mondiale sur la responsabilisation de la justice.
Deuxièmement, je crois que cela peut envoyer un signal à d'autres pays d'Europe, qui seront peut-être incités à faire la même chose, et le Parlement européen a déjà appuyé cette approche.
Troisièmement, la loi pourrait soutenir la mesure prise par le Congrès aux États-Unis, et cela soutiendrait peut-être ce que le président Trump pourrait décider de faire à cet égard. Essayons de voir les choses dans l'autre sens : le Canada qui influence les autres plutôt qu'être influencé par Trump.
Comme vous vous en doutez, j'étais très inquiet de voir Trump constamment louanger Poutine parce qu'il s'agissait probablement de sa seule position qui n'a pas varié pendant toute sa campagne, mais nous savons que cette constance pourrait être de courte durée, et je ne ferais pas de prédiction concernant la politique étrangère des États-Unis avant de voir qui est nommé secrétaire d'État. La plupart des noms sur la liste sont connus pour leur position très ferme à l'égard de la Russie, comme l'ambassadeur Bolton, le gouverneur Romney et le sénateur Corker. N'importe lequel d'entre eux, même le général Petraeus, sera le signal que les relations de Trump avec Poutine n'évolueront peut-être pas de la façon à laquelle Poutine s'attend.
Mais encore une fois, avec le président désigné Trump, je serais très prudent avant de m'exprimer sur la question; j'attendrais qu'on annonce la nomination et ensuite qu'elle soit approuvée par le Sénat. Je vois également certains noms sur la liste qui m'inquiètent beaucoup plus.
Monsieur Cotler et monsieur Kasparov, je vous remercie beaucoup. Comme d'habitude, nous aurions pu vous écouter pendant deux ou trois heures, mais nous apprécions le peu de temps que nous avons passé avec vous.
Ce serait fantastique. Comme nous le disons à tous nos témoins, si vous voulez présenter ultérieurement d'autres documents au Comité, n'hésitez surtout pas à le faire. Nous aimerions obtenir tous vos commentaires. Merci beaucoup.
Je remercie également les membres du Comité et, sur ce, la séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication