FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 24 avril 2018
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Chers collègues, la séance est ouverte. Il est 15 h 30. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous entreprenons une étude de l'engagement du Canada en Asie.
Je veux souhaiter la bienvenue à Charles Burton, professeur agrégé, Département de science politique, Université Brock; à Pitman Potter, professeur de droit, Peter A. Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique, par vidéoconférence; ainsi qu'à Paul Evans, professeur, School of Public Policy and Global Affairs, directeur émérite et directeur par intérim, Institut de recherche sur l'Asie, aussi de l'Université de la Colombie-Britannique.
Chers collègues, comme vous le savez, nous disposons d'une heure pour entendre les trois premiers témoins. Nous allons commencer par céder la parole à M. Pitman Potter afin qu'il puisse faire sa déclaration préliminaire. Ensuite, nous passerons à M. Evans, puis nous conclurons avec M. Burton. Par la suite, nous procéderons à la période de questions.
Au nom du Comité, bienvenue à vous tous.
Nous allons céder la parole à M. Potter.
Je voudrais d'abord remercier le Comité de m'avoir donné la possibilité de lui faire part de quelques réflexions sur divers enjeux touchant l'engagement du Canada en Asie. Aujourd'hui, je me concentrerai particulièrement sur l'absence de primauté du droit en Chine et sur le fait que cette question suscite de moins en moins d'attention.
Si nous examinons la primauté du droit en Chine, je pense que nous devrions d'abord songer aux indicateurs de la façon dont tout respect à l'égard de la primauté du droit a diminué de façon importante au cours des dernières années. Nous voulons commencer par nous rappeler que, lorsque nous, en tant que Canadiens, entendons le terme « primauté du droit », cela fait apparaître dans notre esprit des attentes particulières au sujet de la protection des droits des citoyens, des limites applicables à l'action du gouvernement, et ainsi de suite.
Je voudrais simplement rappeler à tout le monde qu'il ne s'agit pas du tout de la primauté du droit qui a été établie en Chine, où le régime fait très attention d'employer le terme « primauté du droit socialiste ». Effectivement, ce qu'on décrit en Chine comme étant la primauté du droit correspond probablement ou de fait à l'autorité par application du droit; autrement dit, il s'agit du recours à des règles, à des lois et à des institutions officielles, et ainsi de suite, pour mettre en oeuvre des politiques. Je pense qu'il est important d'apporter cette petite correction interprétative dès le départ.
Ce que je voudrais maintenant faire, c'est me concentrer sur deux exemples, d'abord la suprématie, la domination du Parti communiste chinois, dont la répression des avocats en Chine est un exemple; et ensuite, je commenterai simplement la récente modification de la constitution. Enfin, je passerai aux conséquences pour le Canada et à ce qu'il faut faire.
La domination du parti sur le système juridique de la Chine a été bien ancrée tout au long de l'existence de la RPC, mais, durant la période post-Mao — après 1978 —, elle a été intégrée dans la constitution sous la rubrique des prétendus « quatre principes de base », dont le plus important était la soumission à la direction du parti.
Nous pourrions penser que quelque chose qui a été intégré dans la constitution de l'État en 1982 se serait dilué d'une manière ou d'une autre au fil du temps, mais ce n'est très certainement pas le cas. Chaque fois qu'une discussion a lieu concernant la constitution, en Chine, on ressort encore une fois les quatre principes de base afin de rappeler à tous que la constitution et le système juridique sont assujettis à un principe directeur de soumission à l'autorité du parti.
Plus récemment, nous avons observé un certain nombre d'exemples qui ont consacré ce point de vue. En 2013, nous avons vu le parti publier ce qu'on a appelé le « document numéro 9 ». Ce document attaquait diverses activités considérées comme malsaines en Chine, notamment la promotion d'une démocratie constitutionnelle de style occidental, de la société civile ou de la liberté de presse. Le document numéro 9 en appelait aux dirigeants idéologiques pour qu'ils résistent aux valeurs et aux idées occidentales et comprenait ce qu'on appelle les « sept choses dont il ne faut pas parler », les sept questions qu'on ne devait pas aborder. Il s'agissait notamment de la liberté de presse, de la société civile, des droits civils, et ainsi de suite. L'indépendance judiciaire en est une autre.
Pas plus tard qu'en 2013, ensuite, un effort a été déployé dans le but de clarifier cette rigueur idéologique. Ensuite, en 2014, le quatrième plénum du 18e comité central du Parti communiste est arrivé. On l'appelait le « plénum de la primauté du droit », mais, effectivement, il ne faisait que confirmer qu'en Chine, les directives du Parti communiste chinois priment le droit.
Nous en avons vu des exemples en 2015, quand le Politburo a reçu des rapports portant sur les travaux de cellules du parti ou de groupes de la direction du parti à l'intérieur des tribunaux, de l'assemblée législative et des services des poursuites, et nous avons vu en mai 2015 un décret sur l'établissement de ce qu'on appelle le dang zu — l'unité du parti — dans toutes les unités non gouvernementales. Nous observons ainsi une expansion de la domination du parti et du contrôle qu'il exerce.
En 2016, la Chine a publié un livre blanc sur la réforme judiciaire, et il comprenait un accent renouvelé sur la domination du parti et sur le principe de la soumission à son autorité, et il rejetait explicitement la notion d'indépendance judiciaire, préférant plutôt le terme « impartialité ». Ensuite, tout récemment, cette année — et il y a probablement de nombreux autres exemples; ce ne sont que ceux que je vous raconte —, on a procédé à l'établissement d'une commission de supervision nationale chargée de surveiller les secteurs gouvernementaux et appartenant à l'État.
Il s'agissait essentiellement d'une extension de la Commission centrale pour l'inspection disciplinaire, qui est un mécanisme disciplinaire et anticorruption du parti, pour qu'elle ait le contrôle d'une plus grande partie du gouvernement, y compris des institutions judiciaires. On a dit de ce document qu'il « transformait de la volonté du parti en loi ».
Ce sont de nombreux exemples de la façon dont le droit en Chine — malgré le terme « primauté du droit » et les attentes bien légitimes que suppose la signification de ce terme — est tout à fait différent. Il s'agit réellement d'une soumission à l'autorité du parti.
La répression des avocats en Chine qui est vigoureusement exercée depuis 2015 est un exemple flagrant de ce principe. Cela correspond à la fois aux règles de l'Association des avocats de la Chine, qui régit prétendument le comportement des avocats et exige que les avocats appuient la direction du parti, et à la loi applicable aux avocats en RPC, qui requiert également qu'ils soutiennent la direction du parti.
Le droit pénal et le droit de la procédure criminelle ont récemment été modifiés dans le but d'interdire les prétendus faux éléments de preuve et de prévoir des punitions à cet égard. Cette modification vise à décourager le recours par des avocats à des éléments de preuve disculpatoires, encore une fois sous la direction du parti.
Ensuite, ce qu'on appelle « la descente du 9 juillet » — parce qu'elle a commencé le 9 juillet 2015 —, qui se poursuit depuis, consiste à réprimer, à détenir et à punir de façon active des avocats parce qu'ils ont adopté des positions qui n'ont pas plu aux responsables locaux du parti. Des centaines d'avocats ont été détenus. Des cas de torture, de médication forcée, de refus d'accès à la famille et à un avocat ont été signalés, de même que l'imposition d'une surveillance visant le domicile et la famille, la persécution des membres de la famille, et ainsi de suite. Cette situation perdure depuis plusieurs années sans s'améliorer. La plupart de ces avocats ne s'occupent pas d'enjeux nationaux particulièrement sensibles concernant la corruption ou la malfaisance gouvernementales; ils cherchent plutôt à défendre les droits des gens marginalisés, comme en ce qui a trait aux droits des travailleurs, à l'environnement, aux droits des femmes, aux pensions, et ainsi de suite. C'est encore un autre exemple de la façon dont le droit et les institutions juridiques de la Chine se plient à la volonté du parti.
L'exemple qui est peut-être le plus récent et celui que le plus de gens connaissent très bien, c'est la modification de la constitution visant à retirer les limites de mandat pour le règne de Xi Jinping. Voilà un autre exemple de cas où le parti a eu recours à un outil juridique afin d'atteindre ses propres objectifs. En conséquence, la constitution ne prévoit aucune contrainte significative quant au comportement du parti. Cet exemple illustre plutôt l'absence de primauté du droit en Chine.
Quand je réfléchis aux conséquences de cette situation pour le Canada, il importe de souligner que ce n'est pas simplement une affaire intérieure. Elle touche la conformité de la Chine avec les traités. Le respect qu'a ce pays à l'égard de ses propres lois s'étend au respect qu'il a à l'égard des traités internationaux portant sur des affaires comme les droits de la personne, les minorités ethniques et le commerce. L'absence de primauté du droit en Chine touche ainsi tous les aspects des relations du Canada avec ce pays.
Que nous souhaitions travailler en collaboration à l'égard du climat, de la résolution de conflits ou du développement, la gouvernance mondiale dépend tout de même de l'engagement de la Chine envers la primauté du droit et la conformité avec les traités. La coopération juridique Canada-Chine à l'égard d'éléments tels que l'application de décisions arbitrales, l'extradition et ainsi de suite dépend malgré tout des engagements de la Chine en ce qui a trait à son propre comportement juridique, qu'il s'agisse des procédures relatives à la peine capitale ou d'autres procédures criminelles. Là encore, l'absence de primauté du droit nuit à cette coopération.
Les échanges culturels et étudiants sont un autre exemple. Les liens universitaires, par exemple, ou bien les prestations et les liens culturels, et ainsi de suite, dépendent également du respect de la primauté du droit, chose que nous n'observons pas en Chine; nous voyons plutôt un respect de la fidélité au parti... aux caprices du parti, si on veut.
Enfin, il y a d'importantes incidences sur les relations commerciales. Au cours des quelque huit derniers mois, nous avons constaté un refus d'accepter des notions de politique commerciale progressiste; c'était en décembre dernier. Plus récemment — en avril —, nous avons vu le rejet absolu des dispositions relatives à la main-d'oeuvre d'un accord de libre-échange. Nous observons dans le contexte international ces autres exemples de l'approche adoptée par la Chine par rapport au droit, qu'elle ne considère comme rien de plus qu'un instrument servant à la réalisation des objectifs du parti. C'est dire comment le régime tiendra compte des normes juridiques en ce qui a trait aux institutions et au personnel dans ses relations avec le Canada. Ce n'est pas seulement un enjeu intérieur.
Je voudrais prendre 30 secondes pour... Que faut-il faire à ce sujet? C'est une situation difficile. Je pense que la situation que j'ai présentée ce matin ne dénote aucunement lune étroitesse d'esprit ou une partialité; selon moi, elle est très bien établie et documentée par moi-même et par de nombreuses autres personnes.
L'absence d'engagement n'est tout simplement pas une option. La Chine, c'est la Chine. Elle est importante; son économie est énorme; son rayonnement est exceptionnel.
Je vous donnerai le conseil que je donne aux clients qui travaillent en Chine, c'est-à-dire tout d'abord de faire preuve de patience au moment de conclure des transactions et des traités. Demandez-vous qui est avantagé et pourquoi il faudrait se hâter. Ayez la patience de permettre à la situation en Chine d'évoluer et peut-être de s'améliorer.
Ensuite, la préparation: vous devez connaître les règles. Par exemple, quand Xi Jinping, lors de la conférence de Boao tenue il n'y a pas longtemps, a parlé de la protection des droits prévus par la loi des investisseurs étrangers, nous pourrions avoir été rassurés par cette mention des droits prévus par la loi, mais il nous incombe de comprendre ce que cela signifie réellement dans un contexte chinois, c'est-à-dire quelque chose de très différent de ce que nous entendons par là. Ces dispositions ont le sens que le parti veut bien leur donner.
Enfin, il y a la persévérance. Les choses changent et évoluent; elles peuvent s'améliorer ou empirer, et ainsi de suite. Il faut donc persévérer dans notre engagement envers la Chine, mais la soumettre à ce que j'appellerais une fermeté constante et polie dans notre engagement... il faut recourir à l'ambiguïté délibérée, éluder des problèmes, et ainsi de suite.
Alors, je dirais que l'engagement avec la Chine, pays qui a en grande partie abandonné la primauté du droit selon l'interprétation que nous en faisons en Occident, requiert de la patience, de la préparation et de la persévérance, et j'espère que ces éléments nous permettront de dialoguer avec ce très difficile vis-à-vis de l'autre côté du Pacifique.
Merci beaucoup.
Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant le Comité dans le cadre de vos délibérations et de votre préparation pour un voyage en Corée, au Japon et aux Philippines.
Je vais aborder l'engagement du Canada sous un angle légèrement différent en passant des seules questions bilatérales au contexte géostratégique en évolution constante. À mon avis, nous sommes dans une période où les choses changent en Asie et en Asie-Pacifique. C'est une période de changement de pouvoir, de turbulences stratégiques et d'incertitudes concernant certaines des prémisses d'un ordre régional qui est en grande partie en place depuis deux ou trois générations.
Permettez-moi de parler de deux facteurs perturbateurs, ou qui ébranlent la situation; j'aborderai un peu les réactions des Asiatiques et ensuite les recommandations pour le Canada. Le point important, et je suis d'accord avec M. Potter, c'est que nous traitons maintenant avec la Chine de Xi Jinping, qui emprunte en quelque sorte une voie différente de la République populaire de Chine à l'époque de Deng Xiaoping.
Il s'agit d'une nouvelle ère qui présente de nouvelles caractéristiques, non pas seulement en ce qui concerne l'envergure, la taille et l'ambition de nombre de projets économiques et les chiffres concernant la croissance — je suis certain que c'est quelque chose que le Comité connaît très bien —, mais je crois qu'il y a deux ou trois autres éléments en jeu dans l'ère de Xi Jinping. Un de ces éléments est la répression intérieure. La Chine ne va pas de l'avant au chapitre des droits politiques et des droits de la personne. Tout porte à croire, en réalité, qu'elle restreint ces droits. Cela montre que le parti renforce son pouvoir non pas seulement sur les Chinois, mais également sur l'appareil étatique lui-même, le gouvernement.
Dans le même sens, nous avons une Chine qui s'affirme davantage sur la scène internationale, dans sa région, mais également à l'échelle mondiale. La diplomatie chinoise est plus assurée et adopte des façons de faire très dynamiques. Je ne parle pas de mesures militaires, mais de nouvelles façons de définir et de défendre ses intérêts fondamentaux. À mon avis, nous pouvons maintenant correctement dire que la Chine, à bien des égards, se comporte comme une grande puissance. Elle peut avoir des caractéristiques distinctives d'une grande puissance, mais ses intentions et son rôle changent.
En même temps, la Chine devient également un intervenant clé dans le monde. Au chapitre des enjeux auxquels nous faisons face — les changements climatiques, le maintien de la paix du point de vue canadien, la lutte contre le terrorisme —, la nouvelle ère de la Chine de Xi Jinping suppose un plus grand rôle à l'échelle mondiale. Je crois que nous devons, par conséquent, relever des sphères dans lesquelles nous avons des préoccupations et des intérêts communs.
J'ai une opinion un peu plus positive de la Chine de Xi Jinping relativement à son respect des traités qu'elle a signés et des activités auxquelles elle participe. Elle n'est pas parfaite, mais les superpuissances le sont rarement.
Nous traitons avec une nouvelle Chine, mais force est de constater que nous traitons également avec de nouveaux États-Unis. Les Asiatiques le comprennent certainement. L'imprévisibilité de l'« Amérique d'abord » de Donald Trump secoue la région. Les États-Unis continuent d'offrir un soutien important et visible à ses alliances et à son rôle militaire, mais ils sont incohérents pour ce qui est de leur politique commerciale; ils sont incohérents par rapport à ce dont ils font la promotion au chapitre des droits de la personne et des principes de gouvernance démocratique. Ils soutiennent peu ou de façon négative les institutions multilatérales dans la région.
Qui plus est, je crois qu'il y a un doute profond concernant l'avenir du leadership américain dans la région. Les Américains ne quitteront pas l'Asie, mais ils semblent avoir adopté une position qui fait en sorte que leur suprématie est maintenant contestée par la Chine. C'est très inquiétant, et cela secoue les amis, les alliés et les opposants des États-Unis dans la région, non seulement en raison de Donald Trump, mais d'un sentiment selon lequel les Américains sont peut-être en train de cesser de manière irréversible de jouer les rôles qu'ils ont joués par le passé.
Les Américains ne sont pas en train de disparaître, mais ils ne joueront plus un rôle de premier plan dans l'avenir.
Les réactions à ces deux puissances sont beaucoup plus larges que l'Asie, mais en Asie — comme vous le verrez — une course à l'armement se déroule actuellement. La plupart des pays augmentent considérablement leurs dépenses en défense. On amorce un repositionnement... il ne s'agit pas de l'abandon des alliances, mais d'une redéfinition de celles-ci et du début d'une préparation en vue de composer avec différents scénarios dans lesquels la Chine jouera un rôle plus important.
Également, il y a une intégration économique et une connectivité approfondies. Il est fascinant de voir la façon dont la plupart des pays asiatiques ont exercé d'énormes pressions au cours des derniers mois pour signer de nouveaux types d'accords commerciaux multilatéraux. L'intérêt du Japon relativement au Partenariat transpacifique en est un indicateur, comme l'intensification des projets intra-asiatiques.
Je dirais, en général, que les réactions des pays asiatiques relativement à ce contexte géostratégique en évolution sont la crainte d'une détérioration accrue des relations entre les États-Unis et la Chine. Ces pays, tout comme l'Australie ou le Canada, ne veulent pas devoir choisir la Chine. Toutefois, en général, certains croient que l'histoire favorise la Chine au détriment des États-Unis pour ce qui est de la puissance, du moins à ce chapitre, et cela amorce une réflexion approfondie.
Quant aux perceptions du Canada, j'affirmerais que presque tous les intervenants clés en Asie nous considèrent principalement comme un pays qui réagit, reste sur la touche et reste en marge du processus. Nous attirons très peu l'attention, à l'exception d'une négativité occasionnelle. En Asie orientale et en Asie du Sud-Est, on me demande sans cesse ce à quoi le Canada pense, quels sont ses intérêts et quelle est sa stratégie dans ce nouvel environnement changeant.
Permettez-moi de conclure avec trois propositions sur la façon de commencer à répondre à certaines de ces questions, et vos enquêtes peuvent en faire partie.
D'abord, nous avons besoin d'une stratégie asiatique, et la Chine doit en être l'élément central. Nous devons travailler avec l'ANASE et les autres puissances moyennes en essayant de réaffirmer et de renforcer, partout où nous le pouvons, le multilatéralisme et les éléments de primauté du droit, comme nous les voyons, en tenant compte de la signification de « primauté du droit » — comme le dit M. Potter —, mais également la façon dont nous devrons apporter des changements et prendre des mesures pour atteindre un nouvel équilibre des forces. Pour ce qui est de notre relation bilatérale avec la Chine, notre gouvernement devra créer un nouveau scénario de cohabitation avec la Chine, plutôt que de s'attendre à la changer ou de penser que l'ouverture économique engendrera la libéralisation politique. La Chine, pour le moment — et probablement dans l'avenir —, est sur une voie différente.
Avec la Chine, nous devons trouver une façon de collaborer lorsque nous le pouvons et le devons pour ce qui est des enjeux mondiaux communs. Concernant le maintien de la paix, les changements climatiques et un éventail d'autres choses, nous n'avons pas d'autre choix que d'essayer de travailler avec la Chine, qui peut être une force constructive dans l'ensemble.
Une partie d'une stratégie asiatique tient à des relations commerciales plus étroites comme nous en avons discuté avec d'autres témoins.
J'aimerais ajouter un autre élément: il faut fournir de nouvelles assurances au Canada et aux Canadiens concernant la protection de nos valeurs, de nos institutions et de nos industries stratégiques au pays. La Chine est un acteur mondial. Elle est à nos portes de façons qui sont positives à de nombreux égards, mais nous faisons face à de nouvelles menaces. Des sondages d'opinion publique que nous avons récemment réalisés montrent que l'on craint que les valeurs et les institutions canadiennes soient menacées par des éléments de la puissance chinoise. C'est quelque chose que savent les Canadiens. Lorsque nous voyons les prises de contrôle d'entreprises canadiennes, les acquisitions et les investissements, je crois que nous devons être en mesure de rassurer les Canadiens et de leur dire que cela sert nos intérêts.
Une deuxième recommandation générale est de miser sur les accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux. Nous ne signons pas ces accords seulement parce qu'ils représentent une valeur commerciale immédiate pour le pays, mais également parce que nous devons faire partie des nouvelles négociations intra-asiatiques qui sont en cours. Cela fera intervenir le Partenariat transpacifique et, à mon avis, il faudra définir notre programme progressiste avec un peu plus de précision que nous l'avons fait jusqu'à maintenant, et de sorte qu'il soit attrayant, concernant des enjeux qui touchent la main-d'oeuvre et l'égalité des genres.
Enfin, permettez-moi de parler de l'ouverture de la Corée du Nord. Vous allez en Asie à un moment extraordinaire. Pour la première fois en une génération, le Canada aura peut-être l'occasion de jouer à nouveau un rôle dans les questions touchant l'Asie du Nord-Est, et non pas seulement en ce qui a trait à la maximisation des pressions sur la Corée du Nord ou à la diplomatie. Nous avons peut-être une occasion d'approfondir l'aide humanitaire, les échanges scolaires et le renforcement des capacités en Corée du Nord.
Nous n'en sommes pas encore là; ce n'est pas le bon moment pour nous de prendre des mesures précises. Toutefois, votre comité pourrait, en Corée, trouver des idées très utiles, lorsque la situation sera un peu plus propice, sur ce que nous pouvons faire et comment nous pouvons entamer notre préparation dès maintenant.
Merci.
Merci beaucoup de m'avoir invité aujourd'hui, alors que vous préparez la deuxième moitié de votre mission chargée de recueillir des faits en appui à votre étude sur l'engagement du Canada en Asie.
Mon principal domaine d'intérêt en science politique porte sur les relations entre le Canada et la Chine. J'ai également publié des études sur les politiques intérieures et extérieures de la Chine et de la Corée du Nord et j'ai travaillé à deux reprises à l'ambassade du Canada à Pékin.
Avec tout ce qui s'est passé entre la Chine, les États-Unis et la Corée du Nord au cours des dernières semaines, votre mission intervient au début de ce qui pourrait s'avérer une transformation qui changera la donne pour ce qui est de la dynamique géostratégique de la région de l'Asie du Nord. Cela pourrait avoir des conséquences considérables sur les politiques intérieures et internationales de nos alliés: le Japon, la Corée du Sud et les Philippines.
J'ai deux points.
Le premier est que l'imposition successive continue de tarifs et d'autres mesures restrictives à la Chine par le gouvernement des États-Unis suscite des réponses réciproques accélérées de la part du gouvernement de la République populaire de Chine qui perturberont probablement l'économie mondiale et la nôtre. Ce différend commercial, je dirais, découle de préoccupations beaucoup plus fondamentales concernant l'incompatibilité de l'économie politique et des ambitions mondiales de la Chine avec celles du Canada et des pays aux points de vue similaires, y compris le Japon et la Corée du Sud, actuellement. Cela veut dire que le Canada adhère aux principes de la démocratie libérale, principes qui, selon les Canadiens, ont une signification universelle et confèrent des droits à tous, où que ce soit. Ces principes de démocratie libérale guident les institutions intérieures et internationales qui façonnent la politique et la politique étrangère du Canada.
Malheureusement, comme les deux témoins précédents y ont fait allusion, au cours des dernières années, le gouvernement actuel de la Chine a rejeté explicitement les idéaux de la démocratie libérale qui ne lui convenaient pas. La Chine maintient que ces idéaux ne sont pas des valeurs universelles, mais plutôt ceux de la démocratie libérale, qui est en contradiction avec son interprétation de l'histoire et de la culture chinoises, et que l'Occident utilise un discours démocratique libéral et les institutions que nous avons mises en place pour appuyer un ordre mondial libéral visant à contrer la montée en puissance de la Chine.
La Chine est convaincue que l'alliance menée par les États-Unis, qui est essentielle à l'identité internationale du Canada, du Japon et de la Corée du Sud, est sur le point de s'effondrer et que la Chine finira par émerger comme la nouvelle hégémonie mondiale. En effet, la Chine propose un nouvel ordre mondial selon sa propre rubrique intitulée « Une communauté à la destinée commune pour l'humanité ». Le président de la Chine a affirmé que cette « communauté à la destinée commune pour l'humanité » est un nouveau type de relations internationales. Le journal du Parti communiste chinois, le People's Daily, affirme que le cadre de la « communauté à la destinée commune pour l'humanité » est supérieur à la théorie des relations internationales dominantes occidentales et que la Chine deviendra le leader économique et culturel suprême d'ici 2050.
Comme vous l'avez souligné, les droits de la personne et la collaboration multilatérale ne font pas partie des plans de domination mondiale du président chinois. L'incompatibilité de l'économie politique et des ambitions mondiales de la Chine avec celles du Canada et des pays aux points de vue similaires, y compris le Japon et la Corée du Sud, se reflète dans les relations de la Chine avec le Canada, la Corée du Sud et le Japon à l'heure actuelle. Certainement, il y a beaucoup de choses à propos de la Chine qui nous contrarient. Des sociétés d'État chinoises subtilisent la propriété intellectuelle du Canada au moyen du cyberespionnage et procèdent au transfert de technologies canadiennes en les volant ou en exerçant une coercition. La Chine manque de respect à l'égard de la réciprocité commerciale de l'OMC en imposant des tarifs et des barrières non tarifaires, y compris une imposition arbitraire de taxes et de règlements restrictifs pour bloquer la concurrence étrangère dans le marché chinois. Ce sont toutes des préoccupations partagées par le Canada, la Corée du Sud, les Philippines et le Japon.
Les tentatives du gouvernement chinois d'influencer les décideurs étrangers par des moyens secrets et coercitifs ou par la corruption sont également une préoccupation de plus en plus grande de ces quatre gouvernements.
Ce qu'il faut se demander, c'est dans quelle mesure on peut s'attendre à ce que la Chine réagisse aux pressions économiques exercées par les États-Unis et mette fin à ses pratiques de commerce et d'investissement injustes ainsi qu'au recours aux sociétés d'État chinoises pour assouvir ses grandes ambitions à long terme en matière de politique étrangère.
Dans le cadre de votre prochaine mission au Japon, en Corée du Sud et aux Philippines, il faudra examiner comment le Canada peut coordonner son intervention politique avec la Corée, le Japon et les Philippines, si la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis s'intensifie. Si le Canada et ses alliés s'entendent sur une intervention coordonnée et efficace, quelle forme cette intervention prendra-t-elle?
Mon deuxième point est plus court. En ce moment, les gouvernements des États-Unis et de la Corée du Sud multiplient les interventions diplomatiques auprès du gouvernement de la Corée du Nord avec un enthousiasme renouvelé qui laisse espérer la fin officielle de la guerre de Corée à laquelle le Canada a participé, comme vous le savez, et la possibilité d'un apaisement des relations diplomatiques entre la Corée du Nord et les États-Unis.
Le dénouement de la situation demeure incertain. Si le président Trump rencontrait le dictateur nord-coréen Kim Jong-un et que les négociations échouaient, quelle serait la prochaine mesure diplomatique à prendre, si les chefs d'État ont déjà décidé que cela ne fonctionnera pas?
Si ce processus entraînait un certain rapprochement, il faudrait se demander quelle serait la réaction du Canada. Nous avons déjà des relations diplomatiques avec la Corée du Nord, mais nous n'y avons actuellement aucune ambassade ni aucun programme. Nos intérêts sont représentés par l'ambassade suédoise à Pyongyang. Dans quelles circonstances le Canada enverrait-il un ambassadeur en Corée du Nord? Quel type de programmes d'aide au développement pourrions-nous mettre en oeuvre dans ce pays appauvri, si les États-Unis devenaient actifs en Corée du Nord, que la guerre prenait fin et que le Canada tenait à y réaliser ses objectifs en matière de politique étrangère?
Aujourd'hui, la Corée du Nord est un pays dévasté, et sa reconstruction représente une énorme occasion de commerce et d'investissement pour le Canada. Dans la tradition canadienne, nous souhaiterions également participer à ce qui touche la saine gestion publique, les droits de la personne et le processus de développement démocratique, cerner les agents potentiels de changement de politique en vue d'instaurer une démocratie, contribuer au renforcement de la règle de droit, etc.
Encore une fois, une coordination solide entre le Canada, la Corée du Sud et le Japon relativement à notre intervention conjointe et au soutien des initiatives d'engagement politique et économique auprès de la Corée du Nord dans l'immédiat et à plus long terme serait un élément important à explorer dans le cadre de votre mission en Corée, au Japon et aux Philippines.
Bon voyage! J'ai bien hâte de lire votre rapport après votre retour au Canada.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur Burton.
Chers collègues, il nous reste une demi-heure, alors nous allons tenter de perdre le moins de temps possible.
Passons immédiatement à M. O'Toole.
Merci, monsieur le président.
Je tiens également à remercier tous nos témoins.
Notre étude porte sur notre engagement en Asie, et non pas seulement en Chine. Cependant, vu la nature de mes questions et vos témoignages, je vais m'attarder sur quelques éléments de nos relations économiques avec la Chine, leur évolution et le débat qui en découle.
Monsieur Potter, vous avez fait un survol de la suprématie du parti, de sa domination et de la soumission au parti et vous avez parlé de cellules et d'unités qui, au cours des dernières années, se sont constituées en sociétés non publiques... Cette constitution ou expansion — d'après ce qui a été dit à la 19e Assemblée nationale populaire — accroît-elle le pouvoir du parti sur les sociétés d'État? Selon vous, le parti exerce-t-il une influence croissante au sein de ces sociétés?
La réponse courte est oui. C'est un peu plus compliqué que cela, car la présence d'une cellule du parti — la soi-disant unité du parti — au sein d'une entreprise ne confirme pas à elle seule que la société est tenue de suivre la ligne du parti en tout temps, peu importe ce qu'elle entreprend. Autrement dit, de nombreuses sociétés suivent les conditions du marché, entre autres.
D'abord et avant tout, la cellule du parti permet au parti d'orienter à sa guise les activités de cette société. Cela constitue selon moi un exemple de manque de règles de droit si important pour le Canada. D'autres ont peut-être une opinion différente sur le sujet, mais je crois que le but du système juridique est de savoir prévoir l'issue d'un large éventail d'activités économiques, sociales et politiques.
En l'absence de normes fiables — c'est-à-dire des normes juridiques ou de la règle de droit —, cette prévisibilité est impossible. Pour ce qui est du rôle des cellules de parti au sein des sociétés, l'absence de transparence, de reddition de comptes et de prévisibilité — c'est-à-dire l'absence de droit — fait en sorte qu'il est très difficile pour nous de prévoir la réaction de ces sociétés. Cela s'explique par le fait que, d'après ce que nous avons observé par le passé, le parti finira par intervenir et imposer ce qu'il veut à une société, que ce soit une embauche, une expansion commerciale ou un investissement. Par conséquent, nous avons de la difficulté à prévoir ce qui va se passer et à nous préparer en conséquence, et tout cela est attribuable à l'absence d'un cadre juridique.
Récemment, l'ambassadeur chinois a laissé entendre que certaines personnes au Canada croient que les sociétés d'État chinoises sont des « monstres ». C'est ce qu'il a dit. Pour ma part, je ne crois pas qu'elles sont des monstres, mais les Canadiens sont probablement nombreux à s'interroger. Il serait des plus étranges pour nous que le gouvernement du Canada, le parti conservateur ou le parti libéral soient présents dans certaines de nos grandes entreprises. Actuellement, une transaction est soumise à l'examen; une unité de CCCI, ou China Communications Construction, cherche à acquérir Aecon, fleuron canadien de la construction, et à en obtenir la participation majoritaire, mais une autre filiale de la même société effectue des travaux de construction dans les îles de la mer de Chine méridionale et perturbe les routes commerciales et la stabilité dans cette région.
Je veux tous vous entendre sur le fait que nous devons reconnaître que la Chine jouera un rôle de plus en plus important dans le monde et dans nos relations commerciales, mais que son refus de se réformer et de traiter ces multinationales comme des sociétés indépendantes obligera certains pays comme le Canada à ralentir la cadence en cas de questions de sécurité.
J'aimerais vous entendre tous les trois.
Je suis d'accord avec M. Evans pour dire que nous n'allons pas changer la Chine et ses façons de faire, mais nous avons le pouvoir de nos réactions.
Lorsque la Chine veut nous faire avaler la pilule et qu'elle prétend que ces sociétés n'ont aucun lien avec le gouvernement et qu'elles sont entièrement indépendantes, c'est selon moi une insulte au gros bon sens et à nos propres intérêts.
Je crois que nous devrions être un peu plus prudents avant d'adopter la version des Chinois, mais nous devons surtout agir en fonction des intérêts du Canada. Si une acquisition présente des avantages pour le Canada, ceux-ci devraient primer et il faudrait également prendre en considération la possibilité de liens entre la société en question et le parti.
Je dirais que de nombreux représentants de sociétés chinoises à l'étranger sont soit des membres du parti actif soit des membres du parti qui se sont vu accorder un congé temporaire et qui, à un certain moment devront revenir, et tous se font rappeler que la constitution du parti communiste chinois les oblige à faire passer les intérêts du parti avant tout. Je crois que cela fait partie de la réalité et que nous devons nous y adapter.
D'après ce que nous observons, les sociétés d'État ont toutes les ressources de l'État à leur disposition pour atteindre leurs objectifs concurrentiels et sont tenues d'intégrer les objectifs de l'État à leurs activités. À titre d'exemple, le CST n'aide pas BlackBerry à obtenir un contrat au profit de Samsung, ou quelque chose du genre. Le gouvernement n'apporte pas ce type d'aide aux grandes sociétés canadiennes, mais la Chine le fait, car, dans son cas, il n'y a pas de différence entre la société d'État et l'État.
Dans un cas récent touchant Aecon, l'Union africaine a exprimé son mécontentement, car un immeuble abritant son siège social qui était un don du gouvernement chinois était infesté d'insectes, et il semblerait que le serveur transmettait chaque nuit des données à Shanghai... du moins, c'est ce que l'on a entendu. On peut donc se demander si une entreprise de construction chinoise détient de l'information sur des infrastructures essentielles, comme par exemple la soumission d'Aecon pour le projet de pont Gordie-Howe entre Windsor et Detroit et le contrat d'entretien du pont. Il serait normal que l'information sur de telles infrastructures essentielles soit accessible, soit directement dans le cadre de leurs fonctions, soit en raison de la présence au sein d'Aecon de personnes qui, au lieu d'être affectées au béton, sont affectées au cyberespionnage, entre autres, et cette information servira les intérêts de l'État chinois, car c'est ce que fait une société d'État chinoise.
Sur le plan des carrières...
Monsieur Burton, je dois vous arrêter ici afin que nous demeurions dans les temps.
Nous allons maintenant entendre M. Levitt. Je suis certain que vous pourrez poursuivre en répondant à d'autres questions.
Monsieur Levitt.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Burton, je veux commencer par vous, car vous m'avez grandement intéressé avec votre témoignage sur les possibilités du Canada en Corée du Nord, si nous en venons à une certaine ouverture. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la nature de ces occasions pour le Canada et votre vision de l'engagement des États-Unis, du rôle de la Corée du Sud et du rôle de la Chine dans tout cela, car il est évident qu'elle a de grands intérêts en jeu relativement aux négociations entre la Corée du Sud, les États-Unis et la Corée du Nord.
Désolé, mais je me suis trompé. Je m'adressais à M. Potter, car c'est lui qui a soulevé cette question. Je vais revenir à vous.
Monsieur Potter.
J'ai eu l'occasion d'organiser 29 réunions avec des Nord-Coréens entre 1990 et 2002, et je suis allé en Corée du Nord à de nombreuses reprises. Je crois que M. Burton et moi-même sommes d'accord pour dire que le vent est peut-être en train de tourner et que nous pouvons changer certaines choses.
Je crois que nous avons certains projets de nature humanitaire. Nous excellons dans l'enseignement des langues et les échanges étudiants. L'Université de la Colombie-Britannique a un programme d'échange actuellement. Il s'agit de petites occasions que nous pouvons saisir, mais le plus important, comme nous l'avons fait au Canada en 2005, c'est de cerner les programmes de développement et les initiatives d'aide et de renforcement des capacités qui conviendraient à la Corée du Nord au fur et à mesure que nous tentons d'ouvrir son marché.
Notre but n'est pas de renforcer le régime, mais bien de l'encourager à s'ouvrir. Nous en avons une certaine expérience, mais nous ne sommes plus dans le coup depuis 13 ans. Auparavant, nous organisions des réunions internationales auxquelles participaient des représentants du FMI et de la Banque mondiale et durant lesquelles il était question de la façon de structurer la coordination des organismes d'aide en cas d'embrouille avec la Corée du Nord.
Je crois que nous avons un pouvoir intermédiaire en ce qui a trait au rôle constructif que nous pouvons jouer dans le Nord-Est de l'Asie... Nous aurons peut-être l'occasion de refaire quelque chose et d'utiliser les mécanismes que nous avions mis en place il y a 15 ans.
Je ne suis vraiment pas convaincu que nous pouvons nous entendre avec la Corée du Nord par la négociation, car les Nord-Coréens sont reconnus pour ne pas respecter leurs engagements dans le cadre de telles négociations, particulièrement en ce qui a trait à la dénucléarisation en échange d'une certaine aide économique.
Cela dit, avec un président comme M. Trump, les surprises s'enchaînent, et peut-être qu'il nous surprendra de manière positive et réussira à régler un problème que les présidents Clinton, Bush et Obama n'ont pas réussi à régler. Ce que nous craignons de plus en plus, particulièrement si la Corée du Nord réussit à démontrer clairement qu'elle est capable d'atteindre une ville américaine avec une arme nucléaire, c'est que la Corée du Sud et le Japon ne sauraient plus si les États-Unis respecteraient leur engagement de les défendre en cas d'attaque.
Pour ce qui est du développement, je crois que la seule façon de régler la crise sur la péninsule coréenne est la réunification des deux Corées, mais cela s'avérerait plus difficile que la réunification des deux Allemagnes, car l'Allemagne de l'Est avait une plus petite population que l'Allemagne de l'Ouest, et les deux économies n'étaient pas aussi différentes. Après autant d'années, la Corée du Sud ne semble pas être vraiment intéressée à faire l'énorme sacrifice économique qu'une telle approche exigerait.
Mais vous savez, il y a des domaines dans lesquels le Canada excelle, dont l'exploitation minière, l'agriculture et la sécurité alimentaire. Il faut y construire des infrastructures de base, dont des installations portuaires. La Corée du Nord s'ouvre à nous, à la Chine et à toutes les nations du monde; il suffit de se lancer et d'y créer une activité économique qui bénéficiera à tous.
Merci.
Monsieur Potter, je veux que nous parlions un peu des droits de l'homme en Chine et au Canada puisqu'il s'agit d'une priorité et d'une valeur qui nous tient à coeur. Je veux aussi aborder les problèmes que posent l'évolution du marché et d'autres éléments, alors que les droits de la personne sont toujours aussi problématiques.
Nous avons voyagé en Chine, et c'est un sujet très difficile à aborder, car, lorsque nous voulons parler de la liberté de religion, de la liberté d'expression et des autres droits de la personne universels et fondamentaux, on nous répond: « Mais nous avons sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté, et elles ont maintenant un toit au-dessus de leur tête grâce à nous. » C'est très différent. Les Chinois considèrent les choses d'un point de vue économique, et non pas en fonction des droits de la personne, comme nous.
Qu'en pensez-vous? Comment pouvons-nous faire avancer les droits de la personne tout en créant des relations commerciales, en élargissant les relations commerciales et en composant avec la réalité fondamentale selon laquelle ce pays prend de plus en plus d'importance et gagne du terrain?
Évidemment, c'est un des grands dilemmes qui nous préoccupent. Vous savez peut-être que, il y a quatre ans environ, j'ai présidé un groupe de travail sur l'intégration des droits de la personne à la politique commerciale du Canada en Asie. Nos travaux ont été publiés par la Fondation Asie Pacifique. Dans notre rapport, nous avons pris la position — et je l'ai maintenue à de nombreuses reprises depuis — selon laquelle l'intégration des droits de la personne à la politique commerciale est faisable, mais surtout nécessaire. Lorsque nous parlons des droits de la personne, il n'est pas seulement question des droits civils et politiques. Nous englobons également les droits économiques, les droits liés à la pauvreté, le droit des idées, etc.
Un des objectifs est d'avoir une vision élargie des droits de la personne et d'encourager les Chinois à voir les droits de la personne comme des normes reconnues à l'échelle internationale quant au traitement des citoyens d'un pays, et non pas comme une menace ou un appel à la réforme politique.
Je tiens à ajouter que la Chine a signé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. De nombreuses obligations soulevées par des groupes de défense des droits de la personne ne visent pas à imposer les règles canadiennes en Chine, comme l'ambassadeur l'a laissé entendre il y a environ une semaine. Ces organismes veulent que la Chine respecte les engagements qu'elle s'est déjà donnés relativement aux normes de droit internationales.
Pour y arriver, il faut notamment tenter de faire abandonner l'idée selon laquelle les droits de la personne sont une façon détournée de remettre en question la règle du parti. Le parti et ses façons de faire sont là pour de bon, et nous ne pourrons pas y faire grand-chose. Du coup, nous pouvons trouver des façons d'intégrer aux relations commerciales nos positions sur, entre autres, la transparence, les filiales et la non-discrimination relativement aux droits du travail, à l'environnement et j'en passe. Ainsi, nous pouvons vraiment changer les choses. Le secret, c'est de bien choisir nos batailles, de cerner les occasions qui entremêlent priorités commerciales et priorités quant aux droits de la personne, et d'atténuer la sensibilité au choix des mots.
En guise de conclusion, je dirais que ce n'est pas le gouvernement chinois qui a sorti 800 millions de personnes de la pauvreté. C'est le peuple chinois qui s'est sorti lui-même de la pauvreté aussitôt que le gouvernement a cessé de se mêler à tout.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie tous les trois de vos présentations d'aujourd'hui.
M. Burton a brièvement abordé le sujet de la rencontre entre Kim Jong-un et le président Trump. J'aimerais recueillir vos opinions à tous les trois sur les dangers d'une telle rencontre, bien sûr, mais aussi sur les possibilités qu'elle présente et sur le genre de questions qui devraient y être mises sur la table. Dans quelle mesure, étant donné le style de leadership de ces deux hommes, pourrions-nous avoir un sentiment de sécurité même si on en arrivait à un résultat positif?
Merci beaucoup. Xièxie.
[Traduction]
Normalement, et Mme Laverdière en sait quelque chose vu sa carrière aux affaires étrangères, on s'attendrait à ce que toute rencontre entre deux chefs d'État ne soit pas spontanée. Nous connaîtrions déjà les principaux acteurs des échelons inférieurs et les points sur lesquels les deux chefs s'entendront et les points dont ils discuteront.
Le président Trump ne semble pas faire confiance à son département d'État, et l'on a l'impression qu'il pourrait rencontrer Kim Jong-un sans avoir aucune idée du dénouement de cette rencontre. Cela me semble extrêmement dangereux vu les conséquences qui pourraient en découler, car si cette réunion se traduit par un échec diplomatique et que les plus hauts dirigeants font mauvaise figure, ce sera la fin du processus diplomatique. La prochaine étape selon M. Bolton est que les intérêts américains passent avant tout, comme il l'a déjà affirmé par écrit. Il dit que, si une nation menace les États-Unis, les États-Unis sont tenus de répondre par des mesures militaires pour éliminer cette menace, peu importe les conséquences. Toute action militaire des États-Unis en Corée du Nord aurait des conséquences que je ne veux même pas imaginer. Ce serait trop dévastateur pour les habitants de la Corée du Nord, de la Corée du Sud et des autres pays à proximité.
Cela dit, une telle situation est très préoccupante. J'ai de la difficulté à imaginer le régime nord-coréen accepter en toute sincérité de mettre un terme à la menace nucléaire et je ne peux pas plus nous imaginer donner une garantie de sécurité à ce régime, vu la façon abjecte dont il traite son propre peuple et traite les questions de répression et de sécurité alimentaire. Même si nous donnions au régime une garantie, pourrions-nous en toute conscience le laisser continuer d'être un des régimes les plus répressifs, dangereux, un des pires échecs de la planète?
C'est pour toutes ces raisons que je n'arrive pas à voir un dénouement heureux sauf si, comme je l'ai déjà mentionné, l'on assiste à la réunification des deux Corées.
J'aimerais ajouter deux choses.
D'une part — et je ne suis pas d'accord avec mes collègues sur le plan d'un savoir plus technique — la conversation sur les relations américano-coréennes ne tient pas compte jusqu'à maintenant du point que j'ai soulevé plus tôt à propos de l'importance de la préparation. Je donnerais comme exemple « dénucléarisation de la péninsule ». Cette expression a une signification bien différente pour Kim Jong-un que pour Donald Trump.
Au moment de préparer les rencontres de haut niveau, il est important que les termes et les expressions soient clarifiés afin que l'on soit certain de parler de la même chose. C'est par la suite que l'on peut se prononcer sur l'ambiguïté intéressée et tout le reste. Par conséquent, si les cabinets n'ont pas pu se pencher sur ces questions, la rencontre risque dangereusement d'échouer, car, selon Kim Jong-un, la dénucléarisation de la péninsule suppose au moins le retrait de la capacité nucléaire des États-Unis, tandis que les Américains estiment que la dénucléarisation ne s'applique qu'à la Corée du Nord. Comme Charles l'a souligné, cela pourrait être très dangereux. Il est donc important de connaître et d'utiliser l'interprétation locale et d'accepter qu'elle est différente de la nôtre.
Mon deuxième point est que la question de la Corée du Nord doit être prise en considération dans le contexte de l'Iran. Je crois que les commentaires du président Trump de ce matin au sujet de l'Iran donnent probablement matière à réflexion aux Coréens qui se demandent si les États-Unis peuvent être un partenaire fiable. Nous pourrions parler de la Corée, mais le comportement des États-Unis à l'égard de l'Iran donne matière à réflexion.
Je crois que ce sont deux facteurs à prendre en considération, mais je m'en remets à mes collègues.
J'aimerais ajouter un commentaire: j'espère que tout cela entraînera un temps d'arrêt afin que l'on puisse éliminer l'ambiguïté relative à la signification de « dénucléarisation ».
L'effet pervers de tout cela, c'est que pour régler la question de l'arme nucléaire et des missiles, nous allons devoir donner des garanties à un régime despotique. Les États-Unis pourront-ils respecter un tel accord bien longtemps? Bon nombre de raisons laissent croire que non. Je crains que l'idée de M. Burton, selon laquelle notre dégoût à l'endroit de ce gouvernement ne change rien au fait que nous devons composer avec la menace et le danger immédiats que présente le programme nucléaire, nous fera passer à travers cette tempête et mènera à de grandes négociations qui seront suivies par un « temps d'arrêt ».
La pilule sera très dure à avaler, car nous devrons travailler avec ce gouvernement et espérer une ouverture au fil du temps, ce qui constitue la meilleure façon de régler ses problèmes de développement et la question de la dénucléarisation. En outre, peut-être que cela se concrétisera au moment où les États-Unis accepteront de se dénucléariser et que les Nord-Coréens accepteront de faire de même.
Merci.
Chers collègues, nous allons devoir conclure et nous arrêter ici.
Je tiens à remercier MM Burton, Potter et Evans de leur témoignage. Les informations qu'ils nous ont données sont très utiles et confirment au Comité qu'il faut élaborer une stratégie relativement à l'engagement du Canada en Asie. Je dois avoir entendu cela au moins 10 fois déjà. Je vais devoir élaborer une définition à partir des recommandations des témoins quant à cette stratégie, car ce qu'il ressort, c'est que nous sommes complètement déconnectés de cette partie du monde, et j'entends par là notre gouvernement et l'ancien gouvernement. Nous devrons explorer cela davantage au fur et à mesure que nous formulons des recommandations au gouvernement.
Je vous remercie infiniment de vos commentaires.
Chers collègues, la séance sera suspendue pendant quelques minutes, et nous passerons ensuite au prochain groupe de témoins.
Chers collègues, tâchons de respecter le chronomètre, car il nous reste encore du travail. Je comprends que Mme Laverdière veut proposer une motion ou aborder quelques points.
La séance reprend. Nous accueillons maintenant Davis Matas, à titre personnel. Nous accueillons également Ngodup Tsering de l'Office of Tibet et Yonglin Chen, ancien diplomate de la République populaire de Chine.
Nous allons commencer avec le représentant de l'Office of Tibet.
Je tiens à rappeler aux témoins de respecter le temps, même si c'est difficile. J'aimerais sincèrement que l'on s'en tienne aux huit minutes, car sinon, nous n'aurons plus de temps pour les questions, et cela est plutôt décevant pour les députés.
Je laisse maintenant la parole à M. Tsering. Nous vous écoutons.
Je remercie les honorables membres.
Je suis venu ici pour parler des droits de la personne au Tibet. Comme vous le savez tous, 152 personnes jusqu'ici se sont immolées, et ce sont les seuls faits qui témoignent de la situation au Tibet même. Personne ne désire vraiment s'immoler, mais ce n'est pas un simple chiffre — 152 —, ce sont des personnes qui s'immolent. Cela témoigne de la situation atroce qui règne au Tibet à tous les égards: droits de la personne, ce qui comprend la liberté religieuse, la libre circulation et la vie quotidienne sur le territoire tibétain.
Le Tibet est devenu un État policier. Tout est littéralement restreint, y compris l'usage de la langue tibétaine. Vous pouvez bien lire dans la Constitution de la Chine des dispositions sur les droits et libertés des minorités ethniques, mais il ne se fait rien, en fait, si vous pensez à la liberté de la langue tibétaine et à la liberté religieuse. Avant le 10 mars 2018, le gouvernement chinois avait annoncé 22 mesures, dont trois étaient jugées réactionnaires. Selon une de ces mesures, la langue maternelle devrait être un mécanisme important de préservation de l'identité; une autre concernait la Voie du Milieu.
La seule personne qui a parlé du problème de la langue tibétaine, M. Tashi Wangchuk, est toujours en détention. Il y a eu des comparutions devant le tribunal, en janvier 2018, mais aucun verdict n'a encore été prononcé. Les arrestations, la torture et la détention arbitraires sont monnaie courante. Le cinéaste Dhondup Wangchen, auteur du film Leaving Fear Behind, paru pendant les Jeux Olympiques a été arrêté par le gouvernement chinois et emprisonné pendant six ans. Il a réussi récemment à fuir la Chine, et il a quitté le Tibet; il est aujourd'hui installé dans la région de la Baie de San Francisco. À son avis, la situation des prisonniers est horrible, et les prisonniers politiques sont souvent soumis à la torture. Il vit aujourd'hui avec des membres de sa famille, mais souffre de temps à autre de ce traumatisme.
Quant à la situation de la religion, bien des gens connaissent les monastères de Yarchen Gar et Larung Gar; les monastères ont fait l'objet d'une immense destruction. Près de 50 % des monastères ont été détruits. Avant, il y en avait plus de 4 800. Plus de 4 500 moines et nonnes ont été expulsés de Larung et de Yarchen Gar parce que les autorités ne veulent plus qu'ils y poursuivent leurs activités. Lorsque ces moines et ces nonnes ont été expulsés, ils ont dû signer un document indiquant qu'ils ne reviendront plus au monastère. Voilà la situation atroce au Tibet.
Mais aussi, comme nous le savons tous, toute institution religieuse — un monastère, un temple ou une église — est généralement gouvernée par des gens appartenant à l'ordre religieux; aujourd'hui, pourtant, Yarchen Gar est géré par 200 Chinois dirigeants du parti, qui ne croient pas en la religion et ne savent rien des enseignements donnés dans ce monastère. Aujourd'hui, il appartient totalement à ces Chinois, ces membres du parti, et c'est inacceptable.
C'est pourquoi la situation est si terrible aujourd'hui au Tibet. Elle est atroce, et nous avons besoin d'une aide immédiate. En fait, l'organisation Freedom House a dit que le Tibet, au chapitre de la liberté, arrive au second rang, derrière la Syrie. Le Washington Post a récemment souligné qu'il était plus difficile pour les journalistes d'entrer au Tibet qu'en Corée du Nord.
Messieurs, voilà en résumé la situation au Tibet.
Merci.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, c'est un honneur pour moi d'être ici.
J'ai été diplomate de carrière dans la République populaire de Chine, du mois d'août 1991 au mois de mai 2005. Je travaillais au ministère des Affaires nord-américaines et océaniennes. Pendant un certain temps, j'ai été responsable des Affaires canadiennes et du Pacifique Sud.
J'ai été posté à la République des Fidji, et aussi à Sydney, en Australie. J'ai quitté le consulat de Chine de Sydney le 26 mai 2005. À ce moment-là, j'étais premier secrétaire. On m'a accordé un visa de protection le 8 juillet, et je suis aujourd'hui citoyen australien. Je présente ce témoignage qui reflète mon expérience personnelle de diplomate chinois et ma connaissance de la diplomatie chinoise.
La diplomatie chinoise est un prolongement du programme politique interne du pays. On peut à juste titre affirmer que c'est la politique plus que toute autre chose qui prescrit la manière dont les autorités chinoises mènent leurs affaires diplomatiques.
L'idéologie communiste n'a jamais cessé de jouer un rôle central dans l'éducation chinoise. Les manuels scolaires sont strictement censurés et ne peuvent formuler d'autres opinions que des opinions favorables au Parti communiste chinois. Les organismes communautaires chinois, par exemple les Jeunes pionniers, la Jeunesse communiste et toute leur propagande, sont présents partout dans la vie quotidienne, en Chine continentale.
Après la répression de Tiananmen, en 1989, et de brèves sanctions diplomatiques et économiques contre la Chine, avant 1992, on discutait passionnément, au ministère des Affaires étrangères de la Chine, de la conjoncture favorable à une croissance économique de plus de 20 ou de 30 ans, en Chine.
Notre équipe d'interprètes a de la difficulté à assurer la traduction simultanée. Comme vous le savez, le Canada a deux langues officielles. Je crois qu'un problème de connexion à Internet les empêche d'assurer l'interprétation en français.
Je me demandais si vous ne pourriez pas vous rapprocher du microphone et ralentir peut-être un peu. Nous nous efforçons de respecter les exigences s'appliquant à nos deux langues officielles. Je crois que le problème tient à la qualité des communications par Internet. Cela n'a rien à voir avec le sujet.
À l'époque, les dirigeants chinois ont décidé de s'en tenir à la stratégie en 16 caractères de Deng Xiaoping, « Cacher nos capacités et gagner du temps ». Cette stratégie est restée en vigueur jusqu'à ce que Xi Jinping prenne le pouvoir en 2012. Il a peu à peu modifié cette stratégie, qui est désormais: « Être proactifs et agressifs, viser la réussite. » La Chine est aujourd'hui de plus en plus agressive.
Monsieur Chen, je vais devoir vous arrêter encore une fois, avec toutes mes excuses.
Merci. C'est un peu mieux. Si vous pouviez parler plus lentement et plus fort, je crois que nos interprètes l'apprécieraient. Nous allons vous donner un peu plus de temps, si nous le pouvons, pour que vous puissiez ralentir et parler encore plus fort, au profit de nos interprètes.
D'accord, excellent. Merci.
Quand Xi Jinping a parlé pour la première fois du « rêve chinois », il disait qu'en 2049, la Chine aurait le statut de superpuissance; la Chine a donc l'ambition de devenir une superpuissance mondiale en 2045.
Ces 25 dernières années, les autorités chinoises ont infiltré en silence les grandes démocraties occidentales, y compris l'Australie, le Canada et les États-Unis. L'Australie a été un banc d'essai pour le pouvoir discret de la Chine, et l'expérience s'est révélée très fructueuse. Les preuves de l'infiltration massive de la Chine en Australie sont réunies dans un ouvrage intitulé Silent Invasion: China's Influence in Australia, de Clive Hamilton, qui m'a interviewé avant d'en commencer la rédaction. Il est presque trop tard pour que l'Australie puisse se défendre contre l'interférence de la Chine, étant donné que le gouvernement australien a eu de la difficulté récemment à faire adopter une loi sur la transparence des influences étrangères.
Aux yeux des autorités chinoises, le Canada occupe la même position que l’Australie. La seule différence est de nature géographique. Ces deux pays sont considérés comme des maillons faibles des démocraties occidentales, dans lesquelles la Chine peut faire main basse sur la haute technologie et exercer son influence. Les deux pays sont riches en ressources naturelles et accueillent de très nombreux immigrants; ils ont tous deux adopté une ferme politique en matière multiculturelle et des lois contre la discrimination. Les ressources minérales du Canada, ses ressources énergétiques et forestières, sa médecine, sa haute technologie et sa technologie nucléaire sont des choses dont la Chine a grandement besoin. Lorsque les États-Unis imposent des restrictions sur les exportations de haute technologie vers la Chine, celle-ci peut se tourner vers le Canada pour s’approvisionner.
La Chine a bien fait jouer ses liens diplomatiques avec le Canada après le mouvement en faveur de la démocratie qui a suivi les événements de Tiananmen en 1989, et le Canada a joué un rôle important dans la stratégie mondiale de la Chine. Le Canada a été le premier pays occidental à dissocier sa politique en matière de droits de la personne de sa politique commerciale; cette décision a beaucoup aidé la Chine à obtenir le statut de nation la plus favorisée aux États-Unis. Bien sûr, l’apaisement des pays occidentaux a aussi aidé la Chine à devenir membre de l’OMC, même si elle ne s’était pas acquittée de toutes ses obligations. Cela a permis à l’économie de la Chine de profiter grandement du libre-échange sans avoir à lever le petit doigt en faveur de la démocratie.
Merci beaucoup, monsieur Chen.
Je suis désolé de nos problèmes de connexion audio, mais le Comité a bien entendu votre témoignage. Nous le ferons traduire et nous le distribuerons à tous les membres du Comité, avec nos remerciements.
C'est maintenant au tour de Me Matas, s'il vous plaît.
Merci de m'avoir invité.
Dans le cadre général de l'engagement du Canada en Asie, j'aimerais me concentrer sur un engagement spécifique, celui du Canada en Chine. Et dans ce cadre-là, j'aimerais m'attacher à un aspect particulier, c'est-à-dire la forme que l'engagement du Canada en Chine devrait prendre, à la lumière des preuves de pratiques abusives de greffes d'organes en Chine.
Je sais que certains d'entre vous êtes au courant de ces éléments de preuve, mais permettez-moi d'en dire quelques mots. David Kilgour et moi-même en sommes arrivés il y a près de 12 ans à la conclusion que la plus grande partie des organes prélevés à des fins de greffes, en Chine, provenaient des adeptes des exercices spirituels appelés le Falun Gong, l'équivalent chinois du yoga. Les adeptes du Falun Gong à qui on prélevait des organes perdaient la vie et étaient incinérés.
Depuis la publication de notre rapport, les preuves se sont accumulées, et d'autres chercheurs se sont intéressés à la question. Ethan Gutmann, un journaliste qui a écrit un livre sur le sujet, David Kilgour et moi-même avons conclu, dans une mise à jour publiée en 2016, que le nombre de greffes avait atteint 100 000 par année, en Chine, et que ces organes provenaient principalement de prisonniers d'opinion: Tibétains, Ouïghours, Chrétiens « de maison » — principalement de l'Éclair de l'Orient — et adeptes du Falun Gong. C'est un marché noir particulier: il est institutionnalisé, il est exploité par l'État.
Les preuves de cette exploitation sont aujourd'hui écrasantes: des centaines de pages, des milliers de notes, plusieurs livres — dont les notes proviennent principalement de sources de l'État chinois — et plusieurs documentaires. Aucun des chercheurs qui se sont intéressés à la question et ont consulté ces documents n'a remis nos conclusions en question.
Le gouvernement chinois ne veut pas parler de cette exploitation. Quand on lui pose des questions, il fulime et répond à côté. Il oppose toutes sortes de refus et lance des accusations, mais il ne s'engage pas réellement dans le débat.
On ne veut pas tout simplement laisser de côté l'assassinat en masse de prisonniers de conscience afin de prélever leurs organes. Les Canadiens ne peuvent pas dire aux représentants chinois: « nous ne sommes pas d'accord avec vous à propos des preuves du massacre d'innocents en vue de prélever leurs organes, mais parlons d'autre choses. »
L'engagement en Chine exige un engagement sur cette question, et cela comprend plusieurs facettes. Charles Burton, dont vous venez d'entendre le témoignage, a mené une étude sur la futilité du dialogue entre le Canada et la Chine sur la question des droits de la personne. Le Canada doit rallier les institutions multilatérales afin de soulever le problème des droits de la personne en Chine plutôt que de se fier à ce dialogue.
Votre Sous-comité des droits internationaux de la personne a approuvé deux ou trois déclarations utiles, dans ce dossier, en novembre 2013 et en février 2015. Ces déclarations tenaient à cet engagement à deux égards. Premièrement, le Sous-comité demandait aux professionnels de la santé, aux scientifiques et aux organismes de réglementation d’identifier, de pointer du doigt et d’ostraciser les personnes, les institutions et leurs complices qui participent au prélèvement forcé et au trafic d’organes humains. Deuxièmement, il demandait au gouvernement du Canada de trouver des moyens de décourager et d’empêcher les Canadiens de prendre part au tourisme de transplantation, où les organes ne sont pas obtenus de façon éthique, sûre et transparente. Je suis d’accord avec ces deux déclarations, mais il faut en faire davantage.
Il y a actuellement un vif débat, parmi les professionnels internationaux des greffes, qui se demandent s’il faut encourager ou ostraciser les professionnels chinois qui se chargent des greffes, étant donné l’opacité des dirigeants chinois à ce sujet et les preuves accablantes de la pratique abusive des greffes, qui se poursuit. Je suis en faveur de l’ostracisme, tout comme votre Sous-comité, parce que notre engagement nous prive du levier de la pression des pairs, qui — lorsqu’il y avait ostracisme — a toujours eu un impact. Le gouvernement du Canada devrait soutenir ceux qui sont en faveur de l’ostracisme, tout comme l’a fait le Sous-comité.
Quant à décourager le tourisme de transplantation, le gouvernement du Canada pourrait en faire bien plus qu'il n'en a fait jusqu'ici. Il pourrait présenter au Parlement le projet de loi d'initiative parlementaire déjà présenté dans différentes législatures par Borys Wrzesnewskyj, que j'ai le plaisir de voir ici, Irwin Cotler et Garnett Genuis. Ce projet de loi ferait de la complicité dans la pratique abusive des greffes d'organes un crime extraterritorial, interdirait l'entrée au Canada aux complices de cette pratique et rendrait obligatoire le signalement aux autorités, par les professionnels de la santé, des cas de tourisme de transplantation.
De façon plus générale, le gouvernement du Canada devrait demander au gouvernement de la Chine de collaborer à une enquête internationale indépendante, menée par des institutions, sur la pratique abusive de greffes d'organes, en Chine.
Pour cette enquête, si jamais elle avait lieu, il faudrait pouvoir visiter des entreprises et des hôpitaux, sans s'annoncer, et consulter les dossiers originaux des prisons et des hôpitaux. Des requêtes de ce type ont été présentées par le Comité des Nations Unies contre la torture, la Chambre des représentants des États-Unis et le Parlement européen. Étant donné l'appui général accordé à cette enquête, le Canada n'a aucune raison de ne pas l'appuyer lui aussi.
L'une des facettes de la pratique abusive de la transplantation d'organes en Chine, c'est l'absence quasi totale d'information sur cette pratique en Chine même. L'engagement en Chine, à ce chapitre, ne peut être confié aux seuls professionnels de la santé et aux défenseurs des droits de la personne. Il faut que le débat sur cet enjeu s'étende à tous les Chinois.
Le Canada peut prendre avantage de son engagement en Chine pour déchirer le voile qui recouvre le problème. Au bout du compte, comme on nous l'a dit, ce sont les Chinois qui changeront la Chine. Mais il est impossible de s'attendre à pouvoir mettre fin aux pratiques abusives de greffes d'organes en Chine, lorsque les seuls Chinois qui sont au courant de ces pratiques en sont les complices. L'engagement est une occasion de faire connaître la situation à l'extérieur du cercle des auteurs.
L'engagement ne peut signifier désengagement. Nous ne pouvons pas à la fois être engagés en Chine mais désengagés sur la question des pratiques abusives de greffes d'organes. Si nous devons nous engager, nous devons le faire de manière cohérente.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur Matas.
J'aimerais rappeler à mes collègues que la sonnerie d'appel se fera entendre dès 17 h 15. C'est la sonnerie de 30 minutes. Nous allons devoir nous rendre à la Chambre à un moment donné, alors nous devons gérer notre temps du mieux possible.
Monsieur Genuis, je vous donne tout de suite la parole. Essayons de ne pas dépasser six minutes chacun. Nous verrons bien où cela nous mènera. Nous avons ensuite des affaires à traiter, après quoi nous allons essayer de terminer de façon à avoir le temps d'arriver à la Chambre à temps pour le vote, évidemment.
Monsieur Genuis.
Merci, monsieur le président.
C'est vraiment un honneur de pouvoir poser des questions à ces trois témoins qui sont à mes yeux des héros.
Monsieur Matas, je ne sais pas si vous êtes déjà au courant, mais j'aimerais que vous sachiez que le projet de loi sur le prélèvement d'organes, revu par le Sénat, vient de passer à l'étape de la seconde lecture. Notre Comité va l'étudier. Il a été présenté par la sénatrice Ataullahjan, et je crois que c'est la première fois qu'un projet de loi sur cet enjeu franchit l'étape de la deuxième lecture, dans l'une ou l'autre Chambre. J'ai grand espoir que nous pourrons faire revenir ce projet de loi devant la Chambre des communes et l'adopter avant les prochaines élections. Je sais que vous comptez des amis dans plusieurs partis — probablement dans tous les partis —, et qu'ils seraient très intéressés à travailler dans ce dossier.
J'aimerais poser mes premières questions à M. Chen.
Toute cette discussion sur l'influence que la Chine essaie d'exercer dans les démocraties occidentales est fascinante, et d'une grande importance pour nous. Lorsque nous étions en Asie, nous avons entendu parler, surtout par des gens de Hong Kong, des activités du Front uni au sein du Parti communiste chinois. Nous avons aussi discuté ici, au Canada, des dons substantiels reçus par les partis politiques et par la Fondation Trudeau, nommée en l'honneur du père du premier ministre actuel, et faits par des gens qui pourraient avoir des liens avec le Parti communiste chinois.
J'aimerais bien savoir ce que vous pensez, premièrement, des activités du Front uni et de son implication dans les activités diplomatiques et, deuxièmement, de ce que pourraient cacher les dons très importants faits à des organismes comme la Fondation Trudeau par des gens qui ont visiblement des connexions avec le Parti communiste chinois.
L'infiltration politique de la Chine au Canada se fait dans plusieurs sphères: l'infiltration politique se fait à partir du ministère du Front uni, de l'Institut Confucius et de l'Association des étudiants et universitaires chinois. Toutes ces infiltrations reflètent la doctrine communiste du ministère du Front uni et visent à exploiter les Canadiens d'origine chinoise. En Chine, les gens croient que l'argent est roi.
Dans le cas du Canada, l'ancien premier ministre Pierre Trudeau était considéré comme un vieil ami de la Chine. Je ne suis pas surpris que le premier ministre Justin Trudeau, selon les reportages, admire la dictature fondamentale de la Chine. Cela va à mon avis à l'encontre des valeurs de l'ensemble de la société canadienne ainsi que de celles de la collectivité chinoise au Canada.
Je présente mes excuses à mes collègues et à M. Chen. Nous avons de gros problèmes avec le système audio, et nos interprètes ne peuvent pas faire leur travail.
Monsieur Genuis, pourriez-vous discuter avec un autre des témoins, jusqu'à ce que nous ayons trouvé une solution à ce problème?
Toutes mes excuses.
Monsieur le président, je vais donc proposer d'inviter de nouveau M. Chen à une date ultérieure, quand nous aurons réglé ces problèmes techniques. Je comprends les limites que cela suppose, mais je crois qu'il fournit un témoignage unique et important. Je crois qu'il nous serait précieux de l'inviter de nouveau, à une date ultérieure, de façon à pouvoir lui poser quelques questions.
Monsieur Tsering, vous avez parlé de la situation relative aux droits de la personne au Tibet, qui concerne la zone occupée par la Chine, de toute évidence, Pourriez-vous nous parler un peu des domaines où une plus grande collaboration serait possible entre le Canada et le gouvernement du Tibet en exil? Quelle forme prend la collaboration du Canada et du gouvernement en exil dans les domaines du développement, des enjeux politiques? Dans quels domaines recommanderiez-vous au Canada d'en faire plus et de renforcer cette relation?
Pour commencer, je tiens à dire que je suis très reconnaissant au gouvernement du Canada d'avoir soutenu le projet éducatif pendant deux ans; un autre projet sera présenté de nouveau, parce qu'il était vraiment nécessaire et qu'il a été utile au gouvernement tibétain en exil, qui a pu ainsi aider les enfants à s'instruire et à maîtriser des langues étrangères, en plus de leur propre langue.
Le projet a été financé pendant deux ans par le gouvernement canadien; à cette époque, j’avais le privilège d’être responsable du ministère de l’Éducation. C’était avant que j’occupe un poste à l’Office of Tibet. Oui, notre gouvernement a présenté une autre proposition, et nous aimerions beaucoup que vous puissiez en prendre connaissance. De nombreux projets lancés pendant ces deux années ne sont toujours qu’à mi-parcours, et il sera extrêmement important qu’ils puissent au moins se terminer, pour les élèves qui y participent, pour les bourses qui ont été distribuées aux enfants, pour tous les manuels, pour tout le reste. Une bonne partie des propositions qui ont été soumises dans l’intervalle pourraient être entièrement mises en œuvre.
Il y a ensuite dans tout ce qui se passe au Tibet, par exemple, la situation de la langue tibétaine qui est elle-même grandement menacée; aujourd'hui même, on associe le fait de parler le tibétain à une politique réactionnaire, et c’est pourquoi il faut le signaler à l’État, ce qui veut dire qu’une personne qui parle le tibétain est menacée. Le gouvernement en exil cherche par tous les moyens de conserver son identité en ajoutant un programme distinct pour favoriser l’apprentissage du tibétain par les Tibétains en exil. Je crois que le gouvernement canadien pourrait, dans ces dossiers, vraiment aider les Tibétains en exil à conserver et à défendre leur identité.
Merci.
Nous donnons maintenant la parole à M. Wrzesnewskyj, s'il vous plaît. J'aimerais dire une petite chose avant que vous ne commenciez.
Mes chers collègues, je voulais vous annoncer que nous ne pourrons pas communiquer avec M. Chen; nous pouvons lui faire parvenir des questions ultérieurement, mais je crois que la meilleure solution, c'est celle qu'a suggérée M. Genuis, le convoquer de nouveau lorsque nous aurons une meilleure connexion audio; nous ne pouvons pas enregistrer ses interventions, nous devrons donc faire cela. Malheureusement, nous ne pourrons pas poser de questions à M. Chen.
Monsieur le président, voici ce que je vais faire. Je vais poser des questions auxquelles M. Chen pourra, selon moi, répondre simplement par oui ou non. Je crois que les interprètes sauront faire la différence entre un oui et un non. Je m'arrangerai pour que mes questions...
Je ne crois pas que nous allons faire ça, monsieur Wrzesnewskyj. Nous allons agir de manière équitable pour tous les membres; nous venons pour ainsi dire d'empêcher M. Genuis de poser ses questions. Nous préférerions réinviter M. Yonglin. Pourriez-vous vous adresser uniquement à M. Tsering et à M. Matas, s'il vous plaît?
D'accord. Dans ce cas, je vais m'adresser à M. Matas.
Monsieur Matas, vous avez rédigé avec M. Kilgour un exposé très bien documenté qui a essentiellement révélé au monde l'incroyable opération commerciale impliquant des organes humains qui se déroulait en Chine.
Pourriez-vous nous donner une idée de l'échelle de ces activités en quantifiant les pertes de vies humaines et les rentrées d'argent qu'elles représentent pour l'État chinois? Si j'ai bien compris, ces activités se déroulaient essentiellement à partir d'hôpitaux militaires.
Il est évident que le gouvernement chinois n'a jamais publié de statistiques à ce sujet. Il fournit certes des statistiques sur les dons d'organes et sur la provenance de ces organes, mais à ma connaissance, ce sont des chiffres inventés. Ils ne correspondent pas à ce que nous avons pu constater en menant nos recherches.
Nous avons pu visiter différents hôpitaux et nous avons fait le total des greffes qu'ils disaient effectuer; les chiffres n'avaient aucun rapport avec les chiffres totaux déclarés par le gouvernement chinois. Ils brouillent constamment les pistes des données sur lesquelles nous mettons la main.
Nous estimions, dans la mise à jour publiée en juin 2016, qu'il se fait environ 100 000 greffes par année. Pendant une certaine période, ce nombre a baissé à environ 60 000, puis il est remonté à environ 100 000. Nous avons obtenu ces chiffres de plusieurs sources différentes. Nous avons consulté, comme je le disais, les sites Web des hôpitaux, mais nous avons aussi examiné les bulletins des hôpitaux, les reportages dans les médias, les données sur le nombre de lits, et ainsi de suite.
Comme nous n'avons pas beaucoup de temps, pourriez-vous nous dire combien de pertes de vie sont dues environ à ces activités et combien environ — je sais que c'est difficile à faire, surtout dans l'environnement de la Chine — ces activités génèrent d'argent?
Encore une fois, en ce qui concerne leur valeur monétaire, nous avons pu consulter des listes de prix, qui étaient affichées, mais qui ont été retirées quand nous avons commencé à les citer. C'était il y a 12 ans, et on peut donc supposer que les prix ont depuis augmenté. Cette question fait l'objet de débats, dans les différents hôpitaux, qui hésitent entre une liste de prix et une liste de prix officielle. Je dirais que ces activités génèrent au total quelque 8 milliards de dollars par année.
Au chapitre des pertes de vie, le nombre de 100 000 a trait aux organes, pas aux vies. Cependant, le système de distribution des organes n'est pas efficace, et il y a beaucoup de perte d'organes, en Chine; il y aurait donc presque autant de pertes de vie que de greffes d'organes. Et il ne s'agit pas toujours de prisonniers de conscience. Il y a d'autres donneurs, mais leur nombre est petit comparé à celui des prisonniers de conscience.
J'aimerais que ce soit tout à fait clair. Il y a une liste de prix pour les organes et les membres humains. Il s'agit d'une activité commerciale. Les auteurs considèrent que les membres et les organes d'êtres humains sont des produits. Les prix montent et baissent selon l'offre, ils font l'objet de négociations.
Les prisonniers de conscience détenus arbitrairement sont si nombreux que l'offre n'a pas de limite. Quant à la façon dont ça se passe, le système fait face à des contraintes de places et de personnel, mais l'offre d'organes n'est pas un problème. On observe en Chine, depuis qu'elle a entrepris ce commerce d'organes, une explosion dans la construction d'installations de greffes, et elle veut tirer profit de cette source apparemment inépuisable d'organes.
Il est vrai que les gens sont traités... Ils n'ont plus de personnalité, ils ne sont que des membres humains. C'est une conséquence de la haine, tolérée et encouragée, à l'égard de ces groupes cibles qui, en fait, mène les geôliers à traiter les prisonniers comme des non-personnes.
Poursuivons sur le même sujet. Il y a un capitalisme d'État, qui cannibalise certaines parties du corps des prisonniers de conscience et d'autres personnes. Ces activités génèrent des milliards de dollars. Il y a les listes de prix. C'est une chose qui semble tout simplement incompréhensible, et pourtant, il est clair que ces activités sont dirigées par les autorités centrales. Est-ce vrai? Est-il possible que les autorités n'aient pas connaissance de ce commerce qui représenterait 8 milliards de dollars?
Non. Il y a beaucoup de ce que j'appelle « l'aveuglement volontaire ».
Le porte-parole du système des greffes, en Chine, s'appelle Huang Jiefu. Il existe une transcription d'une entrevue au cours de laquelle il dit être déjà allé voir comment ça se passait — du côté des responsables des donneurs, parce qu'il y a une équipe qui prélève les organes et une autre qui les greffe — il a été tellement dégoûté et scandalisé par ce qu'il a vu qu'il n'y est jamais retourné.
Il y a une grande compartimentalisation dans le système des greffes, et les gens disent ne rien savoir. Toutefois, en ce qui nous concerne, ils ferment les yeux sur le scandale.
J'aurais peut-être une dernière question.
Les gens qui attendent une greffe d'organes subissent un grand stress émotionnel. Ils sont désespérés. Les Canadiens qui ont décidé de subir une greffe d'organes en Chine savent-ils que les donneurs paient de leur vie? Que pourrions-nous faire pour mieux sensibiliser la population?
Merci, monsieur Matas. N'allez pas plus loin, je crois que nous pourrons obtenir une réponse à votre question dans quelques instants.
Je veux donner la parole à Mme Laverdière.
Vous pouvez poser la même question si vous le désirez. Je veux tout simplement ne pas dépasser le temps imparti, à défaut de quoi nous devrons partir.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux d'abord remercier nos trois témoins qui sont venus nous parler d'enjeux extrêmement importants. Je pense que nous pouvons aussi recevoir des compléments d'information par écrit. Cela pourrait être utile. Comme je le disais, je pense qu'il s'agit là de trois enjeux extrêmement importants.
Cela étant dit, et puisque le temps file rapidement, nous devons discuter de la demande qu'a présentée l'Église Unie du Canada de venir rencontrer ce comité, jeudi, en compagnie de M. Michael Lynk, le rapporteur spécial des Nations Unies, pour parler de ce que le Canada pourrait faire pour promouvoir la paix au Moyen-Orient, ce qui me semble un enjeu très important. C'est une demande que j'appuie, manifestement.
Étant donné que le temps est très court et que nous devons discuter de cela aujourd'hui pour être en mesure de recevoir ces gens jeudi, je serais prête à abandonner mon temps de parole, tout en remerciant infiniment nos trois témoins d'aujourd'hui, pour que le Comité puisse prendre une décision au sujet de cette demande.
Je vous remercie.
[Traduction]
Merci beaucoup, madame Laverdière.
Il reste encore assez de temps pour entendre M. Sidhu. Je vais donner la parole à M. Sidhu pour cinq minutes, après quoi nous allons poursuivre à huis clos et régler la question que Mme Laverdière a soulevée.
Monsieur Sidhu, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
Merci aux trois témoins de leur témoignage d'aujourd'hui.
Il est bien dommage que M. Chen ne soit plus là, j'avais une question à propos de Taïwan.
J'ai eu l'occasion de me rendre à Taïwan avec d'autres parlementaires. Notre comité n'aura malheureusement pas l'occasion d'aller à Taïwan, mais nous envisageons de conclure un accord commercial avec la Chine. En même temps, l'économie de Taïwan croît rapidement. Elle arrive au 25e rang, après les pays du G20. Si l'organisation passait de 20 à 25 pays, elle en ferait partie.
En même temps, la Chine affirme que ces deux États forment un seul pays. M. Tsering, vous avez peut-être quelque chose à dire sur la façon de faire affaire avec Taïwan sans que la Chine ne s'en mêle.
Si votre question m'était adressée, je ne l'ai pas bien comprise.
Pourriez-vous répéter votre question, monsieur?
Comment pouvons-nous faire des affaires avec Taïwan? L'État affirme qu'il est un pays indépendant, une économie en forte croissante et le 25e État dans le monde. En même temps, la Chine affirme qu'il n'y a qu'une seule Chine. Nous serait-il possible un jour de faire des affaires avec Taïwan? Nous sommes à l'affût des occasions qui s'offrent en Asie.
Voilà ma question.
Je crois que c'est possible, si vous faites ce que les États-Unis ont fait jusqu'ici. En fait, ils ont adopté une loi sur les voyages à Taïwan qui a donné une toute nouvelle portée à la collaboration avec Taïwan. Je crois que tout dépend de la façon dont le Canada mènera sa barque et que, en ce qui concerne la Chine, il y a trois grands enjeux, que l'on regroupe normalement sous l'expression « les trois T »: le Tibet, Taïwan et la place Tiananmen. Le Canada pourrait en tenir compte au moment d'élaborer son plan. Je ne peux pas ajouter grand-chose, mais je crois que c'est tout à fait possible.
J'aimerais revenir rapidement sur une question que m'a posée plus tôt l'honorable député Garnett Genuis, sur la façon dont le Canada pouvait aider l'Administration centrale tibétaine, le gouvernement en exil. Je crois qu'il y a d'autres moyens; il pourrait par exemple appuyer l'approche de la Voie du Milieu prônée par l'Administration centrale tibétaine et adopter des résolutions visant à envoyer des délégués au Tibet, voire aussi au Sichuan, pour qu'ils constatent la situation. Je tiens aussi à remercier la ministre des Affaires étrangères du Canada qui a parlé de la situation relative aux droits de la personne. Elle a dit qu'elle aimerait continuer à aider les Tibétains.
C'était deux ou trois suggestions. Je pourrais aussi suggérer d'envoyer une délégation de parlementaires canadiens à Dharamsala. C'est là qu'est installée l'Administration centrale tibétaine. Il y a toutes sortes de choses que le gouvernement du Canada pourrait faire pour vraiment aider le Tibet. Pour commencer, quand vous entendez dire, aux États-Unis...
Merci beaucoup, monsieur Tsering.
J'aimerais que les membres du Comité sachent qu'une délégation en provenance du Tibet sera ici le 8 mai et que les délégués désirent rencontrer notre comité. Nous aurons donc la possibilité de discuter de ces questions.
Au nom de mes collègues, je remercie nos trois témoins. Nous apprécions beaucoup votre patience et votre compréhension. Nous sommes pris entre l'arbre et l'écorce, comme on dit, parce que nous devons bientôt aller voter et que nous avons d'autres affaires à régler.
Je vais suspendre la séance, et nous poursuivrons à huis clos pour discuter de la question soulevée par Mme Laverdière. Je demande à tout le monde de bien vouloir quitter la pièce et de le faire si possible en cinq minutes.
Je tiens aussi à rappeler que, jeudi, le Comité se réunira pendant une heure pour parler de ses travaux ultérieurs; en effet, nous consacrerons une heure aux dispositions touchant le rapport et une deuxième heure, si ça dure jusque-là, à un simple débat touchant la direction que nous allons adopter, les choses que nous faisons et les choses que nous aimerions faire. J'espère que cela ne nous prendra pas plus d'une heure et que nous pourrons finir un peu plus tôt jeudi, ce qui est toujours agréable, le jeudi.
Nous suspendons la séance pour deux minutes afin de laisser aux témoins le temps de partir; nous poursuivrons immédiatement nos discussions.
Madame Laverdière.
[Français]
Monsieur le président, je pense que ce serait bien que la suite de la réunion et cette prise de décision soient publiques.
[Traduction]
Oui, je comprends que ce soit votre opinion, mais on tient compte généralement de l'opinion du Comité, et nous faisons toujours les choses ainsi, les affaires sont traitées à huis clos. Nous allons procéder comme nous avons toujours fait.
J'aimerais que les personnes qui n'ont pas à être ici quittent la pièce.
[La séance se poursuit à huis clos]
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