FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 19 avril 2018
[Énregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous étudions l'engagement du Canada en Asie. Nous accueillons en personne Mme Patricia Talbot, de l'Église unie du Canada. Nous recevons aussi, par vidéoconférence d'Honolulu, Mme Christine Ahn, de Women Cross DMZ.
M'entendez-vous?
Parfait.
J'ignore pourquoi je ne le sais jamais d'avance, mais qui passera en premier?
Je présume que je peux décider, alors je choisis Mme Talbot.
Patricia, la parole est à vous.
Merci beaucoup, monsieur le président, madame la vice-présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invitée ici aujourd'hui. C'est pour moi un plaisir et un privilège.
Je représente l'Église unie du Canada. La 42e modératrice de l'Église unie du Canada, la très révérende Jordan Cantwell, et notre secrétaire générale, Mme Nora Sanders, vous saluent.
Comme vous le savez peut-être, l'Église unie est une institution propre au Canada qui rassemble plusieurs Églises nationales. Elle a été créée par une loi adoptée par le Parlement en 1925.
Nous sommes Canadiens, mais nous nous voyons comme appartenant à une famille mondiale. Nous mettons cette conception en pratique en soutenant et en accompagnant nos Églises et organisations partenaires d'ailleurs dans le monde, qui ont la même vision que nous d'un monde juste et pacifique. Par l'action de deux des Églises qui l'ont précédée, l'Église unie entretient des relations avec des pays de l'Asie du Nord-Est — la Chine, le Japon, la Corée et, plus récemment, les Philippines — et mène des missions dans cette région depuis plus d'un siècle. Aujourd'hui, toutefois, mes observations porteront principalement sur la relation du Canada avec la Corée, sur les possibilités qu'offre cette relation et sur nos intérêts mutuels.
La relation de l'Église unie avec les Coréens a commencé officiellement en 1898, avec l'établissement de la Mission canadienne à Wonsan, sur la côte nord-est de ce qui est aujourd'hui la RPDC. Des missionnaires canadiens attachés à l'Église unie ont vécu, ont servi, sont morts et sont enterrés en Corée du Nord et en Corée du Sud.
La Mission canadienne de l'Église unie était connue pour son engagement mixte envers la mission chrétienne et le bien-être social de la population, en particulier les défavorisés. Les priorités de la Mission canadienne de l'Église unie étaient la santé, sous la forme de cliniques et d'hôpitaux; l'éducation, surtout des filles et des femmes pauvres; ainsi que le développement du leadership et le renforcement des capacités.
Des missionnaires canadiens de l'Église unie ont oeuvré en Corée durant l'occupation japonaise, la guerre de Corée et l'après-guerre. Après la division, la présence de l'Église unie s'est limitée à la Corée du Sud. Les personnes affiliées à l'Église unie ont soutenu les efforts des Coréens visant l'indépendance, la démocratisation et le respect des droits de la personne.
Aujourd'hui, je dirais que l'aspiration des partenaires de l'Église unie dans le Sud et dans le Nord est de promouvoir la réconciliation, la paix et la réunification dans la péninsule coréenne. De nombreux Canadiens qui sont liés à la Corée par la famille, l'amitié ou des entreprises communes dans les domaines du commerce, de l'éducation, des arts, de la culture et plus encore ont la même aspiration. Les 2 800 congrégations canadiennes de l'Église unie du Canada sont solidaires des partenaires coréens et des Canadiens qui cherchent une paix juste et durable dans la péninsule coréenne. L'Église unie fera tout ce qu'elle pourra tout au long du chemin que nous parcourons ensemble pour atteindre cet objectif.
Comme vous vous préparez à vous rendre dans la région, j'aimerais exprimer ce qui est peut-être une évidence: j'espère que votre voyage en Corée du Sud sera centré sur la situation qui prévaut dans la péninsule coréenne.
Les Canadiens sont historiquement dévoués au bien-être du peuple coréen et ils ont un passé empreint de confiance. La situation actuelle, qui est extrêmement complexe et même dangereuse, représente une occasion pour le Canada d'intervenir sur la scène internationale en montrant qu'il est un rassembleur voué au règlement pacifique des conflits.
Étant resté jusqu'à récemment presque muet — tant bilatéralement que multilatéralement depuis 2010 environ — sur le dossier de la péninsule coréenne et de la Corée du Nord, le Canada devra s'efforcer de rétablir sa crédibilité quant aux questions nord-coréennes. D'après moi, il s'agirait d'un pas important vers la réaffirmation de l'engagement du Canada en matière de politique et de sécurité à l'égard de la région Asie-Pacique.
Que peut faire le Canada? J'aimerais présenter quatre domaines que le Comité pourrait examiner et explorer. Avant, toutefois, je tiens à souligner que, selon nos partenaires en Corée, nous atteindrons seulement la paix, la sécurité humaine et l'élimination des armes nucléaires dans la péninsule coréenne au moyen d'un engagement sincère sans conditions préalables, de la suppression des exercices militaires et des essais de missiles, ainsi que d'un dialogue constructif visant la conclusion d'un traité de paix et une paix négociée.
Dans le cadre de votre examen de l'engagement du Canada en Asie, je vous recommande d'explorer quatre domaines liés à la Corée.
Premièrement, songez aux façons dont le Canada pourrait soutenir le président sud-coréen Moon Jae-in et son engagement envers le dialogue intercoréen, la réconciliation et la paix dans la péninsule. Plusieurs rencontres au sommet sont à venir — vous savez qu'il y en aura une la semaine prochaine —, et je pense que le président Moon mérite l'appui du Canada. Évidemment, son approche est très différente de celle du président Trump. Durant le sommet qui a eu lieu ici, au Canada, en janvier, organisé conjointement par le Canada et les États-Unis, on a fortement appuyé la stratégie de l'administration Trump. Il serait juste que le Canada soutienne l'approche de son allié sud-coréen.
Je suggère au Comité d'explorer comment le Canada pourrait appuyer les efforts du président Moon qui visent à mettre fin officiellement à l'état de guerre dans la péninsule et à entamer le processus qui mènera à la conclusion d'un traité de paix complet qui remplacera la convention d'armistice de 1953. La normalisation des relations entre le Nord et le Sud dépend d'un tel accord.
Que peut faire le Canada pour préparer le terrain en vue de la tenue de discussions mondiales? Les discussions doivent absolument être mondiales. Comment pouvons-nous réunir l'ensemble des personnes devant être présentes, y compris des femmes du Nord et du Sud, des États-Unis, de la Chine et de la Russie?
Deuxièmement, au lieu de mettre un maximum de pression, pensez à ce que le Canada peut faire pour favoriser le dialogue et la coopération avec la Corée du Nord. J'ai deux suggestions à cet égard. D'abord, trouvez des moyens pour le Canada d'assouplir les sanctions auxquelles font face les organismes humanitaires actifs en Corée du Nord. Nous savons tous que l'isolement de la Corée du Nord et les sanctions ont en réalité encouragé la poursuite du programme nucléaire de la Corée du Nord et ont durement touché les Nord-Coréens ordinaires. C'est la position officielle de l'Église unie, et nous avons envoyé récemment une lettre, cosignée par la Voix des femmes canadiennes pour la paix, au comité du Conseil de sécurité de l'ONU concernant les sanctions. J'en ai remis une copie à la greffière du Comité.
Une autre façon de favoriser la coopération est d'encourager et de permettre les dialogues et les rapports entre les peuples. Les Églises, la société civile et les organismes humanitaires ont beaucoup d'expérience dans ce domaine. Que ce soit des agriculteurs nord-coréens qui viennent rencontrer des mennonites dans les Prairies, des étudiants nord-coréens qui s'inscrivent à des universités canadiennes ou une personne comme Hayley Wickenheiser qui se rend en Corée du Nord pour animer un stage de hockey, nous savons que les rencontres directes entre les peuples constituent un élément essentiel d'un dialogue sincère vers la paix. Je dirais qu'il faut aussi du courage, du dévouement et de la détermination à long terme pour bâtir des relations de confiance.
Troisièmement, il faut donner à l'ambassadeur du Canada à Séoul le plein pouvoir de représenter le Canada à Pyongyang. Cette façon de faire fonctionnait bien dans le passé. Nous avons établi des relations diplomatiques avec la Corée du Nord en 2001 pour appuyer le président Kim Dae-jung, lauréat du Prix Nobel de la paix. Plusieurs diplomates très compétents ont représenté le Canada tant en Corée du Sud qu'en Corée du Nord. Cela s'est terminé en 2010, et nombreux sont ceux qui croient que cette décision a nui aux intérêts du Canada et qu'elle a contribué au déclin de son rôle dans la région. Nous sommes dans une période de dialogue, et je suis convaincue que le Canada peut contribuer à la communication, à l'interprétation et aux négociations honnêtes nécessaires en ce moment.
Quatrièmement — et c'est la dernière recommandation —, veillez à ce que les femmes soient entendues et à ce qu'elles prennent part au processus de paix. Une partie de la contribution particulière du Canada pourrait être de faciliter la participation des réseaux de femmes et de l'ensemble de la société civile au processus de paix. Autrement dit, des femmes des deux Corées doivent être présentes durant le processus. Comme nous le savons tous, la participation des femmes est essentielle à l'avancement du processus de paix. Le gouvernement canadien a adopté une politique étrangère féministe et une politique d'aide internationale féministe. En novembre 2017, il a aussi adopté son deuxième Plan d'action national sur les femmes, la paix et la sécurité. Faites en sorte que cette position soit reflétée concrètement dans la situation coréenne. Comme la ministre Freeland l'a dit: « Le chemin qui mène à la paix doit pouvoir compter sur des femmes autonomes. Lorsque les femmes prennent part aux processus de paix, la paix est plus durable. »
Nous sommes ravis que vous soyez prêts à rencontrer des représentants de la société civile au Canada. Nous vous encourageons à faire de même en Corée.
J'ai donné au personnel du Comité les coordonnées de chefs chrétiens engagés, de représentantes de réseaux de femmes et d'autres dirigeants de la société civile respectés, qui sont tous en Corée du Sud. Ils sont prêts à vous rencontrer et à discuter avec vous.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je conclus en priant que vous qui êtes d'importants dirigeants des citoyens canadiens, vous agissiez avec sagesse et discernement, et que vous ayez la grâce, la patience et la persévérance nécessaires non seulement pour accomplir la tâche importante d'examiner l'engagement du Canada en Asie, mais aussi, je l'espère, pour poursuivre sur la voie qui nous mènera à un monde juste, pacifique et durable.
Merci.
Merci énormément de me permettre de vous présenter des renseignements historiques et géopolitiques en vue de votre voyage en Corée du Sud. Ce fut un grand honneur pour moi et pour Women Cross DMZ de collaborer étroitement avec les plus grandes organisations féministes du Canada, comme la Nobel Women's Initiative, la Voix des femmes canadiennes pour la paix et le Réseau Femmes, paix et sécurité; ainsi qu'avec la ministre Freeland, le secrétaire parlementaire DeCourcey et Affaires mondiales Canada. Vous avez été des voisins exemplaires.
Permettez-moi de me présenter. Je suis la fondatrice et la coordonnatrice internationale de Women Cross DMZ. Nous sommes un mouvement mondial de femmes se mobilisant pour établir la paix dans la péninsule coréenne. En 2015, à l'occasion du 70e anniversaire de la division de la Corée par les pouvoirs de la guerre froide, 30 artisanes de la paix provenant de 15 pays, y compris 2 lauréates du Prix Nobel de la paix, l'icône féministe américaine Gloria Steinem et nombre d'autres militantes pour la paix, ont traversé, avec Women Cross DMZ, la zone démilitarisée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
De plus, nous avons organisé des symposiums de femmes sur la paix à Pyongyang et à Séoul, durant lesquels nous avons parlé avec des centaines de Coréennes des répercussions que le conflit non résolu a sur leur vie. Nous avons marché avec 10 000 Coréennes des deux côtés de la zone démilitarisée, dans les rues de Pyongyang, de Kaesong et de Paju, pour réclamer la conclusion d'un traité de paix mettant fin à la guerre de Corée, la réunification des familles, ainsi que la participation des femmes au sommet du processus d'établissement de la paix.
Il y a trois ans, nous n'aurions jamais imaginé que l'exaucement de nos demandes d'un traité de paix serait bientôt à portée de la main, et pourtant, voilà où nous en sommes en ce moment historique. Les événements des prochains mois détermineront si ce sera la paix ou la guerre qui l'emportera dans la péninsule coréenne.
Le Canada, qui occupe le troisième rang quant au nombre de soldats envoyés au combat durant la guerre de Corée, qui compte l'une des plus grandes communautés de la diaspora coréenne et dont la forte société civile envoie de l'aide humanitaire en Corée du Nord et coopère avec les Nord-Coréens depuis longtemps, peut jouer un rôle vital pour soutenir la paix dans la péninsule coréenne et la stabilité dans l'ensemble de l'Asie du Nord-Est.
Comme vous le savez peut-être déjà grâce à vos déplacements et aux études que vous avez faites avant vos prochains voyages en Corée du Sud, au Japon et aux Philippines, l'Asie du Nord-Est est la région qui connaît la croissance économique la plus rapide au monde. Sa population dépasse 1,5 milliard d'habitants. Elle procède également à une militarisation intense; elle se dote d'arsenaux énormes d'armes nucléaires et d'armements sophistiqués qui menacent sérieusement la paix et la sécurité de tous ceux qui se trouvent dans la région.
La cause profonde principale de cette militarisation est la guerre de Corée, qui n'a jamais été résolue. Les chefs militaires des États-Unis, de la Corée du Nord et de la Chine l'ont arrêtée provisoirement le 27 juillet 1953 en signant la convention d'armistice et en promettant de remplacer le cessez-le-feu par un traité de paix permanent. Cette promesse n'a jamais été accomplie, et comme Patty l'a dit, l'état de guerre s'est enraciné.
En mettant officiellement fin à la guerre de Corée, on augmenterait la sécurité dans la péninsule coréenne et en Asie du Nord-Est en réduisant les tensions dans la région et en allant à l'encontre de la militarisation croissante. Vingt pays, y compris le Canada, ont participé à la guerre de Corée. Le Canada doit mener les efforts pour aider à y mettre fin.
Comme Patty l'a aussi souligné, la semaine prochaine, le président sud-coréen, Moon Jae-in, rencontrera le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un. Ils discuteront des moyens de régler le conflit historique entre les deux Corées. Cette réunion sera suivie de la rencontre entre le président Trump et le dirigeant Kim. Ce sera la première fois qu'un président américain en poste rencontrera un dirigeant nord-coréen, et une telle occasion ne se présentera peut-être jamais plus si les deux parties n'arrivent pas à s'entendre. Nombreux sont ceux qui craignent ce qui arrivera en pareil cas au dire du président Trump lui-même: un conflit militaire ayant pour objectif la dénucléarisation de la Corée du Nord.
C'est important de souligner que la conjoncture diplomatique favorable dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui n'est pas le résultat de la campagne de pression maximale menée par l'administration Trump, qui n'a fait que causer de grandes souffrances à la population nord-coréenne. C'est plutôt grâce au président Moon, à sa diplomatie remarquable et à sa ferme volonté de mettre définitivement fin à la guerre de Corée.
Il y a seulement 11 mois que Moon Jae-in est devenu président, après l'émergence d'un mouvement populaire extraordinaire visant à faire tomber le président néoconservateur Park. Son élection représente une victoire du pouvoir populaire: plus de 16 millions de Sud-Coréens, soit 1 sur 3, ont manifesté pendant 5 mois et ont tenu des vigiles à la chandelle. Il s'est présenté pour éradiquer la corruption et pour améliorer les relations entre les deux Corées, et il a remporté une victoire écrasante. Aujourd'hui, sa cote de confiance s'élève encore à 74 %. L'année dernière, durant le premier discours important sur la politique étrangère qu'il a prononcé à Berlin, le président Moon a offert à la Corée du Nord de conclure un traité de paix si elle acceptait de se dénucléariser.
À mesure que les tensions se sont accentuées entre Washington et Pyongyang, le président Moon a condamné les essais de missiles nucléaires, mais il a également envoyé un message clair à Washington en disant que personne ne pourrait décider d'une intervention militaire sur la péninsule coréenne sans l'accord de la Corée du Sud. C'est parce que dans les premiers jours d'un conflit militaire conventionnel, 300 000 personnes seraient tuées, et si des armes nucléaires étaient utilisées — et nous savons que la Corée du Nord en possède un arsenal d'au moins 20 — 25 millions de personnes seraient touchées.
Redoutant des frappes préventives américaines en Corée du Nord et les représailles probables contre 30 000 soldats américains dans 87 bases en Corée du Sud, le président Moon a rapidement saisi l'occasion offerte par les Olympiques pour demander une trêve. Kim Jong-un a tendu la main en envoyant des centaines d'athlètes et d'artistes aux jeux, y compris sa soeur, Kim Yo-jong, qui a été la première membre de la dynastie Kim à fouler le sol sud-coréen depuis la guerre.
Le monde a été témoin de l'immense effet transformateur de la participation aux Olympiques lorsque les deux Corées ont marché ensemble à la cérémonie d'ouverture en brandissant un seul drapeau coréen. Cependant, alors que le stade au complet s'est levé pour applaudir l'unité coréenne, le vice-président Pence et le premier ministre japonais Abe sont restés assis. C'était un grave rappel de l'occupation coloniale de la Corée par le Japon de 1910 à 1945, qui a mené à la division tragique de la Corée par les puissances de la guerre froide. Je le répète parce que de nombreux Américains ne le savent même pas. En 1945, deux jeunes représentants du département d'État ont essentiellement déchiré une page du National Geographic et tiré un trait le long du 38e parallèle, donnant ainsi Séoul aux États-Unis et Pyongyang aux Soviétiques. C'est pour cette raison que la Corée est divisée et que des millions de familles coréennes demeurent séparées. C'est leur histoire tragique. Aucun Coréen n'a été consulté.
Compte tenu de l'importance de l'enjeu, il est essentiel que les perspectives de paix ou de guerre nucléaire ne dépendent pas uniquement d'un sommet Trump-Kim, mais plutôt d'une participation collective d'acteurs étatiques et non étatiques qui travaillent ensemble pour parvenir à une paix durable.
Le Canada, qui a aidé les États-Unis et Cuba à normaliser leurs relations, s'est imposé en tant qu'intermédiaire honnête pour aider à rapprocher des ennemis historiques dans le cadre de son engagement à promouvoir la paix et la stabilité dans le monde. Grâce notamment à sa politique étrangère féministe, le Canada peut jouer un rôle essentiel en contribuant à assurer la participation pleine et égale de femmes de la péninsule coréenne et du Nord-Est de l'Asie dans un processus de consolidation de la paix.
Comme des processus officiels sont en cours, il est urgent de créer un espace pour inclure la société civile dans le processus de paix coréen, plus particulièrement les représentantes de mouvements pacifistes. Le Nord-Est de l'Asie, où la langue, la culture et l'idéologie diffèrent considérablement, n'a effectivement pas de mécanismes régionaux de promotion de la paix et de la sécurité, et encore moins de structures pour inclure la société civile ou les femmes activistes. Le Canada peut aider à soutenir des mécanismes régionaux pouvant réunir une diversité de voix et d'intérêts, notamment grâce à la participation active de groupes de femmes, compte tenu de notre incidence positive dans le cadre des efforts menant aux accords de paix.
Nous avons maintenant des données probantes fiables sur le rôle constructif que les mouvements pacifistes de femmes jouent dans la conclusion d'accords de paix. C'est maintenant codifié dans des politiques nationales et internationales, comme la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies et, comme l'a mentionné Patty, la politique sur les femmes, la paix et la sécurité du Canada. Le Canada peut jouer un rôle important dans le soutien d'un processus régional de maintien de la paix dirigé par des femmes en renforçant les réseaux transnationaux de la société civile et en créant un espace sûr pour les femmes de la Corée du Sud, de la Corée du Nord, des États-Unis, de la Chine, du Japon, de la Russie et d'autres pays intéressés, et ce, afin d'établir un lien de confiance, de discuter de solutions et d'assurer une participation aux processus officiels.
Les processus de paix ne se limitent pas à mettre fin à un conflit armé et à établir des ententes de partage des pouvoirs; ils jettent aussi les bases d'une société d'après-guerre. En cette période de changements rapides et d'incertitude, tout est possible.
Pas plus tard qu'hier, au sommet avec Shinzo Abe en Floride, le président Trump a dit qu'il espère voir le jour où toute la péninsule coréenne pourra prospérer en sécurité et en paix. Il a ajouté que c'est la destinée du peuple coréen. C'est une déclaration extraordinaire, que nous n'aurions pas pu imaginer il y a juste quelques mois. C'est toutefois un moment passager, et si les femmes ne participent pas au processus officiel de paix ni à l'élaboration des mesures de sécurité, il leur sera ensuite beaucoup plus difficile d'entreprendre des initiatives de transformation.
Je vais conclure en disant que c'est le moment pour des États avant-gardistes comme le Canada d'étendre sa politique étrangère féministe pour tirer parti d'importantes occasions, comme celle qui se présente actuellement dans la péninsule coréenne et au Nord-Est de l'Asie, afin que les droits des femmes, l'égalité des sexes et une réelle sécurité des êtres humains soient au coeur d'un accord de paix coréen.
Women Cross DMZ et la Nobel Women's Initiative s'associent aux organismes pacifistes de femmes en Corée du Sud pour organiser un rassemblement international de femmes pour la paix en Corée du Sud du 23 au 27 mai. Patty Talbot fera partie de la délégation. L'activité comprendra un symposium pour la paix à l'Assemblée nationale ainsi qu'une marche de la paix à Paju, le long de la frontière sud de la zone démilitarisée.
Nous avons invité une délégation de femmes nord-coréennes. Nous venons tout juste d'apprendre qu'elles participeront le 24 mai à une réunion organisée par les Nations unies à Beijing, et nous avons donc bon espoir qu'elles se joindront à nous.
J'étais en Corée du Sud la semaine dernière. À Séoul, j'ai rencontré l'ambassadeur Eric Walsh, qui m'a dit que vous serez peut-être dans le pays à ce moment-là, et il a accepté d'être l'hôte d'une réception pour notre délégation le 25 mai à l'ambassade du Canada à Séoul.
Ce serait un grand honneur pour vous de rencontrer ces femmes courageuses de Corée et d'autres pays du monde entier qui risquent leur vie pour construire la paix dans le monde. C'est avec gratitude que je vous donnerais les coordonnées de dirigeantes sud-coréennes que vous devriez rencontrer lors de votre séjour en Corée du Sud.
Merci beaucoup de me donner l'occasion de témoigner.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre tout de suite l'exposé de Mme Samdup. Je vous prie d'essayer d'être assez brève, car nous n'aurons autrement plus de temps pour poser des questions.
Allez-y, Carole.
Monsieur le président, chers membres du Comité, merci de m'avoir invitée à parler de l'engagement du Canada en Asie.
Mes observations seront très ciblées, dans le sens où j'examine une région précise de l'Asie, soit le Tibet.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, le Tibet est situé dans l'Ouest de la Chine. Au sud se trouvent l'Inde, le Népal et le Bhutan. La majeure partie du Tibet est composée d'un haut plateau, dont la hauteur moyenne est de 14 000 pieds et qu'on appelle le Toit du monde.
Au début des années 1950, les forces chinoises ont amorcé un empiétement militaire sur le Tibet, qui a éventuellement mené à la prise de contrôle du gouvernement et à l'exil de Sa Sainteté le dalaï-lama. Depuis 1959, l'administration centrale tibétaine en Inde gouverne la diaspora tibétaine et préconise la non-violence et le dialogue comme principales stratégies de réconciliation avec la Chine.
Malheureusement, sous la domination chinoise, les Tibétains font face à une avalanche de violations des droits de la personne, tant sur le plan économique, social et culturel qu'en ce qui a trait à leurs droits civils et politiques. Ces violations sont bien documentées par des organismes comme Human Rights Watch et Amnistie internationale. Je ne vais pas les répéter pour vous aujourd'hui. J'aimerais plutôt attirer votre attention sur quatre questions — comme Mme Talbot avant moi, j'en ai quatre à souligner — concernant le Tibet que le Canada peut et devrait aborder selon moi auprès de la Chine.
Il faut premièrement encourager la reprise du dialogue sino-tibétain. Des émissaires du dalaï-lama ont rencontré des représentants du gouvernement de la Chine à 10 reprises entre 2002 et 2010 dans le but de résoudre le conflit par le dialogue. Depuis 2010, le dialogue est toutefois au point mort et n'a pas repris.
L'administration centrale tibétaine défend ce qu'elle appelle une approche conciliante pour construire la paix. Elle cherche ainsi à obtenir une véritable autonomie du Tibet au sein de l'État chinois conformément au cadre d'autonomie régionale du pays.
J'estime que le Canada est bien placé pour encourager la reprise du dialogue sino-tibétain au moyen de l'approche conciliante, qui ne va pas à l'encontre de ses politiques et qui, à vrai dire, correspond à bien des égards à l'expérience canadienne. En effet, les connaissances du Canada en matière d'ententes d'autonomie autochtone et provinciale servent d'exemple concret pour faire avancer ce projet.
Lorsque le dirigeant élu de l'administration tibétaine, M. Lobsang Sangay, s'est adressé l'année dernière au Sous-comité des droits internationaux de la personne, il a souligné que les Tibétains sont prêts à rencontrer leurs homologues chinois au moment et à l'endroit qui leur conviennent. J'encourage les députés présents à se demander si le Canada pourrait faciliter le processus et de quelle façon.
La deuxième question que je souhaite aborder est celle des changements climatiques. Le Tibet est parfois considéré comme le troisième pôle de la planète ou comme le réservoir d'eau du monde. Ces descriptions sont plus que des slogans de campagnes. Ils témoignent de l'importance stratégique du pays dans le cadre de l'effort mondial pour faire face aux changements climatiques. Ces qualificatifs proviennent de la topographie unique du Tibet en tant que plus haut plateau du monde, où se trouve la source des six plus grandes rivières d'Asie qui coulent vers les 10 pays les plus densément peuplés de la planète. Le Tibet abrite aussi les trois plus grandes réserves de glace au monde ainsi que la plus grande source d'eau potable accessible de la planète. Ce sont des caractéristiques communes pour les Tibétains et le peuple canadien.
La hausse des températures sur le plateau tibétain a également des répercussions en aval partout en Asie compte tenu de son influence sur les pluies de la mousson dont la région est grandement tributaire. En décembre 2017, le Canada et la Chine ont annoncé un accord de coopération en matière de changements climatiques et de protection environnementale. L'accord fournit au Canada une autre occasion pour discuter de la question tibétaine avec ses homologues chinois et pour promouvoir en même temps des mesures face aux importants défis que posent les changements climatiques au Tibet.
Le troisième thème que j'aimerais aborder est le commerce. Il est intéressant d'observer qu'au moment même où la Chine affiche des niveaux de croissance considérables, les Tibétains demeurent pauvres. En fait, selon les rapports du PNUD, le Tibet est la région la plus pauvre du pays.
Étant donné que les Tibétains vivent dans la pauvreté tout en étant marginalisés sur le plan politique, un éventuel accord de libre-échange entre le Canada et la Chine soulève beaucoup de doutes. Le Comité Canada-Tibet n'est pas pour ou contre l'accord, et nous ne percevons pas cette discussion comme un choix entre la promotion des droits de la personne ou du commerce. Nous craignons plutôt que l'augmentation des échanges commerciaux et des investissements du Canada consacre les inégalités existantes au Tibet ou nuise autrement aux droits de la personne. Nous avons demandé au gouvernement du Canada d'effectuer une évaluation des répercussions de l'accord sur les droits de la personne, qui doit être achevée tôt au cours du processus ou de préférence avant l'annonce de négociations officielles.
Le quatrième point que je souhaite aborder est l'accès diplomatique réciproque. Vous avez lu la déclaration faite par le ministre Dion en 2016 en réponse à une question inscrite au Feuilleton. Dans sa déclaration, le ministre a décrit de nombreux obstacles bureaucratiques auxquels se heurtent les diplomates canadiens qui cherchent à visiter le Tibet, même lorsque l'objet de leur visite est la surveillance de projets financés par le Canada. Lorsque des diplomates canadiens ont finalement été autorisés à s'y rendre, on a restreint leurs déplacements et surveillé étroitement leurs activités.
Pendant ce temps, le Canada a accueilli huit délégations officielles du Tibet entre 2009 et 2016 en ne restreignant aucunement leurs déplacements au pays ou les personnes qu'elles pouvaient rencontrer ici.
Aux États-Unis, le Congrès est actuellement saisi du projet de loi sur l'accès réciproque au Tibet. J'espère que le Canada prendra également des mesures pour encourager la conformité à l'égard de ce principe diplomatique de base. Le résultat — un meilleur ou pire accès au Tibet — représenterait un pas important dans nos efforts de surveillance de la situation à l'intérieur du pays.
Pour terminer, l'administration centrale tibétaine a déclaré que 2018 sera une « année de gratitude » envers les pays qui soutiennent le peuple tibétain depuis de nombreuses années. Le Comité Canada-Tibet organisera une activité au Parlement du Canada pour remercier le pays, et je vous invite tous à y participer et à rencontrer en personne des membres de la communauté tibétaine du Canada.
En attendant, je vous remercie encore de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui.
Je vous remercie beaucoup, madame Samdup, ainsi que les deux autres témoins.
Nous allons maintenant passer directement aux questions en commençant par M. Genuis, s'il vous plaît.
Merci, monsieur le président.
Je remercie sincèrement tous les témoins.
Je vais commencer par Mme Samdup, mais j'espère avoir assez de temps pour m'adresser aux autres.
Madame Samdup, je vous remercie beaucoup de votre travail, que je connais bien et que je reconnais à sa juste valeur, de toute évidence.
Je voulais vous parler un peu du problème de la persécution religieuse en Chine. Je suppose que la communauté tibétaine est grandement touchée. Je crois que le mécanisme employé à cette fin a un peu changé. À une certaine époque, on disait essentiellement qu'on ne pouvait pas pratiquer sa religion, tandis que maintenant, on tente de bafouer les croyants et de tout faire contrôler par le Parti communiste. Le régime, qui est officiellement athée, est allé jusqu'à déterminer la réincarnation du prochain dalaï-lama.
Pouvez-vous parler un peu au Comité du genre de persécution en ce sens que subit la communauté tibétaine en Chine?
Bien, merci.
Comme vous le savez, la culture tibétaine est largement associée à la pratique de sa religion, et comme vous le savez également, le gouvernement de la Chine devient très nerveux lorsqu'un groupe organisé fonctionne et prend de l'expansion, qu'il est autonome. Lorsqu'on met ces deux choses ensemble, les choses deviennent très compliquées.
Au cours des dernières années, nous avons vu la Chine redoubler d'efforts pour contrôler les activités des institutions monastiques, des institutions religieuses. À titre d'exemple, elle a maintenant un comité dans chaque institution monastique pour gérer les affaires courantes, pour déterminer qui peut y adhérer ou non, pour limiter le nombre de membres, pour regarder ce qui est enseigné et pour vérifier si de bons principes politiques sont appliqués dans les leçons et les pratiques courantes des moines et des religieuses de l'institution.
À propos de la succession du dalaï-lama, la Chine a dit que ce serait elle qui allait choisir le prochain. De toute évidence, c'est grandement préoccupant pour le peuple tibétain, qui a une méthode traditionnelle pour choisir le successeur des grands lamas, et Sa Sainteté le dalaï-lama a lui-même dit qu'il pourrait ne pas être réincarné, ou qu'il pourrait révolutionner en entier la façon de procéder. Il ne fait aucun doute qu'au cours des prochaines années, le peuple tibétain devra se prononcer sur la question du dalaï-lama, qui est si étroitement lié à la cause tibétaine, et nous allons évidemment solliciter l'appui d'autres pays pour nous assurer que c'est fait comme il se doit.
Merci.
Pendant un certain temps, on était optimiste à propos de la Chine, car on croyait qu'elle allait inévitablement changer. Je pense que l'on est maintenant beaucoup plus pessimiste alors qu'elle semble régresser en matière de droits de la personne et consolider le contrôle autoritaire dans les mains d'une seule personne.
Quand j'ai eu l'occasion de rencontrer Sa Sainteté, j'ai entre autres été étonné par son optimiste manifeste et sa persistance malgré des dizaines d'années de lutte. À propos de vos objectifs, je suis curieux de savoir si vous pensez qu'il convient d'être optimiste par rapport à la Chine, et comment le Canada pourrait nous aider à faire avancer ces dossiers, notamment en vue d'un changement politique plus profond dans la mentalité du régime face aux groupes confessionnels et aux minorités, pour ce qui est de commettre des actes agressifs envers ses voisins et ainsi de suite.
Je crois qu'il y a toujours de l'espoir. Nous devons nous en nourrir; sinon, quelle option nous reste-t-il?
Nous avons bel et bien observé beaucoup de résistance non seulement au Tibet, mais aussi en Chine, de façon plus générale. Il y a énormément de résistance, d'activisme et de gens qui font valoir leurs droits.
Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons été témoins d'un mouvement de militants LGBT qui ont lutté malgré l'interdiction de promouvoir leur cause sur les médias sociaux en Chine, et ils ont réussi. Ils ont atteint leur but, de sorte que c'est possible et qu'il y a toujours de l'espoir.
Nous constatons la même chose au Tibet, où les gens ont du mal à préserver leur culture et à parler leur langue. Ces gens se défendent. Ils font ce qu'ils peuvent. L'important, c'est de veiller à ce que d'autres pays du monde leur apportent leur soutien, s'ils le peuvent. Il ne faut pas que toute la question du Tibet appartienne au passé ou soit traitée comme un enjeu où d'autres objectifs l'emportent sur les importants principes de la cause tibétaine.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais poser ma question à Mme Ahn.
En toile de fond, je voudrais faire référence à la famine qui a frappé la Corée du Nord de 1994 à 1998, et qui a causé la mort de deux à trois millions de personnes, soit 10 à 15 % de la population. Dans ce contexte, l'infrastructure nord-coréenne est-elle particulièrement vulnérable aux grandes famines lorsque des sanctions aveugles sont imposées — le genre de sanctions que nous observons dans cette campagne de pression maximale?
Merci d'avoir mentionné cette période de famine où deux millions de personnes, comme vous le dites, ont péri en Corée du Nord. Une récente étude de l'UNICEF indique que les sanctions actuelles pourraient laisser 60 000 enfants nord-coréens dans la faim, en raison de cette campagne de pression maximale.
En ce qui concerne l'infrastructure de la Corée du Nord ou sa prédisposition aux famines, je dirais qu'en raison de la division de la péninsule coréenne, la Corée du Nord a toujours été la base industrielle tandis que la Corée du Sud était le grenier. De toute évidence, la Corée elle-même est un pays largement montagneux; je crois que 80 % de la péninsule est principalement recouverte de montagnes. Ces gens ont déjà des terres arables limitées pour leur production alimentaire et ont deux saisons de croissance. Lorsque la famine sévissait, en raison de leur situation économique, ils étaient devant une économie mondiale dans laquelle ils n'avaient pas accès à...
Merci. J'ai compris l'essentiel de ce que je voulais savoir.
Pourrions-nous être certains que le rapport de l'UNICEF soit déposé? J'aimerais le voir. Il remonte à janvier. Y a-t-il eu une mise à jour? Le rapport dit que 60 000 enfants pourraient possiblement mourir de faim. Est-ce que la famine a commencé? Il y a un point de non-retour quand les gens qui souffrent de malnutrition commencent tout à coup à mourir; il devient alors très difficile de renverser la vapeur.
Pourriez-vous nous dire brièvement si nous sommes près de ce point? Nous sommes à l'aube de la saison estivale, mais à l'hiver, quelles pourraient être à votre connaissance les conséquences si aucune solution n'est trouvée? Si vous l'ignorez, nous passerons à la question suivante.
Lors d'une réunion avec des représentants des Nations unies qui ont voyagé avec le sous-secrétaire de la République populaire démocratique de Corée, ceux-ci ont dit avoir discuté avec les organismes d'aide humanitaire des Nations unies qui sont en activité en Corée du Nord, et qui ont brossé un tableau assez désastreux de la situation.
Je suis d'accord avec vous sur le fait que les récoltes et la saison estivale s'en viennent, mais je pense toutefois que le problème revient constamment. Comme Patty Talbot l'a souligné, c'est pour cette raison qu'il faut régler officiellement le problème et éviter que les sanctions continuent d'entraver l'économie de la Corée du Nord. Il se pourrait maintenant que le pays se joigne à la communauté internationale. Je crois que nous devons trouver une solution politique.
Merci.
Là où je veux en venir, c'est que les sanctions imposées n'ont manifestement pas contribué à la dénucléarisation; le programme semble même s'accélérer. Il n'y a donc pas eu d'incidence à ce chapitre; au contraire, ce sont les gens, et surtout les plus vulnérables qui semblent être touchés. Nous savons que 60 000 enfants sont menacés. Nous savons également qu'il y a d'importants problèmes d'acheminement des produits pharmaceutiques aux plus vulnérables — les malades et les enfants. Voilà qui semble être le résultat regrettable de ce régime de sanctions à pression maximale qui frappe sans discrimination.
J'ai donc une question. Lorsque le ministre des Affaires étrangères sud-coréen a demandé une aide alimentaire — ce à quoi l'administration Trump et d'autres s'opposent farouchement —, a-t-il été appuyé largement par les Sud-Coréens qui souhaitent aider leurs frères et soeurs de la Corée du Nord?
Oui, absolument. Il y a huit Sud-Coréens sur dix qui souhaitent la réconciliation des deux Corée. Une partie de la popularité de Moon Jae-in est attribuable au mandat que le peuple coréen lui a confié.
Nous avons récemment échangé avec le Korean Sharing Movement, la plus grande organisation humanitaire dirigée par des citoyens en Corée du Sud, qui avait d'ailleurs envoyé une aide humanitaire colossale pendant les années de la « politique du grand soleil ».
Le mouvement ne veut plus se limiter à l'aide humanitaire. Il veut contribuer au développement économique du pays. Il préconise un développement écologique et des programmes environnementaux, mais il est totalement paralysé par les sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies. Espérons que le Canada puisse jouer un rôle pour contester cette campagne de pression maximale qui, comme vous l'avez dit, n'a aucunement contribué à la dénucléarisation, mais qui a plutôt fait progresser le programme de missiles nucléaires de la Corée du Nord.
Merci beaucoup, madame Ahn.
Nous allons maintenant écouter Mme Laverdière. Allez-y, s'il vous plaît.
[Français]
Je vous remercie tous et toutes de ces présentations. Je vous remercie notamment d'avoir mentionné la sécurité humaine, une expression qu'on entend malheureusement de moins en moins souvent ici.
Madame Talbot, je sais que votre Église a demandé de pouvoir rencontrer notre comité, mardi prochain, pour parler des perspectives de paix au Moyen-Orient, notamment en Israël et en Palestine. J'espère bien que le comité va pouvoir accéder à votre demande. Cela dit, vous avez mentionné que non seulement les sanctions n'avaient pas empêché l'évolution du programme nucléaire, mais qu'elles en avaient presque encouragé l'évolution.
[Traduction]
Je vous invite à nous en dire plus là-dessus.
Je vais répondre dans ma langue, si vous me le permettez.
Pour reprendre ce qui a été dit, et ce que Christine a également mentionné, je crois, les 70 dernières années nous ont appris que lorsqu'il y a des menaces d'hostilité réelles ou perçues contre la Corée du Nord, le pays accroît normalement ses mesures de sécurité nationale et la répression contre ses propres citoyens.
L'inverse est également vrai: lorsque les discours se calment, comme à l'époque où les menaces ont reculé pendant la « politique du grand soleil » et où des liens ont pu être établis, les mesures de sécurité nationale et la répression contre les citoyens sont réduites.
Je pense bel et bien que vous avez raison. La stratégie de sanctions et d'isolement n'a pas atteint l'objectif visé et n'a nullement contribué à la dénucléarisation. Au contraire, ces mesures ont isolé encore plus la Corée du Nord. Nous savons bien qu'elles ont porté préjudice aux plus vulnérables, et je doute que cela nous rapproche de l'objectif de paix dans la péninsule.
Il va sans dire que des sanctions sans le moindre incitatif n'arrangent rien. En janvier dernier, la pression maximale était uniquement répressive; les dirigeants nord-coréens n'avaient absolument rien à quoi s'accrocher. Comme Christine le disait, la Corée du Sud est très favorable au dialogue entre les deux Corées, à l'engagement, à la coopération et au développement d'une entente mutuelle et respectueuse. Pourtant, comme c'est le cas dans la plupart de nos relations, qu'elles soient familiales, communautaires ou autres, s'il n'y a que des sanctions sans dialogue ni négociation, il est très difficile d'amener les gens à collaborer.
[Français]
Merci beaucoup.
Mesdames Talbot et Ahn, vous avez parlé avec beaucoup d'estime des efforts du président Moon et notamment du plan de paix qu'il a proposé.
Madame Ahn, je me demandais si vous pouviez nous donner un peu plus de détails sur son plan et sur ce qu'il a à proposer.
[Traduction]
Eh bien, les choses sont en train de se régler, et il y a eu des nouvelles aujourd'hui. Il y a de toute évidence un certain nombre de problèmes complexes. Pour l'instant, la Corée du Sud souhaite vraiment jouer un rôle central dans l'amélioration des relations directes avec la Corée du Nord, tout en reconnaissant...
Moon Jae-in était le chef de cabinet de Roh Moo-hyun, qui a été en 2007 le dernier président à la tête de la « politique du grand soleil » et des années de réconciliation et d'engagement entre les deux Corées. Il sait très bien que la paix intercoréenne ne progressera pas tant que perdurera le conflit avec les États-Unis.
Je crois donc que nous assisterons probablement à un ensemble de politiques, y compris des échanges culturels et au sein de la société civile, comme nous l'avons vu récemment avec les artistes et comédiens qui passaient de la Corée du Sud à la Corée du Nord; une politique de réunion des familles, comme dans les années de la « politique du grand soleil »; et une sorte de zone économique commune, semblable à celle du complexe industriel de Kaesong.
Cependant, 2018 n'a rien à voir avec 2007 — ou même avec l'an 2000, époque où le dernier accord historique sur le Nord et le Sud a été conclu entre Kim Dae-jung et Kim Jong-il. Nous nous trouvons dans une situation où les États-Unis ont mené une campagne de pression maximale. Nous sommes frappés de nouvelles sanctions du Conseil de sécurité qui nuisent même aux activités d'aide humanitaire en Corée du Nord.
C'est pour cette raison que Patty Talbot et moi-même exhortons le Canada — et vous, lorsque vous rencontrerez des responsables sud-coréens et la société civile — à favoriser le processus de paix entre les deux Corées, en leur offrant le soutien dont ils ont besoin actuellement de la part de la communauté internationale et d'alliés de longue date comme le Canada.
Merci beaucoup.
Madame Ahn, je m'intéresse grandement à la conférence que vous avez mentionnée. J'espère que la greffière trouvera une façon de répondre à votre généreuse invitation. Merci beaucoup.
J'étais également fort impressionnée lorsque j'ai rencontré certaines femmes du programme Cross DMZ il y a quelques mois, alors qu'elles étaient ici à Ottawa. Merci de participer à la séance d'aujourd'hui.
Je veux approfondir un peu la question des femmes, de la paix et de la sécurité. Mesdames Talbot et Ahn, vous avez toutes les deux dit que c'est un élément clé auquel le Canada peut contribuer. À la lumière de notre plan d'action et de la résolution 1325 du Conseil de sécurité, nous avons maintenant la preuve très solide, bien sûr, que les accords de paix durent plus longtemps et sont plus viables lorsque les femmes y participent.
Madame Ahn, vous aviez tout à fait raison de dire que ce sont les femmes, et bien les femmes coréennes elles-mêmes qui doivent participer à ce processus.
Madame Ahn, permettez-moi d'approfondir un peu ce que vous avez dit au sujet des mécanismes régionaux relatifs aux cadres, à savoir que c'est un domaine dans lequel le Canada pourrait contribuer particulièrement au processus de paix et au soutien des femmes. À quoi ces mécanismes ressemblent-ils exactement? Pourriez-vous nous en parler un peu?
C'est une voie qui n'est pas encore tracée, mais nous savons que les femmes nord-coréennes et sud-coréennes ont franchi quelques étapes du dialogue. Dans les années 1990, elles ont été réunies pour la première fois par nul autre qu'un parlementaire japonais. Elles ont engagé une série de dialogues à Tokyo, à Pyongyang et à Séoul entre 1991 et 1994.
Par la suite, lorsque les relations entre les deux Corées se sont détériorées, ces échanges ont été considérablement limités, évidemment. Mais pendant les années de la « politique du grand soleil », je pense que nous avons vu jusqu'à 500 000 Nord et Sud-Coréens traverser la zone démilitarisée pour se rencontrer. Après cette intense période d'échanges, nous assistons en quelque sorte à un retour de la ligne dure depuis 10 ans.
J'étais en Corée du Sud la semaine dernière, où j'ai rencontré les pionnières du mouvement pacifiste des femmes sud-coréennes, qui ont vraiment risqué leur vie pour nouer le dialogue avec les femmes de la Corée du Nord — on les traitait de communistes et de toutes sortes de noms... Elles sont essentiellement en train de dépoussiérer les étagères. Elles ont dû interrompre leurs échanges pendant la dernière décennie. Vous le sentirez lorsque vous serez là-bas: je crois que c'est une période extraordinairement bourdonnante et excitante pour la Corée du Sud.
Je trouve que la Corée du Sud est la démocratie la plus excitante au monde, probablement. Pour que cette effervescence soit partagée avec le peuple de la Corée du Nord, et que le chef nord-coréen Kim Jong-un se rende dans le Sud afin de constater toutes ces transformations... C'est tout un moment.
Ce que j'ai dit à la fin de mon exposé, c'est qu'un processus de paix est en cours. J'espère qu'il se poursuivra, mais le temps est venu pour nous d'intervenir. Si vous voyez des images de la rencontre entre les dirigeants nord et sud-coréens, vous constaterez que ce sont tous des hommes. Même si la Corée du Sud compte une femme ministre des Affaires étrangères, Kang Kyung-wha, seuls des hommes sont présents.
Où sont les femmes? C'est un processus remarquable. Nous nous réjouissons du premier volet, mais où sont les groupes pacifiques de femmes qui peuvent garantir une paix durable?
Je demande à ce que le Canada, qui possède une incroyable politique étrangère féministe, et qui a beaucoup investi pour l'appliquer, soutienne la formation d'une table ronde pluriannuelle de femmes de l'Asie du Nord-Est qui se réuniront pour discuter du contenu d'un accord de paix favorisant la sécurité des femmes.
Nous ne sommes pas en mesure de le faire. Mais nous vivons actuellement tout un moment, grâce à l'ouverture et au fait que deux femmes nord-coréennes assisteront à une réunion des Nations unies en Chine qui aura lieu en même temps que notre réunion en Corée du Sud, et au fait que le ministère de l'Unification de la Corée du Sud a dit que nous avons une chance sur deux que des femmes nord-coréennes se joignent à nous pour un symposium international.
J'espère que vous pourrez être présents en Corée du Sud lorsque nous nous réunirons tous, afin de ressentir la transformation en cours et d'en être témoins.
Pour compléter les propos de Christine, je pense que le Canada est l'endroit idéal pour organiser une table ronde de femmes. Nous ne savons pas s'il y en aura une un jour. Les Nord-Coréens et les Sud-Coréens ne peuvent pas se rencontrer en Corée. Quand j'ai rencontré des Nord-Coréens, ce n'était évidemment jamais dans leur patrie. C'était en Chine, au Canada et en Europe.
Grâce à cette nouvelle vague de dégel et d'ouverture, nous espérons que les Sud-Coréens pourront aller dans le Nord et inversement. Mais je pense que le Canada est l'endroit idéal pour offrir une tribune et un espace aux femmes qui souhaitent rencontrer des femmes de cette région. Nous sommes confiants. Je pense que nos relations avec la Corée du Nord nous ont laissé un héritage. Il y a peu d'endroits qui bénéficient du même genre de réputation, et je pense que nous pouvons en tirer parti de façon constructive et très positive.
À ce propos, madame Talbot, vous avez parlé du rôle du Canada et de notre engagement. Dans le cadre de la politique d'engagement contrôlé du Canada, je sais qu'il y a actuellement des domaines limités dans lesquels le Canada peut s'engager. Vous avez parlé de permettre à notre ambassadeur de dialoguer davantage.
Comme je l'ai dit, lorsque le Canada a établi des relations diplomatiques en 2001, nous avions des représentants, mais c'était seulement par l'entremise de l'ambassadeur situé à Séoul. Nous avons eu deux diplomates fort compétents, à savoir Marius Grinius et Ted Lipman. Ils étaient ambassadeurs là-bas. Je pense que Ted Lipman a fait plus de voyages entre le Nord et le Sud que tout autre diplomate. On lui faisait confiance, il était apprécié, et il gardait la communication ouverte. Je pense que l'ambassadeur actuel pourrait certainement faire de même.
Nous n'avons jamais rompu les relations diplomatiques avec la Corée du Nord, et je trouve essentiel que ces canaux demeurent ouverts.
Merci beaucoup.
Chers collègues, nous allons maintenant conclure. Je tiens à remercier nos trois témoins. Comme d'habitude, la séance est trop courte pour le sujet que nous essayons d'aborder. Mais je pense que l'information nous sera des plus utile, tandis que nous envisageons le genre de conversations à avoir pour formuler les recommandations de notre rapport. Au nom du Comité, merci beaucoup.
Chers collègues, nous allons suspendre la séance quelques minutes, après quoi nous recevrons nos trois prochains témoins.
Chers collègues, reprenons. Nous sommes en présence de trois témoins: James Manicom, Jeremy Paltiel et David Welch.
Nous allons commencer dans l'ordre inverse des témoins précédents.
David, vous allez commencer par vos remarques liminaires, après quoi nous écouterons M. Paltiel et M. Manicom.
Je vais tout de suite vous céder la parole, monsieur Welch. Allez-y.
Merci. Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous.
J'aimerais parler de l'engagement du Canada dans la région Asie-Pacifique, plus particulièrement sur le plan des questions de sécurité.
Le Canada est actif à l'égard des questions de sécurité dans cette région depuis longtemps. Il a participé à la Seconde Guerre mondiale, à la guerre de Corée, ainsi qu'à la Commission internationale de contrôle et de surveillance durant la guerre du Vietnam. Le Canada était [Difficultés techniques] en 1990; il a coorganisé les dialogues sur la mer de Chine méridionale dans les années 1990; et il est un membre fondateur du Conseil de coopération pour la sécurité dans l'Asie-Pacifique, en 1992.
Cependant, au cours des dernières années, le Canada s'est beaucoup désengagé des dossiers de sécurité dans la région, ce qui a commencé surtout au début des années 2000. Il s'est retiré de pratiquement toutes les tables auxquelles il participait de manière très fructueuse auparavant. Par exemple, il n'est plus membre du Conseil de coopération pour la sécurité dans l'Asie-Pacifique, et c'est arrivé à deux reprises. À ce moment-ci, notre pays est le seul qui n'est pas membre en règle.
Les causes de ce désengagement sont complexes, mais à mon avis, il y a deux principaux facteurs.
Il y a tout d'abord le fait que les gouvernements canadiens récents ne se sont concentrés que sur une vision sur le plan des perspectives économiques, ce qui a commencé avec la mission d'Équipe Canada en Chine sous le gouvernement Chrétien, en novembre 2001 et a été incarné par la mission commerciale du premier ministre Harper en Chine et au Japon en 2013. En outre, il y a eu des limitations importantes sur le plan des ressources particulièrement pour la participation des Forces armées canadiennes à des patrouilles de routine dans le Pacifique occidental.
Un volet important de la plateforme électorale du premier ministre Trudeau, c'était le réengagement, bien illustré par la phrase « le Canada est de retour. » Cette phrase a été accueillie avec beaucoup d'enthousiasme dans la région. Cependant, la performance du Canada suscite beaucoup de déception jusqu'à maintenant. À ce jour, il n'a toujours pas de stratégie pour la région Asie-Pacifique. En 2014, le ministère des Affaires étrangères — qui est devenu Affaires mondiales Canada — a tenté d'élaborer une stratégie pour la région, mais ces efforts ont été rejetés par le Cabinet du premier ministre en 2014.
Le Canada s'est maintes fois montré favorable à se joindre au Sommet de l'Asie orientale et à la réunion élargie des ministres de la Défense de l'ANASE, sans proposer quoi que ce soit. Bien que la nomination d'un ambassadeur canadien à l'ANASE en 2017 a été très bien accueillie dans la région — tout comme, soit dit en passant, le déploiement récent du NCSM Chicoutimi pour aider à faire respecter les sanctions économiques s'appliquant à la Corée du Nord —, un grand scepticisme règne dans la région quant au sérieux que le Canada accorde à son réengagement sur les questions de sécurité et à sa capacité de penser à long terme.
C'est une perte pour le Canada et pour la région. La région Asie-Pacifique est unique sur le plan culturel, et ce, de façons importantes. L'une des caractéristiques culturelles principales de la diplomatie dans la région, c'est qu'on ne peut pas s'engager complètement à une table sans s'engager à toutes les tables. Le Canada ne peut se permettre de ne chercher que des possibilités économiques sans examiner d'autres questions qui préoccupent la région. L'Asie-Pacifique n'est pas un lieu d'opérations; c'est un endroit où la diplomatie, la politique requièrent un engagement soutenu sur le plan des relations. En ne s'engageant pas plus fermement sur les questions de sécurité, le Canada laisse passer des possibilités sur le plan économique et sur d'autres plans.
Le Canada sera perdant s'il ne s'engage pas, et la région sera perdante si le Canada ne se réengage pas, car à maintes reprises, le Canada a montré sa valeur dans la région, en tant que bon collaborateur favorisant le dialogue et un climat de confiance. Tout récemment, par exemple, la participation du Canada au Conseil de coopération pour la sécurité dans l'Asie-Pacifique a été essentielle pour éviter une seconde crise dans la zone d'identification de défense aérienne, cette fois-ci, dans le Pacifique Sud.
Quelles mesures s'imposent? Tout d'abord, le Canada doit élaborer une stratégie pour la région Asie-Pacifique. Ensuite, il lui faut un engagement à long terme sur le plan du personnel et des ressources. Enfin, il doit miser sur sa grande expertise et son expérience considérable, particulièrement sur le plan de la diplomatie officieuse.
Merci beaucoup.
Tout d'abord, je tiens à remercier le Comité des affaires étrangères et du développement international de me donner l'occasion de m'adresser à lui. J'étudie les questions chinoises et asiatiques depuis 48 ans. Il y a 44 ans, j'ai fait partie du deuxième groupe d'étudiants à se rendre en Chine dans le cadre du Programme d'échanges académiques Canada-Chine, ce qui veut dire que j'ai été parmi les premiers à bénéficier des relations bilatérales entre nos deux pays.
Que le premier ministre se soit rendu trois fois en Asie depuis six mois montre à quel point la diplomatie canadienne est dépassée par ce qui se passe dans cette partie-là du monde. Au moment où le gouvernement des États-Unis menace de bouleverser l'ordre commercial multilatéral mondial, la principale économie mondiale et le plus gros exportateur, et la deuxième économie du monde, sont présentement en guerre commerciale. La diplomatie canadienne en Asie, elle, demeure fortement sur la touche. Le Canada ne dispose d'aucune stratégie cohérente, d'aucun plan digne de ce nom. Le problème n'a toutefois rien de nouveau et il n'est pas propre au gouvernement actuellement en place. Celui qui l'a précédé était tout aussi coupable.
À environ 35 % de l'économie mondiale, l'Asie arrive en tête du peloton mondial, avec la Chine au premier plan. De nos jours, l'Amérique du Nord représente environ 27 % de l'économie mondiale, et l’Europe arrive au troisième rang, avec environ 22 %. Non seulement l'Asie représente la plus grosse part de l'économie mondiale, mais son poids augmente plus rapidement que celui des autres parties du monde. En somme, si le Canada se contente de seulement conserver sa part du commerce nord-américain grâce à l'ALENA, il sera condamné à voir son poids mondial continuer à diminuer inexorablement. Comme si ce n'était pas suffisant, à cause de l’attitude protectionniste de l'actuel gouvernement américain, le Canada se retrouvera sans allié pour l’aider à préserver l'ordre commercial multilatéral mondial.
Lorsqu'elle s'est adressée à la Chambre des communes, le 6 juin dernier, pour exposer la politique étrangère du pays, la ministre des Affaires étrangères a pour ainsi dire exclu l'Asie de ses priorités diplomatiques et ne lui a attribué à peu près aucun rôle relativement au maintien de notre statut traditionnel de moyenne puissance diplomatique. À l'origine, la participation du Canada au Partenariat transpacifique était de nature défensive, en ce qu'elle visait à préserver les avantages de l'ALENA dans l'éventualité où les États-Unis auraient cherché plus agressivement à renforcer son intégration dans la zone Asie-Pacifique. C'est d'ailleurs tout à l'honneur du gouvernement actuel et de celui qui l'a précédé d'avoir persévéré une fois les États-Unis partis. Cela dit, notre performance à Da Nang, où nous avons paru hésiter à la toute dernière minute, a miné la confiance de nos principaux partenaires de l’Asie-Pacifique, et plus particulièrement du Japon et de l'Australie. Nous pourrions même ne plus jamais être invités au Sommet de I'Asie orientale. Je me réjouis que le Canada ait signé l'Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste en janvier, mais il ne s'agit encore que d'un pas.
La place de la Chine dans nos relations économiques et politiques a beau être controversée, elle est néanmoins indiscutable. La Chine est la deuxième économie et le plus gros exportateur du monde. Depuis le début du siècle, elle est à l'origine à elle seule de plus de 30 % de la croissance mondiale. L'an dernier, c'était 34 %. Elle est aussi la deuxième partenaire commerciale en importance du Canada, même si notre bilan à ce chapitre ne cesse de décliner.
Le déficit que nous accusons avec la Chine est plus important que nos exportations. Pour chaque dollar que nous exportons, nous en importons plus de trois. La Chine est un marché complexe, personne ne dira le contraire, une réalité exacerbée par les ambitions et les orientations politiques du régime au pouvoir. Cela dit, la négociation d'un traité de libre-échange, qui est à l'ordre du jour depuis que nous avons réalisé une étude de complémentarité au début des années 2010, constitue sans doute notre meilleur espoir d'aplanir les difficultés qui nous divisent. En fait, le processus pourrait bien être plus important que le résultat lui-même. En effet, le processus de négociation est le seul contexte où nous pouvons faire valoir nos intérêts. Pour ce faire, nous devons énoncer clairement nos intérêts économiques et les présenter de façon claire et sans équivoque.
Si nous souhaitons une réciprocité accrue — ce que nous entendons souvent au sujet de la Chine — dans l'ouverture des marchés, des obstacles non tarifaires et toute une gamme de gains dans le secteur des marchés publics et des services gouvernementaux, c'est dans ce contexte qu'il faut le dire, au cours des négociations sur le libre-échange. Il ne faudrait surtout pas signer un accord qui ne serait pas assorti d'un processus rigoureux de règlement des différends.
J'ajouterais qu'il ne pourrait y avoir de meilleur moment que maintenant pour lancer les négociations. Pareille occasion pourrait ne jamais se représenter. À titre de plus gros exportateur du monde, la Chine a tout intérêt à libéraliser ses échanges commerciaux. C'est sa prospérité à venir qui en dépend.
Déjà, dans le discours qu'il a prononcé à Davos, en janvier 2017, le président Xi Jinping a dit vouloir que la Chine devienne la plaque tournante de l'ordre commercial multilatéral mondial. La semaine dernière, dans le discours qu'il a prononcé au Forum de Boao, un genre de Davos pour l'Asie, il a réitéré sa volonté d'ouvrir des marchés.
Beaucoup demeurent toutefois sceptiques, et avec raison. Dans le but d'avantager les sociétés chinoises, la Chine s'est lancée dans une foule de politiques mercantilistes sur son marché intérieur. Quoi qu'il en soit, avec la perspective d'une guerre commerciale contre les États-Unis, c'est maintenant que la Chine doit prouver son attachement à un ordre commercial multilatéral ouvert, et le meilleur moyen à sa disposition demeure de conclure un premier accord de libre-échange avec un pays du G7: le Canada.
Les négociations seront ardues, et le Canada ne doit surtout pas signer tout ce que la Chine lui offrira. Nous avons toutefois beaucoup à gagner, et les Chinois tiennent absolument à prouver leur bonne foi au reste du monde, alors que le bureau du représentant des États-Unis au commerce ne cesse de répéter que c'était une erreur dès le départ que d'admettre la Chine à l'OMC.
À part le commerce et les investissements, de nombreuses autres questions nous divisent. Dans le domaine des droits de la personne et de la primauté du droit, les différences sont énormes. C'est vrai aussi pour de nombreux aspects de la gouvernance. Les négociations commerciales ne régleront pas tout; alors pour espérer combler les écarts, nous devrions envisager la mise en oeuvre de mécanismes parallèles. J'ai proposé de mettre sur pied un comité mixte qui serait composé de juges et d'universitaires à la retraite et qui aurait pour mandat de se pencher sur les questions controversées et de conseiller les autorités sur la marche à suivre. Puisque la Chine maintient qu'elle est un État de droit, les gens qui la gouvernent devraient être ouverts à dialoguer de manière honnête et objective sur des questions de principe.
De notre côté, nous devons mettre de l'ordre dans nos affaires. Je n'apprendrai rien à personne en disant que les exportations de gaz et de pétrole pourraient contribuer à réduire substantiellement notre déficit, mais encore devons-nous avoir les moyens d'acheminer ces ressources énergétiques jusqu'aux côtes, ce que le gouvernement fédéral a le pouvoir constitutionnel de faire. Qui plus est, nous devrions lier explicitement nos exportations de gaz et de pétrole à la réduction de la dépendance chinoise au charbon, ce qui aurait un effet favorable sur l'équilibre carbonique.
Nous devrions également envisager conjointement de consacrer une portion donnée des profits tirés des exportations de combustibles fossiles à la mise au point de technologies vertes. Il est possible d'être un exportateur d'énergie environnementalement responsable dans un contexte de transition énergétique, et les Chinois, qui disposent des meilleures technologies en la matière, sont les mieux placés pour devenir nos partenaires dans cette aventure.
Quoi qu'il en soit, nous ne devrions nous faire aucune illusion quant à la nature du gouvernement chinois. Sur un vaste éventail de questions, ses valeurs sont loin des nôtres. Cela dit, personne ne peut mettre en doute l'attachement sincère et ferme de la Chine envers la stabilité mondiale et les institutions multilatérales s'inspirant du modèle onusien. Même les représailles annoncées en réponse aux droits de douane imposés par les États-Unis respectaient scrupuleusement les règles de l'OMC, et les autorités chinoises ont réitéré leur adhésion au libre-échange multilatéral.
Cela peut constituer un bon point de départ et nous devons par ailleurs distinguer la diplomatie chinoise des actions des Russes, qui font fi des normes internationales et menacent l'ordre mondial. La Chine est un concurrent international, dans tous les sens du terme. Il ne faudrait pas oublier pour autant que les Chinois sont des joueurs sophistiqués qui sont prêts à s'engager de manière proactive pour bien gérer la concurrence et éviter les affrontements. Qui plus est, la Chine tient beaucoup à son image sur la scène internationale. Comme le Canada a bonne réputation dans le reste du monde, il devrait s'en servir à son avantage.
En même temps, nous ne pouvons pas consacrer nos énergies uniquement à la Chine. Nous avons conclu un partenariat stratégique avec la République de Corée et nous sommes liés par contrat à nos cousins du Commonwealth que sont l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces trois pays ont des traités de libre-échange avec la Chine et, comme nous, ils sont les alliés des États-Unis. Nous devrions mettre en commun l’information à notre disposition et coordonner de manière serrée le dialogue avec la Chine.
Qui plus est, le Canada, l'Australie et la Corée du Sud sont de taille et de poids politique comparables. Les autorités sud-coréennes ont dit et redit qu'elles souhaitaient renforcer leurs relations avec le Canada par le dialogue stratégique. Nous devrions donc envisager de resserrer nos liens bilatéraux et de trouver de nouveaux moyens de favoriser les échanges multilatéraux, par exemple en nous joignant au partenariat entre le Mexique, l'Indonésie, la Corée du Sud, la Turquie et l'Australie, les puissances moyennes du G20.
Le Japon et l'Inde sont aussi des partenaires de choix. Même si nous devrions éviter de nous retrouver mêlés aux différends historiques complexes entre la Chine et le Japon, nous avons beaucoup de choses à partager et à apprendre. Le Japon figure déjà parmi nos principaux partenaires commerciaux, il a maintenant lui aussi signé l'Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste et il est l'allié des États-Unis et un de nos partenaires du G7. L'Inde, quant à elle, fait partie, comme nous, du Commonwealth, son économie est en croissance et elle est la terre d'origine d'une diaspora dynamique vivant au Canada.
Nous nous sommes toutefois brouillés avec l'Inde de manière tout à fait embarrassante. Je vous donne un exemple. Précisément au moment où notre premier ministre était en Inde, le Japon, l'Inde, les États-Unis et l'Australie annonçaient leur réponse quadrilatérale à l'initiative de la ceinture et de la route de la Chine. Non seulement le Canada n'était pas présent, il n'a même pas été consulté.
Nous devons compter sur l'Inde non pas seulement pour obtenir le vote des membres de la diaspora, mais pour renforcer notre diplomatie commerciale et mondiale. Nous devrions traiter la diplomatie indienne avec respect et trouver des façons de coordonner nos politiques au moyen de groupes de travail, au lieu de miser indéfiniment sur un alignement incertain des étoiles lorsque tel ou tel ministre ou encore le premier ministre se rendent sur place.
Nous devons adopter une approche globale en ce qui concerne la diplomatie avec l’Asie en entretenant le dialogue non seulement avec les pays dont je viens de parler, mais aussi avec les pays membres de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est, qui constitue le plus important regroupement multilatéral d'Asie. Nous devrions collaborer avec tous ces pays pour renforcer l'ordre commercial multilatéral et pour avoir l'oeil sur la Chine pour qu'elle continue de suivre les normes internationales.
Je ne suis pas en train de dire que les différents gouvernements au pouvoir au Canada ont fait fi des débouchés qu'offre l'Asie et qu'ils n'ont pas consacré de ressources au dialogue transpacifique. Ce serait mentir. J'applaudis également les ressources additionnelles qui ont été annoncées dans le plus récent budget fédéral. Or, nos efforts ont été désordonnés, sporadiques et inconstants. Il est temps que cela change.
L'Australie a produit un livre blanc intitulé Australia in the Asian Century. Nous avons besoin d'un document stratégique semblable pour guider les représentants des autorités de manière impartiale et pour coordonner les politiques publiques afin que nos efforts diplomatiques soient couronnés de succès et génèrent des retombées dans l'intérêt de tous les Canadiens.
Merci de m'avoir écouté. Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.
Merci beaucoup, monsieur Paltiel.
C'est maintenant au tour de M. Manicom.
Mais tout d'abord, chers collègues, je dois vous dire que ces messieurs ont des CV bien remplis. Je n'ai pas profité de l'occasion pour les lire — il m'aurait fallu 10 minutes de plus —, mais je vous recommande fortement d'y jeter un oeil.
La parole est à vous, monsieur Manicom.
Merci, monsieur le président. Merci à tous de m'accueillir. C'est manifestement un enjeu d'une grande importance.
Je vais limiter mes propos à un aperçu de haut niveau du contexte de sécurité de la région. Si j'omets quelque chose, nous pourrons en parler pendant la période des questions, car c'est une très vaste région. Mon but est de donner le contexte de la région.
D'après moi, le contexte de sécurité de l'Asie-Pacifique est axé sur trois choses: la Chine, les États-Unis et tout le reste. Je vais parler de chacun de ces éléments.
Concernant la Chine, mes amis et collègues me demandent souvent ce que la Chine veut. Il est peut-être téméraire de chercher à répondre à cette question ici, mais je vais quand même essayer.
La Chine est en fait composée de deux entités distinctes à son niveau le plus élevé. Il y a 1,4 milliard de personnes qui y vivent et qui se lèvent chaque jour pour vaquer à leurs occupations, et il y a 90 millions de membres du Parti communiste chinois. Les gens du premier groupe, le 1,4 milliard de personnes, veulent en fait ce que tout le reste du monde veut, soit la chance d'améliorer leur sort. Les avantages diffèrent selon les types de personnes. Les Chinois Han, des régions urbaines, sont nettement plus avantagés que les ruraux ne descendant pas des Chinois Han. Cependant, au bout du compte, ces gens veulent tous la même chose.
Les gens du Parti communiste chinois se lèvent le matin en pensant à la façon dont ils vont réussir à rester au pouvoir. C'est leur seul objectif, jour après jour, et cela ne changera pas.
Le contrat social en Chine demande essentiellement aux citoyens d'accepter l'intrusion de l'État dans certains aspects de leur vie en échange de la liberté de chercher à atteindre la prospérité économique. Il y a là, manifestement, une tension peut-être irréconciliable. Avec l'ouverture de la Chine sur le monde, les forces qui font peut-être croître la liberté individuelle ont fait leur entrée au pays et ont repoussé l'État de diverses façons très évidentes. Quand cela se produit, l'État réagit très fortement.
En conséquence, la Chine est de plus en plus un État de surveillance, tant en ligne, où la censure est la norme, que dans le vrai monde, avec des caméras de surveillance installées à presque chaque intersection, dans certaines villes. Les gens qui expriment librement leurs opinions en ligne sont souvent sévèrement réprimandés, et dans certains cas, le lendemain, on les voit à la télévision, aux heures de grande écoute, en train de faire un mea culpa, ce qui a pour effet de renforcer le message de l'État.
Le contrat social chinois s'est en fait révélé comme étant très durable, mais on prétend qu'il est menacé. Pour bien des observateurs, l'économie chinoise a besoin d'être rééquilibrée. Elle croît en ce moment en raison des investissements, et elle a besoin de passer de l'investissement à la consommation. Pour que cela se produise, il faut que l'État laisse la monnaie s'apprécier, ce qui va nécessairement causer des perturbations pour le travailleur chinois moyen. Cela va causer l'érosion de la confiance que le contrat social chinois inspire au peuple. Je crois que c'est pour cela que vous voyez Xi Jinping faire tant d'efforts pour asseoir son leadership sur le pays pour un avenir prévisible en éliminant les limites liées à la durée du mandat présidentiel.
Tout cela pour simplement dire une chose à propos de la politique étrangère et des relations étrangères de la Chine: la politique étrangère de la Chine est le prolongement direct du désir du Parti communiste chinois de demeurer au pouvoir. Toutes ses décisions en matière de politique étrangère doivent être conformes à cet objectif. À cet égard, et sur le plan de la politique étrangère, il faut que cette politique étrangère chinoise soit conforme aux mythes qu'on fait avaler au peuple chinois dès la naissance. Ces mythes sont, entre autres, que Taïwan a déjà fait partie de la Chine, que la mer de Chine méridionale a déjà fait partie de la Chine, et que le Tibet ou la province du Xinjiang ont déjà fait partie de la Chine. Tout cela est faux, mais les Chinois insistent pour dire que c'est le cas. La politique étrangère chinoise doit donc faire comme si c'était vrai.
Du côté des États-Unis, je dirais que nous voyons en fait moins de changement dans la politique étrangère des États-Unis pour la région que ce qui se passe dans d'autres régions du monde. La politique étrangère du président Trump est à certains égards le reflet d'une tension de longue date, en matière de politique étrangère américaine, entre les tendances internationalistes et les tendances isolationnistes: le côté internationaliste cherche à exercer un leadership mondial, alors que le côté isolationniste n'aime pas cela quand les conséquences sont trop importantes à soutenir. À n'en pas douter, la tendance au repli des isolationnistes a gagné en popularité, aux États-Unis, depuis l'expérience des guerres en Irak et en Afghanistan.
Cependant, on ne peut pas se tromper: les États-Unis sont une puissance de l'Asie-Pacifique, et leur puissance militaire assure en grande partie la sécurité de la région. Les forces américaines sont basées en Corée du Sud, au Japon et sur l'île de Guam, et il y a une base navale à Hawaï. Tout cela contribue à toutes sortes de mesures de sécurité en Asie orientale, des opérations de secours en cas de catastrophe aux mesures à prendre concernant les armes nucléaires de la Corée du Nord si ce pays s'effondre. C'est à cela qu'ils pensent constamment.
La présence des États-Unis dans la région est, en réalité, bien tolérée ou du moins acceptée. La plupart des débats de la région portent sur la question de savoir dans quelle mesure la Chine devrait être proche des États-Unis, et non sur la question de savoir si les États-Unis devraient être présents en Chine et sur le rôle qu'ils devraient jouer. En fait, ce n'est que depuis peu que la Chine s'est mise à rejeter ouvertement la présence des États-Unis, et ce, principalement autour des îles de la mer de Chine méridionale, parce que la Chine estime manifestement que ces îles lui appartiennent et qu'elles n'appartiennent pas aux États-Unis qui, de leur côté, préfèrent pouvoir y naviguer librement.
Le rejet par la Chine de la présence américaine se limitait à des interceptions plutôt directes d'actifs militaires américains, mais cela s'est transformé récemment en activités de récupération dans la mer de Chine méridionale; en gros, on utilise des rochers de la mer de Chine méridionale comme de petites bases militaires. Il y a des pistes. Il y aurait apparemment des batteries antimissiles dans certains cas. Il y a aussi de l'équipement de guerre électronique. L'objectif général est de faire de la mer de Chine méridionale un lieu où il est très dangereux de naviguer pour les forces navales des États-Unis.
L'administration Trump, à cet égard, a maintenu l'un des aspects les plus célébrés de la politique étrangère de l'administration Obama en Asie, et c'est le programme de liberté de navigation. Dans le cadre de ce programme, les forces navales américaines et le Département d'État collaborent afin de faire des démarches soulignant ce que les États-Unis estiment être des revendications maritimes excessives; les forces navales se rendent sur place et y effectuent une opération afin de faire la démonstration de ce que les États-Unis jugent approprié comme conduite dans ce secteur. La Chine, dans ce cas, prétend qu'un certain nombre de rochers de la mer de Chine méridionale sont en fait des îles, et que s'il s'agit d'îles, elle a droit à un espace maritime plus étendu. Cet argument a été rejeté à juste titre par la Cour permanente d'arbitrage en 2016.
Par conséquent, les forces navales américaines circulent à l'intérieur de 12 milles nautiques de ces rochers afin de dire essentiellement à la Chine: « Non, cette île est en fait un rocher, et nous pouvons passer à 50 pieds ou 500 mètres du rocher. » Non seulement ces missions se sont poursuivies avec Trump, mais elles sont en fait devenues plus fréquentes.
Néanmoins, l'administration Trump a fait campagne en promettant une politique étrangère axée sur la réduction des activités. Vous le constatez dans l'attitude relative à ce que nous appelions le PTP, le Partenariat transpacifique. Cette attitude se fondait probablement sur le scepticisme suscité par les accords commerciaux en général, mais cela a quand même remis en cause l'engagement des États-Unis concernant l'Asie.
Le commerce et la sécurité sont indissociables partout dans le monde, et particulièrement en Asie. S'il y a plus de l'un, il y a aussi plus de l'autre, et c'est aussi vrai pour les États-Unis et la Chine, qui formulent tous les deux des visions concurrentes de l'architecture du commerce dans la région. Le temps nous dira la mesure dans laquelle l'administration Trump est résolue à reprendre les discussions sur le PTP, mais la région surveille cela avec intérêt, et nous devrions faire de même.
Cela m'amène au troisième élément, soit le reste du monde. Le « reste du monde » englobe l'Australie et le Japon, des alliés des États-Unis dans les faits et sur le plan des valeurs également, à certains égards; la Corée du Sud et l'Inde, qui cherchent à s'allier aux États-Unis pour d'autres raisons un peu plus intéressées, dans la plupart des cas; puis les pays de l'Asie du Sud-Est, qui sont assez nombreux. En Asie du Sud-Est, chaque pays se place le long d'un spectre d'engagement envers les États-Unis ou envers la Chine: il y a le Cambodge à une extrémité, et peut-être Singapour à l'autre extrémité d'une sorte de spectre allant des pro-Chine aux anti-Chine.
Singapour gère très bien ses relations. Elle participe aux deux discussions commerciales qui se déroulent dans la région: le PTP — l'initiative axée sur les États-Unis ou plutôt, maintenant, sur la Nouvelle-Zélande —, ainsi que le Partenariat économique intégral régional, qu'on voyait comme étant mené par la Chine, mais qui englobe en fait les pays de l'Asie du Sud-Est, le Japon et la Corée du Sud. Singapour entretient de la même façon une excellente relation de défense avec les États-Unis et elle réussit aussi bien qu'elle le peut à se tenir loin des conflits maritimes de la région.
L'Australie a également toujours essayé de gérer sa relation économique avec la Chine et sa relation de sécurité avec les États-Unis. Cette relation s'est refroidie récemment parce que des navires de la marine chinoise se sont retrouvés un peu trop près de l'Australie, et que l'Australie est en plus préoccupée par l'influence de la Chine sur ses politiques intérieures.
Stratégiquement parlant, les pays de la région savent que la Chine a une vision de ce que la région devrait être qui est différente de la situation actuelle. Il devient de plus en plus clair, d'après moi, que les pays de l'Asie orientale estiment généralement que les États-Unis sont un intervenant important dans la région, alors que la Chine rejette de plus en plus cette perspective.
Nous voyons cela se manifester de deux façons. Premièrement, on constate des liens en matière de défense qui sont plus étroits entre les États-Unis et des partenaires de sécurité non traditionnels comme le Vietnam. Un porte-avions américain y est allé récemment. On n'aurait pas pu s'attendre à cela il y a 10 ans. Je n'aurais jamais pensé voir cela au cours de ma carrière, mais voilà. De même, nous voyons également des arrangements bilatéraux et trilatéraux en matière de sécurité entre des alliés des États-Unis, mais sans la participation des États-Unis. Cela se désintègre en partie en raison de tensions bilatérales sous-jacentes entre les deux pays: je pense au Japon et à la Corée du Sud, qui ont toujours travaillé à un accord d'échange de renseignements, mais qui n'y arrivent pas à cause de ce qui s'est passé entre ces deux pays. M. Paltiel a mentionné la discussion quadrilatérale sur la sécurité entre le Japon, l'Inde, l'Australie et les États-Unis.
Quoi qu'il en soit, il y a un consensus tacite dans la région: pour pouvoir avoir une politique étrangère flexible, la majorité des gouvernements de cette région estime qu'il faut une forte présence américaine. Sans cette présence, il ne fait aucune doute que c'est la Chine qui établit les règles.
Pour conclure, je vous donne rapidement trois points à retenir. Premièrement, n'oubliez pas que la politique étrangère de la Chine est un prolongement de sa politique intérieure. Par conséquent, il est clair que la Chine est résolue à s'affirmer dans les conflits qu'elle définit comme étant liés à son intégrité territoriale — je pense aux choses que j'ai mentionnées tout à l'heure. Deuxièmement, la présence américaine comme puissance militaire, comme puissance qui établit les règles, est indispensable à la sécurité dans la région. C'est la raison pour laquelle un changement d'attitude concernant le PTP pourrait être important. Enfin, paradoxalement, la demande dont fait l'objet la présence américaine en matière de sécurité dans la région est plus forte maintenant, alors que sa force n'a jamais été aussi incertaine. C'est le climat de sécurité qui prévaut alors que le Canada souhaite participer.
Merci beaucoup, monsieur Manicom. Merci aux deux autres témoins.
Nous allons directement à M. Aboultaif. Allez-y, Ziad.
Merci beaucoup.
Nous avons trois témoins de haut calibre, aujourd'hui. Je pense que c'est un sujet très riche, et j'aimerais que nous ayons plus de temps.
Je vais m'adresser à M. Manicom et, si j'ai assez de temps, aux deux autres témoins, pour une question sur les confits en Asie du Sud-Est et dans la mer de l'Asie méridionale, sur l'expansion des îles de la Chine — les îles artificielles de la région —, sur la ligne à neuf pointillés et sur ce que cela signifie pour la Chine, la communauté internationale et les Nations unies. Ce conflit laisse beaucoup de questions sans réponses quant à savoir jusqu'où la Chine ira dans la région.
De façon plus précise, quand nous pensons à cette région, nous pensons au Japon comme étant le pays le plus puissant de tous les pays de ce bassin. Voici donc ma question. Premièrement, comment décririez-vous les relations entre la Chine et le Japon? Jusqu'où irait la Chine dans son expansion? Que voyez-vous pour l'avenir concernant la région et le conflit?
Monsieur Manicom, vous venez de dire que la présence des États-Unis est vraiment cruciale pour le maintien de l'équilibre des pouvoirs entre la Chine et le reste des pays de la région.
Toute réponse de la part de vous trois serait très appréciée, compte tenu du peu de temps que nous avons.
Je regarde l'horloge pour voir combien de temps j'ai pour répondre à cela. Il y a beaucoup de choses à dire là-dessus.
Les relations entre la Chine et le Japon tournent autour de beaucoup de choses. Ils ont un conflit de nature territoriale. Le Japon, qui est un utilisateur de la mer de Chine méridionale, s'inquiète beaucoup de la politique de la Chine concernant la mer de Chine méridionale, mais il y a bien plus que cela, n'est-ce pas? En conséquence du conflit commercial qu'il y a en ce moment, en réalité, la Chine et le Japon se parlent beaucoup plus étroitement de commerce. Le Japon comprend qu'un conflit commercial entre la Chine et les États-Unis n'est pas bon pour lui. Ce sont des relations au lourd passé et les préoccupations sont nombreuses, en matière de sécurité, mais ces deux pays sont capables de faire preuve de pragmatisme dans leurs relations bilatérales.
En ce qui concerne la mer de Chine méridionale et la Chine, je pense qu'ultimement, la Chine veut pouvoir naviguer sur la mer de Chine méridionale sans que les États-Unis puissent y circuler librement, et cela prend du temps. À ce jour, aucun pays puissant n'a repoussé les activités de revendication de la Chine afin de leur rendre cela plus difficile.
Je crois que cela s'explique en partie par le fait que la mer de Chine méridionale n'est tout simplement pas si importante que cela, en fin de compte, pour les pays d'une certaine puissance. Elle est très importante pour les pays de l'Asie du Sud-Est. Elle est très importante pour le Japon et les États-Unis comme route de navigation, mais les activités de revendication ne posent pas de menace existentielle aux États-Unis — du moins, les décideurs américains n'acceptent pas que ce soit le cas. Nombreux sont ceux, j'en suis sûr, qui diraient qu'une batterie de missiles dans la mer de Chine méridionale à la portée d'un porte-avions représente une menace importante, et c'est bien le cas, mais l'élite politique américaine ne semble pas accepter que ce soit problématique dans l'optique globale des relations entre les États-Unis et la Chine. De plus, si l'on accepte que les progrès touchant les changements climatiques fassent partie de ces relations, cela ne semble pas représenter un problème qui pourrait causer l'effondrement de leurs relations, n'est-ce pas?
Je crois que la Chine va continuer de pousser cela plus loin tant qu'un autre pays ne l'arrêtera pas. Et même alors, que faire? Si la Chine occupe une île, affirmant que cette île lui appartient, essayer d'en retirer les forces chinoises déclencherait un conflit.
Premièrement, je pense que l'attitude des Chinois en ce moment est plus ou moins que la possession représente 90 % de la loi. Deuxièmement, la Chine s'est maintenant proclamée comme étant une puissance maritime. Elle est le plus important pays exportateur au monde. Elle voit essentiellement la mer de Chine méridionale comme les eaux nationales de la grande puissance maritime qu'elle est.
Du point de vue de la Chine, ce n'est pas une expansion: c'est historique. Nous pouvons prendre cela au sérieux, en ce sens que d'un côté, la Chine viole l'UNCLOS, la Conférence des Nations unies sur le droit de la mer, d'une certaine façon. De l'autre côté, la ligne à neuf pointillés devrait être vue comme une limite, concernant les conflits territoriaux.
La Chine a déjà certainement le désir d'être une grande puissance maritime et ce désir va croître au fil des années. Essentiellement, la Chine regarde la carte du monde et constate que toutes les îles des océans dans le monde sont maintenant occupées par ce qui était les puissances impériales du XIXe siècle: la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis dans certains cas et quelques autres puissances coloniales. La Chine dit que ce n'est tout simplement pas juste, qu'elle est maintenant une puissance maritime et que l'endroit qu'elle peut revendiquer comme étant sien, c'est celui-là.
C'est d'une certaine façon l'explication de la mer de Chine méridionale, et « pourquoi pas », mais nous devons comprendre que la Chine a effectivement l'intention de devenir une grande puissance maritime. Elle a maintenant une base à Djibouti, sur la côte ouest de l'Afrique. C'est la première base chinoise outremer de l'histoire. Je crois qu'à titre de premier exportateur dans le monde, possédant la plus importante flotte commerciale dans le monde, la Chine est là pour de bon.
Je dirais que je suis d'accord avec presque tout ce que mes collègues ont dit aujourd'hui, sauf en ce qui concerne la mer de Chine méridionale. J'ai une perception très différente de la situation en mer de Chine méridionale. La plupart des gens n'ont pas remarqué que depuis que la Cour permanente d'arbitrage a rendu sa décision en faveur des Philippines, en 2016, la Chine l'a respectée à la lettre. Bien que les Chinois aient affirmé ne pas accepter la juridiction de la Cour, ni reconnaître sa décision, ils font très attention de ne rien faire qui contrevienne à cette décision.
Par exemple, la Chine n'a pas mentionné une seule fois depuis la ligne en neuf traits, elle a disparu de sa rhétorique. Elle a cessé de parler de menaces à sa souveraineté dans la mer de Chine méridionale et se plaint de la liberté de navigation américaine en utilisant des expressions comme « menaces à la stabilité » ou « menaces à la paix et à la sécurité ». La Chine avait le malheur de revendiquer la souveraineté de toutes les îles et ressources présentes dans la mer de Chine méridionale, mais d'en posséder relativement peu, dont surtout des îles de qualité médiocre dans les îles Spratly. Ironiquement, ce sont les Philippines, le Vietnam et Taïwan qui possèdent les meilleures îles naturelles dans la mer de Chine méridionale.
Le projet de construction d'îles dans lequel la Chine s'est lancée visait à affirmer sa souveraineté, bien sûr, mais essentiellement à lui permettre de faire respecter une zone d'identification de défense aérienne, comme elle le souhaitait depuis longtemps. Elle a maintenant terminé l'aménagement de ces îles artificielles. Elle n'en construit plus. Elle a cessé ses activités de dragage. Tout ce qu'elle transporte maintenant sur ces îles artificielles s'inscrit dans le cadre d'un plan élaboré il y a cinq ou sept ans, avant que la Cour permanente d'arbitrage ne rende sa décision.
La Chine se tient bien droite dans la mer de Chine méridionale en ce moment. Elle a signé l'UNCLOS et se sent liée par ses dispositions, ce qui la place dans une position inconfortable, puisqu'elle ne peut pas paraître faible aux yeux de sa population, mais qu'elle ne peut pas non plus se permettre de s'aliéner les autres acteurs internationaux. Elle marche avec brio sur ce fil de fer.
En fait, j'ai vraiment espoir que le problème de la mer de Chine méridionale sera bientôt derrière nous.
Merci, monsieur le président, et merci à vous trois de vos témoignages d'aujourd'hui.
Monsieur Paltiel, si j'ai bien compris, vous avez dit que nous ne travaillons pas assez fort pour favoriser le commerce avec l'Inde. Compte tenu du voyage récent du premier ministre en Inde, qui est allé serrer des mains pour renforcer nos liens avec ce pays, signer un accord d'un milliard de dollars et assurer 5 800 emplois au Canada, croyez-vous que nous n’en faisons pas assez?
Je ne suis pas un spécialiste... Je lis les mêmes journaux que vous, mais je suis aussi un chercheur universitaire qui a déjà étudié la question. La question de savoir avec quelles communautés nous tissons des liens et si nous favorisons certains groupes aux dépens de l'État indien ne se pose pas qu’à l’égard du gouvernement en place. Elle se posait également à l'époque du gouvernement précédent. Le gouvernement indien nous disait déjà à l'époque qu'il aimerait qu'on resserre nos liens avec la République de l'Inde, qui est une puissance importante, plutôt qu’avec certaines régions du pays seulement et certaines populations.
Cela nuit à nos relations avec l'Inde. Certes, nous avons signé des accords, mais vous savez... Je m'excuse, mais je m'intéresse à la question depuis longtemps. À l'époque des missions d'Équipe Canada, nous avons signé toutes sortes de documents, mais malgré cela, nos résultats commerciaux ont décliné dans la région.
Nous devrions essayer de gérer le commerce et la politique conjointement, d'établir un lien de confiance avec les gouvernements, de travailler avec les gouvernements pour que nos intérêts commerciaux soient bien protégés. Ce n'est pas chose facile. C'est un travail de tous les jours. Cela ne se fera pas en une seule visite, où l'on signe quelques accords ici et là et l'on revient. Bien souvent, quand on évalue ce qui s'est passé cinq ans après la signature de ces accords, on se rend compte que beaucoup sont restés lettre morte. Nous aurions plutôt besoin d'une présence profonde et contraignante pour toutes ces choses.
Nous multiplions les efforts depuis longtemps pour favoriser le commerce avec l'Inde. Il y a six ou sept ans, je m’y suis rendu avec des représentants du gouvernement de la Colombie-Britannique afin de remettre un chèque de 12 millions de dollars aux TOIFA, l'équivalent des prix Grammy à Los Angeles. Ils avaient prévu venir à Toronto, et nous souhaitions qu'ils viennent jusqu'en Colombie-Britannique. Nous avions fait une étude de cas avant de leur offrir ce chèque; le public n'en était pas trop content, mais cette visite nous a rapporté 100 millions de dollars: ils sont venus, et leur visite a été très fructueuse.
Ce n'est pas que nous n'essayons pas, mais de temps en temps, j'entends des représentants indiens affirmer que le Canada a besoin de l'Inde plus que l'Inde a besoin du Canada. Comment peut-on faire des affaires dans ce contexte? Je suis moi-même un homme d'affaires, et je crois que quand on s'assoit à une table de négociation, il faut s'y asseoir d'égal à égal, de bonne foi. Vous avez dit que nous ne devions pas signer n'importe quel accord, que de bons accords, donc je trouve contradictoire que vous affirmiez ensuite que nous n’en faisons pas assez, mais que l’autre partie ne veut pas négocier avec nous.
Je pense que nous pourrions faire mieux. Tout ce que je dis, c'est que nous pourrions faire mieux. Comme j'essayais de le dire, je pense que nous pourrions notamment mieux coordonner nos efforts avec ceux d'autres acteurs qui partagent notre philosophie plutôt que de faire cavalier seul. Je pense que le problème vient en partie du fait que nous sommes un allié des États-Unis et que parce que nous nous fions souvent à cela, nous pouvons travailler dans l'ombre des États-Unis; or les États-Unis n'assument plus toujours autant de leadership aujourd'hui. Nous devons nous trouver d'autres partenaires pour approfondir nos relations, et nous avons tout intérêt à le faire plus tôt que tard.
Je comprends totalement. La situation au sud de la frontière nous offre l'occasion d'explorer d'autres parties du monde. Nous exportons depuis longtemps des légumineuses, des lentilles et de la potasse en Inde, mais l'an dernier, l’Inde a décidé d’imposer un tarif douanier de 50 % sur les lentilles et les légumineuses. Éclairez ma lanterne. Nous adorons faire des affaires avec d'autres pays du monde, mais nous ne sommes que 36 millions de personnes, comparativement aux 1,2 milliard de personnes qui vivent là-bas. Il y a tout un marché en Inde.
En même temps, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée d'envoyer du pétrole brut en Chine. Notre gouvernement a approuvé le projet d'oléoduc Kinder Morgan. Nous comprenons bien que nous devons acheminer nos ressources jusqu'à nos ports, mais le pétrole brut peut-il suffire pour combler notre déficit avec la Chine?
Je pense que nous devrons attendre un peu avant d'obtenir réponse à cette question, parce que votre temps est écoulé. Vous pouvez aussi essayer d'intégrer votre réponse à la réponse à une question d'un autre collègue.
Je donne la parole à Mme Laverdière.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les trois témoins de leurs présentations.
J'ai été frappée par un thème que nous avons souvent entendu au cours de cette étude, c'est-à-dire le manque de stratégie cohérente qui implique tous les aspects liés aux enjeux. J'ai aussi été frappée par le commentaire du Dr Welch, selon lequel on ne peut pas être seulement à une table mais à un ensemble de tables pour avoir une voix efficace dans la région. Vous avez mentionné, entre autres, le CSCAP, dont le Canada est complètement absent. C'est d'ailleurs le seul pays à l'être.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce que fait exactement cette organisation?
[Traduction]
Comme je l'ai déjà dit, le Canada fait pourtant partie des pays fondateurs du CSCAP. Il mène un dialogue de deuxième niveau, mais il y a beaucoup de participants de niveau 1.2. Certains sont des professeurs d’université qui représentent leur pays. D'autres sont des diplomates à la retraite.
Le CSCAP permet aux représentants des pays de la région de discuter de toutes sortes d'enjeux dont les dirigeants ne peuvent pas discuter parce qu’ils sont trop délicats ou trop complexes. C'est un lieu d’échange d'information et d'idées. Les délégués communiquent habituellement ensuite leurs constats à leur gouvernement, après les rencontres du CSCAP et des groupes de travail. Dans bien des cas, cela a un effet profond sur les politiques des pays membres par la suite.
Comme je l'ai déjà dit, le Canada a passé son tour deux fois. Il y a une période de trois ans pendant laquelle le Canada a recommencé à participer au CSCAP, mais cette période a pris fin l'an dernier. J'étais le coprésident de la délégation canadienne au CSCAP.
Pour vous donner un exemple, mon équipe de recherche du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale a réalisé la seule étude du genre dans le monde sur les zones d'identification de défense aérienne. Cette étude portait sur la nature de ces zones, leur fonctionnement, leur incidence sur la sécurité aérienne, la sécurité en général, les questions juridiques et les conflits territoriaux et maritimes. Je l'ai transmise aux membres du CSCAP, qui l'ont à leur tour transmise à leur gouvernement. J'ai ensuite reçu un message d'un collègue travaillant au ministère des Affaires étrangères de la Chine, qui me remerciait de cette contribution canadienne très utile. L’information avait été très utile pour persuader les dirigeants de Beijing de ne pas créer de nouvelle zone d'identification de défense aérienne dans la mer de Chine méridionale. Autrement dit, grâce à cela, le ministère des Affaires étrangères de la Chine, qui comprenait que c'était une mauvaise idée, a pu l’emporter sur l'Armée de libération du peuple, qui était enthousiaste à l'idée.
C'est le genre de choses que rend possible une organisation comme le CSCAP, à très peu de frais. Pour 100 000 $ par année, le Canada pourrait participer pleinement à toutes les activités du CSCAP, mais pour l'instant, il n'y a aucun financement pour cela. En fait, nous avons même des comptes en souffrance. C’est franchement gênant; c'est une occasion ratée pour le Canada comme pour l'organisation.
Oui, parce que cela fonctionne dans les deux sens. Cela aide à créer des liens et à améliorer la compréhension dans les deux sens.
Puisque nous parlons de liens et de compréhension, je crois que vous travaillez avec un groupe qui cherche à établir comment nous pourrions améliorer notre coopération avec le Japon. Est-ce que je me trompe?
Nous avons eu la chance, au Canada, de recevoir du gouvernement du Japon un cadeau de 5 millions de dollars US pour accueillir un professeur invité et créer un nouveau centre pour l'étude globale du Japon à l'Université de Toronto.
Je ne travaille plus à l'Université de Toronto, mais j'y ai travaillé pendant 20 ans. Je travaille désormais à l'Université de Waterloo, mais c'est avec beaucoup d'enthousiasme que j'ai aidé mon alma mater à s'assurer de ce cadeau. Pour l'instant, j'en assume la présidence par intérim, de façon bénévole, le temps qu’on cherche un président à long terme.
C'est la première fois que le gouvernement du Japon investit autant d'argent ailleurs qu'aux États-Unis. Nous espérons ainsi pouvoir faire du Canada un carrefour incontournable de l'étude du Japon, pour étudier tout l'éventail des problèmes auxquels le Japon est confronté aujourd'hui ou le sera à l'avenir, des problèmes qui se répercuteront aussi sur nous un peu plus tard. Cela montre vraiment qu'il y a une importante occasion à saisir pour que le Canada et le Japon resserrent leur coopération sur toutes sortes de questions. Je pense que bien des gens en convenaient depuis longtemps, mais qu'il semblait toujours y avoir un fossé entre la participation réelle, la coopération, et le potentiel de coopération entre les deux pays.
Bonjour, messieurs. Nous sommes gâtés de vous recevoir tous les trois aujourd'hui.
Je pourrais vous poser des questions pendant cinq heures, mais je n'ai que cinq minutes.
Vous avez tous parlé directement ou indirectement de puissance maritime, ce qui me porte à diriger mon attention vers l'amiral Alfred Mahan, qui a affirmé qu'il doit y avoir un équilibre entre la puissance militaire et la puissance économique et que tout pays qui aspire à la grandeur nationale doit être associé à la mer.
Je pense que nous avons beaucoup parlé de l'aspect militaire au cours de la dernière heure. M. Welch a mentionné la zone d'identification de défense aérienne.
Monsieur Paltiel, vous avez écrit sur les zones économiques exclusives, ainsi que sur le pouvoir et le droit souverain de la Chine, en vertu de l'UNCLOS, d’inspecter tout le trafic maritime.
Nous n'avons toutefois pas parlé — et je doute que nous ayons le temps de le faire — du fait qu'il y a beaucoup de ressources dans la mer de Chine méridionale. Ce n'est pas qu'un passage maritime par où transitent des marchandises d'une valeur de 5 billions de dollars, puisqu'on y trouve aussi des barils de pétrole d'une valeur d’environ 11 milliards de dollars, ainsi qu’environ 190 millions de pieds cubes de gaz naturel. Il y a donc aussi des minéraux.
Vous avez mentionné l'aspect militaire et l'empiétement des pouvoirs sur les îles, entre autres. Cependant, j'aimerais m'attarder à l'aspect économique, parce que je pense que c'est l'autre partie de l'équation dont parlait Mahan. Il y a actuellement un vaste partenariat économique régional en cours de négociation, mais on en parle bien peu. L'accord global qui se négocie actuellement rassemblerait les pays de l'ANASE+6, pour une valeur de 49,5 billions de dollars et de 39 % du PIB mondial.
Il y a des bases militaires en Asie du Sud-Est, et il y a maintenant aussi des bases économiques. Comment cela changera-t-il la dynamique dans la région?
Monsieur Welch, vous avez mentionné qu'après le récent arbitrage entre les Philippines et la Chine, cette dernière n'a rien fait. Cependant, comme vous le savez, la politique de la Chine repose sur la patience. Je me demande quoi en déduire. Croyez-vous que ce partenariat aura des effets sur la stabilité de la région? Contribuera-t-il, sur le plan militaire, à calmer les tensions dans la mer de Chine méridionale ou s'agit-il d'une autre tentative de la Chine d'empiéter sur la souveraineté de la Chine méridionale tout en favorisant l'initiative d'une ceinture, une route?
Je vous répondrai quelques mots.
Premièrement, je pense qu'en Asie du Sud-Est, c'est l'économie qui est arrivée en premier; la puissance militaire est arrivée beaucoup plus tard. Je pense que d'une certaine façon, c'est une bonne raison d'être optimiste, parce qu'au bout du compte, la Chine doit maintenir de bonnes relations avec ses voisins.
La position de la Chine prend racine au début du siècle, en grande partie parce que pendant la crise financière asiatique de 1997-1998, la Chine n'a pas dévalué le renminbi, ce qui a nui aux pays de l'ANASE et à leurs exportations. Elle a enchaîné en établissant un accord de libre-échange avec les pays de l'ANASE, ce qui a donné un élan au libre-échange dans la région de par la relation qui s’est établie entre les pays de l'ANASE+3.
En raison de cette relation et de l'importance des pays de l'ANASE pour la Chine, je pense que la Chine demeurera prudente dans les pressions qu'elle exerce sur ses voisins de la région sur les plans militaires et autres, parce que dans sa propre cour, elle veut projeter une image positive. Elle souhaite aussi renforcer ses liens commerciaux avec eux.
Je suis relativement confiant. Je pense qu'elle pourrait finir par négocier un code de conduite dans la mer de Chine méridionale, comme elle avait dit qu'elle le ferait d'ici la fin de cette année. Cela pourrait bien arriver, parce que la Chine a besoin de ses voisins et qu’elle continue de lorgner vers les États-Unis.
Il sera maintenant intéressant pour nous, depuis que nous avons signé le PTPGP, de voir quelle sera la relation entre le PTPGP et le RCEP? Quel est l'avenir du libre-échange en Asie-Pacifique? On en parle depuis plus de 20 ans, soit depuis l'APEC. Il y aura maintenant une nouvelle motivation à conclure un accord de libre-échange avec l'Asie-Pacifique.
Cela me réjouit. Je pense que nous devrions en profiter pour établir des ponts. Si nous négocions un accord de libre-échange avec la Chine, nous pourrions en profiter pour jeter les bases d'un accord global régional de libre-échange. Cela donnerait un nouveau souffle au libre-échange mondial.
Je pense que le partenariat économique global régional contribuera à renforcer les liens entre les pays de l'ANASE+6. Cela pourrait se traduire par une ou deux choses. Cela pourrait soit créer une telle interdépendance que le conflit dans la mer de Chine méridionale deviendrait un véritable anathème et que personne n'y penserait plus, soit créer une telle dépendance des pays de la région envers la Chine qu'ils n'oseraient plus contester les décisions de la Chine si elle souhaitait changer de nouveau la donne. Comme David l'a expliqué, nous sortons d'une période pendant laquelle la Chine a reculé. Cependant, elle a parallèlement créé un statu quo grâce à quatre années de revendications de terres qui a créé un environnement particulier dans la région. En mer de Chine méridionale, la situation est plus avantageuse pour elle qu'il y a cinq ans.
Tout dépend de la façon dont on évalue l’effet du commerce sur le conflit. Soit cela semble une fatalité, soit cela créera une dépendance commerciale entre les pays de l'Asie du Sud-Est et la Chine. J'estime la deuxième possibilité la plus probable. Cela touche beaucoup de pays, puisqu'ils seront au moins 16 à faire partie de cet accord commercial. J'ai bon espoir qu'il aura aussi pour effet d'atténuer les tensions en même temps.
Il ne faut pas oublier que c'est le Japon qui a eu l'idée de ce partenariat économique, et non la Chine. Ce n'est pas nécessairement un outil d'hégémonie chinoise. Il n'y a pas nécessairement incohérence entre le RCEP et le PTPGP ou tout autre accord multilatéral, donc ce pourrait être une bonne chose.
Concernant le PTPGP, soit dit en passant, je pense que c'est finalement le meilleur des mondes. Le recul du président Trump a permis aux autres pays d'aller de l'avant et de laisser tomber toutes les principales dispositions qui procuraient des avantages asymétriques aux États-Unis, au détriment des autres pays signataires, particulièrement en ce qui concerne la propriété intellectuelle et les mécanismes de règlement des différends investisseurs-États. Heureusement, les États-Unis réintégreront le PTPGP selon de nouvelles modalités. Je pense que c'est le meilleur des mondes possibles pour le Canada, comme pour les autres membres.
Concernant le potentiel économique de la mer de Chine méridionale, on y trouve des dépôts d'hydrocarbures. La plupart sont inexploitables, parce que personne n'osera se porter garant des risques, compte tenu des différends maritimes et territoriaux qui existent. La Chine est le seul pays à pouvoir socialiser les coûts d'assurance de l'exploration. Elle a parlé récemment d'un développement conjoint avec le Vietnam, un autre signe qu'elle est peut-être prête à modérer un peu ses revendications et ses [Note de la rédaction: difficultés techniques].
De plus, ces hydrocarbures perdront de plus en plus de leur intérêt puisque nous essayons de décarboniser l'économie mondiale. Je ne crois pas que ce soit un très grand enjeu. En revanche, les pêches y sont un très grand enjeu. La mer de Chine méridionale est extrêmement riche en poissons, et tous les pays de la région en dépendent. Il devra donc y avoir une gestion multilatérale de la pêche. Cette mer est déjà surexploitée, et je pense que la Chine commence à comprendre que la meilleure façon d'assurer une pêche durable dans cette mer consiste à faire preuve de gentillesse avec ses voisins dans la mer de Chine méridionale, parce que les populations dépendent de cette pêche pour leur subsistance.
Chers collègues, au nom de vous tous, je tiens à remercier nos trois témoins. C'est une très bonne séance qui tire à sa fin; nous l'avons beaucoup appréciée.
En notre nom à tous, merci d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer.
Chers collègues, nous prendrons une pause d'une minute avant de reprendre quelques minutes pour nous pencher sur des questions administratives, faute de quoi le Sous-comité des droits internationaux de la personne n'aura pas de budget. J'aurai donc besoin de motions pour proposer, puis appuyer ces petits budgets.
Sur ce, nous prendrons une petite pause, le temps que les gens quittent la pièce, après quoi nous continuerons à huis clos. Nous pourrons ensuite partir.
[La séance se poursuit à huis clos.]
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