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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 087 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 15 février 2018

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Chers collègues, je déclare la séance ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous procédons à l'étude de l'aide aux Canadiens en difficulté à l'étranger (affaires consulaires).
    Nous recevrons cet après-midi Gary Caroline, par vidéoconférence.
    Nous entendrons ensuite Dean Peroff.
    Il nous manque encore Chris Macleod, qui arrivera peut-être un peu plus tard. Je pense qu'il est en train de comparaître devant une quelconque commission.
    Nous commencerons tout de suite par nos deux autres témoins. Nous avons une bonne heure devant nous. Chris se joindra à nous s'il réussit à s'extirper de sa réunion.
    Gary, allez-y.
    Merci, monsieur Nault, ainsi que tous les autres membres du Comité permanent, de cette occasion de comparaître devant vous sur les difficultés que nous éprouvons quand vient le temps de représenter et de défendre des Canadiens détenus à l'étranger, en contravention de leurs droits de la personne.
    Dean Peroff, Chris Macleod (qui ne se joindra peut-être malheureusement pas à nous) et moi-même travaillons depuis quelques années à diverses initiatives visant à améliorer les services consulaires et l'aide apportés à ces Canadiens à l'étranger. Comme cette situation nous tient très à coeur, nous avons joint nos efforts à ceux d'autres personnes afin de produire un projet de charte de protection.
    Je pense que vous avez entendu Alex Neve et Mohamed Fahmy cette semaine, qui sont de ceux qui proposent la désignation d'un nouvel agent du Parlement dans un document intitulé « The Office of the Consular Advocate General », qui a été produit par le National Council for the Protection of Canadians Abroad et moi-même en 2016.
    Nous avons d'ailleurs aussi proposé une démarche afin d'améliorer les services consulaires offerts aux Canadiens, dans un document que nous avons rédigé avec Amnistie et le National Council for the Protection of Canadians Abroad, encore une fois en 2016. Dans ce dernier document, nous proposons un mécanisme par lequel des fonctionnaires et des avocats chevronnés travailleraient de concert à trouver des moyens d'améliorer la façon dont le Canada traite les affaires consulaires les plus difficiles.
    Je dois dire que les fonctionnaires ont accueilli ces initiatives avec intérêt et ouverture, mais pas beaucoup plus. Dean, Chris et moi sommes tous des avocats qui cumulons les années d'expérience à représenter des Canadiens victimes des graves violations des droits de la personne à l'étranger. Nous avons défendu et continuons de défendre des personnes dans les situations les plus difficiles, comme Michael Kapoustin, qui est représenté par Dean Peroff; Huseyin Celil, qui est représenté par Chris Macleod, et Mohamed Fahmy, que je représente.
    Bien que notre charte de protection et les documents sur les Canadiens à l'étranger aient été publiés pour éveiller l'appétit pour une réforme des services consulaires et gagner des appuis, la plupart de nos efforts prennent la forme d'échanges confidentiels avec le gouvernement et le ministère, y compris avec le directeur général de la politique consulaire et le Bureau de l'inspecteur général.
    Malgré les regards différents que nous pouvons poser sur ces questions compte tenu de nos expériences professionnelles variées avec divers pays, nous partageons tous l'avis que le gouvernement doit jouer un rôle accru pour obtenir la libération des Canadiens détenus à l'étranger en contravention de leurs droits de la personne. Bien qu'ils ne soient pas nombreux, leurs histoires suscitent souvent l'indignation des Canadiens compte tenu des mauvais traitements qu'on leur inflige. D'autres affaires moins notoires ou publiques peuvent passer inaperçues, sauf pour les familles de ces Canadiens, qui sont au désespoir. Dans chaque cas, nous avons le devoir d'améliorer leurs conditions de détention et ultimement, d'obtenir leur libération et leur rapatriement au Canada.
    Nous sommes tous d'avis que le Canada doit changer son mode d'intervention dans ce genre de contexte. Le Canada doit s'affranchir de la perception obsolète de son devoir d'offrir des services consulaires, afin d'inscrire dans la loi son obligation d'offrir une assistance judiciaire aux Canadiens à l'étranger. Non seulement la plupart des Canadiens seraient-ils renversés d'apprendre que la loi ne prévoit aucun droit à des services consulaires, s'ils en étaient informés, mais selon nous, le fait que le ministère puisse offrir des services consulaires à sa discrétion contribue à son approche toujours passive dans les dossiers consulaires les plus difficiles.
    Bien que le personnel dévoué des services consulaires d'Affaires mondiales Canada traite très bien la plupart des affaires consulaires, il reste quelques dossiers extrêmement graves ou complexes que le Canada ne gère pas aussi bien qu'on pourrait s'y attendre.
(1535)
    Ce genre d'affaire survient quel que soit le gouvernement ou le parti au pouvoir. Nous l'affirmons à la lumière de notre expérience de la défense de certains de ces Canadiens et de nos efforts pour synthétiser nos expériences en une analyse commune de la façon dont le Canada prête assistance consulaire à ses citoyens. Nous ne connaissons pas le point de vue du gouvernement ni du personnel consulaire dans ces dossiers, mais nous imaginons que leur évaluation interne diffère de la nôtre. Il ne peut en être autrement, compte tenu des frictions qui s'observent souvent entre les actions du ministère et ce que les avocats estiment que le Canada devrait faire pour obtenir la libération d'un Canadien pris dans une prison étrangère pour un crime fabulé contre l'État.
    Selon bien des Canadiens, les défenseurs de la cause et même des agents consulaires à la retraite, le ministère doit améliorer sa façon de défendre les Canadiens dont les droits de la personne sont gravement bafoués à l'étranger. En cette ère de changement, nous devrions rompre avec la culture selon laquelle le travail consulaire doit se faire loin des regards et nous ouvrir les yeux sur les avantages d'une collaboration plus étroite avec les familles et les conseillers juridiques. Nous aurions tout avantage à effectuer, collectivement, une analyse commune de la qualité des services consulaires que le Canada offre à ses citoyens coincés dans des circonstances difficiles et proposer des solutions pour améliorer la coopération entre le gouvernement et les cabinets privés afin d'atteindre nos objectifs.
    Nous souhaitons vous soumettre aujourd'hui cinq éléments à prendre en considération.
    D'après nos discussions avec les fonctionnaires d'Affaires mondiales, il y a un monde entre l'évaluation interne que le ministère fait de son travail et la perception qu'en ont ses « clients ». Tant que nous ne disposerons pas d'une analyse objective de la prestation des services consulaires, nous ne pourrons y apporter que des changements limités. Nous croyons que la clé de l'amélioration des services consulaires consiste à ce que le ministère examine en profondeur son travail, sa culture, ses structures et son leadership. Il serait essentiel pour susciter un véritable changement de solliciter les observations et les témoignages de personnes extérieures au ministère. À ce jour, nos tentatives de convaincre le ministère de réaliser un tel examen sont restées vaines.
    Malgré le développement rapide et le renforcement des droits de la personne à l'échelle internationale et l'explosion du travail et des voyages à l'étranger, il semble que la culture des services consulaires demeure très confinée aux relations d'État à État. D'après notre expérience, la haute direction du ministère se restreint bien plus que nécessaire dans ses rapports avec les gouvernements étrangers. Les agents consulaires devraient se voir davantage comme des défenseurs des droits que des diplomates au sens classique. Bien que chaque dossier ait ses particularités propres, le ministère semble privilégier une certaine approche ou culture dans tous les dossiers consulaires difficiles, qui doit être remise en question.
    C'est peut-être cette perception désuète du travail consulaire qui l'entoure presque universellement du secret que les agents consulaires confèrent à leur travail. Ils sont par conséquent peu enclins à expliquer les efforts déployés et évoquent à tort les lois sur la protection des renseignements personnels pour justifier la non-divulgation de renseignements cruciaux aux membres de la famille et aux avocats. Ils affichent parfois même de la résistance à travailler de concert avec les avocats. Bien que nous constations beaucoup plus d'ouverture et de collaboration depuis quelques années, il reste fort à faire.
    Le ministère tarde souvent bien trop à prioriser les cas les plus graves de violation des droits de la personne, alors que c'est presque toujours une course contre la montre pour réussir à améliorer les conditions d'un détenu. Cela témoigne peut-être d'un besoin de formation accrue et ciblée des agents consulaires et d'une révision des mécanismes internes ainsi que de l'organisation du ministère.
    Enfin, nous avons tous à un moment ou à un autre été frustrés de notre inaptitude à mobiliser le gouvernement afin qu'il intervienne plus directement dans des affaires consulaires.
(1540)
    Si un gouvernement est libre de décider de ce qu'il fera ou non, nous croyons qu'Affaires mondiales aurait un rôle important à jouer pour déterminer quand une intervention directe du gouvernement est nécessaire et conseiller le gouvernement sur les mesures à prendre à l'égard de l'autre État.
    Comme vous le déduirez sans doute de ces observations, nous croyons fermement que le succès futur du Canada dans les affaires consulaires difficiles dépendra de la volonté du ministère d'examiner son approche systémique à l'égard de ces dossiers et de son ouverture aux opinions de ses clients.
    De plus, nous recommanderions au Comité d'examiner la possibilité que le Parlement crée un droit aux services consulaires et l'inscrive dans la loi.
    Merci.
    Merci, maître Caroline.
    Écoutons maintenant Me Peroff, s'il vous plaît.
    J'ai pris le temps d'écouter les témoins qui se sont exprimés avant moi au Comité et j'ai trouvé l'exercice très instructif. J'ai écouté les mots de M. Pardy, ceux d'Alex Neve et ceux de M. Fahmy, comme ceux des représentants des services consulaires.
    J'aimerais partager quatre réflexions avec le Comité pour mettre en perspective les mesures qui devraient être prises, selon moi, dans les cas que je qualifierais de détention injustifiée de Canadiens à l'étranger. J'aimerais ensuite résumer très brièvement ma propre expérience d'une affaire en particulier, qui illustre très bien mes arguments, à mon humble avis.
    Premièrement, de manière générale, je crois que les services consulaires n'utilisent pas la bonne approche dans les cas de détention injustifiée.
    Deuxièmement, je pense que les services consulaires devraient se doter d'un régime tous azimuts pour prêter assistance judiciaire aux citoyens en cas de détention injustifiée. Je parlerai plus en détail de ce que j'entends par « assistance judiciaire », mais cela va certainement au-delà de la simple diplomatie, comme Me Caroline l'a dit, ou de l'accès aux services consulaires, pour reprendre ce que j'entends constamment de la bouche d'agents consulaires.
    Troisièmement, les services consulaires doivent se défaire de l'impression erronée qu'ils n'ont pas le droit de protester contre le mauvais traitement de Canadiens dans un État étranger ou leur traitement judiciaire dans un État étranger.
    Quatrièmement, pour terminer, je crois que les représentants consulaires officiels devraient être formés pour devenir de bons défenseurs; je veux dire qu'il ne suffit pas d'adopter des motions et d'entreprendre des démarches, ils doivent en faire beaucoup plus.
    Permettez-moi de m'expliquer.
    J'ai dit d'abord qu'on ne privilégiait pas la bonne approche. Je tiens à souligner clairement que je ne parle pas ici des autres types de dossiers dont vous entendez parler, comme les kidnappings et les enlèvements d'enfants ou les évacuations. Ce n'est pas ce que sous-entendent mes collègues non plus. De mon point de vue extérieur, j'ai l'impression que les services consulaires font un travail fantastique dans ces circonstances, et je n'ai rien à ajouter ni aucune critique à formuler.
    Quand je dis qu'ils font fausse route dans ce genre de dossier, je veux plutôt parler du problème systémique qui me semble exister pour ce qui est de l'attitude et de la perspective à l'égard des cas de détention injustifiée. On parle essentiellement de détentions pour des motifs politiques et de violations des droits de la personne, comme nous le savons tous.
    Je pense que les Canadiens comme le Parlement devraient voir la détention injustifiée à l'étranger en grande partie de la même façon qu'ils voient la détention injustifiée au Canada. L'histoire montre qu'on sait très bien, au Canada, reconnaître comment une condamnation injustifiée peut miner le système de justice pénale. À l'instar de Me Caroline, je crois que nous devons être outrés, au Canada, de toute détention injustifiée à l'étranger. Nous devons nous préoccuper tout autant de ces questions que des condamnations injustifiées au Canada.
    Pour terminer, concernant le fait que nous ne favorisons pas la bonne approche, je crois que l'assistance judiciaire est tellement nécessaire lorsque de telles affaires surviennent que j'aurais peur si l'on en venait à imposer aux services consulaires le devoir de protéger les Canadiens à l'étranger sans préciser que les services consulaires doivent, pour satisfaire à ce devoir, leur prêter une assistance judiciaire. Je ne suis pas convaincu que c'est très bien compris et associé à l'idée de venir en aide aux Canadiens dans ce genre de contexte, et je pense que mes collègues n'en sont pas convaincus non plus.
(1545)
    Pour enchaîner avec mon deuxième point, je crois que les services consulaires devraient offrir de l'assistance judiciaire. Je veux dire par là qu'il y a une distinction à faire entre la diplomatie et l'assistance judiciaire.
    Je pense que M. Pardy a su faire une distinction très utile entre les relations d'État à État en contexte normal d'affaires étrangères et la représentation de ressortissants canadiens à l'étranger dans les circonstances en l'espèce. Ce sont des circonstances très différentes, et je crois qu'il faut garder cette distinction à l'esprit.
    Comme ce n'est pas de la diplomatie, il ne s'agit pas seulement d'échanger des points de vue et d'entretenir des relations pacifiques avec un autre État, mais bien d'exprimer une prise de position au nom d'un Canadien, de présenter des arguments à l'appui de cette position, fondés sur les traités sur les droits de la personne et les autres lois applicables et de défendre cette position avec force auprès du gouvernement étranger.
    L'autre particularité qui illustre mon propos sur l'assistance judiciaire, par opposition à autre chose, c'est que l'accès consulaire n'est pas tout dans l'assistance aux Canadiens à l'étranger. Or, si vous réécoutez bien les témoignages des fonctionnaires, vous vous rendrez compte qu'ils ne parlent que d'accès et d'efforts pour assurer l'accès consulaire.
    Prenons les choses sous cet angle: si en tant qu'avocat, j'ai accès à mon client, je pourrai au moins lui parler, et c'est essentiel. Je dois toutefois m'investir dans le dossier et proposer une stratégie. Je dois également lui prêter assistance judiciaire; je ne peux pas seulement dire: « J'ai respecté mes obligations, j'ai consulté la personne détenue à l'étranger. »
    Mon troisième argument, c'est que les services consulaires semblent croire à tort que le Canada n'a pas le droit de critiquer la procédure judiciaire qui s'applique aux Canadiens à l'étranger. Je crois que c'est là une mauvaise interprétation du droit international. Le Canada a le droit d'intervenir au nom des Canadiens, en vertu du droit international, en cas de déni de justice envers un ressortissant canadien (c'est l'expression utilisée: « déni de justice ») ou s'il subit de mauvais traitements dans un État étranger. Il faut le voir comme une exception au principe de l'immunité du souverain.
    Pendant ma carrière d'avocat en droit international des affaires, j'ai pu constater qu'à part dans quelques démocraties matures, il n'y a pas de primauté du droit dans la plupart des pays du monde, ou alors très faiblement. La corruption y est endémique, ce qui signifie qu'elle gangrène l'appareil judiciaire; la manipulation politique de l'appareil judiciaire y est endémique aussi, ce qui signifie qu'il y a des problèmes politiques à gauche et à droite auxquels il faut s'attaquer. Je ne vous demande pas de me croire sur parole. Il y a toutes sortes de rapports qui ont été produits sur les droits de la personne par toutes sortes d'organisations reconnues. La Commission O'Connor, à l'époque, en faisait état.
    À mes yeux, le Canada a le devoir d'exercer ce droit d'intervention. Ce n'est pas qu'un devoir moral, bien que je croie que ce devrait suffire; je pense en fait que c'est un devoir juridique en vertu du droit international. Je me ferai un plaisir de vous en parler davantage un peu plus tard, si la question vous intéresse.
    Mon dernier argument, c'est que les représentants des services consulaires devraient recevoir une formation en défense des droits et apprendre les rudiments de l'assistance judiciaire. Je pense que M. Neve vous a présenté des réflexions très justes sur l'importance de savoir faire preuve d'imagination et de créativité dans l'assistance judiciaire, mais permettez-moi de vous en donner quelques exemples concrets. En fait, M. Neve en a déjà mentionné quelques-uns. Je vais vous expliquer leur importance centrale dans l'affaire dont je vous parlerai à la toute fin.
    L'aspect primordial qu'a abordé M. Fahmy, c'est qu'il doit y avoir des représentations de haut niveau dans les cas les plus graves. Je veux dire qu'il doit y avoir intervention d'un ministre, d'un sénateur, d'un parlementaire reconnu, peut-être d'un spécialiste des droits de la personne et même, du premier ministre du Canada. C'est le genre de situation où les services consulaires devraient exercer des pressions à l'interne et exhorter les ministres à intervenir, plutôt que de seulement attendre que quelque chose se passe grâce à la simple pression politique ou médiatique.
    Une autre façon d'être créatif consiste à collaborer avec le conseiller juridique. Il ne m'est jamais arrivé de m'occuper d'un dossier — et j'en ai traité beaucoup — dans lequel le ministère s'est montré enclin à collaborer avec moi. Je sais qu'il peut m'arriver d'être désagréable de temps en temps, mais mes collègues m'affirment vivre la même chose.
(1550)
    Il y a deux autres arguments que j'aimerais ajouter.
    Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des déclarations publiques. Pensons à l'affaire Fahmy. Voyez comment le premier ministre de l'Australie a su s'exprimer très fermement et faire libérer son ressortissant australien bien plus vite que M. Fahmy ne s'en est sorti. Je dirais que cette forme de défense ou d'assistance judiciaire fonctionne dans certaines circonstances.
    Finalement, il faut établir des alliances, comme M. Neve l'a dit. Allons chercher de l'aide d'une tierce partie. Trouvons-nous des alliés et collaborons avec eux. Permettez-moi de vous parler très rapidement de mon expérience personnelle dans l'affaire Michael Kapoustin. Il était emprisonné en Bulgarie depuis 10 ans quand je suis entré en contact avec lui pour la première fois en 2005. Sa famille avait fait appel à moi.
    Par principe, j'ai décidé de l'aider, parce que j'étais frustré de la façon de travailler du gouvernement dans ce genre d'affaires et parce que c'était une histoire tellement pénible. Gar Pardy a aidé. Même s'il n'était plus à la tête des affaires étrangères, il a pris la question très au sérieux. Il s'est beaucoup démené pour essayer de nous aider. J'ai rencontré tout de suite M. Pardy pour lui demander ses conseils. Il m'est toujours de bon conseil. Il m'a dit: « Vous ne vous sortirez jamais de cette impasse sans l'intervention du premier ministre. »
    Je suis donc allé voir le secrétaire parlementaire du premier ministre, à l'époque, Jason Kenney, qui a eu la bonté de me recevoir. Il m'avait dit qu'il m'accorderait 20 minutes, mais m'en a accordé beaucoup plus en fin de compte. Je lui ai expliqué avec vigueur que les lois n'étaient pas respectées dans ce cas, qu'il y avait violation des droits de la personne, que le Canada avait pratiquement oublié cet homme après 10 ans et qu'il fallait faire quelque chose. Il m'a répondu qu'il était prêt à en parler au premier ministre et m'a demandé ce que nous devrions faire. Je lui ai recommandé que le premier ministre intervienne personnellement et je lui ai dit que M. Pardy, de par son expérience, croyait que c'était essentiel.
    En fin de compte, M. Kenney a été nommé envoyé spécial du premier ministre. Dès ce moment, il a communiqué avec moi pour discuter de la meilleure façon de procéder. Il a collaboré avec moi. Nous nous sommes entendus pour collaborer ensemble du début à la fin pour faire tout ce qu'il fallait pour M. Kapoustin.
    Je lui ai proposé de rencontrer avec moi le procureur général de la Bulgarie, soit le plus haut responsable du système judiciaire là-bas, et d'insister pour que M. Kapoustin soit libéré. M. Kenney a accepté. Il y est allé personnellement. Il m'a invité à me joindre à ses rencontres, ce qui est pratiquement sans précédent. J'ai énormément de respect pour lui et l'ouverture dont il a fait preuve. Pendant la rencontre, le procureur général s'est excusé abondamment de la façon dont M. Kapoustin était traité et a reconnu une chose étonnante: il a dit que le fait d'avoir laissé M. Kapoustin dans les prisons bulgares si longtemps constituait une forme de torture.
    Bien sûr, si l'on sait un peu comment les choses se passent dans ce genre de pays, cela ne veut pas dire grand-chose, parce que rien ne s'est passé ensuite. Il n'a pas été libéré. J'ai alors recommandé à M. Kenney d'évoquer la disposition sur la médiation qu'on trouve dans le traité de transfèrement entre la Bulgarie et le Canada. Il s'agit d'un traité du Conseil de l'Europe. Le Conseil de l'Europe peut intervenir dans ce genre de circonstances. Jamais les services consulaires n'avaient envisagé la chose jusque là.
    M. Kenney a accepté ma recommandation et a fini par se rendre à Strasbourg, où il m'a invité à me joindre à lui. Nous y avons rencontré les représentants les plus hauts placés. Je pense que nous avons réussi à les persuader parce que nous avions déjà beaucoup exercé de pressions sur la Bulgarie pour qu'elle fasse quelque chose. À partir de ce moment, j'ai cessé de participer aux rencontres, parce qu'il s'agissait de relations de gouvernement à gouvernement.
    En fin de compte, nous avons réussi à obtenir la libération de M. Kapoustin au bout d'environ deux ans et demi. Je n'ai aucun doute que nous la devons en très grande partie à l'intervention de haut niveau de M. Kenney, à sa volonté de prendre ces mesures créatives et à travailler en collaboration avec moi, mais permettez-moi de vous dire une dernière chose avant de m'arrêter. Je m'excuse de dépasser le temps imparti.
(1555)
    Tout au long de cette démarche, les représentants des services consulaires ont refusé de traiter avec moi. Ils n'ont pas voulu enclencher le processus de médiation au Conseil de l'Europe. Je crois que M. Kenney, bien que je ne puisse pas parler à sa place, a réussi à les persuader de le faire. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas mon appel qui a fait la différence. Même une fois le processus de médiation enclenché, la représentante du Canada au Conseil de l'Europe n'a pas voulu aller défendre la cause de M. Kapoustin, si bien que je suis retourné à Strasbourg pour la rencontrer.
    J'ai demandé à Peter Leuprecht, éminent militant pour les droits de la personne et ancien vice-président du Conseil de l'Europe, de m'accompagner. Je crois qu'il était à l'époque doyen de la Faculté de droit de l'Université McGill ou bien de l'Université de Montréal. J'ai demandé à M. Leuprecht d'expliquer à la représentante canadienne au Conseil de l'Europe en quoi consistait vraiment son rôle en pareille situation, question qu'elle comprenne bien qu'elle devrait songer sérieusement à intervenir au nom de M. Kenney dans ce dossier. Je peux vous dire très franchement que, tout au long de ces interactions, notre représentante cherchait surtout à ne pas offenser le gouvernement bulgare. Figurez-vous qu'elle ne voulait pas les froisser.
    Quoi qu'il en soit, M. Kapoustin a été finalement libéré, et je serai éternellement reconnaissant à M. Kenney pour le rôle qu'il a joué dans cette affaire.
    Je vais conclure en vous remerciant simplement du temps que vous m'avez consacré. Je suis désolé d'avoir été aussi direct. Je ne veux surtout pas manquer de respect envers nos agents des services consulaires, car je sais à quel point ils travaillent fort et efficacement. Je vous dirais toutefois qu'il y a un problème de leadership au sein du ministère, de même qu'un problème de culture, et qu'il faut absolument en discuter sur des tribunes publiques pour pouvoir rectifier le tir.
    Je vous remercie.
(1600)
    Merci beaucoup, Mes Peroff et Caroline.
    Nous passons directement aux questions des députés. Nous allons essayer de nous en tenir aux six minutes prévues pour chacun d'entre vous.
    Je cède d'abord la parole à M. O'Toole.
    Je remercie nos deux invités pour leurs témoignages très intéressants.
    Je vais d'abord m'adresser à vous, maître Caroline. Vous avez notamment indiqué qu'il est grand temps d'officialiser ces négociations qui se déroulent à l'abri des regards indiscrets. Je me demande si cela ne pourrait pas compliquer les choses dans certains dossiers où il est possible d'en arriver à un arrangement en vue d'une libération justement parce que la cause n'a pas été publicisée. Je pense notamment à l'affaire William Sampson sous l'égide d'un ancien gouvernement libéral. En fin de compte, il a pu être libéré dans le cadre d'un échange de prisonniers, mais il n'y a eu bien évidemment aucune discussion publique à ce sujet.
    Pouvez-vous nous dire si vous croyez que les négociations peuvent être rendues plus complexes lorsqu'une affaire est trop publicisée?
    Je pense que la mesure dans laquelle il convient de publiciser une cause dépend des circonstances. Lorsqu'il nous arrive, à Dean et à moi comme à d'autres, de préconiser une intervention plus directe du gouvernement ou des pressions accrues du ministère sur un État étranger, cela ne veut pas nécessairement dire que le tout doit se faire publiquement. Dans la plupart des cas, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de prendre position publiquement, si ce n'est via une déclaration générale, ce qui ne signifie pas que nous nous montrons laxistes dans nos interventions auprès de gouvernements qui très souvent, comme l'indiquait Dean, diffèrent fondamentalement du nôtre dans leur façon de traiter les gens.
    Dans toutes les causes dont je me suis occupé, j'ai toujours dû composer avec cette réticence à offenser un gouvernement étranger. Il arrive que des déclarations publiques plutôt nuisibles offensent un gouvernement étranger, mais on est parfois justifié de s'en prendre ainsi à ce gouvernement parce qu'il maltraite un citoyen canadien. On peut toutefois le faire en privé avec un maximum d'efficacité. Je crois que c'est ce qui nous préoccupe tous de ce côté-ci de l'équation: on semble totalement réticent à l'idée d'exercer des pressions au-delà d'une certaine limite diplomatique.
    Permettez-moi de vous interrompre. Vous avez indiqué clairement qu'il n'est pas toujours nécessaire de prendre publiquement position, mais qu'il arrive que ce choix soit perçu par certains comme une réticence à agir. Je pense qu'il faut faire comprendre aux gens que l'absence d'une prise de position publique ne signifie pas nécessairement que l'on est inactif dans un dossier. Partagez-vous cet avis?
    Certainement, mais dans les cas où il n'y a pas d'intervenants privés, d'avocats ou de représentants traitant avec les services consulaires du gouvernement, ces services peuvent agir essentiellement à leur guise, car aucune véritable surveillance éclairée n'est exercée.
    Dans les causes où l'on fait appel à nos services de protecteurs chevronnés, ils nous est tout de même difficile de convaincre les services consulaires de prendre les mesures qu'ils ne veulent pas prendre ou de nous tenir au fait de leurs actions. Je dois avouer que l'on a pu noter dans certains cas récents un léger changement de culture au sein du ministère qui témoigne d'une plus grande ouverture à l'égard de l'intervention d'un avocat au bénéfice de Canadiens détenus à l'étranger. C'est...
    Merci. Je dispose de très peu de temps, et j'ai aussi quelques questions pour Me Peroff.
    J'ai été étonné de vous entendre dire que nous devrions traiter les cas de détention injustifiée un peu comme nous traitons ceux de condamnation injustifiée au Canada. Qu'arrive-t-il dans les affaires où la détention est bel et bien justifiée?
    J'ai des réserves quant au règlement consenti par le gouvernement fédéral dans l'affaire Omar Khadr notamment du fait que personne n'oserait prétendre, si l'on ne tient pas compte des préoccupations quant aux conditions à Guantanamo, qu'il s'agissait d'un simple cas de détention injustifiée. Il y a assurément des actes terroristes qui ont été posés. Que faites-vous dans les cas semblables lorsqu'il y a tout lieu de s'interroger sur la façon dont on traite un individu dont la détention est justifiée?
    Comment vous y prenez-vous en pareilles circonstances? Je ne crois pas que l'on puisse simplement agir comme s'il y avait condamnation injustifiée à l'instar de l'affaire Milgaard. Qu'en pensez-vous?
(1605)
    On ne saurait trop insister là-dessus. Je suis tout à fait d'accord avec vous. J'ai fait valoir à quelques reprises dans mon exposé qu'il y avait lieu de s'inquiéter des atteintes aux droits de la personne d'une manière générale, et non seulement des cas de détention injustifiée. Je suis désolé d'avoir pu vous laisser cette impression. Par souci de simplicité, j'ai parlé de cas de détention injustifiée, lesquels ne représentent qu'une sous-catégorie parmi les situations d'atteinte aux droits de la personne motivée par des considérations politiques. Lorsqu'un Canadien est victime de mauvais traitements, que ce soit dans le système judiciaire ou à l'extérieur, il faut intervenir et le défendre.
    Non. Je voulais seulement des précisions à ce sujet.
    D'accord.
    Nous pouvons penser au cas de William Sampson. Je ne sais plus trop si c'est M. Dion qui était ministre à l'époque au sein du gouvernement Chrétien, mais des fonctionnaires canadiens ont assisté à l'interrogatoire de Sampson en Arabie saoudite, où il avait été maltraité ou torturé.
    Oui.
    Il a été par la suite libéré. Il semblait y avoir détention injustifiée, mais il n'a été, à ma connaissance, aucunement indemnisé à cet égard, comme il l'aurait été dans un cas de condamnation injustifiée. Faudrait-il traiter un cas semblable comme une condamnation injustifiée parce que les conditions de détention nous posaient problème?
    Je dirais que l'on peut diviser les cas semblables en deux sous-catégories. Il y a d'abord ceux où la procédure judiciaire n'est pas équitable comme celui où M. Kenney a dû intervenir. Il a d'ailleurs indiqué publiquement que c'est ce qui l'avait incité à agir. Il y a par ailleurs d'autres cas où l'on porte atteinte aux droits de la personne et pour lesquels la procédure judiciaire n'est pas nécessairement non plus équitable. Dans une situation comme dans l'autre, les façons de faire me semblent tout à fait répréhensibles et exigent une intervention de la part du gouvernement canadien.
    Merci.
    Nous passons à M. Levitt.
    Merci beaucoup, messieurs, d'être venus témoigner devant nous.
    J'aimerais apporter une précision aux fins du compte rendu avant de poser mes questions à nos témoins d'aujourd'hui. C'est concernant les déclarations de témoins précédents au sujet des droits à payer pour les services consulaires.
    Les droits ainsi perçus sont rendus publics annuellement dans les rapports sur les résultats ministériels, en même temps que les coûts associés au programme consulaire. Je pourrai d'ailleurs fournir à vos analystes ou à votre greffière ces tableaux qui indiquent qu'au fil des quatre derniers exercices financiers, les coûts des services consulaires ont toujours nettement dépassé les droits perçus à cet égard. Je demande à nos analystes de bien vouloir en prendre bonne note, car cette préoccupation a déjà été soulevée.
    Avez-vous des questions pour nos témoins, monsieur Levitt?
    Oui. Merci, messieurs.
    De nombreux témoins ont déploré l'absence de mécanismes judiciaires modernes pour la gestion des services consulaires à l'échelle internationale. Le seul véritable traité exhaustif est la Convention de Vienne dont un seul des quelque 60 chapitres traite des obligations des services consulaires, à savoir qu'ils doivent être facilement accessibles et fournir en temps utile l'information nécessaire.
    De toute évidence, il était impossible pour les rédacteurs de la Convention de Vienne de prévoir certains des problèmes qui se posent actuellement. Y a-t-il d'autres mécanismes, juridiques ou non, que nous pourrions selon vous envisager à cette fin? Je vous serais reconnaissant de bien vouloir éclairer ma lanterne à ce sujet.
    D'accord, je vais commencer.
    C'est justement l'absence d'autres mécanismes efficaces qui nous incite à préconiser une intervention politique.
    Le droit international est terriblement déficient en matière de défense des personnes. Il existe toutes sortes de traités qui assurent en théorie la protection des droits de la personne, mais les mécanismes effectivement en place pour garantir cette protection sont tout simplement lamentables. Il est même difficile de mettre en application les règles onusiennes, que j'ai invoquées à maintes reprises au nom de clients de toute la planète, et ce, même lorsque j'obtiens un jugement favorable. C'est un autre des facteurs qui m'incitent à épouser cette cause avec autant de passion. Des Canadiens se retrouvent abandonnés et oubliés, victimes du protocole diplomatique, et nous ne faisons rien pour défendre leurs droits.
(1610)
    Je pourrais ajouter une précision ou deux. Bien évidemment, nous ne pouvons pas faire grand-chose en ce qui a trait au développement des instruments internationaux. Nous contrôlons toutefois un peu mieux ce qui se fait au Canada à l'interne, et nous tenons, Dean et moi, à ce que vous sachiez bien que nos critiques à l'endroit du ministère se veulent constructives. Cependant, tant et aussi longtemps que le ministère continuera d'agir en vase clos sans vouloir communiquer avec les gens sur le terrain qui défendent les Canadiens se retrouvant dans une situation semblable, il sera difficile d'envisager de véritables progrès dans notre pays.
    Il y a un autre élément qui retient collectivement notre attention, du moins du côté des défenseurs des droits. Le Canada est maître de ses propres lois. Le Parlement est suprême. Aucune loi du Parlement ne garantit ou tout au moins ne prévoit l'obligation légale pour le ministère ou le gouvernement de fournir des services consulaires. Je suis bien certain que les gens du ministère vous diraient qu'ils mettent tout en oeuvre pour venir en aide à tous les Canadiens qui se retrouvent coincés dans ce genre de situation. Je crois toutefois que c'est le choc des problématiques et des forces concurrentes qui peut faire progresser les choses et initier le changement. Tant et aussi longtemps que toutes ces questions seront réglées en vase clos à l'interne, il sera toutefois difficile d'envisager quelque progrès que ce soit.
    Merci.
    Dans le même ordre d'idée, vous vous êtes tous les deux occupés de dossiers plus ou moins complexes au fil des ans. Pourriez-vous nous dire quels changements — géopolitiques ou technologiques — sont intervenus au sein du système au cours des 15 dernières années, par exemple, et de quelle manière ces changements ont façonné ou compliqué les choses dans les dossiers liés aux services consulaires? Quels sont les grands bouleversements qui vous ont obligés à vous adapter dans le traitement de ces cas?
    Je vais laisser mon aîné vous répondre.
    Je n'aime pas tellement être qualifié d'aîné.
    Je suis désolé, mais je ne suis pas certain d'avoir bien compris la question. Vous parliez de transformations géopolitiques.
    Oui, je pense essentiellement au contexte général avec les Canadiens qui voyagent plus fréquemment à l'étranger, la montée des protagonistes non étatiques et l'évolution technologique rapide que nous avons connues au cours des 15 dernières années, et je me demande en quoi cela a pu compliquer votre travail dans les dossiers liés aux services consulaires.
    Je me suis occupé de l'affaire Kapoustin qui s'est déroulée de 2005 à 2008. C'est également un aspect qui me touche du fait que j'ai contribué à cette mondialisation en travaillant au fil des ans dans de nombreux dossiers un peu partout dans le monde. À mes yeux, c'est une simple progression dans l'évolution normale des choses. Conformément à ce que vous venez d'indiquer, tout se mondialise de plus en plus.
    Il en ressort — et je suis totalement d'accord avec les représentants des services consulaires qui se sont prononcés à ce sujet — que cette explosion de la mondialisation sous tous les aspects a fait croître la prévalence du problème. Je vous dirais toutefois qu'il y a un problème qui est encore plus fondamental. De trop nombreux gouvernements — et pas seulement celui du Canada — privilégient les relations internationales au détriment de la protection qu'ils devraient accorder à leurs ressortissants à l'étranger. Cela laisse le chemin tout à fait libre aux gouvernements corrompus.
    J'ai bien peur que nos gouvernements deviennent ainsi en quelque sorte des complices. Ce n'est pas volontaire de leur part, mais un gouvernement étranger peut voir dans leur non-intervention en faveur de leurs ressortissants un signe de faiblesse dont il pourra tirer avantage. Ce n'est pas pour rien qu'il faut remuer ciel et terre aux plus hauts niveaux dans certaines affaires qui perdurent.
(1615)
    Merci.
    Nous passons à Mme Laverdière.

[Français]

     Merci beaucoup, monsieur le Président.
    Je vous remercie infiniment tous les deux d'être ici avec nous aujourd'hui et de nous fournir ces témoignages.
    J'ai été frappée par deux commentaires.
    Maître Peroff, vous avez mentionné que, à Affaires mondiales Canada, vous vous heurtez souvent à un refus de collaborer avec le conseiller juridique. De prime abord, cela semble tout à fait contre-productif. Si deux entités travaillent à un dossier, ce serait logique qu'elles coopèrent. Maître Caroline, vous avez aussi parlé d'une culture du secret.
    Pouvez-vous nous donner les raisons invoquées par les affaires consulaires pour ne pas collaborer avec les conseillers juridiques? Pouvez-vous développer votre pensée sur ce que vous appelez en quelque sorte un abus du secret et de la protection de la vie privée?

[Traduction]

    Je dois vous dire qu'il est rare que l'on nous donne les raisons pour lesquelles on refuse de coopérer, mais je voudrais qu'une chose soit bien claire. Le problème débute au moment où l'autorisation doit être donnée. Pour vous montrer à quel point la situation est grave, sachez que c'est la position officielle adoptée par les services consulaires.
    Très souvent, il est impossible pour un Canadien victime de mauvais traitements à l'étranger de faire savoir aux services consulaires que sa famille a retenu mes services ou ceux de Me Caroline. Les gens du gouvernement refusent alors de nous parler, même si la famille au Canada fait valoir qu'il est impossible pour l'individu en détresse de s'adresser aux représentants gouvernementaux pour obtenir l'aide dont il a besoin, et qu'il faudrait permettre à Me Peroff ou à Me Caroline d'intervenir. On nous répond alors machinalement que l'on ne peut pas traiter avec nous.
    Permettez-moi de vous donner un exemple tout à fait éloquent. Je me suis occupé du cas d'un ressortissant chinois qui est également citoyen canadien, le genre de dossier le plus délicat que l'on puisse imaginer en Chine. Le pauvre type était en fuite en Chine. Il ne pouvait pas transmettre officiellement son autorisation. Les gens des services consulaires refusaient de me parler. J'ai demandé l'aide de Me Pardy.
    J'ai finalement pu obtenir des hauts fonctionnaires des services consulaires qu'ils organisent un appel conférence à partir d'Ottawa avec leur consulat dans une région de Chine. J'ai demandé à mon client de se rendre à ce consulat pour que les gens à Ottawa puissent l'entendre dire depuis la Chine qu'il était en détresse et qu'ils devaient traiter du dossier avec moi. C'est ce que j'ai dû faire dans ce cas particulier.
    Dans cette situation d'urgence, plusieurs jours se sont écoulés avant que cette formalité ne puisse être remplie, ce qui n'a pas eu grande importance en fait, car rien ne s'est produit par la suite.
    Je prends trop de votre temps. Je suis désolé.
    Non, c'est bien; aucun problème.

[Français]

     Maître Caroline, avez-vous des commentaires à formuler sur cette culture du secret?

[Traduction]

    et ce que vous qualifiez de recours inapproprié aux lois pour la protection de la vie privée?
    C'est une utilisation plutôt étrange de la loi. C'est une forme de dissimulation fondée essentiellement sur une interprétation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous abordons la situation comme s'il s'agissait d'un problème systémique lié à la culture organisationnelle. Toutes nos remarques ne sont pas dirigées vers les gens formidables qui travaillent au sein du ministère. C'est l'influence omniprésente de l'histoire qui les empêche essentiellement de faire les choses comme ils souhaiteraient les faire d'après moi s'ils pouvaient agir à leur guise. Ce sont des gens très compétents.
    À titre d'exemple, on nous répond systématiquement que la loi ne permet pas aux employés du ministère de discuter de questions touchant la vie privée de leurs clients. Eh bien, ce sont nos clients également. Dean a parlé de la permission à obtenir. Je me suis heurté au même obstacle. J'ai pu constater — ce qui montre bien encore une fois qu'il s'agit d'un problème de culture ou de système — que plus un agent des services consulaires s'intéresse directement à un dossier, plus il risque de nous demander des choses effarantes. Ces agents travaillant dans une ambassade ont beaucoup moins de pouvoir discrétionnaire, ou ont l'impression de ne pas pouvoir faire grand-chose dans un dossier, et peuvent donc demander des choses inouïes comme de faire signer un document pour l'ambassade par un détenu canadien que les autorités gardent en isolement. C'est tout simplement impossible.
    Ce sera beaucoup moins problématique si vous allez plus haut dans la chaîne de commandement du ministère, où les gens sont plus expérimentés et davantage disposés à courir des risques, car ils agissent non pas uniquement en fonction de leurs perceptions personnelles quant à la façon de faire progresser un dossier, mais aussi à la lumière de leur vaste expérience qui leur permet de savoir jusqu'où il est possible d'aller.
    Si vous vous adressez à la haute direction — et je généralise beaucoup, car je sais qu'il y a eu des changements récemment — vous constaterez que ces gens-là ont pour rôle de maintenir la culture en place. Je n'ai pas encore rencontré un dirigeant qui cherchait à déterminer les moyens à mettre en oeuvre pour offrir un service plus efficient et plus complet aux Canadiens qui se retrouvent dans cette pénible situation.
    Chaque cas est unique, mais il y a aussi des façons de faire différentes au sein du ministère, selon le niveau. C'est ainsi que l'on ne parvient pas à optimiser l'intervention du gouvernement lui-même dans ces cas difficiles.
(1620)
    Merci.
    Passons à M. Saini.
    Bonjour, messieurs. Je suis ravi de vous voir au Comité.
    J'aimerais tout d'abord revenir sur ce que vous avez dit, maître Caroline, au sujet de la protection des renseignements personnels. Je siège aussi au Comité de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels ici à Ottawa, et nous venons de réaliser un examen de la Loi sur la protection des renseignements personnels. J'aimerais seulement vous entendre sur un sujet. Dans des cas précis, il y a une dérogation dans l'intérêt public; il peut s'agir de cas critiques ou de questions de santé publique ou de sécurité nationale, mais nous outrepassons le droit à la protection de la vie privée d'une personne. Que pensez-vous de cette disposition de dérogation? Est-ce quelque chose que vous défendez? Est-ce que vous considérez comme nécessaire d'outrepasser ce droit dans l'intérêt public dans un tel cas? Vous avez mentionné qu'il arrive parfois que les affaires consulaires soient réticentes à communiquer de l'information.
    En ce qui concerne la question de la protection des renseignements personnels, les lois ne s'appliquent pas seulement au ministère qui nous préoccupe. À titre d'avocats, nous devons composer avec ces lois tout le temps. Il y a des exceptions dans les lois fédérale et provinciales sur la protection des renseignements personnels qui permettent l'échange d'information dans les situations dont nous parlons. À mon avis, c'est une question d'interprétation. Si cet aspect pouvait être plus précis dans les lois, ce serait bien, mais je ne pense même pas que des changements législatifs sont nécessaires. Je crois que le problème est que le ministère et l'ensemble du gouvernement, parce que je ne crois pas que c'est seulement au ministère des Affaires étrangères que c'est un problème, ont une vision très étroite de la communication de renseignements personnels avec des avocats.
    J'aimerais seulement ajouter qu'à mon avis dans la majorité des cas une disposition de dérogation n'est pas nécessaire. Il s'agit de la protection des renseignements personnels du client. Les clients dans la majorité des cas dont je me suis occupé autoriseraient volontiers le gouvernement à parler, parce que le client comprend évidemment que c'est dans son intérêt.
    C'est un exercice tout simple. Voilà pourquoi j'avance que cette préoccupation relative à la protection des renseignements personnels sert de couverture, et je crois que c'est particulièrement flagrant dans le cadre d'un examen comme celui-ci. Quand des agents consulaires témoignent devant le Comité et qu'ils affirment qu'ils ne parleront pas de cas précis, je me permets de demander qui sont ces gens pour dire cela.
    Comment pourrons-nous autrement faire toute la lumière sur ce que nous avançons être le problème si nous ne pouvons pas discuter de cas précis? Je peux vous garantir qu'il y a une foule de Canadiens qui ont vécu de mauvaises expériences à l'étranger et qui seraient ravis de signer des renonciations à la protection de la vie privée pour nous donner accès à leur dossier et nous donner l'occasion de réaliser un examen juste de la situation.
(1625)
    Donc...
    J'invoque le Règlement, parce que je suis conscient que nous arrivons à la fin du temps prévu à l'horaire. Si les témoins sont d'accord, étant donné que nous avons deux des plus éminents membres du Barreau qui s'occupent de tels dossiers, pouvons-nous prolonger nos délibérations pour faire une deuxième série de questions et avoir une autre demi-heure avec les témoins?
    J'ai consulté mes collègues au sujet du rapport dont il sera question dans la deuxième partie, et les conservateurs n'ont pas grand-chose à ajouter. M. Aboultaif a seulement quelques commentaires. Avec l'aval du Comité, j'aimerais prolonger nos délibérations pour faire une autre série de questions avec ces excellents témoins.
    Cela dépend vraiment de la volonté du Comité. Plaît-il au Comité de continuer avec les témoins et de faire une autre série de questions, ce qui prendra un peu moins d'une demi-heure?
    D'accord. Comme je ne vois aucun...
    J'ai une personne qui est ici pour la deuxième partie, et je crois qu'il serait judicieux de nous arrêter là pour nous assurer de terminer aujourd'hui l'étude portant sur l'Initiative canadienne de financement du développement. J'aurais donc tendance à jouer de prudence et à ne pas modifier l'horaire.
    Comme nous n'avons pas le consentement unanime du Comité pour prolonger les délibérations, nous nous en tiendrons à notre horaire.
    Merci, monsieur O'Toole.
    La parole est à M. Saini.
    À votre avis, si le commissaire à la protection de la vie privée avait le pouvoir de se prononcer concernant certains cas individuels, étant donné que vous parlez d'un domaine où chaque cas est assez unique, cela serait-il utile d'une certaine manière?
    Gary.
    Je ne suis pas certain que ce le serait. Tout examen ou toute intervention externe par un haut fonctionnaire du Parlement serait utile en général.
    Honnêtement, si une personne n'est pas représentée par un avocat dans de telles situations — je m'exprime encore en tant qu'avocat —, la situation serait très différente. Cependant, dans la majorité des cas dont je me suis occupé, j'ai réussi à m'entendre avec les représentants ministériels. J'ai toutefois 30 ans d'expérience dans le milieu; c'est donc plus facile pour moi d'essayer de convaincre un autre que ce l'est pour une personne qui n'est pas représentée par un avocat. Cela ne fait aucun doute.
    Votre idée est peut-être bonne. Ce serait peut-être utile pour une personne qui n'est pas représentée par un avocat d'avoir l'option d'obtenir de l'aide en communiquant, par exemple, avec un commissaire.
    J'ai une dernière question. Vous avez mentionné avoir 30 ans d'expérience, et Me Peroff a probablement aussi beaucoup d'expérience. Je ne vais pas essayer de deviner le nombre d'années.
    Voici ma question. Vous comprenez probablement la façon dont d'autres régimes et d'autres pays gèrent leurs affaires consulaires. Selon vous, y a-t-il d'autres pays que nous devrions étudier? La Cour pénale internationale a-t-elle pris des décisions que nous devrions analyser ou y a-t-il des avancées en la matière? Plus important encore, étant donné que vous avez des années d'expérience, y a-t-il des pays que nous devrions peut-être suivre ou examiner plus attentivement?
    Allez-y, Dean.
    Je dirais que, lorsqu'un Canadien semble en détresse à l'étranger, parce que ses droits de la personne ont été violés ou qu'il est détenu illégalement, plus rien d'autre n'a vraiment d'importance.
    Je dis que cela peut survenir dans pratiquement n'importe quel pays outre... C'est plus facile de nommer les pays qui sont probablement corrects que de vous dire les pays qui sont un problème, parce que la majorité des pays sont un problème. Si vous ne vous trouvez pas au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Royaume-Uni, dans certaines régions de l'Europe occidentale et en Australie, cela peut se produire n'importe quand et n'importe où.
    J'ai récemment eu un cas à la Barbade, soit un pays avec lequel le Canada a signé une convention fiscale, en ce qui concerne un homme d'affaires canadien. Il s'agissait d'un très grave cas de détention illégale. Je suis au courant d'un autre dossier où on a fait appel à mes services après les faits. Cela concernait une île des Caraïbes, et une personne tenait une réception de mariage et elle a été détenue illégalement de diverses manières. Bref, cela peut survenir partout, parce que pratiquement tous les autres pays ont une primauté du droit très discutable, voire inexistante.
(1630)
    Merci beaucoup.
    Chers collègues, voilà qui conclut notre heure.
    Je tiens à remercier chaleureusement Mes Caroline et Peroff d'avoir participé à ces discussions importantes, car c'est bien ce que c'était, et nous avons hâte aux prochaines discussions.
    Chers collègues, je vais suspendre nos travaux quelques minutes pour nous préparer à la séance à huis clos concernant l'Initiative canadienne de financement du développement.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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