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Bienvenue à tous. Je suis heureux de tous vous revoir après notre semaine de pause.
Le 10 est toujours pour moi un chiffre chanceux, et nous allons tenir aujourd'hui notre 10e réunion faisant suite à la motion du 27 octobre 2020.
Nous aurons droit à deux séances d'information. La première porte sur la situation au Cameroun du Sud, et la seconde traitera de l'Éthiopie.
Je rappelle à tous que j'agiterai ce carton pour indiquer qu'il ne reste qu'une trentaine de secondes à la période allouée à un député pour poser ses questions à nos témoins. Vous devrez alors conclure.
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette plateforme — comme c'est peut-être le cas pour nos témoins —, vous trouverez au bas de votre écran une icône de globe terrestre vous permettant de choisir entre l'interprétation en anglais ou en français.
Je vais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous accueillons d'abord Mme Hannah Garry, directrice de la clinique des droits internationaux de la personne à la Gould School of Law de l'Université de la Californie du Sud. Nous recevons aussi M. Christopher Fomunyoh, associé principal et directeur régional des programmes pour l'Afrique centrale et de l'Ouest au National Democratic Institute for International Affairs. Est également des nôtres M. Efi Tembon, directeur général et président du groupe de travail sur le Cameroun au sein du Oasis Network for Community Transformation.
Vous avez droit à cinq minutes chacun pour nous présenter vos observations préliminaires, après quoi nous passerons aux questions des membres du Comité.
Nous commençons par Mme Garry.
Vous avez cinq minutes.
Bonsoir, honorables membres du Sous-comité. C'est un véritable privilège pour moi de pouvoir faire le point avec vous sur la situation au Cameroun. Je suis vraiment ravie d'en avoir l'occasion.
Comme on vous l'a indiqué, je suis directrice et fondatrice de la clinique des droits internationaux de la personne de la Gould School of Law de l'Université du Sud de la Californie. Nous formons des étudiants pour la représentation en justice et la défense des droits fondamentaux de tous les êtres humains. De plus, j'enseigne le droit pénal international et la justice transitionnelle. J'ai été conseillère juridique et adjointe au chef de cabinet au sein des tribunaux qui se sont penchés sur la situation en Yougoslavie et au Rwanda. J'ai aussi été professeure invitée à la Cour pénale internationale; avocate à titre d'intervenante désintéressée lors des audiences de la Cour pénale internationale sur l'Afghanistan; et avocate principale au Tribunal spécial pour le Cambodge.
Relativement à la situation qui vous intéresse, notre clinique s'emploie depuis la fin de 2017 à attirer l'attention sur la crise qui sévit dans les régions anglophones du Cameroun. Nous soumettons des mémoires factuels et juridiques détaillés aux responsables des instances internationales et régionales pour documenter de graves atteintes au droit international de la personne. Nous nous sommes de plus employés à tenir le Congrès des États-Unis et les départements d'État et du Trésor au fait de la situation. Notre clinique prépare actuellement un rapport détaillé sur les sévices dont continue d'être victime la population civile anglophone. Pour ce faire, nous avons notamment mené des entrevues en profondeur avec des dizaines de réfugiés dans le but d'alimenter les enquêtes dont leurs agresseurs pourraient éventuellement faire l'objet.
Quelle est la situation qui prévaut actuellement au Cameroun? Dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest, c'est carrément l'atrocité qui règne. On y observe une vague systématique et généralisée de crimes contre l'humanité à l'encontre de la population civile et de violations graves du droit international humanitaire, ou du droit de la guerre, au détriment de civils qui ont le statut de personnes protégées, ce qui équivaut à des crimes de guerre. Certains organismes non gouvernementaux nous mettent désormais en garde contre un génocide imminent.
La crise armée qui perdure a débuté en 2016 lorsque les forces de sécurité ont violemment pris à partie les manifestants participant à des protestations pacifiques à grande échelle organisées par des avocats et des enseignants anglophones pour dénoncer les politiques discriminatoires en vigueur au sein des systèmes juridique et scolaire. Après quatre années de troubles civils qui ne cessent de s'intensifier entre les forces gouvernementales et des groupes armés non étatiques, le Cameroun se retrouve maintenant au bord d'une catastrophe pour l'humanité qui est exacerbée par la pandémie de COVID-19.
Plus de 200 villages ont été complètement rasés. Selon les estimations sur le terrain, les massacres à répétition ont causé la mort de quelque 5 000 à 6 000 personnes. Il faut ajouter à cela les disparitions forcées, la détention arbitraire, la torture, le viol et d'autres actes de violence sexuelle. Au total, plus de 700 000 civils ont dû quitter leur domicile et quelque 60 000 personnes ont trouvé refuge au Nigeria de l'autre côté de la frontière alors que des dizaines de milliers d'autres se sont réfugiées ailleurs dans le monde. On estime que 81 % des enfants des régions anglophones, soit plus de 800 000, n'ont pas pu aller à l'école depuis 2017. Au cours des deux dernières années, le Cameroun a été au sommet de la liste publiée par le Norwegian Refugee Council pour les pays dont l'état de crise passe le plus inaperçu. On y trouve pas moins de trois millions de personnes ayant besoin d'une aide humanitaire.
Que doit-on faire? D'abord et avant tout, il faut mettre fin à la violence. Depuis trop longtemps, plus de quatre ans maintenant, la communauté internationale reste les bras croisés ou ne prend pas des mesures correspondant à l'atrocité de la situation qui se déroule devant ses yeux. Nous devons absolument agir pour éviter d'en arriver à un véritable génocide. De plus, il faut que les coupables de ces exactions aient des comptes à rendre.
Nous demandons respectueusement au gouvernement du Canada de travailler de pair avec les pays membres de l'Union africaine et les gouvernements occidentaux concernés, comme ceux des États-Unis, du Royaume-Uni et des États membres de l'Union européenne, et tout particulièrement la France, pour prendre les mesures proposées ci-après afin d'apporter une solution à la situation qui sévit au Cameroun.
Premièrement, il convient d'adopter des résolutions fermes comme la résolution 684 votée le 1er janvier 2021 par le Congrès des États-Unis pour condamner les violations graves des droits de la personne qui perdurent et exiger l'imposition de sanctions en vertu de la loi mondiale Magnitsky contre les coupables des deux camps pour bien montrer que la communauté internationale est aux aguets.
Deuxièmement, il faut imposer les sanctions prévues dans la loi Magnitsky en coordination avec les autres gouvernements afin de favoriser un cessez-le-feu et des pourparlers pouvant mener à une résolution pacifique du conflit.
Troisièmement, on devrait envisager la possibilité d'agir à titre de médiateur neutre, peut-être dans le cadre d'une coalition d'États, afin de faciliter un dialogue ouvert entre les parties pour mettre fin au conflit.
Quatrièmement, il faut appuyer les efforts déployés pour établir une commission d'enquête sur les atrocités commises, le tout sous l'égide des Nations unies ou de l'Union africaine.
Enfin, il convient de faire le nécessaire pour que les coupables de ces crimes atroces ne puissent plus s'en tirer en toute impunité devant les tribunaux, que ce soit en appuyant une action à l'encontre du Cameroun devant la Cour de justice internationale ou en demandant à des instances judiciaires nationales, régionales ou internationales, comme la Cour pénale internationale, de mener les enquêtes sur les présumés coupables.
En conclusion, nous exhortons le Canada à jouer un rôle de premier plan en intervenant pour régler la situation au Cameroun à titre d'État membre du Commonwealth qui contribue à l'aide humanitaire et à l'assistance à la sécurité offertes à ce pays. Il est essentiel de restaurer la paix et la justice au Cameroun, non seulement en raison des nombreuses victimes des atrocités qui ont cours, mais aussi dans un effort pour mieux stabiliser cette région du monde, enrayer les afflux de réfugiés et faciliter la lutte contre le terrorisme.
Je vous remercie de votre attention et je serai ravie de répondre à vos questions.
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Monsieur le président et honorables députés, je vous remercie de m'avoir offert cette occasion de m'adresser à vous sur le conflit armé au Cameroun et sur le rôle que le Canada pourra jouer pour contribuer à une résolution définitive de ce conflit ainsi qu'à un règlement des doléances légitimes et réelles des anglophones.
Je ferai mon exposé préliminaire en anglais, mais je pourrai répondre aux questions en anglais ou en français, selon vos besoins respectifs.
[Traduction]
Pour faire suite à l'exposé de Mme Garry, je voudrais seulement faire une mise à jour concernant le nombre d'enfants qui ne peuvent pas fréquenter l'école. Il est maintenant passé de 800 000 à 1,1 million.
Comme Mme Garry vous a déjà brossé le portrait de la situation actuelle, je vais passer directement aux causes profondes de la crise. On pourrait résumer en indiquant qu'elle tire son origine de la réunification bâclée, le 1er octobre 1961, de l'ancien Cameroun méridional britannique avec la République du Cameroun pour former la République fédérale du Cameroun. La situation n'a cessé de s'aggraver au fil des ans en raison de la mauvaise foi des dirigeants francophones du gouvernement central qui s'efforcent d'assimiler la minorité anglophone à la majorité francophone. Depuis le 1er octobre 1961, le Cameroun a eu seulement deux présidents, tous les deux francophones et ardents partisans d'un régime gouvernemental jacobin fortement centralisé.
C'est ainsi que la frustration et le mécontentement ont pris de l'ampleur pendant des décennies dans les rangs anglophones, surtout en raison des actions gouvernementales. Notons tout d'abord à ce chapitre la dissolution en mai 1972 de la République fédérale du Cameroun pour la remplacer par la République unie du Cameroun. Ensuite, le nom du pays a été changé en février 1984 pour passer de République unie du Cameroun à République du Cameroun, soit celui du territoire qui a obtenu son indépendance de la France le 1er janvier 1960. Troisièmement, c'est en octobre 1992 que s'est tenue la première élection présidentielle démocratique de l'histoire du Cameroun pour en arriver à un résultat contesté par bon nombre des partisans d'un candidat anglophone qui a été déclaré deuxième alors qu'on pensait qu'il avait gagné la course. Enfin, l'amendement constitutionnel d'avril 2008 a supprimé les limites imposées quant à la durée du mandat présidentiel ce qui permet à Paul Biya, président actuellement au pouvoir, de le demeurer à vie.
Il y a trois éléments qui me préoccupent principalement et sur lesquels je souhaiterais attirer l'attention du Comité.
Il y a premièrement la propension du gouvernement à recourir à la brutalité et à la force militaire en réponse aux griefs pourtant sincères, légitimes et politiques des anglophones. Deuxièmement, il y a l'intoxication incessante des esprits et l'amplification du mécontentement et de la polarisation en raison des massacres et des atrocités commises dans l'ancien Cameroun méridional britannique. Je m'inquiète en troisième lieu de l'attitude plutôt tiède de la communauté internationale qui s'est contentée de quelques rares déclarations avant l'adoption récente de la résolution 684 par le Congrès des États-Unis le 1er janvier 2021.
Voici maintenant mes recommandations.
Honorable président, mesdames et messieurs les membres du Comité, le Canada est particulièrement bien placé pour contribuer à la fin du conflit armé et à la recherche d'une solution négociée s'attaquant aux causes profondes de la crise. Le Canada peut s'enorgueillir du travail accompli pour gérer la diversité et le patrimoine culturels ainsi que pour assurer le maintien de la paix. Le Canada est le seul pays à être, à l'instar du Cameroun, à la fois membre du Commonwealth et de la francophonie. Il a su établir avec de nombreux pays africains et européens des relations de respect mutuel qu'il pourrait maintenant mettre à contribution pour que l'on fasse cesser les massacres et les atrocités commises actuellement au Cameroun.
Je vous soumets donc les trois recommandations suivantes.
Premièrement, il convient de demander une cessation immédiate des hostilités, et un engagement public du gouvernement camerounais et des acteurs non étatiques à entreprendre des négociations avec médiation par une tierce partie.
Deuxièmement, nous sollicitons vos bons offices pour que vous encouragiez la France à utiliser sa position privilégiée auprès du gouvernement du Cameroun afin d'inciter celui-ci à s'engager dans des négociations pour la paix visant à mettre un terme à ce conflit et à régler ses causes profondes.
Troisièmement, on doit imposer des sanctions ciblées aux coupables des massacres, des actes de torture et des autres atrocités perpétrées depuis le début de cette crise qui perdure.
Quatrièmement, nous exhortons le Canada à se servir de la position qu'il occupe au sein d'organisations multilatérales comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la Banque africaine de développement et même l'OTAN pour veiller à ce que les ressources octroyées au Cameroun à des fins de développement ne soient pas détournées pour servir à une guerre contre un peuple dont le seul crime est de représenter une minorité ayant une histoire distincte et des revendications politiques sincères.
Merci pour le temps et l'attention que vous m'avez consacrés.
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Honorables députés, je vous suis vraiment reconnaissant de me permettre de prendre la parole aujourd'hui pour vous parler de la situation au Cameroun du Sud.
En 2016, une crise majeure a éclaté, résultat d'un mouvement de protestation civile contre l'oppression systémique au Cameroun du Sud et de ce que la plupart des habitants de la région qualifient de recolonisation. Au lieu d'engager un dialogue pacifique, le gouvernement du Cameroun a coupé l'accès à Internet et fait usage d'une force disproportionnée et d'hélicoptères de combat contre des manifestants pacifiques non armés, ce qui a provoqué de nombreux décès. Les manifestations se sont poursuivies, et les tueries également. Les Camerounais du Sud ont formé des groupes armés et ont commencé à répliquer. Le président du Cameroun a alors déclaré la guerre.
Le tout a débouché sur une situation véritablement chaotique avec des massacres et des crimes de toutes sortes. Comme mes collègues vous l'ont déjà indiqué, des milliers de personnes ont ainsi perdu la vie. Des centaines de milliers ont été déplacées à l'intérieur du pays. On compte quelque 100 000 réfugiés dans les pays avoisinants, et les enfants ne sont pas allés à l'école depuis quatre ans.
Certains analystes ont qualifié ce conflit de « Rwanda au ralenti » en raison des tueries de masse, des exécutions sommaires et extrajudiciaires et des violations endémiques des droits de la personne. Il existe des preuves irréfutables que la population du Cameroun du Sud est actuellement victime d'atrocités systématiques. Ces atrocités constituent des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Le concept de « responsabilité de protéger » tire son origine du Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États qui a été mise sur pied par le gouvernement canadien en décembre 2001. La Commission avait pour but de veiller à ce que la communauté internationale ne soit plus jamais incapable de stopper des génocides, des crimes de guerre, des nettoyages ethniques et des crimes contre l'humanité. Malheureusement, les gouvernements occidentaux ont jusqu'ici fait passer leurs intérêts économiques avant les droits de la personne dans leurs rapports avec le gouvernement Biya, et ils agissent comme de simples spectateurs devant des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. En ne faisant rien, ces pays appuient sans réserve les atrocités commises.
Le Canada peut faire exception à la règle. Il est urgent que la communauté internationale assume sa responsabilité de protéger, facilite les négociations pour s'attaquer aux causes profondes du conflit, mène une enquête internationale et cite les auteurs de ces atrocités devant la Cour pénale internationale.
Nous demandons que ce comité et le gouvernement canadien invoquent la doctrine de la responsabilité de protéger au Cameroun du Sud et exigent le recours à la médiation internationale pour s'attaquer aux causes profondes du conflit et faire progresser le Cameroun du Sud vers l'autodétermination.
Nous prions également ce comité et le gouvernement du Canada de demander au Commonwealth d'expulser le Cameroun de l'organisation et d'exiger l'imposition de sanctions internationales contre les dirigeants camerounais et tous ceux qui se rendent coupables de telles atrocités à l'encontre des Camerounais du Sud. Nous vous demandons en outre de saisir la Cour pénale internationale de cette affaire de telle sorte que les auteurs de ces crimes aient des comptes à rendre.
Merci beaucoup.
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Merci beaucoup, monsieur Tembon.
Merci à tous nos témoins pour vos déclarations préliminaires.
Je veux seulement rappeler aux membres du Comité que nous devrons participer à un vote virtuel dans environ 25 minutes. Dès que nous entendrons l'appel pour ce vote, nous interromprons nos travaux. Nous allons tous voter aussi rapidement que possible et nous reconnecter immédiatement sur cette plateforme... Je ne sais même pas s'il est nécessaire que nous quittions la plateforme. Est-ce que notre greffière peut nous le confirmer?
Nous pouvons simplement rester connectés et participer au vote pour reprendre notre séance immédiatement après. L'exercice va gruger une partie de notre temps, mais je l'ajouterai à la fin de la séance.
Nous allons maintenant entreprendre la période consacrée aux questions en donnant la parole à Mme Anita Vandenbeld du côté des libéraux pour les sept prochaines minutes.
Je tiens à remercier nos témoins de leur participation à notre séance de ce soir pour faire le point avec nous sur cette situation très grave qui semble toutefois échapper à l'attention des médias.
J'ai particulièrement retenu vos commentaires quant à la position privilégiée du Canada qui pourrait guider les efforts déployés par les différents partenaires, notamment pour ce qui est de mettre fin à l'impunité. Il y a un de nos témoins qui a indiqué que nous étions bien placés pour empêcher un génocide. En pareil cas, il faut notamment s'assurer du respect de la règle de droit et faire en sorte que les crimes ne restent pas impunis. J'aimerais que nos témoins nous en disent plus long sur ce que pourrait faire exactement le Canada, seul et conjointement avec ces différents partenaires, pour s'assurer de mettre fin à l'impunité qui règne.
Vous pouvez répondre dans l'ordre où vous nous avez présenté vos exposés.
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Si vous me permettez d'ajouter quelque chose pour répondre à la question de l'honorable députée, l'un des problèmes que pose le conflit au Cameroun, c'est que nous n'avons pas accès à l'information la plus à jour. De temps à autre, des atrocités épouvantables sont commises, comme le massacre de Ngarbuh ou le massacre d'écoliers à Kumba, et tout le monde proteste, mais tous les jours, des gens perdent la vie.
L'une des choses que le Canada peut faire, c'est jouer un rôle de premier plan et réclamer la tenue d'une mission d'enquête internationale qui permettrait d'aller dans les zones de conflit et de recueillir les données qu'il faut pour que le monde sache combien de gens sont morts, combien se sont réfugiés dans la forêt, combien sont touchés et combien sont détenus, de sorte que nous puissions avoir les données qu'il faut. En l'absence d'une mission d'enquête d'une telle envergure, les médias sociaux sont inondés de propagande à l'heure actuelle. Personne n'admettra les atrocités qui sont commises à moins qu'il n'y ait de preuve qu'un massacre précis a été perpétré ou qu'une violation des droits de la personne précise a été perpétrée. L'envoi d'une mission d'enquête serait un bon point de départ, et à partir de là, nous pourrions savoir qui sont les coupables et travailler à les faire traduire en justice.
En raison de la grande polarisation mise en évidence dans ce conflit, justice sera très difficilement rendue par des parties qui sont elles-mêmes présentes dans le conflit. C'est pourquoi on insiste beaucoup sur la nécessité de trouver des moyens de traduire les auteurs des massacres devant un tribunal international et de collaborer avec d'autres pays pour que ce soit possible. Je pense que même si le Cameroun a signé la Convention de Rome sans l'avoir ratifiée, les actions des autres États membres qui sont touchés par ce conflit pourraient favoriser la tenue d'une enquête de la CPI. Cela nous aiderait à nous attaquer aux questions liées à l'impunité.
Il est également important que des sanctions soient imposées pour faire échec à l'impunité, car le fait d'infliger des sanctions ciblées aux responsables envoie un signal très fort que le monde est aux aguets et que l'impunité ne sera plus acceptée.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de comparaître devant le Sous-comité pour lui donner de l'information sur la situation au Cameroun.
J'ai une question, et j'aimerais que chacun de vous y réponde dans l'ordre suivant: M. Tembon, M. Fomunyoh, puis Mme Garry.
La COVID-19 a pratiquement paralysé le monde à de nombreux égards. J'aimerais que vous me parliez de ses répercussions sur la situation du Cameroun et que vous me disiez si elle a permis de mettre fin à une partie des conflits ou si elle a créé une situation encore pire pour les civils.
Vous avez tous mentionné précédemment que le gouvernement a commis des atrocités et profité de la COVID, par exemple, pour perpétrer les pires massacres, etc., mais selon l'information qui nous a été fournie, les atrocités ont été commises par les deux camps — celui des séparatistes également. Exercer des pressions à l'échelle internationale, imposer les sanctions prévues dans la loi Magnitsky et tout cela, ne peut s'appliquer, généralement, qu'à un régime, au gouvernement.
Avez-vous des suggestions sur ce que le Canada peut faire pour empêcher les deux camps, en particulier les séparatistes, de prendre les armes et de faire du mal à la population civile?
Suivons l'ordre inverse. Allez-y, madame Garry.
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Merci infiniment, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être parmi nous aujourd'hui. Leurs réponses sont très importantes et surtout très pertinentes.
Comme je ne dispose pas de beaucoup de temps et que j'ai plusieurs questions à vous poser, il se pourrait que je vous interrompe.
L'histoire nous a appris que les femmes et les filles étaient souvent les premières victimes des conflits. J'aimerais que vous nous parliez de cela, parce que nous n'en avons pas beaucoup entendu parler dans les médias. Or, il faut alerter l'opinion publique. Cela pourrait permettre de récolter plus d'appui.
Peut-être que M. Tembon peut répondre en premier.
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Je vous remercie beaucoup de la question. Je crois qu'elle est très pertinente.
En effet, ce sont les femmes et les enfants qui souffrent le plus de ce conflit. Plus de 1 million d'enfants ne vont plus à l'école depuis quatre ans. C'est vraiment triste de voir cela. Il y a aussi des enfants qui ont été brûlés dans leur maison par les militaires. Quand les militaires envahissent un village, les gens fuient, mais les femmes, les enfants et les vieillards qui ne réussissent pas à s'enfuir sont brûlés dans leur maison.
Il y a quelques jours, j'ai vu une vidéo qui circulait dans les médias sociaux dans laquelle on voyait un papa qui pleurait en portant dans ses bras son bébé brûlé. Ce n'est pas le seul cas. Il y a des mamans dont les bébés ont été tués par balle, des femmes enceintes qui ont été tuées et des femmes à qui l'on a coupé la tête. C'est vraiment triste de voir ce qui se passe et de constater les conséquences de ce conflit sur la population, notamment les femmes et les enfants.
Ne serait-ce que par compassion pour les femmes et les enfants, la communauté internationale doit vraiment intervenir.
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Oui, j'aimerais ajouter deux éléments.
D'abord, les premières images de ce conflit que nous avons vues remontent à 2017. On y voyait des villages incendiés à Kumba. Une vieille maman avait été brûlée vive dans sa maison. Depuis lors, beaucoup d'actes criminels ont été perpétrés contre les femmes et les enfants. Nous avons aussi en mémoire la gardienne de prison qui a été tuée à Bamenda dans des circonstances qui n'ont toujours pas été élucidées.
Il y a aussi les déplacés internes, parmi lesquels on compte beaucoup de jeunes filles et d'enfants. Ils se retrouvent dans d'autres régions du Cameroun, notamment dans de grandes villes comme Douala et Yaoundé, et se livrent maintenant à la prostitution pour subsister.
Cette génération qui représente l'avenir est en train d'être anéantie à cause de ce conflit. Il faut prendre des mesures concrètes assez rapidement pour mettre fin à cette sale guerre.
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Je vous remercie de cette question très importante.
Je vais faire deux ou trois observations. Tout d'abord, je veux me prononcer dans le même sens que les autres témoins. Nous n'avons pas suffisamment de faits sur cette question, et c'est une chose que nous avons constatée à notre clinique pendant la préparation de notre rapport détaillé. Les rapports qui ont été présentés et les enquêtes qui ont été effectuées par des groupes internationaux de défense des droits de la personne jusqu'à maintenant n'ont pas rendu suffisamment compte des torts causés aux femmes et aux enfants. Nous nous sommes donc fait un devoir de faire des entrevues poussées avec des réfugiés sur cette question.
Une chose qui est de plus en plus préoccupante, c'est l'existence d'enfants soldats et le recrutement forcé d'enfants dans le conflit. On craint que la situation puisse devenir comparable à celle de la Sierra Leone, et je veux donc seulement attirer votre attention là-dessus.
Dans les entrevues approfondies que nous avons menées et les témoignages que nous avons recueillis auprès des femmes, on nous a dit que le viol et la violence sexuelle étaient utilisés comme armes de guerre dans le conflit.
Il est essentiel qu'une commission d'enquête sur le sort de ces deux groupes de la population ait lieu. Je n'insisterai jamais assez là-dessus.
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Il était très intéressant d'écouter les témoins.
Je vous remercie beaucoup de votre présence et des renseignements que vous nous donnez. Bien entendu, il est vraiment terrifiant de les entendre et je suis profondément préoccupée par ce que vous nous dites aujourd'hui. Je suis particulièrement préoccupée lorsqu'on nous parle de « génocide », de « génocide imminent » ou de « Rwanda au ralenti ».
Nous savons que souvent, les médias jouent un rôle très important dans ce genre de conflit, de violations des droits de la personne. J'aimerais vraiment obtenir de l'information sur le rôle que jouent les médias dans ce conflit.
Peut-être pourriez-vous commencer, madame Garry.
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Selon le Committee to Protect Journalists — un comité pour la protection des journalistes —, le Cameroun est l'un des pires endroits pour les journalistes en Afrique subsaharienne. En effet, de nombreux journalistes ont été tués et certains sont en prison là-bas. C'est une période très difficile pour eux. Les médias internationaux n'ont pas vraiment bien couvert le conflit camerounais, mais la BBC a fait quelques reportages sur certains massacres et enjeux et a interviewé quelques personnes.
Le travail qui a été bien fait a été réalisé par des organisations de défense des droits de la personne comme la Human Rights Watch et Amnistie internationale. De plus, ici même au Canada, il existe un projet de base de données à l'Université de Toronto qui collecte des données sur les atrocités qui sont commises. Certains de ces renseignements se trouvent donc dans ce projet. De nombreux autres organismes collectent également des données sur les événements qui se déroulent dans ce pays. L'Université Oxford a lancé un projet pour étudier le conflit et ses principales causes et pour collecter des données à cet égard.
Toutes ces initiatives ont été utiles, mais à cause de la violence, la situation est très difficile pour les médias internationaux ou même les médias locaux. Il est difficile d'aller sur les lieux, car les soldats du gouvernement ou même les autres combattants sur le terrain ne laissent pas facilement les gens aller sur place pour couvrir les événements.
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Les relations entre les gouvernements occidentaux et le Cameroun nous préoccupent beaucoup, car chaque fois que le sujet est abordé, surtout avec les dirigeants américains, ils considèrent que le Cameroun est un partenaire. Même si les dirigeants camerounais commettent des actes horribles, les gouvernements occidentaux les considèrent comme des partenaires en raison des intérêts qu'ont ces gouvernements au Cameroun. Ils ferment donc les yeux sur les atrocités qui sont commises. Lorsque je pense à des gens comme Mugabe — je ne pense pas que Mugabe a fait le dixième de ce qu'a fait M. Biya, mais M. Biya s'en tire à bon compte en ce qui concerne les événements actuels.
L'autre problème, c'est que M. Biya et son gouvernement ont embauché des lobbyistes occidentaux à Washington. Dans le cadre de notre travail de défense des droits, nous avons dû nous battre contre ces cabinets de lobbying qui font affaire avec les médias et les intervenants politiques. C'est comme tenter de passer à travers un mur de béton.
Je suis heureux que nous ayons maintenant l'occasion de discuter avec le Parlement et avec d'autres politiciens et de réaliser quelques progrès. Toutefois, cela n'a pas été facile, et je pense que c'est à cause des intérêts français dans la région et aussi simplement à cause de la lutte contre Boko Haram. Cela a brouillé les cartes, car le Cameroun est l'un des pays impliqués dans la lutte contre Boko Haram au Sahel, ce qui complique la situation.
Les gouvernements occidentaux concernés se retrouvent donc dans une position très difficile. En effet, ils se demandent comment intervenir au sujet des crimes commis au Cameroun tout en préservant leur partenariat avec ce pays dans la lutte contre Boko Haram.
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais également remercier les témoins de comparaître aujourd'hui.
J'aimerais revenir sur certaines des recommandations formulées par les témoins. Elles se ressemblent beaucoup et vous demandez un grand nombre de choses semblables.
Je poserai d'abord une question à Mme Garry, et je demanderai peut-être ensuite à M. Fomunyoh de formuler des commentaires.
Madame Garry, dans l'une de vos recommandations, vous avez demandé la création d'une commission d'enquête. M. Fomunyoh a indiqué qu'on avait eu recours à l'armée pour résoudre des différends politiques, etc. Selon vous, quel serait le meilleur moyen d'obtenir un droit d'accès pour une telle commission d'enquête? Le gouvernement actuel serait-il en mesure de lui accorder l'accès ou trouverait-il même cela souhaitable?
J'aimerais d'abord entendre la réponse de Mme Garry, et je demanderais ensuite à M. Fomunyoh de formuler des commentaires à cet égard.
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Je vous remercie d'avoir posé cette question très importante.
La création d'une mission d'étude ou d'une commission d'enquête doit manifestement se faire par l'entremise de plateformes multilatérales, que ce soit par l'entremise des Nations unies ou de l'Union africaine, et en coordination avec des États qui peuvent exercer les pressions nécessaires sur le gouvernement actuel pour qu'il ouvre l'accès aux régions touchées et pour garantir la sécurité des personnes qui mèneront ces enquêtes.
Je ne crois pas que ce serait possible sans la création d'une commission indépendante et multilatérale, comme vous l'avez souligné, compte tenu de l'instabilité dans la région et, pour parler franchement, du déni manifesté par le gouvernement actuel à l'égard des événements qui se déroulent dans son pays.
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Je vous remercie, monsieur le président.
On a établi une comparaison avec le Rwanda, mais elle ne me semble pas tout à fait exacte. En effet, l'une des caractéristiques du Rwanda, selon moi, c'est qu'il y avait deux groupes en conflit dans un pays qu'on considérait comme indivisible sur le plan géographique, et une bataille avait donc éclaté dans ce contexte.
Dans le cas du Cameroun, une région du Cameroun du Sud s'est proclamée — ou du moins, certains participants l'ont proclamée ainsi — république indépendante d'Ambazonie. Comment aborde-t-on une telle situation? Est-il réaliste de penser qu'on peut convaincre des gens qui ont tenté de déclarer l'indépendance qu'ils devraient plutôt se satisfaire de faire partie du Cameroun, pourvu qu'on leur garantisse certaines choses?
D'un autre côté, est-il possible de convaincre le gouvernement du Cameroun d'accepter l'indépendance de cette région? Il faut qu'un côté concède la victoire à l'autre — et je ne sais pas avec certitude quel côté devrait le faire —, car dans le cas contraire, on ne parviendra jamais à résoudre le conflit.
Je ne sais pas à qui adresser cette question. Nous pourrions d'abord entendre Mme Garry et voir ensuite si un autre témoin souhaite y répondre.
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Je vous remercie de votre question.
Au sein de la clinique, nous n'adoptons pas de position personnelle en ce qui concerne les objectifs politiques ou une solution pour les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Par contre, nous avons adopté la position selon laquelle il est nécessaire d'exercer des pressions sur les parties pour qu'elles participent à un dialogue inclusif dans lequel toutes les options sont envisagées, dans lequel on tient compte de tous les points de vue opposés des régions et dans lequel on discute d'une solution potentielle.
Je vais maintenant donner la parole à M. Fomunyoh et à M. Tembon, qui pourront vous fournir plus de détails sur le sujet.
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Ce sera ma dernière intervention.
Je vous remercie tous les trois d'être parmi nous aujourd'hui. Ce que vous faites est extrêmement important. Par la suite, notre rôle à nous sera de devenir vos porte-voix.
Vous avez tous les trois parlé des écoliers qui sont touchés par ce conflit. Monsieur Fomunyoh, vous avez dit que plus de 1,1 million d'écoliers étaient touchés et n'allaient pas à l'école depuis environ quatre ans. Certains disent que c'est le gouvernement qui a ciblé les écoles et les écoliers, tandis que d'autres disent que ce sont les séparatistes.
Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet, monsieur Fomunyoh?
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Effectivement, il y a eu confusion sur la question, mais cela a évolué avec le temps.
Au départ, lorsque la crise a commencé, le système éducatif faisait partie des points contentieux. En guise de levier de négociation avec l'État central, les gens ont demandé aux enfants de ne pas aller à l'école. Malheureusement, avec le temps, c'est devenu une habitude, de telle sorte que la plupart des écoles sont fermées depuis maintenant quatre ou cinq ans.
L'année dernière, certaines écoles ont voulu rouvrir leurs portes, mais en offrant un programme scolaire qu'elles avaient créé elles-mêmes pour tenir compte des besoins des différentes localités. Or, l'État n'était pas sur la même longueur d'onde à ce sujet.
Il y a donc eu confusion dans cette affaire.
Ainsi, les écoles ne fonctionnent pas aujourd'hui, surtout dans les zones rurales, des zones contrôlées par les groupes armés et où il n'y a pas eu une présence effective de l'administration. Ces zones représentent à peu près 80 % du territoire touché par le conflit.
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Je vous remercie, madame McPherson.
Au nom des membres du Comité et des personnes qui ont participé à cette étude, j'aimerais remercier les témoins qui ont comparu aujourd'hui. Nous vous remercions de vos témoignages et des réponses que vous nous avez fournies. Une déclaration sera publiée à la suite de cette audience. Une fois qu'elle sera publiée, nous vous la ferons parvenir.
Mesdames et messieurs, nous n'avons toujours pas reçu l'avis pour le vote électronique. Je pensais que nous l'aurions reçu à ce moment-ci. Il serait tombé à point.
Madame la greffière, il semble que nous pourrons entamer notre deuxième série de questions. Est-ce exact?
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Entendons d'abord les déclarations préliminaires des témoins, à qui je demande de s'en tenir rigoureusement aux cinq minutes qu'on leur accorde.
Je souhaite la bienvenue aux témoins, qui parleront de la situation en Éthiopie.
Chers témoins, dans le bas de votre écran, vous verrez un globe. Si vous voulez entendre l'interprétation vers l'anglais ou le français, veuillez choisir la langue qui vous convient.
Merci beaucoup, à vous tous. Je ne vous nommerai pas tous. Nous commençons par M. Teklay, de l'Association of Tigrayan Communities in Canada.
Monsieur Teklay, vous avez cinq minutes de temps de parole.
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Merci beaucoup, mesdames et messieurs les députés de la Chambre des communes.
Je me nomme Tesfay Teklay. Je suis le porte-parole de l'Association des communautés tigréennes du Canada. Je considère que c'est pour moi un honneur et un privilège de témoigner devant vous sur la crise humanitaire d'origine humaine au Tigré. Merci de votre invitation.
Comme vous le savez, il se déroule, actuellement, à l'insu de tous, une guerre civile et un génocide brutaux dans la région du Tigré, en Éthiopie.
Le 3 novembre 2020, le gouvernement fédéral non élu de l'Éthiopie dirigé par Abiy Ahmed, en coordination avec les forces érythréennes et celles de l'État régional d'Amhara, a attaqué le peuple du Tigré et son gouvernement, réélu le 9 septembre précédent. Pour l'occasion, les Émirats arabes unis lui ont assuré la puissance aérienne grâce à des drones. La Somalie, apparemment, aurait envoyé 3 000 soldats.
Qu'un État souverain invite des pays étrangers à attaquer ses propres citoyens et les autorise à employer contre eux toutes sortes d'armes létales, ça ne s'est jamais vu. Le régime, non élu et, par conséquent, illégitime, a paradoxalement qualifié cette traîtrise d'« opération de maintien de l'ordre ».
Pendant les trois derniers mois de la guerre, plus de 52 000 civils ont été assassinés, d'après un reportage du Washington Post, qui cite trois partis de l'opposition du Tigré. Dans un rapport, Human Rights Watch conclut que les troupes d'Abiy Ahmed ont bombardé et tué des civils et détruit des écoles, des hôpitaux et des marchés du Tigré. Les exécutions de masse sont fréquentes. Les forces érythréennes et éthiopiennes auraient massacré en un seul jour 750 personnes à Aksoum, dans une église.
Jusqu'ici, les régimes érythréen et éthiopien ont repoussé tous les appels de l'Union européenne et des États-Unis au retrait immédiat des troupes étrangères et à la cessation des hostilités.
Une crise humanitaire sans précédent secoue le Tigré. Comme si les bombes et les balles ne suffisaient pas, Abiy Ahmed se sert de la faim comme une arme d'extermination des Tigréens, à l'instar deson modèle le colonel Mengistu, en 1984 et 1985, quand il a tué près d'un million de Tigréens. Malgré les appels répétés des gouvernements étrangers et des organismes d'aide, pour autoriser l'entrée de l'aide humanitaire, le régime a imaginé toutes sortes d'obstacles pour assurer une mortalité massive de Tigréens.
D'après la société éthiopienne de la Croix-Rouge, 80 % des Tigréens sont coupés de toute forme d'aide, et des dizaines de milliers d'entre eux risquent de mourir d'ici quelques mois. Plus de 60 000 se sont enfuis au Soudan, et 2,3 millions sont des déplacés dans leur propre pays. Le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés Filippo Grandi qualifie la situation d'extrêmement grave.
Les viols sont devenus endémiques. En de nombreux endroits, la question n'est pas de savoir si les femmes se feront violer, mais combien de fois. Les viols collectifs sont devenus banals. Ainsi, 17 soldats érythréens ont-ils violé une femme à Adigrat. Dans la capitale régionale seulement, plus de 700 femmes ont été violées en un mois. On obligerait également des hommes à violer des membres de leur propre famille, sous peine de violence immédiate, d'après la représentante spéciale de l'ONU Pramila Patten. D'après l'agence Reuters, des femmes seraient forcées de choisir entre le viol ou la mort par balles.
Comme les faits qui se déroulent sur le terrain ne pouvaient plus être cachés, le ministre éthiopien de la condition féminine a enfin admis la commission de viols sordides au Tigré.
Pour aggraver la situation, des femmes et des enfants victimisés n'ont pu obtenir l'aide médicale dont ils avaient tellement besoin, en raison du pillage et de la destruction des établissements de soins, principalement par les envahisseurs érythréens. D'après Médecins Sans Frontières, de 80 à 90 % des centres de soins que l'organisation a visités n'étaient pas fonctionnels.
Le Tigré est coupé des services Internet et de télécommunications, simplement pour que le monde extérieur ne sache rien des atrocités qui s'y commettent. De même, il reste fermé aux médias étrangers. Les journalistes locaux qui dénoncent les violations commises contre les droits de la personne risquent d'être assassinés. C'est ce qui est arrivé à M. Dawit Kebede, de Tigray TV: son avocat et lui ont été abattus.
Les banques sont fermées, les comptes bancaires des Tigréens sont bloqués pour qu'ils ne puissent retirer d'argent pour se procurer de la nourriture...
Mesdames et messieurs les députés du Parlement canadien, je vous remercie de votre intérêt pour l'Éthiopie et de l'appui très généreux que vous lui avez accordé au fil des ans. Je ferai d'abord le récit de l'arrestation du chef de notre parti, M. Eskinder Nega, en juillet 2020.
Comme d'habitude, la journée de notre chef a commencé tôt. Il était préoccupé par les nouvelles de l'assassinat de Hachalu Hundessa, survenu pendant la nuit. À la fin de la journée, il a décidé de rédiger le texte d'un communiqué dans lequel il condamnait la violence ethnique en Éthiopie et le meurtre du chanteur.
Le lendemain, après s'être départi de la lettre pour la faire imprimer, il s'est rendu dans son bureau. En moins d'une demi-heure, à ce qu'il semble, des soldats armés sont venus l'arrêter sans mandat ni explication. Ils l'ont sorti de force de son bureau, l'ont jeté dans un véhicule qui attendait à l'extérieur. Des voisins et passants ont assisté à sa raclée dans le véhicule qui l'amenait.
Plus tard, le même jour, un autre dirigeant du parti, Sentayehu Chekol, était arrêté alors qu'il retournait chez lui. Les organes de presse du gouvernement ont annoncé qu'Eskinder et ses collègues avaient été arrêtés pour incitation à la violence à Addis-Abeba. Eskinder a reçu de nombreux honneurs et récompenses internationaux.
Voilà toute l'histoire. Pour moi, il est évident que le gouvernement a fait arrêter Eskinder pour: réduire au silence les maltraités et les opprimés; oblitérer nos racines nationales; porter atteinte à nos valeurs; empêcher Eskinder de participer ouvertement aux prochaines élections et affaiblir son parti; instaurer une atmosphère de peur, pour décourager la participation aux élections et décourager l'activisme et le leadership politiques; l'empêcher d'être un porte-parole des habitants d'Addis-Abeba.
Cela dit, je demande au Parlement canadien de rejeter toute accusation contre Eskinder Nega et ses collègues qui aurait un mobile politique.
Selon les renseignements qui me parviennent d'Addis-Abeba, ses adjoints ont pu le visiter en personne, et il leur a demandé de raconter ce qui lui était arrivé et a conseillé à la communauté internationale de condamner les menaces de génocide et de déplacement de populations en Éthiopie. Il a en outre demandé la condamnation unanime de toute arrestation de ses collègues et de lui-même pour motifs politiques.
Chers députés, outre l'arrestation d'Eskinder, le parti Balderas pour la vraie démocratie subit la répression politique en Éthiopie. Pour ne citer qu'un incident politique récent, notre parti a demandé d'organiser une manifestation pacifique pour condamner publiquement la violence ethnique et le génocide en Éthiopie, les affrontements frontaliers entre l'Éthiopie et le Soudan, la discrimination contre les groupes ethniques à Addis-Abeba et l'arrestation, pour des motifs politiques, d'Eskinder et de ses collègues. Mais les autorités de la ville d'Addis-Abeba ont interdit la manifestation. Deux jours plus tard, il en survenait une, géante, dans toute la région de l'Oromo, en appui à Abiy Ahmed. Il avait été interdit au parti Balderas de manifester, mais non au parti au pouvoir, et ce n'est pas la première fois. Ça s'est produit souvent.
Chers députés, pourquoi ces détentions? Pourquoi ne pas libérer ces dirigeants? Quelle importance la communauté internationale attache-t-elle à l'instabilité politique en Éthiopie? Les chefs du parti Balderas sont emprisonnés injustement pour avoir pris la défense et fait la promotion des libertés fondamentales et de l'égalité pour tous.
Le gouvernement veut les faire croupir en prison, pour que les élections se fassent sans eux. La preuve en est que, depuis sept mois, à plusieurs reprises, il a...
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Je suis tellement désolé pour les difficultés techniques.
Je viens vous informer sur la situation non seulement dans une province de l'Éthiopie, mais dans tout le pays.
Nous avons été les témoins d'une violation flagrante des droits de la personne, d'actions génocidaires et d'un conflit.
Vous le savez sans doute, l'Éthiopie a été gouvernée par le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, le FDRPE, pendant près de 30 ans. Il y a trois ans, Abiy Ahmed a été élu premier ministre et président du FDRPE. Le FDRPE a changé de nom pour devenir le Parti de la prospérité, mais, au moment de la transition, le Front de libération du peuple du Tigré, le FLPT, qui était le parti dominant du pays, ne s'est pas joint au Parti de la prospérité. Abiy Ahmed a été élu parce qu'on voyait en lui un réformateur. Il avait libéré beaucoup de prisonniers politiques, accordé une certaine liberté aux médias et nommé un nouveau chef de police, un nouveau président de la commission électorale et un nouveau directeur des droits de la personne.
Mais Abiy Ahmed n'a pas réussi à modifier la constitution, cause profonde de la situation des droits de la personne en Éthiopie et cause des actes génocidaires commis dans le pays. Il a peuplé les tribunaux et les bureaux de direction d'amis et de sympathisants. De plus, son régime a poursuivi la répression entamée par le régime antérieur du FDRPE, ce qui signifie qu'il subsiste toujours en Éthiopie des chefs de partis qui sont prisonniers politiques, notamment Eskinder Nega. Un génocide se poursuit également, mais on en parle moins. Les médias parlent du conflit au Tigré et de meurtres de civils innocents dans cette région. Un autre génocide a également lieu, celui des Amharas, dans la région du Bénichangoul-Goumouz et dans celle d'Oromia.
Toutes les régions, sauf le Tigré, sont gouvernées par le parti du FDRPE, c'est-à-dire le Parti de la prospérité, mais le gouvernement a ignoré ces atrocités. Il ne veut même pas qu'on les signale. L'une des personnes qui ont exposé les actions génocidaires était Eskinder Nega, chef du parti Balderas. Il croupit en prison depuis neuf mois. Son audition préliminaire a été retardée à de nombreuses reprises, mais on a refusé de le libérer sous caution. Il est resté en prison. C'est sa dixième arrestation. C'était un bon ami de l'Éthiopie et il a généreusement aidé ce pays dès le début. Ce pays se soucie profondément des droits de la personne. C'est la raison pour laquelle votre comité s'est réuni aujourd'hui.
Nous vous demandons d'envoyer une mission en Éthiopie. Nous demandons également que vous envisagiez d'envoyer de l'aide en Éthiopie et nous exigeons la libération de tous les prisonniers politiques, y compris d'Eskinder Nega et d'autres. Nous vous demandons également d'exercer des pressions sur le gouvernement éthiopien pour qu'il autorise l'arrivée de l'aide humanitaire dans le Tigré et d'autoriser les enquêteurs sur les droits de la personne et les médias libres d'aller partout dans le pays, pas seulement dans le Tigré, pour enquêter sur les génocides qui s'y commettent.
Seulement au cours de la dernière année et demie, 26 Amharas et Agaws ont été tués dans deux régions, celles de Bénishangoul et d'Oromia.
Voilà pourquoi nous vous demandons d'exercer des pressions sur le gouvernement éthiopien pour qu'il facilite l'accès des groupes humanitaires et de ceux de défense des droits de la personne, que nous exigeons le respect de la légalité pour les prisonniers politiques et que vous sauvegardiez également leur santé et appliquiez les meilleurs protocoles anti-COVID-19. Nous vous demandons également de ne pas appuyer le régime autoritaire et que l'argent que vous donnez n'aille pas à certaines des activités du gouvernement.
Pour conclure, je me félicite d'avoir profité de l'occasion et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Merci.
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Je tiens à remercier la Chambre des communes de me donner cette occasion.
Je m'appelle Tesfaye Hussein. Je vous parle à partir du Soudan, où je suis le directeur du programme pour CARE International, qui est financé par le gouvernement du Canada. Nous venons en aide aux personnes dans le besoin.
Je vais m'attarder aux besoins humanitaires des gens qui ont fui en direction du Soudan, et à leurs chances de retourner dans leur pays d'origine.
Il y a actuellement plus de 60 000 réfugiés au Soudan oriental qui ont fui le conflit du Tigré et qui ont directement besoin d'une aide humanitaire. Comme vous le savez peut-être, le Soudan traverse actuellement une redoutable crise économique. Plus de 25 % de sa population a besoin d'une aide humanitaire. Par conséquent, le gouvernement et le milieu ne peuvent pas surmonter une nouvelle crise.
Cependant, nous avons plus de 60 000 réfugiés éthiopiens au pays. Il y a un besoin urgent d'aide humanitaire. La plupart des réfugiés ont été témoins d'atrocités lorsqu'ils ont fui la guerre pour sauver leur vie. Ils m'ont raconté des histoires horribles.
À leur arrivée, ils voulaient rester près de la frontière parce qu'ils pensaient que le conflit allait se régler très vite. Ils voulaient retourner chez eux et reprendre leur vie. Cependant, leurs chances d'y retourner ont diminué considérablement au fil du temps. La plupart d'entre eux pensent rester beaucoup plus longtemps, étant donné que la situation sur le terrain ne s'améliore pas, pour toutes sortes de raisons.
On signale la présence de militaires érythréens sur le terrain — ce que je n'ai pas confirmé. Il y a aussi des conflits entre les tribus ou les groupes ethniques. Prenons l'exemple des réfugiés qui viennent de la région occidentale du Tigré. Puisque le secteur est désormais revendiqué par la région Amhara, ces gens ne sont pas certains de pouvoir y retourner. Seront-ils les bienvenus si la région Amhara affirme que la terre lui appartient?
Cependant, ceux qui ont prêté attention à l'Éthiopie savent que la crise du Tigré et les massacres qui ont été perpétrés ailleurs au pays se préparent depuis des lunes. La population est très polarisée. Chacun semble avoir sa propre version de l'histoire. Il n'y a pas de message commun pour nous aider à résoudre les problèmes.
Par exemple, certaines personnes pensent que la crise du Tigré touche uniquement les Tigréens, et non pas les Éthiopiens. Presque toutes les régions entretiennent une rivalité « nous contre eux ». Dans la région d'Oromia, des gens sont assassinés parce qu'ils appartiennent à une tribu différente. Il y a deux jours à peine, un dirigeant politique de l'opposition a été tué dans une des villes de cette région parce qu'il avait une opinion divergente.
Les problèmes qui nous ont menés à cette crise comportent tellement de facettes que je doute qu'il existe une solution simple.
Je demande donc au gouvernement canadien d'exercer des pressions sur le gouvernement éthiopien et les gens au pouvoir pour qu'ils résolvent le conflit au plus vite.
Je vous remercie.
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Je vous remercie infiniment, monsieur Hussein.
Il semble que tout a fonctionné et que les interprètes ont pu vous entendre et faire leur travail.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, nous allons ajouter du temps, comme nous en avions convenu. J'aimerais vérifier si vous êtes d'accord.
Chaque intervenant aura cinq minutes au premier tour, puis trois minutes au deuxième tour. Y a-t-il des objections? Les membres du Comité sont-ils d'accord?
Des députés: C'est d'accord.
Le président: Excellent.
Nous allons commencer le premier tour avec la députée libérale Jennifer O'Connell, qui a cinq minutes.
Allez-y, madame O'Connell.
Je remercie tous les témoins d'être avec nous aujourd'hui afin de discuter. C'est d'une importance capitale étant donné que la plupart des médias grand public — certainement ceux de l'Occident — ne parlent pas beaucoup de la situation ni en Éthiopie ni au Cameroun, qui a été abordée par les témoins précédents. Il est des plus important pour nous, les législateurs, de savoir ce qui se passe sur le terrain.
Je voudrais d'abord revenir sur une remarque quant à la participation des Émirats arabes unis et de la Somalie. Nous entendons souvent dire que les tensions résultent des conflits interethniques, des adversaires politiques et de l'existence d'une multitude de groupes ethniques. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il semble que les tensions ont monté au cours des deux dernières années, peut-être en raison de la COVID qui a été une source de distraction.
Quel point de discorde a exacerbé les tensions? De plus, qu'est-ce que les Émirats arabes unis et la Somalie ont à y gagner? Qui soutiennent-ils? Quel rôle jouent-ils dans la région?
Je laisse les témoins répondre à la question. J'invite un ou deux d'entre vous à intervenir, après quoi j'aurai une question complémentaire.
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Le conflit est principalement attribuable au gouvernement de l'Éthiopie, qui est dirigé par Ahmed, et au gouvernement de l'Érythrée, qui souhaitent s'attaquer aux dirigeants de la région du Tigré pour une raison quelconque. Abiy Ahmed désire établir une dictature à lui seul, tandis que l'Érythrée en veut aux dirigeants du Tigré. Les deux s'attaquent donc à leur ennemi commun, comme ils l'appellent. Parallèlement, les Émirats arabes unis ont des liens étroits avec l'Érythrée.
Il y a donc une alliance à l'échelle régionale. Par ailleurs, la région suscite un intérêt plus vaste, notamment de la part des Émirats arabes unis. Certains affirment même que l'administration américaine précédente de Trump s'intéressait à la situation. Il serait très complexe d'en dire plus là-dessus, mais nous devrions nous en tenir aux deux responsables de cette guerre: Isaias Afwerki, à la tête de l'Érythrée, et Abiy Ahmed, qui dirige l'Éthiopie.
Les deux défendent les intérêts de leur pays respectif. Abiy Ahmed veut instaurer une dictature — sans démocratie ni élections, à l'instar de son modèle, le dictateur érythréen qui est au pouvoir depuis 30 ans sans élections ni rien d'autre. Les deux hommes s'unissent pour renverser les dirigeants du Tigré, qui auraient organisé des élections en septembre, alors qu'Abiy Ahmed a refusé de tenir des élections fédérales.
En mars 2020, quand Abiy Ahmed a reporté les élections indéfiniment en prétextant la COVID... En réalité, l'Éthiopie avait à ce moment très peu de cas de COVID, et aucun décès — je pense qu'il y avait moins de 10 personnes infectées —, mais le régime a tout de même reporté les élections indéfiniment.
Le Front de libération du peuple du Tigré est le parti qui dirige la région. Il a dit ceci: « Nous refusons de reporter les élections. Nous allons au moins organiser nos propres élections provinciales. Nous n'avons aucune incidence sur les élections fédérales, mais nous allons tenir des élections provinciales. » En mars 2020, Abiy Ahmed a proféré la menace suivante: « Si vous décidez d'organiser des élections, je vais vous bombarder. » Il a déclaré à la télévision publique que son armée était prête à attaquer.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je voudrais revenir sur la participation de l'Érythrée. Les Érythréens ont toujours été convaincus que la principale menace à leur sécurité est l'Éthiopie. Je suis allé en Érythrée il y a quelques années, et j'ai été étonné de constater que la seule chose qui unissait ce pays très diversifié était sa crainte de l'Éthiopie.
Or, il semble qu'une sorte d'alliance militaire s'est formée, et j'essaie simplement d'en comprendre la raison. Quels avantages les Érythréens y voient-ils? Quels intérêts ont-ils à renforcer l'emprise de l'Éthiopie sur le Tigré? J'aurais cru qu'ils auraient voulu le contraire.
J'ignore à qui je dois m'adresser pour obtenir une réponse à cette question. Je suis perplexe.
Je pense que le gouvernement de l'Érythrée avait des motivations à ce moment. Il se pose en allié de l'Éthiopie. Je ne suis pas un admirateur d'Isaias Afwerki, mais je pense qu'il a peut-être changé d'avis quant à sa relation avec l'Éthiopie. De toute évidence, il n'aime pas les dirigeants du Front de libération du peuple du Tigré, ou TPLF. Il a une dent contre eux.
Revenons en arrière: dans l'immédiat, qu'est-ce qui a provoqué cette guerre? Je pense que le gouvernement canadien et la Chambre des communes doivent savoir que la cause première de cette guerre est l'attaque contre le commandement du Nord, qui représente le gouvernement éthiopien. Même si je m'oppose à Abiy Ahmed, il y a une chose que la Chambre et tout le monde doivent savoir: cette guerre est principalement attribuable à l'attaque du TPLF contre le commandement du Nord.
Le TPLF a été aux commandes de l'Éthiopie pendant 27 ans. Il était à la tête du gouvernement éthiopien. Il y a une vingtaine d'années, le TPLF et le Front populaire de libération de l'Érythrée se sont brouillés, et ils sont maintenant des ennemis. Voilà pourquoi Afwerki est désireux de faire tomber le TPLF. Peut-être qu'Afwerki voit actuellement la Corne d'un autre oeil — je l'ignore —, mais c'est un dictateur. Il se fiche peut-être éperdument tant de l'Éthiopie que de l'Érythrée. Je pense que la question est complexe.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'avoir réussi à participer à cette rencontre ou pris le temps de le faire. Cette situation est extrêmement inquiétante.
Je vous ai tous écoutés. Les gens vont dire que c'est telle ou telle autre faction qui est responsable. Les membres du gouvernement vont donner une version; d'autres personnes vont donner une version différente.
Présentement, on fait face à une situation réelle. Des gens souffrent au Tigré et des atrocités y sont commises. Notre sous-comité fait plusieurs études de ce genre, et on nous dit souvent que les femmes et les filles sont les premières victimes lors de conflits semblables. J'aimerais connaître votre point de vue sur cette question.
Madame Hailu Gebrekirstoes, nous ne vous avons pas encore entendue. Peut-être que vous pourrez nous instruire à ce sujet.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous nos témoins. J’ai passé beaucoup de temps en Éthiopie, et il est très triste pour moi d’entendre une partie de ces témoignages. Je me suis rendu compte que j’ai acheté la toile derrière moi à Addis Abeba. Tout cela me tient beaucoup à cœur.
Je souhaite entre autres me renseigner sur le rôle que joue le Canada pour venir en aide dans ce conflit. Je sais, en particulier grâce à notre aide au développement et à notre aide humanitaire, que nous accordons énormément d’aide à l’Éthiopie. Le gouvernement du Canada verse près de 200 millions de dollars au pays. Il semble que cette aide, à ce stade-ci, sert à obtenir des armes. C’est manifestement le cas d’après ce que vous dites. L’aide alimentaire et humanitaire est retenue.
J’aimerais commencer par mon concitoyen albertain, M. Teklay, pour parler un peu des répercussions de l’aide canadienne. Qu’aimeriez-vous que le gouvernement du Canada fasse et comment aimeriez-vous qu’il s’en serve comme outil?
Ce que j’aimerais demander, c’est que le gouvernement du Canada ne retienne pas l’aide humanitaire destinée au peuple éthiopien ou au gouvernement du Soudan, qui accueille plus de 60 000 réfugiés. Il faut toutefois travailler avec le gouvernement pour s’attaquer à ce dossier crucial, qui ne se résume pas qu’à la crise au Tigré.
Nous sommes aujourd’hui au Tigré pour répondre à cette crise, mais je suis certain qu’il se produira quelque chose d’autre demain. Il y a évidemment une crise qui perdure au Benishangul-Gumuz, dont on ne parle pas autant. Nous avons de très graves problèmes structurels au pays, et nous aurons une autre crise demain à moins que le gouvernement du Canada et d’autres intervenants travaillent avec le gouvernement pour les régler. Nous ne sommes pas un pays homogène, et tout est donc très polarisé; tout le monde a sa propre version des faits.
Pour certains, le conflit au Tigré a commencé lorsque la guerre a éclaté, mais il a plutôt fallu des années pour en arriver là. Ce n’est pas à cause de l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed. Nous avons un pays fondé sur l’ethnicité. Si vous venez du Tigré, vous ne vous sentez pas en sécurité dans la région d’Amhara ou d’autres régions, et vice versa. C’est un pays très polarisé qui a besoin d’une aide énorme pour s’attaquer à ces points de vue contradictoires, qui sont omniprésents.
Je tiens à remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui pour nous expliquer la situation.
Je me rappelle qu'à une conférence sur la démocratie dans le monde il y a quelques années, je crois que c'était en 2018, l'Éthiopie était présentée comme la grande source d'espoir. De toute évidence, la communauté internationale n'a pas vu certains signes avant-coureurs.
Comment sommes-nous passés d'un espoir immense pour la démocratie à la situation déplorable dont on nous parle aujourd'hui? Que peut mieux faire la communauté internationale pour voir venir ce genre de situation?
J'ai compris ce qu'a dit M. Hussein, à savoir qu'il a fallu de nombreuses années, voire des décennies pour en arriver là. Comment pouvons-nous prévenir ce genre de situation, surtout lorsque la communauté internationale estime que la région est prometteuse?
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Ce sera ma dernière intervention.
Je remercie beaucoup tous les témoins de leur présence aujourd'hui. Nous allons essayer de nous faire leur porte-voix.
Monsieur Chiu, vous serez peut-être content d'entendre ma question, puisque je voulais justement aller dans la même direction que vous.
J'aimerais savoir quelle position adopte le reste de la population éthiopienne, à l'extérieur du Tigré, relativement à ce conflit. Est-ce que le gouvernement utilise la propagande? Est-ce qu'il y a des alliances avec les Tigréens?
Monsieur Teklay, vous pourrez peut-être m'aiguiller là-dessus.
Ailleurs au pays, le gouvernement maintient un monopole médiatique. Par conséquent, peu importe le discours qu’il promeut, il fait des adeptes dans le reste de la population. Une majorité d’Éthiopiens, je dirais, sont induits en erreur par la propagande du gouvernement. Rien ne sort du Tigré pour contrebalancer ce discours.
Nous n’avons d’ailleurs pas vu qui que ce soit se prononcer contre la guerre. Même le clergé — des prêtres, des papes — l’appuyait, et c’est un pan très triste de notre histoire. Lorsque les religieux bénissent la guerre au Tigré, je ne sais plus quoi penser de notre pays.
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Je veux clarifier certaines choses.
Premièrement, si je n'étais pas le seul francophone aujourd'hui, on n'aurait même pas eu besoin de vérifier s'il y avait un précédent. La seule raison pour laquelle on s'est rendu compte qu'il n'y avait pas de précédent, c'est parce que moi, je n'avais pas l'interprétation.
Parlons-nous franchement: vous savez tous et toutes que je parle anglais et que je peux très bien comprendre ce qui se dit dans cette langue. Je suis bilingue, même trilingue, car je parle aussi espagnol.
Excusez-moi de lever le ton un peu, mais on parle de sujets très délicats. Jamais je ne vais dire à quelqu'un au Soudan, qui prend la peine de nous parler d'une situation horrible, que finalement il ne pourra pas livrer son témoignage parce que je n'ai pas l'interprétation, alors que je comprends très bien ce qu'il dit.
Cela me met dans une position très inconfortable, monsieur le président. C'est arrivé plusieurs fois. J'ai l'air du gars qui se bat pour sa langue alors que quelqu'un est en train de me parler de viols collectifs; cela me semble indécent. Comprenez-vous un peu la position dans laquelle je me trouve? Je trouve cette situation un peu aberrante et j'aimerais que cela n'arrive plus.
Je sais que le personnel de la Chambre fait de son mieux, mais il reste que cela me remplit d'émotion. Je sais que ce n'est pas votre faute ni celle de personne, mais il faudra trouver un moyen pour que cela n'arrive plus.
Je ne peux pas dire à un témoin en train de nous parler d'une situation horrible que, en raison de notre loi sur les deux langues officielles, nous sommes dans l'impossibilité d'entendre son témoignage, alors que je peux très bien comprendre ses propos. Vous connaissez ma position.
Je ne sais pas comment on va y arriver, je ne suis pas expert en la matière, mais j'aimerais vraiment qu'on fasse des efforts pour que cette situation ne se reproduise plus.
Je n'en veux à personne. Je veux juste vous dire que je me retrouve dans une situation que je n'aime pas et qui me rend émotif. J'aimerais que cela ne se reproduise plus. Je lance donc une bouteille à la mer et j'espère que mon message sera entendu de tout le monde.
Excusez-moi, mais cela fait du bien de le dire. Merci.
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À vrai dire, je pense que nous pensons tous comme vous. Nous voulions vraiment nous atteler à la tâche. C'était difficile sur le plan technologique, ce qui est d'autant plus vrai lorsque la personne se trouve à l'autre bout du monde. Cela devient très difficile quand on ne connaît pas la qualité de son accès à Internet, la technologie ou l'équipement à sa disposition. Ensuite, bien entendu, pour que nos interprètes, qui font un travail formidable et très difficile, puissent entendre et interpréter de si loin...
Je sais que lorsque la greffière, les techniciens et tous les autres sont capables de communiquer avec nos témoins ou nos témoins potentiels, ils discutent de leurs ressources technologiques, et ils font de leur mieux, j'en suis certain, pour trouver un endroit tranquille et ainsi de suite, mais c'est particulièrement difficile pour notre comité et le type de témoins qui comparaissent devant nous. Comme vous le savez et vous l'avez entendu, certains témoins fuient des situations très dangereuses et ne peuvent pas trouver d'endroit idéal pour communiquer leur message compte tenu de l'environnement où ils se trouvent, de la technologie et ainsi de suite. Nous apprenons tous. Tout cela est nouveau, même pour nous.
Des députés ou la greffière ont-ils une idée de ce que nous pouvons mieux faire, des pratiques exemplaires que nous pouvons tenter d'adopter pour que l'information et la technologie fonctionnent mieux?
J'attends que ceux qui souhaitent intervenir lèvent la main.
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Merci, monsieur le président.
Je suis d'accord avec le député Brunelle-Duceppe quand il dit que c'est vraiment... Je suis certaine que nous sommes tous d'accord, mais je pense que deux choses s'imposent.
D'abord, avant le congé de Noël, j'ai l'impression qu'on testait les microphones avec les témoins avant leur comparution, pas 15 minutes avant, mais des jours avant. C'était peut-être un autre comité. Je siège à quatre comités, et je ne sais plus lequel est lequel, mais j'ai l'impression qu'ils avaient des casques d'écoute et qu'ils étaient bien prêts. Nous ne nous sommes pas retrouvés dans la même situation en étudiant le génocide des Ouïghours, par exemple. J'ai l'impression que nous prenions des mesures que nous pourrions reprendre.
Ensuite, je pense qu'il est également très important — et je vais le faire pour le Nouveau Parti démocratique — que nos whips soient au courant. Je pense que nous devons parler à nos partis et leur dire que cette façon de procéder ne fonctionne pas et qu'elle est injuste pour certains membres du Comité. Comprenez-moi bien. Mon français n'est pas aussi bon qu'il le devrait, et c'est donc injuste pour moi aussi. Je ne veux pas que M. Brunelle-Duceppe ait l'impression que c'est son problème. C'est évidemment problématique pour chacun de nous.
Nous pourrions peut-être passer en revue avec les whips ce qui pourrait être fait à cet égard et ils pourraient alors s'occuper de cet aspect de la question, mais nous pourrions aussi voir s'il est possible de faire des essais avec les témoins. Ils ont des renseignements d'une importance capitale, ils font des pieds et des mains — et risquent parfois leur vie — pour nous parler, et c'est regrettable lorsque nous nous retrouvons dans cette situation.
Comme M. Brunelle-Duceppe, je ne blâme personne. C'est juste le système avec lequel nous devons composer, mais je pense qu'il existe des solutions.
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Merci beaucoup, madame McPherson.
M. Chiu sera le prochain à intervenir.
De plus, pour que nous sachions un peu ce qu'il en est, pouvez-vous nous parler du processus, madame la greffière? Lorsque vous communiquez avec les témoins, comment testez-vous leur technologie? Testons-nous à l'avance l'équipement que nous leur envoyons? De quelle façon procède-t-on? Nous pouvons peut-être examiner des moyens d'améliorer le processus. Nous pourrions adopter des pratiques exemplaires utilisées par d'autres comités ou ailleurs.
Je sais que c'est difficile pour tout le monde. Nous compatissons avec vous, monsieur Brunelle-Duceppe. Nous ne voulons pas que vous soyez dans cette position.
Allez-y, monsieur Chiu.
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Merci, monsieur le président. Je peux vous résumer rapidement le processus actuel.
À l'heure actuelle, lorsque nous communiquons avec les témoins, nous leur indiquons l'équipement dont ils auront besoin pour la réunion. Le Comité a également le droit de rembourser jusqu'à 75 dollars canadiens par témoin pour l'achat du casque d'écoute nécessaire. De toute évidence, il est impossible pour certains témoins, selon l'endroit où ils se trouvent, d'obtenir ce casque d'écoute. Lorsqu'ils sont au Canada, nous leur en envoyons un directement. À l'heure actuelle, nous ne pouvons malheureusement pas envoyer de l'équipement par service de messagerie partout dans le monde en temps voulu, d'une part à cause de la COVID et d'autre part à cause des services postaux peu fiables dans certains pays.
Nous faisons un essai avec les témoins. Ils se connectent avec l'équipe des multimédias, qui vérifie s'ils ont la dernière version de Zoom pour avoir accès à l'interprétation. Ils s'assurent aussi que la qualité de l'audio est adéquate. Lorsqu'elle est inadéquate, on leur indique comment l'améliorer. Les témoins font parfois le nécessaire, et parfois pas. Nous ne pouvons pas les forcer. Notre problème, c'est qu'en tant que greffière, je ne suis pas habilitée à leur dire que la qualité de leur audio est inadéquate et qu'ils ne peuvent donc pas comparaître. Ce n'est pas une décision que l'équipe des multimédias, les interprètes et moi pouvons prendre.
C'est le processus que nous avons en place. Nous avons une discussion très approfondie avec les témoins avant leur comparution devant le Comité, mais malheureusement, il arrive parfois pendant une séance que la qualité de l'audio de certains témoins soit inadéquate.
Les whips en sont très conscients. Nous travaillons avec notre équipe des communications. Elle tente de tout simplifier. Dans le cadre d'un projet, nous appelons maintenant les témoins qui ne font pas d'essai pour les prier de bien vouloir tester l'équipement pour éviter que leur témoignage en souffre, mais il faut compter sur les témoins pour faire le nécessaire.
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Je veux être clair: je ne blâme personne. Je sais que tout le personnel de la Chambre fait des pieds et des mains depuis le début de la pandémie pour que nous puissions mener nos travaux. C'est une situation que personne n'a jamais vécue. Le personnel a trouvé le moyen que nous tenions cette réunion ce soir. Ce n'est pas du tout une attaque contre qui que ce soit.
Le fait est que nous ne sommes pas un comité ordinaire. Si j'étais au Comité permanent des finances, je n'aurais pas laissé parler le témoin tant que je n'aurais pas eu l'interprétation. Dans le cas présent, ce n'est pas un témoin ordinaire. Cette personne vient nous parler d'une situation horrible dans un pays donné. Le même problème aurait pu arriver tantôt alors qu'un des témoins nous parlait du Cameroun. C'est aussi arrivé pendant notre étude sur les Ouïghours, l'été dernier. Alors qu'une dame nous racontait qu'elle avait été victime d'un génocide, j'étais intervenu pour demander qu'on la laisse parler même si l'interprétation ne fonctionnait pas. Je ne suis quand même pas fou.
Je me retrouve dans cette situation aujourd'hui parce que je suis le seul francophone. Je ne joue pas à la victime, loin de là. Je n'ai pas la solution et je sais que vous faites des pieds et des mains pour que cela fonctionne. Quoi qu'il en soit, je ne veux plus être placé dans une situation où je dois exiger qu'il y ait de l'interprétation en vertu de la Loi sur les langues officielles, alors que vous savez très bien que je comprends l'anglais. Dans ces moments-là, je me sens comme de la marde. Je m'excuse auprès de l'interprète qui doit rendre mes propos en anglais, mais c'est exactement mon sentiment.
Je ne lance la pierre à personne. Je vous dis juste que ce n'est pas du tout agréable. Je ne veux pas me plaindre, surtout pas après avoir entendu ces horribles choses. C'est exactement ce que je veux faire valoir: je n'ai pas envie de me plaindre alors que nous entendons parler de situations qui sont d'une bien plus grande importance qu'une loi sur les deux langues officielles.
Je n'ai pas la solution à ce problème. Je tiens simplement à vous dire qu'en tant que vice-président et membre de ce sous-comité, j'ai un malaise vis-à-vis de cette situation, laquelle s'est produite à quelques reprises.
C'est tout ce que je voulais vous dire ce soir. Je suis appelé à Ottawa demain et je dois me lever à 5 heures du matin, alors je ne veux pas vous retenir plus longtemps. Je pense que vous étiez déjà au courant de ce que je voulais vous communiquer. On verra comment on pourra régler ce problème. Cela dit, je vous aime tous et toutes.
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Merci, monsieur Brunelle-Duceppe.
Merci aux députés. Je propose d'y revenir. Comme je l'ai dit, peu importe la pratique exemplaire, ou si nous entendons dire qu'il y a une meilleure façon de faire quelque chose, sentez-vous libres de le mentionner. Nous allons parler à nos whips, et si tous les partis peuvent faire quelque chose pour améliorer le processus, c'est ce que nous voudrons faire.
Monsieur Brunelle-Duceppe, si vous prenez le volant, nous vous souhaitons bonne route. Soyez prudent, car les routes ne sont pas belles.
Merci beaucoup tout le monde. La séance est levée.