FINA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FINANCE
COMITÉ PERMANENT DES FINANCES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 11 mai 2000
Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): La séance est ouverte. Je suis ravi de voir toutes les personnes présentes ici cet après-midi.
Comme vous êtes probablement nombreux à le savoir, le Comité des finances organise une série de tables rondes sur divers sujets. Aujourd'hui, nous avons le plaisir de recevoir des spécialistes qui traiteront de la politique monétaire dans notre régime de devises actuel.
Nous recevons Pierre Fortin, professeur du Département de Science économique, de l'Université du Québec à Montréal, M. John McCallum, vice-président en chef et économiste principal de la Banque Royale du Canada ainsi que Bernard Élie, professeur au Département de science économique de l'Université du Québec à Montréal. À vous trois, bienvenue.
• 1540
Vous avez tous comparu auparavant devant ce comité. Vous savez
donc que vous avez quelques minutes pour faire votre exposé, cinq
à dix minutes environ, après quoi nous passerons à un échange de
questions et de réponses. Ensuite, nous tâcherons de laisser la
discussion s'animer. Nous demanderons également à chaque témoin de
commenter les observations des autres témoins. Les membres du
comité trouvent généralement très utile ce type d'échange.
Nous commencerons par M. Fortin. Soyez le bienvenu parmi nous.
M. Pierre Fortin (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup.
Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier de cette invitation. Le préavis a été très court, mais vous aurez ainsi la possibilité, bien sûr, de vous rendre compte combien les économistes canadiens sont productifs.
Ce que je tiens à dire en deuxième lieu, c'est que John, Bernard et moi-même sommes ou avons été professeurs de science économique de l'Université du Québec à Montréal, ce qui montre que cette université est bien au-dessus de la moyenne, lorsqu'il s'agit de s'intéresser aux questions de politique gouvernementale. Je suis donc très heureux de le souligner.
Le président: Voulez-vous que nous en prenions officiellement note?
M. Pierre Fortin: Absolument. Je pense que vous devriez le signaler au recteur de l'université.
Bon, commençons. J'ai distribué deux documents, mais je ne les passerai pas en revue. Je laisserai au comité le soin de les examiner, et nous pourrons peut-être approfondir certaines idées pendant nos discussions. Je voudrais toutefois me concentrer sur une seule question, soit la fourchette cible d'inflation pour la politique monétaire après 2001. C'est à cette question qu'on m'a demandé de répondre et, pour une fois, je vais répondre à la question qu'on m'a posée au lieu de me livrer à mes propres réflexions.
Le président: Manifestement, vous n'avez pas l'intention de vous porter candidat à une charge publique.
M. Pierre Fortin: Merci.
Tout d'abord, je crois qu'établir la fourchette cible de l'inflation est une façon raisonnable de gérer la politique monétaire dans un pays qui adopte le principe du régime de taux de change flottant. Cela aide à stabiliser les attentes en matière d'inflation et donne aux intervenants des secteurs public et privé une idée claire des orientations de la politique monétaire et de la façon dont elle va réagir dans diverses circonstances. Autrement dit, cela réduit l'incertitude et est très positif pour l'économie.
Je rappelle ensuite que l'objectif initial annoncé par la Banque du Canada en février 1991 était de parvenir à la stabilité des prix. Depuis 1995, la fourchette cible de l'inflation a été de 1 à 3 p. 100, la cible officielle étant le point médian de cette fourchette, donc 2 p. 100.
Il existe un critère général pour choisir la cible d'inflation que la banque annonce officiellement. Ce critère, c'est que la cible doit être établie au niveau d'inflation qui permet à l'économie de réaliser la meilleure performance au fil du temps quant au niveau et au taux de croissance du revenu national et de l'emploi. La Banque du Canada estime que cet état optimal est atteint lorsque le taux d'inflation réel est de zéro, situation qu'elle désigne par l'expression «stabilité des prix». Le rapport annuel de 1990 de la Banque contient essentiellement tout ce qu'il faut savoir sur ses vues à ce sujet. Je ne pense pas qu'elle ait changé d'opinion là-dessus.
Toutefois, l'imperfection de nos méthodes de mesure de l'inflation signifie que le taux d'inflation mesuré exagère le taux d'inflation réel. En 1991, la Banque déclarait: «Le travail effectué jusqu'à ce jour en vue de parvenir à une définition opérationnelle de la stabilité des prix pointe vers un taux d'augmentation de l'IPC clairement en deçà de 2 p. 100.» Plus tard, en 1998, il y a donc deux ans, Allan Crawford, attaché de recherche à la Banque, signalait que, d'après certains calculs, on atteint la stabilité des prix à un taux annuel d'augmentation de l'IPC d'environ 0,5 p. 100, et en tout cas pas supérieur à 0,7 p. 100. Autrement dit, il y a eu progression par rapport à ce qui a été dit en 1991. La Banque avait dit que la stabilité des prix, c'était un taux d'inflation de l'IPC clairement inférieur à 2 p. 100. Ensuite, en 1998, elle dit comprendre que ce taux doit être nettement inférieur à 1 p. 100. Ce n'est donc pas nécessairement un progrès, puisque la Banque peut se tromper, nous n'en savons rien, mais ses vues ont certainement évolué.
• 1545
Si la Banque partage toujours l'opinion exprimée par Crawford
en 1998, elle doit logiquement demander que la cible officielle
soit réduite encore plus et ramenée à un niveau inférieur à 2 p.
100. Elle pourrait demander une cible de 1 p. 100. J'ignore si elle
compte le faire, soit en privé auprès du ministre des Finances,
soit en public devant votre comité, mais il est certainement
possible qu'elle fasse cette demande. Ce serait la conséquence
logique de ce qu'elle a dit en 1998. Cela ramènerait la fourchette
cible de son niveau actuel, de 1 à 3 p. 100, au niveau de 0 à 2 p.
100.
Toutefois, des recherches effectuées à l'extérieur de la Banque du Canada pendant les années 90 mettent en doute l'opinion selon laquelle la stabilité des prix—autrement dit, un taux d'inflation réel de 0 p. 100 ou un taux mesuré d'inflation de l'IPC de 0,5 p. 100—permet de maximiser la production et l'emploi au fil du temps.
Pour ce type de recherche, il existe deux écoles. Selon la première, les entreprises et les travailleurs des États-Unis et du Canada résistent fortement à toute réduction salariale absolue. Cette hypothèse a été avancée pour la première fois par le lauréat américain du prix Nobel, James Tobin, en 1972.
Selon la deuxième école, plus récente, on constate que l'information relative à l'inflation peut être sous-exploitée par les décideurs en matière de salaires et de prix lorsque le taux d'inflation est très bas, ce qui permet de réaliser des gains permanents de réduction du chômage en augmentant le taux d'inflation jusqu'à un niveau donné. Cette hypothèse a également été avancée en 1972 par Otto Eckstein, économiste de Harvard, aujourd'hui décédé. L'année 1972 a décidément été une année charnière pour les personnes qui croyaient obtenir une baisse supplémentaire du chômage en échange d'une légère augmentation de l'inflation.
Je rappelle que Tobin et Eckstein ne sont pas les premiers venus. L'un était un lauréat du prix Nobel, l'autre un célèbre professeur de Harvard. Leurs hypothèses signifient donc que l'on ne pourrait maintenir des taux d'inflation très bas qu'au prix d'une hausse permanente du chômage et d'un affaiblissement de la production. Par exemple, viser un taux d'inflation de 2 p. 100 pourrait signifier qu'on accepte un taux de chômage permanent plus élevé d'un point de pourcentage que si l'on visait un taux d'inflation de 3 p. 100, si l'on s'en tient à une base étroite. Bien sûr, cela ne pourrait pas être extrapolé à des taux d'inflation toujours plus élevés. En nous fondant là-dessus, Akerlof, Dickens, Perry et moi-même avons favorisé le maintien du taux d'inflation dans la fourchette cible de 2 à 4 p. 100.
Le comité fait donc face à deux recommandations contradictoires: soit se conformer à ce qu'a dit la Banque du Canada ces dernières années et ramener la fourchette cible de l'inflation, de son niveau actuel de 1 à 3 p. 100, au niveau de 0 à 2 p. 100; soit la faire passer au niveau de 2 à 4 p. 100. Il s'agit de savoir qui, du service de recherche de la Banque du Canada ou de Tobin, Eckstein, Akerlof et moi-même, a raison.
Dans l'incertitude où nous sommes pour savoir qui a raison, je pense que la meilleure décision serait de pousser la fourchette cible au niveau de 2 à 4 p. 100. Si je soutiens cela, c'est parce que les ouvrages contemporains ne démontrent nullement qu'en faisant varier le taux moyen d'inflation entre 0 et 4 p. 100, on influe considérablement sur le coût de production. Par contre, d'après la règle macroéconomique normalisée dite loi d'Okun, avoir un taux de chômage moyen inférieur de 1 p. 100 entraînerait, pour le Canada, une amélioration annuelle du revenu d'environ 20 milliards de dollars, soit 2 p. 100 du PIB. Cela n'a pas l'air énorme en comparaison des chiffres américains, mais nous sommes des Canadiens et c'est beaucoup d'argent pour nous.
En se fondant sur ces hypothèses, faire passer la fourchette cible au niveau de 2 à 4 p. 100 n'entraînerait qu'un coût net négligeable, si le personnel de la Banque du Canada a raison, et un gain net important si Tobin et ses confrères ont raison. L'argument symétrique, c'est qu'en ramenant la fourchette cible au niveau de 0 à 2 p. 100, on ne réaliserait qu'un gain net négligeable, si le personnel de la Banque du Canada a raison, et une perte nette considérable si Tobin et ses confrères ont raison. Je résume dans le tableau suivant cette matrice des gains éventuels du jeu de l'incertitude.
Dans ce jeu, plutôt que de réduire la fourchette cible ou de la maintenir au niveau actuel de 1 à 3 p. 100, la décision optimale consiste à l'augmenter dans toutes les circonstances, sauf dans le cas où la probabilité que Tobin et ses confrères aient raison est restée extrêmement mince. L'état actuel des connaissances ne permet à personne d'être sûr que le personnel de la Banque du Canada a raison et que Tobin et ses confrères ont tort ni qu'il serait optimal, dans l'incertitude, de réduire la fourchette cible ou de la laisser inchangée.
• 1550
Bien sûr, l'autre solution pragmatique serait d'élargir la
fourchette actuelle, en la faisant passer du niveau de 1 à 3 p. 100
au niveau de 1 à 4 p. 100, ce qui permet toutes les possibilités,
et laisser ensuite à l'avancement des connaissances économiques de
la décennie le soin de décider de la solution la plus appropriée.
C'est là l'essentiel de ce que je voulais dire au comité. Je voulais me concentrer sur les questions auxquelles on m'avait demandé de répondre, à savoir: comment établir la cible et quelles sont mes opinions au sujet de l'établissement de la fourchette cible de l'inflation au Canada au-delà de l'an 2001?
Je voulais présenter des arguments logiques très solides afin que quiconque n'opte pas pour la fourchette cible de 2 à 4 p. 100 paraisse stupide.
Des voix: Oh, oh!
M. Pierre Fortin: J'exagère, mais c'est plus ou moins ce que je voulais faire. Il y a deux ou trois précisions qui pourraient être apportées plus tard, mais je ne veux pas prendre trop de temps.
Tout d'abord, je pense qu'il y a eu nette amélioration de la stratégie touchant la politique monétaire ces trois dernières années. Le contenu des deux derniers rapports sur la politique monétaire le montre en bonne partie. J'estime d'ailleurs que ces rapports devraient absolument être lus par quiconque veut comprendre l'énorme évolution et la réflexion qui se sont produites à la Banque du Canada, comparativement à la première moitié des années 90.
Il y a deux conclusions auxquelles parvient la Banque dans ces rapports. La première, c'est qu'elle a cessé de sous-estimer la stagnation économique. Elle a changé sa méthode de calcul de la stagnation qui persiste dans l'économie. Nous pourrons en discuter plus amplement. Permettez-moi de vous donner un simple exemple.
En 1997, lorsque le taux de chômage au Canada était légèrement supérieur à 9 p. 100, il y a eu une sorte de panique à la Banque du Canada. Elle s'est dit: Nous voici tout près du plein emploi, c'est-à-dire du taux de chômage en deçà duquel l'inflation recommencera à grimper de façon incontrôlée. Ce niveau plancher était un taux de chômage de 8,5 p. 100. Depuis, le taux de chômage du Canada a diminué de près de deux points de pourcentage et on ne voit pointer aucune augmentation de l'inflation de base.
Bien sûr, la Banque a reconnu cela ouvertement. Je pense qu'il est extrêmement positif que ses idées sur la question aient évolué.
Deuxièmement, la Banque reconnaît qu'aux changements du taux de change réel, l'économie réagit dans des délais plutôt longs et hésitants. Il en résulte que la Banque a une difficulté considérable à gérer l'économie à court terme.
Bien sûr, c'est là-dessus que se basent ceux qui défendent un taux de change fixe du type Bretton Woods—Tom Courchene à Kingston, par exemple—et ceux qui, à l'autre extrémité, proposent que l'on passe au dollar américain pour avoir un taux de change fixe. Même si l'on n'est pas d'accord pour dire que le Canada a besoin d'un régime de taux de change fixe, on doit bien se rendre compte que la Banque a énormément de difficultés à gérer le taux de change dans son indice des conditions monétaires.
Voilà donc où nous en sommes, et nous sommes ici pour en discuter. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup.
M. Pierre Fortin: Comment me suis-je débrouillé du point de vue du temps?
Le président: Vous avez simplement été parfait.
M. Pierre Fortin: Vous voulez dire pour le contenu?
Des voix: Ah, ah!
Le président: Non, non, nous ne parlons que de la durée de votre exposé.
Monsieur McCallum.
M. John McCallum (vice-président en chef et économiste principal, Banque Royale du Canada): Merci, monsieur le président.
Eh bien, j'allais me concentrer surtout sur votre troisième question, qui porte sur les régimes de taux de change, en partie parce que c'est l'un de mes sujets favoris, et parce que je ne peux pas assister à votre troisième réunion, où ce sera explicitement le sujet à débattre. Il y a toutefois moyen d'en parler dans le cadre de la deuxième question.
Je voudrais également parler un peu des cibles d'inflation. Pierre a fait état des deux extrêmes—la Banque du Canada proposant de 0 à 2 p. 100, et lui, réclamant de 2 à 4 p. 100—mais je serai la douce voix de la raison: pourquoi pas de 1 à 3 p. 100?
Je suis d'accord avec Pierre: il faut faire plus de recherche. Ce que j'en conclus, même si je reconnais n'avoir pas examiné cette question tout récemment, c'est que les conclusions ne sont pas très solides. La Banque du Canada a ses propres preuves qui, selon elle, montrent que Pierre a tort. Je crois que cela doit être réexaminé plus près du moment de prendre la décision, mais ma dernière interprétation est que ces conclusions ne sont pas très solides.
• 1555
Je crois qu'il est important que le Canada ne se démarque pas
trop de ses principaux partenaires commerciaux. Je pense que les
marchés pourraient carrément s'affoler si la Banque du Canada
annonçait tout à coup que ses cibles d'inflation étaient au niveau
de 2 p. 100 à 4 p. 100. Je crois qu'il serait acceptable que les
cibles soient les mêmes que celles des partenaires, mais je crois
que l'Europe a également un maximum. La réserve fédérale américaine
n'a pas de cible officielle, mais je ne pense pas qu'elle puisse
jamais accepter 4 p. 100. Le Royaume-Uni, l'Australie et d'autres
pays ne sont pas prêts à laisser l'inflation grimper à 4 p. 100.
Je pense donc que nous ne serions pas sur la même longueur d'onde que nos principaux partenaires commerciaux si nous allions dans cette direction, et je crois que nous pourrions nous attendre à des réactions très négatives des marchés.
Le monde entier s'oriente, selon moi, vers une tolérance beaucoup plus réduite de l'inflation. Je ne voudrais donc pas aller au-delà du statu quo, de 1 p. 100 à 3 p. 100, mais je ne suis pas non plus convaincu aujourd'hui qu'il nous faille absolument aller plus bas. Je pense que la cible de 1 p. 100 à 3 p. 100 nous a été très utile. Il nous faudra probablement réexaminer la situation plus près du moment de prendre une décision, et voir notamment ce que font nos partenaires commerciaux.
Par conséquent, au vue des renseignements dont je dispose, je dirais que la cible de 1 p. 100 à 3 p. 100 est tout à fait correcte.
Permettez-moi maintenant de passer aux régimes de devises. J'ai trois ou quatre choses à dire à ce sujet.
Premièrement, dans le monde d'aujourd'hui, je ne crois pas qu'il y ait de demi-mesure.
Ah, merci, Pierre. Nous ne sommes peut-être pas d'accord sur certaines choses, mais il me verse quand même de l'eau.
Je crois que de nombreux économistes reconnaissent que, en cette époque de haute mobilité des capitaux à l'échelle mondiale, il faut être blanc ou noir. Le gris n'est pas toléré. Autrement dit, on peut soit se ranger à notre situation actuelle, c'est-à-dire des taux de change flottants accompagnés de cibles d'inflation, soit passer carrément à l'autre extrême, c'est-à-dire à la dollarisation, à l'utilisation du dollar américain ou à la création d'une union de la devise, comme à Hong Kong ou en Argentine. Ce qu'on ne peut cependant pas à avoir dans le monde actuel des capitaux extrêmement mobiles, c'est un simple taux de change fixe, comme nous l'avions au cours des années 60.
Ce qui, à mon sens, milite le plus en faveur de mes affirmations, c'est que si l'on demande combien des pays de l'OCDE ont actuellement un simple taux de change fixe, tel que le définit le FMI, la réponse est: «pas un seul.» Certains taux de change sont mollement fixés, d'autres flottent dans le sillage, mais aucun n'est simplement fixé. Certains pays, tels que la Grèce, s'orientent vers l'euro; d'autres, tels que le Canada, la Suède et le Royaume-Uni—enfin, le Royaume-Uni s'oriente peut-être vers l'euro—ont des taux de change flottants accompagnés de cibles d'inflation.
Donc, lorsque nous tenons ce débat au Canada, je crois que, de façon réaliste, il nous faut choisir entre le système actuel et soit utiliser le dollar américain ou recourir à une caisse d'émission, comme on le fait en Argentine ou à Hong Kong.
Deuxièmement, je crois qu'il s'agit là presque entièrement d'un débat théorique qui n'aboutit à rien dans le monde réel. Je dis cela spécialement en ce qui a trait au Canada anglais. Le Québec est un peu différent.
Pierre et moi étions deux des participants à un débat à la Chambre de commerce de Montréal, il y a quelques semaines. J'étais du côté du statu quo—mon partenaire était John Crow—et il était favorable à la dollarisation ou au recours à une caisse d'émission, à l'instar de Marcel Côté.
M. Pierre Fortin: Eh bien, ce n'est pas...
M. John McCallum: Je croyais bien avoir entendu «caisse d'émission».
Le président: Très bien. Nous obtiendrons l'enregistrement du débat et nous finirons bien par savoir qui a dit quoi.
Poursuivez, je vous en prie.
M. John McCallum: Je signale cela parce que nous avons eu un grand auditoire à Montréal. Il y avait une autre grande conférence à Montréal, à laquelle participaient Bernard Landry et d'autres personnes.
Ce que je tiens surtout à souligner, c'est que ce n'est pas par pure coïncidence que ces événements se sont déroulés à Montréal. Les mêmes gens qui ont organisé le débat de la Chambre de commerce de Montréal ont demandé à la Chambre de commerce de Toronto de tenir un débat semblable, mais ils se sont fait dire qu'il n'y avait pas suffisamment d'intérêt.
Pour diverses raisons, que Pierre pourrait probablement expliquer mieux que moi, le milieu des affaires, le monde universitaire et la classe politique du Québec s'intéressent à cette question, alors que seule une poignée d'universitaires et un tout petit nombre de représentants du secteur des affaires au Canada anglais prennent au sérieux l'idée extrême de recourir à la dollarisation ou encore à une caisse d'émission.
Toutefois, étant donné que vous avez soulevé la question, je voudrais faire trois autres observations. Comme je l'ai dit, il y a trois raisons pour lesquelles je m'oppose à cela.
• 1600
La première, c'est que le Canada n'est ni l'Argentine, ni le
Mexique ni le Brésil. Nous sommes parvenus, en payant un prix
considérable, à une discipline tant financière que monétaire. Nous
sommes parvenus à la discipline monétaire à l'époque de John Crow,
lorsque nous avons ramené notre inflation à un taux très bas. Nous
avons atteint la discipline financière sous l'égide de Paul Martin
et d'autres lorsque nous avons transformé les déficits en
excédents.
Comme tout le monde le reconnaîtra, j'imagine, nous avons dû payer pour cela. Nous n'avons pas obtenu cela gratuitement. Parvenir à ces disciplines a coûté cher au Canada et aux Canadiens. Mais le fait est que nous avons réussi. Le prix à payer, c'est qu'aujourd'hui nos taux d'intérêt sont légèrement inférieurs à ceux des Américains, alors que tous ces autres pays ont des taux d'intérêt beaucoup plus élevés. Nous ne sommes donc pas dans la même catégorie.
Voici ma deuxième observation: ayant atteint cette discipline, il est utile d'avoir une certaine souplesse, parce que la structure du Canada est très différente de celle des États-Unis. Nous sommes assujettis à des chocs de types différents. Nous avons un taux de change flottant qui sert un peu de tampon pour nous protéger des chocs, pour améliorer notre performance économique.
Il n'est pas de meilleur exemple de cela que celui de la crise asiatique, lorsque le prix des produits de base a culbuté dans le monde entier, lorsque les économies axées sur les matières premières—nous sommes encore, dans une mesure considérable, une économie basée sur des matières premières—comme le Canada, le Chili, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont vu leur devise dégringoler. Le Canada a remonté plus de la moitié de la pente qui mène au niveau où il était avant la crise; on peut donc espérer qu'il s'agit d'un déclin temporaire, mais nous avons subi ce déclin, ce qui a aidé les secteurs des matières premières à s'adapter au choc et a aidé le secteur manufacturier à accroître ses exportations. De ce fait, notre économie a connu une performance très positive pendant la crise asiatique et depuis.
Voici donc la question que je pose: quelle est la solution de rechange? Il nous fallait, d'une façon ou d'une autre, absorber ce choc. Autrement, il aurait fallu refuser d'aller plus bas qu'un taux de change fixe et permettre, en supposant que nous ayons une caisse d'émission, que les taux d'intérêt montent en flèche jusqu'au niveau nécessaire pour défendre notre devise. Je pense que nous aurions pu connaître un repli ou une récession, et j'aime bien mieux subir un déclin temporaire de notre dollar que d'absorber un choc sous la forme de taux d'intérêt stratosphériques et d'un repli économique. C'est là un seul exemple—le plus récent, mais il est révélateur—des avantages de cette souplesse du taux de change, à condition que l'on ait acquis, au prix fort, une certaine discipline.
Je voudrais faire une dernière observation. Je n'ai dépassé mon temps que d'une seule minute. Il y a toujours des coûts et des avantages associés à diverses choses. Comparativement à la solution de la caisse d'émission ou de la dollarisation, un des coûts du système actuel est qu'il est très vrai que la volatilité du taux de change, le fait que l'on ne sache pas ce que sera la valeur de la devise à l'avenir, rend le commerce plus difficile. Il est plus difficile pour les entreprises de planifier leurs transactions ou de prendre des décisions quant à leur localisation, lorsqu'elles ne savent pas avec certitude ce que sera la valeur de la devise. Si l'on se contentait d'utiliser le dollar américain, on saurait évidemment que la devise vaut un dollar américain. C'est très vrai.
Je pense qu'il appartient à ceux qui proposent un changement radical de prouver la validité de leur argument. Au cours de la dernière décennie, la volatilité des changes a été assez marquée, mais les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis ont été on ne peut plus explosifs. Comment peut-on alors prétendre que la volatilité des changes est un obstacle majeur au commerce, alors que les échanges entre le Canada et les États-Unis ont connu une croissance remarquable, soit plus du double? Cette expansion a dépassé de loin ce qu'on prédisait avant la signature de l'Accord de libre-échange.
On en a aussi des preuves sur la scène internationale. Je pense notamment à des économistes américains comme Jeffrey Frankel, qui, après s'être penché sur la situation de divers pays, conclut que la volatilité des changes ne semble pas être un obstacle de taille au commerce.
Étant donné que nous avons réussi à assainir nos finances, que la flexibilité est avantageuse dans une conjoncture mondiale incertaine où toutes sortes de bouleversements peuvent se produire, et que notre système semble avoir bien fonctionné au cours des dernières années, je serais tout à fait opposé à toute transition radicale vers la dollarisation ou une caisse d'émission. Cependant, c'est une question théorique, si vous souscrivez à mon premier argument, puisqu'il s'agit tout simplement d'un feu de paille, d'une idée à la mode qui circule dans certains milieux universitaires et qui n'ira guère plus loin.
Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup, monsieur McCallum.
Nous entendrons maintenant Bernard Élie. Soyez le bienvenu.
[Français]
M. Bernard Élie (témoignage à titre personnel): [professeur, Département de sciences économiques, Université du Québec (Montréal)] Je remercie le comité de m'avoir invité.
J'ai été prévenu il y a seulement quelques jours. Je n'ai donc pas pu préparer de texte. Cependant, je serai assez clair et je ne vais pas parler trop vite, en pensant aux interprètes.
• 1605
Lorsque j'ai lu les thèmes que vous vouliez
aborder, je me suis dit que vous vouliez savoir si le
Canada était capable d'avoir une politique monétaire
indépendante et efficace. Le problème, c'est que la
situation ou l'environnement économique de l'an 2000 a
énormément évolué depuis quelques années. On ne se
trouve certainement pas dans la situation qui prévalait
à l'époque des
accords de Bretton Woods, après la Seconde Guerre
mondiale, alors qu'il était facile pour les gouvernements de
signer un accord prévoyant des taux de change fixes,
puisque les marchés des capitaux privés étaient
très petits à l'époque, ce qui n'est
plus le cas aujourd'hui. Donc, il était possible, dans
l'esprit de Bretton Woods, dans l'esprit de l'époque, de
demander ou
d'assurer la liberté des paiements, la stabilité des
paiements et la permanence par un certain nombre de
mesures, dont les taux de change fixes.
Cette situation, bien sûr, n'existe plus aujourd'hui. Seulement pour vous donner une idée de l'importance des mouvements de capitaux privés et de leur volatilité, je vous dirai que la Banque des règlements internationaux, avec le concours des grandes banques centrales, dont la Banque du Canada, mène une enquête à tous les trois ans sur les marchés des changes. La dernière enquête a eu lieu au mois d'avril 1998, et la première avait eu lieu au mois d'avril 1986.
En 1986, sur les marchés des changes de la planète, à chaque jour du mois d'avril 1986, il y avait eu des transactions pour 188 milliards d'équivalents-dollars américains. Douze ans plus tard, en 1998, ce chiffre est multiplié par plus de 11. Sur les marchés des changes, quotidiennement, durant le mois d'avril 1998, se transigeait l'équivalent de 1 971 milliards de dollars.
[Traduction]
Cela équivaut à un billion de dollars américains.
[Français]
Les sommes sont donc absolument gigantesques. Je vous donne une idée de ce que représentent des transactions de 1 971 milliards en équivalents-dollars américains sur les marchés des changes en une journée au mois d'avril 1998: cela représente 80 p. 100 de l'ensemble des réserves officielles de toute la planète. Et cela, c'est au cours d'une journée de transactions.
Sur le marché des changes au Canada, il se transigeait quotidiennement, au mois d'avril 1998, pour 36 milliards d'équivalents-dollars américains. Aujourd'hui, on estime que c'est rendu à environ de 43 milliards par jour.
Ce sont des sommes gigantesques qui rendent difficile la gestion d'une politique monétaire, surtout si on cherche à établir un taux de change fixe. La fixité dans une telle situation est relativement impossible.
Par ailleurs, un autre élément important qui a changé, en plus de cette volatilité et du volume du marché des capitaux et du marché des changes en particulier, c'est le rôle du dollar américain. En 1945, on adopté le dollar américain comme une monnaie de réserve. Depuis six ou sept ans, le dollar américain, en plus d'être une monnaie de réserve, est devenu une monnaie de refuge spéculatif, ce qui explique en grande partie le taux de change élevé du dollar américain par rapport à l'euro et par rapport au dollar canadien.
Les Américains vont faire cette année un déficit de leur balance commerciale de l'ordre de 350 milliards de dollars, en particulier avec le Canada. Normalement, si on se fie à théorie économique traditionnelle, un déficit de la balance commerciale d'une telle ampleur devrait entraîner une chute du dollar américain, ce qui ne se produira pas parce que cette monnaie est devenue une monnaie refuge.
Actuellement, on s'étonne que l'euro soit sous-évalué. Certains calculent cette sous-évaluation par rapport au dollar américain à 25 p. 100. Mais dans le cas de l'euro, c'est un peu particulier. Il est important de voir que les transactions internationales des 11 membres de l'Union monétaire européenne—qui seront 12 avec la Grèce dans quelques mois et auxquels se joindra sans doute la Grande-Bretagne dans un an ou un an et demi—se font à 80 p. 100 entre eux. Donc, avec l'adoption de l'euro, 80 p. 100 des transactions de ces pays d'Europe se font sans risque de change, ce qui est une situation beaucoup plus intéressante sur le plan de la stabilité des échanges et de leur permanence.
• 1610
Il est évident que, dans le contexte nord-américain,
on est loin d'avoir atteint le niveau de cohérence
politique et économique que connaît l'Europe, et il est
sans doute très difficile d'envisager, même dans
une perspective de 50 ans, qu'il soit possible, à
moins de catastrophe particulière, d'envisager une
situation semblable à celle de l'euro.
Donc, actuellement, pour ce qui est de la politique monétaire de la Banque du Canada, compte tenu de la volatilité des marchés de capitaux, il est sans doute évident que le maintien d'un taux de change flexible ou flottant est la solution la moins mauvaise.
Il faut se rappeler que, lors de la crise de change du dollar canadien, à l'été 1998, la chute du dollar canadien, au mois d'août et début septembre 1998, qui avait été de 7 p. 100 par rapport au dollar américain, a quand même entraîné des dépenses du fonds des changes du Canada de l'ordre de 15 milliards d'équivalents-dollars américains pour soutenir le dollar canadien. Ces 15 milliards ne venaient pas de n'importe où; le gouvernement fédéral a emprunté pour fournir ces liquidités au fonds des changes.
C'est un coût énorme, mais sans doute que le modèle suivi par l'Argentine ou par les pays du Sud-Est asiatique jusqu'en 1997 était encore plus mauvais, compte tenu de la dureté que peuvent avoir les marchés financiers étant donné leur volume d'aujourd'hui, en l'an 2000.
Ce qu'il faut voir, dans le contexte actuel, c'est que lorsqu'on parle de la globalisation des marchés financiers, il s'agit d'abord et avant tout des fluctuations de mouvements de capitaux qui se font de façon très importante et dans le même sens, qui amplifient les risques de fluctuation des taux de change et donc des taux d'intérêt.
Le problème qui se pose, c'est qu'actuellement, il est très difficile pour le Canada d'avoir l'ambition d'avoir une politique monétaire autonome et que la politique très sévère que la Banque du Canada, sous M. Crow, a appliquée dans les année 1990 a sans doute contribué au retard de notre reprise économique par rapport aux États-Unis.
De plus, la politique monétaire de la Banque du Canada, ces dernières années, a toujours été semblable à celle des Américains quand l'économie canadienne allait dans le même sens que l'économie américaine. Et quand l'économie canadienne ne va pas dans le même sens que l'économie américaine, la Banque du Canada se permet d'avoir une politique plus autonome.
Pour l'instant, je crois que quand la réserve fédérale américaine va annoncer la hausse des taux d'intérêt lundi prochain, dès le mardi matin, le 17 au matin, la Banque du Canada devra suivre dans le contexte actuel de fébrilité des marchés.
Je m'arrête ici et je répondrai avec plaisir à vos questions. Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Élie.
[Traduction]
Nous entendrons maintenant M. Krehm.
M. William Krehm (témoignage à titre personnel): [président, Committee on Monetary and Economic Reform] Bonjour.
Le président: Vous n'étiez pas encore là quand nous avons expliqué la façon dont on procède.
M. William Krehm: Désolé, je suis arrivé en train et il avait deux heures de retard. Je m'en excuse.
Le président: Ne vous en faites pas. Vous disposez de cinq à 10 minutes pour faire votre exposé, après quoi, nous passerons à la période des questions.
M. William Krehm: En raison des aléas causés par la déréglementation des banques sur la scène internationale, les banques canadiennes ont déjà accusé des pertes en capital substantielles. Voici les statistiques froides compilées par la Banque du Canada.
Après avoir atteint 1,46 billion de dollars au deuxième trimestre de 1998, l'actif des banques canadiennes avait chuté de 71 milliards de dollars au troisième trimestre de 1999. Soit dit en passant, ce montant dépasse de près de 10 milliards de dollars le passif total des banques à charte.
Il n'est pas difficile de deviner la cause de cette perte. La dégringolade des marchés de l'Asie orientale a commencé au milieu de 1997 et à eu des répercussions sur presque tout le globe. Cela dit, la perte de 71 milliards de dollars était modeste ou son effet multiplicateur. En effet, encouragées par la déréglementation et la mondialisation, nos banques ont pris des risques incompatibles avec le secteur bancaire.
• 1615
Au troisième trimestre de 1999, trimestre auquel correspondent
ces statistiques, la chute libre des actions Internet n'avait pas
encore commencé. D'autre part, les banques canadiennes ont changé,
au cours des dernières années, leurs méthodes habituelles. Ainsi,
elles ont tourné le dos aux services bancaires de détail pour se
lancer sur les marchés boursiers. Elles se sont lancées dans des
activités de courtage presque partout dans le monde. Elles se sont
mises à émettre des actions, à faire des opérations bancaires
d'investissement, et à négocier des valeurs boursières et des
instruments dérivés en utilisant leurs propres comptes. Ce serait
un miracle si elles n'enregistraient pas des pertes substantielles
durant les dégagements hebdomadaires de la Bourse. Nous en saurons
davantage dans sept ou huit mois.
Des pertes de cette ampleur sont particulièrement graves, car le crédit bancaire représente une portion importante de notre masse monétaire; il en va de même des gains boursiers. La meilleure façon de distinguer ce qui est de l'argent de ce qui n'en est pas, c'est de se poser la question suivante: l'État l'acceptera-t-il en paiement des impôts? Je ne crois pas que le ministère du Revenu national ait jamais retourné un paiement provenant du produit d'une razzia boursière avec une petite note du genre «Désolé, ce n'est pas propre».
Les banques utilisent le crédit de moins en moins pour financer les petites entreprises, mais elles s'en servent néanmoins comme base financière pour se lancer dans des activités de plus en plus risquées. Le courant monétariste qui a soufflé sur les banques centrales du monde au début des années 80 considère l'inflation comme étant simplement le résultat d'une masse monétaire excessive. Toutefois, nos banques étant de plus en plus attirées par le marché boursier, les banques centrales des différents pays ont pendant longtemps hésité à hausser les taux d'intérêt.
Des taux d'intérêt élevés sont mortels pour les marchés boursiers et, par conséquent, pour nos banques restructurées. Et, de chiens de garde, la banque fédérale de réserve et la Banque du Canada se sont transformées en serviteurs des banques. Toutefois, depuis les années 60 et 70, toutes les autres méthodes éprouvées pouvant juguler l'inflation ont été éliminées.
Il a déjà été possible pour la Banque du Canada d'augmenter ses réserves-encaisse afin de garantir ses dépôts et dépendre moins de l'augmentation des taux d'intérêt. Mais dès 1967, le Parlement adoptait un projet de loi obligeant toute modification des réserves-encaisse au Canada à faire l'objet d'une loi spéciale du Parlement pour être autorisée. Les réserves que les banques devaient détenir auprès de la Banque du Canada ne leur rapportaient aucun intérêt et ont été éliminées graduellement afin d'aider les banques à sortir de l'ornière financière dans laquelle elles se trouvaient dans les années 70.
Voilà comment l'augmentation des taux d'intérêt est devenu l'instrument grossier dont la banque centrale pouvait se servir pour combattre l'inflation. C'est d'ailleurs ce qui explique pourquoi on a attendu si longtemps pour juguler l'hyperinflation des actions de la prétendue nouvelle économie. Mais les vieilles habitudes perdurent. Les banques centrales, aux États-Unis comme au Canada, ont acquis l'habitude de réagir au moindre soupçon de resserrement du marché du travail.
En 1970, le premier ministre d'alors, M. Trudeau, menaçait de ne pas intervenir pour combattre l'inflation, même si le taux de chômage grimpait à 6 p. 100. Aujourd'hui, dans le marché du travail prétendument resserré du Canada, le taux de chômage est de 6,9 p. 100. Comme toujours, libre à chacun de juger comme il l'entend.
Voilà pourquoi il y a quelques années, au moment où la crise de l'Asie orientale pointait à l'horizon, M. Thiessen, gouverneur de la Banque du Canada, s'inquiétait de la déflation. Or, à peine huit jours plus tard, il expliquait à nouveau au comité sénatorial à quel point il regretterait jusqu'à la fin de ses jours d'avoir jamais parlé de «déflation». Pourquoi? Et comment se fait-il que presque personne n'ait demandé pourquoi?
• 1620
Les banques centrales sont devenues des médecins qui ne se
spécialisent que dans l'hypertension artérielle. Ils ne savent pas
reconnaître les symptôme de l'hypotension artérielle, même à
l'article de la mort. Or, le souhait exprimé par M. Thiessen
n'était pas unique en son genre.
Dès 1996, M. Greenspan, qui est devenu une figure emblématique, parlait de l'exubérance irrationnelle des marchés boursiers qui avaient consenti une capitalisation plus élevée que celle de General Motors aux actions d'Internet qui n'avait pas encore gagné un sou. Mais l'omnipuissant M. Greenspan et ses collègues se sont vus enjoints de «foutre la paix» aux cours boursiers—comme le disait le numéro du 8 mai du Wall Street Journal—et de se concentrer sur l'inflation des produits de base.
Et pourtant, le 4 mai, M. Greenspan s'adressait à des conférenciers de Chicago et signalait que l'adoption en novembre d'une loi historique supprimant les restrictions imposées aux banques et qui remontaient à l'ère de la dépression et les empêchaient de s'intéresser à de nouveaux secteurs, tels que les opérations sur titres, l'assurance, les services bancaires d'investissement et l'achat d'actions de compagnies non financières, posait pour elles de nouveaux risques.
Mais tout cela arrive bien tard. M. Greenspan semble peaufiner un nouveau style d'éloge funèbre dans lequel il recommandait au décédé une sexualité sans risque et un régime spartiate.
Il reste qu'un détail à vous figer le sang de cet épisode burlesque. Notre gouvernement n'a aucun plan d'urgence qu'il pourra appliquer le jour où les marchés boursiers du monde entier se calmeront et qu'éclatera l'énorme bulle créée par le crédit privé. Voilà pourquoi je vais consacrer le peu de temps qu'il me reste à décrire les bateaux de sauvetage qui se trouvent encore sur le pont du Titanic et qui pourraient servir à notre gouvernement, au moment de l'épreuve.
Allons-y. Je ne parlerai pas de l'article 14, qui permet au ministre de renvoyer le gouverneur si ce dernier ne respecte pas les instructions que lui donne le gouvernement.
Je laisserai également tomber le paragraphe 17(2), dans lequel il est établi que Sa majesté est l'actionnaire unique de la Banque du Canada. Des gens qui vivent dans la réalité contestent ce fait. C'est ce qui explique à quel point on comprend mal les affaires monétaires du Canada. Cette disposition est telle que lorsque le gouvernement du Canada emprunte à la Banque du Canada, l'intérêt versé sur ces dettes retourne au gouvernement sous forme de dividendes, ce qui correspond à un prêt presque sans intérêt.
J'en arrive maintenant aux articles de fond de la Loi sur la Banque du Canada qui ont déjà acquis une importance encore plus grande.
L'alinéa 18i) établit qu'il n'y a aucune limite légale au nombre de valeurs mobilières que pourrait détenir la Banque du Canada et qui seraient émises ou garanties par le Canada ou par des provinces. Apparemment, la Banque du Canada ne peut détenir un nombre infini de titres d'État. Ce qu'il faut se demander, c'est s'il existe au Canada des ressources non employées. Dans l'affirmative, cela signifie que la Banque du Canada peut en détenir plus encore.
L'alinéa 18j) permet à la Banque du Canada ne consentir des prêts au gouvernement du Canada ou au gouvernement d'une province, à condition que le montant non remboursé des prêts ne dépasse pas, dans le cas du gouvernement du Canada, un tiers du budget de l'exercice en cours—comme votre comité peut le constater, un tiers, c'est beaucoup—ou un quart du budget d'une province, ce qui est également beaucoup d'argent. On parle évidemment ici des dettes non consolidées et de la possibilité de reconduire les prêts arrivés à maturité. Cette disposition-ci permet la reconduction.
• 1625
Il importe de noter que les paliers inférieurs du gouvernement
ne sont pas des actionnaires de la Banque du Canada et ne peuvent
donc pas automatiquement récupérer une partie de l'intérêt versé
sur les prêts consentis par la Banque du Canada, s'il y en a. Mais
cela donne à Ottawa un autre moyen de s'entendre avec les
administrations inférieures. En effet, le Trésor fédéral pourrait
rembourser aux provinces ou aux municipalités une partie des
intérêts versés sur les prêts consentis par la Banque du Canada et
qui se retrouvent dans les coffres du fédéral, dans la mesure où
provinces et municipalités acceptent d'adhérer strictement à des
critères nationaux.
Sans vouloir diminuer les grands mérites de notre ministre des Finances, il faut quand même reconnaître qu'une bonne partie de l'excédent dont il se félicite, provient des municipalités qui ont été saignées à blanc. Une mesure, comme celle dont je parle, ferait plus pour l'unité nationale qu'une dizaine de conférences constitutionnelles.
Au milieu des années 70, la Banque du Canada détenait plus de 20 p. 100 de toute la dette fédérale active. Aujourd'hui, ce pourcentage est de 5 p. 100. La Banque du Canada a donc une ample marge de manoeuvre et peut financer des projets d'infrastructure essentiels aux trois paliers du gouvernement et ce faisant—et c'est là un détail important—remplacer la masse monétaire qui s'épuise et continuera à s'épuiser au fur et à mesure que le marché boursier trébuchera.
Je n'ai plus rien à dire.
Le président: Merci beaucoup.
Nous passons maintenant à la période de questions. Qui veut commencer?
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Je vais commencer par remercier les témoins qui ont bien voulu se déplacer aujourd'hui. Monsieur Krehm, c'est la première fois que j'ai l'occasion de vous entendre et cela a été un plaisir pour moi. Il m'a été possible d'entendre les trois témoins qui vous accompagnent en d'autres circonstances, ce qui a toujours été intéressant.
Malheureusement, le temps dont nous disposons est un peu court. M. Élie me disait, au début, que les trois points qu'il devait aborder faisaient habituellement l'objet de deux cours d'environ 45 heures. C'est donc pénible d'avoir à régler le sort du dollar canadien dans un si court laps de temps.
Je vais d'abord m'adresser à M. Fortin, que j'ai eu le plaisir d'entendre au CORIM l'an dernier. Vous dites, monsieur Fortin, que la solution économique idéale—et je souligne économique—serait d'abolir le dollar canadien et d'engager l'Amérique du Nord dans un processus d'accession formelle à une union monétaire, ce qui est quand même assez intéressant. Vous dites que le problème est un problème politique et que la classe politique dans son ensemble, du moins la classe politique canadienne, est peu intéressée à s'orienter dans cette direction.
J'allais dire que je me souvenais, ce qui aurait été un peu mentir, mais il me semble qu'en 1983—vous avez plus de chances de vous en souvenir que moi—Brian Mulroney, dans la course au leadership du Parti conservateur, disait non au libre-échange. Il disait qu'on n'aurait jamais de libre-échange avec les États-Unis. C'était complètement absent des grands radars de la politique canadienne. Mais il s'est alors produit un petit changement: le rapport de la Commission MacDonald est venu changer tout cela.
Ce qui était politiquement impossible entre 1980 et 1983, ou même entre 1911 et 1983, depuis que Laurier avait perdu les élections sur la réciprocité en 1911, a connu un très gros changement. Maintenant, on vit dans un monde où quiconque ose se dire anti-libre-échangiste, du moins à l'échelle nord-américaine, se fait traiter de dinosaure, d'être en voie d'extinction.
• 1630
Pensez-vous qu'il soit possible, sans
que l'histoire se répète, qu'un tel
phénomène se
produise encore une fois, c'est-à-dire que ce qui
paraît impossible politiquement,
mais qui a de l'allure économiquement, puisse amener
les gens à se dire que l'intendance suivra et que, si
c'est ce qui est économiquement préférable, on arrivera
bien à le faire?
M. Pierre Fortin: Je pense bien que les circonstances peuvent évoluer. Vous auriez pu faire allusion si vous aviez eu trois ans de plus comme moi—j'ai trois ans de plus que vous—à la campagne électorale de 1974, alors que M. Trudeau avait ri de M. Stanfield en disant qu'il n'y aurait jamais de contrôles, que cela n'avait pas de bon sens.
Mais effectivement, les gens changent et ont des opinions raisonnables. Même M. McCallum, par exemple, pourrait accepter demain matin le 2 à 4 p. 100 s'il se rendait compte que le taux régulier d'inflation, chez les Américains, se situe entre 3 et 4 p. 100.
M. Richard Marceau: Il pourrait peut-être devenir souverainiste aussi.
M. Pierre Fortin: Non. Cela dit, le point que je souligne dans le texte sur le régime monétaire que j'ai distribué, c'est qu'une monnaie doit être régie non seulement par l'économie, mais aussi par des institutions politiques et qu'actuellement, le Canada et les États-Unis n'ont pas de telles institutions et n'ont même pas fait un pas dans cette direction comme l'Union européenne l'avait fait.
Deuxièmement, cela n'est absolument pas soutenu par la classe politique, à laquelle vous faites allusion, et l'opinion canadienne en général y est opposée. Est-ce que dans un avenir prochain ou plus éloigné, la population canadienne changera d'idée là-dessus? Ce n'est pas impossible. Les circonstances peuvent l'amener à le faire.
Par exemple, personnellement, je ne partage pas l'analyse qui a été faite, à savoir que la flexibilité du dollar canadien a permis à l'économie canadienne de tirer son épingle du jeu pendant la crise asiatique. Je pense que ce qu'on a eu est une baisse soudaine de la valeur du dollar canadien, une dépréciation importante suivie, en août 1998, donc après un certain délai, d'une remontée soudaine d'un point de pourcentage du taux d'intérêt au Canada, suivie d'une redescente progressive en sympathie avec les taux d'intérêt américains.
Tous ces signaux sont contradictoires, dans un sens ou dans l'autre, selon le secteur de l'économie qu'on examine, soit le secteur sensible aux taux de change, soit le secteur sensible aux taux d'intérêt, et à cause du très court terme dans lequel tout ça s'est effectué.
Or, on sait que l'impact des taux d'intérêt et des taux de change prend beaucoup de temps avant de se faire sentir. Mon sentiment, c'est que l'intervention de la banque centrale, bien qu'avec la meilleure volonté du monde, n'a pas été efficace. Ce que Bernard Élie a dit de plus important tout à l'heure, c'est que la flexibilité du taux de change, pour qu'elle soit acceptable, doit permettre à la fois l'indépendance de la politique monétaire et son efficacité.
C'est ce qui est remis en question à l'heure actuelle. Oui, on a l'indépendance monétaire, mais est-ce qu'elle aide vraiment le Canada à avoir une meilleure performance économique que s'il était sous un régime de taux de change fixe? Je ne le crois pas. Je crois que, même s'il était souhaitable économiquement qu'on ait une union monétaire, actuellement, l'opinion n'est pas prête à cela. Je ne peux pas spéculer sur les raisons politiques qui pourraient faire changer l'opinion dans l'avenir.
M. Richard Marceau: Là-dessus, vous rejoignez un peu ce que disait M. McCallum, à savoir que c'était un débat principalement académique. Je mettrais un bémol à ces propos.
Peut-être que M. McCallum et peut-être que vous aussi, monsieur Fortin, si on a le temps... Il y a un an, ce n'était pas sur l'écran-radar—évidemment, les sondages sont ponctuels—mais les derniers sondages d'opinion du Globe & Mail, qui datent de l'été dernier, indiquaient que 77 p. 100 des Canadiens croyaient que d'ici 20 ans, le dollar canadien n'existerait plus et qu'entre 37 et 40 p. 100 des Canadiens étaient en faveur d'une union monétaire. Ce pourcentage était au-dessus de 50 p. 100 au Québec, pour des raisons particulières.
Donc, l'union monétaire, qui était considérée il y a un an comme un «non-enjeu», ce qu'on appelle une non-issue en latin, récolte la faveur des Canadiens à 40 p. 100. Cela m'a beaucoup frappé parce que je connais l'importance symbolique du dollar.
• 1635
Quand on a eu un débat à la
Chambre des communes—mes collègues s'en souviendront
peut-être—un collègue libéral disait se
souvenir que lorsqu'il était camelot, la première fois
qu'il avait été payé, c'était avec une pièce
de monnaie sur
laquelle était écrit le mot «Canada». Il en était
fier parce que
cela représentait, avec le drapeau et l'hymne
national, un symbole d'identification nationale.
Ma question à M. McCallum sera celle-ci: ne pensez-vous pas que ce débat, que vous pensez être seulement académique, est plus qu'académique, surtout si on prend en considération le fait que le Congrès américain, au Sénat et à la Chambre des représentants, étudie l'International Monetary Stability Act, qui vise à favoriser la «dollarisation» des pays qui le désirent, entre autres en partageant les droits de seigneuriage?
M. John McCallum: Je pense qu'il y a une ou deux choses à prendre en considération. En ce qui a trait au sondage, je ne sais pas exactement quelle était la question, mais je devine que la majorité des Canadiens qui soutenaient l'idée d'une union monétaire avaient probablement l'impression qu'ils recevraient un dollar américain pour chaque dollar canadien, ce qui ne serait pas le cas. Mais c'est juste de la spéculation de ma part.
Vous avez dit que c'était une question politique. Ce n'est pas juste la classe politique canadienne, mais aussi la classe politique américaine. Il n'y a là aucun intérêt pour une union monétaire entre le Mexique, le Canada et les États-Unis avec une nouvelle monnaie supranationale. Ils ne s'intéressent aucunement à cela. Quand le sénateur de la Floride parle de «dollarisation», il parle des autres pays qui utiliseraient le dollar, mais qui n'auraient aucun pouvoir d'influencer la politique monétaire aux États-Unis et qui n'auraient aucun prêteur de dernier recours.
Ce sénateur de la Floride, il est plus du style de Helms-Burton ou de la doctrine Monroe que du style de l'Europe.
Deuxièmement, au sujet de la situation canadienne, je pense que la majorité des Canadiens et des gens d'affaires n'auraient aucun intérêt à assister à un débat sur cette question à Toronto. Donc, je pense que pour la grande majorité des gens d'affaires, c'est une question académique. Je pense que le fait qu'il y ait eu, en même temps, l'introduction de l'euro et un dollar canadien à 63 ¢ a créé un intérêt à ce moment-là, mais l'euro n'a pas réussi jusqu'à maintenant, en termes de valeur, et le dollar canadien monte. Donc, je pense que cet intérêt sera temporaire.
M. Richard Marceau: Est-ce que je vous surprendrais, monsieur McCallum, si je vous disais que j'ai parlé personnellement à des gens qui travaillent au Congrès, dans le cadre de discussions autour d'une bière ou d'une boisson gazeuse, et que certains disent qu'une participation du Canada au Federal Open Market Committee, sous une forme ou une autre, serait prise en considération? Je parle de gens qu'on ne pourrait peut-être pas considérer au même titre que le sénateur Helms, mais ça m'a un peu surpris d'entendre cela de leur part.
M. John McCallum: Est-ce qu'une place sur 13 vaut mieux que zéro sur 13?
M. Richard Marceau: Est-ce qu'une place sur 13 vaut mieux que...
M. John McCallum: Zéro.
M. Richard Marceau: Je pense que oui, surtout dans l'optique...
M. John McCallum: On est toujours en minorité, à un sur 13.
M. Richard Marceau: Peut-être, mais il y a deux choses à retenir. D'abord, il y a le système de rotation qui fait en sorte que sur le FOMC, il n'y a pas 13 personnes en même temps; il y en a 5 sur 12 actuellement qui sont présentes sur le FOMC et il y a une rotation, sauf pour le président de la Federal Reserve Bank of New York, qui est toujours là. Donc, dans une rotation, un jour ou l'autre, le Canada s'y retrouverait.
Un deuxième point, à mon avis, mérite d'être pris en considération. Je ne sais pas si c'est vous ou le professeur Élie qui l'a dit. Lundi, lorsque la réserve fédérale américaine remontera ses taux, dans les heures qui suivront, la Banque du Canada fera à peu près la même chose. Quand on parle de 2 000 milliards de dollars de transactions par jour dans le monde, où est la souveraineté monétaire du Canada? Est-ce qu'elle existe? Est-ce que c'est possible d'avoir une souveraineté monétaire? Il me semble que non. Or, avoir un mot à dire dans la politique monétaire nord-américaine, même si la majorité est américaine, au sens du pays des États-Unis, c'est mieux que de faire les petits chiens, que de lire les journaux pour voir ce que fait Alan Greenspan et que la Banque du Canada suive le lendemain matin.
M. John McCallum: Aucun pays n'a une souveraineté totale. On vit dans un monde très indirect. Il est vrai que la plupart du temps, la Banque du Canada suit le fait.
Parfois, il y a des épisodes importants, comme la crise asiatique, où la Banque du Canada avait un choix. La Banque du Canada a décidé de laisser tomber le dollar canadien pour appuyer l'économie canadienne plutôt que d'augmenter les taux d'intérêts pour maintenir sa monnaie ou le taux de change.
[Traduction]
C'est au fruit qu'on reconnaît l'arbre.
[Français]
On avait un taux de croissance très satisfaisant au cours de l'année 1998, l'année de la crise asiatique, en dépit de notre situation et de notre économie basée sur les ressources, et ensuite on a eu une année encore plus forte. Donc, pendant cette période, la Banque du Canada avait un choix. La Banque du Canada a agi et l'économie a réussi d'une façon importante.
M. Bernard Élie: Le véritable problème, ce sont le volume et la volatilité des flux financiers au niveau international. Si la politique monétaire est plus ou moins efficace aujourd'hui, c'est à cause de ce problème.
Il y a deux façons de résoudre ce problème: on peut avoir une monnaie unique, et il n'y a plus de risque de change. Au Canada, le niveau de vie à Terre-Neuve est plus bas qu'à Toronto. Le dollar canadien vaut un dollar canadien à chacun de ces endroits, mais quelqu'un de Terre-Neuve ne peut pas s'acheter une maison en banlieue de Toronto. Ça, c'est la monnaie unique.
L'autre solution, c'est de réintroduire des règles au niveau international, de remplacer les vieux accords de Bretton Woods par de nouveaux accords afin de pouvoir réguler les marchés financiers et empêcher les capitaux à court terme d'être aussi massivement spéculatifs.
Donc, politiquement, je ne crois pas qu'à court terme, les États-Unis soient prêts à faire une place à leurs voisins canadiens, même s'ils nous aiment beaucoup, et je ne crois pas que les Américains soient prêts à perdre le dollar américain pour avoir une monnaie qui ne soit pas identifiée à eux, puisqu'ils profitent actuellement du système. La planète entière leur fait crédit.
Je mentionnais tout à l'heure les 350 milliards de déficit de la balance commerciale pour cette année. Pour les Américains, cela suppose que les étrangers leur prêtent cet argent. Les Américains s'endettent de plus en plus face aux étrangers. La plus grosse dette extérieure de la planète, c'est celle des États-Unis, mais cette dette-là, elle est en dollars américains. Alors, la compagnie d'assurance allemande ou la banque canadienne ou la compagnie d'investissements japonaise n'a pas intérêt à voir le dollar américain tomber, surtout que le dollar américain est devenu une monnaie refuge.
Donc, actuellement, le véritable problème, je crois, monsieur Marceau, c'est d'envisager au niveau international de nouvelles règles pour les flux de capitaux. Peut-être que le comité de M. Martin, le comité du Groupe des Vingt, va aboutir à quelque chose, mais pour l'instant, ce n'est pas fait.
[Traduction]
M. William Krehm: Il est faux de dire que la dollarisation de notre devise est une question purement théorique. Ce cher Thomas d'Aquino ne s'intéresse guère aux considérations purement théoriques. Avez-vous remarqué avec quelle persistance son organisation propose la dollarisation de notre devise? Cette démarche poursuivrait une triste tradition, celle de nous mettre dans de beaux draps.
Les États-Unis ne se sont pas débarrassés de leurs réserves-encaisse, qui sont toujours à 3 p. 100. La Bundesbank en Allemagne ne s'est pas départie de sa monnaie de réserve, qu'elle maintient toujours à 2 p. 100. Toutefois, le Canada s'en est départi, lui qui n'avait pas le FMI sur ses talons. Pourquoi? Le Canada et la petite Nouvelle-Zélande ont connu temporairement des difficultés de change, du simple fait qu'elles étaient traitées comme une colonie et qu'elles le sont toujours. Bien sûr, nous réagissons tous de façon patriotique devant notre dollar, que nous jugeons beau, mais en période de resserrement du crédit, nous avons deux solutions, comme l'explique Keynes. On peut soit maintenir sa devise à un niveau suffisamment élevé, ce qui oblige ensuite à tomber à bras raccourcis sur toutes les classes de la société en réduisant leur niveau de vie, ou on peut l'ajuster.
• 1645
Je suis tout à fait d'accord avec M. McCallum. La Banque du
Canada a en effet réagir relativement bien à la crise asiatique—je
dois constamment faire attention lorsque j'envoie des fleurs à la
Banque du Canada.
Les devises, comme celle de l'Argentine, qui ont accepté la dollarisation sous une forme ou une autre, vivent aujourd'hui un vrai cauchemar. Il y a quelques jours à peine, on expliquait dans un long article du Wall Street Journal que les importations brésiliennes inondaient le marché argentin. Le Brésil a beau avoir rajusté à la baisse sa devise—maladroitement, comme disent les Brésiliens—il reste que le Brésil est un pays prospère. Or, le taux de chômage est élevé en Argentine, et la guerre commerciale que se livrent ces deux pays, menace aujourd'hui le MERCOSUR. Par conséquent, l'internationalisation ou la mondialisation résout tous les problèmes.
Il ne peut s'agir simplement d'une question théorique parce que la distribution de centaines de milliards de dollars est en jeu. Je sais qu'il y a des tas de théoriciens qui honnêtement, sincèrement, et singulièrement appuient cela mais cela va plus loin.
M. John McCallum: Il faut savoir tout de même que ni Tom d'Aquino ni le Conseil canadien des chefs d'entreprise ne l'appuie.
M. William Krehm: Il préconise tout de même un peu.
M. John McCallum: Non.
M. Pierre Fortin: Qui—le philosophe ou l'économiste?
M. William Krehm: Le philosophe est au ciel. Quant à la destination ultime de celui qui est sur terre, je ne la connais pas.
Le président: Merci de l'avoir précisé parce que c'est tout à fait exact, monsieur Krehm.
M. William Krehm: S'il n'y est pas favorable, le Globe and Mail s'est trompé.
M. John McCallum: Non.
M. William Krehm: Il y avait un trio. Il y avait un professeur américain d'un État du centre des États-Unis.
M. John McCallum: J'en ai discuté très souvent avec lui. Il n'y est pas favorable.
M. William Krehm: Ma foi, il a changé.
Le président: Nous changeons tous.
M. William Krehm: Vous devriez envoyer au Globe and Mail une lettre adressée au rédacteur en chef.
Le président: Monsieur Fortin.
M. Pierre Fortin: J'hésite un peu à suivre ceux qui estiment que la gestion de la situation monétaire par la Banque du Canada au cours de la crise asiatique a effectivement protégé le Canada de la grippe asiatique. Il est sûr qu'il y a eu beaucoup d'agitation dans le taux de change et le taux d'intérêt au Canada mais je n'ai vraiment aucune preuve que cette agitation—le fait que le taux de change ait baissé, et remonté et que le taux d'intérêt est d'abord monté puis rebaissé—ait eu un effet sur le cours de l'économie canadienne. Certes la dépréciation du taux de change s'est soldée par un paiement important de péréquation de tous les Canadiens aux exportateurs canadiens—c'est évident—et peut-être à certaines régions mais, pour ce qui est du niveau général de l'activité économique, je n'en ai certainement vu aucun signe.
Deuxièmement, à propos de l'avis des milieux d'affaires sur la devise, il y a une scission très nette entre les responsables des services financiers qui sont favorables à un taux flottant en général et ceux qui sont dans les secteurs réels de l'économie, comme le secteur secondaire, qui préféreraient beaucoup que le dollar canadien ait un taux fixe, une union monétaire nord- américaine et ce genre de choses. Les milieux d'affaires se préoccupent de la question et leur opinion varie beaucoup selon le secteur dans lequel ils évoluent.
Le président: Y a-t-il d'autres observations?
M. John McCallum: Je ne suis pas d'accord avec Pierre, je n'ai pas de donnée scientifique à ce sujet mais je crois que la scission dans le milieu des affaires est beaucoup plus visible entre le Québec et le reste du pays. Au Québec, je crois que l'on est en général assez favorable à cela—je ne sais si cela va jusqu'à la moitié, mais c'est une fraction importante—dans tous les secteurs de l'économie.
Il y a des tas de gens que je connais dans le secteur bancaire qui sont parmi les partisans les plus farouches de la dollarisation, et il y a des tas de gens dans le secteur des ressources qui sont très favorables à la devise flottante. Vous pensez peut-être que cela n'a rien changé durant la crise asiatique mais je puis vous dire que dans le secteur pétrolier, dans le secteur forestier et dans le secteur minier, on a trouvé que cela faisait une grosse différence, et ces gens-là ne veulent pas d'un taux fixe.
M. Pierre Fortin: Bien sûr, parce que cela leur rapporte beaucoup plus.
M. John McCallum: Oui, et cela représente aussi beaucoup plus d'emplois dans leurs secteurs. Donc c'est en partie une question géographique, mais je dirais qu'en dehors du Québec, on n'est pas très favorable à l'idée dans les milieux d'affaires, quel que soit le secteur.
Le président: Merci. Évidemment, vous traitez l'un et l'autre avec le secteur des affaires. Pourquoi cette différence? Monsieur Fortin, est-ce que vous parlez essentiellement à des gens d'affaires au Québec plutôt que dans le reste du pays?
M. Pierre Fortin: Je dirais que la question est assez délicate. Cela n'a rien à voir avec le PQ ou autre. Il est tout à fait évident que le gouvernement provincial québécois est favorable à l'union monétaire, à la dollarisation ou à n'importe quelle forme de régime de taux de change fixe pour le Canada. Mais je crois que la devise est un symbole fondamental pour un pays. On se reconnaît dans sa devise. On a donné l'exemple de la personne qui touche son premier chèque de paie et se sent fière d'être canadienne.
Je dirais qu'au Québec, les gens se sentent très canadiens et québécois—québécois et canadiens plutôt. Pour moi le Québec fait partie du Canada, si bien que lorsqu'ils se sentent québécois, ils se sentent canadiens. Par exemple, leur plus grande distraction est de regarder la télévision. Au Québec, 85 p. 100 de la population regarde la télévision canadienne. Dans le reste du pays, le pourcentage est beaucoup plus faible.
À bien des égards, la pénétration de la culture américaine au Canada est plus profonde dans le Canada anglais, pour des raisons évidentes, qu'au Québec. Il faut comprendre que le Canadien moyen, en dehors du Québec français, s'inquiète tout d'un coup beaucoup de ceci. Lorsque vous dites que non seulement tout le monde va regarder la télévision américaine et pratiquer le libre-échange mais qu'en plus nous allons avoir la même devise, ils brandissent tout d'un coup le drapeau en disant qu'ils sont contre. C'est compréhensible.
Comme les Québécois ont une protection supplémentaire contre la culture américaine, ils ne sont pas aussi portés à brandir le drapeau et à défendre l'identité canadienne avec la devise. C'est la façon dont on interprète cette différence. Comprenez que je fais là office de psychologue amateur. Je ne suis pas vraiment un expert.
Le président: Nous en tenons compte.
Monsieur McCallum.
M. John McCallum: Je suis d'accord avec Pierre là-dessus même si je ne suis moi-même qu'un sociologue amateur. M. Krehm et moi étions d'accord il y a une minute et je ne sais pas si je devrais réviser mon point de vue, étant donné votre autre... Mais je comprends.
Je veux simplement dire une chose. Vous avez parlé des preuves que nous avions. Nous ne les tirons pas de sondages, mais au moins une fois par an, je vais dans chaque province prendre la parole devant de vastes groupes de gens d'affaires. J'essaie de faire une brève allocution et j'invite l'assemblée à entamer un dialogue avec moi sur tel sujet ou tel autre. Je parle toujours de la devise commune et de ce que j'en pense, ce que je vous l'ai dit. Mais quand je suis en dehors du Québec, il n'y a pratiquement personne qui revient sur la question. Personne ne conteste ma position. Personne ne déclare que nous devrions passer à une devise commune, alors qu'au Québec on le fait. Ce n'est peut-être pas terriblement scientifique mais cela veut dire quelque chose.
[Français]
Une voix: Monsieur Élie.
M. Bernard Élie: J'aimerais revenir sur la position de M. McCallum. C'est quand même amusant d'entendre dire, de la part d'un représentant du monde des grandes banques canadiennes, que le milieu des affaires n'est pas d'accord pour qu'il y ait une union monétaire nord-américaine, quand on sait qu'environ la moitié des opérations des grandes banques canadiennes se font en dollars américains.
• 1655
D'une part, le développement des activités des
grandes banques canadiennes se fait beaucoup aux États-Unis
et, d'autre part, M. Martin
doit déposer le nouveau projet de loi modifiant
la Loi sur les
banques bientôt. Tout le monde l'attend avec
impatience. Je ne sais pas si le capital américain va
pouvoir prendre le contrôle de nos grandes banques
canadiennes ou non, ou si les banques moyennes
seront dominées par le capital américain.
Nous avons donc ici quelque chose d'amusant. M. McCallum est contre une monnaie unique et en faveur de la flexibilité, mais les grandes banques canadiennes font beaucoup de leurs affaires, pour ne pas dire la moitié de leurs affaires, en dollars américains. C'est un peu contradictoire.
M. John McCallum: Oui, mais l'étude que j'ai faite, je l'ai faite en tant qu'économiste. J'ai dit ce que je pensais. Cela n'a pas été approuvé par le conseil d'administration ou le président de la Banque Royale. Ce n'était pas en fonction de ce qui est bon pour les banques, mais en fonction de ce qui, à mon avis, est bon pour l'économie.
[Traduction]
Le président: Monsieur Limoges.
M. Rick Limoges (Windsor—St. Clair, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je suppose que nous pouvons discuter d'autre chose que du taux de change.
Le président: Certainement.
M. Rick Limoges: J'aimerais revenir à certains choses qu'a dit M. Fortin à propos de son hypothèse—ou de l'hypothèse d'autres aussi—quant au lien entre le chômage et l'inflation. Vous avez cité Tobin et Eckstein, etc. En disant que nous devrions fixer une fourchette cible plus élevée, j'aimerais savoir ce que vous pensez des autres ramifications que pourraient avoir une cible plus élevée et de la façon dont cela serait perçu dans le reste du monde en particulier?
M. Pierre Fortin: La fourchette cible de 2 à 4 p. 100 est exactement celle qui a été observée aux États-Unis au cours de la dernière décennie. Sans que l'on en parle. À un moment, il y a un déclin dans la hausse de l'indice des prix à la consommation qui est tombé en dessous de 2 p. 100, mais c'était au milieu d'une forte appréciation du dollar américain qui s'est accompagnée d'une chute importante des prix des marchandises. Évidemment, ces gros chocs tendent à réduire temporairement l'inflation.
Mais si vous considérez les périodes normales des dix dernières années, le taux d'inflation de l'IPC aux États-Unis s'est situé entre 2 et 4 p. 100, quelquefois entre 3 et 4 p. 100, quelquefois entre 2 et 3 p. 100. Je ne pense pas qu'il s'agisse de déclarer bruyamment au monde entier que nous allons faire exactement la même chose que le Conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve que, comme l'a dit John McCallum, nous allions les rendre fous furieux.
Évidemment, je comprends qu'à très court terme si l'on déclare que la fourchette ne va pas être 1 à 3 p. 100 mais 2 à 4 p. 100 ou 1 à 4 p. 100 cela pourra faire sourciller certains, mais c'est à mon avis une question de relations publiques qui peut être gérée et la banque sait très bien faire ce genre de chose.
M. Rick Limoges: Mais je crois qu'il nous faut reconnaître la nature fragile de notre minuscule économie à côté du géant...
M. Pierre Fortin: Certainement, mais n'oubliez pas que l'enjeu permanent est d'au moins 20 milliards de dollars et un point de pourcentage dans le taux de chômage. Autrement dit, il peut très bien y avoir un calcul humain et économique à vouloir traverser cette tempête temporaire à Toronto ou à New York pour en tirer un avantage à long terme et permanent dans la diminution du taux de chômage. Je ne veux pas dire que c'est un résultat automatique mais la probabilité est suffisamment élevée pour que cela vaille la peine d'essayer.
M. Rick Limoges: Je vis à Windsor et une des choses que remarquent la majorité des gens, étant donné que nous sommes si près de la frontière, c'est que, franchement, même avec le large écart entre nos taux de change ces dernières années, il y a moins d'inflation au Canada et qu'il n'est pas intéressant d'aller faire ses courses aux États-Unis. La plupart des produits et services sont plus abordables au Canada.
M. Pierre Fortin: Tout à fait.
M. Rick Limoges: C'est quelque chose que les gens, lorsqu'ils comparent les prix, trouvent tout à fait positif à propos de la situation économique au Canada.
M. Pierre Fortin: Tout à fait. Je suis bien d'accord.
M. Rick Limoges: Pour revenir aux taux de change, avec la mondialisation et la situation que nous connaissons actuellement sur les marchés de capitaux, et toutes ces nouvelles entreprises et sociétés de haute technologie qui sont à l'affût de capitaux, et sachant aussi que la majorité de sociétés—des grosses sociétés qui réussissent bien—sont des multinationales, etc., peut-on raisonner de la même manière à propos de la devise? Nous faut-il une devise mondialisée ou pouvons-nous survivre à long terme avec une devise qui est fonction d'une économie aux dimensions du Canada par rapport au reste du monde?
M. Pierre Fortin: Je pense que nous pouvons survivre. Ce n'est pas le goulag. Nous pouvons vivre avec un dollar canadien flottant et cela peut parfois nous aider, je ne le nie pas. Cela peut toutefois nous nuire, et au point où la fraction de notre économie qui est liée à l'économie internationale a augmenté, non seulement financièrement, comme Bernard l'a dit, mais également dans le contexte des échanges commerciaux, comme le disait John. Notre économie est plus sensible aux fluctuations des taux de change par ce qu'il y en a un pourcentage plus élevé qui est maintenant lié à l'économie internationale.
Comme un fraction beaucoup plus importante de notre économie est liée aux marchés extérieurs, les sociétés canadiennes s'efforcent de plus en plus de se développer en dehors du Canada aussi, ce qui, d'un côté, est normal. Si vous avez un portefeuille d'usines, il faut considérer le monde entier. Ce que je ne voudrais pas, c'est que la volatilité du dollar canadien par rapport au dollar américain repose là-dessus.
M. Rick Limoges: Certes, il ne faut pas que cela entre dans la décision.
M. Pierre Fortin: J'ai été administrateur d'une entreprise de fabrication au Québec qui a décidé de se développer aux États-Unis, et la volatilité du taux de change fut un facteur important. Je n'aime pas cela. Évidemment, on peut aussi invoquer des tas de données macro-économiques internationales pour prouver que jusqu'ici, la volatilité des taux de change ne semble nuire à l'expansion du commerce international, mais j'ai vécu cette expérience. Je dis exactement la même chose lorsque nous parlons de l'exode des cerveaux, par exemple. Il ne semble pas y avoir de preuve qu'il y a un exode de cerveaux et que celui-ci est important mais trois amis de mes enfants ont déménagé ces deux dernières années aux États-Unis. C'est peut-être anecdotique mais c'est réel.
M. Rick Limoges: Mais les sociétés au Canada, ou les sociétés de nos jours semblent capables de gérer le risque du taux de change beaucoup mieux que par le passé.
M. Pierre Fortin: Oui, absolument.
M. Rick Limoges: J'aimerais faire remarquer aussi que, dans le cas de beaucoup d'entreprises—c'est un phénomène que je connais très bien—il y a un va-et-vient à la frontière, les entreprises achetant des produits, les transformant et les réexpédiant d'où ils sont venus. Elles ont à composer avec les fluctuations du taux de change, et ces fluctuations constituent parfois leur marge bénéficiaire.
M. Pierre Fortin: Oui.
M. Rick Limoges: Je me demande simplement comment cela fonctionne. Monsieur McCallum, vous auriez peut-être vous aussi quelque chose à dire à ce sujet.
M. John McCallum: Oui, comme je le disais, j'estime qu'il appartient à ceux qui prétendent que c'est vraiment catastrophique pour les échanges, d'en faire la preuve. Car les faits montrent, tant à l'échelle internationale que chez nous—étant de Windsor, c'est quelque chose que vous avez sûrement constaté—qu'il y a eu un accroissement considérable des échanges au cours des 10 dernières années et qu'on a trouvé le moyen de composer avec cette volatilité des changes. Cela n'a pas empêché les échanges d'exploser littéralement.
Du côté de l'investissement direct, c'est effectivement un facteur, et une partie des investissements canadiens iront à l'étranger en partie pour cette raison. Nous avons toutefois aussi connu des apports importants sur le plan de l'investissement direct étranger. Il y a d'énormes flux dans les deux sens depuis cinq ou six ans.
M. Rick Limoges: Les multinationales qui décident de construire des installations au Canada, par exemple, à cause de l'écart entre les taux de change ou de notre main-d'oeuvre moins chère...
M. John McCallum: Ou à cause des coûts qui sont moins élevés chez nous. Quand j'ai dit cela...
M. Pierre Fortin: Vous faites une confusion entre moyenne et écart.
M. John McCallum: Attention, c'est vous qui me déroutez.
M. William Krehm: Le monde est ainsi fait.
M. John McCallum: J'ai dit que la dollarisation est une question théorique, mais je tiens à préciser que, du point de vue des investissements commerciaux, qu'il s'agisse d'entreprises canadiennes ou étrangères, nous voulons qu'ils se fassent autant que possible au nord de la frontière. J'estime que ce à quoi il faut surtout s'attaquer—et il ne s'agit certainement pas là de quelque chose de théorique—ce sont les obstacles qui restent au flux transfrontalier.
Si vous avez une entreprise qui souhaite investir en construisant une usine destinée à servir le marché nord-américain dans son ensemble, dans la mesure où il y a des obstacles au flux transfrontalier, vous allez installer votre usine là où vous avez accès à 90 p. 100 du marché. C'est donc à cela qu'il faut en fait consacrer nos efforts, plutôt que de miser sur une éventuelle dollarisation, qui ne va pas se produire de toute façon. J'estime donc que nos efforts doivent plutôt viser à attirer les investissements chez nous.
Enfin, certains économistes—par exemple, Bob Mundell, qui vient de remporter le prix Nobel—s'imaginent que nous nous dirigeons vers un monde où il n'y aura que trois ou deux ou même une seule grande monnaie.
M. William Krehm: Comme l'euro.
M. John McCallum: Oui. Je ne peux pas m'imaginer que les Chinois utilisent un jour le yen. Supposons toutefois qu'il a raison et que nous nous retrouvions un jour avec le yen, le dollar américain et l'euro. Je ne prétends pas qu'il devrait y avoir une quatrième monnaie, le dollar canadien. Je ne dis pas non plus qu'il faut foncer dans cette direction...
M. Rick Limoges: Mais je crois que vous dites que c'est théorique surtout parce que l'idée n'a aucune chance de succès dans le contexte actuel...
M. John McCallum: Qui sait ce qui arrivera dans 30 ou 40 ans? Pour l'avenir prévisible, l'idée ne trouve aucun appui.
Le président: Je dois maintenant passer à M. Szabo, puis à M. Cullen et ensuite à M. Brison. Il nous reste 20 minutes, alors je vous invite à être concis tant pour les questions que pour les réponses.
M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): C'est la question de l'indépendance de la Banque du Canada qui est vraiment en cause ici. Si on passait en revue les mesures et les stratégies qu'a adoptées le gouverneur de la Banque depuis, mettons 1996, par rapport à ce qu'a fait le Conseil des gouverneurs du système fédéral de réserve, y a-t-il d'après vous des tendances ou des corrélations qui semblent confirmer ou nier l'hypothèse de l'indépendance de la Banque du Canada? Y a-t-il une des parties qui est à la remorque de l'autre, malgré notre indépendance?
M. John McCallum: Je ne sais évidemment pas ce qui se passe aux réunions hebdomadaires entre le ministre et le gouverneur. D'après tous les signes extérieurs, il semble qu'on suive effectivement la politique d'indépendance qui avait été promise. Je crois que, depuis que cette promesse a été faite, on se dirige généralement dans le monde vers une plus grande indépendance. Ainsi, la Banque centrale européenne est, sur papier, une des banques centrales les plus indépendantes du monde.
Une des choses les plus intelligentes qu'ait faite Tony Blair, aussitôt après avoir été élu pour la première fois au Royaume-Uni, a été de rendre la Banque d'Angleterre soit indépendante, bien plus indépendante. Il a ainsi tué dans l'oeuf la crainte que les travaillistes puissent mener l'économie à sa perte. Cette stratégie a été très utile à mon avis.
Il se peut bien donc que nous ayons eu une longueur d'avance sur certains pays, pas sur les États-Unis en tout cas—pour ce qui est de notre indépendance, mais j'estime que c'était la bonne voie à prendre et que c'est toujours la voie à suivre.
[Français]
M. Bernard Élie: L'indépendance de la Banque du Canada est sans doute beaucoup moins grande que celle de la réserve fédérale américaine. La preuve en est que M. Chrétien, quand il est arrivé au pouvoir, a mis M. Crow à la porte immédiatement.
S'il y avait un désaccord majeur entre le ministre des Finances, M. Martin, et M. Thiessen ou son successeur, c'est M. Martin qui gagnerait, de toute façon. Alors, en ce sens-là, le gouvernement fédéral actuel et son ministre des Finances sont d'accord sur l'orientation de la politique monétaire de la Banque du Canada.
D'ailleurs, M. Chrétien avait signé à nouveau, avec M. Thiessen, l'engagement de la fourchette d'inflation et du maintien de la politique monétaire qu'il avait dénoncée quand il était dans l'opposition. La politique est demeurée la même. Donc, en ce sens-là, je crois qu'il serait très illusoire d'envisager l'indépendance de la Banque du Canada, car le gouvernement fédéral ou le ministre des Finances, qui est son principal actionnaire, en fait son actionnaire unique, peut faire tout ce qu'il veut. Il fait moins d'interventions quotidiennes qu'il pouvait en faire auparavant, mais dans les grandes lignes, pour les grandes orientations, M. Martin a le haut du pavé.
M. John McCallum: Je ne suis pas du tout d'accord avec vous là-dessus, sur le fait que M. Crow n'a pas été reconduit dans son poste. Il était simplement arrivé à la fin de son mandat.
Pour que le ministre des Finances puisse se débarrasser du gouverneur—et c'est ce qui s'est passé après l'affaire Coyne—il doit lui adresser une lettre publique lui enjoignant de faire quelque chose, après quoi le gouverneur démissionnera sans doute. Cela n'est toutefois jamais arrivé...
M. Paul Szabo: Non.
M. John McCallum: ...et cela n'arrivera sans doute jamais, car en supposant que le ministre veuille que le gouverneur fasse preuve d'une plus grande souplesse, quelles seraient les conséquences pour les marchés s'il lui écrivait une lettre publique?
M. Paul Szabo: C'est sûr.
M. John McCallum: Je crois donc que, dans la pratique, il est assez indépendant.
M. Paul Szabo: Très bien. J'ai une autre petite question.
La dernière fois où le gouverneur est venu témoigner devant le Comité des finances, je lui ai présenté des tableaux qui montraient qu'à la fin des années 50, 60, 70, 80 et 90, le Canada s'était trouvé en période de récession pendant les deux mois qui avaient précédé ou suivi la fin de la décennie. Pour ce qui est des taux d'intérêts et de l'inflation, les tableaux montraient une tendance claire: si l'inflation augmentait, les taux d'intérêt augmentaient aussi. C'est fou la symétrie qu'il y avait entre les deux.
Je lui ai demandé: «Êtes-vous prêt à maintenir votre estimation selon laquelle nous ne nous dirigeons pas vers une récession à la fin de la présente décennie, que nous avons d'ailleurs déjà atteinte, voire dépassée?» Il a répondu: «Je ne vois aucun signe ni n'ai entendu parler d'aucun signe selon lequel nous nous dirigerions vers une récession.»
Je me demande s'il y a des signes selon lesquels, c'est peut-être parce que nous approchions de la fin du millénaire, que le monde entier était en quelque sorte dans un état de suspension artificiel pour marquer l'occasion et faire une foule de choses qui ne peuvent se produire qu'une fois en l'espace d'un millénaire, que nous assistons maintenant tout d'un coup à une poussée des taux d'intérêt, que nous voyons l'inflation atteindre la limite supérieure de la fourchette fixée et que l'emploi est stagnant. Nous venons de connaître notre premier mois de croissance nulle, mettant ainsi fin à un cycle de croissance de 19 mois. Tout d'un coup, on se rend compte que la situation n'est vraiment pas rose, quand on voit la performance de ces indicateurs de base et la faiblesse relative du dollar.
Comment alors peut-on espérer accomplir quoi que ce soit en fixant simplement une fourchette cible de l'inflation ou en modifiant cette fourchette cible sans qu'il y ait aussi d'autres éléments de la politique monétaire qui changent en conséquence?
La situation semble évoluer lentement mais sûrement, et je n'arrive tout simplement pas à croire que la croissance économique va se poursuivre indéfiniment. Nous nous dirigeons sans doute vers un déclin de l'activité économique, vers une correction. Quels sont les signes qui permettraient de croire que la Banque du Canada se prépare à tout le moins à ce repli? Quand pouvons-nous nous attendre à ce que des mesures soient prises au chapitre soit des taux d'intérêt...
Le président: Monsieur McCallum.
M. John McCallum: Je serai très bref.
Tout d'abord, le cycle économique continue à suivre son cours. Nous aurons une autre récession à un moment donné; nous ne savons tout simplement pas quand elle se produira.
Deuxièmement, les périodes d'expansion économique ne meurent pas d'une mort naturelle. Ce n'est pas parce que nous avons connu sept années d'expansion économique qu'il est plus probable que le huitième année sera mauvaise.
Troisièmement, j'estime que la situation économique ne peut guère être plus saine qu'elle l'est actuellement. Nous avons un taux d'inflation peu élevé, nous avons des excédents. À part le dernier mois environ, où nous avons connu un léger ralentissement—je suis d'accord avec vous pour dire que, si cette tendance se maintient, nous aurons peut-être des difficultés plus sérieuses, mais je crois que la croissance est très solide et que l'économie est en assez bon état. D'après moi l'économie américaine est en surchauffe. Nous aurons un relèvement des taux d'intérêt, peut-être un demi-point, mais j'espère que ce ne sera pas plus que cela. Il pourrait y avoir une correction à la Bourse, mais comme nous n'avons pas de boom immobilier, la situation ressemblera plutôt à celle de 1987.
M. Pierre Fortin: Le réglage est bon.
M. John McCallum: La situation me paraît donc assez bonne.
Le président: Merci, monsieur Szabo.
Je veux permettre à M. Brison de poser une question. Il doit partir pour l'heure réservée aux affaires des députés. Si vous voulez bien lui permettre de poser ses questions, je vous redonnerai la parole, si vous avez d'autres questions, puis je passerai à M. Cullen.
M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Merci, monsieur le président. J'ai deux petites questions.
Premièrement, en l'absence d'un régime de taux de change flottant, les répercussions ne se feraient-elles pas surtout sentir sur les taux de chômage? S'il y avait une nouvelle crise asiatique ou une autre crise semblable, qui toucherait, par exemple, les prix des produits de base, n'en résulterait-il pas des taux de chômage plus élevés au Canada, et les effets ne seraient-ils pas alors plus pernicieuse que ceux que nous avons connus avec notre régime de taux de change flottant?
M. Pierre Fortin: Vous me demandez mon opinion à ce sujet?
M. Scott Brison: Oui.
M. Pierre Fortin: Je crois que, si nous avions eu un taux de change fixe qui soit crédible—et c'est toute une supposition parce qu'il serait difficile d'avoir un régime fixe en l'absence d'une union monétaire, comme l'a bien fait remarquer John—tout d'abord, nous n'aurions pas connu une telle différence dans nos taux de chômage par rapport aux taux aux États-Unis pendant toute la décennie des années 90.
Si on examine les taux de chômage excédentaires, c'est-à-dire le nombre d'années-points de taux de chômage qui dépassent le minimum acceptable pour éviter les pressions inflationnistes, ils étaient d'environ 30 points au Canada pendant les années 90 et de 10 points aux États-Unis. Cette différence s'explique en grande partie par les taux d'intérêt qui étaient beaucoup plus élevés au Canada qu'aux États-Unis. Le Canada s'est donc trouvé à devoir abaisser ses taux d'intérêts pour ramener le chômage à un niveau acceptable. Il n'en aurait pas été ainsi si nous avions eu un régime de taux de change fixe par rapport aux États-Unis.
Ce qui s'est passé pendant la crise asiatique, c'est essentiellement que les États-Unis ont abaissé leurs taux d'intérêt de 3/4 d'un point et qu'ils ont a pu ainsi traverser la crise. Si nous avions eu un régime de taux de change fixe, la même chose exactement se serait produite au Canada. Nous aurions essentiellement importé la réduction des taux d'intérêt, et notre taux de change aurait baissé, puis augmenté par la suite.
Ainsi la situation macroéconomique n'aurait pas été très différente de ce qu'elle a été, avec les taux d'intérêt qui ont grimpé, puis qui ont fléchi, et le taux de change qui a monté, et qui a baissé ensuite, si ce n'est qu'il y a eu une volatilité beaucoup plus grande des deux indicateurs que ce que nous aurions connu sous un régime fixe...
Excusez-moi d'avoir pris tant de temps, mais voilà essentiellement ce que j'avais à dire.
M. Scott Brison: Quelqu'un d'autre a-t-il quelque chose à ajouter brièvement?
M. John McCallum: Je suis d'accord avec vous, puisque vous venez de reprendre exactement ce que j'ai dit.
Tout dépend du point de départ. Si Pierre remonte au moment de notre histoire qu'il privilégie, pour ce qui est du moment où l'union monétaire a débuté, on obtient peut-être une réponse différente, mais je parle uniquement dans le contexte de la crise asiatique.
M. Scott Brison: Mon autre question concerne les facteurs économiques fondamentaux. À l'époque, le Traité de Maastricht exigeait, je crois, que les pays signataires aient un niveau d'endettement inférieur à 60 p. 100 de leur PIB et un déficit inférieur à 3 p. 100 de leur PIB. Évidemment, il y a un écart important entre le Canada et les États-Unis pour ce qui est du niveau d'endettement par rapport au PIB. Les États-Unis ont notamment un plan d'action selon lequel la dette sera éliminée en 13 ans.
Une union monétaire est-elle possible quand il existe une telle disparité entre nos deux pays? N'y aurait-il pas des problèmes pour nous à conclure pareille union à ce moment-ci, où on peut dire que nous sommes en position de faiblesse ou de désavantage financier par rapport aux États-Unis? Cela ne créerait-il pas des problèmes pour nous à ce moment-ci?
M. Pierre Fortin: Je crois qu'il faudrait qu'il y ait une période de transition. Permettez-moi toutefois de vous dire que je ne souscris pas à l'affirmation selon laquelle le niveau d'endettement du Canada est très différent de celui des États-Unis. Si on fait le calcul selon la formule de Maastricht, les États-Unis ont un niveau d'endettement égal à 48 p. 100 de leur PIB, alors que, chez nous, quand on tient compte de la totalité de l'endettement provincial et fédéral, le rapport se situe aux environs de 68 p. 100. Je conviens avec vous que 68 p. 100, c'est plus que 48 p. 100, et il faudrait naturellement que nous ayons une période de transition, mais nous ne sommes pas à 150 p. 100 au Canada, par rapport à 30 p. 100 aux États-Unis. Si c'était le cas, la situation serait beaucoup plus problématique.
M. Scott Brison: J'ai une dernière question, que je vous pose très rapidement, et je vous demande d'excuser ma précipitation.
Le commerce électronique entre entreprises devrait atteindre 1,3 billion de dollars environ d'ici trois ans. La monnaie de choix, notamment pour les transactions entre entreprises, sera vraisemblablement le dollar américain. La majeure partie de celles-ci se font, ou se feront, à partir des États-Unis ou de pays qui souhaitent avoir accès à cet énorme marché, ou mettront à tout le moins en cause les États-Unis ou des pays qui souhaitent traiter avec eux.
N'y a-t-il pas là un défi pour la monnaie canadienne, du fait que notre dollar pourrait effectivement se trouver amputé de toute sa valeur par une transition comme celle-là, la tendance étant à rechercher une monnaie de choix, si bien qu'il pourrait en résulter des conséquences négatives dans le contexte de l'évolution technologique et de la mondialisation?
Le président: Voulez-vous répondre, monsieur Krehm?
M. William Krehm: Je veux simplement formuler une mise en garde.
Il peut être très trompeur de se fier à ces indicateurs sacrés que sont la baisse du chômage ou la croissance du PIB. Les données à cet égard présentent une image très incomplète. Même la presse—même la presse spécialisée—reconnaît, par exemple, qu'elles ne tiennent pas compte de facteurs externes. Il pourrait y avoir une hausse de la criminalité; on pourrait se retrouver avec des nids-de-poule dans les rues de Toronto et d'autres villes—nous sommes les plus prospères, ou du moins nous l'étions—et il se pourrait bien que les ambulances ne trouvent pas d'hôpital prêt à accueillir les cas d'urgence. Le PIB pourrait néanmoins être à la hausse. Si on corrigeait ces problèmes fondamentaux, même si on ne faisait que le strict nécessaire, le taux d'inflation, même contrôlé, serait légèrement plus élevé.
Dans votre examen de la situation—après tout, vous êtes le Parlement du Canada et le gouvernement, en principe du moins, écoute ce que votre comité a à dire—il vous faudra reconnaître que la situation n'est pas au beau fixe et que les facteurs économiques fondamentaux ne sont pas solides, à moins que nous ne soyons tous sourds et aveugles.
Notre monnaie dégringole et je ne parle pas que des cours en Bourse. Le marché boursier produit une plus grande part de notre richesse, à mon avis, ou au moins une part aussi grande que les banques... D'ailleurs, les banques investissent elles aussi dans le marché boursier. Il faudrait donc maintenir un certain scepticisme à l'égard de ces données que nous considérons comme étant tellement sacrées et nous demander où elles nous mènent?
C'est tout ce que j'avais à dire?
M. Scott Brison: Monsieur Krehm, je dois en fait partir, mais je m'empresserai d'appeler mon courtier aussitôt après...
M. William Krehm: Je crois que vous pouvez attendre jusqu'à demain matin. Vous dormirez mieux.
[Français]
M. Bernard Élie: Pour répondre à la dernière remarque de M. Brison, je dirai que le développement du commerce électronique à partir du dollar américain posera un gros problème au dollar canadien et aux autres monnaies de la planète. Si on considère actuellement que l'euro est sous-estimé de 25 p. 100 par rapport au dollar américain, c'est à cause du rôle d'étalon que joue le dollar américain dans la plupart des échanges internationaux, surtout de matières premières.
À ce niveau-là, l'accélération de l'échange électronique va sans doute affaiblir également le dollar canadien à l'avenir.
[Traduction]
M. John McCallum: N'accordez pas le moindre crédit à cette affirmation selon laquelle les États-Unis rembourseraient leur dette en 13 ans, car il s'agit là d'une estimation de fonctionnaires, qui ne tient pas compte des pressions politiques qui pourraient s'exercer en faveur d'un accroissement ou d'une réduction des impôts, ou encore d'une hausse des dépenses.
M. William Krehm: Avec quel argent paieraient-ils leurs dettes?
M. Scott Brison: Merci beaucoup.
Le président: Monsieur Cullen.
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs. Je suis désolé d'avoir raté votre exposé et je vous demande de bien vouloir m'excuser si je vous interroge sur des points que vous avez déjà expliqués.
Monsieur Fortin, votre proposition, telle que je la comprends, m'a déjà intéressé. Quand j'ai été élu pour la première fois, j'ai essayé de voir ce qu'on penserait de l'idée de substituer à la fourchette cible de l'inflation allant de 1 p. 100 à 3 p. 100, une fourchette cible se situant entre 2 p. 100 et 4 p. 100. Je constate toutefois qu'aujourd'hui, aux États-Unis, l'inflation est jugulée, le taux de chômage est bas et la croissance économique est bonne et, au Canada, la croissance économique est bonne et nous avons un taux de chômage assez faible. Or, les deux pays ont une fourchette cible qui se situe entre 1 p. 100 et 3 p. 100, si bien que je suis surpris que vous continuiez à préconiser...
Si vous proposez qu'on substitut à la fourchette cible qui se situe entre 1 p. 100 et 3 p. 100 parce qu'on perd sur le plan de l'inflation on le gagne sur le plan du chômage, si on renonce... Quand on décide de limiter l'inflation, c'est la création d'emplois qui en souffre. La performance de l'économie américaine, et dans une moindre mesure peut-être celle de l'économie canadienne, semblent toutefois infirmer cette hypothèse.
M. Pierre Fortin: Non, pas du tout.
M. Roy Cullen: Pourquoi ne suis-je pas surpris?
M. Pierre Fortin: Entre gens raisonnables, nous devrions pouvoir en discuter.
Ce qui pourrait se produire si la fourchette cible de l'inflation était trop basse, c'est que l'inflation pourrait commencer à augmenter et dépasser, par exemple, la cible de 2 p. 100. Si nous maintenons une fourchette cible allant de 1 p. 100 à 3 p. 100, cela veut dire que la cible officielle est de 2 p. 100. Pour maintenir le taux d'inflation à 2 p. 100, nous pourrions avoir à accepter que le taux de chômage atteigne, disons, 6,5 p. 100 au Canada. Si toutefois nous permettons que le taux d'inflation s'élève à 3 p. 100—c'est-à-dire la cible officielle serait de 3 p. 100—le taux de chômage pourrait alors ne s'élever qu'à 5,5 p. 100. Rien qui n'a encore réussi à réfuter cette hypothèse.
• 1725
Deuxièmement, les chiffres pour les États-Unis indiquent que
le taux d'inflation approche de 3 p. 100 et il a même dépassé
3 p. 100 au cours des récents trimestres. Autrement dit, les États-Unis
optent pour une fourchette allant de 2 p. 100 à 4 p. 100
inclusivement pour conserver leur marge de manoeuvre. Ils ne
paniquent pas tant que le taux n'atteint pas 3,5 p. 100.
Je suis d'accord pour dire que c'est eu en points de pourcentage et que, selon toute évidence—étant donné que notre taux de chômage atteignait 11 p. 100 ou 12 p. 100 et qu'il a maintenant été ramené à 6,8 p. 100—nous n'avons pas eu besoin d'une fourchette cible allant de 2 p. 100 à 4 p. 100. Toutefois, quand nous voudrons ramener le taux de chômage de 6,5 p. 100 à 5,5 p. 100, nous nous rendrons peut-être compte que notre fourchette cible est trop basse. Si notre fourchette n'est pas assez élevée pour nous permettre d'abaisser le taux de chômage, il en résultera des pertes de revenu et d'emplois importantes pour les Canadiens.
Le président: Monsieur McCallum.
M. John McCallum: Le taux d'inflation aux États-Unis, si l'on en exclut les produits alimentaires et énergétiques, se situe à environ 2,5 p. 100 par rapport à il y a un an. Il n'a donc pas dépassé 3 p. 100, à moins qu'on ne tienne compte de l'impact des produits énergétiques. La Banque du Canada tient compte du prix des produits alimentaires et énergétiques dans ses calculs.
Je crois toutefois, sans vouloir vous manquer de respect, que le point que soulève M. Cullen est valable, de manière générale. Les États-Unis et le monde ont beaucoup changé depuis deux ou trois ans, et les économistes se sont systématiquement trompés. Ils avaient l'habitude de dire que, si le taux de chômage baissait en deçà de 6,5 p. 100, l'inflation se mettrait à croître aux États- Unis.
Je ne sais pas à quand remonte ces études, mais je crois que, si on s'en sert dans un débat sur ce qu'il faudrait faire en 2001, il faudrait certainement les mettre à jour pour tenir compte de ce qui s'est produit ces dernières années. Notre façon de comprendre l'économie a beaucoup changé.
M. Roy Cullen: Quand j'avais décidé de me pencher sur cette question, j'en avais parlé avec un certain nombre d'économistes qui seraient d'accord en principe pour dire que, quand on fixe la politique monétaire, on accepte implicitement de perdre sur le plan de l'emploi ce que l'on gagne sur le plan de l'inflation—sur quelle période de temps, je l'ignore. Je n'ai jamais réussi toutefois à faire dire à un économiste que l'inverse était aussi vrai, à savoir qu'en laissant croître l'inflation, on crée des emplois.
Nous pourrions peut-être y revenir plus tard.
Si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais passer à un autre sujet, celui du dollar canadien par rapport au dollar américain. Soit dit en passant, je n'appuie pas pour ma part l'idée d'une monnaie commune. C'est peut-être pour des raisons subjectives. Si, toutefois, nous en arrivons un jour à n'avoir que trois monnaies dans le monde, comme vous l'avez dit, monsieur McCallum, je suppose que le dollar canadien ne sera pas du nombre. Je ne crois tout simplement pas que c'est une idée à laquelle les Canadiens se rallieraient, et c'est là une autre raison pour laquelle je ne l'appuie pas.
Dans les comparaisons entre le dollar canadien et le dollar américain, on entend dire—nous l'avons entendu ce matin—que c'est le marché qui en fixe le cours au bout du compte. À vrai dire, j'accorde beaucoup d'importance à la valeur que le marché accorde au dollar canadien, mais il faut aussi convenir, si on en juge d'après les marchés boursiers, que le marché peut parfois être irrationnel.
Pour en revenir au cours du dollar canadien, étant donné la situation économique au Canada, il est vrai que la dette est trop élevée. Nous avons une bonne croissance économique, un faible taux d'inflation, un taux de chômage peu élevé, etc. Il ne semble donc pas y avoir quoi que ce soit dans notre situation financière qui justifie, à mon sens en tout cas, la faiblesse de notre dollar.
Je vous demande de m'excuser si vous en avez parlé dans vos exposés—je ne vous ai pas entendu en parler—mais je me demande si l'un d'entre vous pourrait m'expliquer la performance actuelle du dollar canadien par rapport au dollar américain et aux autres monnaies. Comment expliqueriez-vous cette performance?
M. John McCallum: Puisque personne d'autre ne réclame la parole, je vais la prendre. Je ne veux pas accaparer trop de votre temps.
Nous avons exploré cette question en nous inspirant du modèle mis au point par la Banque du Canada où l'on cherche à expliquer le cours du dollar canadien en fonction de quatre facteurs: notre taux d'inflation par rapport au taux américain; nos taux d'intérêt par rapport aux taux américains; les prix mondiaux des produits de base; et les excédents ou les déficits publics au Canada par rapport aux États-Unis. C'est un modèle qui donne de bons résultats à long terme.
Il n'est pas parfait cependant. Il ne permet pas d'expliquer comment notre dollar a pu chuter jusqu'à 63c. Au cours des 25 dernières années, notre taux d'inflation a été plus élevé que le taux américain et les prix mondiaux des produits de base ont été à la baisse. Nous nous sommes endettés plus que les États-Unis. C'est ce qui peut expliquer que notre dollar qui valait autant que le dollar américain soit tombé à 70c. Cela ne permet toutefois pas d'expliquer... Il y a aussi des bulles sur le marché, et je crois que le niveau de 63c. était une bulle.
Je suis donc d'avis que le dollar canadien est sous-évalué de trois ou quatre cents peut-être. Je crois toutefois qu'il pourrait peut-être reprendre du mieux, si l'on se fie aux facteurs économiques.
Le président: Monsieur Fortin.
M. Pierre Fortin: Je suis aussi de cet avis. Le cours du dollar canadien est sans doute trop bas, dans une perspective à long terme, parce que notre taux d'inflation, comme on l'a dit, est plus faible que le leur. Les prix des produits de base vont sûrement se rétablir à un moment donné et le cours de notre dollar va remonter.
Nous avons peut-être oublié une chose—question d'apporter peut-être une valeur ajoutée au débat et de justifier ma présence ici aujourd'hui—à savoir que les gens ne se rendent pas compte que, quand on met de l'ordre dans les finances publiques, comme on l'a fait avec le budget thérapeutique de 1995 et avec ceux qui l'ont suivi, il devrait normalement en résulter, non pas une appréciation, mais bien une dépréciation du taux de change. Cela s'explique essentiellement par le fait que la demande de biens et services provient davantage du secteur privé que du gouvernement. Cette demande tient en partie à la consommation intérieure, mais aussi à la consommation extérieure.
Pour stimuler la demande extérieure, il faut une monnaie plus faible. Ainsi, contrairement à ce que disent parfois les spécialistes des questions financières, quand on assainit les finances publiques, il en résulte une certaine dépréciation de la monnaie. C'est un élément qu'on a parfois oublié de signaler dans le débat des dernières années.
Le président: Monsieur Krehm, aviez-vous quelque chose à ajouter?
M. William Krehm: Je suis convaincu que personne n'a été satisfait des nouvelles venant d'Afrique, ou indifférent à cette situation. Cela a certainement eu une influence sur la décision des États-Unis de hausser les taux d'intérêt, qu'on leur emboîte le pas ou non.
Toute cette question de stabiliser une économie avec le facteur le plus déstabilisant imaginable, soit les taux d'intérêt, entraînera une catastrophe internationale. Il y a eu des révolutions en Afrique. La dernière a eu lieu en Afrique du Sud, c'était une révolution pacifique. Il y a également eu une révolution pacifique au Zimbabwe. Mais lorsqu'il y a une révolution politique, elle doit être suivie tout au moins d'une solution de compromis modéré pour réparer les torts qui ont été commis à l'époque de la colonisation. Les terres doivent être redonnées à la population, mais il n'y a jamais rien, dans les budgets locaux... Il ne faut pas oublier le corruption. D'accord, la corruption est regrettable, mais il faut la contrôler dans le contexte de l'aide internationale.
J'en viens à la question. Nous ne jouons pas avec le feu, mais avec de la dynamite lorsque nous continuons de nous demander si nous allons augmenter les taux d'intérêt pour la sixième fois pour tenir compte de l'inflation, et que nous ne tenons pas compte de l'incidence de cette décision sur la région la plus vulnérable et la plus explosive du monde, soit l'Afrique. Je suis convaincu que vous savez ce dont je parle.
M. Roy Cullen: Merci.
Monsieur Élie, je voulais poser quelques autres questions, mais si vous voulez faire un commentaire, allez-y.
[Français]
M. Bernard Élie: Très rapidement, je dirai que je reconnais avec mes collègues que le dollar canadien est sans doute sous-évalué, compte tenu, entre autres, de notre surplus commercial avec les États-Unis. Cependant, j'ai expliqué tout à l'heure que le niveau élevé du dollar américain venait du fait que celui-ci, en plus d'être une monnaie de réserve, était devenu une monnaie refuge à cause des tendances spéculatrices qui existent sur la planète.
• 1735
Or, cette situation-là maintient le dollar américain
artificiellement très
élevé, même si les États-Unis ont un
déficit de leur compte courant très important face à tous
les pays de la planète.
[Traduction]
M. Roy Cullen: Je pourrais poser une question plus espiègle—mais je ne le ferai pas—quant à l'incidence de l'instabilité au Québec et des répercussions des politiques séparatistes du gouvernement du Québec sur le taux de change. Je ne veux pas faire de cette réunion une réunion partisane, mais je crois qu'il s'agit là d'une question qui doit être posée. Si nos témoins veulent offrir une réponse, je leur en serais reconnaissant. Mais permettez-moi de poser ma dernière question d'abord.
Nombre de Canadiens craignent que le taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain ne crée des prix de braderie, vous savez, pour l'acquisition de biens. Monsieur McCallum, vous avez à bon droit signalé ce que je sais déjà, soit que ces dernières années, il y a eu un investissement étranger direct net dans les deux directions. En fait, jusqu'à tout récemment, il y avait plus d'investissements canadiens aux États- Unis que d'investissements directs américains au Canada. Quel rôle jouerait le taux de change, à votre avis, dans la décision d'une compagnie qui veut étendre ses activités ou acquérir des biens au Canada, lancer une entreprise au Canada ou acheter une entreprise canadienne? Quelle influence a le taux de change?
M. John McCallum: Puisque je suis un anglophone, je peux répondre à votre première question avec une certaine crédibilité lorsque je dis que rien n'indique, à mon avis, que la question de la souveraineté ait eu une incidence concrète à moyen terme sur le cours du dollar canadien. Je ne peux pas le prouver, mais nous avons des équations qui peuvent l'expliquer. Je crois que lorsqu'on a connu des crises, que ce soit l'échec de Meech ou autre chose, il peut y avoir des incidences à court terme, mais je n'ai pas vraiment pu déceler...
M. Pierre Fortin: Le 30 octobre 1995.
M. John McCallum: Peu importe. Vous pouvez nommer les événements tout comme moi, mais je ne crois pas qu'ils aient une incidence concrète à long terme.
Pour ce qui est de votre deuxième question, jusqu'à l'année dernière, où on a vu une entrée de capitaux nets importante au Canada; en fait je pense qu'il s'agit plus d'une internationalisation, avec les montants en capitaux les plus importants circulant dans les deux directions, que d'une prise de contrôle canadienne. Mais au cours de la dernière année, lorsque le cours du dollar était très bas, c'est ce qui s'est produit. Je préférerai donc que notre dollar se trouve à 70 sous ou 71 sous US plutôt qu'à son niveau actuel, et cela pour plusieurs raisons, y compris ce que vous venez de décrire comme étant une prise de contrôle, des prix de braderie. Mais je ne voudrais pas qu'on augmente les taux d'intérêt en vue simplement de cet objectif, parce que je crois que ça ne serait pas une bonne idée. Je crois cependant, pour toute une série de raisons, qu'il n'est pas bon d'avoir une monnaie sous-évaluée. C'est une des raisons pour laquelle je préférerai que le dollar canadien soit à 0,70 $US sous plutôt qu'à 0,67 $US.
M. Roy Cullen: Je laisserai aux autres l'occasion de poser des questions dans quelques instants. Mais pour revenir à cet argument, si une entreprise songe à acheter des actifs au Canada ou y élargir ses activités, le taux de change... C'est un peu comme le choix de l'emplacement d'une usine ou les subventions de l'État, il faut prendre une décision en fonction de perspectives à long terme. Et dans certains cas vous constaterez que le taux de change pourrait changer; et si vous décidez de vous implanter au Canada ou d'acquérir des actifs au Canada en vous basant sur le taux de change actuel, cela pourrait être très dangereux.
Monsieur Fortin, monsieur Élie ou monsieur Krehm, vous pourriez peut-être nous dire quelques mots là-dessus ou enchaîner sur les remarques de M. McCallum.
M. William Krehm: En fait c'est curieux. Lorsque le taux de change est faible, cela pourrait attirer des capitaux. Évidemment, il y a d'autres facteurs comme la stabilité, etc. L'Union européenne, en fait, semble exporter de certains des pays. Tout ce qui a été dit sur la stabilité... notre bon ami, le prix Nobel, n'aurait pas pu se tromper de façon plus royale. Il s'agit d'unifier les monnaies pour qu'il n'y ait pas de taux de change à acquitter. Bien, l'Europe, avec l'Espagne par exemple, qui a un taux de chômage de près de 20 p. 100, paie plus que le taux de change.
• 1740
Cependant, des capitaux très importants traversent les
frontières. Ce n'est pas simplement des risques que l'on prend avec
des actions particulières, mais chaque fois que cela se produit
dans une devise étrangère, c'est un risque qu'on prend sur la
valeur de la devise. Il y a donc la combinaison de ces deux
facteurs qui entre en ligne de compte. Ainsi, lorsqu'une devise
prend un peu trop de valeur, et que tout le monde se précipite,
alors les investisseurs commencent à se retirer.
Certains d'entre nous ne croient pas que la solution soit d'avoir une devise de valeur élevée et stable ou une devise de valeur élevée au prix de taux d'intérêt élevés. N'oubliez pas que notre niveau de vie faible et nos prix de braderie sont attribuables à la mondialisation, et que nous livrons concurrence au Mexique. On a vu partir des entreprises canadiennes pour le Mexique et, de là, peut-être même pour le Guatemala.
[Français]
M. Bernard Élie: Je pense qu'il faut distinguer deux types d'investissements étrangers au Canada. Il s'agit, d'abord et avant tout, de tenir compte ici des prises de contrôle d'entreprises existantes par les Américains. Il ne s'agit pas d'investissements dans de nouvelles usines ou de nouvelles entreprises; ce sont des prises de contrôle d'entreprises qui, stratégiquement, sont importantes et qui apparaissent très bon marché à un moment donné. C'est là une face du phénomène.
L'autre face du phénomène auquel nous avons assisté, c'est l'exportation, par les Canadiens, de capitaux vers les États-Unis afin de bénéficier d'un rendement plus élevé qu'au Canada. Ce phénomène est très important; les Canadiens sont devenus des exportateurs nets de capitaux depuis six ou sept ans.
En particulier, ce sont sans doute ces deux phénomènes également qui entraînent les faiblesses du dollar canadien. Dans un monde de libre circulation des capitaux, le dollar canadien est également pris dans cette situation-là.
[Traduction]
M. Pierre Fortin: Il y a eu une incidence sur l'emplacement des entreprises, la volatilité du taux de change, j'en ai été témoin. J'ai pris une décision, en collaboration avec le reste de mon conseil d'administration, et nous allons construire la prochaine usine aux États-Unis, parce que c'était un facteur important. Ce n'est qu'un exemple, mais lorsque les exemples se répètent, ils deviennent une statistique.
M. John McCallum: Cela n'a peut-être pas été la bonne décision.
M. Pierre Fortin: Mais si. Nous avons réalisé des profits importants et aucune inquiétude avec le taux de change depuis.
De plus, j'aimerais signaler que la volatilité du taux de change qui nous préoccupe est également la volatilité à moyen terme. En d'autres termes, ce qui s'est produit avec le dollar canadien par rapport au dollar américain est que nous avons perdu 25 p. 100 de sa valeur entre la fin des années 1970 et 1986. Puis il a augmenté de 20 ou 23 p. 100 entre 1986 et 1991, puis a chuté à nouveau à 70c, donc de 25 p. 100. C'est une périodicité quinquennale.
M. Limoges a parlé d'opération de couverture. C'est très difficile de faire cela sur une période de plus d'un ou deux ans. Les gens d'affaires à qui je parle s'inquiètent de la volatilité du taux de change, non pas à très court terme, mais sur les plus longs cycles dont je parle.
M. Roy Cullen: Merci.
Le président: Lorsque les Américains achètent des entreprises canadiennes, ils les achètent toujours parce qu'ils prévoient des profits et un taux de croissance. Lorsque nous disons qu'ils achètent des entreprises à des prix de braderie... Si vous êtes en affaires, il importe peu que vous payiez 50c ou 60c; s'il y a des prévisions de croissance et de profits, vous allez acheter cette entreprise, à moins que vous ne le fassiez pour des raisons stratégiques en vue d'éliminer cette présence sur le marché. Cela se produit également.
Monsieur Élie.
M. Bernard Élie: Actuellement, plusieurs des achats par les firmes américaines sont des achats stratégiques d'entreprises canadiennes de pointe ou d'entreprises canadiennes dans le secteur des matières premières. C'est dans une perspective de moyen terme, de cinq à six ans. Ce n'est pas la perspective d'un entrepreneur qui veut, à long terme, assurer la prospérité de sa famille. Ce sont vraiment des mouvements de capitaux qui visent, de la part des Américains, à acquérir des éléments importants au Canada dans une stratégie de développement mondial pour leur entreprise. Plusieurs des entreprises situées à Montréal dans le domaine électronique sont tombées sous contrôle américain dans le cadre d'une stratégie de développement des firmes américaines.
Donc, ce n'est pas une vision à long terme, mais une à moyen et même à court terme qu'ils mettent en pratique dans ce type de stratégie. Ce sont des entreprises...
[Traduction]
Le président: Mais quelle preuve en avons-nous? Avez-vous suivi des prises de contrôle pour illustrer cet argument?
[Français]
M. Bernard Élie: Disons que, pour l'instant, je n'ai pas fait d'études là-dessus. C'est un sujet qui me préoccupe, mais je n'ai pas encore fait de recherches rigoureuses sur le sujet. Par contre, j'ai regardé les données de Statistique Canada et celles de la balance des paiements, les entrées de capitaux américains et les sorties de capitaux canadiens, lesquelles sont plus importantes que les entrées.
Donc, ici, il y a transfert. Il semble très nettement que les capitaux américains prennent le contrôle d'entreprises canadiennes et que les Canadiens vont placer des titres dans des portefeuilles aux États-Unis pour profiter de rendements plus élevés.
C'est au niveau de l'observation première que j'ai vu cela.
[Traduction]
M. John McCallum: Comme je l'ai signalé tout à l'heure, je crois qu'en gros les mouvements d'investissement étranger direct ont été égaux dans les deux directions. Il ne s'agit pas simplement d'investissements de portefeuille, mais d'entreprises canadiennes qui font des investissements directs aux États-Unis, et vice versa.
En réponse à votre commentaire, monsieur le président... d'ailleurs je ne suis pas certain que nous ayons vraiment répondu à la question de M. Cullen. Je crois qu'il voulait savoir l'influence qu'avait le taux de change sur les décisions d'entreprises étrangères de venir s'installer ici. Je crois qu'elles auraient vraiment tort de venir s'installer ici supposant que le dollar canadien va demeurer à tout jamais à 67c.
J'ai constaté notamment dans l'étude de KPMG qui comparait les coûts au Canada à ceux aux États-Unis dans une douzaine de secteurs industriels dans une douzaine de villes—donc c'est 12 fois 12. Dans chaque ville et dans chaque secteur, les des coûts étaient plus faibles vu le cours actuel du dollar, et ils ont calculé le niveau que le dollar devrait atteindre pour que ces entreprises atteignent le seuil de rentabilité. Je crois qu'on a déterminé qu'il s'agissait de 76 ou de 77c.
Je ne sais pas ce que font les entreprises, mais je crois qu'elles devraient être en mesure de bien se tirer d'affaire à 73 ou 74c. Je ne sais pas exactement, mais à un niveau du genre. Je ne crois pas que beaucoup d'entreprises prendraient vraiment la chance de fonder d'importantes décisions sur l'hypothèse que le dollar canadien restera toujours à son niveau.
M. Pierre Fortin: J'aimerais ajouter que si l'on consulte l'évaluation de l'OCDE et de Statistique Canada sur la parité de pouvoir d'achat entre le Canada et les États-Unis, c'est d'environ 82c ou 83c. Si on est sain d'esprit et qu'on voit un cours de 68c ou achète des actifs et des biens canadiens. Peut-être pas demain, parce que nous savons que la convergence vers la parité des pouvoirs d'achat est un phénomène à très long terme, mais si vous êtes en affaires et que vous avez une usine et que vous avez l'intention d'oeuvrer dans le secteur pendant pas mal de temps, vous pouvez vous attendre qu'à long terme ce facteur vous encouragera à investir au Canada.
Enfin je crois que c'est avantageux pour le Canada dans un certain sens.
Le président: Enfin essentiellement tout dépend des attentes de l'entreprise, des prévisions de croissance de l'investisseur.
Y a-t-il d'autres questions?
Au nom du comité, j'aimerais encore une fois vous remercier. Vous êtes toujours là quand nous avons besoin de vous, et nous vous en sommes fort reconnaissants. Merci.
La séance est levée.