SSLR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 9 mars 2005
¼ | 1815 |
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)) |
Mme Colette Parent (professeure, Département de criminologie, Université d'Ottawa) |
¼ | 1820 |
¼ | 1825 |
¼ | 1830 |
Le président |
Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ) |
Mme Colette Parent |
Mme Christine Bruckert (professeure, Département de criminologie, Université d'Ottawa) |
¼ | 1835 |
Mme Colette Parent |
Mme Paule Brunelle |
Mme Colette Parent |
Mme Christine Bruckert |
¼ | 1840 |
Mme Colette Parent |
Le président |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
Mme Christine Bruckert |
¼ | 1845 |
Mme Libby Davies |
Mme Christine Bruckert |
Mme Colette Parent |
¼ | 1850 |
Le président |
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC) |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
Mme Colette Parent |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
¼ | 1855 |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
Mme Colette Parent |
M. Art Hanger |
Mme Colette Parent |
½ | 1900 |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
Mme Christine Bruckert |
½ | 1905 |
Mme Colette Parent |
Le président |
Mme Libby Davies |
Mme Christine Bruckert |
Mme Colette Parent |
½ | 1910 |
Le président |
M. Art Hanger |
Mme Colette Parent |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
Mme Colette Parent |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
½ | 1915 |
Mme Colette Parent |
Le président |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
Mme Colette Parent |
½ | 1920 |
Mme Paule Brunelle |
Mme Colette Parent |
Mme Paule Brunelle |
Mme Colette Parent |
Le président |
Mme Libby Davies |
½ | 1925 |
Mme Christine Bruckert |
Mme Colette Parent |
Le président |
M. Art Hanger |
½ | 1930 |
Mme Christine Bruckert |
M. Art Hanger |
Mme Christine Bruckert |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
Le président |
Mme Libby Davies |
½ | 1935 |
Mme Christine Bruckert |
Mme Colette Parent |
Le président |
Mme Colette Parent |
½ | 1940 |
Le président |
Mme Colette Parent |
Mme Christine Bruckert |
Le président |
Mme Laura Barnett (attachée de recherche auprès du comité) |
Mme Christine Bruckert |
Le président |
CANADA
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
|
l |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 9 mars 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¼ (1815)
[Traduction]
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du sous-comité du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile. Nous étudions les lois sur le racolage et ce soir, nous accueillons Colette Parent et Christine Bruckert du Département de criminologie de l'Université d'Ottawa.
Habituellement, nous écoutons un exposé d'une dizaine de minutes puis nous posons des questions aux témoins, à raison d'un tour de questions de sept minutes, puis nous passons à des questions de trois minutes. Avez-vous des questions?
Vous avez la parole.
[Français]
Mme Colette Parent (professeure, Département de criminologie, Université d'Ottawa): Je voudrais remercier les membres du comité de nous donner l'occasion de nous prononcer sur la question de la sollicitation pour fins de prostitution. Ma collègue Christine Bruckert et moi-même travaillons depuis de nombreuses années sur divers problèmes reliés au travail du sexe. Nous avons récemment mené plusieurs recherches empiriques dont deux sont toujours en cours. Nous avons d'abord entrepris une recherche sur le travail du sexe dans les salons de massage et les établissements érotiques dans les régions de Montréal et de Toronto, qui a donné lieu à un rapport pour la Commission du droit du Canada. Cette recherche nous a permis de préciser certains paramètres théoriques de notre approche de la prostitution comme métier. On peut trouver ces développements dans un article du numéro de mars 2005 de la revue Déviance et Société, qui doit sortir incessamment. J'ai d'ailleurs remis une copie du manuscrit pour vos chercheurs et analystes. Après avoir effectué cette recherche et produit cet article, nous avons demandé et obtenu une subvention de recherche du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada sur le travail d'escorte, hommes, femmes et clients. Nous procédons présentement à la cueillette des données. Les organismes Stella et Maggie's, deux organisations de travailleuses du sexe, collaborent avec nous à ces projets. Nous avons également mené une recherche-action sur les besoins et services des travailleuses du sexe de rue de la région d'Ottawa-Carleton. Le rapport est complété à 90 p. 100, et un résumé des résultats est disponible.
Après la présentation, nous pourrons, s'il y a lieu, répondre aux questions des membres du comité sur ces recherches.
Nous avons finalement mené deux recherches pour la Gendarmerie royale du Canada sur le trafic des femmes pour fins de prostitution, et c'est de cette question que nous voulons entretenir aujourd'hui le comité.
En premier lieu, nous voulons mettre en évidence certains éléments qui alimentent la controverse autour de cette question. Ensuite, nous présenterons quelques résultats de la recherche que nous avons menée sur le traitement judiciaire canadien relatif au trafic des femmes pour fins de prostitution. Nous ferons aussi état des points de vue des représentants de la justice pénale et des représentantes des travailleuses du sexe sur ce problème au Canada.
La question du trafic des femmes pour fins de prostitution prend l'avant-scène au niveau international dans les années 1990. À partir de ce moment, on voit apparaître une littérature qui, dans un premier temps, documente et dénonce le problème. Mais peu à peu émerge une controverse qui porte sur la définition, l'analyse du phénomène et son ampleur statistique. Aujourd'hui, on peut identifier trois positions dominantes face au trafic des femmes pour fins de prostitution.
La première, la position abolitionniste, emprunte au phénomène de la traite des blanches qui a émergé en Occident à la fin du XIXe siècle et qui associe prostitution, esclavage et violence. C'est cette conception qui a influencé l'adoption par l'ONU, en 1949, de la Convention sur la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui. Cette conception a aussi influencé le contenu des protocoles adoptés en l'an 2000, mais à un moindre degré. Dans le cadre de cette conception, la prostitution est considérée comme incompatible avec la dignité humaine. Lorsqu'aujourd'hui on envisage la question de la migration des travailleuses du sexe vers des pays étrangers, on la définit d'entrée de jeu comme du trafic, comme la mondialisation de l'esclavage sexuel. Le trafic demeure alors étroitement associé à la prostitution et représente un phénomène criminel qu'il faut combattre par tous les moyens légaux possibles.
Une seconde conception renvoie à une définition plus large du trafic, qui inclut d'autres formes de travail forcé et qui propose une distinction entre la prostitution volontaire et la prostitution forcée. Elle donne la possibilité d'encadrer la question dans son contexte socioéconomique d'ensemble, de mettre en évidence les liens entre la migration des travailleuses du sexe et celle d'autres catégories de travailleurs, et d'envisager conjointement la vulnérabilité de ces groupes de personnes qui cherchent à gagner leur vie, mais sans être protégés par des droits de citoyens puisqu'ils se déplacent sans papiers.
¼ (1820)
La troisième position est tenue par des regroupements de travailleuses du sexe qui remettent directement en cause l'utilité de recourir au concept de trafic pour décrire les conditions des travailleuses du sexe migrantes. Pour elles, historiquement, lorsqu'on s'est penché sur la question du trafic, on s'est plus préoccupé de protéger les jeunes filles pures et innocentes de la prostitution que de défendre les droits des travailleuses du sexe. On peut constater que pour les tenants de la première position, les questions de prostitution, de trafic et d'esclavage sexuel sont intimement liés, alors que les deux autres groupes distinguent le travail du sexe, la migration illégale et la vulnérabilité des travailleurs migrants, travailleuses du sexe ou autres, à l'exploitation.
La question qui se pose à nous aujourd'hui est essentiellement celle de la criminalisation de certaines activités associées au travail du sexe au Canada, qui prive les travailleuses des droits et protections accordés à l'ensemble des citoyens canadiens et qui rend les travailleuses du sexe sans papiers encore plus vulnérables à l'exploitation.
Dans la controverse autour de la question du trafic, les chiffres avancés par les partisans de la position abolitionniste se posent en preuve de l'ampleur et de la gravité du problème, mais les méthodes de calcul utilisées, de l'aveu même de l'Organisation internationale pour les migrations, ne sont pas très claires.
Dans son bulletin trimestriel, d'avril 2001, l'OIM décide plutôt de présenter des données tirées de ses propres activités dans 89 pays en tant qu'indicateurs des tendances du phénomène. Évidemment, les données qui sont présentées dans ce bulletin sont beaucoup plus modestes, mais on peut les vérifier empiriquement.
Notre recherche sur le traitement judiciaire des dossiers associés au trafic des femmes pour fins de prostitution et sur les points de vue des représentants de la justice et des travailleuses du sexe, entre autres, nous incite tout autant à la prudence. Nous en présentons quelques résultats dans la section qui suit.
En effet, en 2002, nous avons mené une étude dont un des volets portait sur les discours judiciaires relatifs au trafic des personnes et au crime organisé. Pour identifier les dossiers pertinents, nous avons effectué des recherches dans Quicklaw en utilisant plusieurs des banques de données disponibles et un nombre étendu de mots clés. Malgré nos efforts, nous n'avons identifié, d'une part, que quatre audiences criminelles et deux audiences sur l'octroi de licences dans le cadre du projet mené dans la région de Toronto, en 1999-2000, dont le nom de code était Almonzo. Nous avons également identifié huit cas de demanderesses du statut de réfugié qui portaient principalement sur le trafic des personnes.
Dans le cas de l'initiative policière connue sous le nom de code Almonzo, la cible était des salons de divertissement pour adultes qui engageaient des migrantes de l'Europe de l'Est pour travailler comme danseuses érotiques. Les médias ont accordé beaucoup d'attention au projet et, en 1999, on retrouve des gros titres tels que « Accusation d'esclavage sexuel portée contre un exploitant de bars— Étrangères forcées à se prostituer » dans les quotidiens.
On indiquait que l'enquête avait permis de révéler le rôle essentiel joué par le Canada dans le trafic international d'esclaves sexuels. Même si les médias signalent que 650 accusations ont été portées contre 200 propriétaires de bars et 100 danseuses étrangères, nous n'avons pu retracer le développement de toutes ces causes, en fait, de très peu de ces causes. Certaines accusations ont été retirées, sûrement. Dans d'autres cas on a suspendu l'instance, car de multiples reports du procès, dans l'attente de la divulgation par la Couronne de renseignements sur le projet Almonzo, violaient le droit des accusés de subir un procès dans des délais raisonnables. Au bout de cinq ans, le juge a décidé de fermer les dossiers.
Par ailleurs, comme le service de police de Toronto a été mentionné dans une poursuite découlant du projet Almonzo, nous n'avons pu discuter de ce dossier avec nos participants à la recherche. Notons que dans une décision, le juge fait état d'un document interne d'Emploi et Immigration Canada qui désignait le projet Almonzo comme un projet des forces policières conçu pour faire cesser les activités des salons de divertissement pour adultes.
¼ (1825)
On sait qu'il y avait à cette époque toute la question du lap dancing dans les bars de Toronto. Cette information nous a été livrée par un mémo d'Emploi et Immigration Canada.
En ce qui concerne les audiences impliquant des demanderesses du statut de réfugié, nous n'avons identifié que huit dossiers. Seulement trois des huit demandes ont fait l'objet d'une décision favorable. Lorsqu'on analyse les jugements, on se rend compte que, dans l'ensemble, les juges divisent les demanderesses en deux catégories. La première catégorie est celle des jeunes femmes qui ont été dupées, qui ne savaient pas qu'elles venaient au Canada pour le travail du sexe et qui, somme toute, sont des victimes. La seconde est celle des jeunes femmes qui savaient qu'elles venaient au Canada à ces fins. Elles sont simplement des migrantes clandestines, et on ne reconnaît pas qu'elles puissent être victimes de trafic ou encore qu'elles puissent être persécutées si elles retournent dans leur pays, bien qu'on ait pu identifier un certain nombre d'éléments dans les dossiers qui pouvaient faire craindre pour la sécurité de certaines de ces femmes.
Dans ces dossiers, les représentations traditionnelles du trafic des jeunes femmes pures et innocentes à des fins de prostitution ont donc émergé à nouveau, et les juges n'ont généralement pas reconnu la vulnérabilité des travailleuses migrantes dans le travail du sexe.
Par ailleurs, les 10 entrevues que nous avons menées auprès des représentants de la police, des professionnels de la justice pénale et des représentantes de travailleuses du sexe nous ont permis de dégager un portrait plus nuancé. Nous avons interviewé un procureur de la Couronne, trois agents de la Gendarmerie royale du Canada et trois agents de police de Toronto ayant tous une expertise fort solide sur les problèmes abordés. Nous avons également interviewé trois femmes qui travaillaient auprès des travailleuses du sexe ou encore des travailleuses du sexe migrantes sans papiers.
Voici quelques éléments que nous avons dégagés des entretiens et qui mettent en lumière les paramètres du problème tels que définis par ces acteurs sociaux sur le terrain. Selon un caporal de la GRC, l'introduction des travailleuses du sexe étrangères par des groupes du crime organisé pour travailler dans des salons de massage à Toronto remonterait au début des années 1990, mais leur nombre ne s'élevait alors qu'à cinq ou six femmes par année. Pour ces groupes associés au crime organisé, le passage de migrants clandestins ne constituait qu'une activité adoptée au passage en réponse à une demande et devant la possibilité de réaliser des profits. Par ailleurs, il n'y a pas de preuve concluante que ces groupes constituent des réseaux permanents structurés qu'on associe traditionnellement au crime organisé. Le caporal de la GRC affirmait que ces groupes
[...] ne forment pas nécessairement une bande ou un groupe du crime organisé structurés [...] Ce sont simplement quatre ou cinq gars qui se livrent à une activité criminelle, et pendant [...] que vous et moi et trois autres personnes concluons une affaire ensemble, une autre affaire est conclue entre trois ou quatre autres personnes. |
Pour les représentants de la justice pénale, ces initiatives ressemblent à bien des égards aux entreprises légitimes. Ces organisations peuvent à leur tour employer des personnes non affiliées, souvent dans le cadre d'une entente financière à l'acte pour des services particuliers. C'est un travail axé sur le profit que les participants, passeurs ou migrantes, ne considèrent pas comme problématique, comme criminel. Dans ces cas, les femmes, nous dit-on, sont des victimes consentantes. Toutefois, si elles ne paient pas leurs dettes, elles peuvent être victimes de violence, et certaines d'entre elles peuvent mal comprendre certaines modalités du contrat ou encore être trompées, être dupées.
Comme le signale le sergent d'état-major, c'est la distribution internationale des richesses et la situation marginalisée des migrants potentiels qui facilitent l'exploitation des besoins humains.
Dans l'ensemble, les professionnels de la justice pénale n'ont pas repris l'association entre le travail du sexe et la migration clandestine cristallisée par l'image de l'esclave sexuelle. Ils ont plutôt, sauf exception, abordé la question dans une perspective plus large d'exploitation et de migration de travail. Ils ont pu constater que des femmes viennent au pays et choisissent le travail du sexe comme une occasion d'affaires, une occasion de faire de l'argent. On ne peut les classer d'emblée comme des victimes, des esclaves, mais on ne peut nier leur statut social marginal qui les amène à quitter leur pays et on ne peut nier leur vulnérabilité conséquente comme travailleuses migrantes sans papiers.
¼ (1830)
En réponse à ceux qui veulent maintenir la criminalisation des activités associées au travail du sexe au pays, pour protéger les femmes de la mondialisation du travail du sexe, je dirai que l'exemple de la France nous apparaît bien démontrer les effets pervers de la criminalisation du travail du sexe sur les travailleuses du sexe migrantes.
En effet, depuis l'adoption de la loi Sarkozy, en 2003, en France, qui criminalise le racolage passif, 2 400 personnes ont fait l'objet d'une procédure de racolage, selon le quotidien Libération, en date du 23 janvier 2005. Parmi les accusés, 36 p. 100 venaient de l'Europe de l'Est ou des Balkans, 31 p. 100 d'Afrique, 8 p. 100 d'Amérique du Sud et des Caraïbes, 5 p. 100 du Maghreb, 3 p. 100 d'Asie, et seulement 6 p. 100 étaient françaises. Loin de prévenir leur arrivée en sol français ou de les chasser du sol français, cette loi les force tout simplement à travailler dans des conditions encore plus précaires et les rend plus vulnérables, comme le font d'ailleurs les dispositions sur la communication du Code criminel qu'on a adoptées au Canada pour les travailleuses du sexe.
Quant à nous, à la lumière des recherches que nous menons, la décriminalisation nous apparaît être la solution.
Merci.
[Traduction]
Le président: Merci, madame.
Nous commencerons avec Mme Brunelle, afin de vous accorder le temps de souffler, monsieur Hanger.
[Français]
Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Bonjour, madame.
J'ai vu que vous avez préparé un rapport intitulé « Établissements de servicesérotiques / danse érotique:deux formes de travailmarginalisé ». Dans les notes d'information qui nous ont été remises, on peut lire ceci:
Ce rapport se penche, entre autres choses, sur les inquiétudes exprimées, enmatière de santé et de sécurité, par les travailleurs du sexe oeuvrant dans des salons de massage,des maisons de débauche et des bars de danseuses, de même que sur les répercussions que lalégislation applicable aux activités de service sexuel peut avoir sur ce secteur d’activité. |
J'aimerais savoir ce que vous entendez par répercussions.
[Traduction]
Mme Colette Parent: Voulez-vous répondre à la question?
Mme Christine Bruckert (professeure, Département de criminologie, Université d'Ottawa): Juste une précision : avait-elle parlé des répercussions de la criminalisation?
Une voix: Sur la santé...
Mme Christine Bruckert: Bien, est-ce que vous préférez répondre maintenant?
¼ (1835)
[Français]
Mme Colette Parent: Nous avons mené des entrevues auprès de plusieurs travailleuses du sexe dans les salons de massage et dans les établissements érotiques. Nous avons pu dégager des problèmes de différents ordres par rapport à la question de la santé.
Un aspect important est celui de la gestion des établissements. Dans certains d'entre eux, nous avons pu constater que les propriétaires ne reconnaissaient pas ouvertement que leur salon de massage était un salon de massage érotique, qu'ils lui donnaient une façade de salon de massage ordinaire. Pour les travailleuses du sexe qui donnaient aussi des massages, la situation devenait très difficile. En effet, elles ne pouvaient pas réclamer de condoms, elles devaient se débrouiller elles-mêmes pour en avoir à leur disposition et elles pouvaient difficilement se plaindre d'un client agressif ou d'un client qui demandait des services qu'elles ne voulaient pas offrir, parce que l'établissement niait toute implication dans le travail du sexe. Les travailleuses se retrouvaient donc dans des situations de vulnérabilité sur le plan de la protection, de la sécurité publique et même de la protection sanitaire. Elles devaient toujours prévoir avoir ce dont elles avaient besoin pour se protéger.
Même lorsque l'établissement était ouvert par rapport au travail effectué, nous avons noté un problème. En effet, comme les travailleuses se trouvent à faire un travail non institutionnalisé, non reconnu, et que les normes et les règles s'appliquant aux services offerts par ces femmes ne sont pas reconnues officiellement et largement dans la société, il y a une zone grise dans les services qu'elles offrent qui peut les amener à poser des actions contraires à leur santé. Certains clients insistent pour obtenir des services sans condom et pensent qu'ils sont en mesure de le faire compte tenu de la situation marginalisée dans laquelle les travailleuses se trouvent. Il y a donc un danger potentiel pour la santé et la sécurité des travailleuses du sexe. Des clients peuvent s'attendre à certains types de services. Comme les services ne sont pas annoncés d'entrée de jeu, il se peut bien qu'ils ne trouvent pas ces services disponibles, qu'ils se frustrent et qu'ils deviennent désagréables, voire violents.
Les possibilités pour les travailleuses du sexe de se protéger sont limitées compte tenu de la dimension criminalisée de certaines de leurs activités et du caractère marginal de leur travail. Dans cette recherche, nous avons fait état des risques associés à ces facteurs.
Mme Paule Brunelle: Vous avez donc trouvé des problèmes similaires dans les bars de danseuses?
Mme Colette Parent: Dans les bars de danseuses...
[Traduction]
Pourriez-vous répondre, s'il vous plaît?
Mme Christine Bruckert: Dans les bars de danseuses et les clubs d'effeuilleuses, la situation est un peu différente, puisque d'une part, les danseuses se livrent à une activité légale; elles sont reconnues par la loi, elles paient des impôts. D'autre part, les femmes continuent d'être très marginalisées et en raison de la structure de cette activité commerciale, on constate la même chose dans les clubs que dans les salons de massage : les femmes se voient refuser systématiquement l'accès aux droits généraux dont bénéficient les autres travailleurs. Il n'y a donc pas d'équité en emploi, non plus que de protection de la santé et de la sécurité. Elles fonctionnent en marge des protections minimales accordées aux autres travailleurs. Elles sont donc, en fait, bien plus vulnérables. Elles ont aussi très peu de recours lorsqu'il s'agit de traiter avec leur employeur puisque, encore une fois, elles travaillent dans une zone grise de l'économie et sont en quelque sorte des employées clandestines. Elles n'ont pas vraiment la possibilité de négocier avec leur employeur des choses comme les attentes de l'employeur ou la rémunération.
Je pense que cela répond à votre question.
¼ (1840)
[Français]
Mme Colette Parent: D'ailleurs, dans les bars de danseuses, les conditions de travail se sont nettement détériorées. Alors que, durant une certaine période, elles pouvaient avoir un petit salaire de base, maintenant il n'y a aucune rémunération. Certains frais sont couverts par les propriétaires de bars. Elles doivent donc tirer tous leurs revenus des pourboires qu'elles obtiennent des clients. Elles sont très nombreuses à travailler dans un même bar, ce qui entraîne une très grande concurrence entre elles, afin d'empocher un salaire décent.
Le président: Est-ce tout?
Madame Davies, vous avez la parole.
[Traduction]
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup d'être venue ce soir. Vos recherches sont très intéressantes.
Si j'ai bien compris votre position, que l'on estime cette forme de travail, le travail du sexe, comme une bonne ou une mauvaise chose, l'adoption d'une démarche abolitionniste ou d'interdiction réduit en fait l'autonomie et la dignité des personnes qui font ce métier ainsi que leurs possibilités au chapitre des choix. Bon nombre de témoins nous ont fait part de cette idée. D'autres témoins estiment que comme société, il faut sanctionner négativement ce genre de travail et qu'il faut adopter des interdictions plus strictes.
J'ai quelques observations à formuler. Je connais bien le domaine de la prostitution de rue. On compare souvent cette situation à celle des salons de massage, des clubs de danseuses et des services d'escortes. D'après certains témoignages que nous avons reçus, les salons de massage sont une situation préférable parce qu'il peut y avoir moins violence. Les femmes qui travaillent sur la rue dans des quartiers industriels où les conditions sont moins sûres auront pratiquement perdu tout contrôle sur ce qui se passe, alors que dans les salons de massage et les services d'escortes, elles peuvent avoir un meilleur contrôle. Ce que vous me dites toutefois, c'est que d'après vos recherches, ces femmes aussi sont très vulnérables, puisqu'il n'y a pas vraiment pour elles de paramètres ni de règles. Elles dépendent fortement des du propriétaire ou de l'exploitant. Je veux donc simplement savoir si c'est bien la position générale que vous avez adoptée.
J'aimerais aussi que vous vous expliquiez au sujet de ce que vous proposez comme décriminalisation. Les gens parlent parfois de légalisation, de décriminalisation et, en général, la décriminalisation signifie pour moi qu'on retire ces infractions du Code criminel et qu'on ne s'en occupe plus. Si c'est le cas, comment répondre aux préoccupations que vous avez formulées au sujet de ces femmes qui sont toujours exploitées faute de règles? Quand vous parlez de décriminalisation, pensez-vous en fait à un environnement où des permis seraient émis ou des règles imposées pour garantir certaines conditions de travail, par exemple? Je pense qu'il y a toujours une zone grise entre ce que les gens voient comme de la décriminalisation et ce que d'autres estiment être une légalisation, c'est-à-dire une approbation et une participation de l'État à ce commerce. Pourriez-vous préciser votre position, je crois que cela nous serait très utile.
Mme Christine Bruckert: Je vais répondre d'abord à la première question qui portait sur les salons de massage. Les femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenues ont clairement parlé de choix qu'il fallait faire, en tenant compte des questions de sécurité. La plupart insistaient sur le fait que dans les salons de massage, il y avait divers facteurs qui amélioraient leur sécurité : il y avait d'autres travailleuses à proximité, il y avait souvent des voisins et souvent aussi un portier virtuel était là. Il y avait donc une certaine sécurité. Elles se comparaît à celles qui travaillent sur appel, qui se rendent dans les chambres d'hôtel sans savoir dans quelle situation elles allaient se retrouver. Il y avait aussi la possibilité de faire un choix des clients avant qu'ils entrent dans l'établissement. Cela étant dit, je pense qu'il est important de comprendre que cet environnement est plus sûr que la rue. Je ne sais pas très bien ce qu'il en est pour les escortes. Il reste que la criminalisation a une incidence sur toutes les femmes qui travaillent dans ce domaine. Le salon de massage n'est pas un environnement absolument sûr, simplement un peu meilleur.
Quant à la décriminalisation, je demande à Colette d'intervenir si j'exprime mal notre position. Pour nous, la décriminalisation signifie qu'on élimine les lois se rapportant à la prostitution, c'est-à-dire les articles 210, 212 et 213, et cela comprend les dispositions sur les salons de massage et sur ceux qui vivent des produits de la prostitution. Ces lois doivent être abrogées pour diverses raisons, dont la meilleure est le fait que c'est leur application qui rend les femmes vulnérables.
¼ (1845)
Mme Libby Davies: Si nous en décidions ainsi, quel serait alors l'incidence? Aurions-nous alors un régime qui n'aurait toujours pas de normes ni de sécurité? Je suis préoccupée par ce que la décriminalisation signifierait pour, disons, les salons de massage. Dites-vous que ce serait d'autres normes ou lois générales sur le travail, la santé et la sécurité qui s'appliqueraient, par exemple sur l'utilisation de condoms? Est-ce à cela qu'il faudrait se fier?
Mme Christine Bruckert: Je pense que la décriminalisation doit être assortie d'efforts de déstigmatisation pour encourager l'acceptation de cette activité comme une forme de travail. Bien entendu, toutes les autres lois seraient applicables, les lois qui protègent les travailleurs et qui doivent protéger tous les travailleurs, par exemple en matière de santé et sécurité.
Voudriez-vous ajouter quelque chose, Colette?
[Français]
Mme Colette Parent: Pour nous, la décriminalisation devrait permettre que le travail du sexe soit reconnu comme une forme de travail et soit assujetti, comme d'autres formes de travail dans le secteur des services, à des règles. Ces règles demanderaient un exercice responsable de la part des travailleuses du sexe, mais leur permettraient aussi d'être respectées comme travailleuses dans le domaine des services.
Honnêtement, nous ne nous sommes pas arrêtées aux détails de ce que cela pourrait signifier. Je pense qu'il faut travailler sur cela avec des représentantes de travailleuses du sexe, des femmes qui travaillent dans le domaine et qui connaissent les différentes dimensions du travail, des risques et des responsabilités. Il faut aussi connaître les lois dans le domaine du travail, par exemple, ou même les lois sur la paix dans les lieux publics, qui peuvent être utilisées quand il y a des dérangements. On n'a pas besoin de penser à des lois spéciales pour les travailleuses du sexe.
Dans les initiatives de légalisation, on trouve trop souvent la mise en place de mesures qui continuent à stigmatiser les travailleuses du sexe, à en faire des citoyennes différentes des autres. À ce titre, ce genre de mesures ne nous paraît pas acceptable. Il nous semble que cela fait tout simplement perpétuer la stigmatisation et la mise à l'écart de ces travailleuses.
Bien sûr, il y a des gens qui disent que la décriminalisation ne réglera pas tous les problèmes. Aucune loi ne règle tous les problèmes. Cependant, cela va donner des droits aux travailleuses du sexe et leur permettre de s'affirmer, d'être des citoyennes à part entière, de défendre leurs droits. Les travailleuses du sexe qui ont des problèmes personnels et qui sont malheureuses dans leurs activités de travail vont continuer à avoir ce genre de problèmes. Cela ne réglera pas du jour au lendemain tous ces problèmes, mais cela va régler énormément de problèmes de stigmatisation et de vulnérabilité qui sont associés à la criminalisation et à la mise à l'écart des travailleuses du sexe.
¼ (1850)
[Traduction]
Le président: Allez-y, s'il vous plaît, monsieur Hanger.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci, monsieur le président.
Toutes mes excuses, mesdames, pour mon arrivée tardive qui m'a fait manquer une partie de vos exposés. Je crois toutefois assez bien comprendre votre position.
Selon vous, pour toute cette question de la prostitution, vous envisagez la décriminalisation. Il n'y aurait donc pas d'infractions au Code criminel, même pas pour ceux qui vivent des produits de la prostitution, et le travail des prostituées serait régi par une sorte de code du travail. Ai-je bien compris? Elles paieraient de l'assurance-emploi et tout le reste, comme cela se fait actuellement en Allemagne, je présume. Je présume aussi que votre recherche a porté sur les événements qui ont eu lieu en Allemagne.
Mme Christine Bruckert: En fait, en Allemagne, on a plutôt adopté le modèle de la légalisation, ce qui crée des attentes particulières pour les travailleuses du sexe. Les autres travailleurs, par exemple les serveuses, ne font pas l'objet de vérifications hebdomadaires visant à s'assurer qu'ils ne sont pas porteurs de maladies transmises sexuellement; c'est un problème.
M. Art Hanger: Oui, mais ils paient de l'assurance-emploi.
Mme Christine Bruckert: Oui.
M. Art Hanger: S'il y a un pépin, elles peuvent donc recevoir des prestations d'assurance-emploi. Ou quelqu'un d'autre, comme on a vu là-bas... Si vous cotisez à l'assurance-emploi et qu'on vous offre un poste, on s'attend à ce que vous l'acceptiez. Est-ce que cela cadre avec le modèle que vous envisagez pour la prostitution?
Mme Christine Bruckert: Je parle de l'accès à des choses comme l'assurance-emploi, les congés de maternité...
[Français]
Mme Colette Parent: Tout dépend de la structure de travail qu'adopteraient certaines femmes. Si certaines femmes décidaient d'être travailleuses autonomes, la question de l'assurance-emploi ne se poserait pas dans les mêmes termes. Cela peut dépendre de la structure de travail. L'idée est de permettre aux femmes de choisir aussi le type d'organisation à laquelle elles voudraient être associées.
Si on se fie à ce que certaines représentantes des travailleuses du sexe nous disent, depuis l'avènement de l'Internet et de l'usage des courriels, etc., certaines travailleuses du sexe se sont lancées en affaires et travaillent seules, ou à deux ou à trois. Elles dirigent littéralement une petite entreprise. Évidemment, elles n'agissent pas en toute légalité présentement, mais elles pourraient le faire si des mesures étaient adoptées en ce sens.
[Traduction]
M. Art Hanger: Et les travailleurs du sexe paieraient des impôts?
Revenons à votre modèle, vous voudriez qu'il y ait des cotisations à l'assurance-emploi, des prestations de maternité... Et s'il y avait une subite pénurie de prostituées, et qu'il y avait des femmes au chômage, si un organisme estimait pouvoir offrir à une chômeuse un poste de prostituée, et que, prestataire de l'assurance-emploi, elle refusait ce travail, ses prestations seraient réduites. Est-ce à cela que vous pensez?
Mme Christine Bruckert: Normalement... Je pense que vous allez un peu loin avec le modèle.
M. Art Hanger: Eh bien, je n'en suis pas convaincu. Je veux que vous...
Mme Christine Bruckert: Habituellement, on ne vous offrira pas un emploi pour lequel vous n'avez aucune expérience.
Je pense que l'argument principal, c'est celui de la sécurité des femmes. Et on le voit même dans les clubs de danseuses : les femmes ne sont pas protégées. Si elles se font mal au travail, elles n'ont pas de protection. Si le propriétaire du club a des pratiques discriminatoires, les femmes n'ont aucun recours. Il est à mon avis impératif de reconnaître que, peu importe si ces femmes ont des congés de maternité et des prestations de chômage—les travailleuses du sexe pourraient présenter des arguments à ce sujet, je ne sais pas si ce serait vraiment important—les droits des citoyens sont les mêmes pour les travailleuses du sexe que pour tous les travailleurs du Canada.
¼ (1855)
M. Art Hanger: Je vois. Et parmi les avantages sociaux, je présume qu'il y aurait aussi l'indemnisation pour les accidents du travail?
Mme Christine Bruckert: Les danseuses affirment que c'est certainement un droit qu'elles devaient avoir, puisqu'il est vrai qu'elles se blessent au travail.
M. Art Hanger: Que vous ont révélé vos recherches au sujet des pays qui ont légalisé la prostitution, émis des permis, effectué des contrôles et où le code du travail s'applique à elles et les régit? Qu'est-ce que vos recherches vont ont dit au sujet de la prostitution en général dans ces cas-là? Est-ce que l'observation des règles est bonne?
Mme Christine Bruckert: Non. Il y aura toujours, bien entendu, un marché noir du travail du sexe. Toutefois, dans des cas comme la Hollande, quand on commence à... On parle davantage de légalisation et il faudrait peut-être se tourner vers la Nouvelle-Zélande pour voir un modèle de décriminalisation. Mais même dans des pays où s'est produit une légalisation, on constate une plus grande transparence. En fait, les femmes peuvent se plaindre des actes de violence qu'elles ont subies. Elles ont un recours judiciaire. Nous constatons que la police peut intervenir davantage lorsqu'il y a, par exemple, des jeunes dans la rue ou des cas de violence ou d'exploitation.
Bien entendu, cela ne règle pas tous les problèmes. Nous avons un marché noir de la construction au Canada, pourquoi pourrions-nous empêcher qu'il en existe un pour le travail du sexe? Je peux difficilement imaginer sa disparition.
[Français]
Mme Colette Parent: J'aimerais ajouter une chose. Tout à l'heure, j'ai fait allusion à la loi Sarkozy en France et aux travailleuses sans papiers qui en ont été la cible. Si on regarde ce qui se passe dans certains pays européens, on voit qu'il y a toute une problématique autour des travailleurs migrants illégaux. Parmi ceux-ci, il y a des travailleuses du sexe, des gens qui travaillent dans la construction, dans le domaine de l'agriculture, dans le domaine du textile. C'est un problème qui affecte les travailleuses du sexe, mais c'est un problème de migration illégale et de distribution de richesses.
La décriminalisation ne résoudra pas le problème de la migration de travailleurs et de l'embauche de travailleurs sans papiers parce qu'ils coûtent moins cher. Il faut attaquer ce problème autrement, ailleurs. Ce n'est pas cela qui va le régler. Cependant, criminaliser ne le réglerait pas non plus, à la différence de ce que peuvent prétendre certaines personnes. Cela rend tout simplement les travailleuses plus vulnérables en les obligeant à se cacher et en leur enlevant des outils pour pouvoir se protéger.
[Traduction]
M. Art Hanger: Je ne sais pas. Je présume que vous connaissez des études qui appuient votre dernier argument. Nous avons entendu des commentaires et des références allant dans le sens contraire, c'est-à-dire que la vulnérabilité et l'exploitation ne sont pas éliminées par la légalisation de ce commerce. Il y a encore des femmes qui travaillent en dehors des codes, si l'on peut dire, et il peut y avoir encore de graves problèmes de drogue, entre autres. Le nombre des prostituées oeuvrant sur le marché noir, nous a-t-on dit, dépasse celui des prostituées détentrices de permis. C'est ce que nous ont dit certains des témoins qui ont comparu devant nous.
J'aimerais savoir ce que vous avez à dire pour infirmer cela. Je présume que vous avez fait une étude approfondie avant d'émettre cette opinion.
[Français]
Mme Colette Parent: C'est une question difficile. En effet, lorsqu'on parle de chiffres dans ce domaine, on est confronté à la possibilité de mesurer, ce qui n'est pas toujours très bon. Il devient très difficile de préciser s'il y en a plus qui sont illégales ou qui sont légales.
Or, nous savons que les travailleuses du sexe qui sont dépendantes des drogues vont continuer à recourir au travail du sexe, qu'il y ait légalisation ou pas, puisqu'elles sont dépendantes. Dans une des recherches que nous avons menées concernant les besoins et les services en matière de travail du sexe de rue, nous avons interviewé quelques femmes qui nous ont littéralement avoué qu'elles se livraient à la prostitution pour payer leur drogue et qu'elles voyaient ces deux activités comme étant très liées. Il s'agit donc d'un problème, et celui-ci ne sera pas résolu par la criminalisation ou la décriminalisation.
Par contre, décriminaliser ne donne pas ipso facto de pouvoir aux femmes, mais cela leur donne des conditions pour apprendre à reconnaître et à exercer leurs droits. Cela leur donne des outils, alors que la criminalisation les force à travailler dans l'illégalité. C'est cet élément que nous considérons. La criminalisation ne convainc pas les femmes de renoncer au travail, mais les force à travailler dans des conditions beaucoup plus précaires.
Dans certains endroits, comme en Suède, on a adopté une loi avec laquelle on prétend avoir réussi à faire diminuer la prostitution. Il y a des rapports qui affirment le contraire et qui indiquent que les formes ont changé. En fait, cinq ans après l'adoption des dispositions sur la communication au Canada, le ministère de la Justice a demandé des évaluations. On a constaté que la prostitution existait encore autant, que ses formes s'étaient modifiées, que les endroits s'étaient déplacés, mais qu'on n'avait pas réussi à vraiment changer la situation globale, si c'est ce qu'on voulait faire. On a aussi constaté qu'on avait réussi à rendre les travailleuses du sexe plus vulnérables. On peut en observer les conséquences en voyant les violences exercées contre les travailleuses du sexe et les meurtres de beaucoup d'entre elles au pays. On a des preuves nationales tout à fait tangibles de l'effet des lois répressives qui, traditionnellement et historiquement, s'abattent toujours, d'abord et avant tout, sur les travailleuses du sexe. Ce sont elles qui sont les premières cibles des lois.
½ (1900)
[Traduction]
Le président: Merci, madame Parent.
Nous passons maintenant à la ronde des questions de trois minutes. Nous vous demandons de poser des questions directes et d'y répondre aussi brièvement que possible, pour respecter le délai de trois minutes.
Madame Brunelle, vous avez la parole.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Au fur et à mesure qu'on entend des témoins, cela devient plus difficile, car on entend une chose et son contraire. Le monde que vous nous décrivez pour les femmes prostituées serait certainement un monde idéal. L'idée de considérer la travailleuse du sexe comme une travailleuse comme les autres est intéressante.
Premièrement, d'après vos conclusions, choisit-on vraiment d'entrer volontairement dans l'industrie du sexe? Croyez-vous qu'une femme choisisse d'entrer dans cette profession?
Deuxièmement, je suis troublée par ce que vous nous avez dit au sujet de la mondialisation de l'industrie du sexe. Vous semblez marginaliser le problème, d'une certaine façon. D'après ce que je lis, j'ai l'impression qu'il y a une recrudescence de la mondialisation de l'industrie du sexe. Des femmes de l'étranger semblent entrer à pleines portes au Canada pour venir grossir cette industrie, qui est souterraine et illégale. Or, cela ne semble pas être votre perception, selon vos enquêtes.
[Traduction]
Mme Christine Bruckert: Pour répondre à votre première question, je crois que les femmes choisissent de devenir travailleuses du sexe et comme d'autres femmes, particulièrement les plus jeunes, elles font ce choix compte tenu de certaines contraintes. Certaines femmes choisissent de devenir serveuses, ou vendeuses, et d'autres, travailleuses du sexe. Manifestement, il y a des contraintes. Il ne s'agit pas d'un choix fait librement, à partir d'un nombre illimité de possibilités. Il reste que je crois que c'est insultant pour les femmes de dire qu'elles ne choisissent pas, et que cela représente mal leurs situations. Elles sont des agents libres, comme les autres femmes.
½ (1905)
[Français]
Mme Colette Parent: La recherche que nous avons menée sur les salons de massage et sur les établissements érotiques nous indique que les femmes font effectivement un choix. Elles nous disaient qu'elles préféraient le travail du sexe à d'autres formes de travail qui exigeraient qu'elles soient présentes sur les lieux de 9 heures à 17 heures, qu'elles obéissent aux ordres du patron et qu'elles reçoivent un salaire minable en comparaison avec ce qu'elles gagnent maintenant. Plusieurs d'entre elles disaient clairement qu'elles aimaient le sexe, que c'était une dimension de leur vie avec laquelle elles se sentaient très à l'aise et que cela ne leur posait pas de problème que d'offrir des services sexuels. Il y en a plusieurs qui ont explicitement dit qu'elles avaient fait leur choix à partir de ces critères.
Évidemment, comme l'indique ma collègue, c'est un choix qui est fait dans le cadre d'un ensemble d'options, comme nous avons choisi d'être là où nous sommes à partir d'un ensemble d'options. Elles avaient un ensemble d'options, et c'est à partir de ces options qu'elles ont choisi.
Peut-être que M. Maloney va m'interrompre mais, dans un cas, une des femmes que nous avons interviewées disait avoir choisi de travailler dans un salon de massage. Elle disait qu'elle était une femme très libre sexuellement et qu'elle avait pensé qu'elle pouvait être travailleuse du sexe. Mais, dans son cas, cela ne s'était pas avéré vrai. Dans notre échantillon, c'est celle qui se dit malheureuse dans son travail, qui n'est pas bien et qui n'aime pas son travail. Donc, c'est possible dans le travail du sexe aussi. Celle-là en a témoigné très clairement lors de l'entrevue. Nous ne pouvions que penser qu'elle n'aurait pas dû être là.
[Traduction]
Le président: Merci, madame Parent.
Madame Davies, c'est à vous.
Mme Libby Davies: Tout d'abord, j'aimerais revenir à la question que vous avez soulevée, je crois, au sujet du trafic de personnes et de la migration. Nous en avons un peu discuté au comité, mais je ne suis pas convaincue d'avoir bien compris votre position.
Le trafic international de personnes existe bel et bien. Il est clair que dans certains cas, il y a exploitation et coercition. Dans d'autres, peut-être pas. Peut-être que des personnes essaient de contourner les règles et font des choix. J'aimerais que vous nous disiez clairement ce que le Canada devrait faire, à votre avis. Quand des gens d'ici entrent dans ce secteur, c'est autre chose. Mais j'aimerais que vous expliquiez davantage votre position lorsqu'il s'agit des circonstances ou des lois qui pourraient prévenir ou interdire le trafic de personnes. J'aimerais mieux comprendre.
Mme Christine Bruckert: Nous proposons de séparer ces deux questions. Il y a d'une part la question de la migration illégale et, de l'autre, celle du travail du sexe. On a tendance à mettre les deux ensembles dans les discussions, si bien qu'on en arrive à imaginer que les travailleurs du sexe sont uniquement des immigrants illégaux, alors qu'il y a aussi des travailleurs domestiques, des travailleurs de la construction et des travailleurs agricoles. Il y a toutes sortes de travailleurs exploités qui se retrouvent dans une situation de grande vulnérabilité.
Même pour cette population, de bien des façons, c'est la criminalisation qui les rend particulièrement vulnérables. Si une femme est une immigrante illégale qui est aussi travailleuse du sexe, elle est particulièrement vulnérable. Non seulement est-elle sans papiers, mais elle est aussi vulnérable à cause de la criminalisation de cette activité. Cela devient un outil supplémentaire pour la contraindre. Elle aura aussi très peur de s'adresser à la police.
[Français]
Mme Colette Parent: Nous n'avons pas songé à des mesures anti-trafic. Comme ma collègue le disait justement, nous voulions distinguer la question de la migration illégale et la question du travail du sexe, parce que les gens, les partisans et les abolitionnistes confondent le tout. Pour eux, il y a trafic, il y a prostitution, il y a esclavage, et tout cela est un tout. Mais pour nous, il y a le travail du sexe qui peut être exercé au Canada par des femmes qui choisissent ce type de travail, et à mon avis celui-ci devrait être décriminalisé et ces femmes devraient avoir des droits comme travailleuses. Il y a tout le problème de la migration illégale des travailleurs, parmi lesquels on retrouve des travailleuses du sexe, qui renvoie à une problématique très difficile et très complexe.
Les recherches que j'ai lues concernant ce phénomène en Europe—où il y a eu beaucoup de migration des pays de l'Est, particulièrement pendant une grande période—nous renvoient à des situations extrêmement complexes. Au cours des années 1990, Chris De Stoop, journaliste belge, a sonné l'alarme à propos de l'esclavage sexuel et du trafic sexuel des femmes en provenance de l'Europe de l'Est. Il fait partie de ceux qui ont été à l'origine de toute la campagne contre la traite des femmes pour fins de prostitution en Belgique. Il a publié en 2004 un livre dans lequel il déclare s'être trompé. Ce n'est pas que le problème de migration de travailleurs et de travailleuses n'existe pas, mais sa description unilatérale et simpliste de la réduction des femmes à l'esclavage par des hommes sans scrupules ne représentait absolument pas la complexité de la situation. Il est retourné en Albanie avec des travailleuses du sexe et a trouvé une société complètement désorganisée, complètement détruite, où les gens vivent dans la misère. Là-bas, la migration vers l'Ouest apparaît comme une solution à certaines femmes. Évidemment, en cours de route, elles sont très vulnérables. Certaines d'entre elles sont exploitées et peuvent être victimes de trafic. Si elles sont identifiées et renvoyées chez elles, plusieurs d'entre elles retournent à l'Ouest, parce qu'elles croient encore que leur sort y sera meilleur. Il ne l'est pas nécessairement, mais ces femmes et leur situation sont désespérées, et elles cherchent des solutions. Affirmer simplement qu'ici il y a des victimes, et que là des malfaiteurs en profitent, les exploitent et en abusent ne reflète pas la complexité de la situation.
Il y a des centres d'accueil pour ex-prostituées qui constatent avec beaucoup d'étonnement qu'elles retournent à l'Ouest, et qu'elles y retournent plusieurs fois. Elles ont le sentiment de se retrouver face à rien, et elles espèrent trouver mieux à l'Ouest. C'est un problème de migration, de misère dans certains pays et de migration illégale. C'est pourquoi nous voulions vous dire aujourd'hui que ces deux questions nous paraissent distinctes, et renvoient à des problèmes importants et complexes que certains confondent et, à mon avis, simplifient à l'extrême. La situation est beaucoup plus complexe que cela.
½ (1910)
[Traduction]
Le président: Merci, madame Davies.
Monsieur Hanger, vous avez trois minutes.
M. Art Hanger: Merci.
J'ai écouté vos commentaires sur la traite des jeunes femmes. Je suis d'accord avec vous. D'ailleurs, il y a quelques années, je suis allé en Russie. On a fait un sondage auprès des jeunes filles de l'école secondaire et près de 70 p. 100 d'entre elles se déclaraient prêtes à se prostituer, estimant que c'était le moyen d'accéder à une vie meilleure.
Mme Colette Parent: Elles y songent, mais elles ne vont pas nécessairement le faire—ce n'est qu'une idée.
M. Art Hanger: Eh bien, elles n'obtiendront pas cette vie meilleure. Elles seront exploitées, victimes d'abus et utilisées—et probablement qu'il leur arrivera bien pire encore, d'après ce que j'ai compris de ce qui arrivait à ceux qui tombent entre les mais de quelqu'un d'autre. Il n'y a pas là-bas de loi régissant la prostitution. C'est le loi du plus fort... Ce sont les criminels organisés qui les incitent à se livrer à ces activités.
Quoiqu'il en soit, voilà pour la Russie. Je sais que certaines d'entre elles se retrouvent ici.
Si la question de la décriminalisation de la prostitution était soumise à la population, d'après vos recherches, quelle serait la réaction?
Mme Christine Bruckert: Nous n'avons pas fait d'étude sur l'opinion publique.
M. Art Hanger: Vous n'avez pas fait de recherche là-dessus?
Mme Christine Bruckert: Nous avons des collègues qui travaillent sur l'opinion publique, mais ce n'est pas un de nos champs d'activités.
M. Art Hanger: Vous ne savez pas ce que serait la réaction du public.
Mme Christine Bruckert: Non. Mais je sais ce qui est écrit dans le rapport Fraser.
M. Art Hanger: Quoi donc?
Mme Colette Parent: Oui, il y a longtemps. Si je me souviens bien, c'était favorable à la décriminalisation.
M. Art Hanger: Le public était en faveur de la décriminalisation.
Mme Christine Bruckert: Le public en général était pour, tant que cela ne se passe pas dans leur quartier.
M. Art Hanger: Bien sûr, ils n'en veulent pas dans leur cour.
Qu'en dit votre modèle? Est-ce que les prostituées devraient pouvoir vivre dans la collectivité et se prostituer dans n'importe quelle communauté?
½ (1915)
[Français]
Mme Colette Parent: Si l'on considère que c'est un travail faisant partie du secteur des services, dans ce cas, c'est un service et il doit être soumis aux règlements de zonage des villes. Vous ne trouvez pas nécessairement un salon de coiffure dans une rue résidentielle de banlieue. En revanche, des permis d'exploitation sont accordés dans les villes, à certains endroits. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas considérer cela comme tel.
[Traduction]
Le président: C'est votre dernière question.
M. Art Hanger: Trois parlementaires sont ici, il y en a parfois quatre, et nous avons pour tâche de représenter les collectivités d'où nous venons et de participer à l'étude des questions dont sont saisis la Chambre des communes et les comités, pour prendre des décisions.
J'ai toujours eu un sain respect pour le bon sens des gens en général. J'aimerais poser très directement des questions aux gens qui m'entourent. J'aimerais connaître leur position. Vous avez présenté la vôtre. Vous nous faites part des résultats de vos recherches, mais vous n'avez pas pris le pouls de la collectivité pour connaître sa réaction à votre proposition, avant de l'énoncer. Je pense qu'en cela, votre travail n'est pas complet.
Nous devrons nous faire une idée non seulement à partir de ce que vous dites, mais aussi en fonction de ce que pense la collectivité, ainsi que de bon nombre d'autres facteurs.
Mme Christine Bruckert: Puis-je dire quelque chose, à ce sujet?
Je ne sais pas ce que dirait le public canadien du modèle de décriminalisation, mais je suis convaincue qu'il est troublé par la violence contre les travailleuses du sexe et par la disparition d'une soixantaine de femmes assassinées à Vancouver, dans l'affaire des meurtres de Green Valley, au sud de la frontière, par la disparition de 10 travailleuses du sexe à Calgary et le meurtre de trois autres à Toronto, comme ailleurs au pays. Il incombe aux parlementaires de concevoir un modèle, j'en conviens, mais je crois que les Canadiens ne sont pas prêts à accepter la violence contre les femmes. Or, à mon avis, nos lois contre la prostitution sont étroitement mêlées à cette violence. Je pense que c'est assez clair, particulièrement pour les cas de Vancouver.
Le président: Nous avons largement dépassé les trois minutes.
Madame Brunelle, c'est à vous.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Lorsqu'on parle de la femme prostituée, on a l'image d'une personne dont la carrière ne peut pas être très longue. Est-ce le cas? J'imagine que les salaires ne sont pas très élevés non plus.
Prenons le cas d'une prostituée qui n'a pas de problème de drogue. À partir du moment où l'on considère que c'est un emploi comme les autres, ne pensez-vous pas que nous devrions songer à certaines mesures en vue de favoriser la réinsertion sociale de ces femmes, afin de les amener à autre chose?
Est-ce que je me trompe en disant que c'est une carrière courte et peu payante? Il faudrait donc penser à des solutions alternatives, pour qu'on ne se retrouve pas avec des femmes aux prises avec beaucoup de problèmes.
Mme Colette Parent: Que ce ne soit pas très payant est discutable. Cela varie beaucoup d'une femme à l'autre, et cela varie aussi selon les secteurs. Dans le secteur des escortes, les rémunérations sont excellentes. Si les femmes gèrent bien leurs revenus, elles peuvent mettre de l'argent de côté, quoiqu'il s'agisse d'une activité dont certaines dimensions sont illégales. Que fait-on, alors, de l'argent qu'on a gagné? Ce problème existe à l'heure actuelle. Dans d'autres secteurs, les revenus sont moins élevés, mais si on les compare à ceux d'autres types d'emplois dans le domaine des services, ils sont tout de même assez appréciables.
½ (1920)
Mme Paule Brunelle: Est-ce qu'on peut penser que la plupart des femmes font cela une dizaine d'années?
Mme Colette Parent: D'après ce qu'on entend, c'est un maximum pour beaucoup. Évidemment, certaines le font peut-être plus longtemps, mais beaucoup ne le font que quelques années, un, deux ou trois ans.
Mme Paule Brunelle: Savez ce qu'elles font ensuite? Trouvent-elles des emplois plus traditionnels?
Mme Colette Parent: Dans les salons de massage de notre échantillon, elles avaient déjà occupé différents types d'emplois traditionnels. Si la personne a été travailleuse du sexe pendant plus longtemps, la réorientation peut poser problème parce qu'il y a un trou dans l'historique de travail ainsi que toute la stigmatisation associée au travail du sexe. Quand on veut changer de voie, on se présente avec cinq ans de vie qui n'existent pas.
La difficulté du changement d'orientation n'existe pas dans d'autres professions, bien que toute réorientation comporte un certain nombre de difficultés. Selon les cas, elles se débrouillent plus ou moins bien pour entreprendre d'autres activités. Les personnes les plus vulnérables—et il y en a plusieurs dans notre échantillon pour la recherche sur les besoins et services des travailleuses du sexe de rue—ont très peu d'éducation, n'ont pas complété leur secondaire et ont donc beaucoup moins de possibilités de réorientation devant elles.
[Traduction]
Le président: Madame Davies, vous avez trois minutes.
Mme Libby Davies: Tout d'abord, je veux vous remercier toutes deux pour la franchise et l'honnêteté dont vous faites part dans le cadre de votre travail.
Je pense qu'une partie du problème vient du fait que pendant des décennies, on nous a fait croire que les lois se rapportant au travail du sexe mettaient un frein à la violence contre les femmes, et que ces lois évitaient l'exploitation des femmes. C'est un point de vue très moral, n'est-ce pas? Ce que j'ai appris, toutefois, parce que j'ai parlé à des travailleuses du sexe de Vancouver qui travaillent dans la rue, à bien des reprises, c'est que dans la réalité, du moins je crois, les lois elles-mêmes contribuent actuellement à la violence contre les femmes et à leur exploitation.
Je pense que c'est très difficile à comprendre, parce que depuis si longtemps, on nous dit que la loi est censée faire le contraire. Or, en fait, nous avons des preuves que ce n'est pas du tout le cas. C'est donc difficile à imaginer.
Je pense que l'une des questions que nous devons nous poser, c'est quel genre de modèle canadien nous devrions adopter si nous voulons remanier les lois de manière à offrir davantage de choix, davantage de soutien à ces femmes, plus de respect, plus de droits et aussi la possibilité de quitter ce métier sans être stigmatisées. C'est un aspect très important du problème. Pourriez-vous nous dire quelles pourraient être les premières étapes, si nous voulions prendre cette orientation?
½ (1925)
Mme Christine Bruckert: De toute évidence, il faudrait d'abord décriminaliser la prostitution et ensuite, à mon avis, éliminer la stigmatisation, comme vous le disiez. L'élimination des lois ne change pas nécessairement l'opinion publique et je pense qu'il faut davantage reconnaître que c'est un travail. Pour moi, c'est la première étape, et je pourrais songer à d'autres choses, comme les droits à garantir, qui suivraient.
Pour ce qui est du modèle idéal, je voudrais que le Canada soit un pionnier, plutôt qu'un pays qui emboîte le pas à d'autres. Il reste qu'en Nouvelle-Zélande, on a procédé à la décriminalisation, ce qui pourrait servir de point de départ.
[Français]
Mme Colette Parent: Le comité se déplace. Cela veut dire que vous allez sillonner tout le pays. Les regroupements de travailleuses du sexe ont réfléchi et sont certainement plus informés que nous ne pouvons l'être, à moins que nous ne menions une recherche sur les différents aspects qu'il faudrait mettre de l'avant dans un projet de décriminalisation et de reconnaissance de la prostitution en tant que travail. Ces regroupements sont en mesure de voir les difficultés des femmes, les besoins des femmes, les règles qui devraient ou non exister parce qu'elles pourraient transformer les femmes en victimes ou encore ne pas leur permettre d'exercer un véritable travail.
Il y a beaucoup de réflexion à faire autour de cela. Je comprends que vous ayez de la difficulté à visualiser les étapes suivantes. Il faut procéder pas à pas en étudiant ce qui s'est fait ailleurs, mais en étant conscient aussi des limites de certaines mesures. Il faut écouter, travailler avec des représentantes des travailleuses du sexe pour voir quels sont les éléments qui pourraient les aider, afin que le projet aille de l'avant.
Évidemment, cela doit être fait dans le respect des communautés. Il est clair qu'il ne faut pas heurter les communautés. Sinon, cela ne va pas fonctionner. Il faut donc, à mon avis, sensibiliser les gens au problème. La population canadienne, lorsqu'elle est informée, est une population qui est à l'écoute et qui est très respectueuse des droits des individus. Dans la mesure où on fera du bon travail sur ce plan, on pourra véritablement avoir son accord pour la décriminalisation des activités de prostitution.
Dans le cadre de mon enseignement, je suis étonnée par la réaction actuelle des étudiantes. Elles ne comprennent pas l'intolérance de certaines personnes vis-à-vis de la prostitution. Pour elles, cela appartient à une autre époque. Elles ne voient pas pourquoi on est aussi intransigeant envers des pratiques de prostitution ni pourquoi on associe nécessairement la prostitution à de l'esclavage sexuel. Elles ont 20 ans et elles ne comprennent pas.
Il y a pour elles un certain respect de la liberté des autres qui les empêche de faire une association automatique entre prostitution et esclavage sexuel. Il y a aussi chez elles une certaine ouverture d'esprit par rapport à la sexualité qui les empêche de faire ce genre d'association automatique. Si elles sont représentatives d'une partie de la population, cela veut dire qu'il y a déjà une certaine ouverture en ce qui concerne la décriminalisation de ces activités.
[Traduction]
Le président: Merci, madame Parent.
Il reste du temps pour une autre petite ronde de questions et, si vos questions et réponses sont courtes, ce sera possible. Essayons. Si quelqu'un s'attarde, quelqu'un d'autre n'aura pas la chance de poser une question.
Monsieur Hanger, une très courte question, assortie d'une réponse tout aussi courte, peut-être.
M. Art Hanger: Merci.
C'est plutôt un commentaire. Je suis certainement pour la prévention de la violence contre les femmes, surtout dans le domaine de la prostitution, et je sais très bien d'où vient la violence, à titre d'ancien policier.
Oui, les clients jouent en effet un rôle, mais les proxénètes sont absolument incontrôlables, et personne ne se plaint. Même avec la décriminalisation, les prostituées ne se plaindraient pas, à cause d'autres circonstances. Ces gens ont aussi une vie et ne veulent pas vivre constamment dans la violence, mais savent que ce sera pire encore en cas de plaintes.
Ma question s'adresse à Mme Bruckert. Vous affirmez que les meurtres de Picton, ceux de Green River et la disparition d'autres femmes qui ont sans doute été victimes de violence se rapportent tous au fait que la prostitution, ou l'un de ces éléments, fait l'objet du Code criminel. Pourriez-vous m'expliquer comment la décriminalisation permettrait de prévenir les meurtres qui ont eu lieu à la ferme de Picton et ceux qui ont eu lieu à Green River, à Seattle?
½ (1930)
Mme Christine Bruckert: En fait, nous savons que—et son nom m'échappe—dans l'affaire du meurtre de Green River...
M. Art Hanger: Oui, on l'a arrêté ici récemment.
Mme Christine Bruckert: Il a dit tout particulièrement qu'il embarquait des travailleuses du sexe et qu'il les assassinait parce qu'il pensait qu'il pouvait échapper aux conséquences et il avait pratiquement raison sur ce point.
Je pense qu'un certain nombre de choses entrent en ligne de compte. Les travailleuses du sexe font souvent la distinction entre le client qui est quelqu'un qui les paye et qui démontre un certain respect et un agresseur qui se fait passer pour un client. Je crois que c'est parce que les travailleuses du sexe font un travail non permis par la loi et ne peuvent s'adresser à la police. Elles ont peur de s'adresser à la police. Lorsqu'elles subissent des voies de fait, souvent ces voies de fait et cette violence à leur encontre ne sont pas prises au sérieux, donc elles ne s'adressent pas à la police. Par conséquent les clients, ces agresseurs, savent qu'ils ont pratiquement de fait le droit d'être violents.
De plus, l'on constate que lorsqu'il y a intervention des services de police, il y a déplacement des activités, tout particulièrement celles qui ont lieu dans la rue, le travail du sexe, qui se déplace de plus en plus en dehors des zones habitées; ces femmes travaillent dans des coins très obscurs, dans des sites très isolés, de sorte que lorsqu'un agresseur les embarque, personne ne peut le voir. Personne ne peut les entendre si elles crient.
Je pense donc qu'il existe un lien direct. Je voudrais juste attirer votre attention sur le fait que dans le modèle suédois, c'est exactement ce qui se passe. Avec une criminalisation accrue, on voit une violence plus importante à l'égard des travailleuses du sexe. Le lien est très direct.
Le président: Madame Brunelle.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Je n'ai pas de questions à vous poser. Je veux simplement vous féliciter pour votre travail qui fait évoluer les mentalités. Il est effectivement important d'avoir une vision nouvelle des choses et, à mon avis, cette voie qui vise à protéger les femmes est très intéressante.
[Traduction]
Le président: Merci.
La parole est à Mme Davies.
Mme Libby Davies: Je pourrais sans doute faire écho à vos commentaires. Avec la recherche qui a été effectuée tant par vous que par d'autres universitaires que nous avons entendus, et vous connaissez sans doute certains d'entre eux...
John Lowman a comparu. Il a fait un excellent travail et nous a fait un genre d'historique de ce qui s'est produit et il a été très utile au comité. Mais je dois dire que certains témoins ont souligné l'importance de faire d'autres recherches et d'entendre les travailleuses du sexe elles-mêmes.
Je suis d'accord que l'opinion publique est très importante. Je sais que nous sommes passés à des émissions de radio, etc. Ce qui m'a étonnée, c'est de voir le nombre de gens qui comprennent que le statu quo est terrible et dangereux. J'ai été très surprise par les commentaires des auditeurs.
Je me demandais si vous aviez des suggestions. Manifestement, vous faites votre propre recherche, mais en ce qui concerne ce qui peut être recommandé pour des recherches ultérieures sur les femmes qui travaillent dans le commerce du sexe—et il y a également des hommes et aussi des jeunes—avez-vous des suggestions sur la façon dont nous, par l'intermédiaire du gouvernement, devrions aborder cela? Leurs voix sont si importantes. Je crois que cela changera le débat lorsqu'elles seront entendues.
½ (1935)
Mme Christine Bruckert: Tout d'abord, je dirais que le fait que vous tenez ces audiences dans l'ensemble du pays est un très bon départ.
Je pense que nous avons fait énormément de recherche. Je sais que vous avez entendu Fran. Il y a également Leslie Jeffrey dans l'Est et Cecilia Benoit dans l'Ouest. Beaucoup de recherches ont été effectuées et elles semblent répéter la même chose. Ainsi, nous n'avons peut-être pas besoin de faire plus de recherches sur la violence et la décriminalisation, des sujets probablement déjà bien établis.
Mais je vous exhorterais à effectuer toute recherche ultérieure en collaboration avec les groupes de travailleurs du sexe. Il existe d'excellents groupes qui mènent en réalité des recherches et qui ont une grande spécialisation. Ce sont ces groupes qui devraient et qui pourraient montrer la voie.
[Français]
Mme Colette Parent: Il nous est difficile de répondre à votre question. D'une part, notre travail est de faire des recherches, et nous tentons de les mener de notre mieux et de faire avancer les connaissances. Par ailleurs, nous sommes conscientes que le statu quo, en ce qui concerne les lois canadiennes qui contrôlent les activités reliées à la prostitution, est très néfaste pour les travailleuses du sexe et que cela a été démontré. Bien sûr, on peut encore faire des recherches pour mieux comprendre le travail des travailleuses du sexe dans différents secteurs; on peut aussi faire des recherches pour remettre en cause le fameux mythe du souteneur, comme le soulignait d'ailleurs le rapport Fraser. C'est peut-être, sociologiquement parlant, le personnage qu'on connaît le moins bien. C'est le personnage qui représente l'exploitant par excellence. Dans le cadre d'une recherche que nous avons menée sur les besoins et services des travailleuses du sexe de rue, nous avons fait des entrevues; sur les 19 travailleuses du sexe interrogées, une seule avait un souteneur. Cela ne représente pas seulement ce cas-là, mais cela nous dit que ce n'est pas nécessairement un personnage qui est toujours présent. Il y a aussi tout l'aspect juridique relié à cela.
Il y a sûrement des recherches à faire là-dessus. Mais je pense, et peut-être les regroupements de travailleuses du sexe pourront-ils vous y aider, qu'il faut vraiment s'attaquer aux lois actuelles reliées aux activités de prostitution, et particulièrement aux dispositions du Code criminel sur la communication, qui rendent les travailleuses du sexe très vulnérables.
[Traduction]
Le président: Madame Parent, pour faire suite à votre dernier commentaire selon lequel 19 de vos prostituées avaient un souteneur, quel est d'après vous le rôle du crime organisé dans la prostitution? Quel est son rôle aussi dans le trafic des femmes?
[Français]
Mme Colette Parent: C'est une bonne question, mais une question très difficile. Je me souviens d'avoir rencontré un juge qui me disait dit que le travail du sexe et le crime organisé allaient de pair. Je l'ai regardé et je lui ai dit: « Non ». Il m'a dit: « Oui ». Je lui ai répondu: « Non ». Nous avons éclaté de rire, parce que c'était un échange un peu limité. Je lui ai dit que dans nos entrevues auprès des travailleuses du sexe, celles-ci ne nous avaient pas dit qu'elles avaient leur souteneur. Il y a donc beaucoup de femmes qui travaillent en petit groupe ou sans être directement reliées au crime organisé. Nos recherches le démontrent.
Par ailleurs, lorsque des cas de drogue, de prostitution ou de crime organisé sont soumis à la cour, on retrouve certaines femmes. Certaines travailleuses du sexe travaillent avec le crime organisé, mais nous ne les avons pas trouvées. Ce juge associait automatiquement le travail du sexe et le crime organisé parce que c'est ce qu'il voyait dans les dossiers qu'il avait à juger. Or, il s'agit d'une surestimation de l'importance du crime organisé au niveau du travail du sexe.
Il y a un certain nombre de femmes qui travaillent dans des établissements érotiques. Nous y avons effectué des recherches. Par exemple, il y avait peut-être trois femmes qui travaillaient dans un de ces établissements. C'était un salon de massage tout petit, et le crime organisé n'y était pas présent. Le crime organisé ne s'infiltre pas partout. L'association que l'on fait entre le crime organisé et la prostitution est, à mon avis, surfaite. Je ne dis pas qu'il n'y a jamais aucun lien entre les deux, mais dans les recherches que nous avons menées, nous n'avons pas noté une présence marquée du crime organisé. Je ne pourrais absolument pas affirmer cela.
½ (1940)
[Traduction]
Le président: Est-ce que vos commentaires s'appliquent également au trafic des femmes?
[Français]
Mme Colette Parent: Nous n'avons été en contact avec aucune femme qui disait avoir été victime de trafic. Cela peut être difficile, par contre, mais non. Nous avons des contacts avec des représentantes des travailleuses du sexe. Nous connaissons des personnes qui sont vraiment bien branchées dans le milieu et qui ont des contacts avec beaucoup de gens, et elles ne nous ont pas parlé de femmes qui étaient victimes de trafic.
[Traduction]
Mme Christine Bruckert: Est-ce que je peux ajouter une remarque en ce qui concerne les souteneurs? Ce n'est pas uniquement une conclusion de notre recherche qui donne ce résultat, mais étude après étude, y compris la recherche effectuée par le ministère de la Justice au milieu des années 80, la conclusion est la même. Ainsi, ce n 'est pas juste un échantillon de 19 femmes qui prouve ce fait, ce sont plusieurs études effectuées par Fran Shaver, Cecilia Benoit et par le ministère de la Justice.
Le président: Je vais le demander à notre attachée de recherche si elle a d'autres sujets qu'elle voudrait poursuivre également.
[Français]
Mme Laura Barnett (attachée de recherche auprès du comité): Croyez-vous que l'ouverture d'établissements de sexe très gros, comme on en retrouve au Nevada, en Australie et dans certains autres lieux, pose des problèmes? Dans l'affirmative, croyez-vous qu'il soit possible de libéraliser les lois en matière de prostitution, sans toutefois accepter une commercialisation exagérée de l'industrie du sexe?
[Traduction]
Mme Christine Bruckert: Oui, je pense qu'il est très possible d'éviter le modèle qu'on voit au Nevada, qui, nous le savons, crée une situation dans laquelle les femmes sont tout à fait exploitées. On leur donne peu d'options. En fait, leurs vies sont contrôlées, tant à l'intérieur de la maison de prostitution que dehors.
Je le répète, je pense que si nous passons à un modèle où les travailleuses du sexe sont de vraies travailleuses, ce type de loi... Si j'étais serveuse, par exemple, ce type de contrôle ne s'exercerait pas sur moi, alors pourquoi devrait-il s'exercer sur une travailleuse du sexe? Pour moi, il s'agit simplement de comprendre qu'il s'agit d'un travail et il faut se dégager de toutes ces couches de contrôle supplémentaires, qui apparaissent souvent dès que l'on commence à parler du commerce du sexe.
Le président: Merci.
Je suis reconnaissante du fait que vous ayez pris la peine de venir ce soir et j'apprécie les commentaires que vous avez faits aux membres du comité. Nous apprécions la contribution que vous avez faite à notre étude. Merci beaucoup.
La séance est levée.