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SSLR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 2 mai 2005




» 1745
V         Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.))
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale (professeure, Département de sociologie et d'anthropologie, Université de Windsor)
V         Le président
V         Mme Jacqueline Lewis (professeure agrégée, Département de sociologie et d'anthropologie, Université de Windsor)

» 1750
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale

» 1755
V         Mme Jacqueline Lewis
V         Mme Kara Gillies (présidente, Maggie's: The Toronto Prostitutes' Community Service Centre)

¼ 1800

¼ 1805
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Mme Kara Gillies
V         Mme Jacqueline Lewis
V         Mme Kara Gillies

¼ 1810
V         Le président
V         Mme Maria Nengeh Mensah (professeure-chercheure, École de travail social, Université du Québec à Montréal)

¼ 1815

¼ 1820
V         Le président
V         M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC)
V         Le président
V         M. Art Hanger
V         Mme Maria Nengeh Mensah

¼ 1825
V         M. Art Hanger
V         Mme Maria Nengeh Mensah
V         M. Art Hanger
V         Mme Maria Nengeh Mensah
V         Mme Kara Gillies
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Le président
V         M. Art Hanger

¼ 1830
V         Mme Kara Gillies
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale

¼ 1835
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ)
V         Mme Jacqueline Lewis
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Le président
V         Mme Maria Nengeh Mensah
V         Mme Paule Brunelle

¼ 1840
V         Mme Kara Gillies
V         Le président
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle

½ 1915
V         Mme Kara Gillies
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Maria Nengeh Mensah

½ 1920
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Maria Nengeh Mensah
V         Mme Paule Brunelle
V         Le président
V         M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ)

½ 1925
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Mme Kara Gillies
V         M. Réal Ménard
V         Mme Kara Gillies

½ 1930
V         M. Réal Ménard
V         Mme Maria Nengeh Mensah
V         M. Réal Ménard
V         Mme Maria Nengeh Mensah

½ 1935
V         Le président
V         Mme Jacqueline Lewis
V         M. Réal Ménard
V         Mme Jacqueline Lewis
V         M. Réal Ménard
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         M. Réal Ménard
V         Le président

½ 1940
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Le président
V         Mme Jacqueline Lewis
V         Mme Kara Gillies

½ 1945
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Mme Kara Gillies
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.)

½ 1950
V         Mme Jacqueline Lewis
V         Mme Kara Gillies
V         Mme Jacqueline Lewis
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Mme Kara Gillies
V         Mme Jacqueline Lewis

½ 1955
V         Le président
V         Mme Maria Nengeh Mensah
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Kara Gillies
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Kara Gillies

¾ 2000
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Mme Jacqueline Lewis
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Mme Jacqueline Lewis
V         Le président
V         Mme Kara Gillies

¾ 2005
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Le président
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         Le président
V         Mme Kara Gillies
V         Mme Jacqueline Lewis
V         Le président
V         Mme Jacqueline Lewis

¾ 2010
V         Le président
V         Mme Maria Nengeh Mensah
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale

¾ 2015
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Eleanor Maticka-Tyndale
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Kara Gillies

¾ 2020
V         Le président










CANADA

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 027 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 2 mai 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

»  +(1745)  

[Traduction]

+

    Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): La 27e séance du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile est ouverte.

    Nous accueillons ce soir Eleanor Maticka-Tyndale et Jacqueline Lewis, de l'Université de Windsor qui présenteront un exposé conjoint avec Kara Gillies du Toronto Prostitutes' Community Service Centre. Si j'ai bien compris, l'exposé que vous présenterez ensemble toutes les trois durera environ 20 minutes. Nous recevons aussi Maria Nengeh Mensah, de l'Université du Québec à Montréal.

    Je vous remercie d'être venues. Je signale aux membres du panel qu'un vote est prévu pour 18 h 45. La sonnerie débutera à 18 h 30 et nous ajournerons la séance à 18 h 40 pour aller voter. Nous reviendrons une trentaine de minutes après. Malheureusement, le vote interrompra la présentation, mais c'est notre lot.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale (professeure, Département de sociologie et d'anthropologie, Université de Windsor): Reviendrez-vous après le vote?

+-

    Le président: Oui. Nous reviendrons, à moins que nous ayons terminé avant 18 h 40, ce qui est peu vraisemblable.

    Je vous demanderais de commencer, Eleanor ou Jacqueline. Est-ce une présentation PowerPoint?

+-

    Mme Jacqueline Lewis (professeure agrégée, Département de sociologie et d'anthropologie, Université de Windsor): Oui.

    Nous remercions le comité de nous avoir invitées à prendre la parole aujourd'hui.

    Nous commencerons par une brève introduction de chacune des intervenantes de notre groupe aujourd'hui. Depuis 1999, Mme Maticka-Tyndale et moi-même avons rédigé trois études sur le travail du sexe qui s'intéressent à l'incidence des politiques publiques sur la santé et le bien-être des travailleurs du sexe. Mme Gillies défend les droits des travailleurs du sexe. À l'heure actuelle, elle est présidente du conseil d'administration de Maggie's, à Toronto, et coordonnatrice, pour l'Ontario, de la Canadian Guild of Erotic Labour.

    Notre présentation d'aujourd'hui se fonde sur les conclusions de deux études. La première, intitulée Les services d'escorte dans une ville frontalière, s'est déroulée entre 1997 et 1999. La seconde, intitulée Les politiques publiques canadiennes et la santé et le bien-être des travailleurs du sexe, a été effectuée entre 1999 et 2004.

    Ces deux études ont été réalisées grâce à la collaboration des travailleurs du sexe et des organisations communautaires. Les données recueillies ont été tirées d'entrevues semi-structurées et d'un ensemble de documents de politiques touchant la vie de travailleurs du sexe. La première était une étude de cas menée dans une ville canadienne où les services d'escorte sont autorisés suite à l'obtention d'un permis. La deuxième est une étude de cas de l'industrie du sexe dans deux grandes villes canadiennes. Pour ces deux études, nous nous sommes entretenus avec plus de 150 travailleurs du sexe et plus de 40 informateurs, y compris des membres des corps de police et d'organisations de prestation de services communautaires.

    Aujourd'hui, nous avons un double objectif. Premièrement, utiliser notre recherche pour examiner de quelle façon les politiques publiques canadiennes, en particulier le Code criminel du Canada, influent sur la santé et la sécurité des travailleurs du sexe. Si nous voulons élaborer une réponse adéquate, il faut que nous sachions clairement comment les politiques peuvent augmenter ou réduire les risques pour la santé et la sécurité des personnes concernées.

    Notre deuxième objectif aujourd'hui est de proposer des lignes directrices relativement à des changements de politiques.

    Dans notre exposé d'aujourd'hui et dans nos travaux de recherche nous employons le terme « sécurité » pour faire référence à la sécurité physique au travail et à un environnement de travail sûr. La sécurité englobe les droits à la protection, à la santé et au bien-être, ainsi que la sécurité économique. Tous les intervenants de l'industrie du sexe, indépendamment de leur sexe ou du lieu où ils travaillent, font face à des problèmes de sécurité. Nous voulons qu'une chose soit claire : nous insistons sur la sécurité dans notre présentation car nous considérons que c'est là un prérequis essentiel à la santé.

»  +-(1750)  

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Au cours de nos travaux, nous avons appris de quelles façons le Code criminel influe sur la capacité des travailleurs du sexe d'assurer leur propre sécurité. Nous avons aussi constaté qu'il les place souvent dans une situation paradoxale, en ce sens que les mesures qu'ils prennent pour rehausser leur sécurité sont souvent en violation avec ses dispositions.

    L'article 210 du Code criminel, par exemple, criminalise le fait de travailler dans un endroit fixe ou permanent, de partager un lieu de travail ou de travailler pour quelqu'un d'autre dans un endroit fixe. Ainsi, les travailleurs de rue, les escortes et les masseuses qui emmènent leurs clients dans un endroit fixe, soit dans une chambre qu'ils ont louée ou à leur propre domicile, contreviennent à cet article. Et ce, en dépit du fait qu'en travaillant dans un lieu connu, les travailleurs du sexe ont un meilleur contrôle sur leur environnement et, par conséquent, sur leur propre sécurité. En outre, ils nous disent que les clients invités sur leur lieu de travail ont tendance à mieux se comporter.

    L'article 211 du Code criminel criminalise le fait de référer des clients à d'autres travailleurs sur appel et le fait d'établir des relations de travail avec des concierges d'hôtel, des chauffeurs de taxi, etc., pour diriger des clients. Le même article criminalise aussi le fait de transporter quelqu'un vers le lieu de travail connu de travailleurs du sexe. Nos recherches ont fait ressortir que partager des clients et demander à des gens en qui vous avez confiance de vous référer des clients, comme des chauffeurs de taxi et des concierges d'hôtel avec qui vous avez établi de bons rapports, sont autant de moyens d'accroître la sécurité.

    En outre, les stratégies qu'emploient les travailleurs du sexe sont également utilisées par d'autres travailleurs qui oeuvrent dans des milieux de travail analogues, c'est-à-dire qui finissent tard le soir ou dont les bureaux sont situés dans des quartiers de la ville peu sûrs. Pour eux, être transportés par quelqu'un de connu est un moyen de rehausser sa sécurité. Cependant, lorsque les personnes qui assurent le transport risquent d'être arrêtées et inculpées parce qu'elles vous emmènent vers une maison de rendez-vous aux fins de rapports sexuels, on prive ainsi ces travailleurs d'accroître leur sécurité.

    L'article 212 criminalise le fait de vivre avec un travailleur ou une travailleuse du sexe. Même s'il y a des avantages financiers, ainsi que de santé et de sécurité liés au fait de cohabiter avec des amis, des partenaires ou des membres de sa famille, cohabiter avec un travailleur ou une travailleuse du sexe contrevient à l'article 212 du Code criminel. En outre, cet article leur interdit aussi d'avoir un gérant ou un employeur. Mais nous avons appris que le fait d'avoir un gérant ou un employeur peut accroître la sécurité économique et physique des travailleurs du sexe. Ces personnes sont chargées de faire la publicité, d'attirer les clients et de fournir un lieu de travail à leurs employés, ce qui réduit les coûts des travailleurs du sexe. Ils peuvent aussi accroître leur sécurité physique en prenant des précautions et en assurant leur protection contre des agresseurs. Troisièmement, le fait de référer des clients à d'autres travailleurs contrevient à cet article mais encore une fois, comme nous l'avons mentionné tout à l'heure, le fait de partager des clients connus est aussi un moyen d'accroître sa sécurité.

    L'article 213 criminalise la communication client-travailleur du sexe dans un endroit public, ce qui englobe le fait de se servir d'un téléphone cellulaire ou d'un téléphone public pour prendre des arrangements. Dans le cadre de nos recherches, les travailleurs du sexe nous ont dit que même leurs clients étaient réticents à prendre le temps voulu pour préciser leurs attentes, par exemple s'entendre sur les services à fournir, les frais et l'utilisation de condoms avant de se retrouver dans un endroit privé. Cette prohibition empêche les travailleurs du sexe de filtrer les mauvais clients et les agresseurs potentiels, et de se prémunir contre d'autres risques, nuisant ainsi à leur sécurité.

    Les mesures que prennent les travailleurs pour améliorer leur sécurité vont aussi à l'encontre d'autres politiques. Au Québec et en Ontario, ainsi que dans la plupart des autres provinces, les lois sur les victimes de crime offrent des avantages financiers fournis par l'État aux victimes de certains crimes, comme ceux impliquant des agressions ou de la violence. Toutefois, la loi exclut de cette couverture les victimes ayant commis une faute lourde, c'est-à-dire un acte ayant ouvert la voie à leurs propres blessures ou un acte indiquant qu'elles étaient au courant des risques encourus, qu'elles auraient pu éviter, mais ne l'ont pas fait. Cette clause limitative s'applique aux travailleurs du sexe parce qu'on interprète les mesures qu'ils prennent pour maximiser leur sécurité comme une indication qu'ils sont conscients du danger inhérent à leur travail, ce qui constitue par conséquent une faute lourde.

»  +-(1755)  

    L'information que partagent les travailleurs est une forme d'autonomisation. Elle permet d'augmenter l'accès aux ressources et aide les travailleurs à identifier les situations de sécurité ou d'insécurité accrues, mais lorsque les pratiques policières et les politiques de zonage font qu'il est difficile de communiquer, cela mine la capacité des travailleurs d'échanger de telles informations. Lorsque les juges ou les policiers imposent des limites à leur libération ou dans le contexte de leurs conditions de caution ou de détermination de la peine, ils leur interdisent de travailler dans les quartiers où ils ont été arrêtés ou inculpés, et les forcent à migrer vers de nouveaux quartiers. Cette pratique les isole de leurs amis et collègues, de leurs clients réguliers qui maximisent leur sécurité et des services et installations familières qui leur permettent de partager l'information et d'accroître leur sécurité.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: L'analyse de nos données a fait ressortir les paradoxes évidents auxquels se heurtent les travailleurs du sexe. Dans chaque cas, les mesures qu'ils prennent pour maximiser leur sécurité les mettent en conflit avec le Code criminel.

    Premier paradoxe : la sécurité et l'isolement. Le fait de travailler de façon isolée, particulièrement dans des endroits sombres, augmente les risques d'être victimes de mauvais clients et d'agresseurs dont les actes sont rendus invisibles. L'isolement diminue l'accès à un réseau de soutien social et au partage de l'information mais il diminue aussi l'attention de la police et du public et réduit les possibilités d'arrestation.

    Deuxième paradoxe : le filtrage des clients. Prendre le temps de filtrer les clients accroît le risque d'attirer l'attention de la police et de se faire arrêter. Toutefois, cela accroît aussi la possibilité d'identifier les mauvais clients, les agresseurs et d'autres risques.

    Troisième paradoxe : le travail sur appel ou à partir d'un endroit fixe. Cette forme de travail est catégoriquement illégale car elle contrevient à l'article 210 du Code criminel du Canada. Il n'en reste pas moins que le travail sur appel est l'une des façons les plus sûres de s'adonner au travail du sexe.

+-

    Mme Kara Gillies (présidente, Maggie's: The Toronto Prostitutes' Community Service Centre): Merci, et bonsoir.

    Maggie's est une organisation de Toronto qui existe par et pour les travailleurs du sexe. Cela nous confère une position privilégiée, en ce sens que nous basons notre compréhension et nos politiques en matière de travail du sexe sur des expériences vécues.

    Les constatations du projet STAR renforcent nos observations depuis 18 ans : la criminalisation de la prostitution sous toutes ses formes cause des difficultés extraordinaires aux dizaines de milliers de femmes et aux milliers d'hommes qui travaillent dans l'industrie du sexe et compromet notre sécurité, notre dignité et notre mandat.

    Quotidiennement, ceux d'entre nous qui subvenons à nos besoins et à ceux de nos familles en nous livrant à l'exercice parfaitement légal de la prostitution sont forcés de naviguer dans un bourbier de lois conflictuelles et oppressives. Ces lois stipulent que, premièrement, nous ne pouvons négocier les termes et conditions de nos services de manière publique, et par conséquent, sécuritaire; deuxièmement, nous ne pouvons établir, administrer ou utiliser des endroits de travail réguliers et sécuritaires, y compris nos propres domiciles; et enfin, à cause des lois sur le racolage, tant nos relations personnelles que professionnelles sont assujetties à une surveillance approfondie et des sanctions sévères de la part de l'État. En outre, cette illégalisation de notre travail et de nos relations criminalise le travail du sexe et partant, les travailleurs du sexe que l'on prive ainsi de respect et qui deviennent des cibles faciles de harcèlement et d'abus.

    Toutes ces vexations s'appliquent à des travailleurs, en grande majorité des femmes, qui tentent simplement de gagner leur vie. Cela n'est pas acceptable et doit cesser.

    Nous croyons savoir que votre comité s'intéresse particulièrement aux façons dont les lois autorisent, voire favorisent, la violence contre les travailleurs du sexe, et nous allons certainement en parler aujourd'hui. Cela dit, il est impératif que les membres du comité reconnaissent aussi les vastes répercussions que ces lois ont sur notre travail et nos vies.

    En termes de droits et libertés fondamentaux, la criminalisation de la prostitution débouche sur l'incarcération et la privation de liberté et ce sont généralement les travailleurs les plus marginaux—plus précisément les travailleurs migrants ou de rue, qui sont le plus susceptibles d'être privés de leur liberté de cette façon.

    En outre, les tribunaux pénaux entravent fréquemment la liberté d'association fondamentale en imposant des conditions de mise en liberté sous caution ou de détermination de la peine qui interdisent aux travailleurs du sexe d'interagir avec des amis ou des collègues du milieu.

    L'incarcération a un autre effet. Elle tarit la source de revenu des travailleurs, ce qui compromet notre sécurité économique. L'imposition d'amendes a des répercussions analogues.

    Notre sécurité économique à long terme est aussi mise en péril par la loi sur les prétendus « produits de la criminalité » qui empêchent les travailleurs du sexe d'économiser ou d'investir dans leur avenir et partant, dans l'avenir de leur famille.

    À la question de la sécurité économique se greffe l'accès au logement. Encore là, l'incarcération et l'imposition de fortes amendes font que les travailleurs du sexe ont souvent du mal à payer leur loyer, ce qui entraîne leur expulsion. En outre, la législation provinciale autorise généralement les propriétaires à expulser les locataires qu'ils soupçonnent de se livrer à des activités illégales sur les lieux, y compris la prostitution. Au niveau fédéral, le paragraphe 210(4) du Code criminel encourage les expulsions en menaçant les propriétaires d'inculpations futures.

    Je voudrais maintenant parler des conséquences négatives de la criminalisation sur les relations familiales et professionnelles des travailleurs du sexe. Nous avons déjà mentionné les nombreuses façons dont les lois sur les maisons de débauche et le proxénétisme criminalisent les personnes que nous aimons et avec qui nous vivons et travaillons.

    J'ajouterai simplement une chose. Parce que l'on assimile la prostitution à une activité criminelle, les travailleuses du sexe risquent sérieusement de perdre la garde de leurs enfants. C'est là une crainte avec laquelle vivent quotidiennement de nombreuses travailleuses du sexe.

    La criminalisation de la prostitution suscite une autre préoccupation qui concerne la capacité des travailleurs de l'industrie du sexe de chercher un emploi complémentaire ou de rechange. À l'instar de travailleurs d'autres secteurs, les personnes qui travaillent dans l'industrie du sexe exercent leurs activités par intermittence et peuvent occuper d'autres emplois ou trouver d'autres sources de revenu potentielles. Mais un casier judiciaire, particulièrement pour des infractions à la moralité, peut les empêcher d'avoir accès à une multitude de débouchés d'emploi.

    Pour poursuivre dans le domaine du travail, l'une des répercussions les plus flagrantes de la criminalisation est le déni de nos droits dans le domaine du travail. La criminalisation relative aux endroits de travail fixes complique l'élaboration ou la mise en oeuvre de lignes directrices en matière de santé et sécurité au travail. En outre, la criminalisation des relations de gestion du travail empêche les travailleurs du sexe de bénéficier de la protection des commissions du travail ou des tribunaux civils. Ces travailleurs ne peuvent bénéficier des normes de travail les plus fondamentales, comme le droit au salaire minimum, la durée maximale du travail, des contrats exécutoires, des procédures de grief et ainsi de suite.

    Signalons que les lois sur la sollicitation ne se bornent pas à porter atteinte à nos droits dans le domaine du travail; elles ne sont ni nécessaires ni appropriées pour protéger les travailleurs du sexe de la violence potentielle. Il existe une multitude de lois pénales qui sanctionnent directement des abus comme la fraude, la détention ou l'agression. Avoir des lois spéciales qui s'appliquent spécifiquement aux travailleuses du sexe est non seulement infantilisant, mais cela a pour effet pervers de détourner l'attention du comportement violent lui-même pour s'attarder aux activités professionnelles et à l'entourage de la victime.

¼  +-(1800)  

    Enfin, la criminalisation empêche les travailleurs du sexe actifs et retraités de voyager à l'étranger. Elle les empêche aussi de parrainer leurs partenaires de nationalité étrangère ou les membres de leur famille en vue de l'obtention de la résidence permanente. Pour les personnes qui entrent au Canada afin de travailler dans l'industrie du sexe, la criminalisation à la fois des établissements de prostitution et des relations employeur-employé rend impossible l'obtention d'un permis de travail légitime. C'est ainsi que la plupart des travailleurs du sexe migrants se retrouvent sans statut et par conséquent beaucoup plus vulnérables à l'exploitation ainsi qu'aux risques d'arrestation, de détention et de déportation.

    Nous voulons maintenant revenir rapidement sur les questions de la sécurité physique et de la violence contre les travailleurs du sexe. Comme il en a déjà été fait mention, les lois pénales augmentent le risque de violence en interdisant tout un train de mesures susceptibles d'accroître la sécurité. Elles renforcent également la qualification du travail du sexe comme une aberration et par conséquent, les personnes qui exercent ce métier comme des victimes acceptables de moqueries et de mauvais traitements.

    Au cours de vos audiences, certains membres du comité ont exprimé un certain cynisme, dirais-je, au sujet de cet argument. Essentiellement, ils doutent que l'abrogation des lois pénales en question élimine vraiment toute la violence dont sont victimes les travailleurs du sexe. Évidemment, ce n'est pas ce que nous prétendons. Nous disons que cette violence, particulièrement la violence ciblée, s'en trouverait sensiblement réduite. Il y a bien sûr d'autres facteurs dans la vie des gens qui augmentent leur marginalisation et par conséquent, leur vulnérabilité face à la violence, par exemple, la pauvreté, le racisme, la toxicomanie et l'itinérance. Il s'agit là de problèmes systémiques importants qui distinguent le travail du sexe en soi, et il convient de les comprendre et de les régler en tant que tels.

    À ce stade-ci, une analyse comparative entre les sexes s'impose. La violence contre les femmes est systémique—en fait, épidémique—dans notre société, et les travailleuses du sexe n'y échappent pas. Cependant, il convient de noter que de façon prépondérante, la violence faite aux femmes survient à domicile et est le fait d'un partenaire personnel. Nous ne sautons pas nécessairement à la conclusion que la violence est inhérente au mariage ou aux fréquentations, pas plus que nous ne déduisons que pour combattre le problème, il faut criminaliser le mariage ou les fréquentations. Il est tout aussi logique pour nous de continuer à lutter contre la violence faite aux travailleurs du sexe dans le contexte de la criminalisation des travailleurs, des clients et des intermédiaires.

¼  +-(1805)  

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Nous suggérons que toute recommandation de changement dans les lois et les politiques aille dans le même sens que les recommandations figurant dans le programme international du Network of Sex Work Projects et de la Pivot Legal Society dans leur rapport intitulé Voices for Dignity: a Call to End the Harms Caused by Canada's Sex Trade Laws.

    En marge de celles-ci, nous présentons six recommandations pour aider le Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage dans ses délibérations et la formulation de leurs recommandations finales. Nous croyons que leurs recommandations contribueront à faire en sorte que toutes les nouvelles lois et politiques rehausseront, au lieu de compromettre, la santé, la sécurité et le bien-être des travailleurs du sexe.

    Plus précisément, nous recommandons que l'on garantisse la participation de représentants des travailleurs du sexe aux décisions juridiques et politiques; que tous les secteurs de l'industrie du sexe soient pris en compte lors d'un examen des lois et des politiques, et non seulement le travail de rue; et que le travail du sexe soit considéré comme n'importe quel autre travail plutôt que comme une activité criminelle.

+-

    Mme Kara Gillies: À ce stade-ci, il est clair que le système actuel de criminalisation ne fonctionne pas et qu'il faut commencer à envisager d'autres approches. Votre comité a déjà entendu des témoignages sur les divers inconvénients des modèles de légalisation. Les systèmes légalisés sont conçus de façon à imposer des contrôles excessivement contraignants aux travailleurs du sexe. Les exigences liées à l'obtention d'un statut légal sont habituellement tellement strictes, voire discriminatoires, que la majorité des travailleurs du sexe ne peuvent ou ne veulent pas s'y conformer.

    Il en résulte un système à deux vitesses qui exclut un grand nombre de travailleurs, particulièrement ceux qui sont le plus marginalisés; par exemple, les travailleurs de rue migrants ou toxicomanes. Dans l'intervalle, ceux qui exercent leurs activités à l'intérieur du système sont généralement assujettis à des règlements qui portent atteinte à leurs droits dans le domaine du travail, comme c'était anciennement le cas en Allemagne, ou qui violent carrément leur liberté civile, comme cela est toujours le cas au Nevada, qui leur impose couvre-feu et cartes d'identité.

    Au lieu de cela, nous réclamons un modèle de décriminalisation. Par là, nous entendons le retrait de toutes les sanctions pénales relatives à la prostitution et, en remplacement, des règlements qui ne soient pas plus limitatifs que ceux imposés aux autres entreprises. En gros, cela nécessiterait l'élargissement ou l'adaptation des codes municipaux ou du travail pour prendre en compte les divers secteurs de l'industrie du sexe, ainsi que la création d'associations professionnelles, de collèges, de syndicats, etc. Il va sans dire qu'à l'intérieur de ce cadre de base, de nombreuses options seraient envisageables.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Compte tenu de toutes ces complexités, notre quatrième recommandation au comité est de constituer un groupe de travail chargé d'élaborer un modèle de décriminalisation pour le Canada.

    Notre cinquième recommandation est de garantir la représentation adéquate des travailleurs du sexe au sein de ce groupe de travail.

    Notre dernière recommandation est de veiller à ce que dans la foulée d'une réforme de nos lois et politiques, on accorde aux travailleurs du sexe le respect, les droits et les garanties dont jouissent tous les Canadiens.

+-

    Mme Kara Gillies: Pour s'assurer que l'on confère effectivement ces droits et garanties aux travailleurs du sexe, nous tenons à présenter certains principes de base de la décriminalisation.

    Premièrement, aucun système de délivrance de permis ou d'enregistrement ne devrait s'appliquer aux travailleurs individuels. Cela est inutile et débouche sur un système à deux vitesses.

    Deuxièmement, aucun examen de santé obligatoire ou éventuel. De tels examens sont inefficaces et soulèvent de très sérieuses questions en matière de respect des libertés civiles. C'est une mauvaise politique de santé publique.

    Troisièmement, de petits groupes de travailleurs individuels peuvent travailler dans un cadre déréglementé à partir d'une entreprise ou d'une résidence. C'est ce qu'on appelle souvent une industrie artisanale. D'ailleurs, cela fait présentement partie du modèle néo-zélandais. Si des établissements de plus grande taille doivent être réglementés, le zonage, la délivrance de permis et les autres conditions doivent être les mêmes que celles qui s'appliquent à des entreprises dont la taille, les heures de fonctionnement, etc. sont comparables.

    Enfin, si l'on souhaite créer un quartier réservé pour les travailleurs de rue, il faudrait que leur utilisation ne soit pas obligatoire. En outre, ces quartiers devraient être fondés sur un accès amélioré aux services et aux commodités et non sur le confinement ou le contrôle. Dans les grandes agglomérations, il faudrait créer des zones multiples pour faciliter à la fois l'accès et l'utilisation.

¼  +-(1810)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Maria Nengeh Mensah, je vous prie.

[Français]

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah (professeure-chercheure, École de travail social, Université du Québec à Montréal): Merci.

    Je crois que je vais répéter certains constats. D'abord, honorables membres, collègues, mesdames et messieurs, je suis ravie, bien que nerveuse, d'être parmi vous, et honorée d'avoir été invitée à apporter ma contribution aux travaux du sous-comité.

    J'oeuvre depuis 1989 dans les domaines du sida, des déterminants de la santé, des femmes et des moyens de contrer la marginalisation et l'exclusion sociale. Notamment, j'ai travaillé étroitement avec le Réseau juridique canadien VIH/sida et avec l'organisme Stella, où je siège au conseil d'administration depuis six ans.

    Nous avons réalisé ensemble des projets qui ont eu d'importantes retombées et dont je sais que le comité a déjà entendu parler. Mes recherches se font en partenariat avec des groupes communautaires et visent, somme toute, à savoir comment l'environnement social et politique peut respecter les droits de la personne, y compris la santé et la sécurité. J'ai étudié l'environnement sociopolitique canadien sous différents angles, par rapport aux médias, aux opinions des intervenants sociaux, aux lois et aux politiques, au discours féministe. Toutes ces expériences et ces interventions de recherche forment l'élan de mes propos d'aujourd'hui. Nous pourrons revenir sur certains items mentionnés en introduction lors de la période de questions.

    Pour l'instant, j'aimerais attirer votre attention sur deux points: d'abord, les déterminants structurels de la santé des travailleuses du sexe; deuxièmement, les pistes d'action vers une réforme du droit criminel canadien.

    Mon enquête « Des politiques publiques saines: évaluer l’impact que les lois et politiques ont sur les droits de la personne, la prévention et les soins pour le VIH », dont vous avez reçu une copie, réalisée en 2002 avec le Réseau juridique canadien VIH/sida, a permis de montrer en quoi les lois et les politiques liées à la santé ou non agissent comme des déterminants structurels de la santé. Nous avons identifié des lois et des politiques qui sont susceptibles de nuire aux droits de la personne, à la prévention, à l'accès aux soins, aux traitements et au soutien des personnes vivant avec le VIH. Parmi ces lois figurent les articles du Code criminel qui font l'objet de l'examen de ce sous-comité.

    En guise de rappel, les déterminants de la santé sont des facteurs individuels et collectifs qui ont des effets complexes sur la santé. On pense notamment au revenu, aux réseaux de soutien social, à l'éducation, à l'emploi, aux conditions de travail, au sexe, etc.

    Les déterminants structurels, quant à eux, incluent les contextes économique, culturel, juridique et politique d’une société donnée. Les lois et les politiques structurent notre environnement. Kara et ses collègues viennent d'en discuter amplement. Elles déterminent les options, influencent les choix, constituent le contexte physique et social dans lequel évoluent les individus et les populations. C'est ainsi qu'elles ont un impact déterminant, voire structurel, sur la prévention et les soins liés au VIH/sida.

    Des données probantes montrent que la criminalisation influence directement et indirectement trois choses: premièrement, la vulnérabilité au VIH d'un individu qui travaille dans l'industrie du sexe; deuxièmement, le rythme auquel son infection au VIH peut progresser vers le sida; troisièmement, la capacité de composer et de vivre avec le VIH/sida.

    Cet impact peut être positif ou négatif. Voici deux exemples.

    Aux États-Unis, l'équipe de Blankenship, par exemple, a montré trois façons dont les lois criminelles et la surveillance policière accroissent la vulnérabilité et l'incidence du VIH chez les travailleuses du sexe et les personnes qui s'injectent des drogues à Denver et à New Haven.

    D'abord, elles influencent directement le degré de risque en affectant à la fois la disponibilité des moyens de protection, par exemple le condom et les seringues neuves, et les conditions dans lesquelles leur usage se négocie.

    Deuxièmement, elles influencent indirectement le risque en augmentant la vulnérabilité à l'incarcération. On a parlé tout à l'heure de la détention comme étant une crainte et une réalité auxquelles font face les travailleuses du sexe et qui influenceront les habitudes de santé.

    Troisièmement, les lois et les politiques américaines ont un impact indirect en validant la stigmatisation, le racisme, le sexisme et l'oppression — toujours selon les auteurs —, ce qui perpétue les iniquités sociales, qui sont parmi les déterminants les plus fondamentaux de la santé en général et de la vulnérabilité au VIH en particulier.

¼  +-(1815)  

    Au Canada, les recherches de plusieurs experts dont vous avez entendu les témoignages ici même — je nomme Benoit, Brock, Lowman, Parent, PIVOT Legal Society et Shaver — nous aident à comprendre la façon dont les lois, la réglementation non criminelle et les politiques publiques affectent la santé, la sécurité et le bien-être des travailleuses du sexe.

    Les travaux de Jacqueline Lewis et d'Eleanor Maticka-Tyndale ainsi que le STAR Project dont on vient de vous parler illustrent exactement cette chose.

    En somme, la littérature scientifique sur l'impact de la criminalisation et des politiques régissant la prostitution montre que les travailleuses du sexe sont vulnérables au VIH puisqu'elles n'ont ni les moyens, ni l'information, ni l'autorité pour se protéger et protéger leurs clients. Ce sont des effets négatifs directs.

    Des informateurs clés rencontrés dans le cadre de l'enquête « Des politiques publiques saines: évaluer l’impact que les lois et politiques ont sur les droits de la personne, la prévention et les soins pour le VIH » ont dit également que la criminalisation entraîne indirectement l'exposition à différentes formes d'abus, de discrimination et de stigmatisation. Ce sont des effets négatifs indirects.

    Nous savons également qu'il est préférable de réagir à la vulnérabilité au VIH par des efforts de prévention axés sur l'éducation des pairs plutôt que sur la réglementation de la prostitution, ce que font Maggie's et Stella, par exemple.

    À la lumière de ces données, il est souhaitable d'améliorer notre réponse au VIH/sida en créant un environnement juridique et politique favorable plutôt que nuisible à la santé. Nous devons faciliter l'accès à des soins et à des services sociaux adéquats et appropriés pour que toute personne — homme, femme, travesti, transsexuel — qui exerce le travail du sexe puisse y avoir accès.

    Nous devons également nous assurer que les normes internationales en matière de droits humains et de libertés fondamentales soient appliquées au travail du sexe et aux personnes qui font le travail du sexe. Pour ce faire, le gouvernement canadien doit s'attaquer de manière proactive à la stigmatisation qui entache les personnes qui font le travail du sexe. Je fais allusion ici au mythe selon lequel la prostituée est une vamp dangereuse, vecteur de maladies, de corruption et d'immoralité. Comment? Pour répondre à cette question, je vous soumets trois suggestions en vue d'une réforme du droit criminel canadien.

    Premièrement je recommande que nous abrogions l'ensemble des lois liées à la prostitution. Nous devrions insister vigoureusement sur la décriminalisation d'activités liées à la prostitution chez les adultes, y compris les dispositions relatives à la sollicitation, à la communication, aux maisons de débauche et au proxénétisme. Comme on l'a dit tout à l'heure, nous avons des lois au Canada auxquelles nous pouvons recourir pour contrer bon nombre, sinon la totalité, des effets négatifs que j'ai déjà mentionnés. Notre droit criminel compte, par exemple, des lois portant sur les agressions: les agressions sexuelles, le harcèlement criminel, la séquestration, l'enlèvement et le reste.

    À ceux qui proposeront la décriminalisation partielle, je répondrai que criminaliser les clients ou l'achat, c'est toujours criminaliser l'échange.

    Deuxièmement, je considère que nous devons absolument consulter les travailleuses du sexe sur les meilleures façons de réglementer leurs activités. Le document Réponse au comité du Bloc Québécois sur la prostitution de rue, dont vous devriez recevoir un exemplaire sous peu, illustre un type de concertation entre décideurs et travailleuses du sexe autour du projet de loi C-339. Il constitue un exercice de prise de parole et de prise en compte des critères et des préoccupations des travailleuses du sexe.

    À la proposition d'un système de réglementation non criminelle, par exemple, l'organisme Stella non seulement indique l'importance de sa participation à l'élaboration de ce nouveau cadre, mais donne aussi une définition des conditions optimales pour l'exercice du travail du sexe. Ces critères sont les suivants. D'abord, pour être optimales, les conditions de travail doivent inclure la sécurité du lieu de travail, ainsi que les questions relatives à la santé occupationnelle et aux violences envers les travailleuses du sexe. Le deuxième critère est la visibilité des travailleuses du sexe, c'est-à-dire qu'on ne doit pas les cacher sur une île, au fond d'un lieu éloigné. Cela inclut leur droit de s'afficher, de se dire comme telles sans honte et sans mépris. Le troisième critère pour des conditions optimales de travail est l'accessibilité aux services, aux commerces environnants, ainsi que des ressources sociales et sanitaires: des toilettes salubres, des services de transport, d'alimentation, d'hébergement et de communication.

    Par ailleurs, la tenue et les retombées du Forum XXX qui aura lieu à Montréal, à l'UQAM, du 18 au 22 mai 2005 sont à anticiper. Il s'agit d'une occasion unique et historique de connaître la réflexion de travailleuses de sexe issues de différents contextes législatifs, notamment sur les réformes qu'elles privilégient et leurs impacts sur la santé et la sécurité.

¼  +-(1820)  

    Je réitère ce soir l'invitation aux membres du sous-comité à venir rencontrer des conférencières à Montréal pour en savoir plus long.

    Troisièmement et finalement, je propose que nous mettions sur pied, auprès de la population en général et des intervenants concernés, un programme national d'éducation et de sensibilisation sur les réalités du travail du sexe, afin d'éliminer les préjugés et de combattre la discrimination envers les prostituées et autres personnes qui exercent le travail du sexe.

    Il est reconnu depuis fort longtemps qu'une réforme législative n'est pas suffisante en soi pour changer les choses. Dans le cadre d'un processus — je dis bien d'un processus de réforme —, il nous faut également définir un certain nombre d'initiatives visant à éliminer la stigmatisation et la marginalisation des travailleuses du sexe, que ce soit par les interventions de la police, des tribunaux ou de toute autre instance. Notamment, il est urgent de sensibiliser et d'encourager la prise de conscience collective des Canadiens et des Canadiennes sur les déterminants de la santé des travailleuses du sexe.

    À titre d'exemple ou d'inspiration, le ministère de l'Éducation du Québec m'a octroyé une subvention pour développer et offrir une telle formation en collaboration avec l'organisme Stella et le Service aux collectivités de l'UQAM.

    Ce projet vise à connaître le point de vue des travailleuses du sexe et des autres acteurs sociaux sur les déterminants de la santé. Nous comptons former des intervenants provenant des milieux communautaires, des réseaux de services sociaux, des milieux de la santé, de la politique — c'est-à-dire des conseillers, des députés aux paliers municipaux, provinciaux et fédéraux —, du droit et des médias.

    Ces personnes pourront être formées sur les déterminants de la santé et outillées pour devenir des agents de changement dans leur milieu. C'est donc ce qu'on souhaite pour tous les Canadiens et Canadiennes.

    Il m'apparaît nécessaire qu'un tel projet d'éducation et de sensibilisation soit mis en place à l'échelle nationale canadienne également.

    Voici ce qui conclut ma présentation. Merci.

+-

    Le président: Merci, madame Mensah.

    Nous commençons le premier tour de questions.

[Traduction]

    Monsieur Hanger, comme je sais que vous devez partir, vous pouvez prendre la parole en premier.

+-

    M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Je suis parti et je suis revenu. Maintenant, je serai là pour toute la durée de la séance, hormis le temps du vote, qui devrait avoir lieu sous peu. Merci, monsieur le président.

    Vous venez toutes du milieu universitaire. Vous êtes professeures à l'Université de Windsor, certaines d'entre vous, et à l'Université...

+-

    Le président: De Montréal.

+-

    M. Art Hanger: Essentiellement, vous avez la même perspective. Vous attendez de notre comité qu'il pose la même prémisse que vos exposés, c'est-à-dire—et vous me corrigerez si je me trompe car je vais paraphraser vos propos—que la prostitution devrait être considérée comme n'importe quel autre travail. Aucune loi, ni réglementation ne devrait s'y appliquer. Je crois que c'est fidèle à vos propos. Vous avez dit que vous ne vouliez pas que la prostitution soit assujettie à des règlements. À ce moment-là, la stigmatisation qui se rattache à la prostitution disparaîtrait dans l'esprit des gens et ces entreprises feraient partie, comme n'importe quelle autre, de la communauté d'affaires.

    Est-ce là une paraphrase qui reflète bien votre position?

[Français]

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: Je ne crois pas que nous ayons dit que le travail du sexe était un travail comme un autre. C'est un travail criminalisé.

¼  +-(1825)  

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: C'est là où vous voulez en arriver.

[Français]

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: D'autre part, dit-on qu'il ne serait pas réglementé par une loi ou une autre?

    Si on s'entend pour reconnaître le travail du sexe comme un travail, il doit donc être assujetti aux lois qui réglementent le travail au Canada. Quant à la stigmatisation, je pense avoir souligné le fait que la réforme législative serait une action proactive qui n'éradiquerait pas la stigmatisation, mais qui devrait être accompagnée d'une campagne d'éducation pour éliminer cette stigmatisation.

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: Vous avancez, entre autres, que la criminalisation cause la stigmatisation, ou que c'est en tout cas l'une des raisons. À mon avis, cela joue un très petit rôle. En fait, dans la collectivité—et je vous demanderais peut-être votre opinion en tant qu'expertes—, les gens n'acceptent pas généralement qu'une femme vende son corps pour de l'argent. Vous avez mentionné au comité qu'il faudrait faire une campagne de sensibilisation pour changer cette façon de voir des citoyens.

[Français]

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: Je signale la distinction qu'on tend à faire entre la communauté et les travailleuses du sexe.

    La distinction entre la communauté et les travailleuses du sexe est une fausse distinction. Les personnes qui font le travail du sexe font partie de communautés, sont des citoyennes, des citoyens également. Il est certain que les attitudes dérangeantes et discriminatoires existeront toujours, mais je crois que le rôle de l'État est de s'assurer qu'il y en ait le moins possible et, en conséquence, de viser à améliorer les rapports avec les personnes les plus marginalisées.

    Accepte-t-on le fait qu'une femme ou qu'un homme puisse vendre des services sexuels? Le rôle de ce comité est peut-être d'éviter les glissements vers un jugement moral et d'aborder les questions, les sujets dont on parle aujourd'hui du point de vue de la citoyenneté et des droits de la personne.

[Traduction]

+-

    Mme Kara Gillies: Chose certaine, la criminalisation n'est pas la cause de l'opprobre social. Cependant, il le reflète et le renforce. Lorsque l'État criminalise un aussi grand nombre d'aspects de nos vie, le travail et les relations personnelles, cela envoie un message très clair, soit que notre comportement est aberrant et indigne de respect. Cette optique se traduit directement par le harcèlement et les mauvais traitements.

    Pour en revenir à votre question de tout à l'heure au sujet de la réglementation, aucun membre de notre panel n'affirme qu'il faudrait que ce soit le règne de la liberté totale. Nous préconisons d'éliminer les sanctions du Code criminel et de les remplacer par des arrêtés municipaux, des codes et des règlements, autrement dit, un nouveau système au sujet duquel les travailleurs du sexe auraient eu leur mot à dire. On éviterait ainsi de créer une nouvelle série de problèmes dans un système prétendument légalisé qui, à bien des égards, pourrait être tout aussi oppressif qu'un système criminalisé.

+-

    Le président: Madame Maticka-Tyndale.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: C'est un nom difficile.

    Je vous rappelle que toutes les intervenantes présentes aujourd'hui ont commencé par exprimer leur consternation, voire leur désarroi, face à la violence perpétrée contre les travailleurs du sexe au Canada. Je crois comprendre que votre comité était lui aussi mu par la même consternation, le même désarroi face à la violence extrême dont ils sont victimes. Que l'on songe simplement aux meurtres récemment commis à Vancouver.

    Notre rôle, notre travail à l'issue de nos travaux de recherche a impliqué que nous réfléchissions au rôle que joue la législation actuelle, à savoir si elle cause, accompagne et favorise la perpétration et la continuation de telles formes de violence. C'était là notre but. Nous voulions vous montrer, en nous fondant sur les recherches que nous avons effectuées et sur les expériences de vie et le travail de défense de Mme Gillies auprès des travailleurs du sexe, de quelle façon la loi exacerbe la situation au lieu de l'améliorer.

+-

    Le président: Dernière question, monsieur Hanger.

+-

    M. Art Hanger: Merci.

    Je m'inquiète beaucoup moi aussi du nombre excessif de femmes qui ont été assassinées. J'estime que bien des solutions que vous proposez ne sont pas à la hauteur si l'on veut atténuer ou régler le problème. La légalisation ne réglera pas le problème. De nombreux témoins qui ont pris la parole devant le comité nous ont dit que si on légalisait la prostitution ou qu'on la décriminalisait, peu importe le terme que vous voulez employer, et qu'on lui permet ensuite de suivre son cours, ou même si on la réglemente par la suite, cela créerait de multiples activités illégales... En fait, la prostitution dite illégale connaîtrait une recrudescence. C'est ce qui se passe aux Pays-Bas. Des témoins nous l'ont rapporté.

    Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi vous laissez entendre qu'en supprimant toutes ces lois, subitement, ce sera l'utopie pour ce qui est de la prostitution et tous les travailleurs du sexe vivront en sécurité.

    Un agent de la GRC, ancien inspecteur de l'escouade de la moralité, nous a déclaré dans son témoignage que la prostitution hors rue n'était pas vraiment beaucoup plus sécuritaire que la prostitution de rue. Il n'a pas encore résolu le cas de trois prostituées disparues qui faisaient partie de services d'escorte dans la ville de Calgary seulement. Il n'est plus à Calgary à enquêter sur ces disparitions, mais ce sont des affaires non résolues.

    J'en conclus que la prostitution hors rue n'est pas une solution aux problèmes et je ne comprends pas votre logique lorsque vous et vos collègues affirmez que les choses iraient mieux. Je ne vois pas en quoi, et on n'a pas encore présenté la preuve du contraire.

¼  +-(1830)  

+-

    Mme Kara Gillies: Avec tout le respect que je vous dois, vous semblez avoir confondu les deux modèles très différents et distincts de la légalisation et de la décriminalisation. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Sous leur forme actuelle, que ce soit dans l'État du Nevada, l'État de Victoria, en Australie, ou dans les Pays-Bas, les modèles de la légalisation n'ont pas diminué la violence, ni amélioré sensiblement les droits de la personne car, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, cette approche a donné lieu à un système à deux vitesses. Le plus près qu'on s'est approché d'un modèle de décriminalisation, c'est en Nouvelle-Zélande. Je vous le concède, c'est une expérience plutôt nouvelle mais cette initiative a donné lieu à de nombreuses excellentes études.

    Pouvons-nous garantir qu'il n'y aura pas de violence? Bien sûr que non. Tout ce que nous disons, c'est que nous nous attendons à tout le moins à une diminution de la violence. Et qui plus est, la criminalisation est clairement un échec. Les modèles légalisés ne fonctionnent pas non plus, c'est évident. Il nous faut prendre position, être forts et audacieux et essayer quelque chose de nouveau.

    A propos de vos commentaires concernant la prostitution hors rue par rapport à la prostitution de rue, vous supposez, avec raison, que la violence ne se limite pas aux travailleurs de rue. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles, dans nos exposés d'aujourd'hui, nous avons examiné les diverses sanctions du Code criminel qui interdisent le travail du sexe et ses activités connexes dans l'optique voulant que, collectivement, elles minent notre sécurité et compromettent notre mandat.

+-

    Le président: Avez-vous terminé?

    Nous avons encore quelques minutes, si vous voulez prendre la parole, madame Brunelle. À moins que Mme  Maticka-Tyndale ait un commentaire?

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Puis-je ajouter quelque chose? S'agissant de la situation actuelle au Canada, la recherche n'a pas abouti à des conclusions fermes dans un sens ou dans un autre. Par conséquent, les témoignages que vous avez entendus de la part d'agents de police, d'officiers de la GRC et d'autres s'inscrivent uniquement dans le contexte du système actuel. S'ils vous parlent de violence, de meurtre, ils parlent de ce qui se passe dans le système actuel. Et cela rejoint précisément ce que nous disons : le système actuel ne fonctionne pas. Il y a énormément de violence.

    Nous ne recommandons pas de passer immédiatement à un modèle particulier ou à un ensemble de mesures législatives. Nous préconisons de constituer un groupe de travail en vue d'élaborer un modèle canadien, mais que ce modèle soit fondé sur la décriminalisation, et ce, parce que la seule preuve qui ressort de la recherche effectuée jusqu'ici, c'est que le modèle actuel est porteur de violence et de mort. D'après les seuls autres résultats qui commencent à sortir, en provenance de la Nouvelle-Zélande, le modèle de la décriminalisation pourrait—et je dis bien, pourrait—diminuer la violence et la mort. Mais j'estime—et j'enseigne la méthodologie de recherche depuis 30 ans dans les universités canadiennes—,que nous n'avons pas le genre de preuve que vous affirmez que nous avons ou que quiconque d'autre affirme avoir et qui nous permettrait de conclure que la décriminalisation augmentera la violence. Cette preuve n'existe pas. Toute personne qui affirme qu'elle existe n'a jamais appris comment faire de la recherche.

¼  +-(1835)  

+-

    Le président: Madame Brunelle, c'est à vous de décider. Nous pouvons suspendre la séance maintenant ou vous pouvez poser une question, mais vous n'obtiendrez peut-être pas toutes les réponses.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Je vais commencer.

    Bonjour, mesdames. C'est un plaisir de vous rencontrer aujourd'hui. Merci d'être venues nous voir. Vos présentations sont très claires et très concrètes.

    Mes questions portent sur vos recommandations. Vous nous dites qu'il faut « s'assurer de la participation des travailleurs de l'industrie du sexe dans les discussions juridiques et politiques. » J'aimerais obtenir quelques éclaircissements à ce sujet.

    De plus, lorsque vous parlez de « constituer un groupe de travail pour développer un modèle canadien pour la décriminalisation », êtes-vous allées plus loin que cela? Avez-vous un modèle en tête? Avez-vous des solutions originales à proposer pour ce modèle canadien?

[Traduction]

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Nous pensons qu'il faut inventer une solution originale. Il faut que ce soit un modèle canadien, et non un autre modèle qui a déjà été implanté ailleurs. Notre pays est unique. Nous avons des problèmes uniques liés à notre géographie et aux formes particulières du travail du sexe qui a cours ici. Voilà pourquoi nous insistons pour que l'on adopte un modèle canadien. Nous pensons que votre comité pourrait se pencher sur la forme que prendra la décriminalisation. À notre avis, les travailleurs du sexe doivent être des membres à part entière du comité en question car à défaut de cela, il vous manquera leur apport. Ce sont eux qui pourront dire quels sont les véritables problèmes associés aux divers modèles que l'on pourrait suggérer. Je pense qu'ils peuvent soulever des problèmes dont vous n'entendrez pas parler si on ne leur donne pas voix au chapitre.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Au cours du laps de temps très court qui nous reste avant que vous partiez, je tiens à réitérer, à l'instar de ma collègue, qu'il n'existe pas de modèle dont nous pourrions affirmer, dans l'absolu, qu'il fonctionnera parfaitement au Canada. Nous n'en savons rien. Nous avons été encouragés par le fait qu'en Nouvelle-Zélande, des travailleurs du sexe ont été partie prenante à l'élaboration d'un nouvel ensemble de lois et politiques. À ce jour, il appert qu'elles fonctionnent bien. Il semble qu'elles permettent de résoudre un grand nombre des problèmes qui ont été signalés ici et ailleurs. Nous ne disons pas que c'est la solution idéale. C'est une solution relativement nouvelle qui peut fort bien fonctionner en Nouvelle-Zélande, mais pas au Canada, et c'est pourquoi il faudrait qu'un groupe de travail se penche là-dessus. Ce serait un point de départ.

[Français]

+-

    Le président: Madame Mensah.

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: Je crois que le but de la participation des travailleuses du sexe est de s'assurer que leurs intérêts et leurs préoccupations soient partie intégrante de tout le processus. À partir du moment où l'on réfléchit à un modèle canadien, par exemple, on devrait, à ce comité, réserver des places à des personnes qui font le travail du sexe. De la même façon, si on poursuit la réflexion et qu'on décide d'évaluer certaines pratiques, les travailleuses du sexe devraient encore être consultées.

    Je crois que la consultation peut se faire de différentes façons. Il faudra aussi tenir compte de l'inexpérience de ces personnes en développement, modèles régulateurs et concepts similaires. En intégrant les travailleuses du sexe, en ajoutant leur participation, il faut donc s'assurer également d'un processus qui soit convivial pour elles aussi. Ce sont des personnes qui ont été marginalisées. Il faudra sans doute les convaincre de la nécessité de leur participation.

+-

    Mme Paule Brunelle: Madame Gillies, vous nous parliez d'appliquer le Code canadien du travail. Par contre, quand on essaie d'appliquer des normes, certaines travailleuses du sexe deviennent réticentes. S'inscrire et payer des impôts et des droits inhérents devient alors une obligation, et il y a des réticences. En même temps, je vois que dans les principes de base de la décriminalisation que vous énoncez, il est inscrit: « Pas de permis ou d'inscription des travailleurs individuels. »

    Comment concilier le fait de ne pas avoir de permis ou d'inscription et l'application de ce qui s'apparenterait à un code du travail?

¼  +-(1840)  

[Traduction]

+-

    Mme Kara Gillies: Premièrement, pour répondre à votre question initiale, dans n'importe quel secteur professionnel, on trouve des groupes de travailleurs qui refusent intégralement ou partiellement la réglementation; il en va de même parmi les travailleurs du sexe. Cela dit, on ne saurait présumer que les travailleurs du sexe, en tant que communauté, s'opposent à l'idée, entre autres, de payer des impôts. En fait, dans le cadre du projet STAR, nous avons constaté qu'un grand nombre d'hommes et de femmes de l'industrie du sexe aimeraient bien pouvoir payer des impôts et accroître leur sécurité économique car cela leur ouvrirait d'autres options financières. Les difficultés économiques et financières sont le lot des travailleurs du sexe car dans bien des cas, nos revenus sont considérés comme des produits de la criminalité.

    Pour ce qui est de délivrer des permis aux travailleurs individuels, nous proposons de délivrer des permis à des propriétaires/entrepreneurs et à des établissements importants. La délivrance de permis à des travailleurs individuels s'est avérée carrément inefficace dans d'autres régions, pour la bonne raison que l'exercice de ce métier peut être très transitoire. Les gens vont et viennent. La prostitution peut être un travail à temps partiel, occasionnel, pour parer aux éventualités. En outre, comme Art l'a signalé, la stigmatisation ne disparaîtra pas du soir au lendemain. Chose certaine, à court terme, un grand nombre de travailleurs hésiteraient à sortir de l'ombre pour s'enregistrer ou faire une demande de permis alors que a) ils ignorent si les lois vont changer le lendemain et b) ils savent pertinemment que cela pourrait avoir une incidence négative, par exemple, sur d'autres domaines d'emploi, le logement, la garde des enfants, et ainsi de suite.

    Je pose aussi la question suivante : quel serait l'intérêt de réglementer ou d'assujettir à un permis les travailleurs individuels, sinon encore une fois leur imposer des conditions de travail extrêmement contraignantes? Une solution de rechange pourrait être l'adhésion à une association professionnelle de travailleurs autonomes ou à un syndicat pour ceux qui travaillent pour de tierces parties.

+-

    Le président: Je vais maintenant interrompre la séance jusqu'après le vote. Nous reviendrons le plus vite possible. Cela pourrait prendre de 20 à 30 minutes, mais nous reviendrons bientôt. Ce n'est qu'au bout du couloir.

    Merci beaucoup.

¼  +-(1842)  


½  +-(1914)  

+-

    Le président: Nous allons maintenant reprendre la séance. Mme Brunelle a une petite question.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Nous discutions de vos recommandations, et je me demandais comment il serait possible, sans permis de travail, d'appliquer des normes similaires à celles du Code canadien du travail?

    Vous me disiez à ce propos, madame Gillies, qu'on devrait prévoir des permis pour les exploitants d'établissement. Il me semble toutefois qu'il faudrait une forme d'inscription pour les travailleuses du sexe. Autrement, je ne vois pas comment on peut leur verser de l'assurance-emploi ou des prestations de la Régie des rentes. Les gens doivent au moins s'inscrire pour que le principe fonctionne. J'ignore si vous avez un commentaire à ajouter. J'ai peut-être mal compris.

½  +-(1915)  

[Traduction]

+-

    Mme Kara Gillies: Si l'on considère la multitude des secteurs du travail, on constate que ce ne sont pas tous les groupes de travailleurs qui sont autorisés ou enregistrés. Par exemple, les travailleurs à pourboires ne sont ni enregistrés ni licenciés.

    Certaines personnes adhèrent à des associations professionnelles ou à des syndicats. Par exemple, en Ontario, il existe un collège des massothérapeutes enregistrés. Mais appartenir à une association professionnelle, ce n'est pas du tout la même chose que d'être enregistré auprès de l'État. À mon avis, c'est parce que les travailleurs du sexe, dans le contexte canadien en tout cas, ont eu des rapports négatifs avec l'État, qui se traduisent par des lois oppressives et des arrêtés municipaux contraignants, qu'ils s'inquiètent, dans une certaine mesure à juste titre, que l'octroi de licences à des travailleurs individuels devienne un autre instrument de contrôle oppressif de l'État. Si l'on envisageait plutôt de licencier les propriétaires/entrepreneurs, cela permettrait l'application des codes du travail et des normes professionnelles en matière de santé et de sécurité.

    En Nouvelle-Zélande, c'est l'option qu'on a adoptée, de sorte que les travailleurs individuels ne sont ni enregistrés ni autorisés. Qui plus est, un maximum de quatre travailleurs individuels, pour autant qu'ils travaillent de façon autonome, peuvent exercer leur profession dans un endroit donné. Mais dès qu'il y a plus de quatre travailleurs ou que ces quatre travailleurs sont employés par une tierce partie, c'est le propriétaire/entrepreneur qui est assujetti à l'obligation d'avoir un permis et d'être autorisé.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Madame Mensah, j'aimerais parler de santé avec vous.

    J'ai lu votre rapport, qui est fort intéressant. J'y lisais, entre autres, qu'il y a beaucoup de VIH et de maladies transmises sexuellement, et que c'est d'abord un problème de clientèle qui s'adonne à la drogue dure. Ce serait là — et non la prostitution — la principale cause de propagation du VIH. Ai-je bien compris le contenu de ce rapport?

    Ce que vous affirmez est-il largement documenté?

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: Oui. Il existe une vaste littérature sur la fréquence du VIH et d'autres infections transmissibles par le sang, par exemple les hépatites, chez les personnes qui s'injectent des drogues.

    Dans le rapport, j'ai voulu faire la distinction entre les risques d'infection liés à l'usage de drogues injectables et les pratiques du travail du sexe. En effet, l'opinion publique confond les deux. En 2000, j'ai fait une étude auprès des intervenants du quartier Centre-Sud à Montréal, où la présence de la prostitution de rue et de toxicomanes dans les rues et dans les espaces publics est élevée. Tous les intervenants associaient la prostitution à la toxicomanie et étaient incapables de différencier les deux.

    Or, quand on examine les données sur l'épidémiologie du VIH, on se rend compte que la fréquence du VIH chez les travailleuses du sexe est davantage liée à des pratiques non sécuritaires avec des partenaires non commerciaux. Cela signifie concrètement qu'une travailleuse du sexe court plus de risques de contracter le VIH avec son conjoint qu'avec un client ou une cliente.

    J'incluais dans ce rapport cette confusion entre toxicomanie et travail du sexe, parce qu'elle contribue aussi aux stigmates. Il faut donc tenter de distinguer les deux.

½  +-(1920)  

+-

    Mme Paule Brunelle: C'est peut-être en partie à cause de la conception que se font généralement les gens de ce métier. Selon cette conception, pour exercer ce métier, les prostituées ont besoin de drogue.

    J'ai une dernière question.

    J'ai trouvé intéressant que vous parliez de la nécessité d'éviter des glissements de sens. Vous avez dit qu'il s'agissait de droits de la personne, et non d'une question morale. Je suis d'accord avec vous, mais ne devrait-on pas ajouter à vos recommandations une campagne visant à sensibiliser l'opinion publique et à faire comprendre certaines choses aux gens afin d'éviter les préjugés? Ce sont souvent ces derniers qui mènent à la stigmatisation. Au cours de notre tournée canadienne, on a pu constater que les perceptions variaient beaucoup.

    Pourrait-on recommander la tenue d'une campagne semblable à celle sur l'alcool au volant? En fin de compte, ce genre de campagne est valable. Dans le cas, bien entendu, où la prostitution serait décriminalisée, il s'agirait d'amener les gens à mieux comprendre la réalité des travailleuses du sexe.

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: Je vois aussi les choses de cette façon. Avant même de penser en termes de décriminalisation, il faut considérer nos attitudes envers les travailleurs et travailleuses du sexe, soit envers les femmes, les êtres sexués et la sexualité en général. C'est là une question très large, mais c'est l'enjeu dont vous devez débattre à ce comité. Ce n'est peut-être pas précisément du ressort de ce dernier, mais je pense qu'il s'agit d'une recommandation fort importante.

+-

    Mme Paule Brunelle: Merci.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Ménard, vous avez sept minutes.

+-

    M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ): Merci.

    Le premier dossier auquel j'ai eu à m'intéresser quand j'ai été élu en 1993 était celui de la prostitution. J'ai été élu au mois d'octobre; or, au mois de septembre, une marche à l'intention des clients avait été organisée dans mon quartier par un travailleur du CLSC. Durant toute ma vie publique, j'ai lu sur ce sujet. Je ne prétends pas être plus connaissant qu'un autre, mais je suis certainement sérieusement intéressé à comprendre ce phénomène. La première chose que je me garderais de faire, c'est bien sûr d'adopter une attitude morale à ce sujet: ce n'est pas le genre d'arbitrage qu'on nous a confiés. Pour moi, les enjeux doivent être la sécurité des travailleuses du sexe et la paix dans les communautés.

    Cependant, quelque chose me dérange un peu dans le discours qui est tenu, et j'avoue qu'à ce sujet, vos propos ne m'ont pas beaucoup éclairé. Je suis assez d'accord pour décriminaliser la prostitution, dans la mesure où cela signifie qu'on retire ce sujet du Code criminel et qu'on change le régime d'infraction. En outre, je serais plutôt d'accord pour dire que deux personnes ayant décidé d'avoir des activités sexuelles, dans un cadre d'un respect mutuel, ne devraient pas faire l'objet d'un encadrement législatif.

    Par contre, je trouve qu'un organisme comme Stella n'a pas poussé très loin sa réflexion sur la façon d'éliminer les irritants dans la communauté. On ne peut pas à la fois revendiquer que la prostitution soit un travail et qu'il n'y ait pas de règles d'encadrement. Cela n'est pas possible. Ce n'est pas un travail comme les autres, mais être député n'est pas non plus un travail comme les autres. Il en va de même pour le boulanger, l'imprimeur et ainsi de suite. Aucun travail ne se compare aux autres. De plus, quand c'est le nôtre, nous pensons sans doute que c'est le plus beau travail.

    J'ai trois questions à vous poser.

    À ce comité, bien des gens nous ont recommandé de nous inspirer du modèle suédois. Pour votre part, Kara, vous parlez davantage du modèle néo-zélandais. J'aimerais que vous me disiez en quoi il vous inspire.

    Si demain matin on décriminalisait la prostitution, que ferait-on pour éliminer les irritants dans la communauté? Il est certain que la présence de quatre ou cinq travailleurs ou travailleuses du sexe dans une communauté a des répercussions, entre autres cela entraîne un achalandage de clients. Comment s'assure-t-on que la paix est maintenue? D'après ce que j'ai lu, aucune de vos recommandations n'aborde cette question.

    Enfin, dans le cadre de ses recherches, nous avons reçu ici Mme Rose Dufour. Après avoir réalisé des entrevues auprès de 20 personnes, elle nous a confié — et ce n'est pas peu dire — qu'elle en était à revoir sa réflexion sur la prostitution. Certaines personnes, incluant des universitaires, refusent l'idée qu'on puisse être travailleuse du sexe et s'épanouir professionnellement.

    Que répondez-vous à cela?

½  +-(1925)  

[Traduction]

+-

    Le président: Quelqu'un veut-il répondre?

    Madame Maticka-Tyndale.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Vous avez soulevé plusieurs questions, et il nous faudra un certain temps pour répondre à toutes. Pour ce qui est des inconvénients pour les citoyens, j'aimerais en parler.

    Lorsqu'on parle de décriminalisation, cela ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas d'attentes concernant l'exercice de la profession de travailleur de rue. Un médecin a son cabinet à domicile à un coin de rue de chez moi. Je trouve très irritant que mes enfants, et maintenant mes petits-enfants, ne puissent rouler en tricycle ou à bicyclette dans cette rue en raison de la circulation automobile incessante causée par les clients de ce cabinet de médecin. Oui, c'est un irritant. Si un travailleur du sexe ouvrait une entreprise dans mon quartier et que cela causait un va-et-vient constant de voitures qui bloquent la rue et qui m'empêchent de promener mon chien ou de rouler à bicyclette, ce serait un irritant.

    Je voudrais que l'on communique tant au médecin qu'au travailleur du sexe qui exerceraient leur profession à un coin de rue de chez moi certaines attentes en ce qui a trait à leur utilisation de l'espace public, plus précisément en ce qui concerne les allées et venues de leur clientèle. Cela semblerait raisonnable, et ce n'est pas contraire à notre recommandation en faveur de la décriminalisation. Il va de soi que les inconvénients pour la communauté devraient être examinés dans le contexte d'un modèle de décriminalisation. Il faudrait les explorer en tant que composantes de ce modèle.

    Je pense que Kara veut ajouter quelque chose à ce sujet.

+-

    Mme Kara Gillies: Une chose est certaine. La plupart des municipalités ont des règlements applicables aux entreprises à domicile. S'agissant d'établissements plus importants, j'ai du mal à imaginer un bordel qui engendrerait autant de circulation qu'un grand centre de conditionnement physique, par exemple. Lorsque les municipalités se pencheront sur les questions de zonage et de réglementation, ils devront tenir compte de la taille de l'entreprise, des heures de fonctionnement, du volume de circulation, etc. Notre argument, c'est que quel que soit le modèle réglementaire élaboré à l'intention des établissements voués au commerce du sexe, il ne devrait pas être plus oppressif ou plus axé sur la moralité que celui qui s'applique à d'autres types d'entreprise.

    S'agissant du modèle néo-zélandais, vos analystes de recherche ont sans doute plus d'information de première main que je n'en ai moi-même pour l'instant, mais il faut savoir que c'est le fruit d'un processus qui a duré plusieurs années. Les travailleurs du sexe ont participé à son élaboration, de concert avec des politiciens, des chercheurs et des citoyens. Essentiellement, ce qu'on a fait en Nouvelle-Zélande, c'est supprimer la presque totalité des articles du Code criminel touchant la prostitution, même si l'on a conservé les dispositions touchant l'exploitation et les mauvais traitements et la protection des enfants et des adolescents. On a ensuite laissé aux régions locales le soin d'élaborer des règlements en matière de zonage et de délivrance de permis. Cependant, les travailleurs du sexe individuels, jusqu'à un maximum de quatre, sont autorisés à travailler en dehors du cadre réglementaire de l'État.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: C'était ce que recommandait le Comité Fraser.

[Traduction]

+-

    Mme Kara Gillies: Oui, mais l'une des différences avec le Comité Fraser, c'est qu'il était question de deux travailleuses du sexe au maximum et qu'il était spécifiquement recommandé qu'elles exercent leur métier dans une résidence. À cet égard, une chose nous inquiète. Premièrement, cette façon de faire empêcherait les femmes d'avoir une vie personnelle et privée. Deuxièmement, les femmes qui vivent dans les refuges, les maisons d'hébergement, avec des colocataires ou des partenaires personnels ne pourraient pas exercer leur métier aux termes de ces dispositions particulières. Et troisièmement, en obligeant deux femmes à travailler dans une résidence, on les oblige du même coup à partager leur logis avec une collègue si elles veulent bénéficier des garanties de sécurité. Par conséquent, nous modifierions cela quelque peu en précisant que deux ou peut-être trois femmes pourraient travailler dans un même endroit.

½  +-(1930)  

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Je comprends.

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: J'aimerais ajouter, pour reprendre un peu ce que j'ai dit plus tôt au sujet du modèle suédois, que ce dernier tient pour acquis certains éléments du travail du sexe. Or, ceux-ci disparaîtraient si on éliminait la demande. D'après ce que je comprends du travail du sexe, dont l'exercice dépend d'un réseau social, criminaliser l'achat, la demande, c'est aussi criminaliser l'échange. Selon moi, ce modèle est un leurre.

    Ensuite, mon expérience de recherche auprès de groupes du quartier Centre-Sud m'a montré qu'un des principaux irritants était les seringues souillées. On a parlé de parcs précis et de coins de rue où il y en avait. Cependant, ces seringues sont davantage reliées à l'usage de drogues qu'au travail du sexe. Je pense que dans la perspective d'éventuelles mesures ou interventions, il faudrait arriver à dissocier ces deux choses.

    Le travail du sexe peut être considéré comme une réalité urbaine et commerciale au même titre que certaines rues canadiennes où l'on trouve des cinémas et toutes sortes d'autres divertissements. Cela peut être une des solutions à prendre en compte en matière de réglementation.

+-

    M. Réal Ménard: Le principal irritant fait en sorte, par exemple, que des pères de famille craignent que si on réserve un lieu à cinq ou six travailleuses du sexe, leur fille ou leur femme sera sollicitée. Dans ce genre d'endroit, certains clients ne font pas nécessairement la différence. Pour ce qui est des seringues, vous avez raison: elles n'ont probablement pas grand rapport avec le problème. Par contre, comment explique-t-on que dans un quartier, lorsque des îlots de prostitution se créent, ce type d'irritant fasse son apparition? Dans vos recommandations, je ne crois pas que vous abordiez ce problème. Or, il s'agit selon moi du principal irritant. C'est donc à ce problème qu'il faut répondre. Je ne pense pas que les gens aient un point de vue moral sur la chose.

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: Concernant la question des irritants, je vais reprendre l'idée d'Eleanor Maticka-Tyndale concernant l'éducation en matière de transactions. Il peut assurément être irritant pour les gens d'un quartier de se faire déranger par les consommateurs de ce genre de service, mais il est possible, à mon avis, que le contact sexuel mène à une très grande clandestinité et qu'il soit absolument nécessaire d'utiliser toutes sortes de ruses pour savoir si le service existe. Je pense que ce phénomène est lié à la perception et à l'éducation des gens. S'épanouir alors qu'on est travailleur du sexe peut sembler inconcevable pour certains universitaires, mais je pense qu'il faut entretenir une idée neutre du travail dans l'industrie du sexe et se dire que dans tout travail, certaines conditions peuvent permettre à un individu de s'épanouir.

    D'après ce que je comprends, ces conditions sont liées au respect de nos droits humains. On a déterminé que le respect des droits de la personne était pour sa part un déterminant en termes de santé et de sécurité. À mon avis, il faut admettre que les travailleurs et travailleuses du sexe, comme ceux qui travaillent dans d'autres domaines, peuvent sentir que leurs droits sont respectés et que leur situation leur convient. Je crois savoir que vous avez entendu beaucoup de témoignages concernant la diversité des expériences en matière de travail du sexe.

    Le problème concernant certaines analyses est qu'elles réduisent le travail du sexe uniquement à une expérience négative, soit la souffrance, la misère, et ainsi de suite. Bien sûr, il y a de la souffrance et de la misère, mais il faut aussi reconnaître qu'il existe une variété d'expériences, dont celle des femmes et des hommes transsexuels et travestis qui se disent contents de leur sort, à ce moment précis de leur vie.

½  +-(1935)  

+-

    Le président: Avez-vous fini?

[Traduction]

    Allez-y, madame Lewis.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Je voulais ajouter une mise en garde. Vous évoquez le modèle suédois dont le comité a beaucoup entendu parler et qui est proposé comme solution. Il existe un certain nombre de problèmes associés au modèle suédois. En fait, quatre documents expliquent en détail ces problèmes. Ils ont été rédigés par le Conseil national de prévention du crime, la Commission nationale de la santé et du bien-être, la Commission de police nationale et le groupe de travail de la Norvège. Toutes ces entités ont produit des rapports qui documentent les problèmes associés au modèle. Bon nombre d'entre eux sont très étroitement liés aux problèmes que nous identifions aujourd'hui.

    On le constate déjà au sein de notre système. Lorsqu'on commence à criminaliser les hommes, ce qui se produit, c'est qu'on ne voit pas nécessairement une diminution de la violence contre les femmes. Ce n'est pas ce qu'on a constaté. On a plutôt noté une autre tendance : au lieu de diminuer, la prostitution devient plus invisible. Et lorsqu'on parle d'invisibilité aujourd'hui, on parle aussi des problèmes associés à l'invisibilité.

    Il ne faut pas oublier non plus que, d'après les femmes interrogées, les bons clients disparaissent et les mauvais clients restent; en outre, il y a moins d'argent à faire, de sorte que les travailleurs du sexe prendront davantage de risques pour gagner de l'argent parce qu'il y en a moins à faire sur la rue.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Parlez-vous des services suédois? Les quatre documents ont été produits par des services suédois, par la police suédoise. Parlez-vous des organismes suédois?

[Traduction]

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Trois de ces rapports ont été rédigés par des conseils suédois. L'autre émane d'un groupe de travail norvégien dont le rapport s'intitule L'acquisition de services sexuels en Suède et aux Pays-Bas.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Pourriez-vous en déposer une copie au comité? J'ai vu un article dans Le Devoir. L'auteur, un dénommé Guillaume, je crois, tenait des propos vitrioliques à l'égard du modèle suédois. Pour ma part, j'attends le colloque avec impatience: un panéliste sera présent, un homme, je crois. J'aimerais lire à propos du modèle suédois, mais pas en suédois.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Maticka-Tyndale.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Pour reprendre tout ce qu'on a dit au sujet des inconvénients et des différents modèles, le problème tient, dans une certaine mesure, au fait que les discussions qui ont cours se fondent uniquement sur ce qui se passe au Canada et sur le modèle canadien existant. Ensuite, lorsque nous envisageons un autre modèle—par exemple, on a fait la suggestion de décriminaliser la prostitution—,vous avez tout à fait raison de soulever, monsieur Ménard, la question des inconvénients pour la communauté et les moyens à prendre pour les régler. En fait, nous ignorons quels types d'inconvénients surviendront.

    Je reviens encore une fois sur la nécessité de faire de la recherche ou d'examiner sérieusement la recherche qui a déjà été faite. Un peu partout dans le monde, on a essayé divers modèles pour régler le problème du travail du sexe. La Nouvelle-Zélande a adopté un modèle qui est très différent de tous les autres que nous avons vus ailleurs. Le Canada a un modèle. Les États-Unis ont un modèle. La Suède, comme vous l'avez déjà mentionné, a un autre modèle. Il existe de la documentation sur le fonctionnement de plusieurs de ces modèles—leurs bons et moins bons côtés—et à mon avis, au lieu d'essayer d'imaginer ce qui se produirait si le Canada adoptait une loi ou une politique particulière à l'égard du travail du sexe, il serait plus utile d'examiner les succès ou les échecs enregistrés dans les pays où des modèles existent déjà.

[Français]

+-

    M. Réal Ménard: Merci.

[Traduction]

+-

    Le président: J'aimerais faire suite à cette intervention. Il existe dans différents pays—la Suède, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Nouvelle-Zélande et l'Australie—des modèles dont vous avez parlé ce soir. Pourriez-vous nous aider en nous expliquant, d'après ce que vous en savez, quels sont les avantages et les inconvénients de chacun? Si vous pouviez nous dire les bons et les mauvais côtés des modèles de chacun de ces pays, cela nous aiderait dans nos délibérations. C'est beaucoup demander...

½  +-(1940)  

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Tout de suite, maintenant?

+-

    Le président: Oui, au meilleur de votre connaissance.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: D'après ce que nous en savons, étant donné qu'une bonne partie de la documentation est en suédois et qu'il faut par conséquent lire des rapports au sujet du rapport—, le modèle suédois évoque des problèmes analogues à ceux dont il a été question aujourd'hui, notamment en ce qui a trait à la sécurité. Nous avons parlé des paradoxes auxquels se heurtent les travailleurs du sexe, des préoccupations relatives à la sécurité physique causées par l'invisibilité. La commission a été créée dans la foulée d' une vague d'inquiétude concernant la violence faite aux travailleurs du sexe.

    En fait, les auteurs ont constaté que les risques étaient plus grands. La violence augmente lorsqu'on criminalise les clients. L'industrie entre davantage dans la clandestinité. Les travailleurs du sexe sont moins en mesure d'établir des réseaux. Les clients ne veulent pas fournir aux policiers les témoignages qui les aideraient à appréhender des agresseurs qui maltraitent les travailleurs du sexe car ils craignent d'être inculpés étant donné qu'il s'agit d'une activité illégale.

    Par conséquent, les choses sont encore pires qu'elles ne le sont à l'heure actuelle ici. D'après mes lectures, la situation semble plus sérieuse. On amplifierait simplement le problème. Si l'on adoptait le modèle suédois, tous les problèmes que nous avons abordés aujourd'hui prendraient de l'ampleur.

    Pour ce qui est de la crédibilité des rapports en question, si l'on considère qui en sont les auteurs—le Conseil national de prévention du crime, la Commission de police nationale—, on penserait y trouver un autre son de cloche. Or, ils tiennent des propos très semblables aux nôtres.

+-

    Mme Kara Gillies: Il importe aussi de reconnaître que le modèle suédois est problématique pour ce qui est non seulement de son application pratique mais aussi de ses principes sous-jacents. Ce modèle n'a pas été élaboré en fonction d'évaluations des besoins ou de consultations avec les travailleurs du sexe ou avec des groupes communautaires. Ils se fondent sur une idéologie très claire et précise qui assimile travail du sexe à la violence contre les femmes et qui, par extension, associe les clients et les intermédiaires aux perpétrateurs de cette violence.

    Considérons un instant les lois sur le racolage du Canada. À cet égard, de nombreux universitaires sont disposés à envisager la décriminalisation des femmes elles-mêmes, mais non des tierces parties impliquées. À cela, de nombreux travailleurs du sexe répondent qu'à l'instar d'autres groupes de travailleurs, ils ne sont ni capables ni désireux de travailler de façon indépendante. En refusant de reconnaître cela et de légitimer la participation de tierces parties dans le commerce du sexe, nous acceptons l'hypothèse selon laquelle l'exploitation des travailleurs sexuels est différente, sur le fond, et plus répugnante que l'exploitation de n'importe quel autre groupe de travailleurs. J'avancerais qu'à moins de prendre du recul et de dénoncer les systèmes capitalistes dans leur ensemble, c'est un fait que la présence d'intermédiaires dans une multitude d'entreprises peut être utile à bien des personnes dans bien des contextes différents.

    S'agissant de la criminalisation des clients, même si le modèle suédois n'est pas en vigueur ici au Canada, nous avons constaté que dans diverses provinces, les forces de l'ordre emploient des tactiques qui ciblent davantage les clients que les travailleurs du sexe. Même pour les personnes qui se préoccupent uniquement du bien-être des travailleurs du sexe, cette approche s'est avérée intenable car, comme Jackie l'a fait remarquer, lorsqu'on réduit le bassin de clients, on fait en sorte qu'il est plus difficile pour les travailleurs du sexe de maintenir leur niveau de revenu. Ceux-ci sont donc forcés de prendre plus de risques et de travailler de plus longues heures pour gagner le même revenu qu'elles gagnaient auparavant en vue de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

    Au niveau des principes, je pense aussi qu'il faut marquer un temps d'arrêt et nous poser encore une fois une question fondamentale : pourquoi voulons-nous criminaliser une activité sexuelle consensuelle? Qu'est-ce que l'État a à voir dans les chambres à coucher et les activités sexuelles de nos populations? À mon avis, c'est transmettre un message très perturbant et négatif, en fait négatif envers le sexe, selon lequel l'acquisition de services sexuels est nécessairement mauvaise et compromet nos communautés ainsi que notre bien-être. Alors qu'en fait, le sexe est une activité pertinente qui est au coeur de ce que nous sommes en tant qu'êtres humains, et ce n'est pas tout le monde qui peut y avoir accès de façon non commerciale.

    De nombreux travailleurs du sexe vous diront que nous offrons un service réconfortant et éclairant, un service qui favorise le bien-être de manière très holistique. Certains travailleurs du sexe, bien entendu, font ce métier simplement pour gagner leur vie, comme n'importe qui d'autre. Il existe une multitude d'expériences liées aux commerces du sexe à l'intérieur et entre les différents secteurs. Mais à vrai dire, nous faisons tous de l'argent. Nous subvenons à nos besoins et à ceux de notre famille. Et nous devrions pouvoir le faire de façon aussi légitime que possible. Malheureusement, les dispositions actuelles du Code criminel nous privent de ce droit et, en fait, de cette responsabilité.

½  +-(1945)  

+-

    Le président: Qu'en est-il de la situation aux Pays-Bas—les pour et les contre, le bon et le mauvais?

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: En fait, l'un des documents que nous avons soumis est un rapport que Mme Lewis et moi-même avons rédigé dans le cadre de notre recherche sur les services d'escorte. Nous avons passé en revue la situation aux Pays-Bas, aux États-Unis—plus précisément, au Nevada et dans d'autres États—ainsi qu'au Canada. C'était avant l'entrée en scène de la Nouvelle-Zélande. Ce rapport renferme énormément de données sur les Pays-Bas. Étant donné que nous avons passé depuis à d'autres travaux, je ne peux vous les citer de mémoire et j'hésiterais à fournir des détails.

    Mais parmi tous les modèles, si nous en cherchons un qui intègre les conditions de travail et les rend aussi positives que possible—questions de sécurité, problèmes soulevés par les résidents locaux—, il faudrait à mon avis se pencher sur le modèle de la Nouvelle-Zélande. Si je me fie aux personnes que je connais en Nouvelle-Zélande, je peux vous dire qu'elle ne prisent guère plus que les Canadiens les inconvénients que la prostitution cause à la communauté et qu'elles ne les toléreraient pas davantage. Et pourtant, la Nouvelle-Zélande semble avoir élaboré une politique et une législation qui satisfait les résidents de la communauté. Jusqu'à maintenant, il semble avoir le mieux réussi à s'attaquer aux problèmes de sécurité économique, physique, émotionnelle—peu importe l'angle—,ainsi qu'aux préoccupations en matière de santé que nous avons soulevés. Par conséquent, j'estime que c'est un modèle qu'il vaut la peine d'examiner.

+-

    Mme Kara Gillies: Je peux vous parler de la situation aux Pays-Bas en termes très généraux. Pendant longtemps, on a cru, à tort, qu'il y avait aux Pays-Bas une forme de légalisation ou de décriminalisation. C'est un malentendu répandu. Ce n'était pas le cas; c'est simplement que dans certains districts, la prostitution était « tolérée ». Il y a quelques années, le gouvernement a adopté sa nouvelle loi sur les bordels. À ce moment-là, les organisations de défense des travailleurs du sexe, comme Rode Draad (le Fil rouge) ont appuyé ces mesures parce qu'elles supposaient qu'elles déboucheraient sur de meilleures conditions de travail, la reconnaissance des droits dans le domaine du travail, l'application des codes du travail ainsi qu'un meilleur statut social et économique.

    Malheureusement, cela n'a pas été le cas. Les travailleurs du sexe se sont retrouvés assujettis à un modèle légalisé où ils avaient toutes les responsabilités mais aucun des droits des autres travailleurs. Les travailleurs du sexe ont rapporté qu'ils ne pouvaient pas, par exemple, contracter des prêts ou ouvrir des comptes bancaires; il leur était aussi très difficile de trouver des garderies adéquates. On leur disait quand, où et comment travailler et combien demander et pourtant, en dépit du fait qu'on les traitait comme des employés—et c'est d'ailleurs la même chose qui s'est produite en Allemagne—, ils étaient privés de tous ces droits. L'État n'a pas respecté sa part du marché en ce qui concerne les avantages sociaux et d'autres enjeux.

    En ce moment, les travailleurs du sexe des Pays-Bas se syndicalisent. Ils font du réseautage avec l'un des plus importants syndicats du pays pour tenter de surmonter certains de ces obstacles et ils commencent à obtenir une amélioration de leurs conditions de travail et à se voir accorder des droits fondamentaux dans le domaine du travail.

+-

    Le président: Docteure Fry, êtes-vous prête à...

+-

    L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Je m'excuse auprès des témoins. Nous sommes allés voter, et ensuite, j'ai dû participer au débat d'ajournement, ce qui signifie que je devais rester à la Chambre et répondre aux questions au nom du ministre. C'est ce qui m'a retardée. Je viens tout juste de terminer et je suis revenue ici aussitôt.

    Je m'intéresse beaucoup au concept de la décriminalisation et j'ai entendu bien des gens exprimer leur opinion à ce sujet. Cependant, je suis l'une de ces personnes qui ne croient pas aux miracles. Si vous proposez la décriminalisation—et j'en conçois les mérites—, quels sont les autres éléments qu'il faudrait réunir pour élaborer une stratégie holistique ou globale qui permettrait de faire face à certains des problèmes très importants auxquels se heurtent les femmes dans l'industrie du sexe? Entre autres—et c'est le plus important—, comment aider les femmes à éviter de se retrouver dans l'industrie du sexe parce qu'elles y pratiquent un sexe de survie ou parce qu'elles y sont exploitées, ou quoi que ce soit. Comment pouvons-nous empêcher cela?

    Deuxièmement, si des personnes choisissent ce métier et ensuite souhaitent en sortir, existe-t-il des stratégies holistiques faisant partie d'un plan pour les aider à quitter ce milieu, si c'est ce qu'elles choisissent de faire?

    La stigmatisation dont vous avez parlé est très importante. À votre avis, comment pouvons-nous lutter contre cela? Comment envisagez-vous une campagne d'éducation publique? Envisagez-vous une campagne au cours de laquelle les travailleurs du sexe prendraient publiquement la parole?

    Enfin, bien des gens s'inquiètent parce qu'ils disent que décriminaliser cette activité équivaut à la légitimiser. Je n'accepte pas nécessairement cet argument, mais il faut pouvoir répondre à ceux qui affirment que votre message est que c'est une profession tout à fait acceptable, ce qui pourrait amener certaines personnes à se dire qu'elles vont choisir cette profession un jour.

    À mon avis, il faut pouvoir fournir des réponses à ces objections. Quant à l'idée que ces initiatives devraient s'intégrer dans une stratégie globale, voyez-vous cette stratégie globale pointer à l'horizon?

½  +-(1950)  

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Je commencerai par parler de certaines mesures de protection dont devraient pouvoir bénéficier les travailleurs du sexe pour contrer cette violence qui a tant inquiété le comité. Si nous retirons du Code criminel toutes les lois ayant trait au travail du sexe, il reste tout de même des lois qui protègent les citoyens du harcèlement criminel, des menaces, des voies de fait, des voies de fait avec une arme, des voies de fait graves, de kidnapping, de détention forcée, etc. Ces lois seront maintenues et elles pourraient facilement être appliquées. Nous n'avons pas besoin de lois spécifiques pour protéger les gens, qu'il s'agisse de femmes, d'hommes ou de transgenres. Nous n'avons pas besoin de lois spécifiques; nous pouvons utiliser les lois qui protègent l'ensemble des citoyens.

+-

    Mme Kara Gillies: En fait, les travailleurs du sexe seront mieux protégés en vertu de ces lois parce qu'ils n'auront pas à craindre les sanctions associées à la criminalisation de leur travail. Chose certaine, à l'heure actuelle, un grand nombre de travailleurs du sexe hésitent à signaler à la police les mauvais traitements ou les voies de fait dont ils sont victimes car les autorités policières sont dans une position intenable. En effet, d'une part, on leur dit qu'ils doivent protéger les travailleurs du sexe, mais d'autre part, c'est à eux qu'il revient d'appliquer les lois pénales.

    Votre question comportait plusieurs volets. Je voudrais revenir sur le fait de quitter le milieu de la prostitution. J'ai travaillé à temps plein comme prostituée pendant 15 ans et à temps partiel pendant trois ou quatre ans avant cela, et je dois dire que la grande majorité des femmes que j'ai connues pendant toutes ces années, ce qui m'a donné une longue expérience du milieu—, ont quitté la profession. Elles n'ont pas eu besoin de programmes spéciaux ou de stratégies de départ; comme d'autres travailleurs, elles sont tout simplement passées à autre chose. Lorsque des travailleuses du sexe n'ont pas d'autres options qui s'offrent à elles, c'est souvent à cause d'autres facteurs dans leur vie, comme l'itinérance, la toxicomanie ou l'extrême misère. Ce n'est pas le travail du sexe en soi, mais ces facteurs qui sont limitatifs.

    Il y a un facteur propre au travail du sexe qui empêche les prostituées d'explorer d'autres expositions, et c'est la criminalisation. Le fait de posséder un casier judiciaire réduit leurs possibilités de trouver un emploi complémentaire ou futur.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: J'ajouterai ceci. A Windsor, où nous avons fait une étude des services d'escorte, les travailleurs du sexe qui souhaiteraient quitter la rue ne peuvent le faire. En effet, toute personne ayant été condamnée pour une infraction relative à la prostitution au cours des quelques dernières années ne peut obtenir un permis d'escorte. Comment ces personnes pourraient-elles quitter la rue, même si elles le voulaient?

+-

    L'hon. Hedy Fry: Nous avons entendu cela.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: C'est une exigence commune à toutes les municipalités au Canada. On ne délivre pas de permis de travail d'escorte aux personnes s'étant rendues coupables d'infractions relatives à la prostitution.

+-

    Mme Kara Gillies: Dans le contexte d'un système décriminalisé, la création de syndicats et d'associations professionnelles permettrait aux travailleurs du sexe de partager des ressources, des stratégies et de jeter les bases de leur propre communauté. En Inde, la DMSC est une organisation de travailleurs du sexe qui compte plus de 60 000 membres à Calcutta. Elle offre une multitude de services, y compris des programmes d'alphabétisation. Elle a sa propre caisse de crédit et son propre conseil de réglementation. L'un de ses objectifs primordiaux est d'empêcher la violence, de rejoindre les jeunes et, si c'est nécessaire ou souhaitable, de les orienter dans d'autres directions. À maintes reprises, nous avons constaté que l'entraide entre pairs, l'autonomisation des travailleurs par les travailleurs, par d'autres femmes, est la façon la plus efficace de surmonter et de combattre les problèmes liés à la sécurité.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Je dirais que l'éducation est aussi très importante, et non seulement l'éducation du public, mais aussi l'éducation des travailleurs eux-mêmes. Nous avons constaté les municipalités qui délivrent des permis pour le travail du sexe ont vraiment les mains liées. Elles doivent faire semblant qu'il ne s'agit pas de travail du sexe, que l'escorte n'est rien d'autre que l'escorte. Par conséquent, elles ne peuvent fournir aux personnes qui travaillent dans le milieu l'information dont elles ont besoin pour exercer leur profession de façon sécuritaire.

    Pendant que nous étions à Windsor pour y faire enquête, il y a eu une descente dans plusieurs agences et des accusations ont été portées contre elles . Elles en ont tiré une leçon : ne fournissons pas de condoms, ne fournissons pas d'information aux employés; ne posons pas de questions au sujet des services sexuels fournis ou non, car si nous le faisons, on nous accusera d'enfreindre le Code criminel.

    Dans le cadre du projet de recherche STAR, qui était un projet d'équipe, nous avons mis la main sur des brochures d'information à l'intention des travailleurs du sexe que nous vous remettons aujourd'hui dans le cadre de notre témoignage. Il faudrait qu'il y en ait beaucoup plus. C'est très peu comparativement à ce dont on a besoin.

½  +-(1955)  

+-

    Le président: Avez-vous un commentaire?

[Français]

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: Je voudrais aborder de nouveau la campagne d'éducation et de sensibilisation. Selon moi, elle est l'élément gagnant d'une stratégie de réforme proactive du droit criminel. Cette campagne d'éducation s'adresserait à la population en général. Cependant, on doit aussi prévoir l'information et la sensibilisation des intervenants qui travaillent de près ou de loin avec les travailleuses du sexe et permettre aux associations de travailleuses du sexe de faire de la formation continue, si je peux m'exprimer ainsi.

    Mon travail sur le terrain, mes recherches et les actions que j'ai entreprises, me permettent de voir à quel point les préjugés tombent lorsqu'on informe les gens sur la diversité des milieux et des pratiques du travail du sexe ainsi que sur la multiplicité des expériences vécues par les personnes qui font ce travail. J'allais dire que c'est miraculeux, mais en fait, c'est formidable. On fait savoir aux gens que les travailleuses du sexe sont des personnes comme vous et moi. Elles ont des aspirations, des rôles, et elles offrent des services. Quand on réussit à faire comprendre qu'il y a plus d'une façon de vivre ou d'envisager cette situation, un grand travail de sensibilisation est déjà accompli.

[Traduction]

+-

    L'hon. Hedy Fry: Il y a une question que je voulais poser.

    Nous avons tenu des séances un peu partout au pays, et j'ai pu entendre le témoignage d'une personne qui dirigeait un « service d'escorte ». Elle avait déjà travaillé comme prostituée elle-même. Elle nous a dit essentiellement qu'elle s'appropriait 50 p. 100 des gains des femmes qui travaillent pour elle. Je lui ai demandé ce qu'elle offrait pour justifier les 50 p. 100 qu'elle gardait. Elle a répondu qu'elle offrait un service téléphonique. Je lui ai dit : « Vous n'offrez rien d'autre? ». À mon avis, c'est de l'exploitation.

    Ma question est la suivante. Dans le cas des travailleuses autorisées, que l'on retrouve dans les salons de massage et les services d'escorte, y a-t-il un ensemble de critères et de lignes directrices qui interdiraient à quiconque de les exploiter? Je pense qu'il serait naïf de croire qu'un travailleur ou une travailleuse du sexe n'en exploiterait pas nécessairement d'autres. Je me demandais simplement s'il fallait répondre à certains critères? Y a-t-il des vérifications comptables? Les intermédiaires doivent-ils fournir certains services en contrepartie de l'argent qu'ils prélèvent? Y a-t-il des lignes directrices en la matière, ou sommes-nous en présence d'entreprises dérivées où chacun invente ses propres règles à mesure?

+-

    Mme Kara Gillies: À l'heure actuelle, chacun invente ses propres règles à mesure à cause de la criminalisation. Chose certaine, nous envisageons pour l'avenir un système en vertu duquel nous pourrons développer des codes de conduite, procéder à des vérifications et exiger que les propriétaires/entrepreneurs soient autorisés et réglementés.

    Vous avez posé une question d'éthique en mentionnant l'exploitation dont se rendrait coupable la propriétaire d'une agence d'escorte qui prélève 50 p. 100 des gains de ses employés. Personnellement, en tant que travailleuse du sexe, je préférerais travailler pour cette femme, lui donner 50 p. 100 de mon argent et conserver au bout du compte 100 $ pour une heure de travail plutôt que d'aller au coin de la rue travailler dans une chaîne de restauration rapide qui est la propriété d'une grande société multinationale qui récolte des milliards de dollars de profits par année, qui me paie le salaire minimum et qui s'oppose encore à la syndicalisation. Lorsqu'il est question d'exploitation, je pense qu'il faut voir les choses dans un contexte plus large.

+-

    L'hon. Hedy Fry: Cela ne l'excuse quand même pas.

+-

    Mme Kara Gillies: Cela ne l'excuse pas. Cependant, si nous ne criminalisons pas les multinationales, ne criminalisons pas non plus les propriétaires et les entrepreneurs du commerce du sexe. Essayons plutôt de trouver d'autres mesures qui permettraient aux travailleurs du sexe d'avoir un meilleur contrôle, de jouir de plus d'autonomie dans leur travail grâce à la décriminalisation, à la formation d'associations professionnelles et à la création de syndicats pour les personnes qui travaillent pour de tierces parties. Le mouvement syndical a fait beaucoup pour de nombreux groupes de travailleurs et nous voudrions que les travailleurs de l'industrie du sexe bénéficient des mêmes possibilités.

¾  +-(2000)  

+-

    Le président: Madame Brunelle, avez-vous une question?

    Allez-y. Avez-vous un commentaire?

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Je voudrais faire une observation au sujet de la propriétaire d'agence qui prélève 50 p. 100 des gains de ses employés et du service qu'elle offre. Le problème, à l'heure actuelle, c'est qu'il y a peu d'autres services qu'elle peut offrir. Si elle offre un chauffeur, ce dernier peut être accusé de transport aux fins de la prostitution. Si elle fournit à ses employés de l'information sur la façon de traiter avec des clients qui sont difficiles, sur les infections transmises sexuellement, sur les négociations avec les clients, elle risque d'être inculpée en vertu du Code criminel. La loi actuelle étant ce qu'elle est, il y a bien peu de services qu'une propriétaire d'agence peut fournir, mis à part un service téléphonique, sans risquer d'enfreindre le Code criminel. Et c'est là une chose que les propriétaires d'agence et leurs employés ont apprise sans ménagement à Windsor il y a quelques années, lorsque la ville a commencé à délivrer des permis aux agences d'escorte et aux escortes.

    À l'origine, les propriétaires d'agence et leurs employés y ont vu une initiative positive, une façon de légitimer leur travail. D'ailleurs, certains propriétaires d'agence ont adopté des politiques très progressistes et positives en ce qui a trait aux conditions de travail. Et ce sont précisément les agences qui ont fait l'objet d'une rafle car il était évident que le travail de leurs employés impliquait l'échange de services sexuels contre de l'argent, et non un simple rendez-vous. Par conséquent, elles contrevenaient au Code criminel.

    Par conséquent, cela devient compliqué. Je ne dis pas que...

+-

    L'hon. Hedy Fry: C'est un système plutôt incohérent, n'est-ce pas?

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Oui, absolument.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Après avoir été arrêtés, certains propriétaires ont demandé à rencontre les édiles municipaux, et ils m'ont invitée à assister à cette rencontre. À la réunion, on leur a dit clairement qu'ils pouvaient uniquement offrir un service de répondeur et de référence. C'est tout ce que vous pouvez fournir. Les escortes ne travaillent pas pour vous; vous travaillez pour elles, et c'est uniquement un service de répondeur et de référence.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Et c'est tout ce qu'on peut offrir sans enfreindre les lois.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Il n'a pas été question des sommes que les propriétaires peuvent prélever ou d'autres choses de ce genre.

+-

    Le président: J'ai une question.

    On nous a répété à maintes reprises que les quartiers n'ont pas un problème de prostitution; ils ont un problème de toxicomanie. D'après vous, comment votre organisation, comment des syndicats pourraient-ils faire face à des situations comme celle-là? Comment allez-vous composer avec les milieux plus durs, où le problème de la drogue est prédominant? Dans ces milieux, sera-t-on même en mesure de répondre à certaines suggestions que vous nous avez faites pour améliorer la situation?

+-

    Mme Kara Gillies: Comme on l'a déjà dit, il existe sans contredit des groupes de personnes qui, outre qu'elles travaillent dans l'industrie du sexe, ont de sérieux problèmes dans leur vie, l'itinérance, la toxicomanie, et ainsi de suite. Il est clair que pour un petit pourcentage de personnes, certaines de ces stratégies ne se traduiront pas immédiatement par une amélioration de leur sort, sauf qu'elles ne seront pas constamment en train de se sauver de la police, qu'elles ne seront pas en détention, qu'elles ne risqueront pas de perdre leur logement, de perdre leur revenu et de voir leur vie bouleversée à cause du processus de criminalisation.

    Lorsque j'ai mentionné tout à l'heure que la criminalisation avait un effet négatif sur la sécurité économique et l'accès au logement, c'est précisément à ces groupes de travailleurs marginalisés que je pensais. Ce sont les plus susceptibles de tomber sous le coup de la loi et par conséquent, d'avoir beaucoup plus de difficulté à développer une sécurité économique ou même physique.

    D'autres facteurs doivent être pris en compte en tant que phénomène distinct. Il existe dans notre pays des problèmes terribles : la pénurie de logements, le manque de logements abordables, la pauvreté, le racisme, le caractère archaïque des lois relatives à la toxicomanie, et ainsi de suite. Et je ne pense pas que nous pourrons compter sur un miracle, comme l'a dit Hedy Fry. Nous ne serons pas en mesure de résoudre tous ces problèmes en même temps, mais chose certaine, aller de l'avant et abandonner la criminalisation serait un premier pas important. Même les travailleurs les plus marginalisés, ceux qui sont le plus victimes de discrimination n'auraient plus à s'inquiéter d'avoir un casier judiciaire, avec toutes les conséquences que cela entraîne, d'être découverts par la police et d'être incarcérés.

¾  +-(2005)  

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Cela chevauche la question qu'a soulevée Mme Fry au sujet du sexe de survie. Le sexe de survie n'est pas seulement le travail du sexe. C'est un problème, un enjeu particulier, et le fait de modifier ou de conserver les dispositions du Code criminel ayant trait à la prostitution ne le résoudra pas. Il existe une myriade de problèmes en l'occurrence.

    Cependant, cette initiative n'ajoutera pas aux problèmes qui existent déjà en faisant en outre planer sur ces personnes qui ont déjà une vie très difficile la menace d'avoir un casier judiciaire. Il devient alors beaucoup plus facile de sortir de ce genre de situation car à ce moment-là on ne peut vous menacer. C'est une menace de moins au-dessus de vos têtes. Mais cela ne résoudra pas le problème.

+-

    Le président: Nous avons constaté que dans les grands centres urbains, les policiers affectés à des quartiers où l'on se livre à la prostitution sont davantage des protecteurs que des agents d'exécution de la loi. D'après eux, si la prostitution était décriminalisée, leur présence dans ces quartiers ne serait plus nécessaire. Par conséquent, ils ne seraient plus là pour protéger les travailleurs du sexe de quelque menace que ce soit. Ils se soucient particulièrement des enfants qui sont exploités.

    Quels sont vos commentaires à ce sujet?

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Il existe des lois interdisant l'exploitation des enfants. Pourquoi avons-nous besoin de lois sur la prostitution?

+-

    Le président: Je le sais, mais si les policiers sont alors assignés à d'autres tâches...

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: J'ose espérer...

+-

    Le président: J'ose espérer, moi aussi.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: En tant que mère et grand-mère, j'ose espérer que la sécurité et le bien-être des enfants canadiens sont des enjeux importants aux yeux des autorités policières et qu'ils justifient leur intervention où que ce soit—et non seulement auprès des enfants qui, pour une raison ou une autre, se retrouvent dans la rue.

+-

    Le président: Je comprends cela, moi aussi. C'est tout simplement que je n'ai pas vraiment confiance. S'il n'y a pas de présence policière, certains de ces clients violents ne continueront-ils pas à se livrer à des abus?

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: On pourrait aussi dire que cela réduirait le temps que les policiers devraient consacrer à l'application des lois existantes. Si ces lois n'existaient pas, ils auraient davantage de temps pour régler précisément le genre de problèmes que vous soulevez.

    Encore là, nous n'en saurons rien tant que nous n'aurons pas fait de recherche. Nous avons l'exemple des autres pays. Nous pourrions voir comment les choses fonctionnent là-bas et déterminer si,dans une situation comparable, leurs solutions pourraient fonctionner au Canada. Autrement, nous ne pouvons que faire des suppositions.

+-

    Le président: Oui.

    Kara.

+-

    Mme Kara Gillies: La décriminalisation aurait aussi pour effet de bâtir la confiance entre les travailleurs du sexe et les agents d'exécution de la loi. J'ignore de qui vous tenez cette analyse particulière, mais chose certaine, à Toronto, la majorité des travailleurs du sexe se méfient énormément de la police. Les policiers sont les dernières personnes qu'ils appelleraient à l'aide. Mais si nous éliminons les lois pénales, les policiers se retrouvent immédiatement en meilleure position pour agir en tant que protecteurs plutôt qu'en agents d'exécution de la loi. Il est possible que de nombreux policiers se perçoivent comme des agents dont le mandat est de servir et de protéger, mais ce n'est pas nécessairement de cette façon que le vivent les travailleurs de l'industrie du sexe.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Puis-je faire une observation?

+-

    Le président: Oui.

+-

    Mme Jacqueline Lewis: Dans le cadre de notre dernière étude, j'ai fait des entrevues avec des policiers. Certains d'entre eux nous ont affirmé vouloir jouer un rôle de protection, mais leur idée de la protection était bien différente de la mienne. Je me souviens qu'un officier assez haut placé dans la hiérarchie m'a dit que dès qu'il voyait une nouvelle venue faire le trottoir, ses collègues et lui l'arrêtaient à répétition, jusqu'à ce qu'elle disparaisse de la rue. Je lui ai demandé s'il avait déjà pensé qu'avec cette tactique, il la plaçait dans une situation bien pire dans ce milieu. Il m'a dit qu'il n'y avait jamais pensé. L'idée ne l'avait jamais effleuré que les nombreuses détentions et les multiples amendes pouvaient la pousser entre les mains d'un proxénète qui l'exploiterait réellement parce qu'elle tenterait désormais d'éviter la police et de s'assurer qu'on ne lui mette pas la main au collet. Il n'avait jamais pensé à cela, et j'en ai été estomaquée. Il croyait simplement que la solution consistait à les arrêter et qu'en leur faisant peur de cette façon, on les inciterait à quitter la rue.

¾  +-(2010)  

+-

    Le président: Merci.

    Allez-y.

[Français]

+-

    Mme Maria Nengeh Mensah: Je ne suis pas certaine d'avoir compris l'exemple qui a été donné. Cependant, il me paraît clair que le rôle de la police consiste aussi à protéger les travailleuses du sexe au même titre que les autres citoyens et citoyennes. Il ne s'agit peut-être pas, pour empêcher ces activités, d'appliquer une loi relevant du droit criminel. Un vrai rôle de protection aurait tout à fait sa place, par exemple quand une travailleuse du sexe est confrontée à la violence, à l'abus ou à d'autres problèmes du genre.

    Je ne suis pas sûre de comprendre le problème tel que présenté. Néanmoins, il me semble vraiment révéler une perception des travailleuses du sexe selon laquelle elles seraient nécessairement des victimes. On ne reconnaît pas qu'en l'absence de décriminalisation, dans des situations où elles sont réellement victimes, elles risquent de ne pas faire appel à la police. Je vais dans le sens de ce que Kara et les collègues viennent de dire. En fait, je crois qu'un contexte de décriminalisation permettrait de créer des alliances avec les agents de police ainsi qu'avec tout le système de surveillance. Celui-ci pourrait être communautaire. On parle donc de quartiers où il y aurait de la surveillance.

[Traduction]

+-

    Le président: Docteure Fry.

+-

    L'hon. Hedy Fry: La question du président était plutôt... J'ai entendu cela à Vancouver. La police là-bas a une attitude très différente. En effet, les policiers ont compris que des femmes avaient été assassinées parce qu'un grand nombre de leurs collègues prostituées savaient ce qui se passait mais qu'elles ne pouvaient pas aller à la police pour leur communiquer quoi que ce soit par crainte d'être arrêtées pour racolage. Par conséquent, elles se taisaient. Je pense que les autorités policières... En tout cas, l'agent qui me conduisait en voiture m'a dit que les autorités policières avait été tellement consternées de se rendre compte que cette crainte les avaient empêchées d'obtenir de l'information, etc., qu'elles ont décidé d'entreprendre un service de relations externes. En faisant des tournées en voiture, les policiers voient les prostituées qui font le trottoir; ils les connaissent toutes par leur nom. Ils leur demandent si elles se sont fait couper les cheveux, ils leur font un brin de causette et poursuivent leur tournée. Ce qu'ils m'ont dit, et ça m'a semblé être un dilemme, c'est qu'ils connaissent les travailleuses de rue et que les travailleuses de rue les connaissent. Elles savent désormais que les policiers sont là pour les aider. Ils sont présents, ils font des tournées en voiture, ils leur parlent et ils ont créé des liens avec elles. Les policiers n'appliquent pas du tout la loi comme ils le faisaient auparavant parce qu'ils se sont rendus compte que les travailleurs de rue étaient davantage en danger lorsqu'ils étaient leurs ennemis que lorsqu'ils sont devenus leurs amis.

    Par contre, la loi leur permettait une chose. Si les policiers voyaient dans la rue un adolescent adolescente qui leur paraissait mineure, une nouvelle venue qui était potentiellement mineure et qui serait sans contredit en situation illégale—d'ailleurs, nous pensons doute qu'il devrait continuer d'en être ainsi—, il leur serait impossible de l'aborder , de l'emmener au poste, de vérifier son âge, son point d'origine et de l'aider, à moins d'avoir un outil quelconque pour le faire. Il leur est impossible d'aborder une jeune fille ou un jeune homme sur la rue et de les emmener au poste sans raison. À ce qu'il me semble, les autorités policières se retrouveraient privées d'un outil d'intervention si vous éliminiez cette possibilité.

    Je me demande s'il n'y aurait pas un autre outil que l'on pourrait offrir aux policiers pour qu'ils puissent demander à certains jeunes qui sont dans la rue de les suivre pour les recueillir et leur offrir de l'aide. À l'heure actuelle, ils ne disposent pas d'un outil comme celui-là. Le seul outil est la criminalisation et nous ne sommes pas d'accord avec son utilisation. Parallèlement, les autorités policières s'inquiètent surtout de perdre cet outil qui leur sert particulièrement auprès des adolescents.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Il est plutôt intéressant que la police de Vancouver dise qu'il faudrait adopter une loi qui nous permette de ne pas appliquer la loi et ainsi faire ce que nous avons à faire.

+-

    L'hon. Hedy Fry: C'est compliqué. Y a-t-il un autre instrument que la police pourrait avoir?

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: C'est quelque chose qu'il faut envisager et dont il faut discuter. Chose certaine, dans les quatre villes où j'ai vécu, les adolescents qui sont « dans la rue » à des endroits inhabituels ou à diverses heures, que cela ait quelque chose à voir ou non avec un « lieu de prostitution connu», ont été arrêtés par les policiers qui leur ont demandé d'où ils venaient et ce qu'ils faisaient là. Cela ne semblait pas les empêcher d'intervenir. Je ne vois pas vraiment pourquoi ils ne pourraient pas faire cela. Lorsqu'un adolescent déambule seul dans la rue, particulièrement le soir, c'est pratique courante. J'ai habité à Montréal, à Calgary, à Windsor et, très brièvement, à Toronto. Dans tous ces endroits, parce que j'ai fait des recherches auprès des jeunes tout au long de ma carrière et que mon mari travaille avec des jeunes, nous savons que les policiers arrêtent les adolescents pour leur demander où ils vont et d'où ils viennent, s'ils ont un domicile fixe, s'ils ont besoin d'aide. C'est le genre d'approche que vous envisagez, je crois. Cela n'avait rien à voir avec leur présence dans un « lieu de prostitution connu », car ce n'était pas le cas.

    Par conséquent, je ne vois pas trop leur dilemme.

¾  +-(2015)  

+-

    L'hon. Hedy Fry: Je pense que pour eux le problème se pose dans les endroits de prostitution connus, lorsqu'ils ont affaire à un jeune qui est peut-être mineur. Je pense que la police, à tort ou à raison, estime que la seule façon de protéger cette jeune personne est de l'arrêter pour la soustraire à la rue et de l'emmener dans un endroit où elle peut recevoir de l'aide.

    Les jeunes disent que ce n'est pas ce qui se passe parce qu'ils retournent à la rue et qu'ils sont battus par leur proxénète ou par le type qui leur vend de la drogue, ou quoi que ce soit. D'après les policiers, il arrive parfois qu'ils arrêtent des jeunes sur la rue s'il est tard et que cela ne cause pas de problème. Mais lorsqu'ils les voient dans des lieux de prostitution connus, qu'ils constatent qu'ils sollicitent des clients et qu'ils se rendent compte qu'il s'agit d'un adolescent ou d'une adolescente, ils sont en présence d'une activité criminelle. Or, ils ne peuvent prouver quoi que ce soit à moins de communiquer avec eux et de leur demander leur âge. Ils peuvent alors faire une recherche dans l'ordinateur et c'est à ce moment-là qu'ils apprennent qu'il s'agit de mineurs. Ils peuvent par la suite inculper non pas les adolescents, mais le client qui voulait faire l'acquisition de leurs services.

+-

    Mme Eleanor Maticka-Tyndale: Dans les codes du travail, on stipule l'âge minimum nécessaire pour divers types d'emploi. En deçà d'un certain âge, on ne peut travailler dans de multiples domaines. J'imagine que dans la foulée de la décriminalisation, dans l'optique du travail, les mêmes conditions s'appliqueraient aux travailleurs du sexe. À moins d'avoir un certain âge, il serait interdit de travailler dans ce domaine. Par conséquent, on pourrait adopter la même approche.

+-

    L'hon. Hedy Fry: À l'heure actuelle, ils ne sont pas autorisés à travailler dans ce domaine, mais ce que disent les policiers, essentiellement, c'est que lorsqu'ils voient des jeunes dans la rue dans un endroit où il se fait ouvertement du racolage, et qu'ils ne sont pas certains de l'âge... Présentement, ils n'arrêtent pas les personnes majeures qui se bornent à déambuler dans la rue; ils les laissent tranquille. Mais lorsqu'il s'agit de mineurs, ils ont besoin d'un outil pour les arrêter.

    Comprenez-vous ce que je veux dire? C'est un peu le dilemme de la police.

+-

    Mme Kara Gillies: D'après moi, c'est davantage un problème de services sociaux qu'un problème d'exécution de la loi. Il y a de très bonnes raisons pour lesquelles la police ne peut tout simplement pas arrêter les gens comme bon lui semble, leur demander leur âge ou les interroger. C'est une question de respect de certaines libertés civiles fondamentales.

    Lorsqu'on offre à des jeunes un éventail d'options, certains choisiront peut-être de quitter la rue et d'autres pas; mais à mon sens, l'approche la plus positive et efficace est de recourir à des services sociaux, à un modèle d'aide et d'autonomisation de préférence à un modèle de criminalisation.

    Encore une fois, les policiers avec qui vous vous êtes entretenus fonctionnent dans le cadre du modèle pénal actuel. Si nous n'avions pas ce modèle, un groupe de travail pourrait certainement examiner comment on pourrait offrir diverses options aux mineurs vivant dans la rue. En pareil cas, des travailleurs sociaux ou même d'autres travailleurs du sexe pourraient entrer en contact avec les jeunes en leur disant : « Bonjour, comment vas-tu? Tu te sens bien ici? Puis-je faire quelque chose pour toi? » et ainsi de suite. Même s'il peut sembler efficace que la police arrête ces jeunes, les incarcère pour « les sauver », le fait est que tant qu'on ne leur offrira pas d'autres options, et tant qu'ils ne seront pas prêts à passer à autre chose, ils retourneront dans la rue de toute façon.

    Par conséquent, je pense qu'il serait plus efficace, même si c'est peut-être un défi plus grand, d'envisager des moyens d'améliorer la vie en général et les conditions de travail des travailleurs du sexe et d'élargir l'éventail d'options que l'on offre aux jeunes au lieu de le limiter davantage. Souvent, lorsqu'on parle du cas des jeunes prostitués des deux sexes, on est tellement obnubilé—et c'est compréhensible—, par la volonté de les sortir de ce milieu qu'on ne s'attarde pas à réfléchir aux autres options disponibles. Lorsque des personnes travaillent dans l'industrie du sexe à cause du nombre limité d'options qui s'offrent à elles, c'est la pénurie d'options de rechange qui est le problème et non le travail du sexe proprement dit. On ne fait de faveur à personne en limitant leurs choix encore plus. Chose certaine, on ne leur fait aucune faveur en les incarcérant.

¾  -(2020)  

-

    Le président: D'accord. Nous avons épuisé toutes nos questions, à ce que je vois.

    Je vous remercie beaucoup d'être venues comparaître ce soir. Nous avons tous beaucoup apprécié votre contribution. Ce fut un plaisir d'échanger avec vous.

    La séance est levée.