SSLR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 17 mars 2005
À | 1010 |
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)) |
Mme Cynthia MacIsaac (directrice des programmes, Direction 180) |
Le président |
L'agent Brian Johnston (Halifax Regional Police) |
À | 1015 |
L'agent Doug MacKinnon (Halifax Regional Police) |
L'agent Brian Johnston |
Le président |
L'agent Doug MacKinnon |
À | 1020 |
Le président |
Mme Dawn Sloane (conseillère municipale, ville d'Halifax) |
À | 1025 |
Le président |
Mme Laurie Ehler (coordonnatrice administrative, Société Elizabeth Fry de Mainland, Nouvelle-Écosse) |
À | 1030 |
À | 1035 |
À | 1040 |
Le président |
Mme Rene Ross (présidente, Stepping Stone) |
À | 1045 |
Le président |
Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ) |
À | 1050 |
L'agent Brian Johnston |
Mme Paule Brunelle |
L'agent Brian Johnston |
Mme Paule Brunelle |
À | 1055 |
Mme Dawn Sloane |
Mme Paule Brunelle |
Mme Dawn Sloane |
Mme Paule Brunelle |
Mme Dawn Sloane |
Le président |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
Á | 1100 |
L'agent Brian Johnston |
Á | 1105 |
Mme Libby Davies |
L'agent Brian Johnston |
Mme Libby Davies |
L'agent Brian Johnston |
Mme Libby Davies |
L'agent Brian Johnston |
Mme Libby Davies |
L'agent Brian Johnston |
Mme Libby Davies |
L'agent Brian Johnston |
Mme Libby Davies |
L'agent Brian Johnston |
Mme Libby Davies |
Á | 1110 |
L'agent Brian Johnston |
Mme Libby Davies |
L'agent Doug MacKinnon |
Mme Libby Davies |
Mme Dawn Sloane |
L'agent Doug MacKinnon |
Mme Libby Davies |
Le président |
Mme Dawn Sloane |
Mme Libby Davies |
Mme Dawn Sloane |
Á | 1115 |
Le président |
Mme Rene Ross |
Mme Jeannine McNeil (directrice exécutive, Stepping Stone) |
Mme Rene Ross |
Le président |
Á | 1120 |
Mme Dawn Sloane |
Le président |
L'agent Brian Johnston |
Le président |
L'agent Brian Johnston |
Le président |
Mme Dawn Sloane |
M. Daniel Roukema (vice-président, Stepping Stone) |
Mme Dawn Sloane |
Le président |
L'agent Brian Johnston |
Le président |
Mme Jeannine McNeil |
Le président |
Mme Rene Ross |
Á | 1125 |
Le président |
L'agent Doug MacKinnon |
Le président |
Mme Dawn Sloane |
Le président |
Mme Dawn Sloane |
Le président |
Mme Rene Ross |
Le président |
Mme Jeannine McNeil |
Mme Paule Brunelle |
Á | 1130 |
Mme Rene Ross |
Le président |
Mme Laurie Ehler |
Le président |
L'agent Brian Johnston |
Á | 1135 |
Le président |
Mme Libby Davies |
Á | 1140 |
M. Daniel Roukema |
Á | 1145 |
Le président |
L'agent Brian Johnston |
Le président |
L'agent Doug MacKinnon |
Le président |
L'agent Doug MacKinnon |
Le président |
L'agent Doug MacKinnon |
Le président |
Mme Rene Ross |
Le président |
Mme Cynthia MacIsaac |
Á | 1150 |
Le président |
L'agent Brian Johnston |
Le président |
L'agent Brian Johnston |
Le président |
Mme Rene Ross |
Á | 1155 |
L'agent Brian Johnston |
Mme Rene Ross |
Le président |
M. Daniel Roukema |
Le président |
M. Daniel Roukema |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
Mme Rene Ross |
 | 1200 |
Le président |
Mme Libby Davies |
Le président |
L'agent Brian Johnston |
Le président |
Mme Jeannine McNeil |
 | 1205 |
Le président |
Le président |
Mme Pam Rubin (coordonnatrice des recherches, Women's Innovative Justice Initiative) |
Le président |
Mme Pam Rubin |
 | 1220 |
 | 1225 |
Le président |
Mme Pam Rubin |
Le président |
Mme Paule Brunelle |
 | 1230 |
Mme Libby Davies |
Mme Pam Rubin |
Mme Libby Davies |
Le président |
Mme Pam Rubin |
Le président |
Mme Libby Davies |
Le président |
CANADA
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
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l |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 17 mars 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
À (1010)
[Traduction]
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité de la justice, qui a lieu ce matin à Halifax.
Nous sommes très heureux que vous ayez pris le temps de venir discuter avec nous de cette question qui est bien sûr d'intérêt. À la fin de nos audiences, nous allons rédiger un rapport et le soumettre à l'approbation du Comité de la justice. Il sera ensuite mis aux voix au Parlement et nous espérons que le gouvernement va y répondre.
Vous pouvez donc contribuer à faire changer la loi—ou à ne pas la faire changer, étant donné qu'il n'y a pas de décision prédéterminée sur le sujet. Vous pouvez nous parler très ouvertement sur la question. Nous vous remercions de votre présence parmi nous ce matin.
Notre premier témoin sera Cynthia MacIsaac de Direction 180.
Sentez-vous à l'aise, nous ne sommes pas méchants.
Mme Cynthia MacIsaac (directrice des programmes, Direction 180): Bonjour. Je m'appelle Cynthia MacIsaac, et je représente Direction 180, un organisme qui offre un programme à seuil peu élevé de traitement à la méthadone, sur la rue Gottingen à Halifax.
Notre programme, qui existe depuis février 2001, était à l'origine un projet pilote visant à répondre au changement de profil des utilisateurs de drogues injectables. Il était implanté dans la ville et nous recevions un financement pour 30 clients. Nous avons cependant rapidement pris de l'expansion puisque nous en avons actuellement 123, et la liste d'attente est longue.
Les gens qui ont recours à nos services sont des polytoxicomanes, qui sont bien connus du système de justice criminelle, liés au commerce du sexe ou à risque de l'être, ou encore sans-abri ou à risque de l'être. De plus, 83 p. 100 d'entre eux souffrent d'hépatite C. Quand le programme a commencé, nous avions deux clients porteurs du VIH, et nous en avons maintenant sept. Il y a eu tout un changement chez les consommateurs d'opiacés. D'autres drogues sont aussi en cause dont le crack qui cause des dommages de plus en plus grands.
Beaucoup de consommateurs alimentent le commerce du sexe ou en tirent des ressources. Les femmes, surtout, sont très à risque. D'après notre évaluation, elles ne reçoivent pas assez d'aide ni d'argent des services sociaux et elles se livrent à la prostitution pour augmenter leurs revenus.
Quant aux hommes qui sortent du pénitencier, ceux qui reçoivent de l'aide sociale—et je suis contente qu'il n'y pas de représentant de l'aide sociale ici—ont toujours la possibilité de travailler au noir dans la construction pour poser du placoplâtre, faire de la peinture ou effectuer d'autres travaux. La situation est complètement différente pour les femmes. Si elles avaient fait de la prostitution avant, il est tentant d'y revenir, comme elles ne possèdent pas les compétences voulues pour faire autre chose.
Je crois qu'il est grandement nécessaire de décriminaliser ou de légaliser la prostitution. Cependant, il faut beaucoup plus de ressources. Les femmes sont marginalisées plus que les hommes, beaucoup plus, surtout celles qui consomment des drogues injectables et du crack. Dans la région, et je suis certaine que c'est la même chose ailleurs au Canada, il existe très peu de lieux d'hébergement pour venir en aide aux femmes qui ont des démêlés avec la justice ou qui font de la prostitution.
Notre programme offre un traitement à la méthadone. C'est un outil. Il n'existe pas de centre de traitement dans notre ville afin de permettre aux femmes de poursuivre le traitement à la méthadone tout en vivant dans un refuge. C'est une énorme lacune, et je pense qu'il est essentiel d'avoir les deux.
Pour ce qui est des déterminants de la santé, si nous décriminalisons la prostitution et que nous sommes en mesure d'aider les gens du milieu, il sera plus facile de réduire tous ces risques de pathogènes transmissibles par le sang, auprès des sans-abri, des criminels et des autres.
Je vous ai parlé à coeur ouvert parce que je n'ai pas préparé d'exposé proprement dit.
Je vais m'arrêter ici.
Le président: Merci, Cindy.
C'est maintenant à Brian Johnston et à Doug MacKinnon du service de police d'Halifax.
L'agent Brian Johnston (Halifax Regional Police): Merci, et bienvenue à Halifax. Je m'appelle Brian Johnston et mon collègue, Doug MacKinnon. Doug et moi oeuvrons au sein du groupe de travail sur la prostitution.
Je tiens à préciser, parce qu'il faut que ce soit bien clair, que la prostitution n'est pas illégale. C'est le racolage en public pour des fins de prostitution qui l'est. Il faut bien faire la distinction tout de suite.
Le groupe de travail sur la prostitution a été créé en 1992 par des membres de la GRC et des services de police d'Halifax, Dartmouth et Bedford, qui forment aujourd'hui la police régionale d'Halifax. Le groupe s'était fixé sept objectifs qui sont les suivants : un, mener des enquêtes policières sur les activités criminelles des proxénètes et de leurs associés afin de réunir des preuves permettant de porter des accusations au criminel; deux, convaincre les jeunes prostitués de témoigner devant le tribunal contre leurs proxénètes; trois, contribuer à la réinsertion des jeunes prostitués avec les travailleurs sociaux, en les aidant à changer de mode de vie et à avoir une meilleure image d'eux-mêmes; quatre, tenir un registre complet de tous les revenus, dépenses et actifs financiers apparents des personnes ciblées en vue d'une vérification auprès des services fédéraux et provinciaux du fisc; cinq, assurer la transmission à d'autres services de police de toutes les informations sur les enquêtes pour faciliter les suivis; six, trouver, au besoin, des informateurs qui ont accès à des renseignements privilégiés sur les proxénètes et les activités de prostitution; et sept, recueillir, analyser et produire des renseignements sur ceux qui, d'après les enquêtes de police, sont les principaux organisateurs ou exécutants d'activités illégales, conformément à l'article 212 du Code criminel.
Ne sachant pas vraiment ce que le comité a l'intention de proposer au Parlement, nous estimons qu'il est presque impossible d'adopter des lois qui peuvent vraiment bien protéger les prostituées ou les travailleurs du sexe. Une fois qu'une prostituée monte dans une voiture, nous n'avons aucun contrôle sur ce qui se passe dans cette voiture. C'est laissé au bon vouloir de la ou des personnes qui s'y trouvent.
Je suis d'accord avec Direction 180 pour dire que nous devons offrir plus de ressources aux travailleurs du sexe qui veulent s'en sortir, qui veulent réintégrer la société. Il faut rendre les peines plus sévères pour les proxénètes et ceux qui utilisent leurs services. Je suis cependant incapable de vous faire des propositions sur des lois qui peuvent renforcer... ou protéger les prostituées. Ces loi n'existent tout simplement pas.
Il faut des ressources pour assurer la réinsertion sociale et fournir aux policiers plus de moyens pour arrêter les proxénètes et ceux qui profitent des travailleurs du sexe.
Doug a peut-être quelque chose à ajouter.
À (1015)
L'agent Doug MacKinnon (Halifax Regional Police): J'ajouterais peut-être que, pour moi, on ne saurait trop insister sur la sécurité des travailleurs du sexe. Ceux auxquels nous avons surtout affaire sont forcés de se livrer à la prostitution par les proxénètes et leur dépendance à la drogue. Je ne vois aucun moyen de les protéger contre ces deux fléaux sans, comme Brian l'a dit, avoir plus de ressources pour leur offrir des solutions de rechange.
L'agent Brian Johnston: Il faut aussi comprendre que la prostitution est associée d'une certaine façon aux crimes graves. Il y a les groupes de motards, le crime organisé...
Quand on voit des jeunes qui sont envoyés de Nouvelle-Écosse à Moncton, puis à Toronto, Montréal, Vancouver et dans des villes américaines, je pense que nos ressources doivent être canalisées pour essayer de mettre fin à ces activités. Là ou il y a de la prostitution, il y a des éléments criminels, et ce sont contre eux qu'il faut sévir.
Au risque de me répéter, il n'y a aucune loi qui peut protéger les travailleurs du sexe. Dans la rue, ils sont à la merci de ceux qui les ramassent.
Le président: Merci beaucoup.
Doug.
L'agent Doug MacKinnon: Nous avons un certain problème avec les jeunes qui sont déplacés d'ici vers d'autres grands centres pour des fins de prostitution. Il n'y a pas d'infraction associée au fait de faire sortir des jeunes de la province. Ce pourrait être un outil nous permettant d'intercepter ces jeunes pour les ramener à la maison ou dans la province, et de les sortir des griffes de ceux qui les éloignent pour leur profit. Aux États-Unis, il existe des lois, dont je ne connais pas le nom, qui s'appliquent quand les jeunes sont déplacés à l'extérieur des frontières de l'État.
On pourrait avoir une mesure de ce genre peut-être.
À (1020)
Le président: Merci.
Madame Sloane, allez-y.
Mme Dawn Sloane (conseillère municipale, ville d'Halifax): Bonjour, et bienvenue à Halifax.
Je suis heureuse de vous accueillir dans mon arrondissement qui est très diversifié. On y trouve autant des logements sociaux que des condominiums de luxe, des quartiers résidentiels modestes et des zones commerciales.
Ce que j'aimerais ajouter à ce qu'on a dit jusqu'ici c'est que, depuis que je vis dans ce quartier, c'est-à-dire sur la rue Creighton, il m'est arrivé de me faire suivre par des hommes en me rendant au travail—c'était avant de devenir conseillère municipale—ou encore de me faire demander de façon très humiliante de monter dans une voiture. C'est tellement enrageant qu'on aurait juste envie de briser leur pare-brise, mais c'est interdit par la loi, bien entendu.
Ce sont les proxénètes qui posent le principal problème. Je pense que Brian et Doug le savent. Ce sont eux qui font de l'argent et qui sont les éléments criminels. Les prostituées, quant à elles—comme Cynthia l'a dit—ne savent rien faire d'autre si on ne les aide pas à acquérir une formation et à réintégrer la société.
Comme la situation me rendait furieuse, j'ai demandé aux femmes de mon quartier si elles se sentaient en sécurité quand elles circulaient pour se rendre à la maison, au travail ou chez des amis. Elles m'ont répondu qu'elles ne se sentaient pas du tout en sécurité parce qu'elles se faisaient suivre. C'était la situation il y a déjà un moment, en 1996.
Nous avons alors décidé de lancer notre propre programme de surveillance de quartier. Si une voiture nous suivait, nous devions noter la marque, le numéro de la plaque, combien de personnes se trouvaient à l'intérieur et s'il y avait interaction; ces informations étaient transmises à la police. Pendant neuf mois, dans mes allées et venues entre la maison et le travail, je ne faisais que surveiller les voitures qui tournaient autour du pâté de maisons au moins trois fois. Il y avait des habitués qui étaient là à la semaine longue. Je me rappelle avoir tout noté sur Excel et avoir faxé mes données toutes les semaines au service de police.
Voici où la question des ressources entre en ligne de compte. Un mois environ après avoir commencé à faire de la surveillance, j'ai reçu un appel de la police qui me remerciait de ce que je faisais, mais devait me demander d'arrêter parce que mes envois consommaient trop de papier fax et que le service n'avait pas d'argent pour en acheter. J'utilisais tout son papier. Nous en gaspillons tous les jours du papier fax, mais on me demandait de ne pas essayer d'aider mon quartier à devenir plus sécuritaire parce que les ressources étaient insuffisantes. C'est une question de strict minimum, car il s'agit d'informations sur ce qui se passe dans la rue.
Par la suite, le groupe de travail a communiqué avec moi pour me dire qu'il fallait faire ce qu'on fait ailleurs, c'est-à-dire offrir un programme à l'intention des clients de la prostitution. Quand quelqu'un est arrêté ou intercepté, les criminels... Évidemment la prostitution n'est pas interdite—c'est la sollicitation—mais comment savoir ce que la personne va faire. On entend dire que des gens sont portés disparus ou trouvés morts. Il faut pouvoir protéger les gens qui circulent sur la rue et, s'ils font de la prostitution, il faut aussi les protéger.
Les programmes à l'intention des clients de la prostitution ont, je dois dire, été utiles dans le quartier; en effet, quand on a annoncé dans les journaux que ceux qui se faisaient arrêtés une première fois avaient la possibilité de s'inscrire à ce programme... Il n'y a pas eu beaucoup de récidivistes. Doug et Brian peuvent le dire. Je crois qu'il y en a eu un sur 180, ou à peu près. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais c'est minime.
C'est donc utile. C'est utile non seulement pour ceux qui veulent aider les prostituées à réintégrer la société, mais aussi pour ceux qui ont peur de circuler dans la rue. C'est une façon d'assurer la sécurité de tout le monde.
À (1025)
On a parlé des jeunes qui partent ou qui sont envoyés dans d'autres régions du pays et même du continent. Pourquoi ne pouvons-nous rien faire au sujet de l'absentéisme scolaire? Si la plupart de ces enfants—appelons-les des enfants—sont censés être à l'école, pourquoi ne pouvons-nous pas nous assurer qu'ils y sont? Si nous savons qu'ils sont à risque, occupons-nous de l'absentéisme. Quand j'étais jeune, je peux vous dire que si nous étions au magasin cinq minutes après le début de la classe, l'employé chargé de surveiller les présences venait nous chercher. C'est le genre de chose qu'il faut faire.
Évidemment les jeunes traînent dans les rues et rencontrent des éléments criminels. J'ai peur pour eux parce que je crois qu'il est très facile de se laisser entraîner dans ce milieu, surtout si on leur offre de la drogue ou encore des vêtements ou de l'attention, s'ils n'en ont pas à la maison. Ce sont des faits qui m'ont été racontés non seulement par d'anciennes prostituées mais aussi par des gens qui ont failli se laisser prendre.
Je voulais aussi dire qu'aujourd'hui la prostitution—et il y a plusieurs niveaux de prostitution—se passe beaucoup dans la clandestinité; il y a des services d'escorte. On ne voit pas beaucoup de prostituées sur la rue maintenant, mais—sans vouloir blesser personne dans le domaine—celles qui sont dans la rue, celles qu'on maltraite sont en grande partie porteuses du VIH, droguées et n'ont peut-être pas l'apparence voulue pour travailler dans les services d'escorte. Il faut se rappeler que la plupart des gens veulent assouvir leurs fantasmes ou leur dépendance auprès de quelqu'un qui a l'air assez convenable. Cela semble plutôt étrange, mais il faut en tenir compte. Il faut penser à ce qui arrive aux personnes qui sont malades, exclues et qui cherchent désespérément de l'argent pour se procurer de la drogue et des choses du genre. Nous avons besoin de plus de ressources pour mieux aider les gens.
J'aimerais aussi dire que je me suis adressée à plusieurs reprises aux participants du programme à l'intention des clients de la prostitution, et c'était à peu près comme ici, les gens sont assis et vous écoutent, et vous ne savez pas vraiment ce qu'ils vont penser de ce que vous dites à leur sujet, ni de ce que vous pensez de ce qu'ils ont fait et qui a eu une incidence sur votre vie.
Fait curieux, une des anciennes prostituées qui a aussi pris la parole dans le cadre de ce programme a grandi dans le même quartier que moi, à un pâté de maisons de chez moi. Nous avons fréquenté la même école et son père, tout comme le mien, était dans l'armée—la différence c'est que, moi, je n'ai pas été violée par mon oncle. Quand elle a fini par avouer cela à ses parents, ils l'ont chassée de la maison l'accusant de mentir. Elle s'est retrouvée dans un refuge pour femmes et elle a rencontré un homme qui lui disait qu'elle était belle et lui achetait de l'alcool, de la drogue et des vêtements. Peu de temps après, elle est déménagée chez lui. Oui, bien, elle est déménagée chez lui et sa femme. Elle vivait dans le sous-sol; elle a été battue et obligée de faire de la prostitution.
Quand on entend des histoires de ce genre... Ce sont les criminels qui sont intervenus là où nous sommes censés aider les gens, et ils sont emportés. Ils sont essentiellement tentés par ce que les jeunes veulent. J'espère donc que nous allons essayer de faire quelque chose. Si on veut modifier les lois sur le racolage, il faut commencer à protéger les jeunes pour ne pas les perdre.
Au sujet de la prostitution, je pense qu'il faut la légaliser. Je crois que les médecins doivent prendre soin des femmes. Il faut éliminer les intermédiaires—les proxénètes—et ceux qui sont des éléments criminels. On a réussi à le faire dans certains États américains, ainsi qu'en Hollande. Il faut avoir une carte santé. Les femmes sont bien mieux traitées et ne sont pas forcées d'aller dans la rue faire de l'argent pour quelqu'un d'autre. L'argent qu'elles gagnent en exerçant ce métier est à elles et elles sont traitées décemment, avec dignité.
Voilà ce que j'avais à dire. Merci.
Le président: Merci.
Nous allons maintenant entendre Laurie Ehler, de la Société Elizabeth Fry.
Mme Laurie Ehler (coordonnatrice administrative, Société Elizabeth Fry de Mainland, Nouvelle-Écosse): Je vais lire le document que j'ai préparé.
Je travaille pour la Société Elizabeth Fry, qui oeuvre auprès des femmes qui ont maille à partir avec le système de justice pénal et avec les femmes à risque dans la collectivité. Bon nombre de la clientèle de l'association nationale travaille dans le domaine de la prostitution.
Pour nous, la légalisation et la décriminalisation de la prostitution reviennent au même. Lorsqu'un État décriminalise tous les aspects de la prostitution, il doit établir des politiques et d'autres mécanismes pour contrôler la création et l'expansion des maisons closes, des boutiques érotiques, des clubs et des autres services sexuels, ce qui fait du gouvernement un nouveau proxénète. Ça devient alors une question d'affaires, de taxes et de croissance économique, comme nous l'avons vu dans d'autres pays, et on oublie la violence misogyne contre les femmes, le taux affreusement bas d'aide sociale et l'effilochage de notre filet de sécurité sociale nationale.
Dans bon nombre de pays, la légalisation et la décriminalisation de la prostitution ont donné lieu à l'autorisation de tous les aspects de l'industrie du sexe—les femmes elles-mêmes, les clients et les souteneurs qui, par la légalisation de leurs activités, sont transformés en gens d'affaires indépendants et en entrepreneurs du sexe légitimes. La légalisation et la décriminalisation de l'industrie du sexe convertissent également les bordels, les clubs de sexe, les studios de massage et autres sites où ont lieu des activités de prostitution en des endroits légitimes où le commerce sexuel est permis, sans trop de restrictions.
Le Code criminel actuel n'interdit pas la vente ni l'achat de services sexuels, mais bien la communication de la transaction. On continue de faire des criminelles de ces femmes qui s'adonnent à des activités de prostitution, alors que leurs clients sont souvent protégés sur le plan juridique et social et qu'ils ne sont pas tenus responsables de leurs actes.
Peu importe le statut juridique de la prostitution, nous croyons qu'il faut revendiquer la décriminalisation des femmes et des hommes qui travaillent dans l'industrie du sexe. Aucun être humain ne devrait être puni pour avoir été exploité. Toutefois, le Canada ne devrait pas décriminaliser les activités des proxénètes, des clients, des intermédiaires, des maisons closes et des autres établissements à caractère sexuel. Je dois souligner que bon nombre des prostitués de rue ne sont pas en faveur de la criminalisation de leurs clients puisque cela détruirait leur capacité de gagner de l'argent et de conserver leur indépendance économique.
En Suède, on comprend que toute société qui dit défendre au nom des femmes et des jeunes filles des principes d'égalité juridique, politique, économique et sociale doit rejeter l'idée selon laquelle les femmes et les enfants, particulièrement les filles, sont des marchandises qui peuvent être achetées, vendues et exploitées sexuellement par des hommes. Autrement, on instaure alors une classe séparée d'êtres humains de sexe féminin, particulièrement les femmes et les filles marginalisées sur le plan économique et racial, qui est exclue de ces mesures et qui ne jouit pas de la protection universelle de la dignité humaine enchâssée dans l'ensemble des principes internationaux concernant les droits de la personne.
En 2000, le ministère de la Justice des Pays-Bas s'est prononcé en faveur d'un quota légal pour les travailleurs du sexe. Pendant cette même année, le gouvernement néerlandais a accueilli une décision des tribunaux reconnaissant la prostitution comme une activité économique. Depuis la levée de l'interdiction des bordels aux Pays-Bas, huit organismes de soutien aux victimes ont signalé une augmentation du nombre de victimes du trafic de personnes, et 12 autres organisations de soutien ont indiqué que le nombre de victimes provenant d'autres pays n'avait pas diminué. Contrairement à l'argument selon lequel la légalisation et la décriminalisation de la prostitution permettraient de limiter l'expansion de l'industrie du sexe si le proxénétisme était légalisé et les bordels décriminalisés, l'industrie du sexe a plutôt connu, en 2000, une croissance de 25 p. 100 aux Pays-Bas.
Il a été rapporté que la légalisation de cette industrie dans de nombreux pays a ouvert la porte à une traite accrue de femmes et de jeunes filles. Non seulement la prostitution est-elle devenue un emploi à caractère sexuel et les proxénètes des entrepreneurs, mais le trafic de personnes est devenu une sorte de migration volontaire pour avoir un emploi à caractère sexuel. Les Pays-Bas ciblent les femmes pauvres dans l'industrie du sexe international pour remédier aux lacunes du marché libre. La prostitution est donc vue comme une option pour les pauvres. On estime qu'il y aurait de 45 000 à 50 000 femmes et enfants qui sont victimes du trafic de personnes aux États-Unis chaque année. Le Canada ne semble pas disposer encore de chiffres sur le nombre de femmes qui passent ses frontières et qui sont victimes de cette traite, mais l'expérience démontre que la légalisation ou la décriminalisation de la prostitution sous ses nombreuses formes ne fait qu'augmenter le problème du trafic des personnes.
Aux Pays-Bas, les femmes s'adonnant à la prostitution ont indiqué que la légalisation ou la décriminalisation de l'industrie du sexe n'enlève pas la stigmatisation associée à la prostitution. Puisqu'elles doivent s'inscrire et s'identifier, les femmes sont plus sujettes à être stigmatisées qu'auparavant. Par conséquent, la majorité des femmes prostituées continuent de travailler illégalement et s'enfoncent davantage dans la clandestinité. Certaines qui étaient initialement en faveur de la légalisation des maisons closes et des autres aspects de l'industrie du sexe—car cela devait libérer les femmes—constatent maintenant que la légalisation renforce en réalité l'oppression des femmes.
À (1030)
Dans de nombreux pays, des organisations de femmes disent que les prostituées devant travailler dans des saunas, par exemple, ont encore moins leur mot à dire quant aux services qu'elles doivent fournir. Dans la rue, très peu de femmes acceptent la pénétration anale et encore moins les relations sexuelles non protégées. Dans les saunas, toutefois, les propriétaires, qui ne veulent évidemment pas décevoir leurs clients, déterminent quels services ces femmes offriront et de quelle manière. Très souvent il s'agit de relations sexuelles anales, orales ou vaginales sans condom.
La réglementation stricte de l'industrie du sexe et sa décriminalisation ne sont pas une solution qui tient la route. En Australie, depuis la légalisation de la prostitution, le secteur de cette industrie ayant connu une réelle croissance est la prostitution illégale. Sur une période d'un an, de 1998 à 1999, le nombre de bordels sans permis à Victoria a triplé. En Nouvelle-Galles du Sud, où la tenue de maisons closes a été décriminalisée en 1995, le nombre de ces établissements avait triplé quatre ans plus tard à Sydney, et la majorité n'avait pas un permis d'exploitation ou de publicité. Le manque de ressources policières a favorisé le développement illégal de cette industrie. Les femmes se sont ainsi retrouvées sans aide et ont été obligées de continuer à endurer la brutalité de cette industrie.
Dans deux études, où 186 victimes d'exploitation sexuelle commerciale ont été interviewées, les femmes n'ont cessé de dire que les établissements de prostitution, légaux ou illégaux, ne faisaient presque rien pour les protéger. Une femme a même dit que les seules personnes protégées étaient les clients.
Dans une étude, 146 femmes et victimes du trafic de personnes ont été interrogées dans cinq pays. De ce nombre, 80 p. 100 ont subi de la violence physique de la part de souteneurs et de clients et ont dû endurer les multiples conséquences de la violence et de l'exploitation sexuelle sur leur santé, et ce, que ces femmes aient été des victimes de trafic à l'étranger ou des prostituées locales.
Un système de prostitution légale requiert souvent des examens de santé et des certificats, mais seulement pour les travailleurs, pas pour les clients. Sur le plan de la santé publique, il ne fait aucun sens d'exiger un examen de santé pour les travailleurs du sexe et pas pour les clients car la surveillance des prostituées ne les empêchera pas de contracter le VIH-sida ou une MTS.
Dans l'étude menée dans cinq pays sur le trafic de personnes à des fins sexuelles, la plupart des femmes interviewées ont clairement dit que la prostitution ne devrait pas être légalisée ni considérée comme un travail légitime et que la légalisation ne fera qu'accroître les risques de violence pour les femmes aux mains de clients et de proxénètes violents.
À l'échelle internationale, rien n'indique que la légalisation ou la décriminalisation de toute l'industrie du sexe améliore la situation des prostituées. Au contraire, on constate que la dégradation et l'exploitation des femmes ainsi que les mauvais traitements qui leur sont infligés persistent dans les industries du sexe cautionnées par l'État. La légalisation de cette industrie ne fait qu'embellir la réalité de la prostitution, rend légitime la violence et affaiblit la voix des femmes.
Au lieu d'abandonner les travailleuses du sexe à des régimes de prostitution approuvés par l'État, les lois devraient plutôt s'attaquer à l'instinct prédateur des gens qui exploitent et qui achètent des femmes et des hommes à des fins sexuelles. Au lieu de cautionner l'industrie du sexe, le Canada doit prendre des mesures pour condamner les personnes qui achètent des services sexuels, non pas celles qui les vendent. Les cours donnés aux clients ne se sont pas avérés un outil efficace pour plusieurs.
La Suède a rédigé une mesure législative qui tient compte du fait que sans demande, il n'y a pas d'offre. Allant au-delà du cadre répressif de la légalisation, la Suède reconnaît que la prostitution est une forme de violence masculine contre les femmes et les enfants et que, par conséquent, l'achat de services sexuels est un crime. Le projet de loi de la Suède sur la violence contre les femmes interdit et condamne l'achat de services sexuels. Ce projet de loi stipule que ce sont les personnes qui achètent des femmes et des hommes à des fins sexuelles qui doivent être tenus coupables et non ceux qui vendent ce service. La loi ne fait pas de différence entre les sexes et, comme nous l'avons mentionné plus tôt, fait partie intégrante de la stratégie globale de la Suède pour lutter contre la prostitution et le trafic de personnes.
L'initiative à l'origine de la criminalisation des consommateurs de services sexuels revient au mouvement des femmes de la Suède. Des féministes ont analysé la situation des femmes dans la société, y compris la façon dont les hommes utilisent les femmes et filles pour la prostitution. Partageant l'avis d'autres féministes dans le monde, elles sont arrivées à la conclusion que la prostitution n'était qu'un autre outil d'oppression patriarcale qui laissait ses empreintes sur les femmes et les filles contraintes à s'y adonner.
La prostitution de rue a diminué en Suède depuis l'adoption de cette loi, il y a trois ans. Le nombre de femmes prostituées a baissé de 50 p. 100, et 70 à 80 p. 100 des clients ne fréquentent plus les endroits publics à cette fin. De plus, un rapport suédois révèle que rien n'indique que les activités de prostitution sont passées à la clandestinité ou que la prostitution dans les clubs de sexe, dans les agences d'escorte et dans les maisons closes a augmenté. La police a aussi indiqué que la loi suédoise interdisant l'achat de services sexuels a eu un effet paralysant sur le trafic de personnes.
À (1035)
Pour terminer, nous croyons que le gouvernement devrait décriminaliser les travailleurs du sexe mais pas les autres aspects de l'industrie au lieu de chercher à profiter de cette industrie au moyen de taxes. N'encouragez pas les maisons closes, les quartiers de prostitution ou les établissements qui exploitent et briment davantage les femmes. Le gouvernement pourrait saisir les biens des entreprises de sexe, puis utiliser cet argent pour offrir de vraies options aux prostituées.
Les mesures visant à empêcher le trafic des personnes à des fins de prostitution ou à traîner en justice les responsables de ce trafic, les recruteurs, les proxénètes et les clients ne suffiront pas si le gouvernement n'investit pas dans l'avenir des femmes prostituées en leur offrant les moyens économiques d'améliorer leur vie.
À (1040)
Le président: Merci beaucoup.
Qui d'entre vous prendra la parole pour l'organisme Stepping Stone?
Mme Rene Ross (présidente, Stepping Stone): Je m'appelle Rene Ross et je suis la présidente de Stepping Stone. J'aimerais également présenter Daniel Roukema, qui est le vice-président de notre conseil d'administration, et Jeannine McNeil, notre merveilleuse directrice exécutive.
Nous sommes très heureux d'avoir une audience privée auprès du comité aujourd'hui. Nous essaierons donc de ne pas répéter ce que les autres ont dit. Nous sommes ici à cette séance publique pour répondre à vos questions et vous donner des éclaircissements ainsi que pour vous brosser un tableau de la réalité de la prostitution à Halifax. Nous savons que vous allez un peu partout au pays pour connaître l'opinion des gens, voilà pourquoi nous n'allons pas répéter ce que vous avez déjà entendu. Nous savons que nous avons affaire à un auditoire informé qui a déjà pris connaissance des avantages et des désavantages de la prostitution.
Je vais vous présenter notre organisme et j'aimerais commenter certains des points qui ont été soulevés par mes collègues.
Stepping Stone a été créé à la suite du meurtre de trois prostituées en 1985, à Halifax. Nous sommes situés dans le secteur nord de Halifax. En fait, nous sommes dans le district de Mme Sloane. Notre clientèle se compose de femmes et d'hommes qui sont, ou ont été, des travailleurs du sexe ainsi que des jeunes qui risquent de se retrouver dans le commerce du sexe. Stepping Stone est un organisme apolitique qui n'encourage pas la prostitution ni l'industrie du sexe. Nous reconnaissons la réalité sociale et économique dans laquelle vit notre clientèle cible, et nous ne visons pas à l'empêcher de travailler ou à lui faire cesser cette activité, mais plutôt à l'aider à faire des choix de vie lui permettant autant que possible d'assurer sa sécurité.
Un des principaux aspects de notre travail est notre programme d'aide dans la rue; nos employés, qui sont d'anciens utilisateurs du programme, se promènent dans la ville pour distribuer des seringues et des condoms et offrir des services d'aiguillage et des ressources à la collectivité. Ces divers efforts ont pour but, comme je l'ai dit, de permettre à notre clientèle de faire des choix de vie qui assurent le plus possible sa sécurité.
L'autre aspect de notre travail tourne autour du centre de jour, que vous avez visité ce matin. Il s'agit d'un refuge pour les travailleurs du sexe de la ville. Nous avons un ordinateur avec un accès Internet pour la recherche d'emplois. Nous offrons des services de consultation individuelle. De plus, nous avons des partenaires qui viennent au centre pour offrir des services de dépistage du VIH/sida et fournir aux gens diverses ressources.
Aujourd'hui, je dois parler au nom de 300 utilisateurs du programme, et ce n'est pas facile. C'est une lourde tâche que je prends très au sérieux. Ce qui me dérange, c'est la perception qu'ont les gens de la prostitution, c'est-à-dire que ces femmes et ces hommes n'ont pas choisi cette profession, qu'ils ne peuvent pas faire d'autres choix. Il ne s'agit pas uniquement de victimes de violence familiale, comme on l'a mentionné ce matin. Ces personnes n'ont pas toutes été abusées sexuellement dans leur enfance. Il y a des mères, des pères ou encore des étudiants qui fréquentent l'université.
Il y a une chose toutefois qu'ils ont tous en commun, c'est qu'à un moment ou à un autre pendant l'exercice de ce métier, ils ont été victimes de violence ou de harcèlement. Lorsque je parle de harcèlement, ce n'est pas de la part des clients, mais bien du service de police régional d'Halifax.
Avant d'aller plus loin, j'aimerais dire que le travail effectué par Brian Johnston et le groupe de travail sur la prostitution est digne d'éloges. Nous avons rencontré Brian et nous devons communiquer et collaborer plus régulièrement avec le service de police de Halifax, ce que nous nous efforçons de faire actuellement.
La semaine dernière, j'ai demandé à des utilisateurs du programme ce qu'ils pensaient du groupe de travail sur la prostitution et ils m'ont répondu que ce groupe les avait grandement aidés dans leur vie. D'un côté, vous avez une partie du service de police qui leur vient en aide et qui leur donne du soutien, et, d'un autre côté, il y a l'escouade de la moralité qui pose beaucoup de problèmes. Il y a quelques mois, une de nos clientes a été sauvagement battue. Elle est rentrée chez elle et a appelé la police. Un policier s'est présenté à sa porte. Lorsqu'il l'a vue, étant donné qu'elle est connue du milieu policier, il a téléphoné au poste pour dire qu'il ne s'agissait que d'une prostituée, puis il est reparti.
À (1045)
Les policiers les arrêtent dans la rue, mais parce qu'il est très difficile de les arrêter en vertu des dispositions relatives aux communications, ils les arrêtent pour de nombreuses infractions connexes. Il y a quelques mois, une utilisatrice de notre programme a reçu une amende de 400 $ pour avoir lancé un sac de croustilles sur le trottoir. Comment peut-elle payer cette amende? Je la cite : « Je dois me prostituer davantage pour pouvoir payer cette amende. » C'est un cercle vicieux. Ce qu'il faut, c'est travailler avec la police régionale d'Halifax à la prévention plutôt qu'à la réadaptation.
Je veux aussi commenter les propos de Mme Sloane. Notre bureau se trouve dans son quartier, et mon domicile s'y trouve également. Je comprends donc ce qu'elle dit. On est entré par infraction chez moi il y a quelques mois. C'est un quartier difficile. Il est également merveilleux, mais il a ses problèmes, comme de nombreux quartiers de la ville. Si on élimine les clients, on prive de revenu les travailleurs et les travailleuses de cette industrie. Si nous faisons cela, il faut assurer un autre revenu pour ces personnes.
Comme Cindy l'a déclaré plus tôt, l'aide sociale n'est pas suffisante pour ces hommes et ces femmes. Ils sont mieux rémunérés en faisant ce qu'ils font; il n'existe pas d'autres options pour eux. Les taux de pauvreté de la province sont extrêmement élevés. Un enfant sur cinq en Nouvelle-Écosse vit sous le seuil de la pauvreté. Il faut prendre ces faits en considération et trouver les raisons pour lesquelles des hommes et des femmes d'Halifax travaillent dans cette industrie. Nous refusons de dire que la plupart d'entre eux ont été enlevés ou forcés à travailler dans cette industrie. Une grande majorité d'entre eux sont des consommateurs de drogues, mais il est difficile pour nous de déterminer si la consommation est la cause. Sont-ils des utilisateurs de drogues qui sont entrés dans cette industrie pour pouvoir se payer leur dépendance ou ont-ils commencé à faire usage de drogues parce qu'ils sont entrés dans le monde de la prostitution? Ce qu'il est important de noter, c'est qu'une vaste majorité des utilisateurs de notre programme sont en réadaptation. Je le répète, d'anciens utilisateurs de notre programme sont à notre emploi. Nous sommes là pour leur donner des ressources. Nous pourrions vous citer de nombreux exemples de réussite. Nous avons été témoins de nombreuses réussites depuis la création de notre association.
Je vais m'arrêter ici. Je vous remercie encore une fois d'être venus. Au cours de la journée, j'espère que nous serons en mesure de traiter de tous les points et de répondre aux questions des membres du comité et de nos collègues.
Le président: Y a-t-il un représentant du Coverdale Centre qui n'a pas encore pris la parole? D'accord. Merci.
Madame Brunelle, la parole est à vous.
[Français]
Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Merci.
Ma première question s'adresse à M. Johnston. Je tiens d'abord à vous féliciter pour vos remarques sur la réinsertion des prostituées. Vous êtes le premier policier que je rencontre qui témoigne d'une telle ouverture d'esprit.
Vous nous avez parlé d'alourdir les peines des proxénètes et des clients. Vous êtes-vous déjà demandé jusqu'où on pourrait aller? À certains endroits, on a imposé des amendes aux clients. Pensez-vous à des peines plus sévères pour les proxénètes? Y avez-vous réfléchi?
À (1050)
[Traduction]
L'agent Brian Johnston: Je crois que, dans certains cas, la peine imposée ne correspond pas au crime commis. Les proxénètes sortent de prison après seulement un court séjour et ils retournent directement dans le même milieu.
Quant aux clients, je pense qu'une des provinces de l'Ouest a mis en place un programme qui prévoit la confiscation du véhicule du client et la publication de son nom après la deuxième infraction. Je sais qu'ici le nom des personnes dont c'est la première infraction n'est pas publié; c'est seulement après la seconde infraction qu'il l'est.
En raison de la nature du crime, les cours obligatoires pour clients de prostitués, à mon humble avis, ne devraient pas être une solution. Nous devons trouver qui sont ces personnes, et elles doivent être punies pour leur crime.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Par ailleurs, monsieur Johnston, des études nous montrent que les travailleuses du sexe sont peu enclines à porter plainte à la police lorsqu'elles sont victimes de violence, car on leur dit, semble-t-il, que ce sont les risques du métier. Croyez-vous que, si on décriminalisait la prostitution, cela pourrait améliorer les relations entre les policiers et les prostituées?
[Traduction]
L'agent Brian Johnston: Je dois encore répondre non; je ne crois pas que la décriminalisation soit une bonne idée. Je conviens que, dans certains cas, il faut faire comprendre aux agents de police que le métier qu'exerce la victime du crime importe peu, que c'est une victime et qu'il faut faire enquête sur le crime. Je crois que le problème, c'est que les agents de police ne comprennent pas entièrement... Je pense qu'ils doivent voir les travailleurs de rue comme des personnes d'abord et avant tout. Si un travailleur de rue révèle à un agent qu'il a été agressé, l'agent doit faire enquête, et, s'il trouve des preuves, des accusations doivent être portées contre l'auteur de l'agression.
Nous parlons de décriminaliser quelque chose qui ne constitue pas un acte criminel, mis à part la sollicitation dans un endroit public. J'attends encore que quelqu'un me convainque—cela ne s'est toujours pas produit—que la décriminalisation de la prostitution aura des avantages pour les travailleurs de rue. J'estime qu'ils seraient victimes des lois visant à décriminaliser ce qu'ils font.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Merci.
Madame Sloane, vous êtes conseillère municipale de la ville de Halifax. C'est bien cela?
À (1055)
[Traduction]
Mme Dawn Sloane: Oui.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Il y a 20 ans, lors de la Commission Fraser, on a parlé de permettre à des prostituées d'utiliser leur appartement à une, à deux ou à trois, en toute légalité, pour faire de la prostitution. Croyez-vous que c'est une pratique qui permettrait de réduire la prostitution de rue et d'offrir un peu plus de quiétude et de tranquillité aux citoyens? On s'est aperçu, à Montréal entre autres, que c'était un très grand problème pour la population et pour les résidants des quartiers concernés que de se trouver dans des milieux où il y avait beaucoup de prostitution. Pour vous, est-ce une solution acceptable? Pensez-vous que les mentalités en sont rendues là ici, à Halifax?
[Traduction]
Mme Dawn Sloane: Pour la population en général d'Halifax—et je dis bien la population en général—je dirais non. On en viendrait à étiqueter les maisons des prostituées, comme on le fait pour les domiciles des délinquants sexuels, c'est-à-dire que les gens diraient : « Voilà la maison d'une prostituée. » Je ne crois pas que c'est ce que souhaitent la plupart des femmes concernées. Je pense qu'elles préfèrent l'anonymat, et je ne les blâme pas. Nous voulons tous parfois disparaître de notre travail—c'est mon cas et je suis certaine que c'est le vôtre également—et il arrive que ce ne soit pas possible.
Je ne crois pas que d'étiqueter les domiciles des prostituées contribuera à améliorer quoi que ce soit. Où iront-elles chercher leurs clients? Elles devront encore aller quelque part pour obtenir des clients. Elles seront donc encore dans les environs, à la différence qu'elles retourneront chez elles—à moins qu'elles ne travaillent pour une agence d'escortes, ce qui est différent; mais quoi qu'il en soit, il est toujours question d'un certain type de groupe illégal.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Il ne s'agissait pas tout à fait de la résidence de la prostituée, mais d'un appartement qu'une prostituée ou deux pouvaient utiliser ensemble pour faire leur travail de prostitution. Plusieurs prostituées nous disaient qu'elles se sentaient en sécurité parce qu'elles savaient qu'elles n'étaient pas dans une maison étrangère et qu'il n'y avait personne de caché dans le placard. Ainsi, les prostituées ne craindraient pas d'être victimes de violence. Certaines prostituées nous disaient que c'était une solution. Elles ne souhaitaient certainement pas que ce soit dans leur maison, parce que plusieurs d'entre elles ont des enfants. Sans être une maison close, ce serait un appartement où il y aurait un nombre restreint de prostituées, une ou deux.
[Traduction]
Mme Dawn Sloane: Je vous remercie de cette précision. Je pensais qu'il s'agirait de leur propre domicile.
Cependant, il s'agit encore d'une maison de débauche. Je le répète, il faut penser à la propreté et à l'hygiène. Ce ne serait toujours pas une seule personne qui utiliserait les lieux, mais bien plusieurs. Cela me préoccuperait en tant que prostituée. Si j'étais une prostituée qui ne prend pas de drogue et que je faisais ce métier pour obtenir un revenu supplémentaire pour ma famille, je me demanderais qui d'autre a utilisé l'appartement. Il se pourrait que ce soit des amies, qui sont également des prostituées, mais cela ne signifie pas que l'endroit est propre.
À titre d'exemple, ma collectivité a été aux prises récemment avec un problème de punaises des lits. Il est vrai qu'il s'agit d'un problème différent, mais c'est le type de problème auquel je pense.
Où se trouveraient ces maisons de débauche? Seraient-elles situées dans un quartier chaud? Est-ce qu'il y en aurait dans chaque communauté? Il faudrait songer à cela. Je suis certaine que nous serions confrontés au syndrome « pas dans ma cour », comme c'est le cas à propos des stations d'épuration des eaux usées. Je ne dis pas qu'il s'agit de la même chose, mais je crains fort que c'est ce qui se produira.
Le président: Madame Davies, vous avez la parole.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Je vous remercie beaucoup d'être venus aujourd'hui. Je suis désolée d'avoir raté les réponses aux questions de Mme Brunelle.
Nous tenons des audiences un peu partout au pays. En fait, ce n'est que notre troisième jour sur la route, pour ainsi dire, mais nous avons entendu un grand nombre de témoins à Ottawa. La plupart des témoins semblent s'entendre pour dire que le statu quo ne va pas. Différentes opinions ont été émises à propos de ce que nous devrions faire, mais je crois que bien des gens sont d'avis que le statu quo, c'est-à-dire la loi et les ressources qui existent, est la source de divers problèmes. Différents points de vue ont été exprimés à propos de la décriminalisation, par exemple. Je ne crois pas que personne n'ait préconisé la légalisation de la prostitution. La plupart des gens semblent penser que nous devons éviter une certaine forme de réglementation de la part de l'État. Bon nombre de personnes ont évoqué l'idée de supprimer les articles du Code criminel concernant la prostitution, quoique certains aient aussi préconisé l'adoption du modèle suédois.
Nous nous sommes également entretenus avec de nombreux travailleurs du sexe à Toronto ainsi qu'à Montréal hier et nous discuterons avec d'autres au cours de nos prochains déplacements. Je crois qu'il est très important d'entendre leur point de vue, car leur voix n'est pas souvent entendue.
Je veux revenir sur les propos formulés par la représentante de la Société Elizabeth Fry.
Je me souviens qu'hier une des travailleuses du sexe nous a dit que la pire violence que les femmes vivent, c'est probablement celle qu'elles connaissent au sein de leur mariage, et pourtant, on ne pense pas à bannir le mariage.
Je crois que tout dépend de l'angle sous lequel on examine la question et des répercussions de la loi.
Je suis originaire de la région de l'est de Vancouver, qui englobe la partie est du centre-ville de Vancouver, là où des femmes ont été portées disparues et tuées. C'est une situation horrible. Je crois qu'un grand nombre d'entre nous en sont venus à la conclusion que la loi, particulièrement les dispositions relatives aux communications et aux maisons de débauche, contribue véritablement à accroître le risque et le danger auxquels sont confrontés les travailleurs du sexe, surtout dans la rue. Je suis en train d'en apprendre davantage à propos de ce qui se passe également ailleurs que dans la rue, c'est-à-dire dans les agences d'escortes.
Je voudrais connaître votre position à tous. Il est peut-être difficile pour les policiers de répondre, car votre travail est de faire appliquer la loi et pas nécessairement de parler de la façon dont elle devrait être modifiée. Quoi qu'il en soit, n'hésitez pas à dire si vous estimez que l'élimination des dispositions relatives aux communications, par exemple, ou de la disposition sur les maisons de débauche contribuerait à améliorer la situation.
Nous avons entendu à de nombreuses reprises que ces dispositions empêchent les femmes de porter plainte, car ce qu'elles font est essentiellement illégal, même si, comme vous l'avez fait remarquer, la prostitution en soi n'est pas illégale. En fait, certaines des pires histoires de violence que nous avons entendues concernaient des policiers. Il existe d'autres situations de violence, mais les femmes ont peur de les déclarer. Si vous êtes une prostituée, qui vous croira? Qui donnera suite à votre plainte?
Je me demande si l'élimination des dispositions relatives aux communications et aux maisons de débauche permettrait d'améliorer la situation et de nous concentrer davantage sur la coercition ou le danger.
Le problème, c'est que nous avons tendance à voir la situation d'une seule façon, c'est-à-dire que la prostitution est une mauvaise chose et que les personnes qui la pratiquent sont mauvaises aussi. Nous pensons uniquement à l'exploitation. Nous portons très peu attention au fait qu'il s'agit d'adultes consentants. Nous n'aimons peut-être pas ce qui se passe, mais c'est une question de choix. L'une des façons de déstigmatiser un peu la prostitution est peut-être de supprimer les dispositions en question.
Á (1100)
J'aimerais savoir si vous êtes en faveur de cela et ce qui devrait être fait, selon vous. Serait-il suffisant de supprimer ces dispositions ou devrions-nous aussi mettre en place certaines mesures pour créer un meilleur milieu? Les municipalités devraient-elles adopter des règlements, par exemple?
J'aimerais connaître votre point de vue là-dessus. J'aimerais savoir si vous avez des commentaires.
L'agent Brian Johnston: Les lois sur le racolage existent pour une raison, c'est-à-dire pour que les travailleurs du sexe ne puissent pas s'installer à côté d'une école primaire ou secondaire, par exemple, ou dans une zone résidentielle. Je le répète, je ne vois pas comment l'élimination de ces dispositions va améliorer la sécurité des travailleurs de rue.
Même si nous établissons des maisons de débauche, il demeure que la victime est la personne qui travaille dans cette maison. Ce n'est pas elle qui reçoit l'argent. C'est quelqu'un d'autre. Ce n'est peut-être pas le proxénète que vous voyez défiler dans la rue dans sa voiture et ses vêtements flamboyants, mais c'est tout de même quelqu'un d'autre.
Á (1105)
Mme Libby Davies: Où les travailleurs devraient-ils aller, alors? Si la prostitution n'est pas illégale, alors vos propos ne sont-ils pas contradictoires et hypocrites? Vous dites que la prostitution n'est pas illégale, mais il ne peut pas y avoir de communications ni de maisons de débauche...
L'agent Brian Johnston: Les communications ne doivent pas avoir lieu en public. Si vous rencontrez quelqu'un dans un bar et que vous allez ensuite à sa chambre d'hôtel, ce qui s'y passera aura lieu en privé. Ce que vous faites en privé vous regarde.
Mme Libby Davies: Qu'arrive-t-il si vous allez chez vous...?
L'agent Brian Johnston: Si vous faites cela à répétition et que vous amenez des clients chez vous, alors votre domicile devient une maison de débauche d'après la loi, si vous êtes aussi rémunéré.
Il faudrait étudier les dispositions en profondeur avant d'envisager de les modifier en vue de protéger un groupe en particulier, car je ne crois pas que nous protégerons ce groupe en modifiant les dispositions en question.
Mme Libby Davies: D'accord, je vais poser ma question autrement. Est-ce que les dispositions relatives aux communications protègent les femmes?
L'agent Brian Johnston: Ces dispositions ne visent pas à protéger qui que ce soit. Elles visent à faire en sorte que la pratique n'ait pas lieu en public.
Mme Libby Davies: Mais elle a lieu en public.
L'agent Brian Johnston: Et lorsque c'est le cas, des accusations sont portées contre les personnes concernées.
Mme Libby Davies: D'accord, alors comment est-ce que cela aide les travailleuses de rue? Tout ce que j'ai entendu dire, c'est que ces dispositions forcent les femmes à prendre des décisions terriblement imprudentes comme celle de monter dans le véhicule d'un homme pour se retrouver dans un endroit où il y a peu de chance qu'elle trouve du soutien ou de l'aide. Les dispositions relatives aux communications ont été établies pour contrer ce que l'on perçoit comme étant une nuisance, n'est-ce pas?
L'agent Brian Johnston: Oui.
Mme Libby Davies: Ne vaut-il pas mieux alors s'efforcer de retirer la prostitution de la rue et d'offrir des endroits où ce type d'activité peut avoir lieu? Le coeur du problème, il me semble, c'est que nos actions sont contradictoires. Nous pouvons dire que les dispositions ont été conçues pour protéger les femmes, pour cesser l'exploitation, pour contrer une nuisance publique, mais les répercussions... Premièrement, est-ce que les communautés locales sont protégées? Je ne crois pas. Les travailleuses de rue sont-elles protégées? Je ne crois pas. Elles courent un grand risque. Quelque chose doit donc changer. Qu'est-ce que ce doit être?
L'agent Brian Johnston: Si vous demandez aux femmes, en particulier, et aux jeunes enfants qui habitent dans les quartiers où il y a du racolage s'ils estiment être protégés par les dispositions, ils vous répondront sûrement : « Oui, parce que cela ne se produit pas dans mon quartier. »
De deux choses l'une, monsieur tout-le-monde deviendra le proxénète ou c'est le gouvernement qui le deviendra par l'entremise de la réglementation. Quoi qu'il en soit, les travailleurs de rue continueront d'être les victimes.
Mme Libby Davies: Nos témoins d'hier nous ont beaucoup parlé de la notion de proxénète et du rôle que peut jouer celui-ci, qui est parfois aussi le conjoint. C'est une question très complexe. Tout n'est pas aussi noir ou blanc qu'on veut bien le dire; c'est beaucoup plus compliqué que cela. On nous a décrit des situations dans lesquelles le conjoint pourrait être accusé de vivre du fruit de la prostitution parce que la personne qui se prostitue paie la moitié du loyer notamment. Nous disposons de mécanismes juridiques très simples pour régler ce genre de problèmes, mais cela semble avoir des incidences très marquées et très complexes.
Je ne sais pas, peut-être que j'en demande trop, mais j'aimerais que les services de police puissent prendre conscience de ces contradictions. Mais ce n'est pas nécessairement à vous de le faire. C'est notre travail à nous, je suppose.
Á (1110)
L'agent Brian Johnston: Il faut qu'il y ait situation d'abus pour qu'on détermine qu'une personne vit du fruit de la prostitution. Il n'y a pas situation d'abus simplement parce que le conjoint paie la moitié du loyer...
Mme Libby Davies: Nous avons été mis au fait de nombreux cas où des personnes se sentent vraiment tout à fait vulnérables car, si elles portent plainte, elles tombent sous le coup des dispositions juridiques touchant les maisons de débauche, l'incitation, etc. Peut-être existe-t-il un certain pouvoir discrétionnaire pouvant varier d'un agent à l'autre.
L'agent Doug MacKinnon: Non, c'est aux tribunaux de trancher.
Mme Libby Davies: Pour ce qui est des interventions que la police décide de faire et de l'intensité avec laquelle elle va s'en prendre à quelqu'un...
Mme Dawn Sloane: Cela relève aussi des tribunaux.
L'agent Doug MacKinnon: S'il n'y a pas situation d'abus, nous perdons notre temps à saisir les tribunaux de la situation, car nous savons très bien que nous serons déboutés.
Mme Libby Davies: Mais les services de police jouent un rôle très important dans la vie des personnes qui se prostituent quant à la façon dont elles sont... je pourrais utiliser le terme « harcelées », ou dont elles sont ciblées, suivies et connues de la police. C'est un fait qui n'échappe à personne. Les services de police ont donc un rôle crucial à jouer à ce chapitre de même que pour ce qui est de déterminer la façon dont la loi sera appliquée.
Il est bien vrai qu'au bout du compte, ce sont les tribunaux qui vont trancher, mais les policiers sont les premiers intervenants auprès de ces personnes et influent grandement sur les liens qu'elles établissent avec les forces de l'ordre.
Le président: Merci, madame Davies.
J'allais demander si quelqu'un d'autre voulait intervenir et je vois que Dawn Sloane a le doigt levé, tout comme Rene.
Mme Dawn Sloane: Je voulais juste préciser que cela relève vraiment des tribunaux. Nous sommes au fait de nombreuses activités à différents degrés de criminalité. J'en ai été témoin à Halifax. Nous savions que certaines personnes avaient commis des crimes, mais comme nous n'avions pas de preuve, nous étions conscients que les tribunaux ne pourraient rien faire si nous leur soumettions ces dossiers. On en vient à se dire qu'en l'absence d'éléments suffisants, il ne sert à rien de faire appel aux tribunaux.
J'ai l'impression—et c'est là mon opinion personnelle—que les tribunaux nous font tellement la vie dure que les gens renoncent à y avoir recours. C'est la même chose pour plusieurs activités criminelles, de l'introduction par effraction jusqu'à l'incendie criminel. Il y a quelques années, une femme avait provoqué 150 incendies, mais chaque fois qu'on cherchait à faire quelque chose, la loi était là pour protéger la pyromane, plutôt que ses victimes.
Je pense que nous devons nous pencher sur le fonctionnement de nos tribunaux. Je vais vous le dire le plus délicatement possible : je crois qu'ils manquent de couilles. J'estime que nous en sommes arrivés à un point où nous ne savons plus ce qui constitue un crime ou non. C'est devenu une grande source de frustration—et je vous le dis en ma qualité de conseillère municipale. C'est frustrant lorsque j'appelle les services de police pour leur demander de m'aider dans un dossier et qu'on me répond que si l'affaire est portée devant le tribunal, les suspects vont s'en tirer. Ils vont n'écoper que de deux semaines, ou vont être de retour dans la rue dans cinq minutes. Selon moi, ce n'est pas la façon dont nous devrions faire les choses au Canada. Nous devrions assurer la protection de ceux que nous pouvons protéger et la seule façon d'y parvenir est de modifier nos lois de telle sorte que les gens se sentent à nouveau en sécurité, parce que ce n'est pas le cas actuellement.
Il y a une bande de jeunes qui vient de poignarder quelqu'un et tout le monde dit : « Eh bien, vous savez, si nous les poursuivons en justice [...] nous savons qui ils sont, mais il ne sert à rien de pousser l'affaire trop loin parce qu'ils vont sans doute s'en tirer avec une peine mineure. » À mon sens, c'est une insulte à l'intelligence de tout le monde et ce n'est certainement pas cela qui va aider nos écoles et nos enfants. Cela ne va assurément pas aider non plus ceux et celles qui pratiquent un métier comme celui-là, pas plus que tous ceux qui veulent simplement être de bons citoyens respectant les lois. Il nous faut modifier les lois à partir de la base, c'est-à-dire du système judiciaire.
Mme Libby Davies: Mais dans le cas qui nous intéresse, vous seriez d'accord avec la légalisation, si je vous ai bien comprise.
Mme Dawn Sloane: Oui, et c'est parce que j'estime que la santé des femmes serait ainsi mieux protégée. Je ne suis vraiment pas une experte en la matière, mais j'ai l'impression que les gens qui travaillent dans l'industrie du sexe ne peuvent pas vraiment profiter des services du système de santé. Ces personnes n'ont pas d'assurance-maladie. Elles peuvent contracter une infection—une infection à levure ou quelque chose de ce genre—sans pouvoir obtenir l'aide dont elles ont besoin. C'est ce qui me préoccupe vraiment.
En tant que femme, je sais pertinemment que notre corps n'est pas à l'abri de certaines défaillances dont il faut s'occuper, et si une femme n'a pas accès au système de santé, et si elle n'est pas en mesure d'obtenir l'aide supplémentaire dont elle a besoin, par exemple, si elle n'a pas l'argent nécessaire pour aller voir un médecin et obtenir une prescription et la faire remplir... certaines de ces prescriptions sont très dispendieuses. Ainsi, la femme qui se retrouve avec une infection à levure doit tout de même descendre dans la rue pour amasser l'argent nécessaire pour payer ses médicaments, parce que personne ne le fera à sa place. Son proxénète n'offre pas l'assurance-maladie.
Á (1115)
Le président: Madame Ross, vous vouliez intervenir?
Mme Rene Ross: Je vais laisser la parole à Jeannine.
Mme Jeannine McNeil (directrice exécutive, Stepping Stone): Je suis heureuse que vous souleviez la question, parce que les travailleurs du sexe sont reconnus pour leur souci de la sécurité. En fait, les travailleuses et travailleurs auprès desquels nous intervenons ont des pratiques sexuelles sans risque.
En outre, nous allons parler cet après-midi de l'accroissement des services de Stepping Stone et des autres organismes qui interviennent auprès des travailleurs du sexe. Si nous voulons le faire, c'est parce que nous offrons... Vous avez raison; bon nombre de ces travailleurs n'ont pas accès aux soins de santé, mais nous les aidons à ce chapitre. Des infirmières praticiennes et des intervenants en matière de santé viennent jusqu'à eux pour qu'ils n'aient pas à aller visiter un médecin, parce qu'il est souvent stigmatisant pour eux de le faire.
Selon moi, si ces personnes ne sont plus en sécurité dans les rues, c'est parce qu'elles doivent se disperser. Je crois que la Loi sur le racolage, dans sa forme actuelle, oblige ces hommes et ces femmes à se séparer. Ils ne peuvent plus ainsi veiller les uns sur les autres. Ils ne peuvent plus noter les numéros d'immatriculation. Ils ne peuvent plus enregistrer des renseignements permettant l'identification. Comme Dawn Sloane l'a mentionné, ces personnes travaillent dans la clandestinité mais, dans les faits, elles sont encore sur la rue. Vous ne les voyez pas beaucoup parce qu'elles ne souhaitent pas être vues, car elles ne veulent pas être arrêtées. Alors, ces personnes ne sont plus ensemble; elles travaillent séparément, et cela augmente certes les risques de violence.
Mme Rene Ross: Vos commentaires vont dans le sens de l'intervention que j'allais faire, Jeannine. J'aimerais vous parler brièvement du fait que cela se passe vraiment, comme quelqu'un l'a dit tout à l'heure, dans ma cour. Selon les recherches effectuées, d'après nos statistiques et à la lumière de ce que nous entendons directement dans la rue, l'industrie du sexe étend ses ramifications dans toute la ville de Halifax, et nous avons certes le budget de transport pour en témoigner.
Voici ce qui se produit. Il y a quelques années, il existait davantage de parcours connus de tous. Lorsque j'ai déménagé en provenance de ma petite ville, je savais déjà que Hollis Street était l'une de ces rues, même si je n'avais jamais vécu à Halifax. En raison de la criminalisation, les choses se passent maintenant de façon plus clandestine et la prostitution se répand partout dans la ville.
La situation s'explique aussi par les ententes que bon nombre de prostituées signent avec la police pour garantir qu'on ne les retrouvera pas dans certains secteurs; si on les arrête dans ces secteurs, elles vont directement en prison. Elles vont donc travailler ailleurs, à Dartmouth et dans d'autres districts, et même dans des zones de banlieue. J'ai reçu de nombreux appels et parlé à beaucoup de membres d'associations de voisinage qui m'ont dit : « Rene, pourquoi y a-t-il des prostituées devant chez moi? Pourquoi sont-elles là? Qu'est-ce qui se passe? Il y en a partout en ville ». Il est bien évident que les gens de ces communautés n'en savent pas suffisamment au sujet de cette réalité, ce qui est une autre importante justification pour nos efforts en ce sens; nous voulons sensibiliser les gens et façonner l'opinion publique.
Nous croyons que la décriminalisation aurait aussi pour effet de sortir bon nombre de travailleurs du sexe de leur isolement de telle sorte que nous serions mieux en mesure de les atteindre. Non seulement cela permettrait de mieux assurer la sécurité de ces travailleurs, mais aussi la nôtre. À une certaine époque, nous pouvions sortir et faire bon nombre de nos tournées à pied. Nous ne pouvons plus le faire, parce que tout se passe maintenant dans la clandestinité et dans des endroits sombres et isolés. Nous devons à nouveau—comme je l'ai déjà mentionné, nous avons un budget de transport pour assurer la sécurité de nos employés—utiliser des véhicules pour parcourir la ville. En outre—comme je m'y attendais, et sur une note quelque peu différente—on parle beaucoup du VIH/sida.
J'aimerais préciser que, selon une recherche portant sur les travailleurs du sexe dans le Canada atlantique, ce ne sont pas eux qui transmettent la maladie. En fait, ce sont les clients et la population en général qui présentent les plus grands risques de transmission. J'en profite pour répéter ce que Jeannine vous a dit : la vaste majorité des utilisateurs de nos programmes ont des pratiques sexuelles sans risque.
Je voulais simplement apporter ces quelques éclaircissements. Merci.
Le président: Quelqu'un d'autre veut intervenir? Peut-être pourrais-je moi-même poser quelques questions étant donné que certains de nos membres sont partis.
Madame Sloane, vous avez parlé des écoles pour clients et indiqué que sur 124 participants, il n'y avait eu qu'un ou deux récidivistes. Est-ce bien cela?
Á (1120)
Mme Dawn Sloane: À peu près cela, effectivement.
Le président: Brian Johnston a indiqué...
L'agent Brian Johnston: Il y a probablement plus de 500 hommes qui ont participé à ce programme et de ce nombre, seulement trois ont récidivé.
Le président: Je serais d'avis que c'est un très bon résultat. C'est mieux que ce que nous disait Dawn. Vous seriez favorable à des peines plus sévères pour les clients?
L'agent Brian Johnston: Tout à fait.
Le président: On parle des cas de récidive.
Mme Dawn Sloane: Oui. Je pense qu'on devrait saisir leur voiture. Je crois que la première chose à faire—et je vous fais part ici bien sûr de mon opinion personnelle—lorsque les gens sont témoins de ce genre de comportement avec un véhicule, c'est-à-dire plusieurs tours d'un pâté de maisons ou des agissements semblables, ils devraient prendre en note le numéro d'immatriculation et envoyer une lettre au domicile du propriétaire. Cela ne manquerait certainement pas d'ouvrir les yeux à quelques épouses, n'est-ce pas, et il est bien certain que cela causerait certaines frictions à la maison. Peut-être que monsieur serait plus enclin à garder son petit ami dans son pantalon. De toute façon, c'est mon opinion.
M. Daniel Roukema (vice-président, Stepping Stone): Puis-je me permettre d'ajouter seulement un commentaire à ce sujet? Je suis d'accord avec ce qu'a dit la conseillère Stone ainsi qu'avec le service de police de Halifax.
Je crois qu'il est important d'insister également sur le fait qu'au Canada, une personne est innocente jusqu'à preuve du contraire. Je passe mon temps à faire le tour de pâtés de maisons. La moitié du temps, parce que je suis perdu, l'autre moitié, parce que je m'ennuie. Je n'ai jamais sollicité de prostituées. Vous ne pouvez pas présumer qu'une personne va causer des ennuis et enfreindre la loi simplement parce qu'elle fait le tour d'un pâté de maisons.
Mme Dawn Sloane: Seulement si c'est chronique—je ne parle pas d'une personne qui fait le tour deux fois dans la même journée parce qu'elle est perdue et qui trouve finalement son chemin. Je parle d'un comportement chronique. Je me souviens encore du numéro d'immatriculation d'une personne qui faisait le tour de mon pâté de maisons chaque soir, quatre fois par soir. C'est ce dont je parle—un comportement répété. Mais bien sûr que je ne m'en prendrais pas à vous, Daniel. Je parle de quelqu'un qui a l'impression que... Je suis désolée, mais je suis un peu curieuse. Mes fenêtres sont ouvertes. Je regarde toutes les voitures qui passent devant. Ma rue est à sens unique. Si vous faites partie d'un groupe de surveillance du voisinage, c'est ce que vous faites. Si le sort de votre communauté vous tient à coeur, vous allez prendre des risques et intervenir.
Le président: Brian.
L'agent Brian Johnston: Il ne suffit pas qu'une personne fasse le tour d'un pâté de maisons trois ou quatre fois pour qu'on note son numéro d'immatriculation et qu'on envoie une lettre à sa résidence. D'une certaine façon, il faut qu'elle aborde une personne se livrant à la prostitution et qu'elle ait une conversation avec cette personne pour que son numéro de plaque soit pris en note. Nous ne consignons pas au hasard les numéros d'immatriculation des personnes qui font le tour d'un carré. Il faut que quelqu'un d'autre confirme avoir vu le numéro d'immatriculation en question et l'activité de sollicitation pour qu'une lettre soit envoyée au domicile du propriétaire du véhicule.
Le président: Madame McNeil.
Mme Jeannine McNeil: Je voulais seulement dire que je ne suis pas nécessairement d'accord avec cette pratique de noter les numéros d'immatriculation des clients. Je parle au nom des travailleurs du sexe qui utilisent notre programme parce que c'est une situation dont ils sont témoins jour après jour. Les gens très visibles qui se font arrêter ne sont habituellement pas ceux qui leur causent des difficultés. Les problèmes viennent des contrevenants violents que l'on ne voit pas, ceux-là même que la police ne réussit pas à attraper. C'est justement parce qu'il s'agit de contrevenants. Ils sont violents. Ils ne veulent pas être arrêtés. Ils se dissimulent. Ce sont eux qui battent les femmes et qui les violent.
Bon nombre des clients des prostituées, leurs clients réguliers, sont bons pour elles. Ils les paient. Ils en prennent soin. Comme ils ne leur font pas subir de mauvais traitements, les prostituées ne souhaitent pas les voir arrêter. Je suis consciente que c'est illégal. Par ailleurs, il s'agit des personnes avec lesquelles elles entretiennent de bonnes relations. Je crois vraiment qu'il faut cibler davantage les contrevenants violents, c'est-à-dire ceux-là même qui violent les prostituées, ainsi que la population en général. À mon avis, c'est là que nous devrions concentrer nos efforts.
Le président: Madame Ross.
Mme Rene Ross: Très brièvement, j'aimerais poursuivre dans le même sens. Supposons que demain, il n'y a plus aucun client dans les rues. Nous les avons tous retirés de la circulation. Peu importe comment nous nous y sommes pris, il n'y en a plus. Qu'est-ce qui se passe? Qu'advient-il des femmes qui en ont fait leur profession et leur source de revenu? Que vont-elles faire? Comment vont-elles nourrir leurs familles? Comment vont-elles pouvoir s'acheter des vêtements? Cela ne ferait qu'enliser davantage dans la pauvreté une population déjà marginalisée.
Que ferions-nous de toutes ces personnes qui seraient ainsi devenues des sans-abri? Il faut vraiment bien y réfléchir. C'est très facile de jouer les matamores et de dire que nous allons nous débarrasser de tous les clients; que nous allons éliminer tous les souteneurs. Il faut voir plus loin que la seule portée de nos discussions d'aujourd'hui et se demander quelles autres ressources sont disponibles au sein de nos communautés. Il faut penser à l'aide sociale. Il faut songer au manque de nourriture dans la province. On doit tenir compte des taux de pauvreté. Si vous voulez mettre fin à une activité—j'en parlais d'ailleurs avec Daniel l'autre jour—il faut prévoir quelque chose pour la remplacer. Vous ne pouvez pas simplement priver ces hommes et ces femmes de cette ressource et les laisser s'organiser pour survivre.
C'est tout ce que j'avais à dire.
Á (1125)
Le président: Autre chose qui nous a été dite : si vous commettez une infraction, vous pouvez demander une réhabilitation après trois ou cinq ans, selon la nature de l'infraction, et cette dernière est effacée du CIPC. Une travailleuse de la rue nous a dit que malgré cela, le service de police local avait toujours son propre fichier, qui empêchait... Encore une fois, on remettait en question une éventuelle stratégie de sortie. Cette personne a affirmé que c'était l'un des facteurs qui l'empêchaient de quitter le métier : elle ne pouvait obtenir un emploi parce qu'elle a un dossier criminel. Même si elle n'en a pas, les services policiers ont toujours ce fichier, et elle doit se rapporter à eux également.
Est-ce que cette situation existe à Halifax également?
L'agent Doug MacKinnon: La communication est une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité; il n'y a ni photo, ni empreinte digitale, ni dossier criminel. Si vous entrez le nom d'une personne qui a été reconnue coupable en application de l'article 213, vous ne trouverez aucun dossier criminel. Des déclarations de culpabilité peuvent avoir été prononcées, mais aucun dossier criminel n'est créé par suite de cette infraction. La personne doit avoir commis un acte criminel ou une infraction mixte.
Le président: Une infraction mixte.
Mme Dawn Sloane: Il y a une autre chose, dont m'a parlé une ancienne prostituée. Même si elle quitte le métier et se trouve un emploi, comment peut-elle être certaine qu'un de ses clients ou une autre personne qui l'a connue dans ce contexte n'arrivera pas à son lieu de travail pour la mettre dans l'embarras?
Le président: C'est probablement la réalité. Je ne sais pas.
Mme Dawn Sloane: Oui. Et c'est ce que m'a raconté cette personne. Elle avait quitté le métier et essayait d'améliorer sa situation. Elle allait à l'école et faisait tout pour s'en sortir. Elle avait un emploi à temps partiel comme supplément de revenu. Un homme est arrivé à son travail, l'a regardée et lui a dit « Est-ce que je ne t'ai pas prise une fois »—ce genre de chose—; elle était mortifiée et a quitté son emploi ce soir-là.
Nous devons donc réfléchir à la façon de les protéger quand nous pouvons effectivement les aider à faire un autre métier ou à retourner aux études.
Le président: Mes sept minutes sont écoulées.
Madame Brunelle.
Excusez-moi, avant de poursuivre, y avait-il une autre réponse?
Mme Rene Ross: Je voulais ajouter très brièvement que lorsqu'une femme retourne sur le marché du travail, elle doit recevoir un salaire égal pour un travail égal. Je lis ici que plus de 60 p. 100 des femmes au Canada atlantique touchent un revenu annuel de moins de 13 786 $.
Un grand nombre de femmes font plus d'argent dans le métier que si elles occupaient des emplois pour lesquels elles sont qualifiées, qui sont des emplois au salaire minimum. Il faut donc regarder plus loin et fournir d'autres ressources à ces hommes et à ces femmes.
Merci.
Le président: Merci.
Madame McNeil.
Mme Jeannine McNeil: Je voulais également ajouter ce que me disent les travailleurs de l'industrie du sexe, hommes et femmes : une fois que vous êtes prostitué, vous l'êtes pour toujours et vous ne pouvez y échapper. Ce n'est pas seulement les ex-prostitués; même lorsqu'ils s'en vont à la maison pour être avec leurs enfants et qu'ils vont à l'épicerie avec leurs enfants, on les identifient toujours comme des prostitués. Je crois que c'est là une partie du problème, le fait que ces personnes sont souvent arrêtées même si elles ne sont pas en train de travailler, parce qu'elles sont connues dans la collectivité, en particulier dans une petite collectivité comme Halifax.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Ma question s'adresse à Mme Ross. Vous avez dit tout à l'heure quelque chose de différent. On sait qu'il y a un lien important entre la pauvreté et la prostitution. Vous nous dites que, si une prostituée se fait imposer une amende de 200 $, elle devra retourner dans la rue pour pouvoir payer cette amende. Ce n'est donc pas une solution, et on devrait plutôt penser à des mesures de prévention en amont. Avez-vous pensé à certaines de ces mesures? Pouvez-vous m'expliquer un peu mieux ce qu'on pourrait faire, à part lutter contre la pauvreté de façon globale et faire le travail des travailleurs sociaux?
Á (1130)
[Traduction]
Mme Rene Ross: Vous avez raison, j'ai beaucoup parlé de pauvreté, mais ce ne doit pas être notre priorité. C'est vrai que, parmi les utilisateurs de notre programme, un grand nombre ont commencé à se prostituer pour cette raison, mais ce n'est pas le cas pour tous les travailleurs du sexe de la ville. Comme je l'ai dit plus tôt, bon nombre d'étudiants se prostituent pour payer leurs droits de scolarité. Toutefois, la pauvreté est le principal facteur.
Lorsque je parle de mesures de prévention, je parle aussi du soutien des autres organismes, non seulement du nôtre, mais aussi de la police régionale de Halifax. En fait—et Mme Davies pourrait peut-être le clarifier pour moi—, j'ai lu que les services policiers de Vancouver travaillent à l'occasion avec les travailleurs du sexe et les aident, par exemple, en matière d'auto-défense et de prévention de la violence. J'ai lu qu'une organisation apparentée à la nôtre travaille dans cette région avec la police. Par exemple, les agents de police vont les voir et leur disent « voici comment identifier un mauvais client; lorsqu'il baisse son pantalon, faites en sorte qu'il ne tombe pas trop bas. S'il vous attaque dans la voiture, vous pourrez vous enfuir tandis que lui, il va trébucher ou tomber ». C'est ce genre de choses que nous aimerions faire pour prévenir la violence.
Nous devons offrir plus de programmes sociaux en Nouvelle-Écosse et nous devons aider davantage les femmes et leur famille. Les femmes en Nouvelle-Écosse continuent d'être marginalisées, non seulement les travailleuses de l'industrie du sexe, mais les femmes en général, et leurs enfants. Nous devons donc travailler en collaboration avec d'autres organismes comme le nôtre sur la scène municipale, mais également aux niveaux provincial et fédéral.
Le président: Madame Ehler.
Mme Laurie Ehler: Les établissements fédéraux ont aussi mis en place des stratégies d'emploi qui permettent aux femmes d'obtenir une formation dans des métiers non traditionnels; elles peuvent ainsi travailler dans des métiers de la construction ou d'autres où leur dossier criminel ne les empêche pas d'obtenir un emploi. À mon avis, il faut sortir des sentiers battus et voir ce à quoi doivent ressembler ces programmes et les offrir gratuitement aux femmes, pour qu'elles puissent soutenir leur famille d'une meilleure façon.
J'appuie sans réserve ce que mes collègues de Stepping Stone ont dit. C'est une question d'oppression, et la pauvreté va bien au-delà du problème de prostitution. Je suis en faveur du retrait des lois qui interdisent la communication, parce qu'il faut permettre aux femmes d'évaluer la situation sans embarquer dans un véhicule et se retrouver dans une situation très dangereuse.
J'espère que nous sortirons des sentiers battus et que nous essayerons de trouver des solutions comme celles que d'autres pays ont instaurées avec succès.
Le président: Monsieur Johnston.
L'agent Brian Johnston: Je ne sais pas d'où viennent ces données sur les services de police qui ont été mentionnés. Nous n'avons jamais entendu dire que des services de police partageaient des ressources de la sorte avec des prostituées.
Toutefois, je sais que la police régionale de Halifax participe à un programme d'éducation sur la prostitution. Nous avons réussi à réhabiliter et à recycler un certain nombre d'anciens travailleurs de la rue pour qu'ils puissent retourner à l'école, obtenir des certificats, suivre des cours pour pouvoir réintégrer le marché du travail et faire quelque chose de leur vie.
Je ne crois pas qu'il soit juste de dire que les services de police ne s'occupent pas de la réhabilitation des ex-travailleurs de la rue. Nous nous en occupons.
Il faut comprendre également qu'il existe des lois et que les policiers doivent faire appliquer ces lois. C'est aussi simple que cela. Si les lois n'existaient pas, nous n'aurions pas à les faire appliquer. Parce qu'elles existent et que nous recevons des plaintes, alors les lois doivent être appliquées. Nous faisons autant que n'importe qui pour essayer de réhabiliter ces travailleurs de la rue et faire d'eux des citoyens productifs.
Or, il s'avère que le métier qu'ils préfèrent pratiquer est dangereux pour eux. C'est pourquoi nous, les agents de police, nous essayons de les convaincre de faire un autre métier, parce que nous ne pouvons pas leur offrir le genre de protection que certaines personnes demandent.
Quelqu'un a dit que les actes de violence ne sont pas commis par les clients réguliers, mais par des délinquants violents. Eh bien, si cette information ne nous est pas transmise, nous ne pouvons pas faire grand-chose. N'importe quel client régulier peut devenir un délinquant violent. Il n'y a aucune protection à cet égard.
On dit que ces travailleurs travaillent en groupes. Ça ne change rien. Si j'embarque dans une voiture et que l'autre reste sur le trottoir, elle ne peut pas faire grand-chose pour moi—pas grand-chose.
Á (1135)
Le président: Madame Davies.
Mme Libby Davies: Pour répondre à la question de Mme Ross, je crois qu'un groupe local travaille de près avec la police de Vancouver. J'ignore la nature du programme, mais nous en apprendrons sans doute davantage lorsque nous irons à Vancouver puisque nous allons y entendre de nombreux groupes. Je sais qu'il y en a un qui travaille en étroite collaboration avec le service, et il est donc possible qu'il existe certains programmes de formation. Je ne sais pas.
J'aimerais revenir à la question de danger et de protection et faire suite aux commentaires de l'agent Johnston, parce que nous devons nous demander, je crois, ce qui crée ce danger. On nous dit sans cesse lors de nos séances qu'il y a effectivement certaines situations dangereuses et des clients dangereux, mais les travailleurs du sexe ont énormément peur de signaler ces situations.
Lorsque des représentants de la police disent « eh bien, nous ne pouvons rien faire si vous ne venez pas à nous », soit, mais je crois qu'il faut se demander pourquoi aucune plainte n'est portée. C'est par crainte de représailles. Pourquoi craint-on les représailles? À cause de la loi, mais aussi à cause du pouvoir et de l'autorité dont les services de police peuvent se servir pour exercer ces représailles d'un certain nombre de façons—officiellement et officieusement; c'est un outil de motivation ou de démotivation très puissant.
Nous revenons à la question de la sécurité et de l'incidence de ces lois. À quoi servent-elles maintenant? À qui ces lois sont-elles utiles? Je dois vraiment me demander si ces lois sont utiles à quelqu'un, à commencer par les prostitués.
Je ne sais pas si quelqu'un connaît le rapport du Comité Fraser. Un rapport important a été rédigé en 1985 sous le gouvernement conservateur. Paul Fraser dirigeait un comité qui a voyagé partout au pays et qui s'est penché sur la prostitution et la pornographie. Bon nombre de ses recommandations n'ont pas été adoptées; on avait recommandé notamment qu'une ou deux femmes puissent travailler chez elles. On partait du principe qu'il fallait fournir un endroit. C'est très contradictoire de dire que cette activité n'est pas illégale, mais elle ne peut pas avoir lieu. Je crois que ce comité essayait de proposer une solution qui ne ferait pas trop de bruit et n'aurait pas trop de répercussions.
Certains parlent des quartiers chauds, qui sont habituellement très explosifs. Qui veut habiter dans un quartier chaud?
J'aimerais savoir comment les gens réagiraient à l'idée d'avoir quelque chose qui aurait moins de répercussions, qui garantirait un endroit plus sûr, et si vous croyez qu'il vaudrait la peine de se pencher sur cette solution dans le cadre de nos travaux.
Ma question s'adresse à quiconque voudrait bien y répondre.
Á (1140)
M. Daniel Roukema: Tout ce que nous avons dit se tient. J'aimerais simplement reprendre à mon compte ce que Mme Ross a mentionné au sujet des facteurs socioéconomiques qui poussent bien des gens à s'engager dans la prostitution, que ce soit de force ou par choix. J'ai dit à quelques reprises que j'ai fréquenté trois universités et que durant toutes ces années-là, y compris durant les études supérieures, je connaissais des étudiants qui se prostituaient pour pouvoir payer leurs droits de scolarité.
J'ai vu des statistiques dernièrement, dont j'oublie malheureusement la source, parce que j'en ai plein la tête ces jours-ci. J'ai lu que seulement 6 p. 100 des victimes de viol au Canada déclaraient le crime. C'est très peu. Si vous ajoutez les travailleurs du sexe qui sont violentés, ce pourcentage sera probablement encore plus bas. C'est un véritable problème.
Vous avez parlé des personnes qui éprouvent de la honte ou de la culpabilité et qui croient que ce qui leur arrive est de leur faute. C'est ce qui les empêche d'agir.
J'ai mené beaucoup de recherches au cours des dernières années, non pas sur le commerce du sexe comme tel, mais sur la marginalisation des populations. Qu'il s'agisse d'une minorité visible ou d'une femme, peu importe, il faut comprendre que la seule façon de régler ces problèmes est de reconnaître que ces populations sont marginalisées et d'essayer de formuler et de mettre en oeuvre des recommandations pour changer la situation. Il faut s'attaquer à tous les problèmes, en commençant par la reconnaissance des titres de compétences étrangers, jusqu'au racisme. Je crois fermement que l'une des choses auxquelles il faut s'attaquer—je vais lancer cette idée et nous allons en reparler plus en détail cet après-midi—, c'est le crime haineux au Canada. La violence faite aux femmes, aux hommes, aux travailleurs du sexe est étroitement liée à l'ignorance et à la haine, au fait que nous disons « non, pas dans ma cour. Comment osez-vous venir dans mon quartier et agir de cette manière? »
À l'heure actuelle, la protection contre les crimes haineux est fondée sur la race, la croyance, l'orientation sexuelle, la religion et d'autres critères. J'ai été surpris d'apprendre qu'elle n'était pas fondée sur le sexe, en particulier après le massacre qui s'est produit à Montréal. Chose certaine, cet homme détestait les femmes et il les a tuées, et il n'y avait aucune loi en matière de crime haineux en vertu de laquelle il aurait pu être condamné.
Outre la haine fondée sur le sexe, votre travail et votre emploi sont aussi des facteurs très importants. Vous êtes des politiciens, ce qui n'est pas la profession la plus aimée au Canada. Je ne ferai pas de parallèle avec les travailleurs du sexe, mais ce n'est pas la profession la plus aimée au Canada non plus. Je suis très sérieux. Nous entendons parler des travailleurs du sexe qui se font tuer. Nous entendons parler des politiciens qui sont assassinés parce que les gens ne les aiment pas, qu'ils n'aiment pas leurs décisions, qu'ils n'aiment pas ce qu'ils font. Je crois vraiment qu'il faut examiner cette question, qui est la cause profonde de ce qui arrive. Une fois que vous comprenez pourquoi ceci arrive, si vous tenez compte des facteurs économiques... René a raison : si vous retirez les avantages économiques, vous devez offrir autre chose.
C'est pourquoi je suis très en faveur de la décriminalisation, parce que si vous donnez une amende de 400, 500 ou 600 $ à un travailleur du sexe et que sa seule source de revenu vient de la rue, il va y retourner pour pouvoir payer la note, et ce n'est pas la solution. Nous avons besoin de ces programmes sociaux. Nous devons être en mesure de réinvestir l'argent dans nos collectivités et croire vraiment que lorsque l'argent arrive dans les mains d'une personne, elle va l'utiliser de façon responsable.
Á (1145)
Beaucoup de travailleurs du sexe sont des parents et doivent pouvoir nourrir leurs enfants. Si le gouvernement du Canada, le gouvernement provincial et les municipalités ne leur donnent pas les occasions financières de prospérer, ils vont trouver d'autres moyens de le faire, par instinct, selon le principe de survie. Il faut trouver des façons de les aider.
Le président: Je vais prendre mes trois minutes, si vous permettez.
Je comprends que vous avez une banque de données génétiques à Halifax, n'est-ce pas?
L'agent Brian Johnston: Oui.
Le président: J'aimerais savoir comment elle fonctionne. Est-elle de nature consensuelle? Fait-elle partie d'une ordonnance de probation? Comment cette banque a-t-elle été accueillie par la collectivité? Par les travailleurs du sexe? Un taux de succès a-t-il été enregistré? Avez-vous été en mesure de l'utiliser pour reconnaître des corps, peut-être, etc.?
Nous avons une banque nationale de données. J'aimerais savoir où va cette information. Où sont conservés les échantillons? Qui y a accès?
Ce sont les genres de questions que je me pose.
L'agent Doug MacKinnon: Après avoir trouvé un ou deux corps localement et après les avoir identifiés au bout d'un long moment—les deux personnes en cause étaient des travailleurs du sexe—nous avons pensé simplement demander aux travailleurs du sexe de nous fournir volontairement des échantillons génétiques. Nous les conservons à notre bureau. Nous ne les utilisons que pour identifier les corps, le cas échéant. Ces échantillons ne sont pas envoyés à Ottawa; ils sont simplement dans un tiroir de classeur.
Le président: Quel est le taux de succès? Les travailleurs du sexe y participent-ils vraiment?
L'agent Doug MacKinnon: Certains oui, d'autres non. Certains des travailleurs du sexe connaissaient ces victimes et sont tout à fait prêts à nous donner un échantillon juste au cas où quelque chose leur arriverait, j'imagine.
Le président: Cela ne découle pas d'ordonnances de probation? C'est strictement consensuel?
L'agent Doug MacKinnon: C'est strictement consensuel.
Le président: Mme Ross a une question.
Mme Rene Ross: Pas une question, simplement une observation rapide. Nous venons juste de commencer à penser à une banque de données génétiques à Stepping Stone. Beaucoup de nos utilisateurs de programme ont été contactés. Certainement, si quoi que ce soit m'arrivait, j'aimerais que ma famille le sache et qu'elle soit mise au courant. La façon dont nos utilisateurs sont abordés est ce qui fait problème, je pense.
En effet, un agent de police peut s'adresser à l'un des utilisateurs de notre programme et dire simplement qu'il a besoin d'un échantillon génétique au cas où on retrouverait son corps dans un fossé quelque part. Je cite d'ailleurs une utilisatrice qui a été abordée par un agent de police il y a quelques semaines : « Le policier m'a regardée, Rene, et m'a dit : “ J'espère que vous n'allez pas mourir ce soir pendant mes heures de service, car je ne veux pas faire tous les papiers “ ». C'est la façon dont nos utilisateurs sont abordés pour cette question d'échantillons génétiques; c'est une autre forme de marginalisation.
Pour ce qui est des échantillons génétiques mêmes, nous examinons toujours cette question et en parlons à notre association, mais nous avons certainement des problèmes quant à la façon dont nos utilisateurs sont abordés.
À propos des deux messieurs qui représentent ici le Groupe de travail sur la prostitution, j'aimerais dire que nous n'avons entendu que de bonnes choses de la part des utilisateurs du programme à leur propos et au sujet du groupe de travail, qui ne se compose que d'eux, d'ailleurs. Ils traitent nos utilisateurs avec respect. Ce ne sont pas eux qui posent les problèmes, c'est la brigade des moeurs et notamment les recrues et les nouveaux agents de police qui arrivent ici.
Je voulais simplement faire cette observation au sujet de la banque de données génétiques.
Merci.
Le président: Dans pratiquement toutes les collectivités dans lesquelles nous nous sommes rendus jusqu'ici, nous avons parlé du fait que la police est coupée de la réalité des travailleurs du sexe. Vos observations sur le groupe de travail local sont très bonnes, mais comment faire pour que l'ensemble des services de police soit un peu plus sensible vis-à-vis les travailleurs du sexe? Vous avez indiqué que si nous étions au courant de ces problèmes, les choses pourraient changer. Nous avons également entendu dire ce matin qu'une prostituée avait été battue et que les agents de police s'étaient simplement éloignés en disant, « Ce n'est pas étonnant, c'est une prostituée ».
Comment combler l'écart entre travailleurs du sexe et agents policiers ordinaires?
Mme Cynthia MacIsaac: J'aimerais simplement répondre au sujet de la présence des agents de police. À la Direction 180, la collectivité a présenté une pétition pour que nous déménagions, car les utilisateurs de drogues par injection ne sont pas les personnes que l'on préfère avoir comme voisins, si bien que l'association des commerçants voulait nous envoyer crécher ailleurs. Nous avons travaillé avec nos policiers et le service de police ainsi qu'avec les nouveaux agents de police de la collectivité. Nous avons tiré les leçons de Vancouver, bien sûr, au sujet d'une présence policière plus marquée qui aide à atténuer les craintes; tout cela a vraiment bien fonctionné.
Je pense maintenant à la police et au groupe de travail. Vous n'êtes pas dans les rues, mais c'est ce premier contact qui est important. Il faudrait que les agents de police suivent quelques séances de sensibilisation lorsqu'ils rencontrent ces filles dans les rues. Il s'agit simplement de dire : « Bonjour, comment vas-tu? Je suis l'agent X; comment t'appelles-tu? » Il s'agit d'établir ce rapport. Alors, les hommes et les femmes se sentiraient plus ouverts pour les contacter lorsqu'ils se trouvent dans une situation qui pourrait être dangereuse. Je crois que c'est par là qu'il faut commencer. Pour ce qui est de la décriminalisation...
Il arrive constamment, comme l'a dit Daniel, qu'il y ait des viols. Les victimes ne le signalent pas. Pourquoi? Parce qu'on va en conclure que c'est de leur faute. C'est la même chose pour les utilisateurs de drogues par injection. S'ils ont un abcès, ils ne veulent pas aller à l'urgence. Ils attendent jusqu'à ce que cet abcès se transforme en endocardite ou en maladie de la bactérie mangeuse de chair avant de faire quoi que ce soit. C'est la même chose dans le cas de la prostitution et des travailleurs du sexe.
Il faut donc vraiment se débarrasser de cette réprobation sociale et faire en sorte que tous les intervenants sachent comment s'y prendre dans la rue.
Á (1150)
Le président: Monsieur Johnston ou monsieur MacKinnon, souhaitez-vous répondre?
L'agent Brian Johnston: J'ai deux points, très rapides. Tout d'abord, l'éducation; ensuite, l'application de la loi. Nous ne sommes pas là pour appliquer les lois contre les travailleurs du sexe, nous pouvons bien sûr être plus ouverts, plus sympathiques; nous ne sommes pas là pour les accuser en vertu de l'article 213. Par contre, peut-on être sympathique avec quelqu'un que l'on va finir par accuser? Eh bien, il est possible de les respecter en tant que personnes, mais pour ce qui est d'être sympathique, je ne suis pas vraiment sûr que cela puisse marcher.
Par ailleurs, la travailleuse du sexe ne veut pas parler à un agent en uniforme—et l'inverse est vrai également—, car elle le considère comme celui qui va l'empêcher de passer au prochain client qui se trouve au coin de la rue. Si un client passe en auto et la voit parler avec un agent en uniforme, il ne va sûrement pas attendre que parte l'agent. C'est aussi simple que cela.
Pour ce qui est de Doug et de moi-même, nous avons le temps et les ressources nécessaires pour parler à ces travailleurs du sexe, leur dire qui nous sommes, puisque nous ne représentons pas une menace à leurs yeux. Par conséquent, nous avons un meilleur rapport que celui qu'ils auraient vis-à-vis d'autres agents de police du service.
Le président: Nous avons entendu ce matin l'exemple d'une travailleuse du sexe qui aurait appelé la police parce qu'elle venait d'être battue. L'agent serait venu à la porte et aurait envoyé un message radio en disant : « Ce n'est qu'une prostituée », avant de quitter les lieux.
L'agent Brian Johnston: Premièrement, je ne peux pas croire que l'agent de police se soit rendu sur les lieux, ait envoyé un message radio et que plus rien ne se passe. Il est absolument impossible que cela ait pu se produire, car on lui aurait dit que c'était une plainte, qu'il fallait dresser un rapport et mener une enquête.
Par ailleurs, Doug et moi-même avons dit des milliers de fois à Stepping Stone, aux prostituées dans la rue, que si cela leur arrivait, elles n'ont qu'à nous appeler et que nous ferons une enquête.
Le président: Mme Ross souhaite répondre.
Mme Rene Ross: J'aimerais dire, monsieur Johnson, que si nous appelions chaque fois que cela arrivait, vous n'auriez pas vraiment le temps de faire votre travail...
Á (1155)
L'agent Brian Johnston: D'accord, poursuivrez.
Mme Rene Ross: ... parce que le téléphone ne cesserait de sonner.
L'utilisatrice du programme à qui c'est arrivé, va témoigner cet après-midi, si bien que vous pourrez lui-même le lui demander.
J'aimerais également parler de, vous savez, ce que vous avez dit « nous sommes là pour appliquer la loi », et « nous ne sommes pas là pour être sympathiques ». Eh bien, il est inutile d'avoir beaucoup de temps et de ressources pour traiter tout un chacun—toute personne qui se trouve dans cette ville, dans cette province, dans ce pays—avec respect. Quel est le mandat de la police régionale de Halifax? Elle est là pour protéger les citoyens, indépendamment de la loi invoquée pour leur protection. Si le fait d'être bons, ouverts, confiants et capables d'établir une communication fait clairement partie de la protection—et c'est le cas—c'est donc ce qui s'impose.
Merci.
Le président: Nous passons à la prochaine ronde, de trois minutes.
Madame Brunelle.
[Français]
M. Daniel Roukema: Pourrais-je dire quelque chose avant?
Le président: Très vite, s'il vous plaît.
[Traduction]
M. Daniel Roukema: Merci.
Mme Ross a parlé de dignité et de respect, et M. Johnston, d'éducation et d'application de la loi. Au Canada, les « séances de sensibilisation » deviennent de plus en plus populaires et c'est vraiment à la mode. J'ai un problème de fond à cet égard, car finalement, on veut simplement faire de nous tous des diplomates. On nous apprend comment dire à quelqu'un d'aller au diable tout en lui affirmant que tout va bien se passer.
Nous avons en fait véritablement besoin de séances d'anti-discrimination. Il faut comprendre la réalité des gens, leurs antécédents, surtout lorsque l'on détient le pouvoir. Par conséquent, si vous rencontrez dans la rue une travailleuse du sexe, ne dites pas que c'est une putain; c'est une personne qui a une histoire, et qui est là pour une raison bien précise. Si vous arrêtez quelqu'un de race noire, il ne fait pas nécessairement du proxénétisme; il a une histoire bien à lui, des antécédents. Il faut comprendre les situations et on peut alors ensuite parvenir à la dignité et au respect. Cela fonctionne d'ailleurs dans les deux sens.
Par conséquent, ne dites pas s'il vous plaît dans votre rapport final que nous avons besoin de séances de sensibilisation, car alors, nous nous transformerions simplement en diplomates. Ce dont nous avons véritablement besoin, c'est de comprendre la diversité et les véritables histoires de tous les Canadiens.
Le président: Merci, Daniel.
Madame Brunelle.
[Français]
Mme Paule Brunelle: Il y a une situation qui me préoccupe. On nous dit qu'on entre dans la prostitution dès l'âge de 14 ans, en moyenne. On veut bien essayer de régler les problèmes actuels des prostituées et on peut comprendre que certaines pensent que c'est un travail comme un autre, mais il reste que ce n'est pas l'idéal pour nos jeunes. Comment peut-on les empêcher de se lancer dans la prostitution? Comme députée porte-parole pour la situation de la femme, je trouve tragique qu'il y ait encore beaucoup de femmes qui ont le syndrome de Cendrillon. On leur dit qu'on les aime et on leur demande de faire la rue par la suite. A-t-on des solutions à proposer?
[Traduction]
Mme Rene Ross: Comme vous le savez, Stepping Stone a pour mandat, entre autres choses, de travailler avec les femmes qui courent le risque d'entrer dans la profession du sexe. Nous faisons des exposés dans les écoles, car nous croyons que l'éducation est un élément important de l'équation.
Je le répète, le problème est beaucoup plus vaste. Beaucoup des jeunes travailleuses du sexe viennent de petites villes de Nouvelle-Écosse pour se retrouver à Halifax. Comme je l'ai déjà souligné, il faut non seulement examiner le problème de la prostitution, mais aussi celui de la pauvreté, de la vie familiale de ces enfants, des ressources disponibles dans notre ville au moment où les jeunes arrivent. L'éducation en est un élément important.
Ce n'est pas tout le monde qui peut faire ce que je vais faire. Ma fille est aujourd'hui un bébé de quatre mois. Lorsqu'elle sera suffisamment grande, dans quelques années, peut-être lorsqu'elle aura neuf ou dix ans, je vais l'amener avec des membres du personnel de Stepping Stone pour qu'elle puisse distribuer des préservatifs et des aiguilles propres. Je ne vais pas lui cacher cette réalité, je vais lui donner une éducation à ce sujet. À mon avis, il est très important d'éduquer nos jeunes, de leur parler de la réalité, de ne pas avoir peur d'en discuter.
Le gros problème, selon moi, c'est que nous y rattachons trop de valeurs morales. Il faut que les gens cessent de penser à l'acte lui-même. Ils doivent voir plus loin que les actes sexuels qui se passent dans les voitures au centre-ville. Ils doivent réfléchir à la raison pour laquelle ces personnes sont là, ils doivent penser aux antécédents et à tout le reste. Comme l'a dit Daniel un peu plus tôt, chacun à une histoire bien personnelle.
Par conséquent, je crois que l'éducation est essentielle, tout comme ce que nous faisons aujourd'hui : nous en discutons et nous instaurons un dialogue à ce sujet. Nous allons d'ailleurs contacter les médias, car c'est une excellente opportunité pour Stepping Stone; en effet, nous n'avons pas parlé aux médias ou à qui ce que ce soit à ce sujet depuis bien des années. À cause de la réprobation sociale dont fait l'objet notre organisation, il nous est très difficile de faire comprendre ce qui nous tient à coeur.
Il y a bien sûr d'autres choses, mais je crois que l'éducation est essentielle.
 (1200)
Le président: Merci.
Madame Davies, vous avez le dernier mot; c'est la dernière ronde de questions.
Mme Libby Davies: Toujours dans la même veine, un autre comité parlementaire, le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments, est en fait venu à Halifax visiter le centre d'échange de seringues. Ce qui en est ressorti très clairement pour nous, c'est que c'est la nature illicite de certaines substances qui représente l'un des plus grands obstacles à une éducation réaliste, surtout lorsqu'il s'agit des jeunes. Le seul message qu'ils retiennent est le suivant : « C'est illégal », ce qui fait que beaucoup se ferment. Ils ne vont pas plus loin.
Je pense donc que ce que vous proposez, c'est-à-dire des modèles d'éducation beaucoup plus réalistes dans les écoles, dans les centres communautaires, dans... Eh bien, sur les lieux de travail également, qu'il s'agisse de parler d'alcoolisme et de toxicomanies ou de prostitution, ou même de sexualité en général. Certains de ces sujets sont si tabous et nous avons tellement peur de les affronter, que nous nous appuyons sur l'application de la loi pénale pour résoudre les problèmes, alors qu'en fait il s'agit de questions sociales complexes, mais aussi de questions économiques, ou encore de ce que pensent les gens d'eux-mêmes. C'est à mon avis un point fort important : nous avons besoin d'une véritable éducation, à l'échelle locale, qui parle des choix des gens.
Ce n'est pas véritablement une question, mais peut-être avez-vous un commentaire à faire.
Le président: Monsieur Johnston, ou Daniel...?
L'agent Brian Johnston: Je crois que nous sommes tous d'accord autour de cette table pour dire que l'éducation est essentielle, tout comme aussi, je pense, des peines plus sévères pour ceux qui entraînent de jeunes enfants de cet âge dans la prostitution.
Mon collègue Doug a indiqué plus tôt qu'il nous faut une loi qui empêcherait les proxénètes d'amener des jeunes—en particulier des jeunes filles—de cette province dans une autre pour les faire travailler dans la prostitution. Il nous faut des lois et des amendes sévères pour tous ceux qui sont accusés de tels actes. À mon avis, c'est ce qui découragera ces gens-là d'entraîner des jeunes filles de 12 ou 14 ans dans ce genre de travail.
Depuis 26 ans que je travaille dans la police, aucune des jeunes femmes à qui j'ai parlé m'a dit que oui, effectivement, elle veut être prostituée quand elle sera grande. Ce n'est pas une profession à laquelle elles aspirent. C'est habituellement un travail qu'elles sont forcées de faire, parfois à leur insu. À mon avis, il faut faire en sorte que ces gens-là soient punis pour ce qu'ils font, surtout lorsqu'ils ciblent les très jeunes femmes.
Le président: Merci.
Jeannine.
Mme Jeannine McNeil: Je veux seulement rappeler ce qu'a dit Rene sur l'éducation et souligner que nous avons vraiment besoin de l'appui du système scolaire. Je ne sais pas si vous le savez, mais on a essayé de publier un livre sur la sexualité en Nouvelle-Écosse, et il n'a pas été accepté. J'ai vu ce livre et en toute honnêteté, je ne comprends vraiment pas pourquoi il n'a pas été publié. Je pense que les gens ont eu peur. Je pense que dans bien des cas, les parents n'en savaient pas autant que les enfants.
Nous allons dans les écoles et nous arrivons à le faire dans une certaine mesure, mais nous ne sommes pas vraiment capables de diffuser toute l'information qu'il faudrait. Je pense que les gens doivent savoir ce qui se passe vraiment. Ils doivent avoir la réalité sous les yeux. Je félicite Rene d'avoir dit ce qu'elle a dit sur sa fille, parce que je pense que c'est un bon moyen d'éduquer les enfants.
Nous avons vraiment besoin de la collaboration des écoles et des collectivités. Nous voulons bien passer à l'action, mais nous avons besoin de soutien.
 (1205)
Le président: Sur ce, je vais conclure la séance.
Je vous remercie infiniment d'être venus ici ce matin. Je me demandais si nous serions capables de tout faire en deux heures, et je pense que nous pourrions y consacrer deux autres heures, si nous avions les ressources nécessaires. Il ne fait aucun doute que vos observations sont très utiles pour nous, et j'espère que nous pourrons produire un rapport constructif sur le sujet, afin de régler certains des problèmes que vous avez mentionnés aujourd'hui.
Merci beaucoup.
 (1205)
 (1215)
Le président: Nous reprenons nos travaux. La séance se poursuit.
Nous allons maintenant entendre Mme Pam Rubin, qui vient du milieu communautaire.
Je vous remercie beaucoup de comparaître ici ce matin. En général, nous acceptons à ce stade une présentation d'environ trois ou quatre minutes. Il peut y avoir quelques questions ensuite.
Nous pouvons commencer.
Mme Pam Rubin (coordonnatrice des recherches, Women's Innovative Justice Initiative): Merci.
Je suis ici aujourd'hui non seulement en mon nom personnel, mais en tant qu'avocate de Halifax et que coordonnatrice de recherche pour la Women's Innovative Justice Initiative, une organisation s'étant donné pour mandat d'étudier la politique et le programme novateurs conçus pour servir les femmes et d'évaluer ce qui arrive aux femmes les plus directement touchées par les lois ou les programmes.
Il s'agit d'une organisation provinciale qui regroupe des représentants de la Transition House Association de la Nouvelle-Écosse; des Elizabeth Fry Societies de la partie continentale de la Nouvelle-Écosse et du cap Breton; du chapitre néo-écossais de l'Association nationale de la femme et du droit; des centres des femmes CONNECT!, qui regroupent tous les centres des femmes de la Nouvelle-Écosse; ainsi que des représentants des Mi'kmaw Family Healing Centres de toute la province.
Je mentionne ces noms, parce que les représentants de ces organismes ne sont pas ici aujourd'hui et que je crois qu'il incombe au gouvernement fédéral, lorsque ses comités sont en voyage, de redoubler d'efforts pour rejoindre directement les organismes dont la clientèle est directement touchée par leur sujet d'étude. Un article de journal ou un site Web ne suffit pas. Les ressources dont disposent les organismes de femmes ne leur permettent pas de participer pleinement à l'élaboration des politiques publiques ni de scruter à la loupe les journaux et les sites Web à la recherche d'occasions d'apporter leur contribution.
Pour commencer, j'aimerais donc dire que j'aurais voulu voir des représentants de ces organismes ici, aujourd'hui. À la place, vous n'accueillez que moi qui les représente en bloc. Encore une fois, je n'ai entendu parler de cette séance que tout récemment, donc je n'ai pas eu le temps de discuter des enjeux en détail pour que nous puissions prendre vraiment position, mais j'aimerais vous faire part de certaines opinions générales de la WIJI.
Le président: Excusez-moi de vous interrompre, je comprends votre commentaire. On nous en a fait la critique dans d'autres centres aussi. Il est difficile pour nous, à Ottawa, de savoir qui sont les acteurs sur le terrain. Nous entrons souvent en contact avec un groupe qui nous mène à d'autres groupes. Mais nous pouvons encore recevoir des mémoires écrits à Ottawa, donc si vous voulez nous fournir la liste des organismes que vous avez mentionnés, nous pourrions communiquer avec eux nous-mêmes et leur demander de nous envoyer un mémoire écrit.
Nous allons également poursuivre nos audiences à Ottawa. Je ne sais pas combien d'argent il nous reste pour faire venir des gens à Ottawa—c'est toujours une question de ressources, de temps et de financement—, mais la porte est toujours ouverte et nous voulons entendre autant de gens que possible, autant de positions que possible, pour nous aider à élaborer le rapport le plus productif et utile possible.
Je suis désolé de vous avoir interrompue. Je vais vous demander de continuer.
Mme Pam Rubin: Merci beaucoup, votre greffier m'a informée de ces possibilités.
Pour vous donner une idée de ce que fait la WIJI, nous travaillons par exemple à deux enjeux majeurs en Nouvelle-Écosse. Il y a d'abord l'utilisation de la justice réparatrice et ses incidences sur les femmes. Il y a ensuite les services judiciaires de médiation familiale et leurs incidences sur les femmes victimes de violence. Dans ces deux champs de recherche, nous travaillons en collaboration avec le gouvernement pour nous assurer que ces programmes servent bien aux femmes.
Lorsqu'on examine les lois sur le racolage, nos premières questions sur les programmes sont habituellement celles-ci : quel est le modèle? Quelle est la perception du monde? Quelle est la philosophie de base à l'origine de ces lois? Bien sûr, nous savons tous ici que nos lois sur le racolage découlent des lois sur la nuisance publique. Ce n'est évidement pas une philosophie axée depuis le départ sur les droits des femmes, ni qui vise à remédier aux inégalités de statut des femmes. Ce modèle est très différent. Je pense que nous voudrions tous avoir un modèle axé beaucoup plus sur nos engagements internationaux à mettre un terme à l'exploitation et à l'inégalité des femmes. Le modèle de la nuisance publique n'est pas un bon point de départ pour y arriver.
J'aimerais vous faire part de notre opinion que l'idée d'un quartier réservé pour la prostitution fait beaucoup partie du modèle de nuisance publique qu'on trouve dans ces lois et programmes; cette philosophie ne favorise pas l'objectif premier qui consiste à enrayer l'exploitation des femmes et à accroître leur égalité. Je suis certaine que vous avez entendu d'autres exposés d'autres régions où ce modèle est prédominant et où les objectifs d'égalité et de dignité des femmes n'ont pas été atteints, voire même où il a fait naître beaucoup de problèmes. Je vais vous mentionner l'un des problèmes les plus graves et les plus communs, soit l'intensification des activités et le fait que ces quartiers deviennent des centres du trafic international des femmes.
Pourquoi ne favoriserions-nous pas plutôt un modèle dont l'objectif principal serait de protéger les femmes et d'accroître leur dignité et leur égalité? Ainsi, si nous analysions ce qui est arrivé à Vancouver, où des prostituées ont été tuées, si nous envisagions des modifications aux lois afin de protéger les femmes à l'avenir, quels seraient les éléments clés des nouvelles lois ou des nouveaux programmes?
Comme je n'ai pas été avisée de vos audiences à l'avance, je ne peux pas vous proposer de changements de formulation précis ou même une façon de faire précise aujourd'hui, mais j'aimerais souligner quelques impératifs pour vous aider à créer des lois ou des programmes vraiment efficaces, s'inspirant de l'expérience canadienne et de l'expérience de mon organisation en particulier sur toutes les questions liées à la violence faite aux femmes. La violence faite aux prostituées comporte des défis uniques, mais dans le fond, ces défis ne sont pas différents de ceux visant à éliminer la violence faite à toutes les femmes.
Examinons l'histoire de l'application des lois visant à protéger les femmes mariées. Il y a 35 ans, le système de justice pénale n'offrait aucune protection contre la violence aux femmes à la maison. Jusqu'en 1983, je suis certaine que tout le monde ici le sait, il était plutôt légal pour un mari de violer sa femme, parce qu'elle avait perdu son identité juridique. C'était ce que signifiait le mariage : la perte de l'identité juridique de la femme.
 (1220)
Donc si nous voulons changer les choses et mieux protéger les femmes, nous ferions bien de commencer par changer les lois afin de protéger les femmes dans ces situations. Je dirais que la situation qui nous préoccupe, soit celle des prostituées, est très semblable; nous devons commencer par criminaliser la violence faite à une catégorie de femmes pour laquelle la violence n'est pas criminalisée, dans les faits. Comment pouvons-nous rendre nos lois plus efficaces?
À partir de là, que faudrait-il faire pour que cela devienne réalité? Pour reprendre mon analogie avec la violence conjugale, l'histoire se répète constamment; les politiques et les lois qui ne s'inspirent pas directement de l'expérience des femmes victimes de violence ou de l'expérience des travailleurs de première ligne qui les aident ne seront pas efficaces et risquent d'avoir des conséquences négatives non intentionnelles sur les femmes. Depuis 35 ans, nous avons vu certains arrêts, certains départs et certains changements. Au fur et à mesure que les organismes de femmes et les femmes directement touchées se mêlent du processus politique, nous voyons s'opérer des changements mieux adaptés aux réalités des femmes à risque.
 (1225)
Le président: Pouvez-vous conclure, s'il vous plaît? C'est une présentation de trois ou quatre minutes, et les députés peuvent avoir des questions. Vous avez dit que faute de temps, vous n'aviez pas pu vous pencher sur les changements importants à apporter de votre point de vue, mais vous pourriez peut-être nous envoyer un mémoire écrit après notre départ. Nous allons vous laisser une carte des coordonnées où vous pouvez l'envoyer. Nous serions très heureux de connaître votre avis à ce sujet et nous comprenons les contraintes de temps qui vous ont limitée.
Mme Pam Rubin: D'accord, vous me demandez de conclure, donc je vais le faire. Voici le clou.
Comme je l'ai dit, si vous voulez protéger les femmes vulnérables et concevoir une solution efficace à ce problème, une solution fondée sur la réalité des femmes, qui sera efficace et significative et qui ne nous obligera pas à revenir en arrière plus tard, il faut inclure à la table politique tous les organismes de femmes dont la clientèle est directement touchée. Je parle ici des comités de direction, des comités parlementaires et de tous les organes du pouvoir municipal, provincial et fédéral qui prennent des décisions sur les lois, les politiques et les programmes à ce sujet .
Je vais vous donner un exemple de bon programme à Winnipeg. Grâce à lui, des policiers et des travailleurs sociaux sont entrés dans la vie de femmes vulnérables, non pas parce que des accusations étaient portées contre elles ou allaient l'être, mais plutôt pour aider les femmes en question à prévoir leur sécurité et leur départ, à prévoir une façon pour elles de se sortir de cette situation de vulnérabilité. Ainsi, ces femmes profitent de l'aide des policiers et des travailleurs sociaux, qui travaillent ensemble. Ce programme est mené en partenariat avec des organismes de femmes de Winnipeg, et toute la collectivité l'apprécie.
Ce n'est qu'un exemple de programme fructueux conçu de concert avec les femmes les plus directement touchées et où elles ne sont pas seulement consultées, mais participent à la prise de décisions, à la surveillance et à la gestion du programme.
Merci.
Le président: Merci.
Madame Brunelle.
Mme Paule Brunelle: Non.
 (1230)
Mme Libby Davies: J'aimerais intervenir brièvement.
D'abord, je vous remercie beaucoup d'être venue, particulièrement à si court préavis, parce que c'est un sujet très complexe qui nécessite beaucoup de réflexion. Beaucoup d'organismes ont dit avoir vraiment besoin de réfléchir à ce qu'ils voulaient dire, donc je crois qu'il serait effectivement très utile que la WIJI nous envoie un mémoire écrit.
Vous soulevez un point très important lorsque vous dites que la démarche doit s'inspirer de l'expérience des femmes touchées. Je pense que c'est très important. De toute évidence, nous espérons que notre travail produira de bons résultats, mais la démarche que nous prenons pour le faire est très importante elle aussi.
Je tiens à vous dire que partout où nous allons, nous tenons aussi des séances à huis clos. Depuis le tout début, le comité estime que la seule voix qui n'est pas entendue est celle des femmes touchées. Elles sont si marginalisées, si invisibles. Parfois, on les voit dans la rue, mais dans l'arène politique, elles sont invisibles. Notre démarche en tient donc pleinement compte. Chaque séance, nous recevons des anciennes travailleuses du sexe ou des prostituées actuelles, qui s'expriment en public. C'est assez incroyable d'entendre ces personnes s'exprimer sous les feux des projecteurs publics, parce que ce n'est pas facile à faire compte tenu de toute la stigmatisation dont elles sont victimes. Mais nous avons aussi tenu des réunions à huis clos à différents endroits, ailleurs que dans une salle d'hôtel, et elles ont été incroyables.
Nous avons donc eu l'occasion de bien saisir leur perspective. Je ne peux parler que pour moi-même, mais hier, à Montréal, par exemple, nous avons probablement parlé à une vingtaine de femmes pendant plusieurs heures de discussion très intense sur leurs expériences, leurs problèmes et ce qu'elles veulent. Cela fait intégralement partie de nos audiences et de notre examen, je pense que vous avez raison de le souligner.
Pour ce qui est des organismes nationaux, je pense que vous devez nous donner une liste précise, parce que certains organismes sont très locaux. Cependant, nous avons appris qu'ils avaient un réseau très fort dans le pays. Si vous croyez que nous devrions entendre d'autres organismes, n'hésitez pas à nous les proposer, mais comme je vous l'ai dit, je ne pense pas que nous soyons complètement à côté de la plaque. Nous écoutons ces femmes directement, en personne, dans des endroits qu'elles jugent sûrs. Et c'est la bonne façon de faire.
Mme Pam Rubin: C'est merveilleux. Y a-t-il parmi les participantes à vos audiences des femmes ayant fait l'objet de trafic en provenance d'autres pays?
Mme Libby Davies: Pas encore.
Le président: Nous trouvons très difficile d'établir des contacts dans ce milieu.
Mme Pam Rubin: C'est très difficile, en effet.
Le président: Nous nous sommes interrogés à ce sujet ce matin même. On nous a répondu qu'on les voyait très brièvement, qu'elles arrivaient et qu'elles repartaient. Elles ne travaillent pas beaucoup localement avant de partir.
Mme Libby Davies: Si vous avez des propositions à nous faire sur les organismes avec lesquels nous devrions communiquer, ce serait utile.
Le président: Y a-t-il d'autres questions?
Je vous remercie infiniment de votre comparution d'aujourd'hui, madame Rubin. Nous avons hâte de recevoir plus d'information de votre part, si c'est possible, de même que de vos personnes-ressources et de votre organisme. Merci.
Je déclare maintenant la séance levée.