SSLR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le lundi 14 février 2005
» | 1740 |
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)) |
Mme Marie-Andrée Bertrand (professeure émérite en criminologie, Criminologie et sociologie du droit, Université de Montréal) |
» | 1745 |
» | 1750 |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
» | 1755 |
Le président |
Mme Gwendolyn Landolt (vice-présidente nationale, REAL Women of Canada) |
¼ | 1800 |
¼ | 1805 |
Le président |
Mme Cherry Kingsley (coordonnatrice nationale, Canadian National Coalition of Experiential Women) |
¼ | 1810 |
¼ | 1815 |
¼ | 1820 |
Le président |
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC) |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
¼ | 1825 |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
¼ | 1830 |
M. Art Hanger |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Le président |
Mme Nicole Demers (Laval, BQ) |
Mme Cherry Kingsley |
¼ | 1835 |
Mme Nicole Demers |
Mme Cherry Kingsley |
Mme Nicole Demers |
Le président |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
¼ | 1840 |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Mme Libby Davies |
Mme Cherry Kingsley |
Mme Libby Davies |
Mme Cherry Kingsley |
Mme Libby Davies |
Mme Cherry Kingsley |
Mme Gwendolyn Landolt |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Mme Gwendolyn Landolt |
¼ | 1845 |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Le président |
¼ | 1850 |
M. Art Hanger |
Mme Nicole Demers |
M. Art Hanger |
Mme Libby Davies |
M. Art Hanger |
Mme Gwendolyn Landolt |
M. Art Hanger |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Le président |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Le président |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
¼ | 1855 |
Le président |
Mme Nicole Demers |
Mme Cherry Kingsley |
Mme Nicole Demers |
Mme Cherry Kingsley |
½ | 1900 |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Le président |
Mme Libby Davies |
½ | 1905 |
Mme Gwendolyn Landolt |
Mme Libby Davies |
Mme Gwendolyn Landolt |
Mme Libby Davies |
Mme Gwendolyn Landolt |
Mme Libby Davies |
Mme Gwendolyn Landolt |
Mme Libby Davies |
Mme Gwendolyn Landolt |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
½ | 1910 |
Le président |
M. Art Hanger |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
M. Art Hanger |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
½ | 1915 |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Mme Cherry Kingsley |
M. Art Hanger |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
M. Art Hanger |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
M. Art Hanger |
Le président |
Mme Gwendolyn Landolt |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
½ | 1920 |
Le président |
Mme Nicole Demers |
Mme Gwendolyn Landolt |
Mme Nicole Demers |
Mme Gwendolyn Landolt |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
½ | 1925 |
Le président |
Mme Gwendolyn Landolt |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Le président |
Mme Libby Davies |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
½ | 1930 |
Le président |
Mme Marie-Andrée Bertrand |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
Le président |
CANADA
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
|
l |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 14 février 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
» (1740)
[Traduction]
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): La séance est ouverte, et je remercie les témoins de leur présence parmi nous ce soir.
Nous voudrions demander à nos témoins de limiter leurs exposés à une dizaine de minutes. Après avoir entendu tous les exposés, nous passerons aux questions. Il y aura d'abord un tour de sept minutes par député, puis des tours de trois minutes par député.
Madame Bertrand, voulez-vous commencer?
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand (professeure émérite en criminologie, Criminologie et sociologie du droit, Université de Montréal): Merci, monsieur le président.
Mon intervention sera divisée en quatre parties. Je voudrais parler, premièrement, des limites de l'efficacité du contrôle pénal sur la question qui nous importe, les pratiques tarifées de rapports sexuels; deuxièmement, du caractère pernicieux de l'article 213 du Code criminel du Canada; troisièmement, de la vulnérabilité des femmes dans les rapports intimes, femmes mariées, femmes séparées, mais aussi travailleuses du sexe; quatrièmement, je voudrais vous faire part d'une proposition pour amender le Code criminel sur ces questions.
Mon premier point traite des limites du contrôle pénal dans l'objet qui nous occupe. En fait, environ 6 000 infractions ont été enregistrées ces dernières années relativement aux articles qui nous intéressent. Trois mille personnes sont accusées en vertu l'article 213 du Code criminel. Ce qui est inquiétant, ce n'est pas la façon dont ces infractions cheminent dans le processus pénal, mais plutôt ce que nous soupçonnons quant au nombre de rapports sexuels tarifés qui n'ont jamais été portés à la connaissance des officiers de police et du système de justice. Je voudrais être bien claire. Je ne souhaite pas qu'il en soit porté davantage à leur connaissance. J'essaie simplement de dire qu'avec ce taux de répression, le code pénal et le législateur pénal encourent l'irrespect de la communauté canadienne.
On n'a pas de chiffres sur les pratiques sexuelles illicites dans la population canadienne. Mais comme c'est un crime sans victime, on peut comparer ce qu'on en sait de par la répression pénale avec ce que l'on sait d'autres infractions pénales pour des crimes sans victimes, par exemple les infractions aux lois sur les drogues. Les sondages canadiens ont révélé qu'environ 2 millions de Canadiens enfreignaient la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je sais, puisque je dirige des recherches sur ce sujet depuis 30 ans, qu'il y a ces années-ci 40 000 personnes accusées au maximum, ce qui fait un taux de répression de 0,1 p. 100.
Dans le cas des pratiques sexuelles illicites, on peut imaginer, et je vous laisse évaluer mes hypothèses, qu'il y a peut-être un million de Canadiens et de Canadiennes qui ont un jour, au cours de leur vie, enfreint les articles 210, 212 et 213 du Code criminel. Si vous préférez, mettez un demi-million ou même un quart de million. De toute façon, avec 5 800 infractions enregistrées, cela ferait un taux de répression de 1, 2 ou 2,5 p. 100.
Ma remarque, comme criminologue, est la suivante: quand le taux de répression d'une infraction pénale atteint ce niveau très inférieur à la réalité sociale ou au phénomène social, la population devient cynique à l'endroit du législateur, qui n'a pas pris la mesure d'un phénomène en faisant cette loi et surtout en devinant, j'imagine, qu'elle ne pourrait pas être respectée.
Chose plus grave, ce taux de répression ou, si vous voulez, ce manque de répression, révèle que ce genre de loi qui a un impact aussi minimal ou microscopique se prête de façon certaine à une application discriminatoire et différentielle. Ce n'est pas possible autrement, et je vais vous en donner la preuve si vous le voulez
» (1745)
Son application est différentielle selon l'origine ethnique, selon l'âge, selon le degré de pauvreté, selon la situation, dont je vais reparler dans un moment, selon l'endroit où se déroule l'activité qui est interdite.
Ce taux de répression est d'autant plus disproportionné avec le phénomène qu'il s'agit, comme je le disais tout à l'heure, d'un crime sans victime et que le phénomène n'est visible que pour les corps de police. Par définition, le corps de police est censé faire respecter la loi dans l'espace public. Son rôle est de travailler dans l'espace public. Donc, ce qui apparaît à ses yeux, d'abord et surtout, est ce qui se passe dans la rue. On le voit bien quand on constate que la très grande majorité des 5 800 personnes trouvées coupables d'infractions sont accusées en vertu de l'article 213.
En ce qui concerne les plaintes portées par les habitants du quartier, elles ne visent pas une prostituée en particulier, mais le phénomène. Comment peut-on accuser un phénomène? Si on est policier, comment peut-on traiter un phénomène? C'est littéralement impossible. Ce que nous confions aux policiers dans le cas des crimes sans victimes est un travail social. Dans ce travail, il n'est vraiment pas possible d'accuser toutes les personnes qui seraient coupables ou de n'accuser que les personnes qui seraient le plus coupables.
Les autres pratiques de sexe tarifé, en résidence, dans les salons de massage ou comme escorte ne présentent pas la même visibilité, bien sûr, et n'exposent pas aux mêmes risques. J'y arrive dans un instant.
Je passe au point suivant, qui est la violence dans les rapports intimes, conjugaux, ex-conjugaux, familiaux et dans les rapports sexuels illicites. Dans les rapports sexuels intimes, toutes les femmes du monde courent des risques. Les activités sexuelles dans le couple, dans la famille, chez les ex-conjoints sont des activités très souvent périlleuses, on le sait.
Je suis aussi psychothérapeute et je reçois des gens en cabinet privé. Les rapports sexuels illégaux ne sont certainement pas les seules classes de rapports sexuels à risque. Le besoin maladif mais bien réel d'un ou d'une partenaire de posséder la personne qui est l'objet de son désir et de contrôler le rapport sexuel est très répandu, comme je peux le voir dans mes observations cliniques et aussi dans ma pratique criminologique. Cette impulsion s'exprime parfois par des comportements sadiques. La résistance pour des raisons d'hygiène, de douleur physique, de dégoût ou de peur fait encourir un risque supplémentaire d'être frappé, humilié, rejeté, etc. Ces risques dans le rapport sexuel illicite ne sont pas annulés du fait qu'on travaille en résidence et qu'on a, par exemple, le soutien d'une agence pour escortes qui suit les déplacements des clients, qui calcule les heures et qui connaît les honoraires.
Cependant, dans les pratiques en résidence ou dans le rapport sexuel qui se fait à partir d'une agence d'escorte, le client ou la cliente est tout de même vu. Il doit, d'une certaine façon, s'identifier. Il existe des contraintes entre la pulsion sexuelle, le désir d'un rapport sexuel, et le fait de l'obtenir, tandis que, dans le trafic sexuel qui s'organise depuis la rue, le moment entre la pulsion sexuelle, le désir d'une rencontre sexuelle, et le plaisir escompté est pratiquement inexistant ou en tout cas très court.
» (1750)
La scène que j'essaie de décrire est celle que je connais à partir de confidences et, bien sûr, grâce à ma pratique professionnelle. La pulsion sexuelle, dans le cas du travail du sexe qui s'effectue depuis la rue, a plus de chances d'être sadique, compulsive et douloureuse.
Malgré tout, et j'insiste là-dessus, dans chacun des rapports intimes que les femmes, les plus jeunes surtout, ont avec des hommes, elles courent toujours des risques. Mais une femme pauvre, vulnérable, sans réseau social, travaillant depuis la rue est 10, 15, 20 fois plus « à risque »--je n'aime pas cette expression, mais elle est rapide--que les femmes qui ont d'autres rapports sexuels.
J'ai écouté et lu les propos de votre comité. Je sais que vous vous préoccupez des femmes qui meurent dans ce genre d'activités. Dans un article percutant publié récemment dans Beyond Criminology: Taking Harm Seriously, un recueil de textes britanniques qui vient de paraître, un auteur qui est géographe de formation montre que l'indicateur le plus puissant pour savoir où l'on va mourir est le lieu où l'on pratique ces activités. Plus ce lieu est pauvre, dénué de ressources sociales, de contacts multiculturels, moins les contrôles sociaux existent, moins les personnes ont de soutien social et plus les risques sont grands.
Cet auteur, qui s'appelle M. Dorling, estime 173 fois plus important le risque que l'on court d'être victime d'homicide si on est dans un lieu pauvre et dépourvu de ressources sociales, de contacts sociaux et de solidarité sociale, que si on est dans un lieu plus riche où les résidences sont occupées par des gens responsables, qui ont de l'espace, etc.
[Traduction]
Le président: Pouvez-vous terminer dans une minute environ?
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: Alors, je termine.
J'en arrive à mes suggestions, à ce que je ferais si j'étais en mesure d'influencer le législateur sur les articles de loi qui vous touchent. Premièrement, je recommanderais de légaliser le travail du sexe s'exerçant, avec des licences municipales ou provinciales, depuis les résidences dont les occupantes ou les occupants paient des taxes et des impôts et sont soumis à des contrôles de santé.
Deuxièmement, je recommanderais d'imposer des contraventions pour le travail du sexe qui s'effectue dans la rue, un peu sur le modèle du projet de loi C-38 concernant, par exemple, la marijuana. Cela signifie qu'il faudrait sortir l'article 213 du Code criminel et faire cet amendement à la Loi sur les contraventions, ce qui permettrait de prévoir des contraventions pour cette activité de façon à en contrôler au minimum la fréquence et les lieux.
Troisièmement, je travaillerais de toutes mes forces à établir une politique qui permette aux Canadiens de comprendre la différence entre trois choses dont nous discutons actuellement à la Commission du droit du Canada. Je parle de la différence entre un comportement indésirable, ou unwanted behaviour, un comportement causant des dommages, ou tort, et un tort réel qui, lui, peut fonder la qualité criminelle d'un comportement.
Un comportement indésirable, c'est par exemple le mendiant qui m'arrête dans la rue et m'empêche de circuler. Un comportement dommageable, c'est le bruit qui m'empêche de bien travailler. Un tort réel, c'est lorsque ma personne, mon intégrité, ma réputation, mes biens ou les biens des citoyens et la sécurité de l'État sont vraiment menacés.
Je vous remercie.
» (1755)
[Traduction]
Le président: Merci.
Madame Landolt.
Mme Gwendolyn Landolt (vice-présidente nationale, REAL Women of Canada): Merci beaucoup. C'est un grand plaisir pour nous d'être ici et nous vous sommes très reconnaissantes de nous donner l'occasion de nous prononcer sur la question qui constitue pour notre organisme une source de graves préoccupations depuis des années.
À nos yeux, l'un des problèmes que pose la législation sur la prostitution est son caractère à la fois illogique et hypocrite. Autrement dit, la prostitution n'est pas un crime, mais la communication en est un. La tenue d'une maison de débauche et le proxénétisme sont des infractions. On peut gérer un service d'escorte ou de massage en toute impunité, mais lorsqu'on pratique dans la rue, la législation canadienne semble alors s'appliquer. Il semble que ce soit l'endroit où la prostitution se pratique qui détermine l'offense, et non pas sa pratique.
Depuis des années, notre organisme étudie attentivement les pays qui ont entrepris de décriminaliser la prostitution, et nous sommes très inquiètes des résultats observés.
L'un des meilleurs exemples est celui de la Suède, qui a supprimé toute sa législation interdisant la prostitution il y a 30 ans, mais qui a dû la rétablir en 1998. Pourquoi? Parce qu'on a constaté un certain nombre de résultats extrêmement malencontreux. On se figure qu'en Suède, les femmes, qui bénéficient de conditions économiques avantageuses, n'ont pas besoin de tomber dans la prostitution, qu'elles ont suffisamment de soutien social du berceau à la tombe, alors qu'en réalité, de très nombreuses femmes se sont prostituées en Suède à cause de l'argent facilement gagné. On a constaté qu'un Suédois sur dix profitait de ces Suédoises qui se prostituent. La prostitution est devenue tellement courante en Suède qu'en 1998, il a fallu rétablir la législation sur le commerce sexuel dans les rues.
Bien des gens disent qu'il suffit d'éliminer la présence des femmes dans la rue, de réglementer la prostitution ou de la légaliser en la faisant sortir du Code criminel, et tout ira bien.
Nous avons étudié les pays qui ont mis cette formule à l'essai, et les résultats qu'on y observe sont absolument sidérants. Nous avons constaté que du fait de la décriminalisation de la prostitution, les professionnels du sexe ne restent jamais dans leur secteur désigné et qu'ils fréquentent en priorité les quartiers d'affaires.
Les quartiers réservés et les bordels deviennent des points centraux pour les trafiquants et ceux qui se livrent à d'autres activités criminelles. Les bordels légaux sont peu contrôlés par la police et, de ce fait, ils deviennent rapidement des points de contact de prédilection pour les trafiquants de drogues. En se faisant passer pour des clients, ils s'en donnent à coeur joie sachant que leur négoce passera inaperçue.
La légalisation engendre la légitimité, qui engendre elle-même un accroissement énorme de la consommation de la prostitution. On le voit à Amsterdam, où la prostitution illégale l'emporte sur la prostitution légale. Dans tous les pays qui ont opté pour la décriminalisation, la prostitution illégale a fortement augmenté. La légalisation de la prostitution provoque un essor du phénomène sous toutes ses formes, et la prostitution non réglementée augmente beaucoup plus vite que les activités prostitutionnelles légales.
Les proxénètes poursuivent librement leurs activités en toute sécurité dans les bordels des quartiers réservés.
La ville de Boston, par exemple, a essayé de réglementer la prostitution en la contenant dans un quartier réservé, qui n'a pas tardé à devenir une jungle autonome appelée la « zone de combat », à laquelle la police n'a plus accès. En effet, partout où la prostitution est présente, elle attire dans son sillage la criminalité sous forme de trafic de drogues, de jeux et de pornographie. Le quartier réservé de Boston était tombé sous le contrôle et la mainmise du crime organisé, qui empêchait la police locale d'y pénétrer pour rétablir l'ordre. La situation n'a pu être maîtrisée que lorsque le conseil municipal de Boston a révoqué l'arrêté municipal sur l'octroi des permis dans ce quartier.
Le Nevada a actuellement 28 bordels légaux, mais on a constaté que le nombre des prostituées dans les rues a considérablement augmenté aussitôt après l'ouverture des bordels. Les prostituées des bordels ne sont ni plus ni moins que des esclaves sexuelles. Elles travaillent à raison de 14 heures par jour, sept jours sur sept et trois semaines d'affilée. Elles ne peuvent quitter l'établissement qu'avec une autorisation et sous escorte.
¼ (1800)
L'Allemagne a elle aussi cherché une solution. Elle a autorisé l'utilisation, à des fins exclusives de prostitution, de plusieurs immeubles appelés Centres Éros. Dans ces immeubles, les prostituées devaient payer des montants très élevés pour louer les cubicules dans lesquels elles vivaient et travaillaient. Le loyer était exigé même lorsqu'elles s'absentaient. Les femmes, à peine vêtues, étaient tenues de s'asseoir dans l'entrée près des ascenseurs, où les clients pouvaient les observer et faire leur choix lorsqu'ils sortaient des ascenseurs. Leur proxénète régnait en maître sur l'entreprise.
La légalisation de la prostitution en Allemagne a eu une conséquence inattendue et très intéressante. Les propriétaires de bordels, qui doivent payer des impôts et cotiser à l'assurance-maladie des employés, ont été inscrits dans les bases de données des centres locaux de recherche d'emplois. En vertu de la réforme du bien-être social en Allemagne, toute femme de moins de 55 ans qui est au chômage depuis plus d'un an peut être contrainte d'accepter n'importe quel emploi disponible, y compris un emploi dans l'industrie du sexe, faute de quoi elle perd ses prestations de chômage. En légalisant la prostitution, on la débarrasse de toute connotation morale, si bien que les femmes sont désormais contraintes de chercher des emplois dans l'industrie de la prostitution.
On peut aussi prendre l'exemple de l'État de Victoria, en Australie. En 1986, le gouvernement de l'État, dirigé par le Parti travailliste australien, a légalisé les bordels, affirmant que cette mesure allait permettre d'éliminer la criminalité, d'assurer la sécurité des prostituées et de réduire les risques de maladie. Or, aucun de ces objectifs n'a été atteint. Le crime organisé a fait main basse sur la prostitution dans l'État de Victoria, où cinq à six chefs de gangs contrôlent l'ensemble du secteur prostitutionnel.
Les maladies transmises sexuellement et le SIDA ont augmenté, étant donné que les autorités médicales n'examinent que l'un des partenaires de l'acte sexuel. En outre, des résultats médicaux favorables donnent aux clients, aux prostituées et aux médecins une fausse impression de sécurité. De surcroît, les examens médicaux ont suscité l'hostilité des prostituées, qui s'y sont prêtées de moins bonne grâce et qui, de toute façon, se déplaçaient trop pour qu'un suivi efficace soit possible. Lorsqu'une d'entre elles était infectée, elle se faisait remplacer par une autre femme lors du contrôle médical, en lui donnant sa carte.
La prostitution sous toutes ses formes a progressé dans l'État de Victoria, où l'on comptait en 1992, 200 bordels illégaux contre 60 bordels licenciés.
Nous insistons sur le fait que si l'on veut mettre un frein à la prostitution, la légalisation n'est certainement pas la bonne solution. La prostitution est un phénomène dommageable par lequel un corps humain est livré contre rémunération au plaisir sexuel d'un client. C'est une activité dégradante et déshumanisante. C'est une atteinte à la dignité humaine. La prostitution a de nombreux effets dommageables pour les prostituées, pour leurs clients et pour leur famille. Étant donné qu'une prostituée vend du sexe en tant que service à un client, c'est la dignité des femmes et des hommes qui est atteinte.
La prostitution est dommageable au milieu dans lequel se produit la sollicitation. Comme des rues étaient devenues impraticables à cause de la prostitution, le Canada a ajouté les dispositions sur la communication aux articles sur la prostitution dans le Code criminel en 1978, afin de protéger les quartiers et les rues où se pratiquait la prostitution.
Les prostituées sont des éléments très vulnérables de la société. Elles sont exposées à l'humiliation, à l'exploitation sexuelle et à la violence des clients, des proxénètes et des commerçants dont elles utilisent les locaux. Elles ne bénéficient d'aucune sécurité, ne peuvent se former à aucun autre emploi et mettent en danger leur santé physique et mentale.
Les effets de la prostitution sur les jeunes enfants sont désastreux. Nous sommes très préoccupés de ces effets sur les adolescents, car ils y voient la possibilité de gagner facilement de l'argent. Ils peuvent l'observer dans les rues et décider de s'y adonner.
Nous considérons que la prostitution résulte souvent de la toxicomanie, qui a pour corollaire la maladie et l'itinérance. En tant qu'avocate, j'ai eu plusieurs clientes qui étaient d'ex-prostituées. Je les connais. Elles sont droguées, alcooliques et émaciées; elles ont besoin de soins et d'aide.
Il est certain qu'elles ont besoin de plus de sécurité. Pour cela, il faudrait leur proposer des maisons de transition et des mesures de soutien car elles sont généralement trop perturbées et dysfonctionnelles pour s'en sortir seules.
¼ (1805)
Parallèlement à tout changement qui serait éventuellement apporté aux lois sur la prostitution, il faudrait procéder en priorité à un investissement massif dans les programmes sociaux.
En conséquence, notre organisme formule les propositions suivantes : comme l'activité de prostitution ne constitue pas une infraction au Code criminel actuel, nous pensons qu'il faudrait le modifier pour interdire la prostitution et les activités connexes, comme la tenue d'une maison de débauche et le fait de vivre des produits de la prostitution. De telles mesures ont donné de bons résultats dans certains États, comme ceux de l'ouest australien, et pourraient en donner ici également.
Cette réforme de notre législation serait conforme aux engagements internationaux pris par le Canada en 1981 lorsqu'il a ratifié la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes. L'article 6 de cette convention stipule que les pays qui la ratifient devront prendre toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour éliminer la prostitution des femmes. De lourdes pénalités doivent être invoquées contre ceux qui prostituent des enfants. Il faudrait modifier l'article 213 du Code criminel sur la sollicitation pour en faire une infraction hybride, ce qui permettrait au ministère public d'invoquer une procédure sommaire ou d'en faire un acte criminel. On pourrait prendre des photographies et les empreintes digitales des contrevenants. Ces outils d'identification permettraient de retrouver plus facilement les adolescents fugueurs et les clients dangereux.
Il faudrait prendre des mesures pour permettre la réadaptation des hommes et des femmes qui se prostituent. Il faudrait davantage de logements protégés, de centres de désintoxication et de réadaptation, de counselling, de programmes d'éducation et de formation professionnelle pour les aider à retrouver la dignité, l'estime de soi et leur donner un but dans la vie.
Nous savons que ces recommandations ne permettront pas d'aider toutes les personnes prostituées, mais un programme de sensibilisation à leur intention aura au moins pour effet d'épargner à certaines d'entre elles l'humiliation de la rue. On ne peut pas les laisser souffrir. Elles sont victimes de toxicomanie, d'alcoolisme et elles ont besoin qu'on s'occupe d'elles. C'est ce que nous voulons qu'on fasse en pénalisant la prostitution proprement dite, et non pas le vagabondage et tout le reste, comme on l'a fait jusqu'à maintenant. Les mesures interdisant la prostitution doivent s'accompagner de services pour les hommes et les femmes qui se livrent à la prostitution.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Cherry Kingsley.
Mme Cherry Kingsley (coordonnatrice nationale, Canadian National Coalition of Experiential Women): Bonjour à tous. Merci de nous avoir invitées. Je suis heureuse d'avoir été choisie comme membre de ce groupe.
J'aimerais présenter brièvement la National Coalition of Experiential Women, car cet organisme a été créé très récemment. Nous sommes essentiellement un regroupement de femmes qui ont une expérience directe du travail sexuel qu'elles pratiquent ou qu'elles ont pratiqué. Nous sommes toutes militantes et nous représentons des milliers de femmes de toutes les régions du Canada. Nos expériences comprennent le massage, l'escorte, la prostitution de rue, les films pour adultes et la danse érotique. Nos membres comprennent des femmes autochtones, des francophones, des Asiatiques, des femmes de conditions très diverses.
Notre mission est de promouvoir l'égalité et les droits des femmes qui ont pratiqué ou qui pratiquent le travail sexuel. Nous contestons les modèles de répression ou de réadaptation qui continuent à pénaliser et à opprimer les prostituées, dont nous voulons améliorer les conditions de travail et de vie.
J'aimerais également vous présenter ma collègue Samantha. Elle est membre de notre comité directeur.
Mon exposé risque d'être un peu touffu et de passer sans transition d'un sujet à un autre, mais je pense que les recommandations que nous voulons faire à ce comité sont très claires. L'exposé proprement dit est un peu compliqué, car nous essayons d'y prendre en compte la bipolarisation dont on vous a certainement déjà parlé dans le débat sur la prostitution. Certains y sont favorables en tant qu'activité commerciale et d'autres préconisent son abolition. Nous essayons de bien traduire la diversité de l'expérience des prostituées. C'est pourquoi l'exposé est un peu diffus.
Tout d'abord, j'aimerais insister en particulier sur les conséquences du maintien de la criminalisation des travailleuses du sexe. Nous ne parlons pas ici des enfants. Soyons très clairs. Le Comité de la justice est en train d'étudier un projet de loi qui vise à protéger les enfants. Nous n'en parlerons pas ici. Le point de vue de notre coalition est formel en ce qui concerne la condamnation de toute participation d'enfants ou d'adolescents à des activités de prostitution, ce qui constituerait évidemment une forme de maltraitance et d'exploitation, ce que nous reconnaissons parfaitement.
Nous considérons par expérience que la législation actuelle sur la communication contraint les femmes à monter sans précaution dans la première voiture venue et à s'exposer à des situations dangereuses. Elle ne permet aucune forme de négociation ou d'accord, et empêche la femme d'exprimer son consentement ou son refus. Essentiellement, elle empêche de communiquer. Les femmes n'ont pas la possibilité d'accorder ou de refuser leur consentement ni de négocier les modalités de ce qu'elles vont subir.
Nous reconnaissons cependant les conséquences de la prostitution de rue sur la collectivité. Ces conséquences sont réelles, en particulier dans les secteurs très fréquentés. Nous reconnaissons les nuisances subies par la collectivité : des enfants et des femmes se font harceler, des seringues et des condoms jonchent le sol, etc. Il est vrai que la prostitution a une lourde incidence sur la collectivité et qu'elle peut occasionner des formes annexes de criminalité, notamment la violence et le trafic de drogues.
Mais nous voulons également faire comprendre au comité que ces problèmes ne relèvent pas de la responsabilité des prostituées. Généralement, ce ne sont pas les femmes elles-mêmes qui les causent; ce sont le plus souvent leurs clients ou ceux qui les exploitent, notamment les revendeurs de drogues. Les prostituées ne sont pas en mesure d'apporter les changements nécessaires, et la collectivité a tendance à les tenir responsables de ces inconvénients. C'est ce que nous tenions à dire.
¼ (1810)
Les femmes ne contrôlent même pas non plus souvent l'emplacement de ces zones à cause de lois comme celles régissant les maisons de débauche et la communication. Généralement, les zones sont désignées à la demande des clients et des forces de police locales ou parce que ce sont des quartiers pauvres, par exemple. Les femmes n'ont pas de pouvoir de décision. C'est l'aspect pénal de cette activité qui retire tout pouvoir aux femmes et qui les place dans l'impossibilité de prendre elles-mêmes ces décisions.
Un mythe veut que les salons de massage, les services d'escorte donnent la possibilité aux femmes de négocier le prix de leurs actes sans danger. Nous entendons souvent dire que les salons de massage et les services d'escorte offrent plus de sécurité aux femmes. Par contre, nous entendons toujours parler de descentes dans les salons de massage; nous entendons toujours parler de descentes dans les salons de danse et dans les lieux de ce genre, et les articles dans les journaux montrent clairement que ce mythe n'est pas tout à fait vrai. Ce sont les femmes et non pas les agences qui finissent presque toujours par assumer tous les risques humains et juridiques. Les agences fournissent les lieux, fixent les prix et les services correspondants. Les femmes ont rarement leur mot à dire sur toutes ces questions. Il n'est donc pas vrai qu'elles ont un quelconque pouvoir de négociation.
Les activités des travailleuses du sexe restant criminalisées, elles sont aussi les victimes d'un deuxième degré de traitement punitif et systémique par l'État. Les travailleuses du sexe sont maintenues dans un état de vulnérabilité et n'ont accès à aucun des services de bien-être, de logement, de santé ou d'emploi. Permettez-moi de vous donner une parfaite illustration. Lorsqu'une travailleuse du sexe est agressée sexuellement pendant son travail—peu importe que cela soit dans le contexte d'un salon de massage, d'un service d'escorte ou qu'elle fasse simplement le trottoir—, il lui faut divulguer son propre comportement criminel avant de pouvoir bénéficier des simples services d'un hôpital ou de ceux de la police alors qu'elle est une victime d'agression sexuelle. C'est le résultat direct de la criminalisation des activités des travailleuses sexuelles.
À cause de leur statut, ces femmes, tant publiquement que dans le système juridique, continuent non seulement à être des victimes de viol, d'agression physique, de coercition, de violence et de meurtre, mais en plus nous constatons qu'elles en sont les cibles privilégiées d'un bout à l'autre du pays. Elles ne sont pas simplement vulnérables. On entend beaucoup parler de la vulnérabilité des travailleuses du sexe, mais en réalité elles sont les cibles privilégiées de ces actes répréhensibles. Les médias ont tendance à faire l'équation entre travail du sexe, viol et meurtre, et c'est à cause de la criminalisation de ces activités.
Nous ne demandons pas la légalisation. Nous demandons simplement une décriminalisation immédiate des lois touchant les travailleuses du sexe, comme celles régissant la communication et les maisons closes. Nous estimons que les lois sur le proxénétisme, le recrutement et les produits de la prostitution offrent des protections importantes aux femmes. Nous ne demandons pas de légalisation parce que c'est un débat de société beaucoup plus large auquel tout le monde veut participer... et nos membres veulent elles-mêmes définir leurs conditions de travail. Elles ne veulent pas qu'elles soient définies par les règlements d'un gouvernement ou d'un propriétaire de bar. Les femmes aimeraient avoir personnellement la possibilité de définir leur sécurité et leurs conditions de travail et de vie.
Les conditions actuelles sont une atteinte évidente aux droits humains et à la santé des femmes. Une décriminalisation immédiate donnerait aux femmes la possibilité d'accéder à des services de base, aiderait les femmes à communiquer en toute sécurité et leur permettrait de négocier elles-mêmes leurs conditions de sécurité, ce qu'elles sont prêtes à faire ou à ne pas faire et dans quel lieu. C'est la raison pour laquelle la décriminalisation immédiate est une priorité.
¼ (1815)
Bien qu'il y ait à l'évidence chevauchement entre les questions sociales, les questions de travail et d'autres questions qui concernent les travailleuses du sexe, nous voulons éviter les confusions. Que tout se fasse entre quatre murs et ces femmes pourront vivre et travailler en toute sécurité. Si votre objectif est d'assurer la sécurité des femmes, de les loger correctement, de leur assurer des services de santé corrects, il n'est pas besoin que la contrepartie soit un service sexuel.
Nous ne voulons pas qu'une décriminalisation remplace les services sociaux. Ce sont des questions totalement distinctes. Vous voyez ce que je veux dire? Il y a actuellement un véritable dialogue sur l'amélioration des conditions de vie des femmes. Si vous voulez que les femmes vivent mieux, c'est parfait, mais il ne faut pas le confondre avec la décriminalisation du travail du sexe.
Nous n'accepterons pas de programme de diversion pour remplacer la décriminalisation. Nous ne voulons pas d'écoles de réinsertion. Nous ne voulons pas de programmes de rééducation à la place d'une décriminalisation de ces activités. Nous voulons une véritable réforme législative. Nous espérons que votre comité poursuivra ce dialogue visant à une plus grande réforme juridique et à une révision des lois sur l'immigration, par exemple, et aussi, au deuxième degré, des traitements punitifs de l'État.
Nos recommandations sont les suivantes.
Nous voulons une décriminalisation immédiate des activités des travailleuses du sexe.
Il faut que votre comité nous aide à engager un dialogue sur la sécurisation des conditions de travail et de vie des travailleuses sexuelles. Par le biais de votre comité, bien évidemment, mais aussi par d'autres biais. Cela fait trop longtemps que les lois sur l'interdiction de communiquer et sur les maisons closes interdisent aux femmes opprimées de définir ces conditions. Il faut donner aux femmes, non seulement devant votre comité mais dans la collectivité elle-même, le soutien nécessaire pour engager ce dialogue.
Il faut que votre comité recommande la fin de ces politiques punitives dans les domaines du bien-être, du logement, de l'emploi et de la santé qui sont une seconde forme de criminalisation et de sanction des travailleuses sexuelles. Il faut que votre comité recommande, si vous acceptez de décriminaliser ces activités, que les politiques et les services de l'État reflètent ce principe.
Il faut que votre comité recommande une réforme plus large du droit incluant l'examen des lois sur l'immigration discriminatoires.
Il faudrait que votre comité s'engage et adopte pour principe que la décriminalisation ne doit pas remplacer l'accès aux services dont ont besoin les travailleuses du sexe. La décriminalisation et l'accès à ces services sont fondamentaux pour garantir les droits humains de toutes les femmes.
Merci.
¼ (1820)
Le président: Merci, madame Kingsley.
Monsieur Hanger, sept minutes.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie toutes d'être venues témoigner.
Je trouve tout particulièrement intéressants certains des commentaires de Cherry Kingsley. Pour commencer, j'ai besoin d'une petite précision.
Vous êtes pour la prostitution. N'est-ce pas? Vous demandez à notre comité d'officialiser cette activité, de légitimer ce genre de services ou de travail. C'est bien ce que vous nous demandez?
Mme Cherry Kingsley: Pour moi, la priorité c'est la décriminalisation. Continuer à criminaliser les travailleuses du sexe implique un choix qu'elles ne sont pas autorisées à communiquer. Vous voyez ce que je veux dire? Il faut décriminaliser les lois sur la communication et sur les maisons closes pour permettre aux femmes de communiquer leur consentement.
Vous voyez ce que je veux dire? Ne pas donner aux femmes le droit juridique de communiquer leur niveau de consentement est une contradiction.
M. Art Hanger: D'accord. Tout ce que je veux, c'est une réponse précise, si vous le voulez bien.
Mme Cherry Kingsley: Oui, nous sommes pour. Oui.
M. Art Hanger: Donc, pour vous, la prostitution est une forme de travail légitime. Voulez-vous le contrôle de cette activité?
Mme Cherry Kingsley: Oui. Les femmes veulent pouvoir définir leurs conditions de travail.
C'est une question vraiment difficile. Vous me mettez dans l'embarras car le consensus au sein de notre organisation n'est pas total. Certaines considèrent que c'est une simple question de conditions de travail. D'autres considèrent qu'il y a des réalités économiques qui obligent les femmes à se livrer à ces activités. Il serait injuste de ma part de ne pas représenter ces deux opinions.
Vous comprenez ce que je veux dire? Certaines femmes s'estiment forcées à pratiquer cette activité.
¼ (1825)
M. Art Hanger: Certaines le sont.
Mme Cherry Kingsley: Que ce soit dû à des circonstances ou par choix que ces femmes se prostituent, elles continuent à avoir des droits humains. C'est donc à la suite de certaines circonstances ou par choix que ces femmes se retrouvent dans cette situation. Vous voyez ce que je veux dire? J'essaie de représenter les deux.
M. Art Hanger: J'essaie de me faire une idée plus claire de ce que vous nous dites. C'est la raison pour laquelle je vous pose cette question.
Mme Cherry Kingsley: Nous savons que la prostitution existe et que ces femmes choisissent de se prostituer ou y soient poussées par des circonstances économiques, elles ont toujours...
M. Art Hanger: Ce que j'ai aussi compris de ce que vous nous avez dit c'est que vous voulez pouvoir fixer vous-mêmes vos prix, faire vous-mêmes les négociations plutôt que de dépendre d'un tenancier de bordel, d'un patron de salon de massage ou de service d'escorte. Vous voulez pouvoir le faire vous-mêmes.
Mme Cherry Kingsley: Nous voulons pouvoir participer au dialogue. Nous ne disons pas que tout d'un coup les femmes auront les compétences nécessaires pour devenir des chefs d'entreprise et posséderont les qualités nécessaires pour tout gérer, mais elles veulent pouvoir participer à la définition de toute une série de facteurs.
M. Art Hanger: En même temps, vous voulez le maintien des dispositions du Code criminel relatives aux produits de la prostitution, aux maisons closes...
Mme Cherry Kingsley: Non, seulement celles relatives au proxénétisme. Il y a des lois qui protègent les femmes du proxénétisme et de ceux qui vivent des produits de la prostitution. Nous ne voulons pas légitimer les maquereaux et les transformer en hommes d'affaires légitimes. Nous voulons simplement donner aux femmes le pouvoir de négocier et de communiquer des conditions de vie et de travail sans danger.
M. Art Hanger: Vous ne voulez pas de la légitimation des maquereaux, quels qu'ils soient, que cela soit le gouvernement, les agences, etc. Vous ne voulez pas légitimer le proxénétisme, mais vous voulez légitimer la prostitution. C'est bien ça?
Mme Cherry Kingsley: Oui, que les femmes puissent communiquer leurs conditions de travail.
M. Art Hanger: Vous avez parlé de restructuration des lois sur l'immigration. Pourquoi vouloir restructurer les lois sur l'immigration?
Mme Cherry Kingsley: Il y a de plus en plus de femmes qui se retrouvent au Canada chassées par leurs conditions d'existence dans leurs pays d'origine. Nous n'avons pas une idée claire de ce que devrait être cette restructuration mais...
M. Art Hanger: Pourquoi faire?
Mme Cherry Kingsley: Les femmes concernées disent qu'elles sont maintenant ici, quels que soient les faux prétextes sur la base desquels elles ont été recrutées par une agence, qu'elles aient immigré sachant pertinemment qu'elles travailleraient dans le domaine du sexe, ou qu'elles aient été la victime de trafic et soient venues contre leur gré. La réalité est qu'elles doivent assumer tous les risques humains et légaux et qu'il faudrait commencer à comprendre que le trafic des humains et la traite humaine sont des problèmes réels auxquels sont confrontées les femmes. La législation actuelle ignore toutes sortes de considérations. Elle ne tient pas compte des circonstances individuelles de ces femmes.
M. Art Hanger: Madame Bertrand, vous avez parlé de légalisation, de permis, d'impôt—je suppose aussi d'assurance-emploi. Vous feriez payer des amendes à ceux et celles qui font le trottoir.
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: J'aurais dû être plus précise à ce sujet. Je crois qu'il est possible, avec une contravention, de réglementer le comportement des personnes qui font le travail du sexe dans la rue de façon à ce que le voisinage ne soit pas embêté. D'ailleurs, nous pouvons utiliser certains articles du code pénal à cette fin.
Au fond, je suis un peu gênée de faire cette recommandation. Ce que j'essaie de faire après avoir vu la situation moi-même en Finlande, en Suède, en Norvège, au Danemark, en Allemagne du Nord, en Allemagne de l'Est--à l'époque, en 1997, c'était encore l'Allemagne de l'Est même si le mur était tombé--est de trouver un instrument pour faire respecter la paix dans un quartier bien qu'il existe des personnes qui aient des activités de sexe dans la rue. Ainsi, aucune de ces personnes en particulier n'aurait vraiment l'occasion de causer un tort réel à autrui. C'est le principe.
Je ne suis pas certaine d'avoir bien résumé. C'était un peu vers la fin, et le président me faisait signe d'arrêter. C'est vers cela que je vais. Je ne suis pas certaine d'avoir réussi à formuler ce que je voulais dire.
¼ (1830)
[Traduction]
M. Art Hanger: C'est donc une question de contrôle. À propos de légalisation, à quand remontent vos données? Quand avez-vous fait ces recherches qui vous ont fait aboutir à votre position?
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: J'ai vu un exemple de cela à Hambourg, notamment. Pendant que j'étais là en sabbatique, j'ai vu cela plusieurs fois. Il y a deux rues très bien organisées où les maisons ne sont ni bourgeoises ni luxueuses; elles sont simples. Il est entendu que ces deux rues, à compter de 20 heures, ne sont pas ouvertes à la circulation des mineurs. Il n'y a pas de gendarmes au bord de la rue, mais il y a vraiment un consensus social. On ne va dans cette rue que si on est un adulte et qu'on connaît la façon de s'approcher de ce commerce, qui est comme un autre commerce.
Ce n'est pas l'idéal, mais c'est tout proche de l'idéal. Je peux vraiment dire qu'en 1993, 1996, 1997 et 1998, ce genre de solution a permis de diminuer considérablement la prostitution illégale dans la ville de Hambourg . C'était vraiment du travail de sexe légal. Dans ces maisons, on paie ses taxes et il y a des contrôles de santé. C'est le modèle que je suivais et dont on n'a pas parlé.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Hanger.
Madame Demers.
[Français]
Mme Nicole Demers (Laval, BQ): Merci, monsieur le président.
Madame Bertrand, j'ai bien écouté ce que vous avez dit. Je crois que vous avez exprimé exactement ce que je ressens. Quand les femmes choisissent de faire un métier du sexe, c'est un choix auquel elles sont contraintes, mais une fois qu'elles choisissent de le faire, il faut leur donner toutes les chances possibles de pouvoir le faire dans des conditions sécuritaires, sans devenir droguées parce qu'elles ont honte de ce qu'elles font, sans perdre leurs enfants parce qu'elles ne peuvent exprimer ce qu'elles sont. C'est très difficile.
En 1978, j'ai participé, avec M. Guy Simoneau, à la réalisation du film Plusieurs tombent en amour, qui traitait de la prostitution à Montréal. Je me rends compte que rien n'a changé. En presque 30 ans, absolument rien n'a changé. La situation est restée la même, sauf que les femmes sont encore plus à risque et plus en danger.
Madame Kingsley, vous semblez croire que s'il y a décriminalisation de la prostitution, vous serez probablement plus en sécurité parce que vous pourrez négocier vous-mêmes les conditions des actes que vous posez avec les clients. J'ai de la difficulté à croire cela. Négocier un prix ne veut pas nécessairement dire négocier sa sécurité. Comment pouvez-vous aussi souhaiter la décriminalisation des activités des proxénètes? Il me semble essentiel que les activités des proxénètes soit criminalisées, parce que c'est un aspect perturbant dans la vie des personnes qui choisissent de faire le travail du sexe. Cela me perturbe un peu. Je vois mal comment vous pouvez penser que si on décriminalise la prostitution, vous serez plus en sécurité lorsque vous ferez votre travail.
[Traduction]
Mme Cherry Kingsley: Oui, évidemment. Les conditions sont... la réalité c'est qu'à tout le moins cela permettrait de faire face à certains des aspects les plus visibles du métier du sexe, à savoir la prostitution de rue. Je parle ici des femmes qui font les ruelles, les quartiers des entrepôts et les rues mal éclairés. Essentiellement, la police travaille contre elles et non pour elles. À l'heure actuelle, leurs droits fondamentaux ne sont pas protégés. Cela tient en grande partie au fait que les femmes et la prostitution en générale continuent d'être criminalisées, mais les femmes surtout. C'est ce qu'il faut changer. On ne peut accepter les conditions dans lesquelles les femmes vivent et travaillent actuellement.
Permettre aux femmes de négocier l'emploi du préservatif, négocier légalement si elles monteront ou non à bord d'une voiture, si elles travaillent à partir d'une maison, ce qu'il advient de leur corps... il ne s'agit pas seulement de laisser les femmes négocier le tarif; il s'agit des choses qui leur arrivent, de l'endroit où ça se passe et le fait que les femmes puissent travailler ensemble, ou je ne sais quoi. Il s'agit de quantité de choses comme celles-là. Actuellement, la loi ne permet pas de faire progresser ces conditions.
¼ (1835)
[Français]
Mme Nicole Demers: Ne croyez-vous pas que ce serait plutôt une question de sensibilisation et d'information des gens afin de susciter leur respect? Comme nous l'avons vu plus tôt, à peine 3 000 personnes sont accusées au cours d'une année, alors qu'il y a beaucoup plus d'actes sexuels qui sont posés. Je ne pense pas que le vrai problème soit le fait que ce soit criminalisé. Je crois que le problème réside plutôt dans le fait que nous n'avons pas assez d'information sur la vie que vous menez, sur les femmes que vous êtes, sur ce que vous ressentez. La criminalisation ne me semble pas être le noeud du problème, mais je me trompe peut-être.
[Traduction]
Mme Cherry Kingsley: Peu importe ce que pensent les gens, nous sommes actuellement la cible de viols, de meurtres et d'agressions physiques et nous ne jouissons pas du même degré de protection par la police à cause de la stigmatisation sociale et juridique que nous subissons et de notre situation en droit. C'est devenu une chose acceptable à cause de la façon dont nous sommes dépeintes par le gouvernement et les médias. Il y a une véritable dénaturation des faits.
Peu importe ce que les gens pensent des femmes qui font le métier du sexe, il faut s'entendre sur le fait qu'elles méritent de jouir de droits fondamentaux. C'est cela un droit fondamental, on ne choisit pas qui y a droit et qui n'y a pas droit. Actuellement, tous ceux qui sont ici s'entendent sur le fait que les femmes qui font le métier du sexe n'en jouissent pas et c'est en partie attribuable au fait qu'elles continuent d'être criminalisées.
[Français]
Mme Nicole Demers: Merci.
[Traduction]
Le président: Madame Davies.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup.
Je remercie les témoins d'être venues aujourd'hui.
L'une des questions avec lesquelles on se débat, c'est celle du choix et de savoir ce qu'est la coercition et l'exploitation? On a longtemps pensé que le choix n'existe pas et que l'interdiction est donc la seule façon d'appliquer ceux-ci et que cela revient à de la protection. Autrement dit, interdiction égale protection. J'estime pour ma part que c'est une erreur. La question qui se pose donc : par quoi faut-il remplacer cette idée?
J'aime que vous abordiez la question du point de vue des droits mais cela nous ramène quand même à la définition de ce qu'est un choix. Nous ne nous entendrons peut-être jamais là-dessus. Il y a peut être un certain degré de choix mais notre travail à nous, je crois, est d'éliminer la coercition, l'exploitation et le risque qui existe. C'est ce que j'essaie de ne pas oublier.
Un certain nombre de témoins nous ont parlé de ce que l'on appelle le modèle suédois. Un témoin nous a dit qu'il n'y a que 100 prostituées en Suède, ce qui m'a laissée très sceptique. Essentiellement, la travailleuse du sexe n'est pas criminalisée mais son client l'est. J'ignore comment ils communiquent. Cela laisse planer une grande incertitude quant à l'endroit où ils communiquent.
Madame Bertrand, avez-vous de l'information sur les effets des mesures prises par la Suède? Madame Kingsley, votre association a-t-elle pu faire des recherches ou a-t-elle pu parler aux travailleuses du sexe en Suède pour savoir comment elles travaillent? Sont-elles satisfaites de ce qui se passe?
Avez-vous la moindre information?
¼ (1840)
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: Malheureusement, je ne suis pas retournée en Suède depuis 1993. Je n'oserais donc pas dire quelles sont les conséquences actuelles de l'application de la loi.
[Traduction]
Mme Libby Davies: D'accord.
Madame Kingsley.
Mme Cherry Kingsley: Est-ce que je peux aussi commenter le début de votre intervention?
Mme Libby Davies: Oui, bien sûr.
Mme Cherry Kingsley: Oui, c'est très vrai. Il existe des réalités économiques qui forcent les femmes à la prostitution. Le racisme existe. Dans certaines localités, un très grand nombre de prostituées de rue sont des Autochtones; de par le monde, dans bien des pays, ce sont des femmes de couleur. Il y a d'autres facteurs qui font que les femmes ne peuvent pas exercer un choix, comme le fait d'être dans une mauvaise relation, une crise soudaine ou un événement traumatique dans leur vie, des mauvais traitements, etc. Tous ces facteurs influent sur la capacité de la femme de faire un choix. Lui enlever au moyen d'une loi le droit de communiquer ne renforce sûrement pas sa capacité de s'affirmer et de consentir. Vous voyez ce que je veux dire? Continuez de criminaliser la communication des femmes ne renforce pas leur capacité de donner ou de retirer leur consentement.
Pour ce qui est du modèle suédois, en fait, il augmente le risque et réduit leur capacité de faire des choix. Au sujet du modèle suédois...
Mme Libby Davies: Pouvez-vous expliquer un peu plus ce que vous voulez dire? Quel effet cela a-t-il? Un certain nombre de gens nous ont dit que c'était une solution à examiner et il va sans dire que nous allons nous renseigner, mais...
Mme Cherry Kingsley: Eh bien, il n'y a pas de modèle dans le monde qui donne vraiment du pouvoir aux femmes qui font le métier du sexe, que ce soit la légalisation, la tolérance, la décriminalisation, ou l'interdiction pure et simple. Nulle part dans le monde il n'y a de modèles dans lesquels les femmes sont parfaitement en sécurité et ont les pleins pouvoirs.
Nous n'y sommes pas encore. Certes, divers modèles sont plus avantageux que d'autres mais dans les pays où l'interdiction est la règle, il règne une stigmatisation sociale quasi encouragée par l'État, sans parler des actes de violence que les femmes subissent. Il y a donc une double stigmatisation. Vous voyez ce que je veux dire? Et il n'y a pas de sanctuaires; il n'y a pas de sécurité. Les femmes n'ont pas l'occasion de discuter de sécurité, de santé ou de quoi que ce soit d'autre. Le maintien de l'interdiction et de la criminalisation des femmes éliminent ces possibilités.
Dans le modèle suédois, je vais m'avancer un peu ici parce que la coalition n'a pas de position déterminée sur les aspects juridiques, vu la très grande diversité d'origine de nos membres. Pour nous tous, c'est une forme de travail et jouir de ses droits fondamentaux est un préalable. Pour nous, le modèle suédois est contradictoire et nous ne voyons pas comment il profite aux femmes.
Notre priorité, il va sans dire, c'est de faire progresser les droits fondamentaux des femmes qui font le métier du sexe; les hommes n'en pâtiront pas s'il y a décriminalisation. Nous n'essayons pas ici de faire avancer les droits fondamentaux du client; nous essayons de faire progresser les droits fondamentaux de la femme.
Mme Gwendolyn Landolt: Puis-je ajouter quelque chose?
Le président: Est-ce que je peux demander à Mme Bertrand de répondre d'abord?
Mme Marie-Andrée Bertrand: Allez-y.
Mme Gwendolyn Landolt: Nous avons examiné le modèle suédois et même s'il ne comporte pas de restrictions sur la prostitution, comme Mme Kingsley l'a dit, nous avons découvert que les prostituées s'impliquent dans le trafic de drogues et s'adonnent au crime. Plus de la moitié des prostituées suédoises étaient toxicomanes et c'est l'une des principales raisons pour laquelle le pays a changé la loi en 1998. Cela faisait beaucoup de tort aux femmes et c'est ce que l'on voulait corriger.
Comme Mme Davies l'a dit, il est vrai que la loi a été changée en 1998 pour pouvoir poursuivre le client et laisser les femmes faire le trottoir. Mais ils s'aperçoivent maintenant qu'en fait il n'y a pas de contrôle et que les femmes sont utilisées, exploitées et maltraitées par les trafiquants de drogues qui les forcent à en consommer. Elles entrent dans le monde de la drogue, ce qui est très dangereux pour elles. La Suède envisage aujourd'hui de resserrer la législation sur la prostitution encore davantage pour protéger les femmes.
¼ (1845)
Le président: Madame Bertrand, vous vouliez aussi dire quelque chose.
Mme Marie-Andrée Bertrand: Merci, monsieur le président.
Ce n'est pas une question de choix.
[Français]
Il me semble que, quand nous décrivons des femmes qui n'ont pas de choix et qui doivent être aidées à faire des choix, nous parlons surtout des personnes qui font du travail de sexe sur la rue. Les personnes que je connais qui font de la danse nue, qui sont dans des agences d'escorte, qui organisent ou qui donnent des massages qui s'accompagnent de rapports sexuels sont en majorité des personnes qui ont fait des choix.
Je peux dire ici que certaines ont été mes étudiantes et celles de mes collègues. Elles ont payé leurs études en faisant de la danse nue, parfois comme escortes. J'en connais beaucoup d'autres dont les clients me consultent à l'occasion, qui reçoivent des escortes et qui décrivent le travail des escortes et l'encadrement qu'elles ont.
Je ne dis pas que c'est le paradis. Je dis qu'il ne faut pas généraliser en disant que toutes ces femmes n'ont pas choisi de faire ce travail. C'est un travail qu'elles font pendant un temps de leur vie. Soyons réaliste. Très peu d'entre elles, sauf peut-être celles qui sont tenancières ou qui organisent des maisons, peuvent le faire très longtemps. Celles que je connais l'ont fait plus ou moins cinq ou six ans. Elles ont donc vraiment fait des choix.
Je ne vais certainement pas les identifier, mais certaines sont maintenant les personnes qui organisent les services de soins pour celles qui font du travail de sexe dans la rue. Elles sont non seulement compétentes pour le faire, mais elles savent beaucoup de choses en matière de self-help. Il me semble donc qu'il ne convient pas de généraliser en disant que ces personnes sont des sortes d'esclaves en raison de leur condition économique, de leur manque d'éducation ou de leur incompétence sociale.
Deuxièmement, je suis tout à fait favorable à l'empowerment des femmes. Je pense qu'avec toute l'expérience qu'on a maintenant en sociologie, en criminologie et en travail social, on sait combien c'est important. Nous travaillons à la question de l'empowerment depuis 10 ou 15 ans et nous voyons qu'il arrive parfois que ce n'est pas nous qui savons. J'ai noté que madame disait que la réhabilitation... [Note de la rédaction: Inaudible] Je suis bien d'accord avec elle à ce sujet. Cependant, les travailleurs sociaux, psychologues et intervenants sociaux savent souvent moins de choses que les femmes elles-mêmes sur ce qu'elles pourraient faire et sur ce qu'elles ont envie de faire. Je voulais m'élever contre cette généralisation.
[Traduction]
Le président: Merci.
Monsieur Hanger, pour un tour de trois minutes.
¼ (1850)
M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.
Parfois, monsieur le président, j'ai l'impression que je devrais siéger à ce bout de la table parce que je pourrais témoigner de ma propre expérience quand il s'agit de prostitution. Comme ancien policier, je peux vous dire...
Mme Nicole Demers: Oh, je pensais que vous parliez des escortes.
M. Art Hanger: ... la prostitution c'est loin d'être rose. Peut être aurais-je l'occasion de m'asseoir là un jour.
Mme Libby Davies: Nous allons vous convoquer comme témoin.
M. Art Hanger: Des collègues à moi s'en viennent; ils pourront vous en apprendre, je vous prie de me croire.
J'ai une question à poser à Gwendolyn Landolt. Déclaration : « la prostitution est légalisée et il n'y a donc plus de conséquence morale ». Pouvez-vous préciser?
Mme Gwendolyn Landolt: Pour bien des gens, rendre la prostitution légale la rend moralement et socialement acceptable. Cela a pour effet de pousser de plus en plus de femmes dans la prostitution. Nous avons vu ce qui est arrivé en Allemagne où les femmes sont placées... lorsqu'elles ont besoin d'un emploi. Le métier du sexe est légal et on leur dit donc que si elles n'acceptent pas un emploi dans ce secteur, elles vont perdre leurs avantages sociaux. La prostitution perd toute connotation morale du coup où elle devient légale. C'est dangereux parce que nous savons tous ici que la prostitution est dangereuse et parfois terriblement dangereuse pour les femmes.
Le but de toute loi est de protéger les prostituées ainsi que la société et les jeunes. Légalisée, elle perd toute dimension morale et plus de gens s'y adonnent, avec pour conséquence plus de morts, de viols, de femmes meurtries et brisées et une société meurtrie et brisée aussi. C'est pourquoi il est très important qu'elle continue d'être un acte criminel.
M. Art Hanger: Merci.
Le président: Madame Bertrand, avez-vous quelque chose à ajouter?
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: Je suis bien d'accord que la prostitution de rue comporte un danger, un grand risque. Cependant, je maintiens que le mariage est dangereux et que tous les rapports sexuels comportent une part de risque pour toutes les femmes du monde. Au Centre international de criminologie comparée, nous avons calculé, dans la mesure du possible, le risque que court l'ex-conjointe lorsqu'elle reçoit la visite du conjoint et le risque à sa personne physique qu'elle court lorsqu'elle a un contact sexuel à partir de la rue. Nous ne l'avons fait pour l'instant que pour Montréal, et je vous assure que la comparaison se soutient: à notre connaissance, en termes de pourcentage, les risques que courent les femmes lors d'un contact avec un ex-conjoint, qui réclame quelquefois et même très souvent un rapport sexuel, ne sont pas très différents des risques que courent les prostituées de la rue.
[Traduction]
Le président: Merci.
Monsieur Hanger, rapidement.
M. Art Hanger: J'aimerais bien voir les travaux là-dessus, madame Bertrand. J'ai bien du mal à comprendre ce que vous venez de dire et j'aimerais bien que vous donniez de l'information au comité sur ce point.
Comme ancien policier, je sais que le crime organisé est au coeur de tout cela. Que vous soyez danseuse, service d'escorte ou propriétaire de salon de massage, ses tentacules sont partout. Je l'ai vu. J'ai dû m'y confronter moi-même.
Cherry, avez-vous un agent? Êtes-vous danseuse?
Mme Cherry Kingsley: Non, je ne fais plus le métier du sexe. Je l'ai abandonné il y a quelques années.
M. Art Hanger: Bien. Je vous en félicite parce que j'ai vu trop de drames, trop de femmes qui pratiquaient ce métier.
Je veux vous poser une question parce que je pense qu'il est très important...
Le président: Rapidement.
M. Art Hanger: Oui, merci.
C'est très important. Dites-moi jusqu'où le crime organisé est présent dans la prostitution et comment il fait tourner toute la machine, toute l'industrie.
Mme Cherry Kingsley: Tout d'abord, je veux confirmer ce que vous avez dit. Vous parliez des conditions et des méfaits que subissent les travailleuses du sexe. Moi, j'ai fait ce travail de l'âge de 14 à 22 ans; je ne dis pas que ce qui m'est arrivé ou que les circonstances... la plupart des amies avec qui j'ai grandi sont mortes; elles sont mortes. Elles sont mortes du VIH, de la drogue, de suicide et beaucoup ont été assassinées. Je viens de Vancouver où les conditions, on le sait, sont inimaginables, avec toutes ces femmes disparues. Il semble régner une impunité absolue pour les actes de violence, de viols, de contraintes et de coercition. Peu importe ce que j'aurais pu vous dire, à l'âge de 14 ans il est exclu que je faisais un choix de carrière; personne ne peut défendre ce qui est arrivé et l'ampleur de la violence.
Par contre, il y a là des femmes, et c'est la réalité. Cessons de faire d'elles des criminelles. Bien sûr, il y a des conditions sociales, il y a des questions morales et cela a des effets sur la collectivité, mais je vous en prie cessons de mettre cette responsabilité sur le dos des femmes comme si elles avaient le pouvoir, comme si c'était un choix qu'elles avaient fait, comme si elles avaient la capacité de choisir d'y être ou pas? Est-ce qu'on peut cesser de criminaliser les femmes?
Si on veut corriger certaines de ces conditions, je suis tout à fait pour mais est-ce qu'on peut cesser d'imposer la responsabilité aux femmes, comme si elles pouvaient prendre le téléphone et obtenir de l'aide? Il n'y a pas d'endroit où téléphoner parce qu'elles sont des criminelles. Savez-vous ce que je veux dire? Ce n'est pas comme ça, et c'est pourquoi il faut cesser de les criminaliser. C'est aussi simple que cela.
¼ (1855)
Le président: Merci, monsieur Hanger.
Madame Demers.
[Français]
Mme Nicole Demers: Merci, monsieur le président.
Monsieur Hanger, l'année dernière, au Québec, il y a eu plus de femmes tuées par leur ex-conjoint que de prostituées tuées dans la rue. C'est une situation très désagréable et très malheureuse que nous vivons.
Madame Kingsley, votre organisme est nouveau. De combien de temps aurez-vous besoin pour structurer un cadre dans lequel vous pourrez travailler à l'aise?
Vous nous dites que vous n'avez rien de précis présentement. Vous voulez bien que l'on respecte les droits humains, et je suis d'accord avec vous, mais pour assurer le respect des droits humains, il faut travailler à l'intérieur d'un cadre. Il faut aussi avoir un cadre légal dans lequel on puisse travailler et dans lequel nous puissions nous reconnaître et légiférer.
De combien de temps aurez-vous besoin pour consulter les personnes qui font partie de votre réseau? Quand pourrez-vous revenir au comité pour nous donner une idée de ce dont vous avez besoin pour pouvoir travailler en sécurité, dans le respect et la dignité?
[Traduction]
Mme Cherry Kingsley: Tout d'abord, il règne cette impression que la décriminalisation est la solution à une multitude de conditions, tant dans la société que pour les femmes, et ce n'est pas le cas. Je veux que les gens le comprennent.
Nous n'avons tenu que deux assemblées nationales, mais nous avons pu élaborer des énoncés sur la santé, la sécurité et les questions sociales, un énoncé sur la réforme du droit, un énoncé sur les enfants et les jeunes et l'exploitation, et un autre sur la sensibilisation ou la conscientisation de la population et discuter de certaines questions concernant les médias. Je peux fournir au comité tous ces énoncés et vous verrez que dans notre esprit la décriminalisation ne résout pas les problèmes dans la société et ceux que connaissent les femmes. Nous avons une perspective plus large.
En réponse à votre question, il faudrait une ou deux autres rencontres avec des femmes pour élaborer un énoncé plus détaillé sur la réforme du droit. En tout cas, il y a un consensus national sur l'importance de la décriminalisation; nous ne pouvons plus continuer de criminaliser les femmes. Même si ce n'est pas quelque chose que le mouvement syndical est heureux d'entendre, les conditions dans lesquelles certaines de ces femmes vivent équivalent à de l'esclavage et on ne peut pas continuer de les criminaliser pour ça.
[Français]
Mme Nicole Demers: Même dans le cas du trafic sexuel? Croyez-vous plutôt que le trafic sexuel est une autre chose? Le trafic sexuel se pratique présentement dans plusieurs pays, et c'est une chose sur laquelle nous devons nous pencher, parce qu'il s'agit souvent de femmes jeunes qui sont obligées de se prostituer alors qu'elles ne le veulent pas. Elles sont vraiment des victimes et des esclaves.
[Traduction]
Mme Cherry Kingsley: Oui, évidemment, le trafic est une question prioritaire. En ce qui concerne les économies subversives—si c'est le nom que vous leur donnez—c'est une des trois principales au monde. Elle est l'équivalent du trafic d'armes et de drogues, et les gens font maintenant partie d'une des trois économies du monde.
Même si l'on parle de nos relations mondiales ou internationales, d'une relation avec les États-Unis, ce serait une bonne chose pour nous de nous en prendre au problème du trafic sexuel. Les Américains nous considèrent comme un risque pour leur sécurité parce que nous sommes un pays de transit; c'est ainsi que les gens nous appellent. Nous ne sommes par forcément le pays de destination mais nous sommes certainement un pays par lequel les gens passent. Et les conséquences pour les femmes et les enfants partout dans le monde sont énormes. Comme pays, le Canada a déclaré qu'il y a certains principes auxquels il souscrit sur des problèmes comme l'esclavage, le passage de clandestins et le trafic.
½ (1900)
Le président: Madame Bertrand, vous aviez quelque chose à ajouter?
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: Je vous remercie, monsieur le président.
Sur ce point, autant je trouve que nous devons absolument nous soucier des femmes et probablement aussi des jeunes garçons qui, venant d'autres pays, deviennent probablement des esclaves sexuels dans notre pays, autant il me semble que nous devons nous soucier de ce qui arrive aux jeunes autochtones dans les villes canadiennes.
Je ne sais pas si votre sous-comité a de l'argent pour faire une recherche, mais une recherche qui serait bien intéressante en serait une qui porterait sur ce que j'appellerais une cohorte de jeunes autochtones qui ont quitté leur communauté à 15, 16, 17 ou 18 ans. On pourrait voir ce qui leur arrive lorsqu'ils vivent en ville, du point de vue de la question que nous étudions ici, mais aussi du point de vue de mille autres choses. Il se trouve qu'à Montréal, il y a un centre qui se nomme Centre d'amitié autochtone. Il y a par ailleurs un centre qui aide les travailleuses du sexe et de la rue à se remettre en forme physiquement, à travailler et à comprendre leur situation. Ce centre, qui se nomme Stella, est venu en aide aux jeunes qui arrivent au Centre d'amitié autochtone, de façon à ce qu'ils puissent prendre conscience des conditions urbaines et de ce qu'ils peuvent faire en ville de leur propre culture, ce qui est très important.
Avec ma collègue Mylène Jaccoud qui travaille là-dessus, on constate qu'il y a tout un groupe de jeunes, des Montagnais ou des Cris par exemple, qui ont quitté leur communauté presque ensemble et qui n'ont trouvé à Montréal aucune des conditions qu'il leur fallait pour garder un tant soit peu leur culture et faire quelque chose avec. Puisque ces personnes sont canadiennes, il y a moyen de comprendre pourquoi leur arrivée en ville signifie leur insertion dans des réseaux de drogue, de prostitution et de tout ce qu'on leur offre d'autre.
En ce qui a trait aux immigrantes, la question du crime organisé autour des femmes ne m'est pas très familière, mais je connais très bien la question du crime organisé autour de la drogue. À mon avis, c'est très différent. Mes collègues qui travaillent sur la question des femmes, comme Colette Parent qui est venue témoigner devant vous, me disent que c'est très différent. Je pense qu'il ne faut pas mêler les deux questions.
[Traduction]
Le président: Il va falloir que je vous interrompe. Nous reviendrons sur la question si Mme Demers veut en discuter.
Madame Davies.
Mme Libby Davies: J'aimerais revenir sur deux ou trois points.
Madame Landolt, vous avez dit tout à l'heure que la prostitution est dangereuse et que vous souhaiteriez que la prostitution elle-même soit illégale, pas seulement les activités qui l'entourent. M. Hanger a ensuite signalé que le crime organisé est au coeur de la prostitution. Ce sur quoi je veux revenir, c'est la question de savoir s'il est vrai que l'interdiction et la loi causent elles-mêmes du tort. C'est ce qui crée les conditions qui permettent au crime organisé de s'infiltrer parce qu'il n'y a pas de règles. Il n'y a pas de réglementation. Tout se passe dans la clandestinité et c'est ce qui permet aux éléments criminels de s'infiltrer.
C'est la contradiction à laquelle nous sommes confrontés. Peut être que pour vous l'interdiction était la solution, mais cela a de tout temps été plus ou moins la règle et la situation n'a sans doute jamais été pire. Il y a donc là une contradiction.
J'aimerais revenir sur la question de la loi concernant la communication et demander à tous les témoins si selon elles elle sert les intérêts de quiconque : les travailleuses du sexe qui communiquent dans la rue, les clients ou les collectivités? À qui profite la Loi sur les communications? Fait-elle plus de tort que de bien? Faut-il l'abroger?
½ (1905)
Mme Gwendolyn Landolt: La Cour suprême du Canada a répondu à cette question en 1990 dans l'affaire sur la communication; elle a maintenu la loi au motif qu'elle faisait échec à une nuisance sur la voie publique. La confusion était telle que les rues étaient impraticables et la Cour suprême du Canada a déclaré que la Loi sur la communication était nécessaire et valide aux termes de l'article 1 de la Charte et peut se démontrer dans le cadre de la société.
Mme Libby Davies: Je connais le pourquoi, mais pensez-vous qu'elle a été efficace?
Mme Gwendolyn Landolt: Eh bien, s'il n'y a pas une forme quelconque de restriction, il va se produire ce qui est arrivé lorsque la législation sur le racolage a été abrogée en 1978 dans l'affaire R. c. Hutt. Il n'y avait rien pour arrêter la prostitution. C'est pourquoi la Loi sur la communication a été votée.
Dans R. c. Hutt, on a dit que le racolage, pour être passible de poursuites, doit être pressant et persistant. On s'est aperçu que cela était impossible à appliquer dans la pratique; pendant un certain temps, il n'y a donc pas eu de loi. Le Parlement a ensuite décidé qu'il fallait quelque chose pour protéger les rues, les quartiers. Les femmes se faisaient aborder dans la rue, la circulation était insupportable. La loi sur la communication a été votée et elle a permis de modifier, de réduire et de réprimer ce qui se passait dans la rue. Ce n'est pas idéal...
Mme Libby Davies: Le croyez-vous vraiment? Les faits montrent tout à fait autre chose.
Mme Gwendolyn Landolt: Eh bien, c'est préférable à ne rien avoir du tout, ce qui était le cas avant, parce que la circulation, les préservatifs sur la rue, les seringues... les trafiquants de drogues s'en donnaient à coeur joie sur la rue. Mais la Loi sur le racolage qui a été adoptée a été maintenue par la Cour suprême précisément parce qu'elle permettait d'éliminer une nuisance publique.
Mme Libby Davies: À votre avis, la situation des femmes qui s'adonnent au commerce du sexe est-elle plus sûre grâce à la Loi sur la communication?
Mme Gwendolyn Landolt: Eh bien, il y a eu une restriction de l'activité dans la rue grâce à elle. Autrement dit, la loi a une utilité. Elle ne règle pas les comportements. Si vous supprimez la Loi sur la communication, il y aura beaucoup plus de femmes dans la rue. C'est un des objets de la loi.
Mme Libby Davies: Pensez-vous que c'est plus sûr?
Mme Gwendolyn Landolt: Eh bien, c'est devenu plus sûr. Elle a réduit la circulation reliée à la prostitution dans les rues. C'est le résultat, c'est ce que la Cour suprême a dit. C'est précisément pour cette raison qu'elle l'a maintenue. La situation est donc plus sûre dans la rue, tant pour les prostituées que pour le quartier, l'environnement.
Le président: Madame Bertrand, pouvez-vous aussi répondre à cette question?
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: Le nombre de personnes arrêtées en vertu de l'article 213 a diminué, non pas parce que la Cour suprême a revalidé la communication en tant qu'offense, mais parce que toute la criminalité au Canada diminue depuis 1991.
Ce n'est pas à moi que vous posiez votre question, mais si vous me le permettez, je dirai que nous constatons, par l'intermédiaire de nos étudiantes sur le terrain, que la disposition du Code criminel qui interdit la communication a beaucoup compliqué et empiré le sort des travailleuses du sexe qui travaillent dans la rue. Mes autres points d'observation sont Calgary et Edmonton, où je suis allée enseigner récemment. Franchement, la situation n'est pas réglée parce qu'on a une interdiction de communication. La situation n'est pas réglée à Vancouver non plus.
[Traduction]
Le président: Madame Kingsley, voulez-vous répondre?
Mme Cherry Kingsley: Oui, une courte observation. Il est bien évident que les quartiers ne sont pas plus sûrs, les femmes non plus, par suite des lois sur les maisons de débauche ou la communication. C'est la vérité. Les quartiers ne sont pas plus sûrs et vous pouvez poser la question partout où la circulation est dense ou élevée, là où il y a du commerce sexuel visible.
Le résultat, c'est que des gens dans le quartier qui ne travaillent pas, à cause des lois sur les maisons de débauche et la communication, sont souvent ciblés et harcelés. Mais cela a aussi créé un milieu—je ne sais pas vraiment comment dire cela—de criminalité en quelque sorte, qui favorise d'autres aspects de la criminalité. Comprenez-vous ce que je veux dire?
Non, les lois n'ont pas rendu les femmes ou les quartiers plus sûrs et la demande du consommateur n'a pas baissé depuis que la communication est illégale. C'est un gros problème. Si on parle de moralité, il ne faut pas s'inquiéter seulement de la moralité des femmes. Si l'on veut sérieusement s'occuper de moralité, parlons de celle du consommateur.
Je plaisante. Je ne dis pas qu'il faut s'en prendre à tous les hommes. Je dis que si nous voulons sérieusement aborder la question sous l'angle moral, il n'y a pas que la moralité des femmes qui soit en cause.
De plus, la prostitution de rue ne représente que 10 à 15 p. 100 de l'industrie du sexe, mais cela a de graves effets sur la vie et les droits fondamentaux de toutes les femmes. On ne s'occupe pas uniquement de la nuisance publique que pose la prostitution de rue.
½ (1910)
Le président: Merci, madame Kingsley.
Nous avons le temps de tenir un autre tour si les questions et les réponses sont courtes et concises. Je demande donc que les questions soient très précises et que les témoins répondent en conséquence. Merci.
Monsieur Hanger, vous avez trois minutes.
M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.
On a parlé des effets de la Loi sur la communication. Il se trouve que j'étais dans la police à cette époque. Il y avait beaucoup de restrictions à l'époque sur les gens qui se servaient de la rue... parce qu'il n'y avait aucune autre restriction. Cela a donc effectivement réussi à réduire la prostitution de rue à l'époque. Mais selon moi, ce n'est pas la solution à tout.
Je vais poser à chaque témoin une question bien précise. Si l'on supprime le produit de la prostitution, est-ce que c'est la solution?
Il y a moyen de supprimer les produits de la prostitution. Vous vous en prenez à ceux—vous aurez peut-être même la chance non pas de la légaliser mais de la décriminaliser en un sens—qui veulent le service. Vous faites fuir l'argent, vous faites fuir le client, sensiblement ce qu'a fait la Suède. Malgré l'ampleur de l'activité dans les salons de massage et les services d'escorte, il n'y a pas d'argent là, parce que dès qu'il y a échange d'argent ou dès que c'est sur le point de se produire, vous allez être inculpé.
Autrement dit, si vous faites disparaître l'argent, le crime organisé disparaît et va ailleurs. Que pensez-vous de cette idée?
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: Je n'ai pas compris la question.
[Traduction]
M. Art Hanger: Ma question s'adresse à tous les panélistes. La prostitution, c'est aussi une histoire de crime organisé. Vous ne le saviez pas? Eh bien, c'est pourtant le cas. D'après moi, il faudrait régler le problème en interdisant l'échange d'argent. En d'autres termes, si les prostituées n'ont plus de clients, qu'adviendra-t-il de la sécurité des femmes?
Le président: Nos invitées veulent-elles répondre?
Mme Cherry Kingsley: Il n'est pas évident de répondre à votre question, parce que, et c'est ironique, vous demandez aux femmes de changer des conditions sur lesquelles elles n'exercent pas beaucoup de pouvoir parce que ça fait tellement longtemps qu'on les criminalise.
M. Art Hanger: Il faut s'attaquer à l'échange d'argent.
Mme Cherry Kingsley: J'ai bien compris votre argument. Vous vous demandez si on devrait interdire l'échange d'argent contre des faveurs sexuelles, interdire la consommation, interdire l'achat de faveurs sexuelles pour sévir contre les clients.
Vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'il s'agit là d'une réaction lourde de conséquences pour la société. Par exemple, certains jours, j'avais beaucoup, beaucoup de clients, et j'étais seule. Disons qu'il y a 10 000 travailleurs du sexe au Canada—c'est une grossière sous-évaluation—il y a sans doute 100 000 clients, auxquels s'ajoutent toutes les personnes qui en profitent, qu'il s'agisse des hôtels, des entreprises de taxi, des restaurants, des salons de massage, des services d'escorte...
½ (1915)
M. Art Hanger: Sans compter les maquereaux et les agents.
Mme Cherry Kingsley: Vous voyez où je veux en venir? Il y a toute une économie qui a été générée. Donc, quand vous parlez de sévir contre les clients ainsi que toutes les personnes qui profitent de la prostitution, cela représente une portion énorme de la société. C'est sans doute pour cela qu'on préfère s'attaquer à la vulnérabilité des femmes.
Je ne pense pas que ce soit réaliste.
M. Art Hanger: Moi, je pense que ça l'est.
Mme Cherry Kingsley: Par contre, il est réaliste de permettre aux femmes de négocier, de communiquer et de définir la sécurité.
M. Art Hanger: Cela a été fait en Suède.
Le président: Madame Bertrand.
[Français]
Mme Marie-Andrée Bertrand: J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi il faudrait que des femmes qui rendent un service demandé ne soient pas payées. Est-ce que je comprends bien la question?
[Traduction]
M. Art Hanger: Non. Je voulais dire qu'en faisant disparaître les clients, on règle le problème. En d'autres termes...
Mme Marie-Andrée Bertrand: Vous voulez dire, en faisant disparaître les hommes? C'est bien ça? C'est bien ce que vous dites?
M. Art Hanger: Oui, c'est bien ça. Il faut interdire l'échange d'argent.
Le président: Madame Landolt.
Mme Gwendolyn Landolt: Ça serait trop beau. Depuis la nuit des temps, on commet des meurtres, on vole et on va voir les prostituées. Tout cela s'est passé, même à l'époque de la Rome antique, toujours en échange d'argent. Mais il est vrai que si on réussissait à s'attaquer au crime organisé...
Nos recherches nous ont permis de démontrer ce que vous avez dit, monsieur Hanger : la prostitution, c'est une histoire de crime organisé. C'est une histoire de drogues et d'autres choses encore. Les femmes qui se retrouvent dans ce milieu sont toujours lésées, c'est le moins qu'on puisse dire. Elles sont exploitées.
La Suède a sévi contre les clients qui achetaient les services de prostituées. Il n'existait aucune loi interdisant la prostitution dans ce pays, mais il y avait quand même des femmes qui se prostituaient. Même si le système social économique assure la prise en charge de tous les citoyens, comme je l'ai précisé plus tôt, il y avait quand même des femmes qui se prostituaient pour gagner de l'argent. Peu importent les mesures qui sont prises, il y aura toujours des hommes qui feront appel aux prostituées.
La solution, c'est plutôt de renforcer l'application des lois et de briser l'emprise qu'a le crime organisé sur la prostitution. À titre d'avocate, je peux vous confirmer que les femmes qui se prostituaient que j'ai rencontrées ne le faisaient pas par plaisir. Au contraire, ces femmes veulent quitter ce milieu mais ont besoin d'une porte de sortie. C'est d'ailleurs notre rôle de la trouver cette porte de sortie car la prostitution, ça ne peut qu'être mauvais pour elles.
Le président: Madame Kingsley, vous avez 30 secondes.
Mme Cherry Kingsley: Très rapidement.
Je comprends l'argument que vous avancez, mais il serait faux de croire que c'est toujours le crime organisé qui sous-tend toute cette problématique; c'est plutôt une question de l'égalité des femmes, des droits des femmes et de la réalité économique des femmes. En fait, il y en a qui profitent de la précarité économique des femmes et du manque d'égalité entre les sexes. C'est à ces niveaux-là que se situe la véritable problème. Sans régler le problème de la pauvreté... après tout, les femmes ont des enfants à nourrir et un loyer à payer.
Pour revenir à ce qu'on disait, les campagnes d'humiliation des clients, qui ont été mises en place par certaines communautés, se sont traduites par une augmentation de la violence et du harcèlement, en plus de l'accroissement des agressions sexuelles à l'encontre non seulement des prostituées mais également des femmes dans les villes. Donc, on ne peut pas dire que ces campagnes aient amélioré la sécurité des collectivités.
½ (1920)
Le président: Merci, madame Kingsley.
Madame Demers.
[Français]
Mme Nicole Demers: Je vous remercie, monsieur le président.
Il serait très important de ne pas généraliser. Je ne pense pas que toutes les prostituées soient menées par le crime organisé. Je connais des prostituées qui sont des professeurs d'université et qui se prostituent par choix. Il ne faudrait donc pas généraliser.
Une chose m'inquiète. Je me demande si l'article 213 ne pousse pas les prostituées de la rue dans des retranchements qui sont souvent beaucoup plus dangereux, comme des ruelles ou des endroits moins fréquentés, où elles sont davantage exposées au danger d'être agressées, violées, laissées pour compte et même tuées. N'est-ce pas là le résultat d'une telle disposition? On nettoie la rue là où passent beaucoup de gens, mais la prostitution ne disparaît pas pour autant. Elle existe depuis que le monde est monde et elle ne va pas disparaître parce qu'on adopte une disposition législative.
Pouvez-vous me dire si cette disposition a eu cet effet à Edmonton, où elle a été mise en application, comme le disait Mme Landolt, ou encore dans d'autres villes?
[Traduction]
Mme Gwendolyn Landolt: Désolée, j'ai raté la question.
[Français]
Mme Nicole Demers: Est-ce que l'article 213 sur la communication n'a pas plutôt pour effet de pousser les prostituées de la rue dans des retranchements où il est encore plus dangereux d'exercer ce métier, où elles peuvent être violées et même tuées, où l'on peut leur voler leur argent? Dans les ruelles, il n'y a pas de lumière ni de passants, mais elles doivent aller se cacher parce qu'elles ne peuvent pas exercer leur profession dans une rue passante.
[Traduction]
Mme Gwendolyn Landolt: Non, ce n'est pas ce qui s'est produit. Il y avait des femmes dans les ruelles, elles étaient dans les ruelles à Amsterdam, à Anvers et à Bruxelles, en dépit du régime législatif.
Les femmes continueront à se prostituer; elles continueront à monter dans les voitures des clients et à fréquenter les ruelles. On n'arrivera pas à les en empêcher, parce qu'elles sont poussées... Bon, il y en a peut-être qui aiment ça, mais la grande majorité ont besoin d'argent pour s'acheter des drogues, de l'alcool, et pour survivre. Elles estiment que c'est leur seule solution. Voilà un aspect du problème.
Mais ce n'est pas comme ça qu'on les empêchera de faire le trottoir dans les ruelles. Avec tout le respect que je vous dois, madame, c'est une mauvaise interprétation. Ce n'est pas ce qui s'est produit. Elles continueront à le faire, rien ne pourra les en empêcher. Elles veulent gagner de l'argent et, à cette fin, se prostituent.
Le facteur clé, c'est de savoir pourquoi elles ont besoin d'argent. Se prostituent-elles par choix ou parce qu'elles s'y voient contraintes? En Suède, elles n'y étaient pas contraintes mais le faisaient quand même car elles étaient droguées. D'autres, comme les professeures d'université ou encore des étudiantes, se prostituent pour l'argent. Je n'ai pas réponse à tout, mais les prostituées qui se présentaient dans mon cabinet étaient dans un état lamentable.
Je ne cesserai de répéter que c'est à nous de les aider car elles sont dénigrées et maltraitées. Leur vie est en danger. Voilà pourquoi il est essentiel qu'il y ait des personnes dans les rues pour établir des contacts et les aider. Évidemment, on ne pourra pas toutes les aider; il y en aura un certain nombre qui continueront à se prostituer. Mais sachez que beaucoup de ces femmes ne peuvent pas s'en sortir seules. En effet, elles sont droguées, alcooliques et incapables de se souvenir d'un rendez-vous chez le médecin. Tout ça, c'est très dangereux et c'est à nous de les aider.
Le président: Madame Kingsley, vous avez quelque chose à dire.
Mme Cherry Kingsley: Désolée, mais il faut absolument que j'intervienne.
Normalement, c'est aux membres du comité que je m'adresse, mais là, je ne peux m'empêcher d'intervenir. Quand va-t-on cesser de nous représenter de cette façon-là? C'est pour ça qu'on n'a jamais pu se défendre. C'est comme ça qu'on perpétue les clichés, la honte, les stéréotypes et l'impossibilité pour nous de participer activement à la collectivité—on dit que nous sommes incapables de communiquer, de prendre seules des décisions, que les autres doivent intervenir et que nous devrions, en fait, nous taire.
Attardons-nous à notre cas. Nous ne sommes ni l'une ni l'autre droguées. Et moi, j'ai même un fils de 12 ans qui n'a jamais été victime d'abus, jamais. Il n'a jamais eu faim, il a toujours été bien logé. Vous voyez où je veux en venir?
Il faudrait qu'on fasse disparaître ces stéréotypes, parce que c'est ça qui contribue à... C'est vrai que les gens essaient d'être utiles, mais il faut savoir que la violence, la moralité et la discrimination ciblée et l'aide des gens ont collectivement contribué au climat d'intolérance qui existe aujourd'hui.
Il faudrait qu'on commence à écouter ce que nous avons à dire, comme nous écoutons votre débat. Nous ne sommes pas venues témoigner droguées. Et nous sommes capables de prendre des rendez-vous; après tout, nous sommes bien venues aujourd'hui. Nous nous sommes engagées à être présentes aujourd'hui et nous savons conduire. Nous sommes aussi capables de parler.
½ (1925)
Le président: Madame Landolt, allez-y.
Mme Gwendolyn Landolt: C'est vrai qu'il y en a qui en sont capables, mais c'est l'exception. J'ai des contacts avec ces personnes et je sais qu'il y a peu de personnes comme Cherry. Elle n'est pas représentative des autres femmes. Moi, j'ai des contacts avec celles qui ont vraiment besoin d'aide.
C'est bien qu'il y ait des prostituées qui puissent parler publiquement de leur milieu, mais je suis forcée de conclure, après avoir travaillé dans le domaine social pendant très longtemps, qu'elles sont très rares. Je me porte à la défense de celles qui ne veulent ou ne peuvent pas gérer leur vie.
Le président: Merci.
Madame Bertrand, vous avez quelque chose à ajouter?
Mme Marie-Andrée Bertrand: Comment peut-on identifier celles qui ne se tournent pas vers nous? Voilà ce que j'avais à dire.
Le président: Madame Davies.
Mme Libby Davies: Un commentaire. D'abord, vos interventions sont très percutantes, madame Kingsley, et nous permettent de comprendre pourquoi il est très important que dans le cadre des audiences du comité, on invite des femmes du milieu de la prostitution. C'est vrai qu'elles sont victimes de stigmatisation et il est important qu'elles puissent s'exprimer et nous parler de leur expérience au cours de séances à huis clos ou de séances informelles. C'est notre objectif, dont nous ne pouvons dévier sans mettre en péril...
Grâce à votre organisation, on en sait beaucoup plus sur ce qui se passe sur le terrain. Il faut que nous continuions en ce sens.
C'est tout ce que j'avais à dire. Je n'avais pas de question à proprement parler.
Le président: Voulez-vous poser une question?
Mme Cherry Kingsley: Non, juste un commentaire, rapidement. Premièrement, on reconnaît tout à fait les conditions sociales du milieu. Notre organisation reconnaît les problèmes de santé, de sécurité, de dépendance et de violence. En effet, nous disons que ce sont des conditions auxquelles font face les femmes aujourd'hui, un grand nombre de femmes. Nous le reconnaissons.
Pour revenir aux femmes qui sont incapables de prendre des rendez-vous, ce n'est pas en continuant de les criminaliser... Vous voyez où je veux en venir? Ce n'est pas ça qui va les aider à s'en sortir. Ça ne sera pas utile. Une intervention s'impose, c'est vrai, mais pas une intervention policière.
Cette criminalisation des femmes s'est traduite par des attitudes et des réactions au niveau des collectivités mais également au niveau de l'État et de l'administration. C'est sur ça qu'on se base pour déterminer si les femmes doivent avoir accès au logement, aux centres de désintoxication, aux hôpitaux et aux diverses formes d'emploi. Cette criminalisation persistante des femmes s'est également traduite par des structures administratives et étatiques.
Cette marginalisation colle aux femmes qui ont connu cette expérience, qu'elles l'aient choisie ou non, qu'elles soient enfants ou adultes. Elles sont considérées comme des criminelles et c'est cela qui détermine si oui ou non elles pourront accéder aux services, même de base, même quand elles essaient de quitter le milieu.
Le président: Les attachés de recherche n'ont pas de question. Moi j'en aurais une pour Mme Kingsley.
M. Hanger vous a posé une question. D'après votre expérience dans le milieu de la prostitution, diriez-vous que le crime organisé était présent?
Mme Cherry Kingsley: Oui, vers la fin, tout à fait. Il y a ce qu'on appelle le haut du trottoir, quand on parle des aspects visibles du milieu de la prostitution, c'est-à-dire les prostituées qui font le trottoir. Ensuite, il y a ce qu'on appelle le bas du trottoir, pour les renégats. Les zones dites haut du trottoir sont contrôlées par des maquereaux. Ces zones sont donc sous le contrôle de différentes familles ou organisations. J'ai d'abord travaillé sur le haut du trottoir et ensuite le bas du trottoir, où les prostituées n'ont pas de maquereau.
Certains clubs et agences traitent les femmes de façon décente mais il y en a d'autres qui exercent un contrôle draconien. Bien évidemment, les étrangères sont victimes de coercition, de contrôle et de force. Concrètement, les propriétaires de boîtes de nuit ou de bars de danseuses se comportent en agents d'immigration et exercent une autorité légale parce qu'ils ont parrainé les filles qui travaillent pour eux. Ils exercent ainsi un contrôle légal sur le travail et le logement des filles en question. Vous voyez où je veux en venir?
Donc c'est vrai que tout ça est très bien organisé. Ils sont mieux organisés et mieux informés que nous. Ils ont accès à beaucoup plus de ressources, et je comprends la nature du travail que vous entreprenez. Ils en parlent beaucoup plus facilement que nous. Si on veut vraiment régler ce problème, il faut qu'on comprenne que le milieu est bien organisé, sans aucun doute.
½ (1930)
Le président: Merci de votre honnêteté.
Comme on a tout dit, j'en profite pour vous remercier de votre présence et de votre contribution à notre étude.
Madame Bertrand.
Mme Marie-Andrée Bertrand: Il me reste une question.
Vous vous êtes intéressés à l'application possible—ou à l'impossibilité d'application—de la clause sur la communication, étant donné le développement d'Internet entre autres? Par exemple, le projet de loi C-2 traite du voyeurisme sur Internet, mais comment tout cela va être communiqué? Je m'interroge là-dessus.
Le président: Oui, c'est une question qui refait surface régulièrement. On s'y intéressera dans le cadre de nos délibérations.
Merci beaucoup d'avoir posé cette question.
Merci encore d'être venues ce soir. Nous vous en sommes reconnaissants.
Mme Cherry Kingsley: Merci beaucoup de nous avoir invitées.
Le président: Merci. La séance est levée.