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SSLR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 7 février 2005




» 1745
V         Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.))
V         Mme Yolande Geadah (auteure et chercheuse indépendante, À titre personnel)

» 1750

» 1755

¼ 1800
V         Le président
V         Mme Yolande Geadah
V         Le président
V         Mme Yolande Geadah

¼ 1805
V         Le président
V         Mme Yolande Geadah
V         Le président
V         Dr Frances Shaver (Département de sociologie et d'anthropologie, Université Concordia)

¼ 1810

¼ 1815

¼ 1820

¼ 1825
V         Le président
V         Mme Michèle Roy (porte-parole, Regroupement québécois des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel)

¼ 1830

¼ 1835

¼ 1840
V         Le président
V         M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC)
V         Mme Michèle Roy
V         M. Art Hanger
V         Dr Frances Shaver
V         M. Art Hanger
V         Mme Yolande Geadah
V         M. Art Hanger
V         Mme Yolande Geadah
V         M. Art Hanger
V         Mme Yolande Geadah
V         Mme Michèle Roy

¼ 1845
V         M. Art Hanger
V         Dr Frances Shaver
V         M. Art Hanger
V         Mme Yolande Geadah
V         Mme Michèle Roy
V         M. Art Hanger
V         Dr Frances Shaver
V         Mme Yolande Geadah
V         M. Art Hanger
V         Mme Yolande Geadah
V         Mme Michèle Roy
V         M. Art Hanger
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ)

¼ 1850
V         Dr Frances Shaver
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Yolande Geadah

¼ 1855
V         Mme Michèle Roy
V         Le président
V         Dr Frances Shaver

½ 1900
V         Le président
V         Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD)

½ 1905
V         Mme Valérie Boucher (coordonnatrice du Forum XXX, Stella, À titre personnel)
V         Le président
V         Mme Michèle Roy

½ 1910
V         Mme Yolande Geadah
V         Mme Michèle Roy
V         Le président
V         Dr Frances Shaver

½ 1915
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.)

½ 1920

½ 1925
V         Dr Frances Shaver
V         L'hon. Hedy Fry
V         Dr Frances Shaver

½ 1930
V         L'hon. Hedy Fry
V         Dr Frances Shaver
V         Mme Yolande Geadah

½ 1935
V         Le président
V         Mme Michèle Roy
V         Le président
V         Mme Valérie Boucher

½ 1940
V         Le président
V         M. Art Hanger
V         Mme Yolande Geadah
V         M. Art Hanger

½ 1945
V         Mme Yolande Geadah
V         Le président
V         Mme Michèle Roy
V         Le président
V         Dr Frances Shaver
V         Le président
V         Mme Valérie Boucher
V         Le président
V         Mme Paule Brunelle
V         Mme Valérie Boucher

½ 1950
V         Le président
V         Dr Frances Shaver
V         Le président
V         Mme Michèle Roy
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         Dr Frances Shaver

½ 1955
V         Le président
V         Mme Yolande Geadah
V         Le président
V         Mme Michèle Roy
V         Mme Libby Davies
V         Mme Michèle Roy

¾ 2000
V         Mme Yolande Geadah
V         Mme Libby Davies
V         Mme Yolande Geadah
V         Le président
V         Mme Valérie Boucher
V         Le président
V         L'hon. Hedy Fry

¾ 2005
V         Le président
V         Dr Frances Shaver

¾ 2010
V         Le président
V         Mme Yolande Geadah
V         Le président
V         Mme Michèle Roy
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         L'hon. Hedy Fry
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         Mme Lyne Casavant (attachée de recherche auprès du comité)

¾ 2015
V         Mme Libby Davies
V         Mme Lyne Casavant
V         Mme Libby Davies
V         Le président
V         M. Art Hanger
V         Le président
V         Le greffier du comité (M. Marc-Olivier Girard)
V         M. Art Hanger
V         Le greffier
V         M. Art Hanger
V         Le greffier
V         M. Art Hanger
V         Le greffier
V         M. Art Hanger
V         Le président










CANADA

Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 005 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 7 février 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

»  +(1745)  

[Traduction]

+

    Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): La séance est ouverte.

    L'ordre du jour… C'est-à-dire que ce soir nous accueillons—et je vous remercie de votre patience, soit dit en passant—Mme Yolande Geadah, auteure et chercheuse indépendante; Mme Frances Shaver et Mme Valérie Boucher, du Département de sociologie et d'anthropologie de l'Université Concordia; et Mme Michèle Roy, porte-parole du Regroupement québécois des CALACS.

    Mesdames, merci infiniment de votre présence ce soir.

    Je vais demander à Mme Geadah d'être la première à faire son exposé, et nous passerons ensuite à Mme Shaver et ensuite à Michèle. Conformément à notre procédure, vous disposerez chacune de 10 minutes pour faire vos remarques liminaires, et nous ouvrirons ensuite la période des questions. Le premier tour de questions est normalement de sept minutes. Par la suite, nous avons un tour de trois minutes jusqu'au moment où il n'y aura plus de questions ou lorsqu'il sera l'heure de lever la séance.

    Madame Geadah.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah (auteure et chercheuse indépendante, À titre personnel): Bonsoir, mesdames et messieurs les membres du sous-comité parlementaire. Merci de nous avoir invitées ce soir pour parler d'un sujet qui nous tient à coeur et qui concerne tout le monde.

    Je pense que vous connaissez assez bien la question de la prostitution, puisque vous vous y intéressez, mais je voudrais d'abord dire que ce qui caractérise le plus la prostitution aujourd'hui, c'est la mondialisation du proxénétisme et du trafic sexuel. Ce n'est pas la prostitution qui existait il y a 30 ou 40 ans ou plus.

    Les Nations Unies estiment que près de quatre milliards de personnes, des femmes et des fillettes dans une proportion de 99 p. 100, sont l'objet d'un trafic sexuel tous les ans. La grande majorité des personnes qui sont l'objet de ce trafic sont destinées à l'exploitation sexuelle, incluant la pornographie, la prostitution et l'esclavage sexuel. Selon l'UNICEF, le nombre d'enfants qui sont victimes d'exploitation sexuelle--ce sont surtout des filles, mais il y a de plus en plus de garçons--augmente d'un million chaque année.

    C'est dans ce contexte de mondialisation accélérée du commerce du sexe que se pose aujourd'hui à nous la question de la prostitution. Vous avez donc raison, et je vous en félicite, de vouloir réexaminer la loi actuelle concernant la prostitution et de vous inquiéter de la sécurité et des droits des personnes prostituées.

    Il ne faut pas se le cacher, cette loi a un effet structurant sur l'ensemble de la société parce que ses impacts sociaux et ses ramifications sont énormes. Elle ne concerne pas seulement les acteurs de la prostitution.

    Comme vous le savez, au Canada, la prostitution n'est pas et n'a jamais été considérée comme un acte criminel. C'est le proxénétisme sous diverses formes et la sollicitation dans un lieu public qu'interdit le Code criminel canadien, aux articles 210 à 213. Mais ces articles sont plus ou moins appliqués actuellement, du moins au Québec, que je connais davantage. Au cours de la dernière décennie, on a vu se multiplier les bars de danseuses nues et les salons de massage érotique, avec services sexuels au menu. On a vu aussi émerger une foule d'agences d'escorte qui s'affichent publiquement dans les journaux, dans le bottin téléphonique, même à la télévision et, bien sûr, sur Internet.

    Parallèlement, on observe que la prostitution est de plus en plus banalisée dans les médias et de plus en plus acceptée dans la culture populaire, particulièrement chez les jeunes et parmi les adolescentes. Des adolescentes de 14 à 17 ans sont de plus en plus sollicitées comme danseuses nues ou escortes par les établissements de sexe, qui leur promettent de l'argent vite gagné pour se payer du luxe ou pour payer leurs études.

    Parallèlement, la prostitution de rue ne représente que 3 p. 100 de la prostitution globale et elle a augmenté de façon prévisible dans les grandes villes.

    La réponse des autorités oscille entre le laissez-faire et la répression, surtout dirigée contre les femmes prostituées. Ce sont elles, bien plus souvent que leurs clients, qu'on arrête et qu'on harcèle. La police leur colle des contraventions à répétition en plus de les humilier, de les maltraiter et d'abuser d'elles parfois. En plus, la police ne prend pas au sérieux leurs plaintes lorsqu'on a abusé d'elles et ne les protège d'aucune façon, négligeant même les enquêtes contre leurs agresseurs quand elles sont assassinées.

    À partir de ce constat déplorable quant aux abus et aux violations des droits humains des personnes prostituées causés par la répression, certains groupes de défense des droits des prostituées, nommées travailleuses du sexe, réclament avec force la décriminalisation totale de tous les actes de tous les acteurs liés à la prostitution, considérant qu'il faut dorénavant voir la prostitution comme un travail légitime.

    Aucun pays au monde n'a totalement décriminalisé la prostitution. C'est toujours une forme ou une autre de légalisation qui est appliquée dans certains pays, et je vais en parler.

    Avant de se lancer dans des réformes législatives structurantes, il convient de se demander par quoi, au juste, on veut remplacer les lois actuelles et, surtout, quels seraient les impacts sociaux à long terme d'une légalisation ou d'une décriminalisation impliquant généralement l'octroi de permis pour les bordels et la création de red-light zones.

    On doit examiner de très près les arguments avancés en faveur de la légalisation à la lumière des résultats obtenus dans les pays qui ont choisi une forme ou une autre de légalisation et adopté des lois permissives.

»  +-(1750)  

    Quels sont les arguments rationnels en faveur de la légalisation? On peut distinguer deux types d'arguments, l'un basé sur le supposé droit des femmes de choisir librement de se prostituer et l'autre basé sur l'échec des autres régimes à régler les problèmes liés à la prostitution.

    Je ne traiterai pas ici du premier type d'arguments, qui relève du débat idéologique. Je le fais dans mon livre que je vais vous laisser tout à l'heure, La prostitution - un métier comme un autre?, au chapitre 5, qui analyse le nouveau discours sur la prostitution et les limites de ce discours. Je pourrai y revenir, si vous le souhaitez, lors de la période de questions.

    Les arguments qui nous intéressent ce soir et qui découlent du second niveau peuvent se résumer ainsi. Premièrement, puisque toutes les lois restrictives n'ont jamais réussi à éliminer la prostitution, autant lui permettre de se pratiquer en plein jour. Ainsi, la légalisation de la prostitution permettrait de mettre fin à la clandestinité, ce qui permettrait d'améliorer la sécurité des femmes prostituées et d'éliminer la violence à leur égard, puisqu'elles pourraient plus facilement porter plainte auprès de la police sans craindre d'être arrêtées. C'est le premier argument, et il est très solide, très convaincant.

    Deuxièmement, on affirme aussi qu'en reconnaissant la prostitution comme un travail légitime, à l'instar des Pays-Bas, on pourrait améliorer les conditions de cette pratique en lui appliquant les lois du travail et en faisant en sorte que les femmes prostituées puissent se regrouper et négocier de meilleures conditions.

    Troisièmement, la légalisation permettrait aussi d'améliorer la santé des personnes prostituées, puisque l'activité se déroulerait dans un environnement propre et sécuritaire.

    Quatrièmement, la légalisation permettrait de briser le lien entre la prostitution et le crime organisé, et donc de libérer les femmes prostituées de l'emprise des proxénètes.

    Cinquièmement, la légalisation permettrait d'éliminer la stigmatisation des personnes prostituées, puisque leurs activités seraient considérées comme légitimes.

    Sixièmement, la légalisation libérerait le temps et les ressources nécessaires pour mieux s'attaquer aux abus tels que la prostitution forcée ou celle des mineurs.

    La question qui nous intéresse est donc de savoir si la légalisation peut réellement améliorer le sort des prostituées. Dans tous les pays ayant adopté une forme ou une autre de légalisation, les études montrent qu'aucun des résultats attendus et énoncés dans les arguments rationnels et convaincants, et prétendument irréfutables, qui sont en faveur de la légalisation, n'a jamais été atteint.

    La plus récente étude, à laquelle je ferai référence ici, est celle du gouvernement de l'Écosse qui a été menée par la Metropolitan University et dont le rapport, publié en décembre 2004, donc tout récemment, est accessible sur son site Internet. Les rapports de pays qui y sont soumis contiennent des données très intéressantes.

    Les rapports issus de l'Australie et des Pays-Bas, qui ont légalisé la prostitution depuis une dizaine d'années ou plus, indiquent que l'un des premiers effets de la légalisation a été d'encourager l'expansion massive de l'industrie du sexe au pays. J'ajouterai que cet effet est également lié au laxisme dans l'application des lois plus restrictives dans d'autres pays.

    En Australie, dans l'État de Victoria, où l'idée de la légalisation a fait son chemin avec l'arrivée d'un gouvernement travailliste au pouvoir en 1982, une première réforme législative autorisant les bordels à opérer comme des commerces légitimes a été introduite en 1984. Le nombre de bordels licenciés a plus que doublé entre 1989 et 1994, sans compter la multiplication des agences d'escorte et d'autres établissements de sexe. Le plus significatif est que le nombre de bordels illégaux a, lui, triplé pendant la même période et que ce nombre, qui atteint aujourd'hui plus de 400 à Victoria, dépasse largement celui des bordels licenciés.

    L'État de New South Wales, suivant en cela l'exemple de Victoria, a lui aussi légalisé les bordels en 1995. Quatre ans plus tard, en 1999, le nombre de bordels à Sydney avait augmenté de façon exponentielle, atteignant 400 ou 500, la plupart d'entre eux opérant illégalement, sans permis.

    Une autre étude menée par la branche australienne de la CATW, la Coalition Against Trafficking in Women, indique que l'exploitation sexuelle s'est intensifiée et diversifiée pour répondre à la demande croissante des établissements de sexe. Avec cette intensification, de nouvelles activités qui n'étaient pas prévues par la loi sont apparues, telles que le lap dancing, les peep shows et la pornographie sous toutes ses formes. Or, ces activités échappent toutes au contrôle de l'État.

»  +-(1755)  

    Les autorités australiennes estiment que chaque semaine, 60 000 hommes dépensent près de 7 millions de dollars sur le marché de la prostitution et que 4 500 femmes et fillettes intègrent chaque année le monde de la prostitution. Ces chiffres sont considérables, compte tenu du fait que l'État de Victoria ne compte qu'environ 4,5 millions d'habitants.

    Avec la légalisation, les propriétaires d'établissements de sexe ont entamé une promotion très active de la prostitution à très grande échelle. Par exemple, une exposition annuelle intitulée la Sexpo, tenue dans le Melbourne Exhibition and Convention Centre, un lieu prestigieux, fait ouvertement la promotion des bordels, des agences d'escorte et de toutes les formes de divertissements sexuels offerts.

    Les autorités policières australiennes rapportent diverses formes d'agressions sexuelles subies régulièrement par les femmes qui travaillent dans l'industrie du sexe, y compris dans le secteur légal. On observe que la violence à l'égard des femmes prostituées a même augmenté au lieu de diminuer. Ainsi, le collectif de prostituées de Victoria reçoit chaque semaine une quinzaine d'appels pour viols et violence, sans compter toute la violence subie par celles qui travaillent dans les bordels illégaux et qui n'osent ni appeler ni rapporter ces abus.

    L'étude du gouvernement écossais souligne aussi que la légalisation des bordels, loin de libérer le temps et les ressources des autorités pour mieux s'occuper des cas d'abus, comme on l'a prétendu au début, a au contraire placé un poids administratif considérable sur les gouvernements locaux, qui sont occupés à appliquer des règles précises concernant la gestion du secteur légal, selon des normes jugées acceptables.

    Ces comités doivent se charger de l'octroi des permis pour les bordels; ils en ont plein les bras avec la gestion des questions administratives telles que le stationnement des clients, l'éclairage externe des bordels, le niveau de bruit, la qualité des condoms utilisés, etc. Donc, ils ont très peu de temps pour s'occuper des autres questions de sécurité, à savoir celles qui nous intéressent. Ils n'ont même pas la capacité de contrôler réellement les bordels illégaux. On a aussi observé une corruption endémique des autorités policières et administratives par les propriétaires d'établissements de sexe. Ces derniers tentent de les inciter à accorder des permis et à fermer les yeux sur les irrégularités qui existent.

    En dépit de la légalisation, le secteur illégal côtoie et dépasse en volume le secteur légal de la prostitution. De plus, la légalisation n'a pas réussi à éliminer la prostitution de rue. On estime qu'il existe plus de 400 prostituées de rue à Melbourne. Les résidants de St Kilda, une zone où les établissements de sexe sont pourtant autorisés, se plaignent du fait que leurs entrées de maison et leurs jardins sont devenus des bordels à ciel ouvert où les femmes prostituées subissent des abus à longueur de journée.

    L'étude souligne aussi que tant les bordels légaux qu'illégaux emploient des mineurs et des femmes asiatiques victimes de trafic. Selon l'étude de Sullivan et Jeffreys, qui date de l'an 2000, l'État de Victoria est connu pour avoir le plus haut taux de prostitution infantile en Australie. En outre, bon nombre de réseaux de pédophilie fonctionnent à partir de l'Australie, profitant ainsi des politiques laxistes.

    Les auteurs du rapport des Pays-Bas, tout comme ceux de l'Australie, soulignent que la légalisation, loin de briser les liens entre le crime organisé et la prostitution, n'a fait que les renforcer. Les bordels et autres établissements de sexe, qu'ils soient légaux ou illégaux, sont largement contrôlés par le crime organisé, qui profite de la légalisation pour faire du blanchiment d'argent, activité issue d'autres commerces illégaux.

    Les Pays-Bas ont adopté un loi des plus libérales en matière de prostitution afin de protéger les droits des travailleuses du sexe et d'éliminer la stigmatisation à leur égard. Cette loi devait aussi permettre de mieux combattre les abus, tels le trafic sexuel, la cohésion et la prostitution des mineurs.

    En octobre 1999, les Pays-Bas sont allés jusqu'à décriminaliser le proxénétisme et à abroger tous les articles du Code pénal relatifs à la prostitution. Selon la nouvelle loi, les prostituées hollandaises ou originaires d'autres pays de l'Union européenne sont considérées comme des salariées ou des travailleuses autonomes ayant les mêmes droits et la même obligation de payer des impôts sur le revenu que les gens exerçant d'autres professions. En principe, les conditions de vie des prostituées aux Pays-Bas se sont nettement améliorées. Pour bénéficier de tous ces avantages sociaux qui leur sont offerts, les personnes prostituées doivent s'enregistrer auprès des autorités, et c'est normal.

¼  +-(1800)  

    Bien entendu, elles doivent payer des impôts. Une fois enregistrées, elles peuvent soit travailler dans les bordels légaux, soit être travailleuses autonomes. Malgré tous les avantages offerts, à peine 4 p. 100 des prostituées hollandaises ont accepté de s'enregistrer. Toutes les autres, soit 96 p. 100, sont donc considérées comme illégales et demeurent dans la clandestinité.

    Malgré les rapports officiels qui vantent toujours les mérites de la loi hollandaise, un rapport d'ONG présenté au parlement des Pays-Bas en décembre 2003 soulignait toutes les lacunes de ces politiques. Selon ce rapport, les politiques ultralibérales des Pays-Bas n'ont pas réussi à éliminer la stigmatisation sociale liée à la prostitution, puisque seulement 4 p. 100 des prostituées acceptent d'être enregistrées, ni surtout à éliminer l'illégalité et la coercition qui dominent toujours l'industrie du sexe. Ce rapport conclut que les trois quarts des prostituées néerlandaises souhaitent suivre un programme leur permettant de quitter la prostitution.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Geadah, en avez-vous encore pour longtemps?

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Non. Two more minutes.

[Traduction]

+-

    Le président: Allez-y.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: L'organisation des droits de l'enfant à Amsterdam estime qu'il existe à présent plus de 15 000 enfants, principalement des fillettes, prostitués aux Pays-Bas, une augmentation de 11 000 depuis 1996, dont 5 000 proviennent d'autres pays non européens, principalement du Nigeria.

    Dans les vitrines réputées d'Amsterdam, censées offrir confort et autonomie aux femmes qui louent ces espaces pour s'exposer nues aux yeux des passants et attirer ainsi leurs clients, le contrôle des proxénètes est encore très visible. Les hommes accompagnent régulièrement encore « leurs femmes » et reviennent collecter leurs recettes de la journée.

    En octobre 2003, le conseil municipal d'Amsterdam a décidé de fermer les zones de tolérance, où la prostitution de rue était tolérée. Selon le maire Job Cohen, la situation était devenue intenable, car il s'est avéré impossible de créer une zone sécuritaire et contrôlable où les femmes ne seraient pas victimes d'abus par les membres du crime organisé.

    Après deux décennies de promotion très active sur toutes les tribunes internationales par les Pays-Bas en faveur de la légalisation, la fermeture des zones de tolérance d'Amsterdam est un aveu éloquent du fait qu'une loi très permissive ne règle en rien les problèmes d'illégalité, d'abus, de violence et de contrôle du crime organisé sur ce secteur d'activité.

    Que peut-on conclure de ce survol rapide d'une question aussi complexe? Une première chose est très claire: la légalisation n'est pas la panacée aux multiples problèmes liés à la prostitution, pas plus que la répression pure et simple ne l'a jamais été. Tous les arguments portant sur la sécurité, la santé et le contrôle accru des abus avancés en faveur de la légalisation ne tiennent pas la route devant la réalité. Le fait est que la prostitution n'est ni un travail ni un commerce comme un autre. On ne peut pas fermer les yeux sur la violence et les abus dont sont victimes les personnes prostituées de la part de leurs clients, de leurs proxénètes et de la police.

    C'est donc une situation totalement inadmissible, qui doit changer. Il n'y a aucune raison de tolérer le mépris et la violence des policiers à l'endroit des prostituées. Toute personne commettant une infraction ou un délit a tout de même droit au respect de ses droits et de sa dignité. C'est donc dans l'application des lois et les pratiques qu'il nous faut effectuer des changements très sérieux. Pour cela, il faudrait proposer des mesures concrètes visant à protéger les personnes prostituées comme il se doit. La police doit les prendre au sérieux si elles sont menacées ou victimes d'abus. Elle doit cesser de les harceler et leur offrir toute la protection à laquelle elles ont droit, comme tout citoyen en danger ou menacé.

    Pour cela, il n'est nullement nécessaire de légitimer la prostitution. Il faut bien distinguer entre la décriminalisation des actes des personnes prostituées et la légalisation de la prostitution. Il faut décriminaliser ce que font les prostituées elles-mêmes, mais pas ce que font tous les acteurs de la prostitution. Il faut comprendre que si les personnes prostituées avaient une protection adéquate contre leurs clients et leurs proxénètes, elles feraient peut-être d'autres choix de vie.

¼  +-(1805)  

[Traduction]

+-

    Le président: Madame, je vous invite à prendre encore une minute pour conclure.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: J'achève.

    Il faut appliquer avec plus de vigueur les lois actuelles qui interdisent le recrutement et l'incitation à la prostitution, et mettre fin au laxisme actuel dans les médias, qui ne fait qu'encourager l'expansion de cette pratique. La Suède l'a bien compris, puisqu'elle a adopté en 1999 une loi unique au monde, qui suscite de plus en plus l'intérêt des pays voisins. La Suède conçoit la prostitution non comme un travail, mais comme une violation des droits humains des femmes, une atteinte à leur dignité, un obstacle à l'égalité des sexes. Elle s'est fixé comme objectif de combattre la prostitution, mais non les prostituées elles-mêmes. La loi suédoise est la seule qui protège pleinement les personnes prostituées, qui ne sont ni arrêtées ni harcelées d'aucune façon. Elle pénalise uniquement ceux qui exploitent la prostitution d'autrui, les trafiquants, les proxénètes et les clients. Pour ces derniers, la Suède mise davantage sur la responsabilisation des clients, sur l'éducation du public, sur une campagne nationale visant à sensibiliser tous les citoyens aux impacts négatifs de la prostitution. Pour aider les prostituées à s'en sortir, la Suède a mis en place des programmes sociaux spécifiques pour répondre à leurs besoins. Ce modèle doit nous servir d'exemple et d'inspiration.

    Je vous remercie. Je pourrai revenir là-dessus lors de la période de questions.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Madame Shaver.

+-

    Dr Frances Shaver (Département de sociologie et d'anthropologie, Université Concordia): Honorables membres, collègues, mesdames et messieurs, et journalistes, je suis ravie d'être parmi vous et honorée d'avoir été invitée à apporter ma contribution aux travaux du comité.

    C'est en 1983 que j'ai commencé à faire de la recherche sur le travail sexuel, suivant la mise sur pied du Comité Fraser sur la pornographie et la prostitution. À l'époque, je siégeais au Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, mais peu de temps après, j'ai commencé à mener mes propres recherches.

    À titre de chercheuse indépendante, j'ai soumis un mémoire au Comité Fraser. J'ai conclu, dans mon mémoire, qu'un programme de réformes sociales et juridiques fondé sur la décriminalisation constituerait le moyen le plus efficace et approprié de combattre les aspects négatifs du travail sexuel de nos jours.

    La situation a beaucoup évolué depuis. Les lois ont été modifiées. Beaucoup de recherches empiriques ont été menées, y compris les miennes, si bien que nous avons à présent beaucoup plus d'information sur l'industrie du sexe. Ces nouvelles informations n'ont fait que renforcer ma conviction de départ concernant la nécessité d'une réforme sociale et juridique axée sur la décriminalisation.

    La méthode que j'ai employée au fil des ans pour faire mes recherches a toujours été la même, et elle a quatre volets : la collaboration avec les travailleurs et travailleuses du sexe et d'autres parties intéressées; des stratégies d'échantillonnage rigoureuses adaptées aux caractéristiques précises du secteur concerné, des entretiens semi-directifs et non directifs, et une approche comparative qui me permet de faire des ventilations selon le sexe et selon différents emplacements géographiques.

    Mon actuel projet de recherche porte sur différents secteurs de l'industrie du sexe, et j'ai également établi des comparaisons entre le travail sexuel et d'autres formes de travail lié aux services. J'ai mené des entrevues auprès de plus de 400 travailleurs et travailleuses du sexe dans le cadre de ce projet de recherche. C'est une approche très efficace. D'autres qui viendront témoigner devant le comité dans le cadre de vos délibérations y ont d'ailleurs recours. Elle est bien utile dès lors qu'il s'agit d'évaluer des perceptions populaires concernant le travail sexuel et les travailleurs du sexe.

    Voilà qui m'amène à vous parler de mes objectifs relatifs à la réunion de ce soir. Premièrement, je compte vous faire une évaluation critique de ces perceptions populaires, surtout erronées, relatives au travail sexuel et aux travailleurs du sexe. Une bonne partie de ce que l'on sait du travail sexuel est fondée sur notre connaissance de la prostitution de rue, alors que cette dernière ne représente qu'un petit segment de l'industrie dans son ensemble. Il convient donc d'élargir nos connaissances.

    Je voudrais examiner brièvement l'incidence des infractions prévues au Code criminel. Il nous faut bien comprendre de quelle façon les lois sont appliquées et les mesures permettant de les faire respecter. Bien sûr, j'ai été invitée à proposer des lignes directrices—et je souhaite le faire—relatives à une politique intégrée. J'ai l'intention d'utiliser le fruit de mon travail de terrain auprès des travailleurs et travailleuses de rue entre 1990 et 1994. Je vais également m'appuyer sur les recherches que je mène actuellement sur différents secteurs de l'industrie, et à l'occasion, je vais faire allusion au travail de nombreux autres chercheurs canadiens dont les résultats sont semblables aux miens. Il est fort probable que vous receviez un certain nombre d'entre eux dans le cadre de vos délibérations.

    L'une des premières choses que j'ai apprises était que les travailleurs du sexe ont d'autres formes d'expérience professionnelle. Ce tableau vous indique le nombre d'emplois non liés à l'industrie du sexe détenus par les travailleurs du sexe, soit avant, soit pendant la période où ils ont exercé le métier de travailleur du sexe. Tous ont eu au moins deux autres emplois, et la majorité, au moins trois autres emplois. Les résultats de recherche actuellement menée dans les provinces maritimes et à Victoria sont semblables. Les travailleurs du sexe ont une diversité d'expériences professionnelles en dehors de l'industrie, et en fait, bon nombre d'entre eux passent régulièrement d'un secteur à l'autre au sein de l'industrie. Voilà donc qui indique clairement qu'ils ne sont pas prisonniers de la rue.

    L'autre chose que j'ai apprise est que l'âge d'entrée se situe entre 16 et 18 ans, soit la fin de l'adolescence, et non pas entre 13 et 14 ans, comme beaucoup de gens le prétendent. Les résultats de projets de recherche menés à Victoria en 2001 et dans les provinces maritimes sont semblables. L'âge médian d'entrée dans l'industrie à Victoria était de 18 ans chez les femmes, et de 19 ans, chez les hommes.

    Lorsqu'on cherche à établir des groupes de comparaison appropriés, on constate que la fréquence des agressions sexuelles est semblable chez les travailleurs du sexe et d'autres. En l'occurrence, nous avons comparé des adolescents prostitués et non prostitués du même âge, de quartiers semblables, et dont la situation socioéconomique était semblable.

¼  +-(1810)  

    Nous n'avons constaté aucune différence entre les deux groupes en ce qui concerne ni la fréquence des agressions sexuelles pendant l'enfance, ni les circonstances entourant ces agressions.

    S'agissant de violence physique, là nous avons observé des différences. La fréquence d'actes de violence physique était moins élevée chez les prostitués que chez les non prostitués.

    Des comparaisons semblables laissent supposer des résultats comparables en ce qui concerne leur opinion d'eux-mêmes et leur santé mentale. Cette fois-ci, nous avons comparé un groupe de travailleurs hors-rue—c'est-à-dire des danseurs et travailleurs rattachés à une agence d'escorte—et un échantillon de femmes du même âge n'ayant jamais travaillé d'aucune façon dans l'industrie du sexe. Nous n'avons observé aucune différence entre les deux groupes en ce qui concerne ni leur santé mentale et leur estime de soi, ni leur évaluation de leur santé physique ou la qualité de leurs réseaux sociaux.

    Une autre leçon importante pour moi et les membres de mon équipe de recherche était que la fréquence du proxénétisme est exagérée. Ce tableau nous indique le pourcentage de femmes travaillant à leur propre compte : comme l'indiquent les données du ministère de la Justice, la majorité d'entre elles sont autonomes. Ces données ont été rassemblées pour le Comité Fraser au début des années 80. Les résultats de mon travail de terrain du début des années 90 révèlent des tendances semblables. Une récente étude menée à Montréal auprès de travailleurs du sexe de rue et mineurs a permis de constater que 80 p. 100 d'entre eux étaient à leur propre compte.

    La seule véritable aberration dans ce tableau est le groupe de femmes des provinces maritimes, ces données provenant du Comité Fraser. Cependant, mes collègues des provinces maritimes m'ont fait savoir que ce n'est plus le cas. Ils constatent—et vont bientôt publier un livre présentant leurs résultats—que les femmes sont beaucoup plus susceptibles d'indiquer qu'elles travaillent à leur compte. La situation a évolué dans les provinces maritimes.

    En ce qui concerne la consommation de drogues dures, là, aussi, les données comparatives sont intéressantes. La consommation varie selon le lieu et le sexe. Ainsi nous constatons que pour les femmes elle varie selon le lieu, et il en va de même pour les transgenres et les hommes. Cela suppose des différences régionales relatives au contexte local, un domaine à propos duquel nous possédons peu d'information. Les conclusions de projets de recherche canadiens plus récents indiquent que beaucoup de travailleurs du sexe ne consomment pas de drogues dures, ou s'ils le font, sont à même de contrôler leur accoutumance. Il est d'autant plus probable que ceux qui travaillent hors-rue soient dans la même situation.

    Nous avons observé de grandes différences en ce qui concerne les arrestations liées à la prostitution. Là nous avons le nombre moyen d'arrestations sur 12 mois. Des variations sont présentes dans les quatre lieux, quel que soit le sexe des travailleurs. Ce qui ressort clairement de ce tableau, c'est que la tendance qui est très évidente à San Francisco, et selon laquelle beaucoup plus de femmes que d'hommes sont arrêtées pour la prostitution, et présente dans les quatre lieux où se sont déroulées les recherches.

    Les différences sont les mêmes en ce qui concerne les agressions sexuelles. En fait, la tendance qui ressort de ces données est la même. Encore une fois, les femmes sont les plus à risque, et cette tendance est manifeste dans les quatre centres.

    S'agissant d'agression physique, là le portrait est un peu différent. La conclusion la plus surprenante qu'on associe à ces données est que les hommes étaient les plus à risque en ce qui concerne la fréquence des agressions physiques. C'était certainement le cas à Toronto.

    Les variations que nous observons dans les données de ces quatre derniers acétates sont probablement liées aux conditions locales que j'ai évoquées tout à l'heure. Certaines d'entre elles sont attribuables à mon avis à des différences de législation et de mesures d'application. On peut supposer que des variations relatives à l'intensité des plaintes des résidents et à l'utilisation des règlements municipaux pour réprimer la prostitution de rue y sont aussi pour quelque chose. Je soupçonne également qu'on peut attribuer certaines de ces différences à des degrés variables de tolérance relativement à la prostitution de rue et, comme semble l'indiquer ce tableau, à la violence faite aux gais. D'autres recherches s'imposent pour connaître le comment et le pourquoi de ces différences.

    Il existe de plus en plus d'études présentant des comparaisons entre le travail sexuel de rue et celui des travailleurs d'agences d'escorte. Elle font ressortir la diversité de l'industrie du sexe. Le travail de rue présente plus de risques. Il y a plus d'arrestations, et plus de violence. L'état de santé des travailleurs appartenant à ce groupe est plus précaire. Les perceptions des risques varient aussi selon le secteur, et si vous le souhaitez, nous pourrons discuter un peu plus de cet élément-là pendant la période des questions.

    Un autre élément important de cette recherche est la grande diversité qui existe entre les lieux où se pratique ce métier. Les règlements imposés par la direction varient d'une agence d'escorte à l'autre, et d'un club de strip-tease à l'autre.

¼  +-(1815)  

Voilà qui peut avoir des effets différents sur les milieux de travail des personnes concernées et des conditions qu'elles subissent. De plus, leur éthique de travail peut varier. Un de mes étudiants a justement fait valoir cet argument à propos des danseurs exotiques qui travaillent dans différents clubs à Montréal et à Laval.

Il y a aussi un certain nombre d'études portant sur le travail sexuel qui établissent des comparaisons avec d'autres formes de travail lié au service et constatent des similitudes entre les deux. Il s'agit de comparaisons entre les travailleurs du sexe et ceux qui travaillent dans les hôpitaux—moi-même j'en ai fait une—entre les serveurs/serveuses et les danseurs exotiques, et ma collègue, Cecilia Benoit, de Victoria mène actuellement une étude en vue d'établir des comparaisons entre les travailleurs du sexe, les serveurs/serveuses, et les coiffeurs/coiffeuses.

    Les similitudes indiquent qu'il y a des titres de postes sexospécifiques dans toutes ces professions. Les niveaux de stress lié au travail sont semblables—en tout cas, les travailleurs du sexe et les travailleurs d'hôpital font état de niveaux de stress similaires. Cependant, leurs mécanismes d'ajustement étaient quelque peu différents. Les travailleurs d'hôpital ont réagi de manière routinière et institutionnalisée, alors que les travailleurs du sexe se sont appuyés sur des règles personnelles et leurs collègues pour les aider à s'en sortir.

    Les stratégies de distanciation associées à ce genre d'emploi sont semblables. Il semble également que la fréquence des cas de harcèlement et d'agression soit semblable. Par exemple, le risque de faire l'objet d'une agression sexuelle est très élevée si on travaille chez un dépanneur—soit 20 fois plus élevé que pour d'autres femmes.

    Quels enseignements pouvons-nous tirer d'une approche comme celle-ci? Les antécédents des intéressés sont fort variables. Il en va de même pour les conditions de travail, à l'intérieur des différents secteurs et entre les secteurs. Les variations géographiques sont significatives, et nous n'avons pas pour l'instant suffisamment d'information à ce sujet. Nous avons également observé des similitudes entre le travail sexuel et d'autres types d'emplois du secteur des services. Voilà qui nous apprend que le travail sexuel est beaucoup plus complexe que nous laisseraient entendre les représentations qu'on en fait.

    Et quels sont les enseignements à tirer d'un examen des tendances relatives à l'application des lois? Eh bien, le premier enseignement—et je suis sûre que vous en êtes déjà conscients—est que ces tendances sont entachées de parti pris. Les statistiques sur les arrestations font ressortir une prévention contre certains secteurs de l'industrie. Quatre-vingt-dix pour cent des personnes arrêtées pour des infractions liées à la prostitution travaillent dans la rue; or la rue ne représente que 20 p. 100 des activités de prostitution.

    Les données sur les arrestations indiquent également une prévention contre l'un des deux sexes. Quarante-huit pour cent des personnes arrêtées pour la communication à des fins de prostitution sont des femmes. Mais si l'on élabore une formule pour déterminer le nombre de personnes qui « communiquent », nous constatons que seulement 4 p. 100 de celles qui le font sont des femmes. Il y a également une différence de traitement des deux sexes pour ce qui a trait aux sanctions infligées en vertu de l'article 213, soit celui interdisant la communication à des fins de prostitution. Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de finir en prison. On leur inflige des amendes beaucoup plus importantes qu'aux hommes. Ces tendances relatives à la manière dont la loi est appliquée renforcent la stigmatisation et la marginalisation des femmes.

    D'autres conséquences des méthodes d'application de la loi sont encore plus graves. Dans une large mesure, les méthodes d'application débouchent sur un système à deux vitesses qui ne fait qu'aggraver la situation. Les travailleurs du sexe sont plus fréquemment victimes de violence. John Lowman, qui a publié de nombreux articles sur la question, fera sans doute valoir les mêmes arguments lorsqu'il comparaîtra devant le comité.

    De plus, les conséquences constituent une violation des droits fondamentaux des travailleurs du sexe. La Pivot Legal Society de Vancouver a préparé un document fort intéressant qui avance justement cet argument. Ils ont l'intention de documenter cet état de choses au moment de comparaître devant vous. Ces conséquences sapent également les stratégies qu'emploient les travailleurs du sexe pour maximiser leur sécurité de travail. J'ai fait une étude sur la question avec mes collègues de l'Université de Windsor, mes recherches les plus récentes ayant été menées à Toronto et à Montréal. Ces résultats vous seront présentés lorsqu'ils comparaîtront devant le comité en mars.

    Ces conséquences ont pour effet d'aggraver l'aliénation et la marginalisation des travailleurs du sexe. Donc, que faut-il faire? Quels principes doivent nous guider relativement à la réforme qui s'impose? Il est reconnu depuis longtemps que la criminalisation ne constitue pas un moyen de dissuasion efficace et qu'elle ne protège ni les personnes qui pratiquent la prostitution, ni les citoyens qui se trouvent dans les environnements avoisinants. Donc, que faut-il faire? Je propose que nous abrogions l'ensemble des lois liées à la prostitution. Nous avons déjà des lois auxquelles nous pouvons recourir pour contrer bon nombre, sinon la totalité, des effets négatifs.

    Notre droit criminel compte un certain nombre de lois génériques portant sur différentes formes d'agression, les agressions sexuelles, le harcèlement criminel, la séquestration et l'enlèvement, entre autres, auxquelles nous pouvons avoir recours pour protéger les travailleurs du sexe et d'autres.

¼  +-(1820)  

    Des lois génériques relatives au maintien de l'ordre public qui font partie de notre droit criminel et civil peuvent aussi servir à protéger le public contre les nuisances. Ici il s'agirait simplement de s'assurer que l'accent est mis sur l'activité perturbatrice et non pas sur la personne concernée.

    Nous pourrions aussi décider de considérer l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes comme étant un abus de pouvoir. Voilà une recommandation de mon collègue, John Lowman, que nous devrions sans doute prendre au sérieux. Entre-temps, pourquoi ne pas avoir recours aux dispositions législatives relatives aux contacts et attouchement sexuels pour protéger les jeunes âgés de moins de 14 ans?

    Dans le cadre de ce processus de réforme, il nous faut également définir un certain nombre d'initiatives visant à éliminer la stigmatisation et la marginalisation des travailleurs du sexe de par les interventions de la police et des tribunaux, et nous devons certainement consulter les travailleurs du sexe sur la meilleure façon de réglementer leurs activités, comme on le fait pour d'autres types d'activités commerciales.

    Tous ces éléments doivent faire partie intégrante des lignes directrices devant guider un tel projet de réforme sociale. Il est reconnu depuis fort longtemps qu'une réforme législative n'est pas en soi suffisante pour changer les choses. C'est tout simplement impossible.

    Les modifications que nous apporterons à nos lois devront aller de pair avec des programmes sociaux et éducatifs qui s'attaquent aux problèmes sous-jacents. Parmi les initiatives à envisager, notons l'éducation du public et des décideurs sur la diversité du travail sexuel qu'accomplissent les travailleurs du sexe. Nous pouvons assurer un soutien économique et organisationnel aux organismes représentant les travailleurs du sexe, qui sont sans doute les mieux placés pour aider ces derniers. Nous pouvons aussi offrir des programmes d'éducation et de formation professionnelle à ceux qui souhaitent quitter l'industrie du sexe. Et, bien entendu, nous pouvons appuyer des projets de recherche pancanadiens menés dans une multiplicité de lieux différents afin d'accroître notre connaissance de l'industrie et examiner les problèmes sous-jacents plus généraux qui sont à l'origine des préjudices causés.

    Enfin, je voudrais soumettre certains documents à l'examen du comité, et ce officiellement. J'ai fait faire des copies d'un article axé sur l'exposé que j'ai fait devant le Comité Fraser. Il remonte à plus d'une vingtaine d'années, mais j'ai trouvé intéressant de voir à quel point il est semblable aux remarques que je vous fais aujourd'hui. Toutefois, les données qui sous-tendent mes arguments sont beaucoup plus convaincantes. Je désire aussi vous soumettre cette compilation de certaines de mes recherches. J'ai fait référence à la plupart d'entre elles dans les notes qui accompagnent ces acétates, si bien qu'on peut accéder aux données proprement dites, s'il y a lieu.

    J'ai également travaillé en étroite collaboration avec ma collègue, Cecilia Benoit, de l'Université de Victoria, et nous rassemblons les résultats de recherches menées dans tout le Canada afin d'avoir une idée des travaux qui concernent tout particulièrement la santé et la sécurité dans l'industrie du sexe. Dans ces documents—et vous avez une série en français et une série en anglais—vous trouverez une liste complète des projets de recherches menées par une quinzaine de chercheurs et des lacunes actuelles en ce qui concerne les études canadiennes actuelles.

    Merci beaucoup.

¼  +-(1825)  

+-

    Le président: Merci, madame Shaver.

    Madame Roy.

[Français]

+-

    Mme Michèle Roy (porte-parole, Regroupement québécois des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel): Bonjour.

    Je vais partir de l'expérience de notre groupe, de la manière dont nous travaillons et de ce que l'expérience de travail avec des femmes qui ont vécu de la violence et de la prostitution nous a appris.

    Le Regroupement québécois des Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel est un regroupement de 26 organismes qu'on trouve sur tout le territoire québécois. Les groupes membres travaillent depuis plus de 25 ans contre la violence et l'exploitation sexuelle. Ce sont des groupes féministes qui travaillent avec des femmes, des filles et des familles dans certains cas. Le travail que nous faisons auprès de ces personnes est essentiellement un travail d'aide aux victimes et de défense de leurs droits, mais aussi un travail d'information, de sensibilisation, de prévention et de dénonciation.

    Pendant toutes ces années, nous avons rencontré des milliers de personnes, de femmes, qui étaient victimes de violence sexuelle sous différentes formes. Nous les accompagnons dans leurs démarches médicales, juridiques, ainsi qu'auprès des policiers et de différents groupes sociaux. Nous constatons beaucoup de résistance, de méfiance, de doute à l'égard des femmes qui disent avoir été victimes de violence.

    Chaque année, nous travaillons aussi avec des centaines de groupes sociaux, scolaires et mixtes. Nous faisons des interventions dans des lieux publics et dans les médias. Nous faisons des représentations politiques auprès des différents paliers de gouvernement en vue d'obtenir des changements aux lois, aux règlements, aux politiques sociales, aux attitudes, aux mentalités.

    Plusieurs d'entre nous sont des femmes qui ont vécu des formes de violence à un moment ou l'autre de leur histoire et qui se sont impliquées pour changer les choses. Tout comme les filles et les femmes que nous rencontrons et accompagnons, nous avons subi une forme quelconque d'exploitation sexuelle, souvent très jeunes, quand nous étions des enfants ou même des nourrissons parfois. Je parle d'agressions sexuelles comme le viol, l'inceste, les attouchements, la pédophilie par des proches, c'est-à-dire des pères, des frères, des grands-pères, des beaux-pères, l'exposition forcée à du matériel pornographique, et la participation forcée à des activités pornographiques. Des enfants ont été filmées. On les a obligées à danser. Elles ont été photographiées par des personnes de leur entourage.

    Ces femmes et ces filles ont aussi subi des agressions sexuelles de personnes connues, d'amis, de voisins de la famille, de relations de travail, de loisir, d'enseignants, de religieux. Un certain nombre de ces femmes ou de ces filles ont aussi été forcées très tôt à se prostituer, parce que de l'argent ou des biens étaient échangés. Leur père, leur frère ou leur petit ami les obligeait à avoir des rapports sexuels avec quelqu'un qui donnait à cet homme de l'argent, de la bière, des cigarettes, un vêtement, un billet de spectacle. Ces femmes, ces enfants, ces adolescentes ne recevaient pas directement l'argent ou les biens. Souvent, elles ont appris plus tard, indirectement, qu'on les avait vendues un soir de party comme butin de chasse ou comme prix de consolation après une partie de cartes ou pour régler une dette de drogue, par exemple.

    Ces femmes et ces filles ont souvent expérimenté très tôt la prostitution, pas volontairement la plupart du temps. Pour elles, la prostitution n'a pas eu beaucoup d'aspects glorieux, libérateurs, valorisants ou épanouissants. Elles ont vécu ou vivent encore du mépris, de la peur, de la violence, du rejet, une forme de déshumanisation.

    Ces différentes formes de violence--parce qu'on considère la prostitution comme une forme de violence que subissent les femmes--ont des conséquences importantes sur la santé, l'équilibre des personnes et ainsi de suite. Ce sont des conséquences de différentes formes de violence, pas exclusivement de la prostitution. Des femmes qui ont été victimes de violence conjugale, d'agression sexuelle par un ami ou un conjoint, ou de prostitution, vivent des conséquences qui se ressemblent très souvent, c'est-à-dire beaucoup de désespoir, de détresse, une perte d'estime de soi.

    Souvent, c'est difficile pour elles, ou même impossible par moments, de tracer les limites de ce qu'elles veulent, de savoir ce qu'elles veulent vraiment, de choisir ou de refuser, parce qu'on n'a pas respecté leurs propres limites ou qu'on ne leur a pas appris à les identifier comme telles. Elles ont intériorisé la violence et elles ont un discours souvent très destructeur envers elles-mêmes. Elles se disent qu'elles ne sont rien, qu'elles ne valent rien, qu'elles sont des traînées, des salopes, des vicieuses, qu'elles ne peuvent pas espérer mieux, qu'il ne leur reste donc que leur sexe à vendre, que c'est ce qu'elles valent, qu'il y a juste des putes comme elles qui vont pouvoir les comprendre.

    Beaucoup de femmes qui ont subi ces formes de violence vont donc aller vers la prostitution et auront des séquelles physiques et psychologiques importantes. Je ne dis pas que toutes les femmes ou toutes les personnes qui font de la prostitution ont subi des formes de violence. Je dis que celles qui la vivent expérimentent différentes séquelles. Souvent, c'est lié à un passé de violence, dans leur enfance ou leur adolescence.

¼  +-(1830)  

    Les victimes des différentes formes de violence présentent des symptômes qu'on associe souvent au stress post-traumatique. Quand les femmes nous parlent de leurs expériences de violence, de prostitution, elles décrivent des symptômes qui ressemblent souvent aux symptômes du stress post-traumatique. Elles ont intériorisé un discours très dévalorisant par rapport à elles-mêmes. On parle d'un seuil de tolérance très élevé à la violence, de troubles de sensibilité, de problèmes sexuels, d'une détérioration importante de la santé physique et gynécologique, d'une résistance énorme aux coups et aux blessures, qu'elles ne vont pas faire soigner.

    Très souvent, quand nous avons subi une forme ou une autre de violence, nous identifions mal notre responsabilité. Quand est-il légitime d'aller chercher de l'aide, des soins, etc.? Souvent, des blessures et des difficultés de santé s'aggravent car nous retardons le moment de la consultation, parce que nous n'osons pas y aller ou que nous ne nous reconnaissons pas le droit à ce que quelqu'un prenne soin de nous, par exemple. Il y a aussi plusieurs formes de dépendance à l'alcool et aux drogues.

    Pour nous, toutes les femmes et adolescentes qui se prostituent ne sont pas des criminelles, mais des victimes d'une forme masculine de violence contre les femmes. Je dis « masculine » parce que la majorité des clients sont et continuent d'être des hommes qui s'adressent à des enfants, garçons et filles, et à des femmes dans la majorité des cas. Il est important de situer cela.

    D'après nous, il y a un enjeu qui est lié à la violence et à l'égalité entre les hommes et les femmes. Il y a des enjeux qui sont liés à l'importance de reconnaître le droit à l'égalité pour les femmes. Il faut donc situer les changements ou les révisions que vous souhaitez apporter aux lois sur le racolage, par exemple, dans l'ensemble d'une analyse des enjeux liés à la violence, à l'égalité et à la sécurité. Il est important de revoir l'ensemble des mesures sociales dans cette perspective.

    Nous considérons que les personnes qui font de la prostitution ne doivent sous aucun prétexte être victimes de discrimination, quelle qu'en soit la forme. Nous accompagnons régulièrement des femmes qui ont été agressées, des femmes qui se prostituent ou qui l'ont fait quand elles vont voir un policier, un médecin ou un procureur pour porter plainte ou demander des soins. C'est vrai qu'elles ne sont pas crues. C'est vrai qu'elles sentent le mépris, la méfiance, la non-considération. C'est très vrai. C'est vrai pour l'ensemble des femmes qui vivent des situations de violence, à moins qu'elles ne soient les victimes parfaites d'un criminel monstrueux.

    Nous considérons aussi que la prostitution relève de l'exploitation sexuelle des femmes et ne peut par conséquent être considérée comme un travail au même titre que les autres emplois ou comme une façon valorisante d'accéder à l'autonomie économique. La prostitution constitue une forme de violence exercée principalement à l'égard des femmes, des adolescentes et des fillettes, mais implique aussi des hommes, des adolescents et des garçonnets.

    Nous considérons que la prostitution constitue une violation des droits humains fondamentaux, qu'aucune raison n'est valable pour considérer comme des criminelles les victimes de cette forme de violence, que plusieurs des modèles sexuels et des rapports de genres qui sont mis de l'avant ou illustrés dans l'industrie du sexe sont peu conformes à la réalité et engendrent au sein de la société des perceptions et des influences négatives et violentes, particulièrement à l'égard des femmes et des filles. Les garçons et les hommes apprennent dans l'industrie du sexe une façon de considérer leurs rapports avec les femmes, une façon de considérer leur rapports avec la sexualité. Ils reçoivent un message qui leur dit qu'ils ont le droit, contre une somme d'argent, d'avoir accès comme ils le veulent et quand ils le veulent aux corps des personnes, et que le fait de payer légitime, légalise et autorise cela.

    Nous considérons que la vulnérabilité des femmes à la pauvreté et à l'exploitation sexuelle est accentuée par la discrimination liée à des facteurs sociaux tels que l'âge, l'origine ethnique, la classe sociale et les problèmes de santé physique ou mentale. Au Québec, par exemple, on observe des différences importantes chez les prostituées. Par exemple, beaucoup plus de femmes de milieux autochtones ou inuits se retrouvent dans la rue plutôt que dans les agences.

¼  +-(1835)  

    Il y a une analyse de classe à faire des différentes formes de prostitution. Je ne parle pas exclusivement de la prostitution de rue mais de ce qui se fait dans les agences d'escorte, dans les salons de message et dans différents lieux. Il faut voir comment les discriminations croisées marginalisent les femmes, augmentent leur vulnérabilité et limitent leur capacité à se défendre et à faire face à tout cela.

    Nous considérons aussi que la société offre très peu de moyens et de ressources pour soutenir les femmes vivant de la prostitution, qui le font majoritairement, non par choix, mais sous la contrainte ou à cause de leur précarité socioéconomique.

    Nous considérons que l'industrie du sexe tire des profits gigantesques--dont on parle très peu--de l'exploitation sexuelle des femmes. On fait très peu d'analyse pour voir qui tire des bénéfices de l'industrie du sexe, non seulement financièrement, mais en termes de pouvoir.

    Il nous semble important de souligner qu'on ne peut pas, ni au Québec ni au Canada, prendre position sur cette question sans analyser l'ensemble des acteurs impliqués dans le système de la prostitution, afin de voir qui en retire des bénéfices, où sont les différents partenaires et qui est dans un rapport de pouvoir. Nous considérons aussi essentiel d'étudier les liens et les impacts sur l'ensemble des femmes. Il n'y a pas que les personnes vivant de la prostitution qui sont concernées par la prostitution ou qui en sont affectées. Le viol, on l'a dit, a un effet non seulement sur les femmes qui en sont victimes, mais sur l'ensemble des femmes, ne serait-ce qu'à cause de la crainte qu'éprouvent beaucoup de femmes, crainte qui les empêche de se déplacer et de choisir des activités comme elles le veulent, car elles ont peur de faire face à des situations potentielles de viol. De la même façon, la prostitution affecte l'ensemble des femmes, crée des modèles sociaux sur le plan de la sexualité et des rapports entre les gens. C'est important d'en tenir compte.

    Pour nous, il est important de reconnaître le problème, de traiter les personnes prostituées principalement comme des victimes d'exploitation sexuelle. J'emploie le mot «  victime  » non pas pour infantiliser ou victimiser ces personnes, mais pour reconnaître qui est l'agresseur et qui est la personne qui subit cette agression. De la même façon, on a parlé des femmes victimes de violence conjugale et on n'a jamais considéré que ces femmes n'avaient pas de pouvoir et de possibilités d'agir. Il est important de protéger les personnes prostituées et de promouvoir leur bien-être, de travailler ensemble afin de leur donner des outils pour sortir du système de la prostitution. Il est important d'enquêter et de poursuivre ceux qui les contraignent, les exploitent et abusent d'elles. Il faudra voir comment cela s'exerce de façon différente sur les clients et sur les proxénètes. Pour nous, ce n'est pas la même chose.

    Il faut surtout mettre en place un ensemble de mesures, tout comme on l'a fait dans certains dossiers touchant la violence faite aux femmes. Il n'y a pas que des changements juridiques qui permettent de réellement diminuer la violence faite aux femmes. Il y a aussi des mesures comme des politiques sociales de lutte contre la pauvreté, la précarité, le chômage et l'exclusion, de la formation, le droit au logement et l'amélioration des programmes sociaux. Par exemple, il est évident qu'au Québec et dans l'ensemble des autres provinces du Canada, les compressions dans l'aide sociale ont eu un effet direct sur l'augmentation du nombre de personnes qui se prostituent. C'est très clair: 1 + 1= 2. Il est important d'avoir des politiques d'envergure, fortes et durables pour lutter contre la violence faite aux femmes. Il est important que ces politiques s'adressent non seulement aux femmes et aux filles, mais aussi aux garçons et aux hommes, et qu'elles les responsabilisent par rapport à ces enjeux et leur fassent comprendre ce que vivent les personnes vivant de la prostitution.

    Il est important pour nous d'affirmer que dans notre démarche, nous sommes solidaires des femmes prostituées et dénonçons la violence, la discrimination, le racisme et toutes les formes de mépris qu'elles subissent. On ne souhaite l'adoption d'aucune mesure qui pourrait contribuer à augmenter cela. Par contre, nous sommes très préoccupées par le fait que certaines mesures pourraient contribuer à augmenter la force relative des hommes dans le système de la prostitution. Toute révision, toute modification ou tout changement juridique devrait tenir compte de ces enjeux.

¼  +-(1840)  

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, madame Roy.

    Nous entamons maintenant un tour de questions de sept minutes. Je vais vous y tenir rigoureusement, et nous aurons par la suite un tour de questions de trois minutes.

    Monsieur Hanger, voudriez-vous commencer?

+-

    M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci, monsieur le président.

    Je voudrais, tout d'abord, présenter mes excuses aux témoins d'être arrivé en retard. J'ai manqué une bonne partie de l'exposé de Mme Geadah, mais je suppose que je vais pouvoir en aborder certains éléments en posant mes questions.

    Dans un premier temps, je pose une petite question à tous les témoins : Êtes-vous favorables à la légalisation ou à la décriminalisation, ou aux deux?

[Français]

+-

    Mme Michèle Roy: Votre question s'adresse-t-elle à chacun des témoins?

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: Oui, la légalisation, la décriminalisation, ou les deux?

+-

    Dr Frances Shaver: Je vais commencer.

    Je suis en faveur de la décriminalisation. À mon avis, il faut supprimer du Code criminel toutes les dispositions actuelles qui concernent cette activité, recourir aux lois qui sont déjà en vigueur pour en réglementer les éléments négatifs, et trouver d'autres moyens de réglementer les aspects commerciaux de la prostitution—et ce, en consultation, évidemment, avec les travailleurs du sexe.

    À mon avis, l'option de la légalisation fait en sorte qu'une bonne partie du travail sexuel sera organisée en fonction du Code criminel, ce qui établira une nette distinction entre ce travail-là et d'autres types de travail, et contribuera donc à perpétuer la stigmatisation et la marginalisation dont les travailleurs du sexe font déjà l'objet, si on devait maintenir leur statut de quasi-hors-la-loi.

    Donc, j'opte plutôt pour la décriminalisation, étant donné que la légalisation ne peut donner les résultats escomptés.

+-

    M. Art Hanger: Très bien.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Puis-je parler en français?

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: Oui.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Je suis contre la légalisation et la décriminalisation de la prostitution en général, mais pour la décriminalisation de l'acte de prostitution commis par des femmes prostituées, des personnes prostituées. Elles ne doivent subir aucune répression. Par contre, il faudrait augmenter les contrôles et accentuer la répression contre les autres acteurs, et miser davantage sur l'éducation, la sensibilisation et la prévention en général, parce que les lois répressives à elles seules ne peuvent pas atteindre le but. C'est une combinaison de choses.

    L'exemple de la Suède, que je citais tout à l'heure, mérite d'être approfondi et étudié par votre comité. Les Suédois ont réussi à adopter à la fois une loi qui réprime uniquement ceux qui profitent de la prostitution et un programme pour aider les personnes à se libérer de la prostitution. C'est le droit de ne pas se prostituer pour survivre, ou pour d'autres raisons.

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: Donc, vous êtes plutôt en faveur de l'adoption de lois qui agissent sur d'autres éléments liés à la prostitution et sur les personnes qui se prostituent, de façon à réprimer des activités comme le proxénétisme, ou…

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Exactement. On ne doit pas légaliser ni décriminaliser les actes commis par ceux qui profitent de la prostitution d'autrui. On doit légaliser ou décriminaliser seulement ceux commis par des personnes qui se prostituent, mais en leur offrant des programmes sociaux solides qui les aident à sortir de la prostitution. L'exemple de la Suède est très éloquent à cet égard et je pense qu'il mérite d'être étudié.

+-

    Mme Michèle Roy: Je dirais sensiblement la même chose, mais je crois qu'aucun pays du monde n'a décriminalisé totalement à ce jour, sans réglementer d'une façon ou d'une autre. C'est impossible d'imaginer qu'on puisse décriminaliser tous les actes commis par l'ensemble des acteurs impliqués, et dire en même temps qu'on va laisser faire le libre marché, que tout cela va se réguler, et qu'il n'y aura plus de violence ou quoi que ce soit d'autre.

    Il est important d'envisager des mesures pour éliminer la pression qui pèse actuellement sur les personnes prostituées, que ce soit à cause des règlements municipaux ou des articles du Code criminel. Il y a des changements à proposer et une révision à faire dans ce domaine. Par contre, en ce qui concerne les clients et les proxénètes, il faut sérieusement revoir la méthode et l'inclure dans un ensemble de mesures à prendre contre la violence faite aux femmes.

¼  +-(1845)  

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: Très bien.

    J'ai une autre question qui s'adresse à vous toutes. La criminalité organisée est-elle impliquée dans la prostitution? D'après les résultats de vos recherches—et vous avez toutes fait des recherches—le crime organisé est-il impliqué dans ces activités, et dans l'affirmative, dans quelle mesure est-il impliqué?

+-

    Dr Frances Shaver: Je vais commencer.

    Je peux vous affirmer que, d'après les recherches que moi-même et mes collègues avons menées, rien ne permet de croire que le crime organisé est impliqué. C'était d'ailleurs la conclusion du Comité Fraser il y a plus de 20 ans, et non seulement mes observations ne sont aucunement différentes, mais je ne suis au courant d'aucune étude indiquant que les criminels organisés y jouent un rôle important.

+-

    M. Art Hanger: Très bien.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Au contraire, toutes les études faites au niveau international, dans tous les pays, reconnaissent que le crime organisé contrôle l'industrie du sexe, y compris aux Pays-Bas, le pays qui est allé le plus loin dans la libéralisation. C'est toujours le crime organisé qui a la haute main sur l'industrie. Il y a deux raisons à cela: d'une part, c'est très profitable, et d'autre part, cela lui permet de faire du blanchiment d'argent.

    En achetant ou en investissant dans les bordels légaux, reconnus par l'État, les gens du crime organisé peuvent faire du blanchiment d'argent obtenu illégalement. Le crime organisé est très fort dans ce domaine, dans tous les pays qui ont légalisé les bordels, que ce soit l'Allemagne, l'Australie ou les Pays-Bas. C'est dommage que vous ayez manqué la présentation. J'ai mis l'accent sur ces exemples, sur ce que cela a donné comme résultats.

+-

    Mme Michèle Roy: Certaines des femmes qu'on a rencontrées et accompagnées étaient effectivement en lien avec un proxénète ou certains de leurs proches étaient en lien avec des gangs de rue ou le milieu du crime organisé. Ce n'était pas systématique, mais il est clair qu'il y en avait.

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: Si nous modifions nos textes de loi, le gouvernement devrait-il éventuellement chercher à faire inscrire les prostitués et leur faire payer des impôts?

+-

    Dr Frances Shaver: Certains travailleurs du sexe paient déjà des impôts. Tout dépend de ce que vous voulez dire quand vous parlez de l'inscription et de l'imposition des prostitués. Si le travail sexuel est décriminalisé, le gouvernement n'aurait pas de raison de prévoir une procédure d'inscription différente pour les travailleurs du sexe que pour des professeurs comme moi, des députés, comme vous, ou n'importe quel autre type de travailleurs. Je dirais donc que le gouvernement n'a pas besoin de prévoir l'inscription des travailleurs du sexe. Si ces derniers ont un commerce et réalisent des gains, à ce moment-là, il est tout à fait normal qu'ils paient des impôts comme tous les autres Canadiens qui ont des gains provenant d'un emploi.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Non, ce système ne fonctionne pas du tout. Je vais également remettre au comité un texte de Janice Raymond qui résume les 10 raisons pour lesquelles la légalisation et l'enregistrement des personnes prostituées ne fonctionnent pas. Cela crée deux classes de personnes: celles qui agissent légalement et celles qui agissent illégalement, et le problème persiste.

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: Le gouvernement devrait-il faire payer des impôts aux prostitués?

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Non, parce que ce serait une façon de légitimer cette activité. On souhaite qu'on se fixe comme objectif clair de combattre la prostitution. La prostitution a des conséquences néfastes au niveau des personnes et au niveau de la collectivité. La taxer est une façon de légitimer cette activité. Je pense qu'il faut, au contraire, prendre toutes les mesures pour combattre la prostitution et aider les personnes à sortir et à se libérer de la prostitution. Je pense que ce serait la façon la plus cohérente et la plus humaine d'agir, qui respecterait les droits humains de tout le monde. On ne veut pas renforcer ce système en taxant ou en enregistrant les personnes qui se prostituent.

+-

    Mme Michèle Roy: Je ne pense pas que l'État puisse devenir un souteneur officiel, légal et autorisé. L'État canadien dit qu'il travaille à l'égalité entre les hommes et les femmes, et contre la violence. Je ne vois pas comment il pourrait, du même coup, mettre en place un système qui légaliserait la prostitution, dans lequel il serait impliqué et où il percevrait des taxes. Il faut travailler à mettre fin à cela. Même si on sait que ce n'est pas pour demain, il faut se fixer des objectifs clairs pour que cela cesse.

[Traduction]

+-

    M. Art Hanger: Merci.

    Me reste-t-il du temps?

+-

    Le président: Non, pas du tout.

    Madame Brunelle.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle (Trois-Rivières, BQ): Bonjour.

    Madame Shaver, vous m'avez surprise et vous avez ébranlé toute ma compréhension de la prostitution. Peut-être vous ai-je mal comprise, mais en vous écoutant, j'ai vu la prostituée comme une femme libre qui assume ses choix et qui exerce une activité commerciale comme une autre. Je ne doute pas de vos résultats, mais j'essaie de comprendre pourquoi il y a tant de différence entre les divers témoignages qu'on entend ici, et j'ai du mal à les concilier. Je me demande si cela dépend du lieu où la prostitution est analysée. Vos réflexions ne sont peut-être pas les mêmes. Parle-t-on des prostituées de rue ou des prostituées de luxe? Qu'avez-vous analysé au juste? Je vois qu'il y a une mondialisation du proxénétisme et du trafic sexuel, et j'ai du mal à concilier cela avec ce que vous me dites.

¼  +-(1850)  

[Traduction]

+-

    Dr Frances Shaver: Eh bien, je comprends pourquoi vous avez autant de mal. À mon avis, c'est en partie à cause des méthodes que j'ai adoptées pour faire ma recherche. La recherche que je fais et que font les collègues avec qui je travaille depuis une vingtaine d'années s'appuie, dans une très large mesure, sur ce que nous appelons « l'échantillonnage sur le terrain ». Nous avons donc fait de l'échantillonnage rigoureux sur le terrain—et pas seulement dans la rue, où j'ai mené une bonne partie de mes recherches; nous avons également employé des techniques d'échantillonnage appropriées à l'égard des personnes qui travaillent pour les agences d'escorte, des danseurs, et de ceux qui sont actifs dans d'autres segments de l'industrie. Ce qui arrive quand on fait ce genre de recherche, c'est qu'on inclut forcément certains travailleurs du sexe qui sont en crise, alors que la majorité des travailleurs du sexe qu'on inclut ne sont pas en crise. Les organismes de service social ne sont pas encore intéressés à eux. Et il arrive régulièrement que ni la police, ni les tribunaux ne s'intéressent à eux.

    Étant donné la méthode d'échantillonnage, je soupçonne que la situation de la majorité des travailleurs du sexe correspond aux données que nous récoltons grâce aux études menées sur le terrain. Une bonne partie des informations diffusées par les médias—et une bonne partie des résultats présentés dans des études plus anciennes—émane d'organismes de service social qui aident les personnes en crise, ou de travailleurs du sexe qui viennent d'être arrêtés et quittent les postes de police. À mon sens, on peut y attribuer bon nombre des différences que nous avons relevées.

    Je suis également d'avis que les données plus traditionnelles qui émanent des rencontres avec les personnes en crise…je ne dis pas que c'est forcément le cas, mais j'estime simplement qu'il y a lieu de comparer ce portrait du travailleur du sexe avec celui qui ressort des méthodes de collecte de données moins traditionnelles, celles qu'on emploie sur le terrain, là où il s'agit d'atteindre le plus possible cette population cachée, afin d'obtenir des échantillons plus représentatifs. Voilà qui m'a le plus préoccupée dans toutes les recherches que j'ai menées jusqu'à présent; j'ai voulu rejoindre les personnes dont la situation ne correspond pas nécessairement à celle des autres, afin de m'assurer, quand je prends contact avec une population donnée, d'obtenir un échantillon représentatif dans la mesure du possible.

    Voilà, à mon sens, qui explique jusqu'à un certain point les différences observées entre les deux; cette méthode permet effectivement de faire ressortir une autre réalité et d'autres récits qui sont souvent escamotés.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Je comprends bien maintenant.

    J'aimerais maintenant poser une question qui s'adresse à toutes. La violence contre les femmes augmente de plus en plus, qu'il s'agisse de la violence conjugale ou de la violence en général. La violence est partout. La société est plus violente.

    Quel lien faites-vous entre la violence et la prostitution? Pour vous, la prostitution est-elle un facteur qui peut contribuer à diminuer la violence faite aux femmes? On peut penser que, lorsque la prostitution aura été légalisée, on n'aura pas besoin de forcer les femmes à faire l'acte sexuel parce qu'on aura quelqu'un à sa portée plus facilement. Ou pensez-vous qu'au contraire, il y a un lien entre la violence et la prostitution?

+-

    Mme Yolande Geadah: Je trouve votre question intéressante. On dit souvent que si on lutte contre la prostitution, cela va augmenter la violence à l'égard des femmes. C'est un mythe. La réalité est tout autre. Dans tous les pays où on a légalisé ou décriminalisé partiellement la prostitution, on a vu la violence augmenter. Dans le milieu de la prostitution, la violence est très présente. Les personnes prostituées subissent la violence des clients, des proxénètes, de leur revendeur de drogue, etc. Elles vivent dans un système de violence. Quand on légalise la prostitution, la sexualité se pratique davantage. Un plus grand nombre d'hommes se servent de prostituées et cela se reflète dans leurs relations avec les femmes en général. C'est précisément cela qui a poussé la Suède à réagir. Auparavant, la Suède était ultralibérale, un peu comme les Pays-Bas, et tout à coup, on s'est aperçu que le niveau de violence à l'égard des femmes avait beaucoup augmenté. C'est alors qu'on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose, soit proposer des lois qui réduiraient la demande de prostitution à la base, qui s'attaqueraient à la racine même de la prostitution.

    Je suis d'avis que c'est vraiment l'inverse qui se produit. On perpétue ce mythe en présentant de faux résultats comme ceux-là. Le choix de l'échantillon est très significatif. Si on a accès aux personnes uniquement par le biais d'un organisme comme Stella, qui préconise la décriminalisation totale, c'est sûr que les personnes à qui on va s'adresser vont faire état de cette perception et proposer cette solution qui ne fonctionne nulle part. Si on prend des personnes au hasard un peu partout, dans différents milieux, on voit que la situation est tout à fait différente. Il faut considérer cela non seulement à l'échelle locale mais à l'échelle internationale. Tous les chiffres sont très éloquents à cet égard.

¼  +-(1855)  

+-

    Mme Michèle Roy: J'ajouterai que les femmes observent que l'accès de plus en plus facile à la pornographie, à une pornographie de plus en plus violente, a une incidence directe sur leurs rapports de couple. Cela ne s'observe pas uniquement dans le cas des femmes prostituées. Beaucoup de femmes en maison d'hébergement, dans des centres de femmes, dans des CALACS et dans d'autres groupes parlent de la manière dont les exigences de leur partenaire se sont modifiées et de la violence qui s'installe, qui est de plus en plus considérée comme normale, naturelle, excitante, etc. Cela augmente. Il y a 20 ans, les hommes ne se promenaient pas avec une revue pornographique bien visible; ils la cachaient dans leur journal. Maintenant, il y a de la tolérance sociale à cet égard: on se dit que cela fait partie de la libération sexuelle. Toutefois, les femmes et les adolescentes nous parlent de l'impact direct de cela sur leur vie sexuelle.

    Nous travaillons beaucoup dans des écoles secondaires, où les adolescentes nous parlent des demandes sexuelles de leur premier petit ami. Ce n'est pas piqué des vers. Si on me dit que le fait qu'il existe des prostituées permet aux hommes de... Cela repose sur la logique voulant que le désir sexuel de l'homme soit incontrôlable, irrépressible, et qu'il doive obtenir satisfaction comme il le veut et au moment où il le veut, soit par la force, soit par l'argent.

    Selon nos observations et selon la description des échanges sexuels que font les adolescentes et les femmes, ce n'est pas vrai que la prostitution contribue à diminuer la violence. C'est tout le contraire, et cela a une influence non seulement dans le domaine de la sexualité, mais dans plein d'autres domaines. Il y a une différence entre le choix volontaire de pratiques sexuelles différentes et la contrainte. Je ne porte pas un jugement moral sur ce qui se fait ou ne se fait pas dans le domaine de la sexualité, je dis simplement que les femmes dénoncent l'exigence et la contrainte. Elles semblent aimer cela dans ce film-là, parce que leur éducation est basée sur des films pornos et des revues où elles voient des femmes coupées en petits morceaux dont le plaisir est découpé en parcelles. Elles ont l'impression qu'il faut répéter cela. On ne parle pas de rapports ou d'échanges entre deux personnes égales qui peuvent accepter ou refuser toute forme d'activité sexuelle. On parle de contrainte, d'obligation, d'exigences, de violence.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, madame Brunelle.

+-

    Dr Frances Shaver: Je voudrais répondre à cette dernière question, si vous permettez.

    S'agissant de la façon dont ma collègue a représenté la violence vécue par les femmes et les enfants, et la forte proportion de femmes et d'enfants qui ont connu la violence à un moment de leur vie, il va sans dire que ce n'est pas le genre de choses que je voudrais nier. Mais je voudrais tout de même réorienter un petit peu le débat à ce sujet, car à mon sens, la question générale qui doit nous intéresser est celle de la violence que nous vivons toutes. Que ce soit dans les bars pour célibataires, au foyer ou dans les familles, cette violence caractérise des milieux de vie qui n'ont absolument rien à voir avec le travail sexuel. Cette violence caractérise le contexte social en général. À mon avis, c'est justement ça qui pose problème, et la violence que nous observons chez les travailleurs du sexe n'est qu'une manifestation secondaire de la violence qui caractérise généralement notre société.

    Si nous souhaitons vraiment enrayer la violence faite aux travailleurs du sexe, nous devons à mon avis nous attaquer au problème général de la violence et de l'exploitation dont on parle à une échelle et dans un contexte social beaucoup plus importants. C'est là que nous devons commencer si nous désirons vraiment introduire des changements fondamentaux relativement à la façon dont les hommes et les femmes sont traités et se traitent mutuellement. Les leçons à tirer de cette réalité et l'éducation à offrir se situent à un niveau beaucoup plus général et plus basique. Si nos efforts en matière d'éducation commencent à ce niveau-là, il est évident qu'ils finiront par faire leur effet. Entre-temps, nous devons à mon avis nous intéresser aux mesures que nous pouvons prendre pour protéger les travailleurs du sexe.

    À mon avis, il importe certainement de suivre ce qui se fait dans les autres pays du monde, mais les mesures que nous déciderons de prendre et le travail que vous accomplirez en comité influeront certainement sur l'action canadienne et notamment les mesures que nous prendrons dans les villes du Canada. Les données que je vous ai fournies ne concernent pas uniquement Montréal ni seulement des travailleurs du sexe qui adhèrent à des organismes comme celui de Stella et qui sont déjà favorables à la décriminalisation de la prostitution. Ces données concernent toutes les personnes que nous aurons rencontrées sur le terrain dans le cadre de nos recherches. Il s'agit de recherches menées dans plusieurs villes du Canada à différents moments, non seulement à l'époque du Comité Fraser mais au cours des 20 dernières années qui l'ont suivi. Je tiens donc à rappeler au comité—je suppose que je n'ai pas à vous le rappeler, puisque vous savez très bien en quoi consiste votre travail—qu'il faut garder à l'esprit la nécessité de faire évoluer la situation au Canada, et ce sans que la vie d'autres personnes soit en danger.

    Quant au rejet de l'option de la décriminalisation, je crois savoir que la Nouvelle-Zélande a opté pour la décriminalisation. C'est une question sur laquelle le comité pourrait certainement se pencher, et je pourrais vous fournir des informations à ce sujet. À bien des égards, le travail sexuel est réglementé, si je puis me permettre de le dire ainsi, un peu comme d'autres types de travail; cela passe par des codes de santé et de sécurité professionnelle visant les autres métiers. Ils les ont élargis de façon à les appliquer au travail sexuel. Donc, ce genre de travail est bel et bien réglementé, comme d'autres types de travail, afin de protéger à la fois ceux qui pratiquent le métier et ceux qui ont recours aux services en question, ainsi que les personnes qui travaillent pour des praticiens qui font partie de l'industrie.

    De plus, comme je vous l'expliquais tout à l'heure, s'agissant des effets très négatifs auxquels font allusion mes collègues, le fait est que notre Code criminel compte déjà certaines dispositions auxquelles nous pouvons avoir recours pour contrer de tels effets. Mes collègues ont d'ailleurs déjà évoqué la possibilité que ces dispositions ne soient pas appliquées correctement aux travailleurs du sexe. Par conséquent, les lois qui sont déjà en vigueur nous donnent beaucoup de marge de manoeuvre pour ce qui est d'accroître la protection et le respect des travailleurs du sexe.

½  +-(1900)  

+-

    Le président: Merci.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je voudrais tout d'abord remercier nos témoins de leur présence ce soir. Il semble y avoir une divergence d'opinions assez marquée sur certaines questions.

    J'ai l'impression que vous êtes peut-être d'accord pour reconnaître que les mesures actuelles n'ont pas donné satisfaction et sont inefficaces, et ce quelle que soit votre éventuelle orientation philosophique ou politique.

    La question qui m'intéresse au plus haut point est celle de l'incidence de la législation. Il y a une question plus générale, que nous pourrons aborder dans quelques minutes, mais la question à laquelle je suis confrontée dans mon quartier de Vancouver-Est, c'est-à-dire la prostitution de rue qui est particulièrement visible, est celle de l'application des lois. Je conclus finalement que l'application des lois cause énormément de préjudice aux femmes qui pratiquent ce métier. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

    Nous essayons d'évaluer les différents modèles qui pourraient nous intéresser. J'ai nécessairement mes propres vues et opinions à ce sujet, mais j'appends beaucoup de choses aussi. Quoi qu'il en soit, je suis fermement convaincue que si les mesures actuelles visent à protéger les femmes dans la rue—qu'elles soient travailleuses du sexe ou non—ou encore à protéger les localités, on doit admettre qu'elles ont échoué dans les deux cas. Encore une fois, j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

    J'invite également Mme Valérie Boucher à prendre la parole, si elle souhaite répondre à cette question. Je crois qu'elle représente le forum Stella et son nom figure sur la liste des témoins. Peut-être pourrions-nous donc commencer par écouter l'opinion de Valérie sur ce qu'elle considère comme étant l'incidence des lois actuellement en vigueur.

½  +-(1905)  

[Français]

+-

    Mme Valérie Boucher (coordonnatrice du Forum XXX, Stella, À titre personnel): La première chose à dire au sujet des lois criminelles qui sont présentement appliquées au Canada est qu'elles sont très négatives. Je vous donne quelques exemples en vrac. La violence s'accroît lorsqu'il y a plus de répression. Nous voyons clairement que les actes perpétrés contre les travailleuses du sexe sont de plus en plus violents: agressions sexuelles avec des armes à feu, agressions sexuelles à plusieurs. Il y a plusieurs explications à ça: entre autres, la répression oblige les travailleuses du sexe à ne pas travailler en groupe mais à le faire plutôt dans des endroits plus isolés, à prendre plus de risques de peur d'être appréhendées par la police, donc à prendre plus de risques avec les clients. La répression a des impacts négatifs sur les conditions de travail des travailleuses du sexe. Un des impacts les plus négatifs est la criminalisation elle-même. L'an dernier, en 2004, on a arrêté 715 personnes à Montréal en vertu de l'article 213 du Code criminel, l'article sur la sollicitation. C'est beaucoup de personnes. Les travailleuses du sexe qui ont été appréhendées auront un casier criminel, ce qui limitera beaucoup leurs choix de vie dans l'avenir, lorsqu'elles voudront faire autre chose ou voyager. On parle aussi de restrictions qui sont imposées: années de probation, quadrilatères qui sont donnés aux personnes qui ont été prises en vertu de l'article 213.

    Il y a, à Montréal, plusieurs organismes communautaires, notamment des ressources d'hébergement pour les femmes en difficulté, des soupes populaires, des écoles pour accrocheurs, Stella, un organisme pour et par des travailleuses du sexe, et des gens qui offrent des services d'échange de seringues et donnent des condoms. L'obligation de rester dans un quadrilatère va empêcher ces 715 personnes d'aller dans les endroits où il leur est possible de recevoir des services appropriés à leurs besoins. Il y a donc 715 personnes qui, à un moment ou à un autre, vont briser les conditions qu'on leur impose, lesquelles sont très injustes et, selon moi, difficilement justifiables. À partir de ce moment, nous parlons de criminalisation et d'effet boule de neige. Les personnes seront à nouveau envoyées en prison pour bris de condition; elles auront des amendes et des peines de prison de plus en plus lourdes. Ainsi, la criminalisation et l'article 213, que l'on applique de façon très musclée depuis l'an dernier à Montréal, n'aident pas du tout les travailleuses du sexe à avoir de meilleures conditions de vie et de travail. Si elles veulent faire autre chose à un moment donné, elles auront une embûche supplémentaire à surmonter.

[Traduction]

+-

    Le président: Y en a-t-il d'autres qui voudrait intervenir?

[Français]

+-

    Mme Michèle Roy: La criminalisation des actes commis par des femmes qui se prostituent pose toutes ces embûches et ces difficultés. Il est un point sur lequel on diverge fondamentalement, et c'est celui de savoir ce qui doit être fait concernant les proxénètes et les clients, et quel impact aurait sur la sécurité une mesure de libéralisation envers les proxénètes ou les clients. Est-ce que cela assurerait plus de sécurité ou non? C'est la question.

    Si l'application des différents articles du code aux clients et aux femmes qui se prostituent était faite différemment, cela permettrait de modifier la situation actuelle. Certes, le statu quo n'est pas satisfaisant, mais nous ne sommes pas d'accord pour dire qu'il faut ouvrir la porte à la libéralisation et que cela va régler les choses.

    Lorsqu'une femme victime de violences porte plainte contre son conjoint, quand elle dénonce un agresseur, que ce soit un conjoint violent, un père ou un frère, elle a peur. Il y a des conséquences à son acte. Il y a des risques pour elle, pour sa sécurité et pour sa capacité à fonctionner dans son milieu de travail. C'est toujours un risque inacceptable et on devrait changer cela, mais c'est un risque que partagent toutes les femmes qui dénoncent la violence qu'elles subissent et auquel il faut remédier. Il faut prendre les moyens nécessaires.

    Si vous me dites qu'on change la loi, mais qu'on ne fait rien d'autre, je ne suis pas sûre que cela va régler la situation. Si on modifie la loi en faveur des prostituées, mais qu'on n'améliore pas les mesures sociales dont je vous parlais, je ne pense pas que cela va changer quelque chose. Je ne crois pas que cela va contribuer à augmenter la sécurité ou quoi que ce soit d'autre. Ce qui me fait peur, c'est que l'on ouvre une porte sans mettre derrière un filet de sécurité qui permettrait réellement d'assurer la sécurité des femmes. Lorsque nous allons porter plainte avec une femme, on ne la croit pas. Qu'elle soit prostituée ou non, souvent on ne la croit pas. Quand elle cherche des mesures d'aide et de soutien, elle n'en trouve pas. C'est la vérité.

½  +-(1910)  

+-

    Mme Yolande Geadah: Je crois que vous devez regarder de près le modèle de la Suède. Je recommande fortement aux membres du comité d'aller voir l'application de lois dans d'autres pays. Allez voir en Suède comment cela s'applique. C'est le seul pays, à mon avis, qui a réellement réussi à protéger et à assurer la sécurité des femmes prostituées.

    Vous avez tout à fait raison de dire que le statu quo est inadéquat, mais entre décriminaliser les actes commis par ces personnes et légaliser cette activité, il y a un fossé qu'il ne faut pas franchir. La Suède a décriminalisé les actes de prostitution commis par ces personnes, mais les proxénètes et les clients restent des criminels, et elle offre toute une série de mesures pour aider les femmes à s'en sortir.

    En Suède, une femme qui se plaint à la police parce qu'elle a été agressée par son client ou son proxénète ne peut pas être arrêtée. Elle a une garantie de protection. Elle n'est pas harcelée. On lui offre tous les services nécessaires pour l'aider à sortir de la prostitution. Je trouve que cette approche est assez cohérente. C'est intéressant.

    Actuellement, la Suède prépare un plan national d'action qui contiendra des mesures efficaces pour aider encore davantage ces personnes et pour améliorer ce qui a été fait. Évidemment, aucun système n'est parfait, et il est probable que le système de la Suède doit encore être amélioré. C'est ce que veulent faire les Suédois.

    Je pense qu'il serait bénéfique que le comité examine ce plan national d'action. Il devait être rendu public en 2005. Je ne sais pas si ce sera au début ou à la fin de 2005. Ce serait à vérifier.

    Votre préoccupation est légitime: il faut se préoccuper de la sécurité des personnes, mais tous les exemples indiquent que la légalisation et la décriminalisation n'atteignent pas ce but si elles ne sont accompagnées de mesures.

+-

    Mme Michèle Roy: En Suède, par exemple, le budget des mesures sociales est six fois plus important que celui de la répression. Ce n'est pas rien. On ne penche pas en faveur de la répression, mais en faveur du soutien et des mesures de sensibilisation, d'information, de dénonciation et de réinsertion. Il faut y mettre les moyens, le temps et l'argent. Le message social doit être clair.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci.

    Madame Shaver.

+-

    Dr Frances Shaver: Je voudrais vous citer quelques exemples du bras de la justice en ce qui concerne les dispositions du Code criminel. Un de mes exemples démontrent que ce bras est peut-être plutôt court, mais c'est tout de même un exemple utile.

    Selon plusieurs études, les travailleurs du sexe, notamment ceux qui travaillent dans la rue, sont obligés parfois de travailler dans des secteurs ou zones isolés qui sont très sombres pour éviter d'être repérés par la police, ce qui augmente le risque d'être agressés. Mais dès lors qu'ils travaillent dans des zones mieux éclairées à plus forte densité de population, ils sont plus susceptibles de se faire remarquer par la police, ce qui compromet le temps dont ils disposent pour examiner les clients potentiels. Par conséquent, le plus souvent ils sautent rapidement dans la voiture du client avant d'avoir vraiment pu l'examiner.

    Un autre exemple qui nous permet de comprendre l'ampleur des conséquences concerne les mesures de santé et de sécurité qu'adoptent souvent les travailleurs du sexe. Par exemple, ils vont tout de suite repérer les sorties ou chercher d'autres façons de s'échapper. Ils prennent différentes précautions. Par exemple, ils vont faire certains appels avant d'accepter de partir avec un client.

    Si leurs clients les agressent et qu'ils veulent demander une indemnisation en tant que victimes—et il y a eu un certain nombre de cas de ce genre au Québec—on leur refuse ce droit à cause du critère de la « faute lourde » que prévoit la loi : autrement dit, vous vous êtes mis dans une situation dangereuse, vous saviez que vous vous mettiez dans une telle situation, vous auriez dû savoir que cela vous arriverait, et par conséquent, vous êtes partiellement responsable de ce que vous avez fait, si bien que vous n'avez droit à aucune indemnisation.

    Il y a un cas atroce—et j'espère évidemment que ce genre de choses ne se reproduira plus jamais—d'une travailleuse du sexe qui a fait savoir à son client qu'elle était séro-positive. La conséquence pour elle de lui avoir communiqué cette information est qu'on l'a assassinée. Sa famille a présenté une demande d'indemnisation, demande qui a été refusée sous prétexte—à mon avis, ce motif ne serait plus jugé admissible, mais cela vous donne une idée de ce qui peut arriver—qu'elle aurait dû savoir qu'il valait mieux éviter de dire au client qu'elle était séropositive.

    À l'heure actuelle, les lois qui sont adoptées rendent obligatoires de communiquer ce genre d'information à quelqu'un avec qui on compte avoir des rapports sexuels; donc, il convient de faire très attention et d'éviter d'inclure ce genre d'éléments.

    Bien que je comprenne les remarques de mes collègues sur le modèle suédois et la mesure dans laquelle il permet de mieux soutenir les femmes et d'améliorer leur sécurité, je me dis que si le budget qu'ils affectent aux programmes sociaux est tellement plus important que le nôtre, il serait bon d'essayer de comprendre comment cela s'est produit et de suivre leur exemple.

    Mais il y a un autre son de cloche à faire entendre à propos de la Suède; il y a le son de cloche des travailleurs du sexe. Les recherches menées par Petra Ostergren nous apprennent que les travailleurs du sexe suédois ont toujours l'impression que les lois qui ont été adoptées pour les protéger compromettent leur sécurité, et qu'il leur est plus difficile d'évaluer les clients potentiels parce qu'ils n'ont pas suffisamment de temps pour le faire. En même temps, il est plus difficile d'accéder aux clients, ce qui laisse le champ libre à d'autres—à des profiteurs, peut-être—d'organiser ces rencontres. En même temps, ils ont beaucoup de réticence à propos de ces protections juridiques et ne veulent pas être forcés de signaler des problèmes aux autorités, si bien qu'ils sont peu susceptibles d'aller voir la police si un client les agresse.

    Les réseaux officieux qui liaient les travailleurs du sexe sont à présent plus faibles. Ils laissent entendre également qu'il ne leur reste plus que les mauvais clients, étant donné que les bons clients sont allés ailleurs—ils ont opté pour Internet.

    Ce même document met l'accent sur trois rapports officiels également publiés en Suède : ceux du Conseil national pour la prévention du crime, du Conseil national de la santé et du bien-être social, et de la Commission de police nationale. Selon ces rapports, rien ne permet de croire qu'il y a moins de prostitution dans l'ensemble. À leur avis, cette activité est tout simplement clandestine maintenant, et comme elle est moins visible, elle comporte plus de risque pour les personnes qui pratiquent le métier. D'après ces mêmes rapports, les clients sont pires et plus dangereux que jamais auparavant.

    La Commission de police nationale, en particulier, a fait remarquer que la loi semble constituer un obstacle aux poursuites judiciaires contre les éventuels profiteurs. Si l'achat de services de ce genre est considéré comme un crime, à l'heure actuelle, on peut obliger un travailleur du sexe à comparaître comme témoin, alors que cette personne n'a ni les droits de l'accusé, ni les droits de la victime—en fait, elle n'a aucun droit.

½  +-(1915)  

    Donc, même si je pense que nous devrions examiner de plus près le modèle suédois, il faut s'assurer de poser des questions rigoureuses à propos de ce modèle et des conséquences qu'il peut avoir pour ceux et celles qui participent à l'industrie du sexe.

+-

    Le président: Merci, madame Shaver.

    Madame Fry.

+-

    L'hon. Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Merci beaucoup.

    À mon sens, Mme Shaver a tout à fait raison d'insister sur la nécessité de poser des questions rigoureuses sur tout ce qui semble trop beau pour être vrai. Je constate que c'est souvent le cas.

    Je suis d'accord avec Mme Brunelle, en ce sens que certaines des données que vous avez présentées m'ont surprise, madame Shaver. Premièrement, la question de l'âge d'entrée dans la profession; c'est entre 16 et 18 ans, plutôt qu'entre 13 et 14 ans. Ensuite, à la conférence suédoise, c'est-à-dire le premier Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle et commerciale des enfants…ces chiffres me semblent très élevés. Lorsque j'étais ministre responsable de l'Égalité des femmes, nous avions organisé une conférence à Victoria à laquelle nous avons fait venir des enfants et des jeunes de différentes régions des Amériques qui avaient été commercialement et sexuellement exploités. Ils nous ont dit qu'ils avaient commencé très jeunes, vers l'âge de 13 ou 14 ans, et c'était le cas non seulement dans tout le Canada mais dans toutes les Amériques, jusqu'en Amérique latine. Par contre, ils nous ont dit—et j'aimerais connaître votre réaction à cet égard—qu'ils ne travaillaient pas dans la rue, comme on aurait pu le croire; ils passaient par des sites Internet. Il est donc fort possible que ce sont des jeunes qui participent à cette activité clandestine. Voilà donc une première question.

    En tant que médecin et ayant déjà eu à traiter plusieurs personnes qui pratiquent ce métier, je remets en question vos résultats relativement au fait que la fréquence des abus vécus dans l'enfance est semblable pour les travailleurs du sexe et pour d'autres. Pour ma part, j'ai observé que le nombre de femmes travaillant dans l'industrie du sexe qui ont été victimes d'abus sexuel en bas âge aux mains d'un membre de la famille est excessivement élevé.

    Voilà donc les deux questions que je voulais vous poser, mais il serait sans doute préférable que je pose mes autres questions également afin que vous puissiez répondre à toutes les questions en même temps.

    Quelques idées intéressantes ont été évoquées aujourd'hui, et celles que j'aimerais aborder concernent la notion qu'il ne faut pas chercher une solution magique—c'est-à-dire une sorte de solution législative qui réglera tous les problèmes. Quant à moi, je préfère envisager un problème comme la prostitution dans l'optique du modèle de la santé publique, surtout que l'Association médicale canadienne a récemment déclaré que la prostitution constitue le plus important problème de santé publique de nos jours…

    Autrement dit, il faut examiner toute la question de la recherche, des programmes d'éducation et de sensibilisation du public, de la prévention primaire—qui concernerait évidemment les causes profondes de ce problème et comment le prévenir—et ensuite la prévention secondaire, c'est-à-dire la réduction des préjudices qu'il cause, des mesures relatives aux toxicomanies, aux maladies, etc. Ensuite, il y aurait la question des traitements, de la réadaptation, de la rééducation professionnelle, etc., et enfin des lois destinées à protéger les femmes qui oeuvrent dans cette industrie. Voilà le modèle qui me semble le plus approprié, et par conséquent, opter uniquement pour un modèle législatif ne permet pas à mon avis de régler les problèmes à long terme.

    Je voulais poser une question, mais c'est une question qu'il est difficile de poser. Nous avons dit tout à l'heure que les prostitués qui travaillent dans la rue sont plus en danger. Il existe certaines attitudes au sein de notre société à l'égard des prostituées de la rue et des call-girls, ce qui représente plutôt le haut de gamme. Cette question s'adresse surtout à vous, madame Shaver, puisque c'est vous qui avez mené des entrevues auprès d'elles.

    J'ai parfois l'impression, à cause de la façon dont les médias et les films glorifient ce genre de travail, que l'attitude des femmes envers ce travail est souvent très différente. La première est une simple prostituée; l'autre est une belle fille qui assure un service, et ce faisant, s'amuse beaucoup. C'est elle qui possède le vrai pouvoir parce que les hommes se mettent à plat-ventre devant elles, ont envie d'elles, etc. Je me demande ce qu'on doit faire face à cette attitude-là, car à mon sens, ce n'est pas le bon message; nous savons tous que c'est au contraire le mauvais message.

    Mais le fait est que dans nos propres lois, nous réservons un traitement différent à ces deux catégories de praticiennes. Les prostituées qui travaillent dans la rue se font harceler par la police, sont traitées comme des moins-que-rien, des gens malades, etc. Par contraste—et c'est là qu'intervient le crime organisé—il y a le travail que font les call-girls du genre qui fréquentent Las Vegas avec son côté glamour, et à entendre les gens, la situation de ces filles est enviable parce qu'elles sont belles et très désirables, au lieu d'être des personnes que la société désapprouve.

    À mon avis, il y a donc lieu de parler des messages parfois contradictoires qui sont véhiculés, car même si j'estime, personnellement, qu'une solution législative consisterait à décriminaliser cette activité, je me demande en même temps s'il ne faut pas envisager des programmes d'éducation publique pour contrer l'attitude de celui ou de celle qui aurait tendance à se dire : « Bon, étant donné que cette activité n'est plus criminelle, je devrais peut-être songer à travailler dans cette industrie, parce que ça l'air intéressant ».

½  +-(1920)  

    En même temps, si une femme choisit de pratiquer ce métier en toute connaissance de cause et décide elle-même que c'est ça qu'elle veut faire, j'aimerais savoir ce que vous pensez de ce scénario-là—à supposer qu'il n'y ait pas d'exploitation possible, que le choix soit clair, que l'activité soit décriminalisée, et que ce genre de travail suppose toutes sortes d'avantages, y compris le côté glamour. Si une femme décide que c'est ça qu'elle veut faire, quelle est votre opinion sur la légitimité de ce choix, étant donné le droit des femmes à disposer de leur corps? On ne peut pas parler de l'avortement sans parler du droit des femmes à disposer de leur corps dans toutes les sphères d'activité.

    Ce sont des questions difficiles. Je vous les lance pour faire un peu l'avocate du diable, et j'aimerais bien connaître vos réactions, en commençant par Mme Shaver.

½  +-(1925)  

+-

    Dr Frances Shaver: Très bien. J'espère que je vais arriver à me souvenir de toutes ces questions, mais vous ou mes autres collègues pourront me les rappeler si j'en oublie.

    L'âge d'entrée dans la profession est toujours une question difficile et a certainement suscité beaucoup de discussion, et a justement fait l'objet d'un débat en profondeur pendant les travaux du Comité Fraser. Certaines des questions qui entrent en ligne de compte concernent la façon dont différents groupes réagissent au travail sexuel. Quand les praticiens sont ce que j'appellerais les enfants de la rue ou ceux qui ont fui leur foyer familial, qui sont passés entre les mailles de notre filet social et se trouvent à la rue parce qu'ils n'ont pas envie d'être à la maison ou ne peuvent plus rester à la maison, alors que nous n'avons rien à leur offrir et aucun social en place qui puisse les aider… Disons qu'il ne fait aucun doute que certains d'entre eux pratiquent ce métier pour des raisons de survie. Est-ce qu'ils se considèrent comme des travailleurs du sexe ou non?

    L'âge de certains de ces praticiens-là peut être fort variable, selon qu'ils parlent d'une fois ou de la fois où cela leur est arrivé, alors qu'ils n'ont peut-être pas refait l'expérience pendant plusieurs années.

    Ce sont…?

+-

    L'hon. Hedy Fry: Les jeunes dont je vous parle étaient des travailleurs du sexe. Au moins une centaine sont venus à Victoria de différentes régions des Amériques. Bon nombre d'entre eux étaient âgés de moins de 16 ans. Ils ont parlé du fait que les sévices sexuels dont ils avaient été victimes les avaient poussés vers ce métier, mais ils ont précisé qu'ils ne se considèrent pas comme des travailleurs de l'industrie du sexe. Ils ne veulent pas qu'on les appelle des prostitués. Ils veulent être considérés comme des jeunes—et même des enfants, car j'aimerais bien qu'on commence par les désigner par un autre terme—qui sont commercialement et sexuellement exploités.

+-

    Dr Frances Shaver: Oui, certainement. Vu l'éclaircissement que vous venez d'apporter, je vous dirais que mes données sont de sources canadiennes et nord-américaines, et si l'âge est inférieur dans d'autres pays, eh bien, c'est tout à fait possible.

    Mais à cet égard, vous avez également fait allusion à Internet, aux sites Internet et aux cybersalons. À ma connaissance, nous ne possédons au Canada que très peu de bonnes recherches sur ces sites Internet—la façon dont ils sont organisés, comment ils fonctionnent, qui y participe, et l'âge des personnes qui vont dans ces sites. Voilà justement un domaine que le comité voudra peut-être explorer davantage.

    Quant à vos questions sur les victimes, la violence et les données que j'ai présentées relativement aux groupes de comparaison appropriés, l'un des éléments importants qu'il faut garder à l'esprit, c'est qu'une bonne partie des recherches actuellement disponibles sur la violence liée au travail sexuel—notamment par rapport à la violence et aux sévices exercés sur les gens pendant l'enfance—présentent des données obtenues exclusivement de travailleurs du sexe, alors que ces derniers ne peuvent rien nous apprendre.

    Si nous souhaitons vraiment savoir dans quelle mesure le fait d'avoir été l'objet de sévices physiques et sexuels pendant l'enfance est un facteur dans la décision de devenir prostitué, nous devons commencer par mener une étude qui repose sur un échantillon de Canadiens. Ensuite, il faudra faire le tri des répondants en fonction de ceux qui ont été abusés et ceux qui ne l'ont pas été, en cherchant à déterminer, d'une part, quelle proportion de ceux qui ont été abusés finissent dans l'industrie du sexe, et quelle proportion font autre chose, et d'autre part, quelle proportion de ceux qui n'ont pas été abusés finissent dans l'industrie du sexe par rapport à ceux qui ne pratiquent pas le métier de prostitué. Cette recherche n'a pas encore été faite.

    Les recherches menées par Susan Nadon—l'autre collègue dont j'ai parlé tout à l'heure—visent, au moyen de ces groupes de comparaison étroitement appariés, à mieux comprendre les phénomènes en présence et où se situent les différences.

    Peut-être pouvons-nous tenir compte uniquement des données présentées par mes collègues relativement à certains de leurs travaux, notamment le résultat selon lequel trois personnes sur cinq ont des antécédents d'abus sexuel. C'est vrai que vous travailliez ou non dans l'industrie du sexe, si bien que ce sont des données canadiennes plus générales qu'il faut obtenir afin d'établir de bonnes comparaisons quant aux proportions réelles dans l'industrie du sexe. Ce serait une approche possible.

    Dans certains milieux, et peut-être même dans notre esprit, à mesure que nous essayons de venir aux prises avec cette problématique, nous pouvons nous réconforter en nous disant qu'il y a une raison pour laquelle les gens finissent par devenir travailleurs du sexe—notamment si nous désapprouvons cette activité-là—et cette conclusion est d'autant plus facile à tirer et réconfortante si nous pensons que la majorité des praticiens du métier sont victimes de violence. Mais il est certain que les données que j'ai moi-même présentées, et d'autres que je n'ai pas présentées ici, laissent supposer que la situation n'est pas aussi claire qu'on pourrait le croire.

    Quand à votre question sur la différence entre…

½  +-(1930)  

+-

    L'hon. Hedy Fry: En fait, je voulais entendre l'avis des autres femmes—d'abord, sur l'opportunité du modèle de la santé publique; et deuxièmement, je voulais parler des attitudes envers ces deux catégories différentes de travailleurs du sexe : le segment de marché de haut de gamme…et la prostituée de rue qui est en danger et qui est considérée comme une moins-que-rien, et le côté glamour de certaines de ces activités.

    Mes observations sur les abus sexuels ne sont pas simplement… J'ai exercé le métier de médecin pendant 23 ans et j'ai soigné beaucoup d'adolescents; je sais pertinemment que bon nombre de mes patients qui étaient travailleurs du sexe avaient fait l'objet d'abus sexuel. Le nombre de patients de ce genre qui avaient une mauvaise opinion d'eux-mêmes, qui se considéraient comme les rebuts de la société et qui se préoccupaient peu de leur corps, était très élevé. Il y a eu beaucoup d'études psychologiques portant sur ce problème du non-respect de soi et de l'incapacité de se sentir propre…

+-

    Dr Frances Shaver: Oui, nous sommes certainement au courant de ces travaux-là, mais à mon avis, vous parlez aussi d'une population en crise, et non pas de la population générale des travailleurs du sexe.

    Mais comme vous dites, il conviendrait d'entendre maintenant le point de vue de nos autres collègues, quitte à revenir plus tard à vos autres questions.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Concernant le problème de l'âge, la situation varie selon les recherches et l'échantillon que l'on choisit. Dans le domaine de la prostitution, il est selon moi beaucoup plus difficile d'entrer en contact avec des mineurs parce qu'ils ne veulent pas participer à la recherche ou ne sont pas aisément accessibles. Cela pourrait expliquer que certains résultats soient complètement faussés par rapport à la réalité que nous connaissons globalement.

    Quant au pourcentage de personnes ayant été victimes d'inceste qui se retrouvent dans le monde de la prostitution, toutes les recherches que j'ai consultées et qui provenaient de divers pays indiquent qu'il est très élevé, soit entre 65 p. 100 et 85 p. 100. La recherche la plus récente dont j'ai pris connaissance vient d'être réalisée au Québec par Rose Dufour. Ces travaux, dans le cadre desquels l'auteure a interviewé des femmes prostituées, indiquent un résultat encore plus élevé: presque 90 p. 100 de celles qui ont subi l'inceste dans leur jeune âge se sont retrouvées dans le monde de la prostitution. Ce lien n'en est pas un de cause à effet, mais il est quand même très significatif, le pourcentage étant considérablement plus élevé que pour la moyenne de la population.

    Concernant votre autre question, je dirai qu'il faut vraiment voir la prostitution comme une chaîne dans laquelle la prostitution de rue se trouve à l'extrémité la plus basse. Je la perçois aussi comme un iceberg: la grande majorité des formes de prostitution se trouvent dans le noir des bas-fonds; une toute petite partie de l'iceberg émerge de l'eau alors que 90 p. 100 de sa masse se retrouve sous l'eau glacée. Celles qui sont à l'extérieur, que l'on présente comme étant amusantes et glamour, ce sont les escortes de luxe. Lorsqu'on parle d'elles, on fait allusion à tous les avantages dont elles profitent. Or, la mobilité dont parlait plus tôt Mme Shaver est toujours descendante. Il n'y a pas d'ascension dans ce domaine: on descend la spirale. Ces prostituées qui commencent dans un environnement glamour ont en vieillissant de plus en plus de difficulté à attirer des clients et descendent alors graduellement l'échelle sociale de la prostitution, pour finalement se retrouver dans la rue. Nous n'avons pas mentionné aujourd'hui que tout indique que la prostitution de rue est fortement liée à la toxicomanie. On ne peut pas dissocier les deux, et pour trouver des solutions à la prostitution de rue, il faut s'occuper du problème de la toxicomanie. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur cette réalité.

    On n'a pas non plus parlé du fait qu'à l'occasion d'une assemblée de citoyens à laquelle j'ai assisté dans un quartier de Montréal, on parlait de créer, à titre de projet, une zone à l'intérieur de laquelle la prostitution serait acceptée. J'y ai entendu des témoignages extrêmement émouvants de la part de personnes qui vivaient dans ces quartiers et qui, pour la plupart, passaient derrière le microphone pour expliquer ce que c'était que de vivre dans un quartier où il y a beaucoup de prostitution. Les inconvénients sont majeurs: les femmes se font proposer des passes dès qu'elles sortent de chez elles; les enfants, en allant à l'école ou en en revenant, se font eux aussi proposer des passes. C'est lourd et c'est une situation qui entraîne des conséquences pour l'ensemble du milieu. On ne peut pas vivre dans un milieu où la prostitution de rue est acceptée. J'ai beaucoup de difficulté à comprendre comment on peut vouloir l'autoriser: cela ne se fait nulle part. Les Pays-Bas, qui ont la loi la plus libérale, viennent de l'interdire. C'est difficile à vivre et ça ne peut pas être sans conséquences. Il faut soupeser ce qui est en jeu et se demander de qui on veut protéger les intérêts dans toute cette histoire.

    Vous avez soulevé une question très importante, à savoir celle du droit de se prostituer. C'est un droit qui n'existe pas: c'est une invention qui fait partie du débat idéologique. C'est le droit de vivre sans prostitution qu'il faut protéger, c'est-à-dire celui de ne pas être obligé de se prostituer pour vivre. Je trouve alarmantes les réductions qui ont été appliquées dans le domaine des services sociaux, entre autres l'imposition de planchers minimaux. Pour boucler leurs fins de mois, les gens se tournent vers la prostitution. Les groupes de femmes constatent eux aussi ce phénomène chez les femmes. Personne ne devrait être obligé de se prostituer pour obtenir le minimum vital. Nous sommes un pays riche et nous pouvons très bien prendre les mesures nécessaires pour assurer à tout le monde ce minimum. Il faut étudier les causes profondes de la prostitution et réellement prendre les mesures qui s'imposent. La prostitution a des conséquences très néfastes sur l'ensemble du milieu, et nous ne pouvons l'ignorer.

    Même si ne crois pas à la liberté de choisir de se prostituer, je ne pense pas que nous devrions pourchasser les personnes qui le font de façon privée. Il faut se concentrer sur l'organisation de la prostitution.

½  +-(1935)  

    C'est cela qu'il ne faut pas permettre. C'est un choix collectif que nous avons à faire. On ne peut pas permettre l'organisation massive de la prostitution, car ce serait désastreux. Cela aurait des conséquences terribles. Je m'arrête là.

+-

    Le président: Madame Roy.

+-

    Mme Michèle Roy: L'an dernier, le Conseil permanent de la jeunesse, qui est un organisme conseil pour le gouvernement québécois, a aussi fait une recherche sur la prostitution, rencontré des jeunes hommes et femmes prostitués au Québec. Ils disaient que leur entrée dans la prostitution s'était faite avant l'âge de 18 ans.

    Les recherches varient. Elles se font sous bien des angles. Par exemple, je ne prétends pas qu'à partir de l'expérience qu'on vit aux CALACS, on peut représenter l'ensemble des personnes qui ont vécu la prostitution ou la violence sexuelle. L'expérience dont nous parlons traite d'une partie de la réalité. Toutefois, les femmes et adolescentes que nous avons rencontrées ont très souvent été prostituées même enfants, ont été obligées à avoir des rapports sexuels contre de l'argent. Quelqu'un d'autre a bénéficié financièrement de ces rapports sexuels, pas elles. Cela se passait souvent à 7, 8, 10, 12 et 15 ans, et on parle aussi d'adolescentes plus âgées. On ne devient pas prostituée à temps plein du jour au lendemain. Ce n'est pas vrai qu'un beau jour on décide d'ouvrir un commerce et que tout à coup on devient prostituée. Il y a tout un enchaînement de circonstances. Il y a quelques occasions, et ensuite cela se complexifie et s'intensifie.

    Il y a aussi beaucoup de femmes qui font de la prostitution de fin de mois, pour combler des manques à gagner. Il y a également des femmes qui vivent isolées. Des femmes autochtones, qui ont quitté leur réserve à cause de la violence, arrivent à Montréal à un moment donné; les prestations d'aide sociale finissent ou elles n'ont plus les indemnités qu'elles touchaient dans leur communauté, et elles commencent à faire de la prostitution. Il y a toutes sortes de situations.

    Il y a des classes sociales dans le monde de la prostitution. Tout le monde ne vit pas dans les mêmes conditions. Si on connaît bien la prostitution de rue, ses conséquences ou la façon dont cela se vit, en revanche, on sait très peu comment cela se passe dans l'ensemble des autres domaines, et cela nous inquiète beaucoup. Il y a là de la violence, et les femmes subissent toutes sortes de pression. La cadence et la pression s'intensifient, le salaire et le revenu diminuent de plus en plus, etc. Il faut aussi aller enquêter dans ces domaines, car on en sait très peu.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Boucher, souhaitez-vous intervenir?

[Français]

+-

    Mme Valérie Boucher: Je veux apporter une précision sur le projet dont Mme Geadah parlait.

    Il ne s'agissait pas de créer une red-light zone. On ne peut pas le faire au Canada, car les lois nous en empêchent. Il s'agissait d'un projet conjoint entre la Ville de Montréal, les organismes communautaires concernés et la police de Montréal. On prévoyait déjudiciariser le processus appliqué aux travailleuses du sexe en mettant sur pied une équipe composée d'un travailleur communautaire et d'un policier, qui aurait servi à atténuer les irritants sociaux que peut causer la prostitution de rue. C'est différent d'une red-light zone dans le centre-sud de Montréal.

    J'aimerais revenir sur l'âge d'entrée dans la prostitution. À Stella, on a environ 4 000 contacts par année avec des centaines de femmes différentes. Il ne faut pas nier le fait qu'il y a des personnes d'âge mineur qui se prostituent. Mme Shaver l'expliquait bien. Il y a des situations où l'adolescent ou l'adolescente ne peut ou ne veut pas rentrer chez lui ou chez elle, ou est en fugue d'un centre d'accueil; il ou elle va se servir du travail du sexe, de la prostitution comme moyen de survie. Ça existe, il ne faut pas le nier.

    Mme Geadah a également abordé un point très important: le travail du sexe qui se fait dans la rue et la toxicomanie. Effectivement, une partie des travailleuses du sexe qui travaillent dans la rue, et probablement aussi ailleurs, ont des problèmes de toxicomanie. Je voudrais ajouter qu'il est faux de croire que la plupart des femmes, des hommes et des transgenres qui travaillent dans la rue ont des problèmes de toxicomanie.

    La rue peut offrir de très grands avantages. On parle de flexibilité sur le plan des horaires, d'un meilleur contrôle des prix qu'on demande pour ses services et d'un meilleur contrôle du choix des clients. Il y a donc des femmes, des hommes et des transgenres qui choisissent spécifiquement la rue pour ses avantages.

    Au sujet des autres sphères du travail du sexe, Stella a pour mandat d'offrir des services de prévention du VIH/sida et des ITSS. Stella a donc pour mandat la promotion de la santé dans la rue, c'est évident, mais aussi dans toutes les sphères où les travailleuses du sexe travaillent: les bars de danseuses, les salons de massage, les agences d'escorte. Ce sont des milieux qu'on connaît, qu'on côtoie. Mme Roy a raison de dire que ce n'est pas toujours rose dans ces milieux, comme dans n'importe quel autre milieu de travail. Un des problèmes est celui de la criminalisation du travail du sexe lui-même, qui empêche les gens d'avoir de meilleures conditions de travail, de demander ces conditions de travail et d'avoir des recours si quelque chose de mal arrive.

½  +-(1940)  

[Traduction]

+-

    Le président: Nous avons en quelque sorte un problème de logistique. Nous avons quatre témoins et quatre personnes qui souhaitent poser des questions, alors que le prochain tour de questions sera de seulement trois minutes. Vous pouvez certainement comprendre à quel point il sera difficile d'obtenir quatre réponses, plus la question, en seulement trois minutes. Je demande donc à tous les membres de poser des questions courtes et succinctes, en évitant de faire des commentaires. Je demande également à nos témoins de faire des réponses brèves. Si elles sont trop longues, je vais devoir vous couper la parole.

    À ceux qui désirent poser des questions, par respect pour les autres qui ont également des questions, soyez brefs.

    J'invite également nos témoins, par respect pour les autres personnes qui participent à ce groupe d'experts, de s'en tenir également à des réponses courtes.

    Monsieur Hanger, vous êtes le premier. Soyez donc très bref.

+-

    M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.

    Les autorités d'Amsterdam déclarent avoir fait une étude du secteur de la prostitution, si on peut appeler ça ainsi, selon laquelle 80 p. 100 des prostitués sont des étrangers.

+-

    Mme Yolande Geadah: Vous avez dit 80 p. 100?

+-

    M. Art Hanger: Oui, 80 p. 100.

    Ce chiffre me paraît très élevé, et j'ai donc l'impression qu'il s'agit surtout de trafic de personnes pour les seules fins de la prostitution. Pourriez-vous donc me dire ce que vos propres recherches ont révélé concernant ce chiffre-là, étant donné que c'est une activité légale dans ce pays?

½  +-(1945)  

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Aux Pays-Bas, on estime que de 80 à 85 p. 100 des personnes prostituées d'Amsterdam sont des étrangères. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, les recherches indiquent que 70 p. 100 d'entres elles n'ont pas de papiers. On peut donc supposer qu'elles ont fait l'objet d'un trafic.

    Les pays qui ont légalisé et libéralisé la prostitution sont ceux où il y a le plus de trafic. Je pense que c'est inévitable, parce que lorsqu'on légalise, il y a une expansion massive de l'industrie et on doit recruter des adolescentes et des personnes non seulement dans les couches défavorisées de la population au pays, mais également à l'étranger.

    Cela m'inquiète beaucoup. Est-ce que le Canada, qui est un pays d'immigration, veut qu'il y ait un trafic beaucoup plus massif sur son territoire? Déjà, chaque année, quelque 16 000 personnes faisant l'objet d'un trafic arrivent ici. Veut-on que ce nombre décuple ou quintuple? Les conséquences de la légalisation au niveau du trafic sont inquiétantes, et il faut bien les étudier.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Roy, désirez-vous faire un commentaire?

[Français]

+-

    Mme Michèle Roy: Bien sûr, nous souhaitons que le Canada s'ouvre davantage à l'immigration, mais pas pour offrir ce type de travail aux femmes. Je pense que les lois sur l'immigration sont trop restrictives, mais qu'on doit offrir aux femmes qui viennent au Canada quelque chose qui soit mieux que la prostitution.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Shaver.

+-

    Dr Frances Shaver: Je ne peux pas me prononcer sur les données de l'étude d'Amsterdam, mais je voulais aborder la question du trafic de personnes.

    Mon objectif dans tout cela consiste à déterminer ce qui est problématique, et ce qu'il ne l'est pas. En ce qui me concerne, le fait d'émigrer dans un autre pays pour trouver du travail ne pose pas problème, qu'il s'agisse de travail sexuel, de travail agricole, de travail domestique, de travail dans le secteur de la restauration, ou de travail dans une usine. Ce qui est problématique et ce qui préoccupe mes collègues et nous tous, c'est que quand vous arrivez dans cet autre pays, vous êtes séquestré dès votre arrivée; on vous prend votre passeport ou vos papiers; jusqu'à un certain point, vous êtes lié et donc obligé de travailler; vous êtes maintenu dans la servitude en raison de votre dette; et on vous a induit en erreur à propos du milieu de travail. Voilà les éléments qui me préoccupent en ce qui concerne le problème du trafic de personnes. Il me semble important d'adopter des lois qui protègent tous les travailleurs, domestiques, sexuels, et autres, contre des conséquences de ce genre.

    Nous devrions signer la convention internationale qui protège les droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leurs familles. Cette convention prévoit le respect des droits fondamentaux et de normes de protection minimale relativement aux conditions de travail, au salaire, à l'éducation, aux services sociaux, à la syndicalisation, et au droit de ne pas faire l'objet d'abus, qu'il s'agisse de travailleurs avec papiers ou non, comme pour tous les autres citoyens. À mon avis, nous pourrions justement prendre des mesures de ce genre au Canada pour régler certains problèmes entourant le trafic de personnes, comme on l'appelle.

+-

    Le président: Madame Boucher.

[Français]

+-

    Mme Valérie Boucher: Il est évident que le trafic est une question préoccupante en ce moment et qu'il est trop souvent lié au travail du sexe. Cependant, il faut faire très attention quand on fait le lien entre le trafic des femmes et des enfants et le travail du sexe.

    Les femmes qui immigrent pour améliorer leurs conditions de travail se retrouvent parfois dans l'industrie du sexe sans y avoir été obligées, sans qu'il ait eu coercition ou duperie. On parle très rarement de cet aspect. De plus en plus de groupes de travailleuses du sexe, en Europe entres autres, travaillent avec les femmes qui immigrent dans le but d'améliorer leurs conditions de vie. Il en ressort qu'il y a beaucoup moins de violence et de coercition qu'on ne pourrait l'imaginer. Ces femmes sont débrouillardes et inventives. Naturellement, il faut que la personne soit d'accord sur ce qu'elle fera dans son futur pays d'accueil. Nous disons donc non à la coercition et à la violence, ici aussi, au Canada.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci.

    Madame Brunelle.

[Français]

+-

    Mme Paule Brunelle: Un problème qui me préoccupe beaucoup est celui des proxénètes et du rapport dominant-dominé. J'ai beaucoup de sympathie pour les femmes prostituées, mais je n'en ai aucune pour les proxénètes.

    Si vous aviez à modifier les lois, que feriez-vous à l'égard des proxénètes?

+-

    Mme Valérie Boucher: Tout d'abord, selon l'article 212 du Code criminel, un proxénète est quelqu'un qui vit en partie des fruits du travail du sexe effectué par autrui. Or, la relation que bien des femmes et des hommes entretiennent avec ce qu'on appelle un proxénète en est une d'affaires, comme c'est le cas avec les patrons en général, incluant le mien. Qu'on travaille comme secrétaire, travailleuse du sexe, serveuse ou autre, il y a dans tous ces milieux de travail des relations inégalitaires ou abusives. Le problème survient quand on n'a pas les outils nécessaires pour faire reconnaître ses droits en tant que travailleur. Cette situation ouvre la porte à tous les abus possibles et imaginables.

    Comme Mme Shaver l'a mentionné, il y a au Canada des lois qui peuvent contrôler la violence faite aux femmes, les abus, la coercition et les agressions sexuelles et, depuis un certain temps, la violence psychologique. Il serait donc possible de soumettre à ces lois les patrons abusifs.

½  +-(1950)  

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Geadah, voulez-vous intervenir? Non.

    Madame Shaver.

+-

    Dr Frances Shaver: Je voudrais simplement ajouter qu'il faut faire une distinction entre le proxénète qui peut être l'ami, l'amant, le mari ou peut-être la partenaire du travailleur sexuel en l'occurrence, et le proxénète qui correspond à notre conception du « maquereau », c'est-à-dire quelqu'un de violent et d'agressif qui force quelqu'un à faire quelque chose contre son gré.

    Voilà le genre de proxénète qu'aucun d'entre nous n'est prêt à accepter, mais c'est quelqu'un contre qui nous pouvons sévir. Nous pouvons mettre ce genre de personne en prison en nous contentant d'appliquer les lois déjà en vigueur, selon lesquelles il est illégal d'agresser ou d'enlever quiconque, ou de la forcer à faire quelque chose. Si un homme ou une femme vit des produits de la prostitution grâce au travail d'une autre personne qui pratique le métier, à mon sens, cela ne pose aucun problème. Beaucoup de femmes donnent leurs gains à leurs partenaires qui peuvent ou non travailler, et c'est leur choix; par conséquent, ce choix devrait être tout aussi possible dans ce contexte-là.

    Donc, les dispositions touchant le fait de vivre des produits de la prostitution et le proxénétisme ne donnent rien en réalité, et quand je dis qu'il faut abroger les dispositions du Code criminel, je parle également de ces dispositions-là.

+-

    Le président: Madame Roy.

[Français]

+-

    Mme Michèle Roy: Je pense qu'on parle ici de personnes qui tirent profit du commerce du corps et de la sexualité des femmes. Selon moi, si une femme remet son salaire de secrétaire, d'infirmière ou autre à quelqu'un d'autre, ça ne revient pas au même. Je suis d'avis qu'on parle là aussi d'un rapport inégalitaire. Pour moi, c'est très clair et c'est inacceptable.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: J'ai besoin d'un éclaircissement. Disposons-nous de trois minutes pour la question et pour toutes les réponses?

+-

    Le président: Eh bien, nous avons accordé jusqu'à cinq minutes pour tout avoir—c'est-à-dire la question, et les réponses. Jusqu'à présent nous avons accordé en tout cinq minutes, et bien sûr, nous voulons être justes envers tout le monde.

+-

    Mme Libby Davies: Je vais essayer de faire vite, dans ce cas.

    Je pense que tout le monde serait prêt à reconnaître qu'il ne faut pas permettre ou tolérer toute activité qui puisse être considérée comme coercitive ou préjudiciable. Alors, une approche possible consisterait à faire intervenir la notion de consentement, mais je sais aussi que certains ne seront pas d'accord, car il s'agit à ce moment-là de savoir ce en quoi consiste le consentement, et cela nous amène à parler de choix.

    Nous avons reçu les témoignages de M. Fraser, qui était président du comité il y a une vingtaine d'années—et il s'agissait d'un point critique du rapport—sur ce qui peut être considéré comme une activité coercitive ou consensuelle. L'une des solutions qu'a proposées le comité, mais qui n'a pas été reconnue, concernait la possibilité que les femmes puissent travailler à partir de chez elle, par opposition à l'idée de créer des quartiers chauds. Il aurait été question de leur accorder un permis d'exercice et de les réglementer d'une façon ou d'une autre.

    J'aimerais donc vous entendre sur l'opportunité d'un tel régime.

+-

    Dr Frances Shaver: Je peux recommencer, étant donné que j'ai moi-même abordé la question devant le Comité Fraser il y a plus de 20 ans.

    Et j'ai vraiment félicité le Comité Fraser d'avoir proposé cette solution de décriminalisation partielle, en ce sens que certains types de maisons de prostitution—ou l'équivalent des maisons de prostitution—seraient devenues légales, à condition, me semble-t-il, que seulement deux ou trois personnes y pratiquent le métier.

    Ma réserve en ce qui concerne cette méthode, c'est qu'elle nous oblige encore à réglementer le travail sexuel dans le contexte du Code criminel. Ainsi on le distingue de tout autre type de travail. Si nous souhaitons permettre aux hommes, aux femmes et aux transgenres de travailler à partir de leur maison ou de fonder ensemble une agence et donc de gérer leurs propres activités, à mon avis, ils devraient pouvoir le faire en étant visés par des normes commerciales et non par le droit criminel.

    Par conséquent, je serais favorable à l'idée de retenir la proposition du Comité Fraser mais d'aller encore plus loin.

½  +-(1955)  

+-

    Le président: Madame Geadah.

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Évidemment, dans le domaine de la prostitution, le concept même de consentement est une forme de violence et d'exploitation. C'est clair et toutes les données l'indiquent. Dans ce milieu, on ne peut pas parler de consentement. Je pense qu'il faut changer notre façon de voir la prostitution. Il faut cesser de la voir comme un choix individuel sans conséquence. C'est en fait un choix qui a des conséquences terribles sur les individus, même ceux qui n'ont pas subi la pression d'une autre personne.

    Tous les témoignages des personnes ayant vécu dans le milieu de la prostitution pendant quelques années le démontrent. Cela détruit l'individu de l'intérieur. C'est une activité néfaste pour l'individu, sa famille, ses enfants, ses parents et son entourage. Ce n'est pas un choix individuel qui est sans conséquence pour la société. Il faut voir cela comme un phénomène social dont les conséquences sont importantes et néfastes sur le plan social. Il faut donc tout mettre en oeuvre pour que cette activité nuisible cesse. Je vous accorde qu'elle peut être lucrative un certain temps--mais jamais bien longtemps--pour les personnes qui la pratiquent, mais celles-ci le font au détriment de leur santé physique et mentale, de leur vie sexuelle et sociale, bref, au détriment de tout. Les personnes qui ont vécu cette expérience le disent. Les témoignages à cet égard sont très abondants.

    C'est une activité qui vous démolit de l'intérieur. C'est un lent suicide. Aucune personne prostituée, pas même celles de Stella, ne voudrait que ses propres enfants se livrent à ces activités. Ce n'est pas un travail, et il faut cesser de concevoir cela comme une liberté. En fait, c'est une absence de liberté, de choix. Une foule de situations mènent à la prostitution, et elles sont empreintes de beaucoup de souffrance. Dans les témoignages des personnes prostituées, il est souvent question de la souffrance et de l'absence de choix, des circonstances, des proxénètes qui les ont attirées et qui leur ont fait miroiter l'avantage de l'argent vite gagné, comme si tout cela n'avait pas de conséquences sur elles. Or, c'est faux: cela détruit complètement leur vie sociale. Elles n'arrivent plus à se retrouver, ni à construire une autre relation qui soit significative ou saine.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Roy.

[Français]

+-

    Mme Michèle Roy: Pour moi, c'est clair. La notion de consentement est centrale dans bien des procès pour viol. On sait à quel point les arguments voulant que la femme voulait vraiment, même si elle avait quelques bleus et qu'elle était un peu attachée par les pieds, sont fréquemment utilisés. Dans toutes sortes de circonstances, des hommes affirment qu'il y avait consentement et disent avoir compris que la femme était consentante.

    Si vous me dites qu'on utiliserait aussi cette règle en matière de prostitution, je vais vous répondre: «Aie, aie, aie!». Comment peut-on consentir lorsqu'il s'agit d'un rapport inégal? À quoi consent-on? Qu'est-ce qui peut exister entre des personnes dont la situation économique et sociale n'est pas la même en termes de prestige et de statut social? Comment peut-on imaginer qu'on parle ici d'un consentement libre et éclairé?

    Je sais qu'il est possible que certaines personnes choisissent cette situation, mais pour ma part, je travaille pour les milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui ne l'ont pas choisie et qui ici, ailleurs, au Nord ou au Sud, y sont contraints de toutes sortes de façons, que ce soit par la situation économique ou par un proxénète. Si un petit nombre de personnes pensent qu'elles ont choisi cette vie, je ne me battrai pas pour les convaincre du contraire. Je ne veux pas faire de missionnariat alors que des centaines et des milliers d'autres disent qu'elles n'ont pas voulu cette situation, mais qu'elles n'ont pas d'autre choix.

[Traduction]

+-

    Mme Libby Davies: Et en quoi est-ce différent de la situation d'un mineur? Personne ne souhaite que son enfant travaille dans une mine souterraine et soit enseveli lors d'une explosion—en quelque sorte, je défends la position de Mme Shaver. En quoi est-ce différent? Je suppose que la plupart des gens ne veulent pas que leur fille devienne serveuse, mais comment peut-on protéger leurs droits si elles pratiquent ce métier? Comment s'assurer que leurs conditions de travail soient saines et sécuritaires?

[Français]

+-

    Mme Michèle Roy: Je pense qu'il est important de reconnaître que comme toute autre personne, ils ont des droits fondamentaux, par exemple l'égalité, la sécurité et l'intégrité. Il faudrait mettre en place des mesures qui permettraient à ces personnes d'être considérées comme n'importe quel autre être humain. Le respect des droits humains est important, mais dans quelle perspective et avec quel discours sous-jacent? Est-ce qu'on doit dire à ces personnes que c'est ce qu'elles peuvent faire dans la vie et que c'est tout aussi légitime qu'une autre activité ou est-ce qu'on doit leur donner tous les moyens leur permettant de choisir réellement ce qu'elles veulent faire?

    Dans la société actuelle, les femmes ont peu de choix, non seulement à l'égard de la prostitution, mais dans bien d'autres domaines également. On a peu de choix concernant le travail, les relations sexuelles, les relations maritales, etc. Il faut d'abord accroître les choix et la liberté de l'ensemble des femmes, et voir ensuite ce qui va se passer.

¾  +-(2000)  

+-

    Mme Yolande Geadah: J'aimerais ajouter un petit mot au sujet du choix. Vous parlez d'un travailleur dans une mine, mais ce n'est pas du même ordre, parce que la prostitution touche à la sexualité, donc à l'être intime. On ne fabrique pas des chaussures comme on fabrique une prostituée. Vous voyez la différence qui existe. On peut améliorer les conditions de fabrication de chaussures et d'extraction dans les mines, mais la prostitution est entourée de tout un système qui fabrique les personnes.

[Traduction]

+-

    Mme Libby Davies: Mais ne s'agit-il pas là d'une construction sociale?

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Bien sûr. Donc, on peut le changer.

[Traduction]

+-

    Le président: Peut-on passer maintenant à Mme Boucher?

[Français]

+-

    Mme Valérie Boucher: Effectivement, le travail du sexe touche très intimement à la sexualité. C'est très difficile pour les femmes et pour une partie de la population d'imaginer que certaines femmes voient la sexualité de façon différente. Pour beaucoup de femmes, cependant, le sexe n'est pas quelque chose qu'il faut absolument partager dans l'intimité et dans l'amour, sans quoi on est dégradée.

    Personnellement, j'ai été travailleuse du sexe pendant quelque temps. Je travaille avec les femmes depuis maintenant huit ans, dont quatre ans à Stella. Je ne suis brisée intérieurement ni par mes clients ni par le type de travail que j'ai fait. Ce qui me fait mal, par contre, c'est la stigmatisation. C'est la façon dont on parle de moi comme d'une personne dégradée, comme d'une personne qui était consentante, mais pas tout à fait consentante parce qu'elle était aliénée. Je ne savais pas j'étais aliénée, mais je l'étais, paraît-il. Donc, j'ai dit oui, mais dans le fond, mon oui ne voulait rien dire. Cela me fait beaucoup plus mal que le travail que j'ai fait, avec ses bons et ses mauvais côtés. C'est évident.

    Cela me fait aussi très mal d'entendre les gens parler des femmes que je côtoie, des centaines, voire des milliers de femmes que j'ai côtoyées durant huit ans, comme de femmes pas intelligentes qui, parfois, devant un large éventail de choix, choisissent quand même de faire du travail du sexe. Je trouve très triste d'entendre parler de ces femmes avec aussi peu de respect, de sensibilité et de clairvoyance par rapport à leur intelligence et à leur autodétermination.

[Traduction]

+-

    Le président: Madame Fry.

+-

    L'hon. Hedy Fry: Bien dit, Valérie. Je tenais à le dire.

    Ayant été médecin pendant 23 ans, je dois vous dire que mon optique n'est pas la même que la vôtre. Pour moi, Valérie fait valoir un argument très important. Si nous éliminons—et c'est de ça qu'il faut parler, à mon avis—le milieu de travail, l'exploitation, les risques inhérents, les problèmes de santé et la violence… Autrement dit, si nous éliminons tous ces risques, on peut supposer—et j'en ai connu qui étaient mes patientes—il y a certainement des femmes… Je sais que vous ne voulez pas que je fasse de commentaires.

    Mais j'ai eu une patiente qui est maintenant docteure—et quand je dis docteure, je précise qu'elle n'était pas docteure en médecine, mais plutôt étudiante faisant des études doctorales. Elle était du Québec. Elle est venue à Vancouver pour étudier. Elle n'a pas été obligée d'obtenir un prêt pour étudiant; et elle a gagné de l'argent. Elle était intelligente, brillante même. Tous les soirs, elle sortait pour gagner l'argent qui lui fallait, et elle rentrait chez elle avec cet argent. Elle a payé ses frais de scolarité. Elle a fait ça pendant une certaine période. Elle avait des projets auxquels elle voulait donner suite. À ses yeux, il ne s'agissait pas d'une activité avilissante.

    Autrement dit, il faut à mon sens supprimer toute considération morale de cette discussion et parler du fait que certaines femmes voudront choisir de pratiquer ce métier. Elles y voient un service qu'on peut facilement vendre. Et elles ont la possibilité de vendre ce service parce qu'elles possèdent tous les bons outils de marketing et elles peuvent se distancier suffisamment de cette activité pour croire que ce sont elles qui contrôlent ce qu'elles font, puisqu'elles ont un produit à vendre qui est en demande; par conséquent, elles sont fières.

    Je ne dis pas que c'est le cas de la plupart des femmes, mais si nous sortons un peu des sentiers battus, nous pourrions effectivement nous dire, à condition d'éliminer tous les aspects négatifs de cette activité, que ce choix pourrait être un choix valable pour un petit pourcentage de femmes. Mais si nous sommes dans l'impossibilité de faire preuve d'innovation et de sortir des sentiers battus, nous ne proposerons jamais les bonnes solutions, car nous aurons préféré adopter un ton moralisateur, au lieu de nous attaquer au vrai problème —c'est-à-dire la sécurité, la violence, la prévention et la rééducation quand cela correspond au choix des personnes concernées. À mon avis, c'est important—de même que la question de l'exploitation.

    J'allais poser la question, mais Valérie y a répondu avant que je puisse le faire. Ce qu'elle dit est vrai. Toute la question du consentement en est une que nous devons absolument examiner en cherchant des solutions, et ne pas nous contenter de dire que cela n'a aucune valeur dans ce contexte. On doit tenir compte de cette notion de consentement.

¾  +-(2005)  

+-

    Le président: Y en a-t-il qui voudrait répondre aux remarques de Mme Fry?

+-

    Dr Frances Shaver: J'aimerais pouvoir répondre à la troisième question de la députée, à laquelle je n'ai pas répondu. Elle concernait le côté glamour du travail des call-girls et du désespoir que nous observons souvent chez les travailleurs du sexe. Pour moi, c'est une question très complexe, et je suis bien contente que vous ayez posé la question. Je saisis donc l'occasion d'y répondre.

    Il est certain que la façon dont les hommes, les femmes et les transgenres se voient varie, mais ce qu'il faut dire dans ce contexte, c'est que ce n'est pas nécessairement une hiérarchie descendante; autrement dit, si nous commençons au marché de haut de gamme, nous allons finir au marché de bas de gamme. Parce qu'encore une fois—et ça rejoint ce que disait Valérie—il y a beaucoup de mouvement entre les différents segments du marché.

    Il ne fait aucun doute que les hommes et les femmes, surtout ceux auprès de qui nous avons mené des entrevues, passent régulièrement d'un type de travail sexuel à un autre. Ils pourraient décider de travailler à l'intérieur en hiver, et à l'extérieur en été; leur situation peut changer. Mais elle change en fonction de différents impératifs, tels que l'argent, l'indépendance, et la protection contre la violence. Et tous ces changements dépendent de leur contexte professionnel, de la présence de la police, de la présence des résidents du quartier, et de la situation en général. Évidemment, la tenue d'un festival à Montréal fait une grande différence pour ce qui est de la situation dans la rue.

    Donc, il y a beaucoup de mouvement. Ils peuvent travailler dans la rue ou retourner travailler pour une agence de rencontre. C'est une situation complexe et il ne faut donc pas supposer que c'est toujours un mouvement descendant.

    De plus, il faut préciser que, comme pour d'autres situations sociales, il y a des différences marquées entre les travailleurs. Il y en a qui se disent : « Ce que nous faisons, nous, est bien, mais ce qu'ils font, eux, est mal. » Voilà ce que j'ai compris grâce à mon travail de terrain. On observe cette attitude chez les danseuses nues, par exemple, par opposition à ceux et celles qui travaillent pour des agences de rencontre ou dans la rue, ce type de travail étant caractérisé par des contacts physiques plus intimes. On les entend dire : « Eh bien, nous ne faisons pas ça », ou encore, « Nous sommes danseurs, et non pas travailleurs du sexe ».

    Cette divergence d'opinions, qui est positive et nous force tous à bien travailler, à condition de nous respecter mutuellement, est accentuée en raison de la stigmatisation du travail sexuel, ce qui a pour résultat de renforcer cette distanciation qu'on observe, notamment quand on nous dit, par exemple : « Je ne suis pas comme ceux qui travaillent dans l'est de la ville, qui se droguent tous. Moi, je ne fais pas ça », ou encore, « Je ne mentirai jamais à mon client; je ne fraude jamais mon client ». Un autre groupe encore peut évoquer d'autres raisons ou critères pour affirmer sa supériorité.

    Donc, ces attitudes existent, et il faut en être conscient. Elles sous-tendent les histoires qu'ils nous racontent, et il faut poser tous ces éléments dans notre analyse.

    Je suis d'accord avec vous pour dire que si nous réussissons à éliminer l'exploitation de ces travailleurs, et à modifier le travail sexuel, tel que nous le connaissons maintenant, de manière à éliminer les risques, nous pourrions en arriver à un type de travail sexuel qui n'est pas entaché de la discrimination sexuelle, raciale et sociale qui le caractérise actuellement. Donc, si nous souhaitons en arriver à une forme de travail sexuel qui ne soit pas entaché de préjugés émotionnels, de telle sorte que les travailleurs du sexe soient considérés comme des adultes qui ne sont certainement pas obligés de pratiquer ce métier, et qui ne sont pas plus exploités sur le plan économique que d'autres salariés dans bien d'autres situations où l'exploitation dont ils font l'objet est manifeste, et que l'achat et la vente de services sexuels sont accessibles de manière égale aux hommes et—pourquoi pas?—aux femmes, à mon sens, la bataille sera sensiblement gagnée.

¾  +-(2010)  

+-

    Le président: Merci, madame Shaver.

    Madame Roy, souhaitez-vous intervenir?

[Français]

+-

    Mme Yolande Geadah: Je crois qu'il y a ici une distinction très importante à faire entre les choix individuels et les choix collectifs. Un choix individuel peut être accepté et toléré jusqu'à un certain point, mais un choix collectif doit accepter le système au complet. Je ne nie pas le fait--vous l'avez remarqué vous-même et je connais aussi de ces personnes--que certaines personnes ont réussi à tirer profit de la prostitution. Pendant un certain temps, elles l'ont fait, elles ont gagné beaucoup d'argent et ensuite elles en sont sorties. Ces personnes sont des exceptions et ne représentent pas la majorité. Si 1 p. 100 des personnes prostituées étaient dans cette situation, ce serait extraordinaire. C'est moins que cela. La question est ici de savoir s'il faut mettre en place un système législatif et des choix collectifs qui conviendront à ce 1 p. 100 ou bien tenir compte de l'ensemble des faits et des implications négatives pour l'ensemble des personnes.

    Je crois qu'il n'y a aucun moralisme là-dedans. C'est une question de droits humains. La prostitution n'est plus une question de moralité comme autrefois. C'est une activité qui porte atteinte de mille et une façons aux droits humains. Des personnes sont consommées comme du prêt-à-manger du sexe. Ce sont en grande majorité des femmes qui viennent du tiers-monde, qui sont dans les pays du Sud, qu'on importe ou à qui on envoie les clients les consommer sur place. Ce sont des femmes et des enfants qui n'ont pas d'autre choix. Je ne nie pas le fait qu'il en existe un certain nombre qui en tirent profit, mais elles auront toujours le choix, à mon avis, de faire cette activité ou non. La société n'a pas à mettre en place un système et une loi qui vont tenir compte uniquement de leurs intérêts à elles. Je crois qu'il faut tenir compte de l'ensemble et de tous les acteurs. Selon moi, ce n'est pas du tout une question de moralisme. C'est une question de droits humains et il faut voir cela comme tel.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, madame Geadah.

    Madame Boucher, avez-vous des remarques à faire en guise de conclusion? Rien?

    Madame Roy.

[Français]

+-

    Mme Michèle Roy: Ce qu'on réclame, c'est le droit à l'égalité. Tant qu'on sera dans un système où la très grande majorité des personnes qui tirent profit de la situation seront des hommes et où la très grande majorité des personnes qui la subissent seront des femmes et des enfants, il y aura inégalité et c'est cela qu'il faut comprendre. Ce n'est pas d'abord une question de choix personnels, individuels ou de morale sexuelle. C'est d'abord une question d'inégalité. Je pense que la société canadienne doit choisir le type de société qu'elle veut offrir aux hommes et aux femmes.

[Traduction]

+-

    Le président: J'aimerais remercier tous nos témoins pour leurs observations. Nous avons dépassé le temps qui nous était imparti, mais nous avons tous profité de cette vigoureuse discussion, à mon avis.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: Excusez-moi, je ne voulais pas vous interrompre. Je voulais simplement poser une question, non pas aux témoins mais à l'ensemble des membres du comité avant que la séance ne soit levée.

+-

    Le président: Très bien. Peut-être pourrions-nous permettre à nos témoins de partir d'abord. Nous en discuterons après la réunion.

    Encore une fois, nous tenons à vous remercier de votre présence ce soir. C'était bien apprécié. Ce sont des questions très difficiles qui exigeront beaucoup de réflexion et de discussion.

+-

    Mme Libby Davies: En fait, je voulais simplement…[Note de la rédaction : Difficultés techniques]... une liste tout à fait complète. J'en ai déjà parlé, mais je veux m'assurer que ce ne sera pas oublié. Autrement dit, il nous faut prévoir, quand nous irons visiter les différentes collectivités—de tenir certaines de nos réunions à huis clos afin de pouvoir travailler directement avec divers organismes. Il pourrait s'agir de Stella, de la Pivot Legal Society, de la Société PACE, ou de WISH. Il existe divers organismes. Il faut qu'on puisse parler directement aux travailleurs du sexe, et pour cela il nous faudra peut-être nous répartir en petits groupes et les rencontrer dans un contexte autre qu'une réunion officielle comme celle-ci.

    Je voulais donc savoir si le comité est d'accord sur la nécessité de recourir éventuellement à ce moyen. Il faut faire preuve de délicatesse en décidant de notre façon de faire.

+-

    L'hon. Hedy Fry: Faites-en une proposition et nous pourrons voter là-dessus.

+-

    Mme Libby Davies: J'en fais la proposition.

+-

    Le président: Oui, le chercheur et moi en avons déjà discuté. C'est une question délicate que de savoir comment nous pourrons prendre contact avec des travailleurs du sexe et nous assurer qu'ils accepteront de nous parler. Nous voudrons peut-être demander l'aide d'organismes qui traitent avec ces hommes et ces femmes.

    À mon avis, nous n'avons pas nécessairement besoin d'une motion à ce sujet.

+-

    Mme Libby Davies: Très bien. À condition que ce soit entendu que nous n'allons pas nécessairement les rencontrer dans ce genre de cadre.

+-

    Le président: Oui, nous comprenons très bien.

+-

    Mme Libby Davies: Il pourrait s'agir de discussion officieuse. Nous pourrions nous mettre en groupes de deux et aller rencontrer certaines personnes dans les diverses localités.

+-

    Le président: Je crois que notre attaché de recherche a quelque chose à dire à ce sujet.

+-

    Mme Lyne Casavant (attachée de recherche auprès du comité): Nous avons discuté précédemment de la nécessité d'élaborer une stratégie. Pour ma part, je vais parler avec diverses personnes en vue d'en arriver à la meilleure stratégie pour récolter les opinions de différents travailleurs du sexe et de personnes qui ont fait du travail sexuel par le passé.

¾  -(2015)  

+-

    Mme Libby Davies: Très bien, et vous pourrez nous la présenter par la suite.

+-

    Mme Lyne Casavant: Oui. Je vais vous présenter une éventuelle stratégie la semaine prochaine ou à la fin…

+-

    Mme Libby Davies: C'est très bien. Merci.

+-

    Le président: Monsieur Hanger, avez-vous une question?

+-

    M. Art Hanger: J'ai une question au sujet des témoins…qui s'adresse à M. Girard. J'ai ajouté le nom d'un ou deux témoins à la liste. Mais quand j'ai regardé la dernière version de la liste officielle des témoins, j'ai constaté que leurs noms ne s'y trouvaient pas.

+-

    Le président: Écoutez, il est déjà un peu tard, et je propose par conséquent que nous revoyions la liste des témoins mercredi soir pour nous assurer que tout le monde est satisfait… Nous avons également un certain nombre d'ajouts pour Edmonton.

+-

Je sais que le nom de ces témoins figurera sur la prochaine liste qu'on va vous présenter.

+-

    M. Art Hanger: Le voyage à Edmonton n'était pas non plus mentionné. Était-ce un oubli?

+-

    Le greffier: Sur quel document?

+-

    M. Art Hanger: Sur la dernière liste qui présentait l'ensemble des activités.

+-

    Le greffier: Je pense qu'il y a la mention « région des Prairies », ce qui signifie que nous allons nous rendre à Edmonton. C'est sous la rubrique « région des Prairies ».

+-

    M. Art Hanger: Eh bien, si cette mention manque, on peut supposer que c'était un simple oubli. Je vois la rubrique « région des Prairies », mais le nom du témoin que j'avais proposé…

+-

    Le greffier: Oui, mais son nom figurera sur la prochaine liste.

+-

    M. Art Hanger: Sur la prochaine liste? Très bien.

-

    Le président: Merci d'avoir attiré notre attention là-dessus.

    Les membres ont-ils d'autres questions à poser?

    Très bien. Merci de votre attention et de votre patience. C'était une bonne séance. Merci infiniment.

    La séance est levée.