SSLR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 6 avril 2005
» | 1735 |
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)) |
M. Vincent Westwick (coprésident, Comité de modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police) |
Sdt pal Frank Ryder (coprésident, Comité de modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police) |
» | 1740 |
Sergent d'état-major Terry Welsh (Service de police d'Ottawa) |
» | 1745 |
Sdt pal Frank Ryder |
Le président |
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC) |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
M. Art Hanger |
Sdt pal Frank Ryder |
M. Art Hanger |
Sdt pal Frank Ryder |
M. Art Hanger |
Sdt pal Frank Ryder |
M. Art Hanger |
Sergent état-major Richard Dugal (Service de police d'Ottawa) |
» | 1750 |
M. Art Hanger |
Sdt pal Frank Ryder |
M. Vincent Westwick |
M. Art Hanger |
M. Vincent Westwick |
M. Art Hanger |
M. Vincent Westwick |
M. Art Hanger |
» | 1755 |
Sdt pal Frank Ryder |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
Le président |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
¼ | 1800 |
Le président |
M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ) |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
M. Réal Ménard |
¼ | 1805 |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
M. Réal Ménard |
M. Vincent Westwick |
M. Réal Ménard |
M. Vincent Westwick |
Le président |
M. Réal Ménard |
Le président |
Sdt pal Frank Ryder |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
Sdt pal Frank Ryder |
M. Réal Ménard |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
M. Réal Ménard |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
M. Réal Ménard |
¼ | 1810 |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
M. Réal Ménard |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
M. Réal Ménard |
Le président |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
¼ | 1815 |
M. Vincent Westwick |
Mme Libby Davies |
M. Vincent Westwick |
Mme Libby Davies |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
Mme Libby Davies |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
Mme Libby Davies |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
Mme Libby Davies |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
Mme Libby Davies |
¼ | 1820 |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
Mme Libby Davies |
M. Vincent Westwick |
Mme Libby Davies |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
Mme Libby Davies |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
Mme Libby Davies |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
¼ | 1825 |
M. Vincent Westwick |
Mme Libby Davies |
M. Vincent Westwick |
Le président |
M. Art Hanger |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
¼ | 1830 |
M. Art Hanger |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
M. Art Hanger |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
M. Art Hanger |
Sgt é.-m. Terry Welsh |
Le président |
M. Réal Ménard |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
¼ | 1835 |
M. Réal Ménard |
Sgt é.-m. Richard Dugal |
M. Réal Ménard |
Le président |
Mme Libby Davies |
¼ | 1840 |
M. Vincent Westwick |
Mme Libby Davies |
Sdt pal Frank Ryder |
M. Brian Malone (gestionnaire, Politiques et planification, Association canadienne des chefs de police) |
Le président |
Mme Laura Barnett (attaché de recherche auprès du comité) |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
¼ | 1845 |
Mme Lyne Casavant (attachée de recherche auprès du comité) |
Sgt é.-m. Terry Welsch |
Le président |
M. Réal Ménard |
Le président |
CANADA
Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
|
l |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 6 avril 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
» (1735)
[Traduction]
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): La séance est ouverte pour cette 22e séance du Sous-comité de l'examen des lois sur le racolage.
Bienvenue. Nous apprécions énormément votre présence ici aujourd'hui. Je crois comprendre que M. Vince Westwick débutera l'exposé de l'Association canadienne des chefs de police, suivi du surintendant principal, M. Frank Ryder.
Allez-y, Vince.
M. Vincent Westwick (coprésident, Comité de modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police): Merci.
[Français]
Monsieur le président, membres du Sous-comité de l'examen des loissur le racolage du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile, mon nom est Vincent Westwick. Je suis le coprésident du Comité de modification des lois de l'Association canadienne des chefs de police. Je suis accompagné aujourd'hui du surintendant en chef, Frank Ryder, coprésident de notre comité, de Brian Malone, gestionnaire de la section Politiques et planification, du Service de police de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, du sergent d'État-major Terry Welsh, qui est membre du Service de police d'Ottawa, de même que du sergent Richard Dugal, également membre du Service de police d'Ottawa. Ce dernier est ici aujourd'hui pour m'aider à répondre à vos questions, le cas échéant.
L'Association canadienne des chefs de police représente plus de 900 chefs, chefs adjoints et autres cadres supérieurs du domaine policier, et plus de 130 services de police dans l'ensemble du Canada.
[Traduction]
En préconisant une réforme législative, des solutions novatrices pour lutter contre la criminalité et les problèmes de sécurité publique, et en faisant la promotion d'un partenariat avec la communauté et le respect de normes professionnelles élevées, l'ACCP est vouée à l'adoption de changements professionnels au chapitre du maintien de l'ordre. Monsieur le président, c'est toujours un plaisir de comparaître devant le Parlement pour présenter notre perspective au sujet de nouvelles lois et de questions d'intérêt public. C'est un aspect important du travail de notre association que d'écouter nos concitoyens et nos membres, de conférer avec les autorités gouvernementales et de présenter des instances aux députés du Parlement.
J'ai déjà eu le privilège de comparaître devant le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile sur divers sujets, mais j'avoue que le sujet à l'étude est l'un des plus difficiles que nous ayons eu à aborder.
Au départ, il était prévu que le chef Allen Bodechon, du Service de police de Saint John, au Nouveau-Brunswick, fasse l'exposé, mais comme il n'est pas disponible, on m'a demandé de prendre sa place. Le surintendant principal Ryder se chargera de la majeure partie de la présentation et le sergent d'état-major Welsh fera certaines observations à la fin.
Sdt pal Frank Ryder (coprésident, Comité de modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police): En fouillant le sujet, le chef Bodechon est arrivé à la conclusion qu'il n'y a ni compréhension commune, ni objectif commun en ce qui concerne la prostitution au Canada. En somme, il n'y a pas de consensus.
Même si, à l'échelle du Canada, on ne partage pas la même façon de voir la prostitution et d'y réagir, il y a tout de même une certaine entente sur la nature des activités et des effets connexes de ce phénomène qui en représentent largement les dommages collatéraux. Citons, entre autres, la toxicomanie, les agressions, les homicides, le crime organisé, la nuisance, l'exploitation des enfants et des jeunes, la traite d'êtres humains, les maladies transmissibles sexuellement et autres problèmes de santé publique, les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics.
S'il est acquis qu'il s'agit là d'activités et d'effets indésirables, on ne s'entend guère sur les stratégies à adopter pour y remédier. Cela dit, pouvoir identifier le problème est déjà un bon début. Dans les milieux policiers, il existe un consensus restreint au sujet des stratégies d'intervention systémiques permettant de s'attaquer aux activités et aux effets indésirables associés à la prostitution -- p. ex. en ce qui concerne l'exécution de la loi et la réduction du préjudice. Cela n'est pas étonnant étant donné la diversité des points de vue sur la prostitution, à la fois à l'intérieur et entre les diverses communautés que nous servons.
Les autorités policières ont une longue expérience de stratégies et d'initiatives qui ont donné de bons résultats dans la lutte aux symptômes des activités indésirables. Lorsqu'ils peuvent compter sur une compréhension et un objectif communs—ainsi que sur une législation y afférente—, les services policiers enregistrent également des succès grâce à l'application de stratégies et d'initiatives de nature systémique, des stratégies qui tiennent compte des relations entre toutes les activités et les influences associées à la prostitution.
Je voudrais vous parler d'intérêts opposés. En l'absence d'une compréhension et d'un objectif communs, les autorités policières canadiennes se retrouvent souvent dans le rôle peu enviable d'arbitre lorsque les tribunaux, l'ensemble des citoyens et les politiciens n'ont pas réussi à concilier les intérêts contradictoires des travailleurs du sexe, des groupes de pression et de la collectivité.
La police est au service de l'intérêt public. Elle est investie de pouvoirs législatifs en vue de maintenir l'ordre et la sécurité publics, mais elle se préoccupe également des droits et de la sécurité des particuliers, y compris des droits et de la sécurité des travailleurs du sexe.
L'application des lois sur le racolage fait souvent suite à des plaintes de citoyens concernant les symptômes de la prostitution de rue, soit ce que l'on pourrait appeler les dommages collatéraux. Lorsque les symptômes disparaissent, on réclame moins l'intervention des forces de l'ordre. Compte tenu des instruments législatifs dont nous disposons, les stratégies appliquées pour contrer les symptômes préjudiciables à l'ensemble des citoyens peuvent, par inadvertance, nuire aux travailleurs individuels de l'industrie du sexe.
Par exemple, il est admis que la prostitution de rue place fréquemment les travailleurs du sexe à risque; moins il y a de visibilité, plus le danger est grand. Des interventions orientées empêchent la prostitution d'avoir cours dans des endroits très visibles; à la suite de plaintes du public concernant la prostitution dans certains endroits, celle-ci se déplace en des lieux moins visibles. Le préjudice symptomatique pour la population est moindre, mais le risque est accru pour le travailleur du sexe.
De même, il a été proposé, en guise de solution, de légaliser la prostitution hors rue pour diminuer les risques associés à la prostitution de rue. Mais cette initiative risque d'institutionnaliser d'autres risques, comme le trafic humain et la mainmise du crime organisé. Encore là, un risque est modéré, l'autre élevé.
Il ne revient pas à la police de jouer le rôle d'arbitre entre des intérêts opposés. Elle ne devrait pas être obligée de régler des problèmes d'intérêt public que les tribunaux, les citoyens et les politiciens n'ont pas résolus. On s'attend souvent à ce que la police s'occupe de ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s'occuper d'eux-mêmes. Trancher entre des intérêts divergents tend à compromettre ces attentes.
Maintenant, monsieur le président, je demanderais au sergent d'état-major Welsh de vous présenter certaines de ses observations sur la prostitution. Ce faisant, il se basera sur une expérience pratique de 31 ans, dont un bon nombre ont été consacrés à la prostitution de rue.
» (1740)
Sergent d'état-major Terry Welsh (Service de police d'Ottawa): Merci, surintendant principal.
Fort de mon expérience concernant l'application des lois relatives à la prostitution de rue et l'introduction de programmes d'éducation des clients, tel le programme de déjudiciarisation ou "John School", j'ai pu observer certains comportements pendant les années où j'ai participé à diverses enquêtes.
J'ai remarqué, entre autres, qu'en termes d'offre et de demande, la jeunesse a de plus en plus la cote. À Ottawa, cet intérêt pour des travailleurs du sexe de plus en plus jeunes est certainement présent. Un travailleur auprès des jeunes qui oeuvre au sein de notre organisation voit des jeunes filles d'à peine 12 ans offrir des pipes en échange de cigarettes et de drogues. Les jeunes sont un produit monnayable, et ils le savent.
Autre constatation : on tend à abandonner la rue. Depuis qu'existe le programme de déjudiciarisation avant la mise en accusation, connu sous le nom de "John School", et les programmes éducatifs connexes, on constate que la prostitution se déplace à l'intérieur : hôtels, Internet, services d'escorte et clubs. Ces changements sont dans une certaine mesure la conséquence de l'exécution de la loi.
Vous vous demandez peut-être qui est le client typique? À Ottawa, le client typique est un homme marié, âgé de 30 à 40 ans, qui travaille et dont le revenu s'élève approximativement à 60 000 $ ou plus. Les Néo-Canadiens représentent un pourcentage de la clientèle des travailleurs du sexe à Ottawa.
En termes de préférence, plus la prostituée est jeune, mieux c'est. Curieusement, cette conception tient souvent à l'idée qu'une travailleuse du sexe jeune sera plus saine.
Il est impossible de parler de prostitution sans parler de drogue, en tant que culture, en tant que produit de consommation et souvent, en tant que point de départ. L'industrie du sexe s'articule autour de la culture de la drogue, et c'est là que réside le dilemme. La drogue fait partie de la prostitution.
La prostitution masculine est sérieusement sous-déclarée et généralement, elle est confinée dans des milieux restreints et des clubs privés.
En conclusion, ce qui ressort surtout de mes observations, c'est cette tendance alarmante à l'abaissement de l'âge de la prostitution, ce qui est très dommageable pour l'ensemble de la collectivité.
Merci.
» (1745)
Sdt pal Frank Ryder: Sachant cela, que faire? Dans notre optique, on constate qu'il n'y a pas de consensus sur les mesures à prendre; les opinions divergent même entre les divers intervenants. Il est évident que la prostitution est un problème sérieux qui a des conséquences profondes pour les travailleurs du sexe et pour la collectivité. Sans compter qu'il y a lieu de s'inquiéter pour les jeunes à risque.
Au sein des forces policières, comme dans les autres milieux, différentes opinions ont cours. Comme on l'a mentionné tout à l'heure, ce n'est pas un sujet facile. Cependant, quelles que soient les recommandations que fera votre comité, nous vous demandons de prendre en compte sérieusement l'incidence qu'elles auront sur les jeunes, sur la collectivité et sur les stratégies d'intervention existantes. Nous souhaitons aussi qu'on essaie de prévoir les conséquences qu'elles auront pour les forces policières au chapitre de l'exécution de la loi. La solution consiste peut-être à adhérer à un processus voué à la conciliation et au consensus, et non au conflit.
Voilà qui met un terme à notre exposé. Nous répondrons volontiers à toutes vos questions.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Hanger, vous disposez de sept minutes pour vos questions.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, PCC): Merci, monsieur le président.
Messieurs, je vous remercie d'être venus témoigner devant notre comité.
J'aurais cru que vous auriez abordé plus en détail les lois sur le racolage, mais je vais tout de même vous interroger. Je vous poserai aussi des questions au sujet de toutes les lois ayant un rapport avec la prostitution, les maisons closes et le fait de vivre des fruits de la prostitution, si c'est bien là l'expression consacrée.
Premièrement, si l'on supprimait la loi concernant la communication à des fins de prostitution, que se passerait-il?
Sgt é.-m. Terry Welsch: Si l'on supprimait cette loi, on créerait un système à deux vitesses. Chose certaine, il y aurait de la prostitution dans les divers clubs, les clubs d'effeuilleuses, et les agences d'escorte, mais la prostitution de rue ne disparaîtrait pas pour autant et continuerait de causer les problèmes auxquels nous sommes confrontés quotidiennement et qui suscitent l'inquiétude de la population. Quant aux jeunes évoqués dans notre exposé, ils seraient toujours à risque.
M. Art Hanger: Est-il possible de décriminaliser toutes les activités entourant la prostitution, et de simplement laisser aux municipalités le soin de s'en occuper, sans que cela ait des conséquences négatives? Et s'il y a des conséquences négatives, quelles seraient-elles?
Sdt pal Frank Ryder: Premièrement, pour faire cela... Premièrement, la prostitution est sous l'emprise du crime organisé. Dans tous les domaines où il est possible de faire de l'argent en se livrant à des activités illégales, le crime organisé s'infiltrera, et...
M. Art Hanger: Mais c'est légal.
Sdt pal Frank Ryder: Même si la prostitution était légale, j'estime que certaines activités illégales s'y grefferaient. Par exemple, si cette activité s'avérait extrêmement profitable, elle pourrait donner lieu au trafic de personnes d'autres pays. Ainsi, on pourrait faire venir d'ailleurs de jeunes prostitués, filles et garçons, ce qui serait illégal. Même si la prostitution était légale, le crime organisé utiliserait certainement d'autres...
M. Art Hanger: Le volet trafic humain est illégal.
Sdt pal Frank Ryder: La volet trafic, oui, ainsi que d'autres activités connexes comme celle-là.
M. Art Hanger: Dans une collectivité, si les dispositions sur les maisons closes et sur le fait de vivre des fruits de la prostitution étaient retirées du Code criminel, si l'on procédait à une quasi décriminalisation, comment la police opérerait-elle? Les forces policières interviendraient-elles dans la rue si toutes ces lois étaient supprimées?
Sergent état-major Richard Dugal (Service de police d'Ottawa): Essentiellement, nous ne pourrions intervenir pour contrer les activités les plus dommageables associées à la prostitution. Je songe au fait de vivre des fruits de la prostitution, au proxénétisme et à l'exploitation de jeunes de moins de 18 ans, tous cas assujettis à la législation actuelle. Si nous n'étions pas habilités à exécuter ces lois, nous n'aurions absolument aucun pouvoir pour appréhender les personnes qui profitent le plus de ces activités.
» (1750)
M. Art Hanger: La raison pour laquelle je pose ces questions est très simple : il s'agit là de propositions qui ont été soumises au comité par d'autres témoins. L'industrie du sexe pourrait fonctionner en toute impunité. Le travailleur du sexe, tout comme le mécanicien qui travaille au garage du coin de la rue, pourrait exercer librement son commerce. C'est une suggestion qui a été faite au comité. Bien sûr, nous avons également entendu parler des irritants associés à une telle situation, mais je voulais simplement connaître la perspective de la police.
Sdt pal Frank Ryder: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, cela me ramène à certains des problèmes dont nous venons de parler dans notre exposé : par exemple, l'interdépendance entre la prostitution et la culture de la drogue. Rares sont les personnes qui exercent cette profession par choix; elles y ont été entraînées par la nécessité de gagner de l'argent pour se procurer de la drogue. Même si le gouvernement légalisait cette activité et que certaines personnes décidaient de se livrer à cette activité légalisée, si l'on peut employer cette expression, la seule raison pour laquelle elles le feraient serait leur dépendance à l'égard de la drogue.
M. Vincent Westwick: Une autre façon de voir les choses, c'est de reconnaître que quelle que soit la décision que vous prendrez, il y aura des conséquences. Ce qui est difficile, dans votre travail, c'est d'essayer de prévoir quelles seront ces conséquences pour la collectivité et, plus précisément, quels effets cela entraînera-t-il au plan de l'exécution de la loi.
Si vous optez pour le modèle de la décriminalisation, les autorités policières consacreraient peut-être moins d'efforts à l'application du Code criminel, mais il leur faudrait tout de même faire respecter les règlements, en supposant qu'un certain cadre réglementaire soit mis en place. Que cette tâche soit confiée à la police ou à une agence quelconque, cela resterait à déterminer. Mais il faudrait tout de même voir si certains des autres problèmes collatéraux de la prostitution— je n'aime pas employer cette expression et je vous demande de n' y voir aucune connotation méprisante—sont toujours présents : la drogue, la violence, etc. Si ces problèmes demeurent, ils exigeraient certainement l'intervention de la police.
Nous vous demandons, dans vos délibérations et vos recommandations, de réfléchir sérieusement à leur incidence sur le travail d'exécution des autorités policières pour que nous puissions le mieux possible compléter par notre action la loi qui sera adoptée, quelle qu'elle soit.
M. Art Hanger: On nous a rapporté ce qui s'est passé à Amsterdam, et que je trouve fort triste: la demande a tellement augmenté depuis que la prostitution y est légale qu'à l'heure actuelle, on importe là-bas des femmes de l'étranger. C'est la traite des femmes. Évidemment, c'est là un autre problème en soi. Au Canada, je ne pense pas que le Code criminel prévoit une disposition sur la traite des femmes, n'est-ce pas?
M. Vincent Westwick: Il y a une disposition concernant le trafic humain. Je ne suis pas certain qu'elle concerne spécifiquement les femmes associées à la prostitution—on me corrigera si je me trompe—, mais je le crois.
M. Art Hanger: Je sais qu'auparavant, il y a quelques années, il n'y avait certainement pas de dispositions en ce sens. Peut-être est-ce là quelque chose de plus récent.
M. Vincent Westwick: Cela dit, si vous me permettez, monsieur, peu importe qu'il y ait une disposition, et peu importe son libellé, elle présente d'énormes défis sur le plan de l'exécution. Indépendamment de la nature de cette interdiction législative, l'exécution de la loi est limitée et difficile.
M. Art Hanger: Voilà qui m'amène à ma prochaine question. Certains croient que si l'on supprimait la loi sur le racolage et la loi sur les maisons closes, les prostituées seraient moins en danger, apparemment parce qu'elles auraient davantage de temps pour évaluer leur client. Elles ne seraient pas aussi pressées de se précipiter dans sa voiture et de partir avec lui. Cette perspective provient de présentations que nous avons entendues et selon lesquelles une fois que ces lois auront été supprimées, la prostitution se déplacera à l'intérieur, où il y aurait moins de danger et moins d'irritants sur la rue et dans la communauté. On me dit le contraire. Certains témoins ont affirmé le contraire. D'après eux, une fois la prostitution légalisée, pour pouvoir délivrer des permis pour ce commerce, les filles doivent être examinées. Elles doivent prouver qu'elles n'ont ni problèmes de santé ni dépendance vis-à-vis de la drogue. Évidemment, toutes celles qui échouent au test ne peuvent travailler dans ces bordels légalisés—peu importe comment vous voulez les appeler—et la prostitution de rue est aussi intense qu'elle l'a toujours été.
Qu'en est-il, d'après votre expérience?
» (1755)
Sdt pal Frank Ryder: Je voudrais que le sergent d'état-major Welsh réponde, mais j'aimerais faire un commentaire préliminaire. Je pense qu'en instaurant des établissements légalisés, on pourrait peut-être réduire le phénomène, mais nous serions toujours aux prises avec la prostitution de rue illégale. Encore une fois, j'en reviens à la question de la dépendance vis-à-vis de la drogue. Il y aura toujours des travailleurs du sexe qui voudront gagner rapidement de l'argent pour se procurer la drogue dont ils ont besoin pour satisfaire leur dépendance. Ils ne seraient pas intéressés à obtenir le permis ou à fonctionner dans le cadre d'un bordel. Ils veulent trouver de l'argent comptant sur le champ et ils continueront d'avoir recours à la prostitution de rue.
Sgt é.-m. Terry Welsch: Je suis tout à fait d'accord. On créerait un système à deux vitesses. Comme vous l'avez mentionné, il y aurait ceux et celles qui répondraient aux critères et qui pourraient obtenir un permis, et les autres. Compte tenu de la consommation de drogue qui a cours dans le milieu de la prostitution, j'estime que la majorité des travailleurs du sexe ne satisferait pas aux critères. Par conséquent, il y aurait un groupe de travailleurs de l'industrie du sexe qui travaillerait dans un endroit où il se sentirait relativement en sécurité et un autre groupe qui exercerait la profession sur la rue, et par conséquent, notre problème ne serait pas éliminé.
Il ne faut pas oublier que le commerce de la drogue accompagne avec beaucoup d'intensité et de près la prostitution. Vous dites que la prostitution se ferait à l'intérieur. À ce moment-là, il y aurait sans doute dans le voisinage immédiat de cet établissement un lieu où l'on vendrait de la drogue. En soi, cela ne générera peut-être pas les problèmes de nuisance qui suscitent les plaintes à la police, mais chose certaine, si l'activité se déroule dans une tour d'appartements—et c'est habituellement le cas—ou dans un immeuble bas comportant de multiples unités, il y aura un défilé constant de visiteurs causant le même genre de problèmes pour les citoyens—bruit, déchets, et autres. Le problème sera donc concentré. Autrement dit, toutes les rues ne seront pas touchées, seulement certains endroits, mais je ne pense pas que cela corrigerait la situation.
Vous évoquez la possibilité de supprimer toutes les lois, sans tenir compte de l'âge. Il y a dans la rue des fillettes de 10 et 12 ans. Il semble que nous soyons en présence d'une nouvelle tolérance. Essentiellement, nos collectivités tolèrent la pornographie. La prostitution en fait partie, et les jeunes sont un produit de consommation dans ce commerce. Si vous retirez toutes les lois relatives à la protection de la jeunesse, nous serons confrontés à des antres de vente et de consommation de drogue—cela ne fait aucun doute—, mais les jeunes seront dans la rue.
Le président: Merci, monsieur Hanger.
Aviez-vous un commentaire?
Sgt é.-m. Richard Dugal: J'allais ajouter quelque chose, avec votre permission.
Nous avons discuté de la possibilité d'offrir un niveau différent d'exécution, soit au niveau municipal ou même au niveau provincial. Si l'on envisage de délivrer des permis, comme cela se fait à Ottawa pour les danseuses exotiques, qui doivent être titulaires d'un permis pour pouvoir travailler, ce sera un cauchemar. Les forces de l'ordre n'ont tout simplement pas le pouvoir de s'occuper de cet aspect en ce qui concerne ce que j'appellerai les travailleurs du sexe, bien que ce terme n'ait pas la portée qu'il a dans le présent contexte. L'application d'un règlement à cet égard est extrêmement difficile et n'aurait aucun effet.
S'agissant de personnes que l'on attire dans l'industrie du sexe ou que l'on force à y participer, il n'y a pas grand-chose que nous puissions faire au plan de l'exécution. À ce moment-là, nous n'aurions pratiquement aucun contrôle sur tous les aspects négatifs du travail du sexe.
¼ (1800)
Le président: Merci.
Monsieur Ménard.
M. Réal Ménard (Hochelaga, BQ): Je vais parler en français.
[Français]
Je suis d'accord avec vous que vous êtes dans une position délicate, car il n'y a pas de consensus sur ce sujet dans la société. Ce n'est pas non plus à vous de faire de l'arbitrage. Votre organisme est responsable de l'application des lois, et non pas de l'adoption de ces lois. Les arbitrages doivent avoir lieu en amont, avant que vous n'interveniez. Cette tâche incombe aux parlementaires.
J'aimerais que nous partions de la prémisse de base. Prenons comme point de départ l'année 1985 où, à la suite d'un jugement de la Cour suprême, on a modifié le Code criminel pour faire place au nouvel article 213. Compte tenu des raisons d'être initiales des dispositions du Code criminel visant à enrayer la prostitution de rue et compte tenu de la stratégie prohibitionniste telle qu'on la connaît — ne remontons pas au XIXe siècle, mais bien à 1985 —, estimez-vous que les dispositions actuelles du Code criminel, et particulièrement l'article 213, nous ont permis d'enrayer la prostitution de rue?
Si vous répondez oui à cette question, il n'y a pas de problème, il faut maintenir le statu quo. Si vous répondez non, vous devez nous aider à trouver des mesures de remplacement. Le cas échéant, je vous poserai des questions à ce sujet, mais procédons logiquement et répondons à la première question.
[Traduction]
Sgt é.-m. Terry Welsch: Je dirais qu'effectivement, cela a été utile. Depuis sept ans, j'ai recours à l'article 213 pour contribuer à l'éducation des travailleurs du sexe et des clients.
L'article 213 me confère le pouvoir d'arrêter des personnes tout en leur offrant l'option de participer à un programme d'éducation—« John school »—. On leur fournit de l'information, on leur explique les risques, le dangers, les problèmes qui existent sur la rue. Cela leur permet de prendre une décision éclairée au sujet de ce qui se passe véritablement dans notre collectivité.
Cela ne suffit pas pour éliminer le phénomène, et je ne veux absolument pas laisser entendre que ce concept de programme de déjudiciarisation pourrait avoir pour effet d'éliminer la prostitution en soi, mais chose certaine, cela a amené certains individus à faire une réflexion. Cela inclut aussi un programme d'éducation que nous offrons aux travailleurs du sexe. C'est certes un programme qui a été apprécié.
[Français]
M. Réal Ménard: Monsieur Welsh, avec tout le respect que je vous dois, vous ne répondez pas à la question.
Vous dites vous servir de l'article 213 à des fins de réhabilitation. Tant mieux si c'est votre motivation. Il est certainement tout à votre honneur que vous le perceviez comme un outil de réhabilitation, et non pas comme un outil de répression et de coercition.
Les statistiques que j'ai vues ne couvrent pas les années qui se sont écoulées depuis 1995. Le Centre canadien de la statistique juridique, par l'entremise de sa revue Juristat, nous a informés du nombre d'arrestations effectuées jusqu'en 1995 en vertu de l'article 213 — je ne parle pas de l'article 210 ou d'autres —, et les statistiques allaient croissant.
Si l'on est conséquent, cela devrait signifier qu'entre 1985 et 2005, il y a eu moins de prostitution et, par conséquent, moins d'arrestations qui y étaient reliées. Ma question n'a pas pour but de savoir si l'article 213 vous permet d'effectuer des interventions préventives ou réhabilitantes. En fait, elle vise à savoir si cet article a permis de réduire la prostitution de rue dans nos communautés par rapport à la période qui précédait 1985. Vous répondez oui à cette question, mais il me semble que les statistiques tendent à infirmer votre point de vue.
Votre association nationale dispose-t-elle de ses propres statistiques? Avez-vous des statistiques sur le nombre d'arrestations effectuées au Canada en vertu de l'article 213 en 2002, 2003 ou 2004, par exemple?
¼ (1805)
[Traduction]
Sgt é.-m. Terry Welsch: Personnellement, je n'ai pas ces statistiques pour le Canada.
[Français]
M. Réal Ménard: Allez-vous nous les trouver? Vous seriez très gentil de faire cela pour nous.
[Traduction]
M. Vincent Westwick: Notre association ne tient pas de statistiques. Nous nous fions plutôt aux mêmes statistiques auxquelles vous avez accès, soit celles de Statistique Canada. Nous n'en compilons pas nous-mêmes.
[Français]
M. Réal Ménard: Vous ne pouvez donc pas vous prononcer sur l'impact de l'article 213 sur la présence des filles ou des garçons, subsidiairement, bien qu'on sache que la prostitution a un visage plutôt féminin que masculin.
Cela m'amène à une deuxième question, que j'aimerais poser à M. Dugal.
[Traduction]
M. Vincent Westwick: La réponse à cette question est non; nous ne pouvons l'affirmer de façon concluante. C'est l'aspect difficile de ce sujet et c'est la raison pour laquelle il nous pose un tel défi. Étant donné que nous ne pouvons rien affirmer de façon concluante, nous avons jugé que la meilleure des choses était de vous fournir une information anecdotique, et c'est pourquoi nous nous sommes fait accompagner ce soir par des agents de la première ligne. Mais nous prenons note de votre argument.
Le président: Monsieur Ménard, vous pouvez obtenir les statistiques qui vous intéressent par l'entremise du ministère de la Justice ou de Statistique Canada.
[Français]
M. Réal Ménard: Elles couvrent la période qui se termine en 1995. En a-t-on pour la période subséquente? Dans les documents de la bibliothèque, j'ai vu que les statistiques s'arrêtaient à 1995. S'il en existe pour la période qui commence après cette date, je serais très heureux d'en prendre connaissance. Cependant, dans les documents que j'ai lus — et je les ai tous lus —, les statistiques de Juristat arrêtaient en 1995. Si ces statistiques existent, on se les partagera.
[Traduction]
Le président: D'accord, monsieur Ménard.
Je pense que M. Ryder veut ajouter quelque chose.
Sdt pal Frank Ryder: Je voudrais simplement ajouter ceci : pour votre gouverne, lorsque vous prendrez connaissance de ces statistiques—et qu'on me corrige si je me trompe—, dans certaines stratégies, on porte des accusations aux termes de l'article 213, mais par la suite, on change d'approche et par conséquent, cela ne figurerait pas dans les statistiques. On peut avoir invoqué l'article 213 pour faire une arrestation mais ensuite, selon la stratégie d'intervention, il peut arriver que des accusations ne soient pas portées.
Est-ce exact?
Sgt é.-m. Terry Welsch: C'est exact.
Je peux parler pour l'Ontario. Nous avons deux systèmes—la déjudiciarisation avant la mise en accusation et après la mise en accusation. Dans le cas où la déjudiciarisation survient après la mise en accusation, cela implique nécessairement que la personne est arrêtée, inculpée et ensuite versée dans un programme de déjudiciarisation. Subséquemment, l'inculpation est maintenue ou éliminée. Pour ce qui est de la mise en accusation préalable, comme je le mentionnais, ces personnes ne sont pas inculpées du tout; on leur offre de participer au programme de déjudiciarisation et elles peuvent accepter si elles répondent aux critères.
Sdt pal Frank Ryder: Je soulève ce point parce que les statistiques disponibles peuvent être trompeuses si l'on veut s'en servir pour déterminer si l'article 213 est utile. L'arrestation aux termes de l'article 213 peut être jugée nécessaire pour adopter ensuite une stratégie d'intervention.
[Français]
M. Réal Ménard: Je suis un député de Montréal et sur mon territoire, dans l'Est de Montréal, 150 filles sont connues des organismes d'application de la loi. J'ai longtemps cru qu'un système de maisons closes, sans que cela ne soit magique, pouvait représenter une avenue intéressante, parce qu'à mon sens, même si les gens ne portent pas de jugement moral, personne — même les esprits les plus ouverts — ne souhaite voir de sollicitation quand sa fille va à l'école le matin ou quand sa femme va au restaurant.
S'il y avait un régime de maisons closes, avec un système de licences, cela établirait des règles. Certaines dispositions devraient faire en sorte que cela échappe au crime organisé. Il faudrait certaines conditions pour obtenir une licence. Vous semblez dire, monsieur Dugal, que l'application de ce régime poserait des difficultés d'opération. Je ne vois pas en quoi cela pourrait être une difficulté.
Sgt é.-m. Richard Dugal: Il y a deux raisons. Premièrement, les lois municipales sont difficiles à suivre.
M. Réal Ménard: Et sur le plan fédéral?
Sgt é.-m. Richard Dugal: Comme il a été question plus tôt d'abroger la loi fédérale existante, j'ai cru qu'on déléguerait le dossier au niveau provincial.
M. Réal Ménard: On ne pourra pas déléguer le dossier. Il y a des municipalités dans l'Ouest, et même à Montréal, où cela s'est rendu jusqu'à la Cour suprême. On ne pourra pas déléguer les éléments de droit pénal aux municipalités.
Par contre, j'ai fait rédiger un projet de loi. Je ne l'ai pas déposé parce qu'il y a eu des élections, mais je pourrais vous le faire parvenir. Je ne sais pas si je vais le déposer.
Dans mon esprit, il y a le solliciteur général, maintenant devenu ministre de la Sécurité publique, qui accorde des licences. Une annexe au projet de loi indique que si vous avez été reconnu coupable d'un meurtre au premier degré, vous ne pouvez pas obtenir de licence. Il y a aussi des conditions pour les tenanciers: cela doit être dans un milieu commercial et ne doit pas être à proximité d'un lieu de culte, d'une école, d'un parc, etc.
Même s'il y aura toujours des filles qui resteront en marge, en tant que législateurs, nous ne pouvons pas adopter des lois de cette façon. Parce qu'il y a des gens qui ne paient pas leurs impôts, il ne nous viendrait pas à l'esprit de dire qu'il ne faut pas une loi sur l'impôt sur le revenu. Cela me semblait une bonne solution. Évidemment, les féministes ont poussé des hauts cris et la police aussi, un peu.
Accepteriez-vous de considérer un scénario de régime public fédéral de maisons closes, un système de licences public?
¼ (1810)
Sgt é.-m. Richard Dugal: Je vais vous donner mon opinion personnelle, qui ne reflète pas forcément celle de la communauté.
Le problème que je vois à ce scénario, c'est qu'il ne règle pas le problème de la sollicitation dans la rue. Les personnes qui seraient acceptées sur le plan de la santé ou qui rempliraient toutes les conditions que l'on imposerait pourraient peut-être travailler dans un établissement licencié, mais qu'adviendrait-il des personnes qui ne pourraient obtenir de licence pour des raisons de santé, d'abus, de dossier criminel, etc.? Le problème demeure entier pour ces personnes. Où vont-elles aller? Elles vont retourner dans la rue et, selon votre scénario, on n'aurait pas le pouvoir d'intervenir pour les gens que la prostitution de rue affecte: les communautés ou les dames qui se font accoster par les clients potentiels.
M. Réal Ménard: Il y aurait encore l'article 197 et l'indécence; certaines dispositions vous permettraient toujours d'intervenir.
Sgt é.-m. Richard Dugal: Encore là, il s'agit d'une difficulté pratique sur le plan de l'application de la loi et de l'efficacité d'intervention. On demandait tout à l'heure à quel point l'application de l'article 213 était efficace pour enrayer la prostitution. Je crois que nous étions tous d'accord: on ne l'enraiera jamais complètement.
Cependant, on peut tenter — et je crois que c'est l'intention des lois présentes — de minimiser le danger pour la communauté et les problèmes associés à la sollicitation dans un endroit public. La loi actuelle reconnaît que des gens sont affectés par la sollicitation dans la rue et par tout ce qui en résulte: des gens se font accoster, des clients se promènent, il y a des problèmes de santé communautaire, de condoms et de seringues hypodermiques qui sont laissés un peu partout. Ces problèmes continueront d'exister même si on a les...
M. Réal Ménard: Mais le statu quo ne les règle pas.
[Traduction]
Mon temps de parole est écoulé?
Le président: Oui.
Libby Davies, s'il vous plaît.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie nos témoins d'être venus aujourd'hui. En effet, je pense que votre perspective et votre expérience sur le terrain est très importante et très utile au comité.
D'entrée de jeu, je tiens à dire que je ne pense pas que nous ayons entendu des témoins proposer d'abroger toutes les lois concernant la protection des jeunes exploités sexuellement ou le trafic humain. La discussion a plutôt porté sur la possibilité d'abroger certains articles concernant les adultes—soit principalement l'article 213, la disposition sur les maisons closes et certains ou tous les aspects de l'article sur l'obtention de services sexuels.
Certes, un grand nombre de témoins ont proposé cela, mais personne n'a préconisé que toutes ces lois soient abrogées. En fait, un consensus très solide s'est dégagé sur la nécessité pour nous de mettre davantage l'accent sur l'exécution, la prévention et bien d'autres initiatives à l'appui des jeunes exploités sexuellement. Le comité est d'accord avec cela, tout comme les témoins, à mon avis.
Voici l'une de mes questions : pourquoi ne voit-on pas des jeunes dans les établissements autorisés? On sait qu'en général, la prostitution de rue représente 5 à 20 p. 100 du phénomène. La prostitution hors rue pour sa part constitue les 80 p. 100 restants. En général, cela est toléré. À ma connaissance, ce volet ne fait l'objet d'aucune intervention de la part des forces de l'ordre.
J'essaie de me rappeler si un témoin a soulevé la question de la présence des jeunes dans l'un ou l'autre de ces établissements autorisés, comme les agences d'escorte ou les salons de massage ou encore les bars de danseuses exotiques; vous savez, ces endroits dont tout le monde sait que ce sont des façades pour la prostitution. Je suis simplement curieuse de savoir si vous avez constaté ce phénomène et, dans l'affirmative, dans quelle mesure il est répandu? Si ce n'est pas un grave problème, pourquoi en est-il ainsi? Voilà ma première question.
¼ (1815)
M. Vincent Westwick: Je vais laisser les officiers vous répondre en détail, mais je prendrai un instant pour réagir à votre préambule. En vue de la présente séance, après avoir lu les interventions d'autres témoins, nous savions que le comité s'intéressait principalement aux adultes, et non aux jeunes.
Si nous avons souligné ce problème—et je travaille dans le domaine du maintien de l'ordre depuis un certain temps déjà—, c'est que j'ai été renversé par ce que mes collègues à Ottawa, et d'autres, qui ne sont pas ici ce soir, avaient à dire au sujet des jeunes et du fait que la jeunesse est inextricablement liée à la prostitution. Je ne crois pas que cela enlève quoi que ce soit à votre argument.
Mme Libby Davies: Pas pour ce qui est des 80 p. 100, cependant. Ou peut-être, aurez-vous un autre son de cloche.
M. Vincent Westwick: Encore une fois, je vais laisser les officiers répondre. Je ne suis pas sûr que j'accepterais nécessairement ce chiffre de 80 p. 100, mais nous reconnaissons volontiers que cela représente la part du lion; c'est un pourcentage plus élevé.
D'ailleurs, je ne conteste pas votre propos. Je pense que vous avez raison. C'est simplement—et je suis sûr qu'au cours de vos travaux et dans vos discussions avec les témoins que vous avez entendus un peu partout au pays—, c'est très frappant, particulièrement lorsqu'on nous cite la façon dont ces jeunes en viennent à se livrer à cette activité. À vrai dire, c'est quelque peu perturbant.
Mme Libby Davies: Oui, je suis d'accord.
Sgt é.-m. Terry Welsch: Je souscris à la déclaration de M. Westwick. Il y a davantage de très jeunes filles dans les clubs, mais comme vous pouvez l'imaginer, dans le commerce des danseuses exotiques, la carte d'identité n'est pas la première chose qu'on exige d'une jeune fille, par exemple. Chose certaine, dans le secteur des agences d'escorte—j'ai déjà vu—et c'est peut-être aussi le cas de Richard—des cas d'escortes très jeunes, soit âgées d'approximativement 18 ans ou moins.
Mme Libby Davies: Mais ce n'est pas comparable à ce qu'on voit dans le contexte de la prostitution de rue, n'est-ce pas? Il y a peut-être certains cas, mais pour ce qui est des jeunes exploités sexuellement qui se livrent à la prostitution, on les retrouve dans la rue, et non dans les établissements.
Sgt é.-m. Terry Welsch: Il est très difficile de cerner ce type d'activité. Dès que cela ne se passe plus dans la rue, il faut glaner nos informations dans le cadre d'une enquête permanente. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, on constate la présence de jeunes à peine sortis de l'école secondaire. Le phénomène semble prendre de l'ampleur. Ce type d'activité est associé au désir de faire de l'argent—de petites sommes d'argent—ou d'obtenir en contrepartie de la drogue.
D'après mon expérience, j'ai vu de très jeunes filles dans les clubs d'effeuilleuses. J'ai fait partie d'un comité de la ville d'Ottawa qui étudiait la possibilité d'imposer des permis aux danseuses exotiques. Ces efforts se sont heurtés aux objections de groupes de sensibilisation qui ne voulaient absolument rien savoir d'un système de permis. À Ottawa, nous avons essayé d'instaurer un système de permis, et cela a été contesté, et avec raison. Nous n'avions pas bien préparé le dossier.
Mme Libby Davies: Comment ces danseuses peuvent-elles exercer leur métier à Ottawa dans ce cas? Êtes-vous en train de dire que c'est illégal?
Sgt é.-m. Terry Welsch: Les danseuses exotiques signent un contrat. Habituellement, il s'agit d'un groupe de personnes qui se déplace entre Toronto, Ottawa et Montréal.
Mme Libby Davies: D'accord. Autrement dit, ce travail n'est pas illégal, mais c'est simplement qu'il ne fait pas l'objet d'un permis ici à Ottawa?
Sgt é.-m. Terry Welsch: Oui, c'est exact. Ce travail n'est pas autorisé au moyen d'un permis.
Bien sûr, les jeunes passent à travers les mailles du filet car il n'existe pas de réseau. Chose certaine, aucun permis n'est décerné par la ville d'Ottawa. Par conséquent, les policiers sont amenés à intervenir dans ces établissements à la suite d'observations ou de plaintes.
Mme Libby Davies: Vous savez sans doute qu'un certain nombre de témoins nous ont invités à examiner le modèle suédois, qui veut que l'on décriminalise la fonction de travailleur du sexe et que l'on s'en prenne surtout au client. Bien des gens nous ont aussi dit qu'ils craignent fortement que ce modèle n'entraîne la prostitution dans la clandestinité et rende ce commerce encore moins visible et plus violent. J'ignore quelle est votre opinion, mais si nous devions opter pour ce modèle, comment vous y prendriez-vous pour que cela se produise?
¼ (1820)
Sgt é.-m. Terry Welsch: La violence?
Mme Libby Davies: Si nous adoptions ce modèle et qu'il était démontré que cela pousse la prostitution dans la clandestinité parce que les prostituées tentent de cacher leurs transactions avec leurs clients, qui sont dans l'illégalité, quelle stratégie emploieriez-vous pour contrer cela?
J'essaie de voir comment, dans la pratique, on pourrait s'attaquer à ce problème de violence et d'exploitation, comment on pourrait améliorer la sécurité. À mon sens, le statu quo ne fonctionne pas très bien; en fait, il est possiblement dangereux.
M. Vincent Westwick: Je soupçonne que ma réponse ne sera pas très satisfaisante, mais tout simplement, je l'ignore. De dire que ce commerce pourrait devenir plus ou moins violent, c'est de la pure spéculation. Nous n'en savons rien.
Il y a un argument sur lequel je veux insister, monsieur le président... Comme vous le savez, nous avons témoigné au sujet de plusieurs questions délicates et controversées et nous n'avons pas hésité à prendre fermement position, mais en ce qui concerne le sujet qui nous occupe, il n'y a pas de consensus au sein des milieux policiers. Il n'y a pas de consensus sur la meilleure approche; il y a énormément de discussion, une discussion très saine, mais il n'y a tout simplement pas de consensus.
Franchement, je ne veux pas m'écarter de mon champ d'expertise, mais en prévision de ma comparution, j'ai abordé le sujet avec ma famille, avec mes propres adolescents, et nous n'avons même pas pu nous entendre. Ils n'ont pas pu me dire ce que je devrais faire, alors que normalement, ils ne s'en privent pas.
Mme Libby Davies: Je vous remercie de ces propos, car parfois il est facile de présenter cela comme un problème où tout est noir ou blanc, alors que ce n'est pas le cas; c'est un problème très complexe. L'objectif visé est d'atténuer les torts qui sont causés et de savoir quel est le meilleur moyen d'y parvenir.
Je vais aborder brièvement la question des jeunes car je pense qu'elle soulève divers problèmes. En fait, d'après certains témoignages, il semble qu'il existe une certaine confusion sur la façon dont les accusations sont portées et sur les mécanismes d'application existants. Il y a une chose que j'aimerais vraiment savoir. Dans votre optique, estimez-vous que les lois que nous avons maintenant sont adéquates, en ce sens qu'elles vous fournissent les outils dont vous avez besoin pour contrer l'exploitation sexuelle des jeunes? Ou le problème tient-il au fait qu'il est difficile d'engager des poursuites judiciaires parce que vous devez compter sur les jeunes victimes pour témoigner en preuve? Comment contourner ce problème? Avez-vous des suggestions sur la façon de le régler?
J'estime qu'il existe un consensus très solide à cet égard, si seulement nous pouvions déterminer quelles mesures il faudrait recommander pour resserrer davantage le processus.
Sgt é.-m. Richard Dugal: Je répondrai en me fondant sur mon expérience d'enquêteur. J'ai participé à certaines enquêtes concernant des gens qui vivaient des fruits de la prostitution, des proxénètes de plus et de moins de 18 ans.
Comme vous l'avez dit, bien souvent, la difficulté tient au fait que nous devons compter sur le témoignage d'une personne travaillant dans l'industrie du sexe. Ce témoin se compare à une femme battue. En pareil cas, même dans les meilleures circonstances, il est extrêmement difficile d'obtenir une dénonciation et de poursuivre le processus jusqu'au tribunal. L'atmosphère et le milieu de la prostitution sont fondés sur une exploitation extrême. On a affaire dans bien des cas à des personnes qui ont subi un lavage de cerveau—il n'y a pas d'autres façons de décrire cela. Par conséquent, même si elles ont été victimes d'agressions horribles...
Mme Libby Davies: On nous a parlé de cas concrets de cette nature également.
Sgt é.-m. Richard Dugal: Oui, et pourtant, ces personnes ne sont pas prêtes à engager des poursuites. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons rien faire. Il y a tout de même certaines initiatives connexes...
Mme Libby Davies: Dans les cas de violence conjugale—à tout le moins en Colombie-Britannique—, la police peut porter des accusations, que la victime y consente ou non; je pense que c'est encore le cas. N'y aurait-il pas moyen de faire la même démarche dans le cas des jeunes exploités sexuellement. De cette façon, vous n'auriez pas à dépendre uniquement de la volonté de la personne de dénoncer la situation?
Sgt é.-m. Richard Dugal: Le témoignage des victimes fait évidemment partie de la preuve et les tribunaux y accordent généralement beaucoup de poids. En outre, il y a des faits spécifiques que nous devons prouver. Dans les cas de violence conjugale, le système judiciaire a décidé que les tribunaux pouvaient accepter en preuve davantage d'éléments connexes—ou une preuve plus large qu'une preuve directe—par opposition, d'après mon expérience, à ce qui se fait lorsque des personnes sont accusées de proxénétisme ou d'avoir vécu des fruits de la prostitution. Chose certaine, il serait bien que le droit de la preuve fasse en sorte qu'il soit plus facile d'invoquer l'argument de l'association—ce qui ne signifie pas pour autant que nous abandonnerions toute enquête et que nous porterions des accusations à qui mieux mieux. Simplement, cela faciliterait les enquêtes.
S'agissant, par exemple, des tentatives pour obtenir les services sexuels d'une personne de moins de 18 ans, il y avait auparavant dans la loi une disposition précisant qu'il y avait présomption si une personne était présente et disait : « Je peux vous avoir cette personne » de toute évidence âgée de moins de 18 ans, ou « Vous pouvez obtenir des services sexuels contre espèces sonnantes ». Cette présomption a été supprimée et par conséquent, notre capacité d'obtenir une condamnation s'est trouvée beaucoup plus restreinte.
¼ (1825)
M. Vincent Westwick: L'autre problème qui se pose lorsqu'il est question des jeunes et de ceux qui considèrent les travailleurs du sexe comme des victimes par opposition à des perpétrateurs, c'est qu'à ce moment-là, on fait valoir qu'on criminalise la victime, ce qui a d'autres conséquences et génère d'autres problèmes.
Nous avons rencontré deux travailleurs auprès de la jeunesse très expérimentés pour préparer notre comparution aujourd'hui. L'un d'eux nous a présenté un plaidoyer passionné qui n'avait rien à voir avec l'aspect industrie du sexe, mais dans lequel il réclamait la possibilité accrue de maintenir des programmes de réadaptation et dénonçait le fait que bien souvent, l'infraction n'était pas suffisamment grave pour justifier la durée du programme nécessaire pour permettre une véritable réadaptation. C'est un thème qui revient souvent dans la LSJPA.
Mme Libby Davies: La quoi?
M. Vincent Westwick: La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents; si je n'avais pas dit le sigle, vous auriez compris. Je m'excuse.
C'est un argument qu'on entend souvent en ce qui concerne les enfants et les jeunes, soit qu'il est nécessaire de les garder en milieu de garde pendant une période plus longue que celle justifiée par l'infraction qu'ils ont commise, une période plus longue qui permette l'application d'un programme de réadaptation efficace et efficient et qui donnerait les résultats escomptés. Mais placer en milieu de garde une personne qui a commis une infraction mineure revient à reprendre l'ancienne doctrine parents patriae qui gouvernait l'ancienne loi sur les délinquants juvéniles.
Par conséquent, ce n'est pas un sujet facile, pas facile du tout, je le crains.
Le président: Merci, madame Davies.
Monsieur Hanger, vous avez trois minutes.
M. Art Hanger: Merci, monsieur le président.
Lorsqu'il est question d'agences d'escortes, de bains, de salons de massage, de bars d'effeuilleuses—et d'agences d'effeuilleuses, je suppose—, j'ai l'impression que les gens veulent en dresser un portrait optimiste et faire croire que tout y est propre et ordonné, alors que dans les faits, nous avons entendu le témoignage d'une femme qui s'est présentée comme une militante, une femme d'affaires dirigeant un service d'escorte, et une madame. D'après son témoignage, son travail se borne à exploiter un groupe de jeunes filles qu'elle a dans son écurie, et ce à hauteur de 50 p. 100 de ce que chacune gagne. Ce n'est pas exactement ce que j'appellerais une attitude qui n'est pas fondée sur l'exploitation des femmes. En fait, toute cette activité est davantage camouflée, et pourtant, elle continue d'exister.
Pouvez-vous me dire, vous qui représentez l'Association canadienne des chefs de police et qui avez manifestement eu des discussions à ce sujet auparavant, dans quelle mesure, ces dernières années, les forces de l'ordre ont eu dans leur mire les services d'escorte, les bains, les salons de massage et les bars d'effeuilleuses? Que découvrez-vous lorsque vous y allez?
Sgt é.-m. Terry Welsch: À Ottawa, toute intervention de notre part se fait à la suite de plaintes. D'après notre expérience, on constate de nombreuses violations liées à la présence de drogues, d'armes et, évidemment, d'activités de prostitution dans les clubs d'effeuilleuses.
Pour ce qui est des services d'escorte, il est très difficile de faire enquête; c'est le moins qu'on puisse dire. Comme vous l'avez mentionné, nous avons affaire à un individu qui travaille au téléphone et dont la ligne est reliée à 10 ou 12 autres. Le temps que nous puissions retracer ces lignes, on se retrouve dans des collectivités bien loin de la nôtre. Par conséquent, il est très difficile de faire enquête sur une agence d'escorte de nos jours.
Richard a peut-être des connaissances directes concernant cet aspect en particulier, mais je peux vous dire qu'en ce qui concerne les clubs d'effeuilleuses qui existent dans notre communauté—qui sont au nombre de sept—, ils abritent un volet prostitution dans ce qu'ils appellent les « pièces champagne », soit les petits cubicules adjacents au rez-de-chaussée. En marge du spectacle de danse, les danseuses sont invitées, pour une certaine somme, à l'arrière, dans une petite pièce où il se passe des choses hors de la vue du propriétaire. Mais en fait, ces activités sont dirigées et encadrées par le propriétaire et son personnel. Il ne fait aucun doute que cela se produit.
En outre, les criminels qui participent à cette activité font généralement des affaires dans ce milieu. C'est ainsi que ces locaux sont le théâtre de trafic de drogue et d'ailleurs, nous y avons trouvé des armes diverses à l'occasion de certains de nos raids.
¼ (1830)
M. Art Hanger: Une prolifération du crime, autrement dit.
Vous n'avez pas vraiment parlé des salons de massage. Les agences ou les services d'escorte et les salons de massage et peut-être, dans une certaine mesure, les bains gais... Si l'on supprime toute disposition législative réglementant les maisons de débauche... Je sais qu'aucun des établissements dont je viens de parler n'ouvre la porte à la prostitution ou à l'offre de services sexuels pour de l'argent, en tout cas je le suppose, lorsque ces établissements ont un permis d'exploitation. Si je ne m'abuse, dans ces établissements titulaires d'un permis, qu'il s'agisse d'un salons de massage ou d'un service d'escorte, la prostitution n'est pas autorisée.
Sgt é.-m. Terry Welsch: Je dirais que c'est une fausse appellation.
M. Art Hanger: C'est permis?
Sgt é.-m. Terry Welsch: Tout à fait. La plupart des salons de massage que j'ai vus sous enquête fonctionnent en vertu de la prémisse suivante : on invite le client à entrer sous prétexte de lui offrir un massage—c'est d'ailleurs ce qui figure sur l'enseigne—, mais une fois à l'intérieur, on lui offre d'autres services et le client peut choisir ce qu'il veut.
Dans certains commerces de façade sur lesquels j'ai enquêté, c'est la raison d'être de l'établissement. À strictement parler, on retire le commerce du sexe de la rue et on l'installe dans un environnement contrôlé. Pour notre part, nous faisons appel au centre régional de santé pour régler les problèmes d'hygiène... Ces établissements obtiennent un permis municipal, mais encore là, il est très difficile, sauf en cas de plainte de la part d'un client, de s'attaquer à ce type d'activité.
M. Art Hanger: Et les enfants? Combien d'enfants sont mis à contribution dans ces établissements? Avez-vous une idée? Il y en a, je le sais.
Sgt é.-m. Terry Welsh: En tant que fournisseurs de services, il y en a quelques-uns. D'après mon expérience, même si j'ai déjà vu des adolescentes très jeunes dans les salons de massage, de façon générale, ces personnes ont une carte d'identité prouvant qu'elles ont au moins 18 ans.
Le président: Merci, monsieur Hanger.
Monsieur Ménard, je vous prie. Trois minutes.
[Français]
M. Réal Ménard: Si vous le permettez, monsieur Dugal, poursuivons notre échange.
J'ai une question hautement hypothétique et spéculative à l'instant où l'on se parle. Supposons que le comité propose un régime public de maisons closes qui accorde des permis et qui établisse des conditions d'octroi qui nous mettent à l'abri de la prostitution en milieu résidentiel. Sortir la prostitution du milieu résidentiel est d'ailleurs l'objectif que je poursuis. Vous dites qu'il serait difficile d'atteindre ce but parce que certaines filles seraient exclues par les tenanciers ou ne voudraient pas participer à ce régime public. Certaines filles — ou certains garçons, je ne veux pas faire de discrimination — sont à l'aise dans une forme de marginalité.
En ce moment, la sollicitation est interdite, mais les filles s'y adonnent quand même. J'ai de la difficulté à comprendre en quoi le statu quo nous permet davantage d'atteindre nos objectifs, c'est-à-dire la sécurité des filles et la paix dans les communautés.
Dans le centre-sud de Montréal, dans Hochelaga-Maisonneuve, il s'en est fallu de peu pour que les citoyens ne prennent des bâtons de baseball pour tabasser des filles. Vous avez sûrement vu cela aux nouvelles. On me dit que dans certains coins d'Ottawa, la tension a été très forte.
En quoi le statu quo nous permet-il d'atteindre les objectifs de sécurité des filles et de paix dans les communautés?
Sgt é.-m. Richard Dugal: Je vais vous faire part de mon opinion personnelle. La sécurité, ou le manque de sécurité, des travailleurs du sexe relève sûrement plus de leur style de vie que de l'application de la loi. C'est un style de vie où l'estime de soi est très diminuée, où l'on rencontre des problèmes d'hygiène personnelle, où des gens sont très hypothéqués psychologiquement de par leur intégration à ce milieu. C'est surtout cela qui cause des problèmes de sécurité.
Malheureusement, comme vous le savez, la communication dans les lieux publics demeure un problème pour la communauté, et ce problème va perdurer. En effet, certaines personnes ne pourront pas travailler dans un milieu contrôlé. Prenons le modèle idéal de la prostituée ou du travailleur du sexe qui déciderait de façon adulte et consentante d'exercer ce métier. Selon mon expérience, ceux qui veulent continuer à travailler dans ce milieu de plein gré constituent une minorité. Il est possible que quelques personnes pourraient aller travailler dans un milieu structuré ou régi par la loi, mais je ne pense pas m'avancer trop loin en affirmant que la vaste majorité d'entre elles continueraient d'avoir des problèmes de comportement qui affectent les communautés, les districts et le voisinage. Les gens vont continuer.
¼ (1835)
M. Réal Ménard: Parlons de l'article 213. Vous favorisez le statu quo. Vous souhaiteriez qu'on ne bouge pas, du moins vous ne souhaitez pas que l'on abolisse cet article.
Tout à l'heure, M. Welsh disait qu'on peut intervenir d'une façon réparatrice ou réhabilitante. Cette philosophie est intéressante. Par contre, on commencera à voir les travailleuses du sexe dans les rues en avril, en mai, en juin, en juillet et en août. Les gens viendront s'en plaindre à mon bureau. Je ne vois pas quel outil offre le Code criminel pour rétablir la paix dans les communautés.
Sgt é.-m. Richard Dugal: J'aimerais revenir à la sécurité des filles. Je pense que la meilleure forme de prévention à cet égard demeure un changement au style de vie relié à cette profession. Pour ce faire, il faut disposer d'outils qui se trouvent probablement à l'extérieur du système judiciaire. On parle d'interventions sociales, de ressources offertes par des agences sociales qui peuvent avoir un impact lorsqu'une personne souhaite un changement dans sa vie.
D'autre part, la loi ne peut éliminer la prostitution comme telle, mais elle nous donne la possibilité de diminuer le niveau d'activité néfaste dans une communauté donnée. Bien sûr, cet effet est temporaire et s'estompera un peu avec le temps. C'est pourquoi on peut revenir à la charge et faire d'autres interventions.
De plus, la loi sur la communication cible non seulement les travailleurs du sexe, mais aussi les clients, ce qui permet d'en réduire le nombre. Si les interventions policières se basent là-dessus, on peut jouer un rôle important, à tout le moins aider à diminuer le niveau d'activité néfaste reliée à la sollicitation dans la rue.
M. Réal Ménard: À Ottawa, combien y a-t-il de travailleuses du sexe connues?
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Ménard.
Madame Davies.
Mme Libby Davies: Vous venez de dire quelque chose de très important, soit que la sécurité relève davantage du mode de vie que de l'exécution de la loi, ce qui nous ramène à la question de la consommation de drogues. À mon avis, une part du problème tient au fait que les consommateurs de drogues sont déjà dans l'illégalité; ils font déjà partie d'un milieu criminalisé et c'est ensuite que s'ajoute la prostitution.
Je suis d'accord avec vous, mais je me demande pourquoi vous ne mettez pas davantage l'accent sur l'aspect santé de la toxicomanie, au lieu de poursuivre les toxicomanes ou de menacer de les poursuivre ou encore de les chasser d'un quartier à un autre. Tout cela semble tellement futile—en fait, plus que futile. Je représente la circonscription de Vancouver-Est, où l'on retrouve de nombreux cadavres, et finalement, j'en suis arrivée à la conclusion que la législation joue un rôle à cet égard. Ce n'est pas la seule chose. Voilà pourquoi je souscris à vos propos.
J'ai de sérieuses questions au sujet du statu quo. Nous devrions nous attacher à minimiser les risques et à améliorer la sécurité, et l'exécution de la loi n'est pas nécessairement l'instrument de choix pour le faire. Je pense que l'intervention des forces du maintien de l'ordre a sa place, mais je me demande si c'est l'outil privilégié compte tenu de la situation à laquelle nous sommes confrontés à l'heure actuelle.
Je ne sais pas si vous voulez répondre à mon commentaire.
¼ (1840)
M. Vincent Westwick: Il ne faudrait pas conclure de notre témoignage de ce soir que nous appuyons le statu quo. Contrairement à nos habitudes, nous n'avons pas fait de recommandations précises au comité. Nous avons évité de le faire et ce, je le réitère encore une fois, parce qu'il n'y a pas de consensus dans les milieux policiers sur ce sujet.
Il y a, au sein de la police, une grande frustration pour les raisons que vous avez évoquées, madame Davies, mais ce que nous voulons essayer de vous faire comprendre, c'est que ce problème n'est pas uniquement de nature criminelle. Ce n'est pas un problème d'interdiction, un problème de prohibition, un problème lié à la volonté de faire cesser certains comportements. Dans notre mémoire et dans nos interventions, nous avons voulu suggérer que le problème est beaucoup plus vaste. Il met en cause des « modes de vie », et ce terme n'englobe pas uniquement la consommation de drogue, même si celle-ci y est étroitement associée. Comme l'a signalé le sergent, ce problème tient aussi à la personnalité, aux antécédents et aux épreuves qu'ont traversées un grand nombre de ces personnes et qui les ont amenées à se retrouver dans cette situation. Et nous sommes tout aussi inquiets, et peut-être plus inquiets de constater cette « tendance »—un terme que j'emploie avec une grande prudence puisque c'est peut-être une exagération—, qui montre que de très jeunes gens s'engagent maintenant dans cette activité.
Il y avait dans l'édition du Ottawa Citizen de ce matin un article sur des jeunes qui échangeaient des faveurs sexuelles contre des drogues à l'école. Il est indéniable que nous voyons des signes de ce phénomène.
S'agissant de ce sujet, nous ne sommes absolument pas dogmatiques. Nous avons vraiment du mal à le cerner.
Mme Libby Davies: Oui. Nous aussi.
Sdt pal Frank Ryder: Je voudrais faire une dernière observation au sujet des commentaires qu'on a entendus tout à l'heure concernant les 150 travailleurs du sexe connus à Montréal. Lorsque vous avez dit ça, je me suis demandé combien d'entre eux sont inconnus. Même si nous devions commencer à délivrer des permis et à les installer dans un cadre réglementé, combien de ces 150 travailleurs du sexe pratiquent-ils ce métier par choix? Combien continueraient d'être exploités? Voilà le genre de questions qui me passent par l'esprit.
Merci.
M. Brian Malone (gestionnaire, Politiques et planification, Association canadienne des chefs de police): J'aimerais apporter une précision. Plusieurs députés ont posé des questions au sujet de la délivrance de permis à ces établissements. À cet égard, il faut distinguer entre les activités qui ressortissent à la législation fédérale et celles qui ressortissent aux municipalités, par l'entremise des provinces.
Souvent, lorsque nos collègues ici présents ont parlé d'octroyer des permis à ces établissements, ils parlaient de permis relevant de l'urbanisme ou de l'aménagement du territoire en vertu d'un règlement municipal. D'après la jurisprudence au Canada, on ne peut interdire ce type d'activité. Il faut leur faire une place. En fait, il faut que ces locaux s'intègrent concrètement dans un quartier et ne soient pas relégués dans un parc industriel quelconque où l'on autoriserait la présence de clubs de danseuses exotiques.
C'est là la nature des permis en vigueur à l'heure actuelle et auxquels vous pensez sans doute. Cela ne s'applique pas spécifiquement aux problèmes que nous essayons de cibler en vertu du Code criminel, aux termes des lois sur le racolage.
Le président: Merci.
Je vais maintenant demander à nos attachés de recherche s'ils ont des questions.
Mme Laura Barnett (attaché de recherche auprès du comité): J'ai une question au sujet des moyens d'exécution car on entend constamment dire que les autorités policières n'ont pas les outils nécessaires pour assurer l'application efficace des lois existantes.
Quelles sont vos suggestions : quels outils d'exécution plus efficaces préconisez-vous, que ce soit sous l'égide de la législation fédérale ou autrement. En guise de solution, certaines provinces saisissent les voitures des clients. Que pensez-vous d'initiatives comme celle-là? Avez-vous des suggestions au sujet d'autres outils qui pourraient rendre l'exécution plus efficace?
Sgt é.-m. Terry Welsch: J'ai étudié certains de ces différents mécanismes, comme la saisie de véhicules, et ainsi de suite. À mon avis, c'est une approche possible face à la prostitution de rue. Si l'on se réfère aux commentaires du surintendant principal, vous verrez que l'identification est un gros problème. La loi sur la communication, plus précisément l'article 213, parle d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Si nous pouvions remplacer cela par une infraction mixte nous pourrions, en vertu de la disposition sur l'identification, établir clairement l'identité et l'âge de la personne concernée. De cette façon, nous n'encombrerions pas notre CIPC, la base de données qui contient tous les noms des personnes inculpées. Nous avons affaire à un réseau d'individus qui changent de nom comme ils changent de chemise. Ils déménagent dans une autre province et ils retournent sur la rue sous un autre nom.
Pour les forces du maintien de l'ordre, cela serait utile en ce sens que nous pourrions savoir sans l'ombre d'un doute à qui nous avons affaire. Nous n'aurions pas un nom fictif.
Le Code criminel et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents devraient interdire aux jeunes de 18 ans et moins de se livrer à la prostitution et de participer à toute activité liée à l'industrie du sexe. Cela nous aiderait énormément. J'ajouterais qu'un enfant qui a besoin de protection est un enfant qui a besoin de protection, qu'il habite Halifax ou Vancouver. Cette initiative nous aiderait certainement à confronter les problèmes que nous rencontrons concrètement dans la rue. Comme M. Hanger l'a souligné, ce sera toujours un problème complexe pour ce qui est des maisons closes et des salons de massage, mais au niveau de la rue, cela nous serait d'une grande aide.
¼ (1845)
[Français]
Mme Lyne Casavant (attachée de recherche auprès du comité): J'aimerais poser une question très courte. Si l'article 213 du Code criminel ne devait s'appliquer qu'aux clients, qu'aux acheteurs de services sexuels, les policiers canadiens disposeraient-ils des effectifs nécessaires pour l'appliquer afin de réellement réduire la demande, comme le modèle suédois le propose?
[Traduction]
Sgt é.-m. Terry Welsch: Malheureusement, je ne connais pas bien le modèle suédois.
En ce qui a trait à l'article 213 et à son volet communication, il est très ardu d'obtenir une déclaration de culpabilité par procédure sommaire à moins qu'un policier banalisé se charge de la communication ou recueille des preuves. Nous menons ce type d'opération à l'heure actuelle, mais je pense que s'il y avait un changement qui ciblait strictement le client, j'ignore quelles en seraient les conséquences quant à la preuve requise pour obtenir une déclaration de culpabilité.
Il faudrait que j'étudie la question avant de faire un commentaire.
Le président: Voilà qui met un terme à notre discussion ce soir. Merci beaucoup.
Ce sujet nous cause aussi des maux de tête et il est sans doute réconfortant de savoir que c'est la même chose pour vous. Mais vous allez sans doute nous aider à dégager un consensus au sujet de suggestions raisonnables pour modifier notre législation concernant la prostitution. Merci beaucoup d'être venus.
Nous allons lever la séance et ensuite passer rapidement à huis clos pour discuter quelques points relatifs à nos travaux futurs.
[Français]
M. Réal Ménard: Je veux faire un rappel au Règlement, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Oui, monsieur Ménard.
Pouvons-nous passer à huis clos?
[La séance se poursuit à huis clos.]