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Bienvenue, chers collègues.
[Traduction]
Je déclare ouverte la 14e réunion du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous sommes le jeudi 14 février 2008.
Aujourd’hui, nous poursuivons... je devrais dire plutôt reprenons notre étude sur l’Afghanistan.
Au cours de la première heure, nous entendrons, de la Conférence des associations de la défense, Paul Manson, président, et Alain Pellerin, directeur exécutif; et du
[Français]
Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, Marc André Boivin,
[Traduction]
directeur adjoint. Nous entendrons également, à titre personnel, Seddiq Weera, conseiller principal, Commission nationale indépendante sur le renforcement de la paix, et conseiller principal en matière de politiques, ministère de l’Éducation de la République islamique d’Afghanistan.
Au cours de notre seconde heure, nous entendrons – il est déjà présent parmi nous – le général à la retraite Lewis MacKenzie, qui comparaît à titre personnel, ainsi que Kamran Bokhari, directeur des analyses du Moyen-Orient, Strategic Forecasting Inc.
Nous vous souhaitons la bienvenue au comité et attendons avec intérêt votre témoignage. Je ne sais pas si vous avez tous déjà comparu devant notre comité dans le passé. Notre façon de procéder est assez simple. Nous commençons par vous écouter, après quoi, nous espérons que vous répondrez aux questions des membres du comité.
Monsieur Manson, vous avez environ sept minutes. Nous ferons ensuite notre premier tour de table.
Je vous remercie.
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Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant votre comité cet après-midi pour vous parler de l’Afghanistan.
Je suis président de l’Institut de la Conférence des associations de défense, qui est l’organe de recherche de la Conférence. Celle-ci est la plus ancienne des organisations de la défense du Canada, ayant été créée il y a 75 ans.
Je suis accompagné cet après-midi par mon collègue, le colonel Alain Pellerin qui, comme vous l’avez mentionné, est directeur exécutif de la Conférence des associations de défense.
Je voudrais vous présenter, dans les quelques minutes qui me sont accordées, plusieurs points concernant la mission canadienne en Afghanistan, qui revêtent une importance particulière, à mon avis, au stade critique actuel.
D’abord et avant tout, notre étude détaillée de la situation en Afghanistan au cours des cinq dernières années nous porte à croire que, contrairement au point de vue pessimiste que beaucoup ont au Canada aujourd’hui, les choses vont plutôt bien en Afghanistan. Bien sûr, il reste encore un long chemin à parcourir, mais le pays connaît quelques améliorations remarquables après les ravages causés par 30 ans de conflit.
Sur le front militaire, les talibans n’occupent pas du terrain comme ils le faisaient dans le milieu des années 1990. Ils étaient alors arrivés au pouvoir, après une brillante campagne militaire faisant suite au retrait des troupes soviétiques, qui avaient laissé un grand vide politique. Cette fois-ci, les forces talibanes ont essuyé de cuisantes défaites chaque fois qu’elles se sont trouvées en face de forces de la coalition. De ce fait, elles ont renoncé à toute forme d’opération militaire conventionnelle et ont maintenant recours, comme vous le savez bien, aux attentats-suicide, aux engins explosifs improvisés, aux assassinats et aux enlèvements. À mon sens, ce sont là des mesures désespérées qui ne leur assureront pas la victoire en Afghanistan et qui ne leur gagneront pas non plus le cœur de la population afghane.
Au chapitre du développement, qui est très important, la situation est également encourageante. Au niveau macroéconomique, le produit national brut de l’Afghanistan augmente à un rythme proche de celui de la Chine, même s’il a commencé vraiment très bas. L’éducation est en plein épanouissement partout dans le pays, des millions d’enfants allant maintenant à l’école, y compris des filles et des jeunes femmes qui n’avaient absolument pas accès à l’école sous les talibans. Il est intéressant de noter que ceux-ci ont incendié des centaines d’écoles et tué les enseignants qui osent accepter des filles dans leur classe. De toute évidence, les insurgés ont en abomination tout le système d’éducation. Pourtant, malgré leurs efforts de destruction, les progrès se poursuivent. Imaginez les effets à long terme de l’éducation sur la gouvernance du pays, le respect de la primauté du droit, l’industrie, la santé, l’infrastructure, les médias et les autres éléments d’une société en pleine évolution.
À ces premiers stades, les efforts de développement commencent à donner des résultats, surtout au niveau local, même dans la province de Kandahar, où les talibans font tout leur possible pour perturber les projets de développement.
On pourra déterminer l’efficacité de l’aide à l’Afghanistan à la mesure dans laquelle les entreprises locales seront libres de se développer et d’offrir les avantages d’une économie de marché à tous les citoyens, et surtout à ceux qui vivent à l’extérieur des zones urbaines relativement protégées. Dans ce domaine aussi, il reste un long chemin à parcourir, mais les premiers résultats sont déjà évidents.
Je ne veux pas brosser un tableau trop optimiste, mais, avant d’aborder quelques-uns des grands problèmes qu’il faut affronter, il importe de savoir ce que pensent les Afghans eux-mêmes. Les sondages récents indiquent qu’environ 85 p. 100 de la population du pays appuie la présence des forces de la coalition et que plus de 90 p. 100 des gens sont opposés au retour des talibans au pouvoir.
Les troupes canadiennes opèrent en Afghanistan sous mandat des Nations Unies, dans le cadre d’une coalition formant la Force internationale d’assistance à la sécurité, qui a été établie sous les auspices de l’OTAN. Les Afghans disent qu’ils veulent que les forces du Canada et de ses 35 alliés restent chez eux parce qu’ils en ont besoin.
Bien sûr, cette énorme entreprise internationale pose des problèmes. Certains d’entre eux sont très difficiles et particulièrement évidents ces jours-ci. Voici les principaux problèmes, tels que nous les voyons. D’abord et avant tout, il y a la menace à la sécurité que représentent les insurgés, qu’on appelle couramment les talibans. Ce sont de dangereux meurtriers qui ne souscrivent en aucune façon aux conventions de Genève ou au droit humanitaire international. Ils ont donc un avantage tactique énorme sur nos soldats. N’ayant pas d’uniforme, ils se cachent parmi les civils, se servent d’objets piégés et n’hésitent pas à faire subir les pires brutalités à leur propre peuple. Pourtant, comme je l’ai signalé, ils ne sont pas en train de gagner.
Deuxièmement, il y a le problème de l’industrie massive des stupéfiants, dont les profits alimentent les chefs du réseau de la drogue, les chefs de guerre et les talibans eux-mêmes. Il ne sera possible d’éliminer ce fléau que lorsque le gouvernement central aura fortement affirmé son autorité dans les régions de culture du pavot, qui se trouvent presque exclusivement dans les provinces du sud de l’Afghanistan.
Troisièmement, il y a le problème de la corruption, qui est étroitement lié à celui de la drogue. Bien entendu, le phénomène n’a rien de nouveau dans la région, mais les énormes profits tirés du marché de l’héroïne ont étendu la culture de la corruption à tous les niveaux de gouvernement. Il est indispensable de remédier à cette situation.
Ensuite, le Pakistan commence à constituer une source de difficultés dans la lutte contre les talibans, pour des raisons bien connues dont les médias parlent tous les jours à ce stade critique du conflit.
Enfin – et cela nous ramène au Canada –, il y a la question politique qui se pose au sujet de l’avenir de la mission canadienne. Le rapport Manley a présenté aux Canadiens un excellent résumé de la situation en Afghanistan et a proposé ce qui constitue, pour moi, un moyen raisonnable d’envisager l’intervention du Canada dans ce pays.
J’aimerais aborder ici deux points simples mais importants, que vous voudrez bien, je l’espère, considérer dans vos délibérations.
À mon avis, ce serait une erreur désastreuse pour le Canada de fixer une date à laquelle il mettrait fin à sa mission militaire, car cela reviendrait à offrir aux talibans la victoire sur un plateau. À moins que d’autres pays membres de l’OTAN ne soient disposés à remplir le grand vide que laisserait le Canada à Kandahar, ce qui semble improbable, ce territoire vital – et j’insiste sur ce qualificatif de vital – serait perdu, ce qui pourrait avoir des conséquences militaires, politiques et psychologiques très graves. Vous pouvez en outre imaginer l’impact qu’une telle mesure aurait sur notre réputation internationale. Aujourd’hui chef de file admiré, le Canada serait perçu comme le pays qui a amorcé le virage négatif dans le combat pour le rétablissement de l’Afghanistan.
Pour moi, la solution politique est simple : établir un nouveau mandat allant jusqu’en 2011 ou 2012 et permettre au gouvernement qui sera alors au pouvoir d’examiner la situation avant de décider de l’étape suivante. Personne – je dis bien personne – ne peut prédire ce que sera la situation dans deux, trois ou quatre ans d’ici.
Enfin, monsieur le président et membres du comité, l’appel lancé en faveur d’une limitation du rôle militaire du Canada à la formation ou à l’autodéfense, sans mandat de recherche et de destruction, est très troublant. Sur le plan militaire, c’est insensé. Pis encore, une telle mesure placerait nos troupes dans une situation impossible. Les règles d’engagement seraient tellement complexes et tellement contraignantes qu’elles ne permettraient aucune opération efficace et exposeraient probablement nos soldats à de plus grands risques. De plus, il est naïf de penser que les troupes canadiennes peuvent former les soldats de l’armée afghane dans le confort et la sécurité d’une garnison, puis les laisser aller tous seuls sur le terrain. Cela ne peut pas marcher de cette façon. Les opérations conjointes, y compris les opérations de combat, sont essentielles pour que l'entraînement soit efficace.
Monsieur le président et membres du comité, j’aurais tant d’autres choses à dire sur ce sujet aussi compliqué que délicat. Je n’ai même pas abordé les répercussions d’un retrait des troupes canadiennes sur la sécurité nationale du Canada. Toutefois, mon temps de parole de sept minutes étant écoulé, je vais m’arrêter là et dire que le colonel Pellerin et moi sommes disposés à répondre à vos questions.
Je vous remercie.
Je m'appelle Marc André Boivin et je suis directeur adjoint du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix. J'ai eu l'occasion par le passé d'aller en Afghanistan. À titre personnel, j'ai mené des entrevues, notamment auprès de gens de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan, de l'OTAN et de l'organisme Operation Enduring Freedom. Je suis allé aussi, à l'invitation de l'OTAN, faire une tournée qui m'a amené à Islamabad, Herat, Kaboul, Kandahar et Mazari Sharif. J'ai pu voir un peu les deux côtés de la médaille, à savoir le côté civil et le côté militaire.
Pour les fins de la discussion d'aujourd'hui, j'entends me concentrer sur le rôle du Canada en Afghanistan, même s'il y aurait beaucoup d'autres choses à dire.
[Traduction]
En 2007, l’Afghanistan se classait 174e sur 178 pays au titre de l’indice de développement humain publié par les Nations Unies. La misère du peuple afghan justifie en soi l’intervention du Canada, mais ce facteur ne suffit pas pour expliquer le niveau des ressources attribuées à ce pays. Après tout, beaucoup d’autres pays figurant au bas de cette liste ont aussi des besoins criants.
Les raisons profondes de l’intervention du Canada en Afghanistan remontent aux attentats du 11 septembre 2001. Il est facile de condamner aujourd’hui, après coup, la réaction désastreuse du gouvernement de George W. Bush, mais il y a eu à cette époque un véritable tollé international face à la violence aussi extrême qu’aveugle du terrorisme international. En même temps, des pressions s’étaient exercées sur les alliés des États-Unis pour qu’ils manifestent ouvertement leur solidarité dans cette période d’agitation.
Le Canada a été profondément touché par les événements survenus aux États-Unis. Les deux pays sont liés par une forme de symbiose inconfortable, dans laquelle le maintien de la bonne volonté des Américains est de loin plus important pour le Canada que l’inverse. L’appareil gouvernemental de chacun des deux pays est très lié à celui de l’autre, surtout en ce qui concerne les questions de sécurité. Cela signifie qu’à l’occasion, les pressions américaines sur le gouvernement du Canada peuvent être exercées non seulement par les voies traditionnelles, mais aussi d’une façon directe auprès des fonctionnaires canadiens.
Dans un rapport sur l’action des insurgés dans le sud de l’Afghanistan, publié en novembre 2006, l’International Crisis Group a écrit ce qui suit :
En fait, la présence de troupes en Afghanistan semble souvent constituer une manifestation de l’alliance avec les États-Unis plutôt qu’une intervention destinée à répondre aux besoins du pays.
Cela est certainement vrai lorsqu’on considère les motifs de l’engagement de haut niveau que le Canada a maintenu en Afghanistan.
Un second motif a progressivement revêtu une importance croissante : le besoin pour le gouvernement du Canada de rehausser son profil international. Malgré ses déclarations fracassantes, les réalisations du Canada sont pour le moins inégales pour ce qui est son rôle dans la gestion des conflits. Même si les responsables canadiens affirment qu’ils assument une part indue du fardeau actuel en Afghanistan, de nombreux pays se sont plaints du Canada, pendant la plus grande partie de la guerre froide, le traitant de resquilleur et estimant qu’il ne remplissait pas ses engagements envers ses alliés de l’OTAN quant à la défense de l’Europe occidentale. Après la chute du mur de Berlin, la situation s’est encore aggravée par suite des réductions considérables que le gouvernement a imposées sur les dépenses de la Défense nationale, des Affaires étrangères et de l’ACDI.
Vers la fin des années 1990, la participation du Canada aux missions de gestion des crises portait essentiellement sur l’ex-Yougoslavie. Même sa modeste contribution imposait alors de graves contraintes aux militaires. Les attentats terroristes de septembre 2001 ont constitué la sonnette d’alarme qui a rappelé au Canada l’importance des problèmes de sécurité internationale. Le Canada voulait que son rôle soit reconnu. Il a donc accru sensiblement ses dépenses militaires en insistant particulièrement sur les capacités expéditionnaires. De plus, les Affaires étrangères ont bénéficié d’une attention particulière au cabinet du premier ministre.
Même s’ils n’ont presque pas participé aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies depuis le milieu des années 1990, les Canadiens ont encore d’eux-mêmes une image mythique de gardiens de la paix et d’intermédiaires honnêtes auxquels les autres recourent pour négocier des accords de paix. Les gouvernements successifs ont exploité cette image pour vendre leur politique étrangère, la transformant dans une certaine mesure en un slogan politique auquel ils finissaient par croire eux-mêmes.
Le Canada avait besoin de retrouver sa réputation internationale et a choisi le maintien de la paix comme moyens d’y parvenir. L’Afghanistan devait constituer le terrain d’essai de ce renouveau.
[Français]
Je reviens sur les raisons fondamentales qui sous-tendent la durée et l'intensité de notre engagement en Afghanistan, car celles-ci devraient servir de véritables points de référence à toute réflexion sur le passé, le présent et l'avenir de la présence canadienne en Afghanistan. Or, force est de reconnaître que le gouvernement a fait bien peu d'efforts sincères pour expliquer les motivations qui sont à la base de son engagement, lourd de conséquences, en Afghanistan. La répétition ad nauseam d'une série de réalisations et le portrait sans nuance du rôle positif du Canada en Afghanistan peuvent être interprétés comme un aveuglement frisant l'ignorance ou, pis encore, un mépris latent à l'égard de la capacité de jugement du public canadien. Espérons que la franchise du bilan effectué dans le cadre du rapport Manley ouvre un nouveau chapitre en ce sens.
Par ailleurs, dans les débats houleux suscités par un Parlement divisé et une opinion publique de plus en plus sceptique, il est facile d'oublier ces objectifs fondamentaux. Or, la détérioration de la situation en Afghanistan et les vives tensions entre les partenaires du Canada les menacent directement. Si l'on prend un peu de recul et que l'on évalue, après un peu plus de six ans, les retombées de l'intervention canadienne en Afghanistan, on constate qu'il y a des avancées et des reculs.
Pour ce qui est des avancées, le Canada a certainement obtenu de la part des États-Unis une certaine reconnaissance pour l'ampleur de son engagement, mais aussi pour sa capacité d'encaisser sans broncher des coups durs à Kandahar. Ceci est d'autant plus vrai à la suite de la leçon d'humilité reçue par les Américains en Irak. Les Forces canadiennes sont certainement perçues comme plus sérieuses, et la voix du Canada comptera lorsqu'il sera question d'interventions dans des situations de crise. En contrepartie, ceci expose le gouvernement à plus de pressions internationales. Le Canada dispose maintenant d'un outil militaire plus crédible; reste à déterminer ce qu'il veut en faire.
La nomination du général Hillier à la tête des Forces canadiennes venait avec un plan de réforme ambitieux. Le plan vise à passer d'une structure adaptée à la guerre froide à une structure plus flexible correspondant aux crises ponctuelles de l'après-guerre froide. Les investissements majeurs accompagnant ces réformes ont permis au gouvernement de se doter d'un outil militaire maximisant le poids du Canada sur la scène internationale, un acquis dont les retombées dépassent l'engagement du Canada en Afghanistan.
Par contre, en parallèle, les coûts de cet engagement dans une des zones les plus difficiles au monde ont sérieusement mis sous pression les Forces canadiennes. Aujourd'hui, plus de 85 p. 100 des troupes à l'étranger sont affectées à l'Afghanistan. Les signes d'usure comme le recours accru aux réservistes, la hausse du nombre de blessés physiques et psychologiques, et le début d'une troisième rotation pour certains contingents devraient inciter les dirigeants canadiens à une certaine réserve.
En ce qui a trait aux reculs, l'évolution de l'intervention canadienne en Afghanistan s'est largement faite au rythme d'un projet dominé par le pilier défense. Tout le monde s'entend aujourd'hui pour dire qu'il n'y a pas de solution militaire aux problèmes de l'Afghanistan. Or, la présence canadienne sur le terrain reste à ce jour dominée par son volet militaire.
Des avancées ont été effectuées avec, tout récemment, la mise sur pied d'un organe coordonnateur relevant directement du premier ministre. Il est troublant de constater à quel point la prééminence du pouvoir civil sur l'appareil militaire a été compromise lors de décisions clés sur la mission canadienne en Afghanistan. Le gouvernement a certainement le devoir de faire preuve de plus de vigilance et de s'assurer que les priorités de sa politique étrangère sont reflétées dans les déploiements de troupes à l'étranger.
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D’accord, je vais passer directement aux recommandations.
[Français]
Il s'agit maintenant de trouver un juste équilibre pour réaliser ces objectifs et tenter d'améliorer le sort des Afghans.
Si je dois m'en tenir à des recommandations essentielles, je dirai qu'il s'agit premièrement pour le Canada de s'assurer d'obtenir à Kandahar un appui militaire significatif de la part d'un ou plusieurs autres pays. Je pense que des choses se font déjà en ce sens, à l'heure actuelle.
Deuxièmement, il faut prévoir une réduction graduelle des troupes canadiennes en Afghanistan pour atteindre un niveau soutenable et permettre au gouvernement canadien de disposer d'une réserve pour d'autres crises ou besoins.
Troisièmement, il faut rééquilibrer les efforts au profit des piliers diplomatie et développement.
Quatrièmement, il faut s'assurer de la prééminence du pouvoir civil sur l'appareil militaire. Comme je l'ai déjà dit, des mesures ont déjà été prises en ce sens.
Cinquièmement, il faut faire preuve de transparence et fournir des informations pertinentes et complètes au public canadien.
Sixièmement, il faut prévoir une disposition imposant au gouvernement la tenue de débats à la Chambre dans le cas de tout déploiement significatif de troupes à l'étranger.
Septièmement, sur la scène internationale, il faut exiger du gouvernement afghan qu'il remplisse ses obligations en termes de droits de la personne, de liberté de la presse et de liberté d'association, et qu'il assume pleinement ses responsabilités envers sa population.
Huitièmement, il faut soutenir la nomination d'un haut responsable international couvrant à la fois les missions de l'ONU et de l'OTAN.
Neuvièmement, il faut faire des pressions pour que la mission des Nations Unies en Afghanistan assume clairement le leadership des efforts internationaux, restaurant ainsi la préséance d'une direction politique plutôt que militaire.
Finalement, il faut s'assurer auprès des autorités américaines que les activités antiterroristes ne nuisent pas aux autres missions en Afghanistan.
Honorables membres du comité, je vous suis reconnaissant de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de mes observations et des résultats de mes recherches sur l’Afghanistan. Je suis né en Afghanistan. C’est là que j’ai vécu, que j’ai fait mes études, que j’ai travaillé. Je vis maintenant à Burlington, mais j’ai encore un emploi en Afghanistan, que j’occupe depuis six ans, auprès du gouvernement afghan.
Mes observations ne reflètent pas la position du gouvernement de l’Afghanistan. Elles découlent plutôt de mes relations avec le mouvement pour la paix, de ma carrière à l’Université McMaster ainsi que des négociations et des entretiens que j’ai eus avec des membres et des partisans des talibans, avec Hekmatyar, des chefs politiques et un réseau de personnes ayant accès à des membres du Cabinet, y compris le président de l’Afghanistan.
Je voudrais commencer par dire que la guerre en Afghanistan ne peut pas être gagnée en l’absence d’une action politique ou d’une action pour la paix. Pourquoi? Parce que le conflit comporte une importante composante politique, qui ne peut pas être exclusivement réglée par la guerre. La composante politique comprend au moins deux dimensions: la guerre civile dont les résultats restent incertains et l’aspect régional du conflit.
Je voudrais maintenant revenir à la situation d’avant le 11 septembre 2001. En Afghanistan, il y avait alors une guerre civile qui durait depuis neuf ans et un conflit de cinq ans entre les talibans et l’Alliance du Nord. Ces parties et factions n’étaient pas très aimées du public, qui les considérait comme des mouvements ratés, comme gouvernement, comme partis ou comme groupes.
Dans la guerre civile, les deux parties ont commis des crimes contre l’humanité et ont violé les droits de la personne. À l’époque, il n’y avait ni al-Qaïda ni guerre contre le terrorisme. Il y avait seulement deux parties qui s’entretuaient. Cette situation a donné lieu à une grave fragmentation politique. Plus tard, le conflit a revêtu des aspects essentiellement ethniques. Au départ, l’ethnicité n’était pas vraiment un facteur, mais la composition des groupes en présence s’est de plus en plus fondée sur l’ethnie.
Mes observations tiennent compte du gouvernement et de la politique qui l’entoure. La guerre civile fait obstacle à la réforme de la gouvernance et de l’administration publique. Une bonne gouvernance est impossible à réaliser tant que le conflit dure. Il y a un côté gagnant et un côté perdant: le côté gagnant se trouve au gouvernement et dans son entourage; le côté perdant, lui, s’était affilié à al-Qaïda en 1996 et combat encore le gouvernement.
Ceux qui combattent le gouvernement et ses alliés internationaux ne sont pas tous des terroristes. Il y a parmi eux des centaines qui ne partagent pas les objectifs et la vision d’al-Qaïda et du terrorisme international. Il y a des doléances nationales. Certains croient qu’ils sont traités injustement, qu’ils ont été exclus de l’accord et du processus de paix de Bonn. Ils estiment que leurs ennemis ont gagné et sont appuyés par la communauté internationale. Ils ne sont pas traités comme des citoyens du pays et sont victimes de discrimination à cause de leur identité.
Je voudrais maintenant passer aux observations du rapport Manley, qui constitue un travail remarquable. Le rapport met en évidence énormément de questions et formule des recommandations au sujet des efforts diplomatiques à déployer.
Je voudrais rappeler à tout le monde que la guerre en Afghanistan ne s’arrêtera pas parce qu’il manque un millier de soldats, qu’il y a moins de coordination entre les forces alliées ou qu’on dispose de trop peu d’hélicoptères. La guerre se poursuit à cause de tout un éventail de facteurs déterminants, dont un facteur important que nous avons négligé. Il est bon de lutter contre la pauvreté, de faire des investissements et de répondre aux besoins de base des gens. Il est bon de favoriser le développement et d’améliorer la gouvernance. Toutefois, à défaut d’une action politique, la guerre ne sera pas gagnée. Pourquoi? Parce que les forces de la coalition se battent contre des citoyens afghans contrôlés par les terroristes d’al-Qaïda.
En se limitant à une action militaire, nous assurons probablement de plus en plus de nouvelles recrues pour al-Qaïda. Nous renforçons probablement al-Qaïda en ne nous attaquant pas aux partisans des talibans et de Hekmatyar et en n'essayant pas de nous rapprocher de ceux qui ne sont pas des terroristes et qui s’intéressent aux négociations de paix. Il n’y a aucun mécanisme permettant d’engager des négociations de paix. Quels sont les problèmes? Quels problèmes pouvons-nous résoudre sans compromettre les valeurs établies et les réalisations faites?
Pour ce qui est la dimension régionale, les parties qui s’affrontent dans la guerre civile obtiennent de l’aide du Pakistan, de l’Inde, de l’Iran, de la Russie et des pays arabes. Cette guerre par personnes interposées qui se déroule en Afghanistan influe encore sur la dynamique de la région. Le Pakistan, l’Inde et l’Iran ont des préoccupations légitimes, mais il n’existe actuellement aucun mécanisme permettant de s’en occuper. Il n’y a aucun moyen, aucun dialogue, aucun processus, aucune équipe, aucun mandat des Nations Unies visant à créer un processus de paix pour rallier ceux qui ne sont pas des terroristes.
Qu’est-ce que j’entends par processus de paix? Tout d’abord, vous savez peut-être que les Nations Unies n’ont pas donné un mandat permettant de travailler en faveur de la paix en Afghanistan. Le mandat des Nations Unies ne favorise pas la guerre, mais il ne favorise pas non plus des négociations ou un processus de paix. L’Afghanistan a besoin de dialogues à des niveaux multiples avec ceux qui s’intéressent à la paix, qui n’ont pas de visées terroristes et qui ne sont pas liés à al-Qaïda afin de les intégrer dans le système politique.
Ne perdons pas de vue que nous avons intégré la moitié de l’une des parties à la guerre civile dans le processus de Bonn en 2001-2002. Ces gens étaient aussi bons ou mauvais que les talibans ou que Hekmatyar en matière d’idéologie et d’islamisme. Je peux citer en exemple Sayaf et Rabani, qui ont été intégrés dans le système politique avec de bons résultats. Ils discutent très énergiquement au sein de leur parlement au lieu d’échanger des coups de feu dans les montagnes. Nous pouvons supposer, sans trop craindre de nous tromper, que l’intégration des autres produira d’aussi bons résultats. Par conséquent, l’un des niveaux du dialogue doit viser l’intégration.
L’autre niveau de dialogue doit avoir pour but de réconcilier les parties à la guerre civile. Le côté gagnant déstabilise le gouvernement. Il le fera encore plus s’il a l’impression de perdre le monopole qu’il exerce sur le pouvoir parce qu’il sait une chose avec certitude: les talibans ne peuvent que gagner ou perdre. S’ils gagnent, ils remportent le tout; s’ils perdent, il ne leur reste plus rien. Par conséquent, le côté gagnant est aussi nerveux que le côté perdant. Les deux côtés se trouvent dans une situation inextricable: le côté gagnant doit rester au pouvoir, se tenir à l’écart de l’ennemi et saboter le processus de paix; le côté perdant doit combattre et obtenir des armes de n’importe qui, qu’il s’agisse d’al-Qaïda ou d’autres.
Le troisième niveau est lié à la dimension régionale. Nous n’avons aucun mécanisme autre que la coordination militaire entre l’Afghanistan, le Pakistan et l’OTAN.
Enfin, à défaut d’un processus politique, la guerre ne sera pas gagnée. Pourquoi? Parce que vous combattez contre des non-terroristes, contre des Afghans ordinaires du sud du pays. Ces Afghans estiment que leurs chefs de guerre et leurs criminels sont injustement traités. Ils peuvent voir que les chefs de guerre et les criminels de l’autre partie ont le rang de général ou occupent des postes élevés au gouvernement. Voilà pourquoi vous n’obtiendrez pas l’appui du public si vous cherchez à établir la paix et la stabilité. Et, à défaut de paix et de stabilité, comment peut-il y avoir du développement? À cause de la tension qui existe entre les deux parties, le côté gagnant utilise maintenant toute son énergie pour rester au pouvoir et survivre. Voilà pourquoi il sera impossible d’améliorer la gouvernance.
Mon dernier point est que le Canada peut prendre les devants pour établir un processus de paix, un processus politique pouvant aboutir à un règlement. Il pourrait être nécessaire à cette fin de réviser le mandat des Nations Unies en Afghanistan pour y ajouter un rôle de rétablissement de la paix. Il pourrait également être nécessaire de réviser la liste noire. En effet, des membres du gouvernement mériteraient d’y figurer. Il est nécessaire de traiter tout le monde d’une façon égale. Il faudrait donc songer à retirer temporairement de la liste noire les personnes qui s’intéressent à la recherche d’une solution politique.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, messieurs, d’être venus au comité.
Ayant visité l’Afghanistan, je suis absolument persuadé que nos troupes font un travail exceptionnel. Je voudrais formuler une observation et vous demander votre avis, compte tenu de ce que vous avez dit.
Le rapport Manley reconnaît, à la page 31, qu’« on ne pourra vaincre l’insurrection afghane, ni aucune insurrection d’ailleurs, au moyen de la seule force militaire ». Il examine la question d’un impact immédiat, de la reconstruction, d’une meilleure coordination, etc. et aboutit, à la page 40, à la conclusion suivante: « pour qu’elle réussisse, la campagne contre l’insurrection en Afghanistan doit pouvoir compter sur plus de troupes de la FIAS. »
Un rapport daté d’octobre 2007 du ministère de la Défense nationale, intitulé 3-D Soviet Style: A Presentation on Lessons Learned from the Soviet Experience in Afghanistan, présente deux observations intéressantes à la fin. Au chapitre des enseignements militaires à tirer de l’expérience soviétique en Afghanistan, le document dit que « la supériorité technique et les victoires militaires de l’Armée rouge n’ont pas pu se traduire par un succès stratégique ». L’autre observation est que la politique de réconciliation nationale – je me reporte ici à l’exposé du dernier témoin – « est plus susceptible de réussir que les opérations militaires ».
Je vous soumets ces observations.
Mes collègues ont également quelques commentaires à faire.
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Oui, je voudrais répondre à la question concernant la réconciliation entre les deux parties, dominées l’une par des Pachtous et l’autre, par des non-Pachtous.
Ce n’est pas une guerre ethnique, mais il se trouve que la majorité de chacune des deux parties est composée d’une ethnie particulière.
Si des tentatives de réconciliation étaient faites sans que la communauté internationale reconnaisse la nécessité d’un processus de paix, la personne ou l’équipe qui en prendrait l’initiative serait automatiquement étiquetée et risquerait la mort. Ainsi, si, étant du côté des talibans, vous essayez de parler aux gens du Nord, ils auront des soupçons. Si vous êtes le gouvernement et essayez de parler aux talibans, vous serez automatiquement étiqueté pro-taliban.
Il est nécessaire d’établir un mécanisme pour engager le processus de paix. Mais comment faire? Il y a beaucoup de problèmes. On pourrait commencer par un mécanisme des Nations Unies, par exemple. Qu’est-ce qu’on pourrait craindre alors? Quel préjudice avez-vous subi? Comment les deux parties peuvent-elles coexister sur la base des règles établies par le gouvernement?
J’ai eu des entretiens, à un niveau très bas, avec des responsables de l’Alliance du Nord. Ils ont des problèmes qui remontent à 250 ans, du temps où il y avait une famille royale pachtoue. Il y a des doléances et des histoires d’oppression de non-Pachtous par la famille royale. Il en a été de même dans les 30 dernières années: les talibans, Hekmatyar et leurs partisans parmi les Pachtous diraient également qu’il y a eu de l’injustice politique.
Je voudrais vous rapporter ce qu’un taliban de haut niveau m’a dit: Nous voulons revenir avec dignité. Je lui ai demandé ce qu’il entendait par là. Il a répondu: Nous étions membres du Cabinet; nous voulons donc avoir un rôle à jouer dans le gouvernement. Un autre a ajouté: Nous ne voulons pas figurer sur la liste des terroristes. S’il faut rendre des comptes, tout le monde, toutes les parties, tous les côtés devraient le faire. Un autre encore a dit: À notre retour, nous voulons de la sécurité, une présence politique et un parti politique.
Il serait possible de répondre à toutes ces demandes sans compromettre les réalisations faites jusqu’ici en Afghanistan.
:
Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs, d'être présents aujourd'hui.
Monsieur Manson, j'ai été un peu surprise d'entendre votre description de ce qui se passe actuellement. Vous nous dites que la situation s'est beaucoup améliorée. Or, j'ai vu une carte qui représentait la situation actuelle de l'Afghanistan. On pouvait y voir que partout en Afghanistan, les talibans étaient beaucoup plus dispersés qu'au début. J'ai donc été un peu surprise, d'autant plus que d'après vous, la guerre n'est pas la solution, on ne va pas réussir avec des moyens militaires. Quand vous parlez des troupes afghanes qui ne mènent plus une guerre traditionnelle mais souterraine, ça me fait davantage penser au Vietnam. Or, nous savons tous ce qui s'est passé au Vietnam.
Dans ces conditions, dites-moi comment vous voyez la « solution » envisagée par le gouvernement actuel, à savoir d'envoyer 1 000 soldats de plus. Si la situation ne peut pas être réglée militairement, comment cette initiative peut-t-elle changer quoi que ce soit?
Par ailleurs, vous avez dit — et corrigez-moi si j'ai mal compris — qu'il faudrait mener une guerre du type search and destroy. Il ne s'agit donc pas d'entraîner les soldats. Autrement dit, le Canada va être là-bas ad vitam aeternam.
J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
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Ce qu'il est important de comprendre, — et ça touche un peu à ce que le Dr Martin demandait — c'est quels sont les aspects de notre mission qu'on devrait modifier. Je crois qu'il faut comprendre en quoi consiste la mission en ce moment. Elle a changé beaucoup depuis une année. J'étais en Afghanistan l'an dernier et déjà une transition se faisait au sein de la mission militaire qui, essentiellement, devenait de plus en plus une mission d'entraînement des forces armées afghanes. Tout ça a commencé il y a environ un an, au mois de février, alors que le premier bataillon afghan est arrivé, qui n'était pas préparé au combat et qu'on a entraîné. À présent, il y a quatre bataillons afghans de 400 à 500 personnes, près de 3 000 Afghans.
Ce qu'il faut se rappeler, dans le cas d'une opération de contre-insurrection, c'est qu'il y a deux éléments importants : la patience et beaucoup de ce qu'on appelle boots on the ground. La patience nous mène éventuellement au succès et quand je parle de patience, je ne pense pas nécessairement à des opérations comme celle que vous avez citée, search and destroy, mais plutôt à des opérations où la priorité est la protection de la population. C'est ce que nos Forces canadiennes, du moins dans la région de Kandahar, font de plus en plus : on fournit une certaine sécurité, en particulier dans deux districts, le Panjwayi et le Zhari, qui n'existait pas il y a un an, pour différentes raisons. Une des raisons, c'est que maintenant il y a plus de forces afghanes sur le terrain. Par conséquent, lorsqu'on repousse les talibans, on peut occuper le terrain en permanence et assurer la sécurité à la population. Le but visé n'est pas nécessairement le search and destroy, mais c'est d'assurer que le périmètre de sécurité est élargi au fil des années, des mois. C'est ce qu'on fait depuis une année, mais ça prend de la patience et ça prend plus de forces sur le terrain, que ce soit des forces afghanes qui éventuellement seront capables de prendre la mission en main — et c'est le but visé : développer cette capacité — ou des forces canadiennes et d'autres alliés, ou les deux.
Finalement, les opérations de contre-insurrection, dans l'histoire, ont fonctionné. Qu'on pense à la Malaisie, par exemple, à l'Irlande du Nord. Mais en moyenne, ça a pris environ de 14 à 15 ans avant d'arriver à un succès. Il faut être patient. Ça ne veut pas nécessairement dire que nous serons sur le terrain 14 ou 15 ans. Éventuellement, les forces afghanes seront capables de prendre la relève. Déjà, elles font du bon travail sur le terrain. Finalement, il faut être patients. Il faut se rappeler que le but visé n'est pas nécessairement seulement de détruire des talibans, mais de fournir à la population une sécurité afin que les gens puissent poursuivre une vie normale.
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Je remercie tous les témoins d’être venus au comité aujourd’hui.
Alain et Paul voudront bien m’excuser si je ne leur pose aucune question, mais je voudrais entendre M. Weera, qui a tenu une conférence de presse et a parlé du processus de paix.
Monsieur Weera, vous avez mentionné à juste titre que l’Afghanistan était une terre déchirée par la guerre. Le pays avait peu d’institutions et presque pas d’institutions démocratiques. L’Afghanistan devait commencer à zéro. Lorsque la communauté internationale a commencé à intervenir, les progrès réalisés ont été lents, notamment au chapitre de l’édification d’institutions démocratiques et de l’établissement de la primauté du droit.
Vous avez présenté un excellent exposé. Vous avez dit que la moitié des groupes qui participaient aux combats se battent maintenant verbalement au Parlement. C’était l’objectif ultime de l’accord. C’est la raison pour laquelle le Canada est en Afghanistan. Le Canada n’est pas allé là pour participer à une guerre. Vous parlez constamment de guerre. Nous ne sommes pas en guerre. Nous ne sommes pas allés envahir l’Afghanistan. Il ne faut pas non plus s'attendre à ce que les nouvelles institutions fonctionnent parfaitement dès le départ.
Je vois que vous avez le titre de conseiller de la Commission sur le renforcement de la paix et de conseiller en politique auprès du gouvernement de l’Afghanistan. Vous avez donc la possibilité d’agir de la manière dont vous avez parlé. Vous comprenez que ce sont des processus essentiellement lents.
Comme vous pouvez le voir dans cette motion – ne vous inquiétez pas, nous arriverons à la modifier –, nous nous intéressons à ce que le Canada peut faire en Afghanistan. Nous avons 2 500 soldats sur le terrain. Ce n’est pas un contingent important, si on veut parler d’une guerre. Nous sommes là pour assurer la sécurité. À cet égard, l’aspect le plus important est de bâtir l’armée, la police et l’appareil judiciaire de l’Afghanistan pour qu’ils puissent prendre la relève. Les Afghans doivent prendre la relève.
Les Canadiens disent que nous assurons la sécurité. Nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes là, comme on l’a signalé, afin de donner aux Afghans la protection dont ils ont besoin pour bâtir eux-mêmes. Vous avez noté à juste titre qu’avec toutes les factions qui ont participé à la guerre, il est très difficile d’organiser des négociations. On ne peut pas discuter avec les talibans durs, mais il est possible de parler aux talibans modérés. L’ancien président a déjà publié une déclaration disant qu’il est disposé à parler. Je crois que tout cela représente des pas dans la bonne direction.
Nous voulons voir des progrès. Pouvez-vous nous dire si les progrès réalisés dans l’édification de l’Afghanistan se produisent lentement mais sûrement? Pouvez-vous nous confirmer que les fonds consacrés par le Canada aux efforts diplomatiques et de développement, que les vies canadiennes qui ont été sacrifiées ont vraiment servi à faire progresser le peuple afghan?
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La contribution canadienne en Afghanistan est très considérable. Les efforts tendant à l’édification d’institutions et le fait que les Afghans se sentent en sécurité dans la moitié ou plus de la moitié du pays constituent des résultats tangibles.
Il y a une énorme lacune sur laquelle j’essaie d’attirer l’attention de chacun. C’est l’absence d’un processus politique. J’ai dit que tout ce que vous avez fait en faveur du développement et de la coordination est excellent. Faut-il augmenter les troupes? C’est une bonne question.
Je dis que, sans la stabilité et la sécurité qu’un processus politique peut réaliser, l’investissement est gaspillé, au moins en partie. Il y a des Canadiens qui ont donné leur vie en Afghanistan. Le Canada aura dépensé, d’ici 2011, 1,2 milliard de dollars, qui représentent l’appui généreux du gouvernement et des contribuables canadiens à l’Afghanistan.
Toutefois, l’action canadienne est axée sur la lutte contre l’insurrection, ce qui ne joue pas dans l’intérêt du pays. Même le rapport Manley nous dit de quelle façon nous devons mener l’intervention militaire. L’effort canadien destiné à réaliser la paix est axé sur une action militaire. À mon avis, vous combattez le terrorisme de la mauvaise façon en Afghanistan. Il faudrait plutôt isoler les terroristes et intégrer les Afghans dans l’action politique. Malheureusement, il n’y a aucun processus pour atteindre ce but.
Ce que Karzaï a annoncé, ce que tout le monde a annoncé, ce n’est pas un processus. Ce n’est rien d’autre qu’un appel à la reddition. Cela n’avait pas marché pendant la période communiste. Dans les dernières années du gouvernement prosoviétique, il y a eu des efforts de réconciliation. Ça ne marchera pas plus aujourd’hui. Ce n’est rien d’autre qu’une invitation: venez vous joindre à nous. Ce n’est pas la même chose que de s’interroger sur les problèmes qui se posent et sur la façon de les résoudre, ce n’est pas la diplomatie de la navette, les différents processus, etc. Il y a un processus qui manque.
Le côté gagnant de la guerre civile consacre toute son énergie à sa propre protection parce qu’il craint ce qui risque de lui arriver en cas de victoire des talibans: « Nous serons tous détruits. Nous devons donc garder le pouvoir, garder les richesses et maintenir nos positions dans l’armée et les services secrets. »
Les deux parties utilisent leur énergie pour détruire. Ceux qui ne sont pas des terroristes... Voilà pourquoi je dis qu’il manque un important élément à l’intervention canadienne. Je me sens moralement obligé de dire aux Canadiens qu’ils risquent de perdre encore d’autres soldats parce qu’une approche dépourvue d’un processus politique ne permettra pas de réaliser la stabilité, la reconstruction et la bonne gouvernance. Pourquoi? Je sais ce qu’affirmer veut dire. Je suis chercheur. Je ne dispose cependant pas de preuves suffisantes pour être en mesure de faire des affirmations à cet égard.
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Non, non, « monsieur » suffit.
[Français]
Monsieur le président, je vous remercie beaucoup de l'invitation,
[Traduction]
même si je ne l’ai reçue qu’un peu tard, la nuit dernière.
Je voudrais dire en premier lieu que je ne reçois de paiements de personne. Je ne savais pas que j’étais le deuxième choix dans la liste des personnes qui étaient censées comparaître aujourd’hui.
Je mentionne en passant que, d’après l’avis que j’ai reçu, je dispose de 10 minutes pour présenter mon exposé. Je vais essayer de m’en tenir à cela. Je n’ai pas de temps pour une introduction, mais je voudrais quand même vous remercier de m’avoir invité.
Je voudrais noter que, pour la première fois dans l’histoire militaire, nous avons aujourd’hui en Afghanistan des pays qui ont fourni des contingents à une force multinationale, mais dont chacun a dicté les conditions précises dans lesquelles il participe à la mission une fois ses troupes sur place. Cette situation a vraiment donné au mot « restrictions » un sens péjoratif. À ma connaissance, dans toutes les autres opérations de la seconde moitié du XXe siècle, le mandat créant la force multinationale fixait les limites de ce qu’elle pouvait faire sur le théâtre, avant son arrivée sur place.
Les deux dernières fois que j’ai commandé des forces de l’ONU, les troupes avaient été recrutées dans 42 pays, mais chacun avait exactement les mêmes restrictions sur la façon dont je pouvais employer les soldats. Je connaissais ces restrictions, mais elles étaient exactement les mêmes pour tout le monde. Dans le cas de la FORPRONU, en 1992, lorsque le quartier général a dû quitter Sarajevo, j’ai voulu ramener un groupe de combat sur les lieux pour protéger l’aéroport. Aucun des 31 contingents participants ne pouvait légalement accepter de se joindre à cette mission sans la permission de son gouvernement, parce que ce type d’action n’était pas prévu dans le mandat. En fait, j’ai été très fier du fait que le gouvernement canadien a été le premier à accepter de laisser son contingent aller au-delà du mandat. Peu après, les Néerlandais nous ont emboîté le pas.
En Afghanistan, la situation est vraiment bizarre : chaque pays dicte ce que son contingent peut faire au sein de la force multinationale. C’est un sacré cauchemar pour un commandant, surtout quand l’OTAN ne lui a fourni qu’environ 50 p. 100 des troupes dont il a besoin pour s’acquitter de sa mission dans une période raisonnable. Ce n’est pas seulement mon point de vue. C’est aussi celui qu’a exprimé un ancien commandant de la FIAS à son retour au Royaume-Uni.
Dans le passé, quand je me plaignais de l’échec de la direction new-yorkaise des Nations Unies à des endroits tels que la Bosnie, la Somalie, le Rwanda, la Sierra Leone et le Timor-Leste – avant l’intervention de l’Australie dans ce dernier cas –, je me disais toujours que si l’OTAN avait dirigé la mission en cause, les choses ne se seraient pas passées de la même façon. Je ne me doutais pas alors à quel point je me trompais! Après la campagne de bombardement mal conçue contre la Serbie et le Kosovo, qui avait coïncidé avec le 50e anniversaire de l’OTAN, j’ai débattu avec le général Wesley Clark, à Wye River, aux États-Unis, le bien-fondé de la décision. Après le débat, le général m’a raconté une histoire.
Au cours de la campagne de bombardement, il échangeait quelques banalités avec l’ambassadeur de Grèce. Il lui a dit : « Venant d’un pays orthodoxe, vous devez trouver la situation vraiment difficile. Cette campagne de bombardement doit causer une grande controverse en Grèce. » L’ambassadeur a répondu : « Non, il n’y a aucune controverse. Nous sommes tous contre, mais nous sommes membres de l’OTAN. C’est pour cette raison que nous sommes ici. » Pourquoi? Parce qu’il n’y avait aucun risque. Personne ne s’est posé des questions parce que la campagne n’a fait aucune victime parmi les participants.
Compte tenu de ses réalisations en Afghanistan, j’ai découvert que l’OTAN est malheureusement une organisation où on discute encore plus qu’au Conseil de sécurité.
Passons maintenant au rôle du Canada. Je vais commencer par décrire un peu le contexte, car je crois que c’est important. Au début de 2002, par suite du déploiement retardé du 3 PPCLI, à cause du manque de moyens de transport stratégique, et de longues hésitations, indépendantes de la volonté du Canada, aux plus hauts niveaux de décision, nous nous sommes retrouvés à Kandahar. Nous n’étions pas là pour une opération de maintien de la paix, comme les médias continuent à le dire. Notre contingent constituait un tiers de la puissance de combat de la brigade aéroportée des États-Unis, qui faisait elle-même partie de la 101e Division aéroportée. Nous sommes restés là six mois. Tout le monde se souvient du moment où cette mission a pris fin.
Soit dit en passant, vers la fin d’un exercice d’entraînement, mon régiment a eu quatre morts et huit blessés graves dans un incident de tir ami. Le premier ministre d’alors avait dit qu’il était incapable de trouver 800 soldats pour remplacer le contingent du 3 PPCLI. La situation a changé quand quelqu’un est venu renifler du côté du Canada afin de solliciter notre aide pour l’invasion de l’Irak. Après un hiatus d’un an, nous avons réussi, comme par magie et malgré les objections des militaires – ce qui est parfait puisqu’il appartient aux politiciens de prendre ces décisions –, à trouver 2 000 soldats à envoyer à Kaboul pour protéger la capitale afghane. Le pauvre président Karzaï jouait alors un rôle à peu près semblable à celui du maire de Kaboul parce qu’il était impossible d’aller au-delà des limites de la ville.
Au début de 2006, les Canadiens sont revenus à Kandahar. J’étais là lorsqu’ils sont partis vers le Sud. Ceci est important : À leur arrivée, les talibans, agissant en groupes pouvant atteindre chacun une centaine de combattants, assiégeaient la ville. Leur objectif stratégique était de prendre la ville, qui est un peu leur Jérusalem, leur capitale historique. Les troupes dirigées par le groupe de combat canadien ont éliminé cette menace. Je crois que ce point est important.
Permettez-moi de vous présenter une analogie. Combien d’entre vous ont entendu des gens dire : « Mon Dieu, le monde n’était-il pas plus sûr du temps de la guerre froide? » Considérons cela dans l’optique d’un scénario de catastrophe. Ce que nous risquions alors, c’était l’holocauste nucléaire, la fin de l’humanité, la destruction du monde. Du temps de la guerre froide, la menace était vraiment très grave. Considérons maintenant l’Afghanistan dans l’optique d’un scénario de catastrophe. Il y a deux ans, le pire qui pouvait arriver, c’était la perte de Kandahar et du sud de l’Afghanistan. Dans ce pays, nous avons aujourd’hui un ennemi qui a été repoussé loin de la capitale. Il est repoussé à l’extérieur des zones contrôlées par les Canadiens et leurs alliés. Nous avons affaire ici à une insurrection classique, et pas du tout à ce qu’on appelle à tort des opérations de « recherche et destruction » comme celles du Vietnam.
La mission de la FIAS consiste à étendre les zones contrôlées jusqu’à ce qu’elles se chevauchent et à assurer la sécurité de la population locale jusqu’à ce qu’elle puisse faire confiance aux membres de la Force. C’est la population locale qui va vaincre l’insurrection, pas nous. Elle le fera en cessant de l’appuyer et en ayant la conviction que nous ne la trahirons pas en pliant bagages avant la fin de notre mandat.
Le défi de l’OTAN est d’assurer la sécurité dans ces zones. À cette fin, il lui faut des troupes sur le terrain. Si l’effectif n’est pas suffisant, le nombre de zones contrôlées restera limité jusqu’à ce que l’Armée nationale afghane puisse assumer une plus grande partie de cette tâche.
Nous ne sommes plus en 2002, lorsque nos militaires sont allés dans les montagnes, dans la région de Tora Bora, à la recherche de Ben Laden et de ses partisans. À l’heure actuelle, nos soldats créent ou étendent des zones de sécurité pour la population locale. Si les talibans essaient de nous empêcher de remplir notre mission, c’est-à-dire s’ils tentent de nous détruire, nous les affrontons.
L’idée que le groupe de combat canadien du sud de l’Afghanistan peut jouer un rôle utile sous réserve de ne pas participer à l’établissement et au maintien de ces zones de sécurité est tout simplement ridicule.
Pour conclure, je vous demande d’imaginer la situation suivante. Le major-général Marc Lessard, commandant de la région Sud et responsable des troupes stationnées dans les trois provinces méridionales de l’Afghanistan, réunit les 12 commandants qui relèvent de lui après février de l’année prochaine. Il leur dit : « Je veux établir une nouvelle zone de sécurité. J’ai besoin de la participation de six pays, dont le Canada. Nous repousserons les insurgés à l’extérieur de cette zone d’une centaine de kilomètres carrés, qui sera ainsi à la disposition de la population locale, des personnes déplacées et des réfugiés. » Sur ce, le commandant canadien répond : « Je regrette, général, je ne peux pas le faire. » Ce serait tout simplement inacceptable.
Je vous remercie.
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Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de m’avoir invité à vous présenter mon point de vue. J’ai moi aussi reçu l’invitation la nuit dernière. Je n’ai donc malheureusement pas un document écrit à vous remettre.
Il y a beaucoup à dire. Le sujet est tellement complexe qu’il est difficile d’imaginer comment le cerner en sept à dix minutes. Je vais quand même essayer de mettre en évidence quelques questions.
Je crois que la meilleure façon de considérer la situation en Afghanistan consiste à se demander où nous en sommes actuellement et où nous voulons arriver. Bien sûr, nous voulons que l’Afghanistan soit plus ou moins stable pour que les forces de l’OTAN puissent commencer à se retirer.
Avant de commencer, je veux souligner une chose qui me déçoit beaucoup à titre d’analyste : le manque général d’idées sur ce sujet dans le monde. Ce manque d’idées, de nature essentiellement intellectuelle, a trois causes. Premièrement, on connaît très peu l’Afghanistan et bien d’autres endroits, mais comme c’est l’Afghanistan qui nous intéresse, je me concentrerai sur ce pays. Deuxièmement, on connaît très peu la complexité de l’Afghanistan. Troisièmement, il y a bien trop de voix qui se font entendre, ce qui a tendance à noyer le fond du problème.
Où en sommes-nous donc à l’heure actuelle? Nous assistons à une montée de l’insurrection, tant sur le plan des combats de type guérilla que sur celui des attentats-suicide.
La même chose se manifeste dans le Pakistan voisin, ce qui n’était pas le cas il y a un an et demi. La situation au Pakistan s’est détériorée dans les 18 derniers mois. Les zones pachtoues du Pakistan sont en train de se « talibanniser », si je peux m’exprimer ainsi.
Le débat qui se déroule entre les pays de l’OTAN, tel qu’il est perçu par l’auditoire mondial, témoigne de la confusion qui règne au sujet de ce qu’il convient de faire. Quel est l’objectif? De quelle façon sommes-nous censés l’atteindre? Tout cela renforce la confiance des talibans.
Je peux en fait vous affirmer, sur la base des renseignements recueillis, que chacun des commandants talibans dit aux combattants qu’il a sous ses ordres : Ces gens vont partir. Ils ne sont ici que pour une courte période. Nous n’avons pas à remporter des batailles. Il suffit de veiller à ce qu’ils partent le plus tôt possible.
Par conséquent, le débat sur la question de savoir si nous devons rester, s’il s’agit d’un conflit militaire, si nous devons participer aux combats, faire du travail de développement, etc. ne fait que renforcer la confiance des talibans pendant que nous discutons.
Bien sûr, il y a des contacts avec les talibans. On parle beaucoup d’un règlement négocié. Qu’est-ce que cela signifie? Devons-nous négocier à partir d’une position de faiblesse relative? Allons-nous permettre à l’adversaire de dicter les conditions qui, à ce stade-ci, ne peuvent être que défavorables?
Un règlement négocié nécessite en outre de savoir avec qui il convient de négocier. Nous avons tendance à croire que les talibans, c’est comme une adresse électronique à laquelle il suffit d’envoyer un message ou une porte sur laquelle il suffit de frapper pour que des gens viennent nous dire : Très bien, nous sommes prêts à négocier. Ce n’est pas du tout le cas. Les talibans ne constituent pas une entité monolithique.
Très brièvement, les talibans d’aujourd’hui se subdivisent en trois catégories. J’admets volontiers qu’il s’agit de catégories théoriques et que la réalité est beaucoup plus complexe. Toutefois, comme analyste, je ne peux pas m’empêcher de concevoir des modèles théoriques.
Il y a d’abord les talibans qui se trouvent en Afghanistan, qui dirigent des groupes et rendent compte de leurs activités à la Choura du mollah Omar. Ce groupe est basé en Afghanistan où il organise l’insurrection. Il y a ensuite les talibans liés aux éléments de la société et de l’État pakistanais. Il y a enfin les éléments talibans liés à al-Qaïda.
Ce sont là trois catégories très vastes, mais distinctes. Ce ne sont ni des factions ni des groupes bien définis. Comment pouvons-nous parler de négocier quand les talibans eux-mêmes constituent un phénomène aussi complexe?
J’ai dit que l’insurrection connaît actuellement une montée. Bien sûr, ce n’est pas la même situation que dans les années 1990. Les talibans n’occupent pas du territoire. Ce n’est pas leur but. Ils ne cherchent aujourd’hui qu’à rendre la vie difficile aux forces de l’OTAN pour qu’on se demande de plus en plus, dans les capitales des pays membres, si la mission a encore sa raison d’être, s’il n’est pas nécessaire de la modifier, si nous sommes vraiment sûrs de ce que nous faisons. Ils espèrent bien qu’un jour, nous finirons par plier bagages pour rentrer chez nous. Cela arrivera-t-il? Je ne le sais pas, mais c’est leur objectif.
Les talibans n’ont pas été actifs dans la région de Herat, qui ne fait pas partie de leur territoire traditionnel. Ils ont eu des activités au nord de Kaboul, dans les provinces de Kapisa et Badghis, et même le long de la frontière turkmène. De toute évidence, les lignes d’approvisionnement ne vont pas si loin. Nous ne parlons pas d’infanterie. Il s’agit simplement de la capacité de lancer des attaques. Le récent attentat à l’hôtel Serena nous en dit long sur le renforcement des capacités des insurgés.
Nous avons tendance à parler de conflit militaire ou de règlement négocié comme s’il s’agissait d’une situation binaire dans laquelle tout est blanc ou noir. Ce n’est pas le cas parce que tout conflit militaire finit par un règlement négocié. Les deux parties le savent. On ne fait pas la guerre pour l’amour de la guerre. Nous ne resterons pas en Afghanistan à long terme, simplement pour le plaisir d’occuper le pays. Nous devons aller au-delà pour comprendre de quelle façon en arriver à un règlement négocié. Pour le moment, il est encore trop tôt pour y songer parce que nous ne savons pas quelle forme pourrait prendre un tel règlement ni, à plus forte raison, comment essayer de négocier.
La confusion règne au Pakistan à cause de l’agitation politique et de la montée du mouvement djihadiste. Le Pakistan a un rôle important à jouer dans la stabilisation future de l’Afghanistan. Nous avons donc besoin de voir comment la situation évoluera dans ce pays.
Il y a peut-être des enseignements à tirer de l’expérience américaine en Irak. À un moment donné, après la chute du régime, nous avons assisté à un processus de répression du mouvement baassiste. Aujourd’hui, nous sommes témoins d’un processus de revitalisation de ce mouvement. Il est possible que, pour l’Afghanistan, la solution consiste à rétablir certains éléments pragmatiques ou modérés des talibans, mais nous n’en sommes pas encore là.
On se demande en outre pourquoi nous devons rester en Afghanistan. Cette question occupe une place centrale dans le débat. Nous avons absolument besoin de développer des institutions. Quelles sont donc les institutions essentielles que nous devons établir et qui constitueront le fondement de toutes les autres? Il y a les organismes de sécurité : la Police nationale afghane et l’Armée nationale afghane. Ces organismes n’existent pas encore et on ne pourra pas compter sur eux avant très longtemps. Nous devons l’admettre. Tant que ces organismes ne pourront pas assumer leur rôle, nous aurons besoin de les soutenir.
En fait, voyez-vous, vous ne pouvez rien construire pendant qu’on vous tire dessus. Et, si vous êtes la cible d’un tir, vous allez devoir riposter. Nos soldats, les forces de l’OTAN doivent faire deux choses : s’occuper du développement et empêcher les talibans de tirer sur eux ainsi que sur les Afghans qui appuient la mission de l’OTAN. Nous ne pouvons qu’espérer que l’Armée et la Police nationales pourront commencer à assumer la responsabilité de la sécurité d’ici 2011. Toutefois, ce n’est pas une chose dont nous pouvons discuter en détail parce que ce sont là encore que des hypothèses.
Je crois que c’est la réalité sur le terrain qui déterminera où nous en serons en 2011 et par la suite. Au lieu de maintenir l'incohérence de la politique, au lieu de laisser le débat prendre une allure partisane et devenir l’instrument de vengeances politiques, les politiciens devraient laisser les technocrates, les commandants militaires, les responsables des services de renseignement et d’autres experts les mettre au courant des réalités concrètes sur lesquelles ils devraient baser leur politique.
Est-ce que mon temps parole est écoulé?
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Merci, monsieur le président.
Bonjour, messieurs. Merci d'être présents aujourd'hui.
Général, vous avez mentionné au début quelque chose que je ne savais pas: c'est la première fois qu'une mission regroupe des soldats de différents pays et que ce sont ces pays qui déterminent les conditions dans lesquelles ils vont travailler. Évidemment, on l'a remarqué, des pays disent, par exemple, que leurs soldats ne sortiront pas la nuit, etc. J'imagine que cela a un impact sur la mission actuelle.
Cela peut-il être changé? Est-ce nécessaire? Quel effet cela a-t-il sur la mission? C'est d'autant plus important de le savoir que nous, comme politiciens, devons répondre à la population canadienne qui nous dit qu'elle n'est pas d'accord pour que l'on participe à cette guerre, avec les raisons qu'on nous a données au début et qui ne se sont pas confirmées. Les gens ont de la difficulté à comprendre ce que font nos soldats à cet endroit. Pour le commun des mortels, si le Canada veut se retirer, qu'il donne un avis préalable et il devrait être capable de le faire. Cela n'a rien à voir avec la mission au complet, le Canada étant un pays parmi d'autres. C'est à l'OTAN de trouver des soldats ailleurs.
Ce que vous dites en ce qui concerne la formation de la mission me semble assez important pour notre compréhension de la mission comme telle. Comme général de l'armée, quelle vision avez-vous de cette question? Comment peut-on poursuivre dans ce qui est manifestement une guerre avec des partenaires qui ne se sentent pas davantage soumis à l'obligation de continuer? Je comprends que c'était la situation dès le début, quand les gens se sont engagés. En tout cas, ce qu'on nous a dit: que c'était pour un certain temps et dans un certain but. Pouvez-vous nous expliquer un peu votre compréhension de la mission actuellement, sous cet angle?
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Nous nous battons actuellement en vue d’un match nul, ce qui est inacceptable dans le cadre de l’OTAN. Le défi est de savoir comment changer la situation, mais celle-ci n’a pas beaucoup évolué jusqu’ici. Il est absolument inacceptable que chacun des pays de l’OTAN impose ses propres restrictions sur la façon dont ses troupes peuvent être utilisées.
Pendant presque toute ma carrière militaire, j’ai été formé en fonction de ce que l’OTAN appelle l’« interopérabilité » sur le fonds central, en Allemagne. Tout le monde respectait les mêmes règles et personne n’imposait ses propres restrictions. Lorsqu’il a été question de bombarder un État souverain à 10 000 pieds d’altitude, tous les membres ont accepté de participer. Il n’y avait pas de risques. Par conséquent, tout le monde était là, sans restriction aucune.
Maintenant qu’il y a des risques, qu’il y a des vies à sacrifier et de l’argent à dépenser, nous avons toutes sortes de restrictions. En Turquie, 700 000 soldats qui pourraient nous aider sont là à ne rien faire. Nous en aurions assez avec seulement 1 p. 100 d’entre eux. Un certain nombre, pas tellement, sont occupés dans le nord de l’Irak. Et ce sont des soldats remarquables. Je ne comprends tout simplement pas.
Pendant plus d’un an, j’ai dit que sans troupes supplémentaires à Kandahar, je ne pourrais pas recommander que les troupes canadiennes soient maintenues après 2009. Le problème, c’est que personne d’autre ne veut y aller. Si nous partons, nous perdrons la province de Kandahar et le sud de l’Afghanistan. Je suis vraiment coincé. Que Dieu bénisse nos soldats pour ce qu’ils font ainsi que leur famille et le gouvernement, pour leur soutien.
Quand tout cela sera fini, les résultats ne seront pas très beaux. Il est bien possible que nous en arrivions à une nouvelle alliance de pays d’optique commune qui s’occupera des problèmes dans notre intérêt. Ces pays pourraient comprendre le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada. L’OTAN m’a profondément déçu. Je n’aurais jamais cru pouvoir dire cela un jour.
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Merci, monsieur le président. Je remercie aussi les témoins. Je suis enchanté d’avoir eu l’occasion d’entendre un point de vue qui reflète l’expérience pratique du champ de bataille, de même que les résultats de votre analyse, monsieur Bokhari.
Je voudrais aborder plusieurs questions. M. Weera n’est plus là, mais mon ami, M. Dewar, est présent. M. Weera est conseiller principal de la Commission nationale indépendante sur le renforcement de la paix et conseiller principal en matière de politiques du ministère de l’Éducation de la République islamique d’Afghanistan. Je suis sûr qu’il est payé par les deux organismes. Il était venu nous donner quelques conseils. Je me demande quels conseils il a donnés à son gouvernement, sans que celui-ci en tienne compte.
Pour revenir à notre sujet, je voudrais noter quelques développements qui ne se seraient pas produits si nous n’étions pas allés en Afghanistan dans le cadre d’une force de l’OTAN: plus de 6 millions d’enfants, dont un tiers de filles, vont à l’école; 83 p. 100 de la population a accès à des services de santé; la mortalité infantile a diminué de 40 000 bébés par année; nous avons plus de 600 projets à Kandahar; 530 conseils ont été élus; le nombre total de projets s’élève à 16 500; et on compte 19 200 conseils communautaires qui nous disent quels projets réaliser.
Je veux également parler de certaines des opérations militaires que nous qualifions de « guerre ». Si nos troupes sont là pour assurer la sécurité, comme c’est le cas au barrage hydroélectrique de Kajaki, elles doivent prendre des mesures pour protéger le secteur, réparer le barrage et donner du soutien aux entreprises et aux particuliers. Je suis très surpris que nous ne soyons pas mieux renseignés sur cet aspect de la mission. La dernière fois que nous avons perdu des soldats au combat, c’était en septembre 2006. Les autres victimes que nous avons eu à déplorer n’étaient pas en mission de combat.
Général MacKenzie, je voudrais vous demander quels sont les effets du débat que nous tenons au Canada – je crois qu’un débat est nécessaire – au sujet de l’opportunité de retirer nos troupes ou de soumettre leur utilisation à des restrictions. Je vous prie également de me dire – car j’ai vainement fait des recherches à ce sujet – s’il est jamais arrivé dans l’histoire qu’un belligérant annonce à l’ennemi la date de son départ en lui disant par exemple: « Dites donc, si nous ne vous avons pas vaincu d’ici là, nous partirons à telle date. »
Pouvez-vous répondre à cette question, monsieur?
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C’est la même chose chez moi.
J’aimerais simplement rappeler au comité et à nos témoins l’objet de notre étude. Je ne suis pas sûr que les témoins ont reçu notre motion, qui préconise d’entreprendre une étude pour évaluer, entre autres, la participation de l’ACDI en Afghanistan ainsi que les options possibles pour en arriver à une paix durable dans ce pays.
Si j’ai bien compris vos témoignages, vous appuyez l’orientation générale du rapport Manley... sauf peut-être, monsieur MacKenzie, que vous préférez disposer de plus de troupes. Le rapport Manley parle de 1 000 soldats et vous, de 4 000.
Ai-je raison de croire, monsieur MacKenzie, que vous suivriez non le rapport Manley, mais plutôt...
Je crois que c’est intéressant. Quand on examine le rapport Manley et ses recommandations, je crois bien qu’on peut dire que ce n’est pas très cohérent.
Ai-je donc raison de croire que vous appuyez les recommandations, mais que vous voulez aller plus loin en augmentant l’effectif de 4 000 plutôt que de 1 000 soldats?
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Il vaudrait peut-être la peine que cela se sache, mais je suis bien d’accord avec vous. Je crois qu’il est absurde de vouloir planter le drapeau canadien. Ce serait un comportement colonialiste digne des années 1950.
Je crois qu’on a tendance à penser que l’ACDI va sur place et réalise constamment de grands projets. Quelqu’un a fait une bonne analogie : l’ACDI, c’est un peu comme le fait d’aller au gymnase. Cela fait du bien, mais les résultats prennent longtemps à se manifester. Nous semblons nous attendre, de la part de l’ACDI, à ce qu’elle fasse une sorte de triage. Elle ne peut pas le faire. Nous ne comprenons pas vraiment son rôle. Je suis donc d’accord avec vous. La question, je suppose, c’est que...
Vous connaissez sûrement la position de notre parti, mais c’est une chose de dire que nous voulons retirer nos troupes et une autre... Je ne veux pas que vous partiez d’ici en vous disant que c’est la proposition de notre parti. Ce que nous proposons vraiment, c’est que les gens cherchent d’autres moyens de régler ce conflit.
Vous avez parlé de nombreuses missions de l’ONU qui n’ont pas bien marché, mais il y en a un certain nombre qui ont réussi. J’étais au Salvador dans les années 1980. Il y avait une lutte contre l’insurrection. Les Nations Unies sont intervenues, comme elles l’ont fait au Cambodge et au Timor. Vous en avez parlé dans votre exposé.
Je suis également d’accord avec vous au sujet de l’OTAN, peut-être pour des raisons différentes. Ne croyez-vous pas que les Nations Unies pourraient... Il me semble que la charrue est devant les bœufs dans ce cas. C’est l’OTAN qui dirige, mais nous croyons – vous ne serez peut-être pas d’accord – que c’est l’ONU qui devrait diriger.
Croyez-vous que ce soit une situation sans issue?