:
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Je vais faire mon exposé en français et je tenterai de répondre aux questions dans l'une ou l'autre langue.
Je ne pensais pas devoir me présenter. Je vais essayer d'être bref.
[Français]
Comme vous l'avez mentionné, je suis professeur de science politique à l'Université Laval. Je suis également titulaire de la chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires. Cette chaire a été établie conjointement par l'Assemblée nationale du Québec et par l'Université Laval. Mes propos, cependant, n'ont aucun caractère officiel et n'engagent nullement ni l'une ni l'autre de ces deux institutions.
Je vous remercie de m'avoir invité à intervenir dans le cadre de votre étude sur la Loi référendaire. Cette loi est pour moi un peu comme une vieille connaissance puisque le 15 juin 1992, j'avais été invité à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour commenter ce qui était alors le projet de loi C-81. Je dois vous dire que c'était ma première comparution devant un comité parlementaire fédéral. Je me demandais si ce ne serait pas ma dernière comparution non pas parce que les choses s'étaient mal déroulées, mais simplement parce que vu le contexte qui prévalait en 1992, je me demandais si je serais encore citoyen du même pays à la fin de I'année. Vous savez ce qu'il en a été.
J'ai pris la peine de relire le texte que j'avais préparé pour ma comparution, à l'époque. Relire ce qu'on a écrit il y a 17 ans est quelque chose qu'on ne fait pas sans une certaine appréhension. À l'époque, j'avais dit aux sénateurs que le référendum était présenté par tout le monde comme un deadlock breaking mecanism, soit un mécanisme de résolution des impasses. Je leur avais dit que le référendum, loin de résoudre les impasses, ne ferait peut-être que les confirmer et que les politiciens provinciaux ne faisaient que refléter l'intransigeance de leurs populations respectives. Disons que je relis cela aujourd'hui et que j'ai le sentiment de ne pas m'être totalement trompé.
Je vais maintenant dire quelques mots sur le contexte d'il y a 17 ans. On ne savait pas, à l'époque, ce que le gouvernement avait en tête en proposant ce projet de loi. Je vous fais grâce de toutes les hypothèses qui circulaient alors, mais j'ai pris la peine il y a quelques jours de relire les mémoires de M. Mulroney, qui était bien placé pour tout savoir cela. Or je me suis aperçu qu'il ne disait mot sur le sujet. Je ne suis donc pas plus avancé. À tout événement, il semble qu'une fois conclu l'Accord de Charlottetown, la décision d'organiser un référendum ait été prise très rapidement par les premiers ministres, avec les résultats que vous connaissez. C'est la seule utilisation qu'on a faite de cette loi depuis.
J'ai lu le document préparé par votre recherchiste M. Bédard, ce qui m'a donné une bonne idée des questions qui vous préoccupent. Votre mandat inclut des questions très techniques au sujet desquelles vous devriez, je pense, vous en remettre aux techniciens plutôt qu'aux professeurs. Votre mandat comporte également des enjeux plus larges sur lesquels les professeurs peuvent vous fournir un éclairage utile. Je vais m'en tenir à ces enjeux.
La question qui me paraît la plus intéressante est celle-ci: doit-on permettre la tenue simultanée d'un référendum et d'une élection générale? Pour ma part, je ne vois pas de problème majeur à ce que cette possibilité soit ouverte, si le Parlement le désire. Je sais que la loi actuelle ne le permet pas. Je sais qu'au Québec, la loi ne le permet pas non plus. Or la chose serait peut-être difficile parce que la Loi sur la consultation populaire du Québec prévoit des contrôles rigoureux sur les dépenses et qu'il serait difficile de les appliquer en même temps qu'une élection provinciale. II ne serait pas toujours facile de faire la distinction entre une dépense référendaire et une dépense électorale. Le risque de confusion serait grand, ce qui rendrait problématique l'efficacité des contrôles.
La loi fédérale, elle, n'est pas fondée sur le principe rigoureux de l'égalité des dépenses pour le « oui » et pour le « non ». Par conséquent, elle ne soulèverait probablement pas les mêmes objections. Les précédents concernant les référendums tenus en même temps qu'une élection ne manquent pas dans l'histoire canadienne, même s'il n'y en a jamais eu au niveau fédéral, ni au Québec, d'ailleurs. Je dispose d'une assez bonne documentation sur l'histoire des référendums au Canada. J'ai pris le temps de la consulter avant de venir ici.
J'ai trouvé au moins sept provinces et un territoire qui, à un moment donné ou à un autre, ont tenu un référendum et une élection générale en même temps. J'ai les années et les sujets du référendum, si ça vous intéresse. Les cas les plus récents, ceux qui sont les plus intéressants pour vous, sont survenus en Colombie-Britannique et en Ontario. Je comprends que les directeurs généraux des élections de ces deux provinces vous ont dit ou vous diront comment les choses se sont passées.
À l'international, vous serez peut-être intéressés d'apprendre que l'Australie a jumelé élection et référendum sept fois durant son histoire, qu'il lui est arrivé de poser deux questions référendaires le même jour en 1999 — je m'en souviens, j'y étais. La Nouvelle-Zélande a tenu un référendum en même temps que des élections en 1993 et en 1999. La France l'a fait une seule fois, en 1945. En Angleterre et en Allemagne, cette pratique est inconnue parce que les référendums y sont très rares, de toute façon. Donc, le problème ne se pose pas tellement.
Je vois un avantage à cette simultanéité élection/référendum au chapitre de la participation électorale. Un des constats les mieux établis en la matière, c'est que la participation dépend beaucoup de la nature du scrutin, de sa salience, comme on dit dans l'autre langue officielle. Une élection municipale ou scolaire, par exemple, attire moins de gens qu'une élection provinciale. Si on tient en même temps une grosse élection et une petite, la seconde va susciter plus de participation que si elle était tenue isolément. Le pays qui connaît une participation record aux élections locales, municipales, c'est la Suède. Et comme par hasard, c'est le seul pays où les élections locales sont tenues en même temps que les élections des députés.
En Allemagne, on s'inquiète beaucoup, comme ici, du déclin prononcé de la participation aux élections provinciales. Ces dernières années, on a eu recours à un truc qui est assez astucieux. Certaines provinces se sont mis tout simplement à tenir leur élection provinciale le même jour que l'élection fédérale. Je puis vous dire — je vous fais grâce des détails — que les effets sont proprement miraculeux, c'est-à-dire que si on regarde les chiffres, on constate que quand l'élection provinciale a lieu en même temps que l'élection fédérale, le taux de participation est sensiblement plus élevé et, à l'inverse, quand une province cesse de tenir ses élections provinciales le même jour que les élections fédérales, donc quand l'élection provinciale est tenue isolément, le taux de participation connaît une chute marquée. Donc, cette coïncidence des scrutins peut être un avantage.
En passant, ici même, les référendums sur la réforme électorale ont bien illustré la pertinence de ce que je vous dis. À l'Île-du-Prince-Édouard, comme vous le savez peut-être, on a tenu un référendum sur le mode de scrutin isolément et on a eu un taux de participation de 33 p. 100, alors qu'en Colombie-Britannique et en Ontario, on a jumelé l'élection et le référendum et on a obtenu des taux de participation électorale qui, sans être mirobolants, sont quand même bien plus élevés.
Je vous dis simplement que si un référendum porte sur une réforme de grande envergure, l'importance du sujet suffira, bien sûr, à attirer les électeurs; on l'a vu avec Charlottetown. Mais si, au contraire, le référendum porte sur une question moins importante, moins sexy aux yeux des électeurs, on peut craindre que les électeurs restent chez eux, alors qu'en procédant simultanément, on se protège, je pense, contre ce risque.
Concernant les comités référendaires, une autre question inscrite au mandat de votre comité, la loi actuelle n'impose pas de plafond de dépenses égal pour le « oui » et pour le « non ». Elle limite les dépenses de chaque comité référendaire, mais non pas le nombre de ses comités. Pour beaucoup de personnes, c'est un dispositif qui permet aux riches d'acheter le résultat du référendum.
Lors de ma comparution devant vos collègues sénateurs en 1992, j'avais suggéré que cette vision, à savoir que le gouvernement pouvait acheter le résultat du référendum simplement en dépensant plus que ses adversaires, était un peu simpliste.
Je crois ne pas m'être trompé, en ce sens qu'en 1992, comme vous le savez, les partisans de I'Accord de Charlottetown à l'extérieur du Québec ont dépensé, non pas deux fois plus que leurs adversaires, non pas cinq fois plus, non pas dix fois plus, mais treize fois plus. Malgré tout, comme vous le savez, ils ont perdu le référendum. Si ma mémoire est bonne ils l'ont perdu par une marge importante.
Je ne pense pas que Ie discours que M. Trudeau a prononcé à La Maison Egg Roll ait trouvé place dans les comptes de dépenses du « non », ni les enregistrements des frustrations nocturnes de Mme Wilhelmy et de M. Tremblay. Si cela a coûté une cenne au comité du « non », c'est certainement la cenne la plus rentable de toute l'histoire électorale canadienne. Cela n'a figuré dans aucune dépense. Pourtant, n'importe quel spécialiste vous le dira: c'est cela qui a largement fait la différence lors du référendum. D'ailleurs, cela a eu plus d'impact que toutes les publicités coûteuses dont les électeurs ont été abreuvés à l'époque.
Ça aurait peut-être été amusant, pour certains, de voir les protagonistes du « non » de l'époque, M. Trudeau, M. Preston Manning et M. Jacques Parizeau, obligés de travailler ensemble au sein du même comité. Cela aurait certainement été intéressant à observer, mais je ne pense pas qu'ils auraient trouvé l'expérience très agréable.
Parlons maintenant des discordances entre la Loi électorale et la Loi référendaire. Si j'ai bien compris, en 2000, lorsqu'on a adopté une nouvelle Loi électorale, on avait par la même occasion effectué les concordances avec la Loi référendaire. Selon ce que je comprends, cet exercice n'a pas été renouvelé depuis. Il y a donc des discordances entre la Loi électorale et la Loi référendaire. Notamment, il semble que les détenus aient le droit de vote aux élections, mais pas lors d'un référendum. Personnellement, je pense que cette discordance est indésirable en principe. Le droit référendaire devrait être aligné, dans toute la mesure du possible, sur le droit électoral.
D'ailleurs, j'applique le même raisonnement en matière de contribution. Je ne vois pas pourquoi les compagnies et les syndicats pourraient contribuer aux caisses référendaires, mais pas aux caisses électorales. Il faut, d'une certaine façon, être conséquent avec les principes que l'on proclame. Choisissez la règle qui vous plaît le plus, mais je pense qu'elle devrait, autant que possible, être la même pour les élections et les référendums. Cependant, j'aimerais vous servir un avertissement qui me semble être pertinent. Si vous optez pour aligner la Loi référendaire sur la Loi électorale et, donc, interdire les contributions des compagnies et des syndicats, il faudra probablement que l'État comble le vide qui sera créé par l'interdiction des contributions des personnes morales. Évidemment, ce sont les contribuables qui devront payer la différence, parce que l'État devra très probablement verser une subvention compensatoire aux différents comités.
Le dernier point de mes commentaires est l'interaction des référendums provinciaux et fédéraux. La Loi référendaire est une loi à géométrie variable, en ce sens qu'elle peut s'appliquer dans une province, dans plusieurs provinces ou dans tout le pays. Des circonstances particulières ont fait qu'en 1992, on a eu, juridiquement parlant, deux référendums. Il y en a eu un au Québec et un dans l'ensemble du pays, moins le Québec. Je ne suis pas certain que cela ait été un choix optimal, même si, à l'époque, la réalité politique l'imposait. Je voudrais simplement souligner que quels que soient les bons arguments que l'on peut avancer pour cet état de fait, il y a quand même des gens qui ont perdu leur droit de vote parce que la loi du Québec imposait une résidence de six mois, ce que ne faisait pas la loi fédérale.
Personnellement, en 1992, j'ai déménagé au Québec. Fort heureusement pour moi, j'ai déménagé au mois de janvier 1992. Le référendum a eu lieu en octobre. Si, par malheur, il avait fallu que je déménage au mois de juillet 1992, je n'aurais pas été en règle avec la loi et je n'aurais pas pu exercer mon droit de vote, parce que je n'aurais pas résidé au Québec pendant six mois.
Évidemment, je n'irai pas vous dire que le référendum aurait perdu beaucoup si ma voix n'avait pas été exprimée. Ce que je veux dire, c'est que sur le plan des principes, il me semble qu'une solution qui implique pour des gens la perte du droit du vote n'est pas une solution optimale.
J'ajouterais que cette histoire d'appliquer une loi plutôt qu'une autre s'est soldée par une querelle de gros sous entre nos deux gouvernements, querelle qui s'est étirée pendant deux ans, à savoir si M. Mulroney avait promis à M. Bourassa, deux ans plus tôt, de rembourser le référendum, oui ou non. On s'est mis à fouiller partout au Conseil privé pour trouver un papier. Apparemment, il n'y en avait pas. Je peux vous dire que des gens très haut placés dans l'appareil électoral ne savaient même pas qu'il y avait eu une entente là-dessus. Enfin, ça s'est terminé de la façon que vous savez. À mon avis, ce n'était pas le scénario optimal.
Sur cette interaction, vous pouvez garder la souplesse que prévoit la loi actuelle, si cela vous chante. Cependant, sur le plan des principes, je trouve que c'est pousser l'opting out un peu trop loin. D'ailleurs, à ma connaissance, nous sommes la seule fédération au monde à procéder de cette façon. Habituellement, dans une fédération, quand on fait un référendum « national », on le fait à la grandeur du pays. En tous cas, je donne un cours sur le fédéralisme comparé, donc je suis obligé de savoir un peu ces choses.
Je parlerai d'un autre petit détail qui, lui, est plus technique, mais qui n'est pas sans intérêt. D'ailleurs, je l'avais souligné autrefois. Lorsque le Parlement vote sur la motion portant question référendaire, il ne sait pas — en tous cas, il n'est pas obligatoire qu'on le lui dise — dans quelle province va avoir lieu le référendum. C'est l'exécutif qui détermine, après le vote de la question référendaire, dans quelle province aura lieu le référendum.
Personnellement, je pense que la motion qui porte adoption de la question référendaire devrait spécifier, dès ce moment-là, dans quelle province aura lieu le référendum, parce que, à mon humble avis, une telle décision ne devrait pas être laissée à l'exécutif et être annoncée après que la Chambre des communes et le Sénat ont adopté la question référendaire.
Mesdames et messieurs, c'étaient mes commentaires écrits. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions le mieux possible.
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Très bien. Je dois être conséquent avec ce que j'ai dit précédemment. J'ai dit que lorsque la loi a été discutée, c'était la question de l'heure. Nous avons lu les débats de cette époque, et c'était vraiment l'un des grands dossiers. Évidemment, le modèle québécois a été présenté à l'époque comme une possibilité. Il a été rejeté pour diverses raisons, souvent d'ordre juridique. Apparemment, le gouvernement avait obtenu de solides opinions juridiques sur la question, et ces opinions indiquaient qu'il serait difficile de le défendre devant les tribunaux.
Je crois qu'il y avait aussi des motifs plus profonds. Vous savez, j'ai l'impression que l'on craignait qu'il ne soit impossible d'appliquer ce modèle à un autre niveau. D'instinct — vous savez, je viens du Québec, je suis donc fier de ce que nous avons réalisé —, je suis porté vers le modèle québécois, mais il faut être prudent avant d'adopter dans un domaine quelque chose qui convient parfaitement dans un autre. Le Québec est une petite société particulièrement homogène. Il y est probablement plus facile de forcer chacun à se ranger d'un côté ou de l'autre, et nous avons réussi à le faire jusqu'à maintenant.
En passant, je vous signale que notre système a résisté à l'examen des tribunaux dans l'affaire Libman, si ce n'est de quelques modifications qui n'avaient rien de fondamental. Je ne suis toutefois pas convaincu que le même système donnerait de bons résultats dans l'ensemble du Canada. Lorsque nous discutions de la question, sur le plan théorique, en 1992, nous ne savions pas quel genre de référendum cela donnerait. Si j'avais su, grâce à une quelconque révélation divine, que nous obtiendrons le genre d'alignement que nous avons eu et l'étrange scénario que vous avez mentionné, j'aurais sans doute beaucoup hésité à préconiser l'adoption du modèle québécois dans cette situation.
Je n'ai pas tellement insisté pour que le modèle québécois soit adopté pour une autre raison, et c'est parce que je n'étais pas entièrement convaincu que le fait d'avoir dépensé plus que vos opposants faisait vraiment une différence. On supposait, à l'époque — et je pense que cette hypothèse a été définitivement écartée —, en se fondant sur le référendum de 1982 au Québec, que l'on pouvait littéralement acheter le résultat du référendum. Je n'en étais pas convaincu à ce moment-là, compte tenu de ce que j'avais vu dans la documentation. Vu le genre de campagne qui a été menée en 1992, je suis encore moins convaincu maintenant que l'argent puisse permettre d'acheter le résultat d'un référendum.
Nous avons un système étrange, n'est-ce pas. Il n'y a pratiquement aucune règle lorsqu'il s'agit des comités référendaires. Par contre, si l'on parle du temps alloué — vous savez, le temps d'antenne gratuit à la télévision — c'est la règle de l'égalité qui prévaut. Le camp du « oui » a 50 p. 100 du temps et celui du « non » en a autant. Ils doivent s'entendre pour répartir leur allocation entre les divers comités. Dans l'ensemble, il n'y a pas de règle. C'est probablement le système le plus facile à gérer, vu les circonstances, la complexité du pays et le fait qu'une question puisse être interprétée très différemment dans une province et dans les autres.
Vous savez, l'essentiel de la campagne s'est déroulé de cette façon. Vous alliez au Québec et vous disiez aux habitants du Québec, regardez, c'est extraordinaire; nous avons 25 p. 100 des sièges à la Chambre des communes, à perpétuité, ce qui est extraordinaire, et le Sénat qu'on nous propose n'a aucun pouvoir et demeurera sans doute très faible. Et les mêmes personnes, quand elles parlaient à l'extérieur du Québec, devaient dire, eh bien, 25 p. 100 pour le Québec, ce n'est pas si important, et nous avons un nombre égal de sièges pour les provinces au Sénat, et cela, c'est merveilleux.
Il vaut sans doute mieux prévoir une certaine souplesse dans le système.