:
Je déclare la séance ouverte.
Il s'agit de la 26e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
[Traduction]
Nous entreprenons aujourd'hui une étude sur les commissions des droits de la personne. Nous avons deux groupes de témoins. Premièrement, nous accueillons David Langtry, vice-président de la Commission canadienne des droits de la personne. Il est accompagné de Sébastien Sigouin, directeur de la Division des politiques et des relations internationales, et de Monette Maillet, directrice et avocate principale au Service de consultation juridique. Nous accueillerons ensuite Alan Borovoy de l'Association canadienne des libertés civiles.
Je veux simplement informer les membres du comité de tous les partis que ce créneau d'une heure et demie nous restreint dans le temps. Je serai assez impitoyable en ce qui concerne le temps accordé pour les questions et réponses, de sorte que nous pourrons entendre intégralement les témoignages des deux groupes de témoins. Au lieu des deux séries de questions habituelles, je vous propose de nous limiter à une seule après chaque groupe de témoins. Et malgré cela, les choses seront corsées. Je demande donc la collaboration de tous.
Cela étant dit, je souhaite la bienvenue à nos témoins.
Je demanderai à M. Langtry s'il est disposé à commencer. Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Bonjour. Je tiens à remercier Ie sous-comité d'avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à participer à son examen des politiques et pratiques des commissions des droits de la personne, au Canada et dans Ie monde.
[Français]
Je m'appelle David Langtry et je suis le vice-président de la Commission canadienne des droits de la personne, ou CCDP. Je suis accompagné de Mme Monette Maillet, avocate principale et directrice des Services de consultation juridique, et de M. Sébastien Sigouin, directeur de la Division des politiques et des relations internationales.
Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de vous donner un aperçu du rôle et du mandat de la commission, et de vous exposer nos pratiques et notre travail au Canada et sur la scène internationale.
[Traduction]
La meilleure façon sans doute de vous expliquer Ie rôle et Ie mandat de la commission est de vous lire un extrait de l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne : « La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet [...} au principe suivant: Ie droit de tous les individus [...} à I'égalité des chances d'épanouissement [...} sans discrimination. Tel est la base du mandat que la commission s'efforce d'accomplir dans tout son travail: contribuer à créer un Canada où la dignité, Ie respect et l'égalité sont des réalités pour tous.
La commission compte deux commissaires à temps plein, moi-même, et la présidente de la commission, Jennifer Lynch, c.r., ainsi que quatre commissaires à temps partiel et 190 employés. Un aspect important de notre travail consiste à traiter des plaintes de discrimination. La plupart des plaintes que nous traitons touchent Ie milieu de l'emploi, et près du tiers concernent la discrimination fondée sur Ie handicap.
L'expérience montre que souvent Ie meilleur moyen de résoudre les différends en matière de droits de la personne — et la plupart de ces différends ont cours au niveau local, à l'usine ou au bureau — est de réunir les parties pour qu'elles trouvent ensemble une façon d'aplanir leurs dissensions. C'est pourquoi la CCDP met à la disposition des parties un système robuste de règlement alternatif des différends (RAD). Offert à tous les stades du processus, ce système donne souvent de bons résultats.
Bien sûr, nous ne pouvons pas résoudre tous les différends de cette manière. Certains cas doivent être traités conformément au processus d'enquête prévu par la loi et être tranchés par la commission. Dans 86 p. 100 des cas environ, les plaintes sont résolues ou les dossiers sont fermés par la commission. Les autres cas sont renvoyés au Tribunal canadien des droits de la personne, qui est un organisme d'audience complètement indépendant.
Bien que mieux connue sans doute comme organisme d'examen préliminaire des plaintes, la commission remplit une autre fonction extrêmement importante: celle de servir de catalyseur dans la promotion des droits de la personne. Nous assumons des fonctions d'éducation et de sensibilisation. Nous travaillons avec les employeurs pour les aider à intégrer au quotidien les considérations liées aux droits de la personne et à prévenir la discrimination avant qu'elle ne survienne. Nous poursuivons des recherches, élaborons des politiques et créons des outils. Nous donnons des conseils au Parlement.
Depuis sa création, il y a plus de 30 ans, la commission a contribué à induire des changements positifs au sein de la société canadienne. Bon nombre d'entre vous connaissent déjà certains dossiers jurisprudentiels qui ont énormément aidé différentes communautés qui aspirent à l'égalité: Via Rail, qui a permis aux personnes handicapées d'avoir accès aux services de transport par train; Sangha, qui a confirmé que la discrimination fondée sur la surqualification peut être assimilée à la discrimination fondée sur la race; Vaid, qui a confirmé que la législation sur les droits de la personne s'applique à la Chambre des communes; Multani, qui a clarifié les liens entre les droits de la personne et la sécurité.
À mesure que la société et la loi évoluent, de nouvelles questions concernant les droits de la personne surgissent, et la CCDP contribue à les résoudre.
[Français]
À plusieurs reprises, des modifications ont été apportées à notre loi pour prendre en compte les besoins changeants de la société, comme inclure l'orientation sexuelle au nombre des motifs de distinction illicite, et pour établir l'obligation qu'ont les employeurs de prendre des mesures d'adaptation, à moins d'une contrainte excessive, pour répondre aux besoins spéciaux qu'ont certains employés, par exemple en raison d'exigences religieuses ou d'une incapacité.
[Traduction]
Un fait saillant de l'année 2008 a été l'abrogation de l'article 67 de la loi, qui excluait les questions relevant de la Loi sur les Indiens. L'adoption du projet de loi C-21 a marqué un tournant important dans l'évolution des droits de la personne au Canada, et la commission se réjouit de l'esprit de collaboration dont les parlementaires ont fait preuve dans leurs efforts pour parvenir à un consensus sur Ie texte législatif proposé, grâce auquel les peuples des premières nations du Canada ont finalement droit au même niveau de protection des droits fondamentaux de la personne que la majorité des Canadiennes et Canadiens et que ces derniers tiennent pour acquis.
L'abrogation de cet article n'était qu'une première étape. La commission travaille maintenant en collaboration étroite avec les organisations autochtones afin de créer un système des droits de la personne qui reflète et respecte les cultures et les lois traditionnelles des peuples autochtones.
Récemment, une question particulièrement controversée a été observée au sujet de l'article 13 de la loi. En réponse aux préoccupations soulevées par l'article 13, la commission a entrepris un vaste examen stratégique. Les résultats de cet examen sont décrits en détail dans Ie rapport spécial au Parlement qui a été déposé devant les deux chambres du Parlement jeudi dernier. Comme vous Ie savez, vos collègues du Comité permanent de la justice et des droits de la personne ont accepté de mener une étude sur l'article 13. Nous sommes heureux de l'occasion de prendre part à ce débat éclairé de la part de cette instance, et I'attendons avec impatience.
J'aimerais maintenant vous parler du volet international de notre travail et de quelques faits récents à cet égard.
Au début des années 1990, la CCDP a présidé une initiative internationale qui a conduit en 1993 à l'adoption par l'Assemblée générale des Nations Unies d'un ensemble de normes à l'intention des institutions nationales, normes qui sont connues comme étant les « Principes de Paris ». Les Principes de Paris servent de repères reconnus internationalement pour évaluer la composition, Ie mandat et le rendement des institutions nationales des droits de l'homme. Depuis leur adoption, les Principes de Paris guident les gouvernements partout dans le monde dans leurs efforts pour mettre en place des institutions nationales des droits de l'homme indépendantes et pluralistes.
Un processus d'accréditation indépendant, rigoureux et transparent permet d'assurer que les institutions nationales accréditées contribuent de façon significative et crédible à l'avancement des droits de la personne. Mondialement, 88 institutions nationales des droits de l'Homme sont maintenant accréditées conformément aux Principes de Paris, et 65 d'entre elles, dont la Commission canadienne des droits de la personne, ont une accréditation de niveau A. Toutes ces institutions sont membres du Comité international de coordination (CIC) des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l'homme.
La CCDP a été élue à la présidence du CIC en 2007 pour un mandat de trois ans. Sous notre direction, le CIC a évolué sensiblement comme organisation. Le CIC met en oeuvre actuellement un projet visant à faire en sorte que les institutions nationales aient un rôle à jouer dans le secteur de la responsabilité des entreprises, et il est parvenu avec beaucoup d'efficacité à promouvoir le rôle des institutions nationales des droits de l'homme auprès des Nations Unies.
À l'échelon régional, la CCDP a joué un rôle de premier plan dans la création du Réseau des institutions nationales des droits de l'homme des Amériques. Depuis sa création, le réseau a offert à ses membres une vaste gamme de services de renforcement des capacités et de mise en commun de l'information, qui vont du rôle des INDH dans la promotion et la protection des droits des peuples autochtones ou des droits des personnes handicapées, aux questions relatives aux droits de l'homme et aux mesures de sécurité, ainsi qu'au droit à l'éducation et à la prévention de la torture. Et plus récemment, la CCDP a réussi à défendre auprès de l'Organisation des États américains l'attribution aux INDH d'un rôle similaire à celui qu'elles ont auprès des Nations Unies.
En guise de reflet au travail international de la commission sur la scène nationale, cette dernière a participé à l'Examen périodique universel du Canada: elle a présenté une soumission au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies en vue de la première partie de l'examen, qui a eu lieu en février 2009, et est intervenue auprès du conseil à la fin de l'examen, en juin 2009.
Cela met fin à mes observations. Il nous fera plaisir de répondre à vos questions.
Nous nous demandions simplement qui assumait la présidence, car Jennifer Lynch n'a pu comparaître aujourd'hui, ce qui est malheureux. Premièrement, je vous félicite de l'élection de la commission à la présidence du CIC. J'estime que cela rejaillit également sur notre pays.
Je voudrais vous poser deux questions par rapport à votre rôle sur la scène internationale. La première porte sur l’Examen périodique universel dont le Canada vient de faire l'objet. Pouvez-vous nous faire part de vos commentaires à cet égard et sur le rôle que la commission serait susceptible de jouer dans la mise en oeuvre des recommandations de cet examen?
Deuxièmement, vous avez également fait allusion à l'Organisation des États américains. La Commission interaméricaine des droits de l'homme est très bien connue, et des personnes très éminentes qui en sont membres ont soulevé de graves questions en matière de droits de la personne. Elles ont également présenté des rapports judicieux. Je songe notamment à celui sur les disparitions forcées. Effectuez-vous du travail analogue à celui de l'Organisation des États américains, rédigez-vous, comme elle, un rapport sur les droits de la personne et ce rapport éventuel est-il publié? Les rapports de l'OEA sont très bien diffusés, et ils sont réputés sur le plan international.
Pourriez-vous répondre à ces deux questions, s'il vous plaît?
Je vais d'abord répondre à la question sur l'examen périodique universel, puis je demanderai à M Sigouin de répondre à celle sur l'Organisation des États américains, étant donné que c'est lui qui collabore le plus avec l'OEA.
La Commission canadienne des droits de la personne est favorable à l'examen périodique universel et, assumant la présidence du CIC, elle a tenu des ateliers régionaux dans différents pays pour aider les institutions des droits de la personne à participer à cet examen.
Nous sommes heureux que tous les États membres fassent l'objet de cet examen. Le Canada, vous le savez, a appuyé d'emblée ce processus. Comme je l'ai indiqué, nous avons présenté une soumission de cinq pages en février. Nous ne l'avons pas rédigée seuls, car nous avons consulté toutes les commissions provinciales par l'intermédiaire de l'Association canadienne des commissions et conseils des droits de la personne. Nous avons donc élaboré notre soumission de concert avec les dix provinces, les trois territoires et 60 ONG. Nous avons donc passé par Droits et Démocratie. Nous avons donc présenté cette soumission. Comme je l'ai souligné, nous nous sommes naturellement intervenus la semaine dernière.
Nous estimons que ce processus d'examen est judicieux, et je crois certainement que notre expérience à cet égard favorisera le dialogue et la collaboration entre la société civile et le gouvernement sur le travail de suivi qu'il nous incombera. Nous avons certes offert d'assurer ce suivi sur les obligations du Canada et les mesures qu'il prendra à la suite des recommandations formulées, si le Parlement décidait, bien sûr, de nous confier un tel mandat.
Sébastien répondra à la question sur l'OEA.
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Merci beaucoup de votre question, monsieur Silva.
Vous avez raison de dire que la Commission interaméricaine des droits de l'homme est très réputée. D'ailleurs, nous accueillerons la semaine prochaine deux de ses cadres supérieurs qui viendront nous visiter pendant trois jours pour tirer profit de l'expérience et des compétences que nous avons acquises, notamment en ce qui concerne le traitement des plaintes. C'est dans le cadre d'un projet financé par l'ACDI.
Le renforcement du régime interaméricain des droits de la personne est, vous le savez, une priorité du gouvernement canadien. On a estimé que la commission canadienne pourrait, à ce titre, collaborer avec la commission interaméricaine.
Notre organisation est naturellement distincte de la commission interaméricaine, mais nous présentons des rapports sur l'état des droits de la personne au Canada. M. Langtry a abordé l'EPU, l'examen périodique universel. Dans le cadre du processus relatifs aux traités sur les droits de la personne des Nations Unies, nous présentons également des rapports indépendants, c'est-à-dire que le Canada, qui est signataire de ces traités, doit préparer des rapports périodiques. Nous adressons également aux Nations Unies des rapports sur des questions ponctuelles, notamment la discrimination contre les femmes, la discrimination raciale ou tout autre droit de la personne protégé par un traité auquel le Canada a adhéré.
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C'est une question intéressante. Je dois dire que, dans notre soumission, nous avons souligné les divers aspects en matière d'égalité et de normes sociales, mais nous avons également abordé précisément la question autochtone, si je peux m'exprimer ainsi.
À propos, nous serons ravis de vous faire parvenir un exemplaire de notre soumission.
Nous avons constaté avec regret que le Canada n'a pas approuvé ni signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En outre, nous avons également souligné la position de notre pays sur la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées.
La déclaration revêt une importance particulière pour nous. Je peux vous l'affirmer, étant donné que l'abrogation de l'article 67 constitue la priorité absolue de la Commission canadienne des droits de la personne. Nous avons créé un bureau national des affaires autochtones qui, à Winnipeg, travaille à ce dossier.
Comme vous le savez sans aucun doute, le , qui abrogeait l'article 67, prévoyait une période de transition de trois ans. Le projet de loi a été adopté en juin 2008. Il s'écoulera donc encore deux autres années avant que les autorités autochtones ne soient investies des pouvoirs à cet égard, mais dans l'immédiat cette modification législative a des effets sur le gouvernement du Canada. Nous sommes donc déjà saisis de plaintes et, naturellement, nous en recevrons de nombreuses autres au cours des deux prochaines années. C'est ce sur quoi nous concentrons nos efforts.
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Merci. C'est certes la position adoptée par la commission.
Comme vous le savez, nous avons présenté, jeudi dernier, un rapport spécial au Parlement, et nous sommes heureux de vous le remettre également. Il y est question de l'équilibre auquel sont parvenus presque toutes les provinces et territoires. Il existe un droit fondamental à la liberté d'expression qui ne l'emporte pas sur les autres droits fondamentaux. Autrement dit, les droits sont tous sur le même pied d'égalité. Dans leur interprétation, les tribunaux précisent souvent la nécessité d'établir un équilibre entre les droits contradictoires.
Comme vous le savez peut-être, nous avons eu recours à M. Moon, un universitaire, pour effectuer une étude sur l'article 13. Dans notre rapport spécial présenté au Parlement, nous avons certes recommandé que celui de M. Moon soit examiné également. Tout compte fait, après avoir examiné la recommandation de M. Moon, avoir consulté abondamment les intéressés et avoir tenu compte des décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Taylor et Keegstra en 1990, ainsi que de la modification de notre loi en 2001 pour ajouter à notre mandat la propagande haineuse sur Internet lorsque la Loi antiterroriste a été adoptée, nous avons recommandé, dans notre rapport présenté au Parlement, que les deux régimes soient maintenus mais que la définition de « haine » soit précisée. La commission a toujours estimé que seuls les cas extrêmes devraient être soumis aux instances supérieures, d'où la décision dans l'affaire Maclean's. Comme vous le savez, notre commission a rejeté cette plainte et n'en a pas saisi le tribunal. Depuis la création de la commission, seulement 17 plaintes ont été entendues par le Tribunal canadien des droits de la personne parmi toutes celles que nous avons reçues.
Nous appliquons donc les critères établis dans l'arrêt Taylor lorsque nous analysons les plaintes et nous ne saisissons le tribunal que des cas extrêmes. Pour enlever toute ambiguïté, nous avons également recommandé que le Parlement modifie notre loi pour bien préciser que notre mandat ne devrait porter que sur des cas très restreints et extrêmes. Par conséquent, nous devrions pouvoir rejeter la plainte dont nous sommes saisis lorsqu'elle ne respecte pas les critères minimums de l'article 41 de notre loi, qui nous permet de prendre assez rapidement une décision en statuant que la plainte ne relève pas de notre compétence, au lieu d'être tenus d'effectuer une enquête exhaustive.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Dans mon cas, le problème est accentué par le fait que j'ai tendance à parler lentement.
Je pense qu'étant donné la polémique qui a précédé ces audiences, il serait approprié que je commence par vous indiquer les points sur lesquels mon organisation s'entend avec les défenseurs de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il y en a trois.
Premièrement, nous sommes d'accord sur le fait que la liberté d'expression n'est pas et ne peut être absolue. Deuxièmement, en ce qui concerne la hiérarchie des libertés, de façon abstraite, une liberté n'a pas nécessairement priorité sur une autre. Les priorités sont définies intelligemment dans des situations concrètes, et non en fonction d'un principe abstrait. Troisièmement, nous nous entendons sur le fait que nous devons conserver l'ensemble de nos lois en matière de droits de la personne et que nous devons encourager les organismes créés pour les appliquer à continuer de le faire, parce que la plupart de ces mesures législatives sont très utiles et très importantes.
Voilà les points d'entente. Parlons maintenant des points de désaccord.
La liberté d'expression n'est peut-être pas absolue, mais elle est néanmoins l'élément vital du système démocratique. C'est le moyen qui nous permet de mobiliser ou de tenter de mobiliser l'opinion publique pour redresser les torts qu'on nous a causés. Mon philosophe préféré a dit un jour qu'il s'agissait d'une liberté stratégique, d'une liberté dont dépendent d'autres libertés.
Il y a essentiellement deux problèmes concernant les dispositions contre les comportements haineux dans les lois en matière de droits de la personne. Premièrement, elles sont trop vagues, et deuxièmement, trop générales.
Lorsqu'on parle d'exposer des personnes à la haine ou au mépris, j'estime que même avec toutes les définitions du monde, le problème est que cela reste vague. Nous savons que la liberté d'expression est souvent très importante pour exprimer un profond désaccord, mais où s'arrête le profond désaccord et où commence la haine? Si l'on mettait l'accent sur la violence, comme le professeur Moon l'a recommandé, le problème ne se poserait probablement pas, mais la haine est forcément un terme vague.
Il y a aussi l'étendue, l'ampleur des dispositions. On cible des énoncés comme « susceptible d'exposer » des personnes pour divers motifs, divers principes, à la haine ou au mépris. On dit « susceptible »; donc, il n'est pas obligatoire qu'il y ait une intention de fomenter la haine, et il n'y a pas de défense ni de motif raisonnable fondé sur la vérité.
J'aimerais vous parler d'une controverse récente, car je crois qu'il y a en quelque sorte une discussion simpliste qui l'entoure. Je parle de la plainte déposée contre le magazine Maclean's concernant l'article rédigé par Mark Steyn. Certaines personnes ont dit: « Cela n'équivalait pas à de la haine », comme s'il était parfaitement évident que ce n'en était pas. J'estime qu'il est loin d'être évident que l'article de M. Steyn n'était pas haineux.
Je vais vous lire une phrase de son article. Il a dit: « Bien entendu, tous les musulmans ne sont pas des terroristes — même s'il y en a suffisamment qui s'intéressent au djihad pour qu'il y ait un réseau d'appui impressionnant... ». Qu'est-ce que cette phrase veut dire, en réalité? Qu'un nombre important de musulmans « appuient » — appuient quoi? Le terrorisme, y compris l'enlèvement, la torture et la décapitation de personnes innocentes? Que peut-on dire de pire à propos des gens, ces temps-ci, que de dire qu'ils appuient de telles activités? Il n'est pas du tout évident qu'un nouveau groupe de la Commission des droits de la personne ou le tribunal, s'il est saisi de l'affaire, va arriver à la même conclusion que le groupe précédent.
Nous avons fait un peu de recherche à propos des récentes controverses, et j'aimerais vous lire de courts extraits de quelques articles. Voici l'extrait d'un article tiré de la respectable revue américaine The New Republic à propos du conflit au Kosovo:
Le raisonnement classique... est que nous n'avons aucun différend avec le peuple serbe. C'est leur dirigeant, Slobodan Milosevic, et ses hommes de main qui l'ont manipulé pour lui faire mener des guerres brutales... Mais si c'était faux? Si les Serbes... appuyaient en fait le nettoyage ethnique...? Dans ce cas, nous avons un différend avec le peuple serbe.
Auparavant, je croyais que les Serbes ordinaires avaient été trompés et obligés d'accepter les atrocités faites en leur nom. Mais maintenant, après cinq ans... après avoir tenté en vain de voir les centaines de Serbes que j'ai rencontrés exprimer des remords, je suis convaincu que la dernière hypothèse est la vraie. Peu importe ce que nous ferons au Kosovo, nous devons nous rendre à l'évidence qu'à toutes fins pratiques, bien des Serbes ordinaires sont — pour paraphraser Daniel Jonah Goldhagen — les bourreaux consentants de Milosevic.
Cet article n'est-il pas susceptible d'exposer les Serbes à la haine ou au mépris?
Voici ce que dit, dans son livre, Daniel Goldhagen à propos de l'état d'esprit du peuple allemand à l'époque de l'Holocauste:
... les auteurs, « des Allemands ordinaires », étaient animés d'un sentiment antisémite, d'un type particulier d'antisémitisme qui les a menés à conclure que les Juifs devaient mourir. ... En somme, les auteurs, s'étant accrochés à leurs propres convictions... et ayant jugé que l'extermination des Juifs était juste, n'ont pas voulu dire « non ».
Cela n'est-il pas susceptible d'exposer toute une génération d'Allemands à la haine ou au mépris?
Je sais que Daniel Goldhagen est un historien controversé, mais personne ne remet en question ses compétences en histoire. Dans certains documents, on a tenté de prouver que les nazis avaient pu compter sur la collaboration des populations locales dans certains pays qu'ils ont occupés. Cela nous mène à une question très intéressante: dans quelle mesure l'article 13 pourrait-il ériger en infraction de dire la vérité à propos de l'Holocauste? C'est l'un des problèmes que pose cette disposition.
Par conséquent, l'Association canadienne des libertés civiles estime que Richard Moon a tout à fait raison de dire que l'on ne devrait pas mettre l'accent sur les manifestations de haine, mais sur la prévention de la violence. Nous avons peut-être des différends au sujet de certains détails, mais l'orientation du rapport Moon, à notre avis, est la bonne.
Nous vous soumettons cela bien respectueusement, comme toujours, monsieur le président.
:
Il s'agit de négationnisme. Ça va?
Finalement, il y a deux théories qui s'affrontent dans ce genre de débat. Il y a les défenseurs de la liberté d'expression, qui disent que l'on ne peut pas imposer une vérité historique officielle. Par ailleurs, il y a d'autres personnes qui choisissent la part de la victime.
Par exemple, admettons que des voyous me battent, m'attaquent ou me violent. Par la suite, je vais devant les tribunaux et je les fais condamner. Ensuite, ces mêmes voyous ou des amis de ceux-ci commencent à dire que j'ai inventé toute l'histoire, que ce qui m'est arrivé ne s'est jamais produit. Ce faisant, ces personnes vont accroître considérablement ma souffrance et ma douleur. Car la première exigence d'une personne qui a subi une si grande douleur ou une si grande injustice est la reconnaissance du fait qu'on lui a causé un tort.
C'est ce débat entre les gens qui disent que l'on ne peut pas imposer une vérité historique officielle — les gens ont le droit de croire à l'histoire à laquelle ils veulent bien croire — et les autres qui défendent les victimes.
Quelle est votre position? Comment voyez-vous cette question, personnellement?
:
Merci, monsieur le président.
J'apprécie vivement la présence du témoin aujourd'hui.
Monsieur, vous avez parlé de Canadiens qui luttent contre l'intolérance ou la haine. On pourrait presque inclure dans ce groupe toutes les personnes réunies dans la salle. Une des raisons pour lesquelles de nombreux élus se retrouvent ici vient du fait que nous nous sommes portés à la défense des droits de la personne en différentes capacités au fil du temps, ce qui nous acquiert une certaine reconnaissance.
À Hamilton, nous avons lancé une initiative visant à renforcer les liens au sein de la communauté après l'incendie qui a ravagé le temple hindou Samaj dans la foulée des attaques du 11 septembre, un crime haineux grave. Les perpétrateurs étaient incapables de faire la différence entre un temple hindou et une mosquée. Donc, nous avons mis sur pied le Community Coalition Against Racism. Il arrivait que cet organisme ou d'autres soulèvent des questions qui mettaient les gens mal à l'aise et, dans une certaine mesure, vous l'avez fait vous aussi aujourd'hui quand vous avez parlé de la complicité des peuples serbe et allemand et jusqu'où cela pouvait mener.
J'ai légèrement tiqué lorsque vous avez dit que la commission s'en sortirait peut-être mieux si elle se limitait aux cas d'incitation à la violence imminente. La violence, selon moi, est un phénomène qui se produit dans le feu de l'action, de sorte qu'elle n'agirait qu'une fois que la police a fait enquête ou je ne sais trop quoi.
Quand des messages haineux sont transmis sur Internet ou dans les médias notamment, la commission serait l'endroit idéal pour en traiter, car les forces policières n'ont peut-être pas d'aussi bons moyens d'action sur le terrain, par manque d'expérience.
Je me suis senti interpelé par ce rapport que la commission a présenté au Parlement — et je ne suis pas sûr que vous en ayez reçu un exemplaire. Elle y fait certaines recommandations très frappantes, comme d'ajouter une définition du mot « haine » dans la loi. Il est difficile de faire la différence entre ce qui est de la haine et ce qui ne l'est pas, et les auteurs parlent aussi de « mépris ». Ce qui me semble important, c'est qu'on nous renvoie aux arrêts de la Cour suprême du Canada qui établissent des balises pour décider de la manière dont nous allons appliquer la définition législative de ce qu'est censée faire la commission.
Les auteurs poursuivent en discutant de dépens et d'autres choses de cette nature, mais le rapport semble apporter une solution à certaines préoccupations exprimées récemment. Je crois qu'on a fait un réel effort.
Comme vous pouvez le constater, mes propos se rapprochent davantage d'une déclaration. Je ne vous pose pas vraiment une question, mais sentez-vous libre d'y réagir.
Je crains que des personnes au Canada qui cherchent à minimiser ou à limiter la capacité d'agir de la Commission canadienne des droits de la personne et des tribunaux chargés de faire ce qu'il y a de plus difficile au pays n'en compromettent l'avenir en raison d'un ou deux problèmes très graves ou d'un ou deux jugements. Donc, pour en revenir à mon propos, si ces organismes ont perdu de vue leur objectif — et c'est une supposition très hypothétique —, à la lumière des opinions de la cour et des droits qui pourraient fort bien résulter de la décision prise quant à la façon de régler le problème, l'important est de ne pas minimiser leur capacité de faire un travail fort sérieux et très important.
Si l'on se fie à ce qui est survenu en Allemagne nazie, au Kosovo et ailleurs, s'il y avait eu une commission des droits de la personne dans les années qui ont précédé, des personnes comme Hitler n'auraient peut-être pas eu le pouvoir d'agir comme ils l'ont fait.
Je viens d'aborder une question au sujet de laquelle vous aurez beaucoup à dire, j'en suis sûr.
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C'est le moins qu'on puisse dire!
Je me contenterai simplement d'une remarque au sujet de l'Allemagne. Dans l'Allemagne pré-Hitler, il existait une loi contre les crimes haineux très similaire à celle du Canada actuellement et, durant les 15 années qui ont précédé l'accession au pouvoir de Hitler, on y a mené plus de 200 poursuites pour discours antisémite. En fait, de l'opinion du principal organisme juif d'alors, ces poursuites étaient bien faites 90 p. 100 du temps. Donc, elle n'a été d'aucune utilité au moment où l'on en avait le plus besoin.
Lorsque vous dites, au sujet de la Commission des droits de la personne, que les mesures que je prône pourraient peut-être lui enlever les moyens d'agir, c'est tout le contraire. J'ai commencé par faire valoir que je suis très favorable au reste de ce que font les commissions de droits de la personne, et j'estime que ces programmes devraient être renforcés.
Par contre, selon moi, l'ajout dans la Loi sur les droits de la personne d'une définition du mot « haine » ne serait pas très utile. En fait, je serais plutôt étonné que cela ait une quelconque influence. Pour illustrer mon propos, je précise que la définition parle de « vive détestation ». Je vous pose la question: est-ce que l'expression est plus claire que le mot « haine »? Voilà le problème posé par ces définitions, qui ne sont pas à blâmer par ailleurs, ni les juges qui ont rédigé la loi. C'est le problème qui se pose quand on utilise de pareils mots dans une loi pour décrire une infraction. Il existe inévitablement une certaine imprécision inhérente.
Les commissions des droits de la personne pourraient malgré tout avoir une fonction utile quand des manifestations de haine sont concernées. Elles ont un mandat éducatif et elles pourraient s'en servir de manière plus créative afin de faire de la promotion, de publier des réponses et de mettre en place des programmes de prévention. Ce sont là le genre de choses que pourraient faire des commissions des droits de la personne.
En toute justice, je ne suis pas vraiment ce que font les commissions actuellement. J'ai dérivé vers d'autres champs de spécialité. Mais j'ai tout de même, durant une certaine période, travaillé de très près avec M. Daniel G. Hill, premier directeur d'une commission des droits de la personne au Canada, celle de l'Ontario, et il avait mis en place beaucoup de programmes éducatifs innovateurs. J'estime que les commissions pourraient beaucoup faire à cet égard.
C'est pourquoi j'affirme vouloir revenir à la réponse que j'ai donnée à M. Rae tout à l'heure. Ce n'est pas une question de tout ou rien. Notre seul choix ne se résume pas à sévir ou à ne rien faire.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je vais laisser mon collègue, M. Hiebert, utiliser la plus grande partie du temps qui m'est alloué, mais je tenais tout de même à faire valoir certains points.
Tout d'abord, monsieur Borovoy, je conviens avec vous de l'excellence d'une grande partie du travail fait par la Commission canadienne des droits de la personne. Selon moi, le problème de la commission, c'est qu'elle... Il existe un principe en droit jurisprudentiel aux États-Unis, soit que le système de justice ne doit pas seulement être juste, mais également donner l'impression de l'être. Je crois que la commission a actuellement un problème de crédibilité qu'elle va devoir régler. Un témoin a parlé du problème posé par les médias, et j'en suis conscient; nous sommes constamment en train d'essayer de rétablir les faits dans les médias.
Vous avez mentionné un problème au sujet de la portée et de l'étendue de l'article 13, je crois, qui échappe également à la commission. Je le dis en ce sens que la Loi canadienne sur les droits de la personne n'a pas été conçue pour punir, mais bien pour corriger des situations, parce qu'un simple recours aux tribunaux nuirait au nom de quelqu'un au-delà de sa capacité de le blanchir. Quiconque fait l'objet d'une plainte, ce qui pourrait facilement se produire en raison de l'étendue de l'article, doit se faire représenter par un avocat parce qu'il serait terrifié à l'idée de se présenter seul devant un tribunal et d'être mis en cause et jugé coupable, naturellement, d'avoir tenu des propos haineux.
C'est là une de mes principales sources de préoccupation. Vous pouvez commenter, mais je tiens à laisser mon collègue, M. Hiebert, poser des questions.