FINA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FINANCE
COMITÉ PERMANENT DES FINANCES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 11 avril 2000
Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je déclare la séance ouverte et souhaite la bienvenue à toutes les personnes présentes ici ce matin.
Permettez-moi d'abord de demander à nos invités de nous excuser pour le local. Malheureusement, en raison d'un manque de salles de réunion à cause du dépôt du rapport du vérificateur général et des séances d'information à huis clos auxquelles cet événement donne lieu, et quoi encore, nous devons nous contenter de ce réduit. Voilà un autre bel exemple du type de rénovation qu'il nous faudrait peut-être songer à effectuer à cet immeuble. Naturellement, c'est là une des idées géniales du Parti réformiste.
D'abord, je vous rappelle que nous avons pour mandat aujourd'hui d'examiner le projet de loi C-22, Loi visant à faciliter la répression du recyclage financier des produits de la criminalité, constituant le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence. Tel est l'ordre de renvoi que nous avons reçu de la Chambre des communes. C'est ce à quoi nous nous emploierons aujourd'hui. Nous allons d'abord entendre l'exposé de M. Roy Cullen, secrétaire parlementaire et membre de notre comité. Bienvenue, monsieur Cullen.
Des hauts fonctionnaires se joindront ensuite à lui pour répondre à nos questions. Comme vous le savez sans doute, nous allouons normalement de dix à quinze minutes pour la déclaration préliminaire, après quoi nous passons à une période de questions.
Monsieur Cullen, la parole est à vous.
M. Roy Cullen (secrétaire parlementaire du ministre des Finances): Merci beaucoup, monsieur le président.
Permettez-moi d'abord de vous présenter les gens qui ont pris place à cette table, les hauts fonctionnaires qui seront disposés répondre à vos questions plus tard. J'ai avec moi M. Horst Intscher, directeur exécutif, Équipe de transition, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada; M. Richard Lalonde, chef par intérim, Secteur des crimes financiers, Direction de la politique du secteur financier; M. Yvon Carrière, avocat principal; M. Charles Seeto, directeur, Division du secteur financier, Direction de la politique du secteur financier, ainsi que d'autres hauts fonctionnaires que nous pourrons dûment vous présenter plus tard.
Monsieur le président, je suis heureux d'avoir l'occasion d'entretenir le comité aujourd'hui du projet de loi C-22, Loi concernant le recyclage des produits de la criminalité ou le blanchiment d'argent. Je serai bref, de manière à ce qu'il nous reste amplement de temps pour les questions. Ce projet de loi, monsieur le président, met à jour et renforce la loi actuelle du même nom qui est en vigueur depuis 1991. Il a pour objet d'améliorer l'efficacité des mesures de détection, de prévention et de dissuasion du recyclage des produits de la criminalité ici au Canada.
[Français]
Avant d'aller plus loin, je dois définir l'expression «recyclage des produits de la criminalité». Il s'agit d'un processus en vertu duquel de l'argent détenu illégalement dans le cadre d'activités criminelles est converti en actifs qui ne peuvent être facilement retracés jusqu'à leurs origines.
[Traduction]
En d'autres termes, monsieur le président, il s'agit de sommes qui sont recyclées pour en occulter l'origine. Alors que l'ouverture des frontières favorise la concurrence sur les marchés internationaux et profite grandement à des pays commerçants comme le Canada, elle peut également avoir pour inconvénient de permettre aux criminels de s'infiltrer sur les marchés financiers dans le but d'y recycler les produits de leurs activités illégales. Avec la mondialisation des marchés financiers, les criminels peuvent très facilement recycler chaque jour des millions de dollars de profits illicites tirés du trafic de la drogue ou d'autres activités criminelles comme le cambriolage et la contrebande des cigarettes.
On estime à entre cinq et dix-sept milliards de dollars la valeur des fonds en mouvement illégal au Canada chaque année. Monsieur le président, il s'agit là d'un grave problème, qui requiert que des mesures adéquates soient prises pour décourager et détecter le recyclage d'argent et veiller à ce que les intermédiaires financiers exercent une surveillance étroite à cet égard dans la conduite de leurs affaires.
Les intermédiaires financiers qui sont victimes d'activités de blanchiment d'argent risquent d'ailleurs de voir leur réputation injustement entachée.
[Français]
Ici, au Canada, nous nous engageons autant que possible à combattre le blanchiment d'argent. Si les méthodes d'enquête habituelles ne sont plus aussi efficaces qu'elles devraient l'être, il nous faut adopter de nouvelles mesures.
[Traduction]
Le projet de loi C-22 prévoit de telles mesures. Il le fait en donnant suite aux pressions qu'ont exercées, en vue de l'adoption de mesures législatives rendant obligatoire la déclaration des transactions douteuses ou des mouvements transfrontaliers d'espèces jugés suspects, les organismes canadiens responsables de l'application de la loi. Ce projet de loi a pour objet de doter les organismes responsables de l'application de la loi des outils dont ils ont besoin pour remplir cette mission, et ce, tout en respectant le droit des gens à la protection de leur vie privée. Le projet de loi C-22 obéit à ces deux principes.
• 0910
Le projet de loi C-22 répond également aux inquiétudes
exprimées par le Groupe d'action financière international (GAFI)
sur le blanchiment des capitaux, un groupe créé par le G-7 en 1989,
qui s'était déclaré préoccupé du fait que le Canada ne se
conformait pas aux normes internationales en matière de déclaration
obligatoire des transactions douteuses ainsi que sur le chapitre de
la collecte et de la gestion centralisées des déclarations en
question. Le Canada est d'ailleurs le seul pays où la production de
telles déclarations n'est pas obligatoire. Avec l'adoption de ce
projet de loi, notre régime de déclaration sera conforme aux normes
proposées par le Groupe d'action financière sur le blanchiment des
capitaux et à la hauteur de ce qui se fait à cet égard dans la
plupart des pays industrialisés du monde.
Avant de vous entretenir des particularités du projet de loi, il m'apparaît important de vous faire remarquer ici que ce projet de loi n'a pas été élaboré en vase clos, mais est le résultat d'intenses consultations qui ont été menées auprès de nombreuses parties intéressées, y compris les provinces et les territoires, les parties prenantes des milieux financiers, les entités responsables de l'application de la loi, des associations de consommateurs et divers organismes qui ont à coeur la protection de la vie privée.
[Français]
Monsieur le président, j'aimerais prendre le temps d'expliquer les composantes principales du projet de loi.
D'abord, le projet de loi C-22 maintient les exigences de l'actuelle Loi sur le recyclage des produits de la criminalité quant à la tenue des livres et à l'identification des clients.
[Traduction]
Deuxièmement, le projet de loi propose, entre autres nouvelles mesures, l'imposition aux intermédiaires financiers de l'obligation de déclarer les opérations financières à l'égard desquelles ils ont des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles sont liées à la perpétration d'une infraction de blanchiment d'argent. En outre, le ministère est à rédiger un règlement qui précisera quels types d'opérations financières, par exemple la réception de 10 000 $ ou plus en espèces, devront faire l'objet d'une déclaration. Les institutions financières, les casinos, les entreprises de services monétaires, les bureaux de change, de même que les cabinets d'avocats et de comptables, seront tous assujettis à ces exigences de déclaration d'opérations. Le défaut de déclarer des opérations douteuses pourra se traduire par l'imposition d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans ou d'une amende pouvant atteindre 2 millions de dollars.
Troisièmement, la déclaration de tout important mouvement transfrontalier de devises deviendra également obligatoire. L'importation ou l'exportation de sommes considérables en espèces ou en effets, comme des chèques de voyage, devront faire l'objet d'une déclaration aux douanes canadiennes. Le défaut de se conformer à cette exigence pourra entraîner la saisie des montants en cause. On mettra en place des mécanismes de révision et d'appel à l'égard des saisies et des amendes relatives à ces mouvements transfrontaliers. Les devises saisies seront remises à leur propriétaire une fois que celui-ci aura acquitté l'amende imposée, à moins que l'Agence des douanes soupçonne que ces montants sont des produits de la criminalité.
Quatrièmement, ce projet de loi porte création du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada.
[Français]
Ce centre, qui sera indépendant des organismes chargés de faire observer les lois, recevra les rapports autorisés par le projet de loi, analysera et évaluera les rapports et fournira aux organismes d'application des lois, partout au Canada, des renseignements sur les activités présumées de recyclage des produits de la criminalité.
[Traduction]
Le Centre sera autorisé à transmettre des renseignements aux forces policières compétentes si, sur la base de ses analyses, il a des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements en question ont quelque chose à voir avec une infraction de blanchiment d'argent. Le projet de loi permet également au Centre de communiquer ces renseignements à l'Agence des douanes et du revenu Canada, au Service canadien du renseignement de sécurité et à Citoyenneté et Immigration Canada si, en plus d'être relatifs à des activités de recyclage d'argent, ils peuvent être utiles à ces organismes dans l'exercice de leurs fonctions.
En tant que lieu central de la collecte, de l'analyse et de la communication de l'information, le Centre sera également appelé à collaborer sur le plan international à l'échange de renseignements avec d'autres organismes de même nature à l'étranger, ce qui aura pour effet de renforcer le rôle du Canada dans la lutte mondiale contre le recyclage d'argent. En outre, le Centre aura la responsabilité de surveiller l'observation des exigences relatives à la tenue de documents, à l'identification des clients et à la déclaration des opérations financières et, s'il y a lieu, il cherchera à travailler en partenariat avec d'autres organismes—par exemple avec les organismes provinciaux de réglementation—susceptibles de l'aider à s'acquitter efficacement de cette responsabilité.
Je puis assurer au comité que la collecte, l'utilisation et la communication de l'information par le Centre se fera de manière strictement contrôlée. Seule une quantité déterminée et restreinte des renseignements qui seront transmis au Centre sera communiquée aux services de police et à d'autres organismes compétents, et seulement à certaines conditions préétablies. L'information qui pourra alors être divulguée se limitera à des renseignements clés permettant l'identification des suspects, comme le nom de la personne en cause, le numéro du compte utilisé, le montant de l'opération et le lieu où elle a été effectuée, et certains autres renseignements de ce genre. Les autorités responsables de l'application de la loi seront tenues d'appuyer toute demande de poursuite sur des éléments de preuve et d'obtenir du tribunal une ordonnance de divulgation de renseignements avant de pouvoir exiger la communication de renseignements supplémentaires. Par ailleurs, le Centre et ses employés jouiront d'une immunité relativement aux sommations de comparaître, aux ordonnances de fouille et à toute autre procédure obligatoire, sauf en ce qui a trait aux enquêtes et aux poursuites relatives à des activités de recyclage d'argent.
Enfin, le centre sera assujetti à la Loi sur l'accès à l'information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels, et des sanctions pénales seront imposées pour l'utilisation ou la communication non autorisée de renseignements personnels détenus par le centre.
[Traduction]
Le projet de loi C-22 accorde des pouvoirs réglementaires concernant la désignation des entités visées, l'identification des clients, la tenue de documents et les exigences de déclaration. Ce pouvoir réglementaire, monsieur le président, sera suffisamment souple pour permettre aux responsables de réagir rapidement face à la constante évolution des activités de recyclage des produits de la criminalité et pour adapter le régime aux changements dans la façon dont les intermédiaires financiers mènent leurs affaires. Il permettra également d'aborder avec une plus grande flexibilité les questions que soulèvent les parties prenantes dans leurs efforts pour observer la loi.
On a entrepris, dès la publication en décembre dernier du document de consultation du ministère des Finances, une série d'intenses consultations portant sur le projet de règlement. Le ministère a reçu plusieurs mémoires, et des hauts fonctionnaires du ministère ont rencontré de nombreux représentants des parties prenantes pour entendre leurs points de vue. Il faudra mener d'autres consultations dans les mois qui viennent pour parfaire les propositions réglementaires actuelles et en soumettre de nouvelles qui porteront sur les modalités de déclaration.
Il convient de noter ici, monsieur le président, que le projet de loi C-22 prévoit un délai réglementaire minimal de 90 jours entre la publication des projets de règlements et la date envisagée pour leur entrée en vigueur ainsi qu'un délai supplémentaire minimal de 30 jours dans le cas de toute proposition de modification d'un projet de règlement à la suite des observations présentées après sa publication. Cette exigence va bien au-delà de ce que prévoient nombre de lois fédérales, ce qui illustre l'importance que le gouvernement attache aux consultations publiques dans ce domaine particulier.
Monsieur le président, ce nouveau régime de déclaration comporte de nombreux avantages. Il reposera sur la collaboration des intéressés—par exemple les intermédiaires financiers—qui sont les mieux placés pour détecter sur-le-champ les activités de recyclage des produits de la criminalité. Il fera également en sorte que les déclarations soient plus fiables et plus uniformes et soient produites en temps plus opportun.
[Français]
Les déclarations qui seront centralisées au nouveau centre fourniront une analyse indispensable afin que les forces policières puissent agir sur des pistes fiables et utiliser plus efficacement les ressources d'application des lois.
[Traduction]
C'est lorsque les enquêtes et les poursuites judiciaires sont fructueuses qu'il devient possible de confisquer les produits d'activités criminelles. Cette mesure législative permettra également au Canada de mieux épauler les efforts internationaux de répression des activités de recyclage d'argent, car notre pays s'en trouvera davantage apte à collaborer à cet égard avec les autres pays.
En conclusion, monsieur le président, le projet de loi C-22 s'attaque aux avantages financiers que procurent les activités criminelles et protège l'intégrité de notre système financier. Il crée un régime de déclaration équilibré et efficace qui aura pour objet de mettre au jour l'activité criminelle tout en protégeant le droit à la vie privée des particuliers. Il vient en outre compléter les autres initiatives fédérales de lutte contre le crime organisé, tout en aidant le Canada à respecter ses engagements internationaux sur ce chapitre.
[Français]
Monsieur le président, quels sont les fait saillants des mesures prévues dans le projet de loi C-22? Moi-même et les fonctionnaires ici présents serons heureux de répondre aux questions.
Merci beaucoup. Thank you.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Cullen.
Nous allons maintenant passer à la période des questions, à commencer par M. Abbott.
M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Alliance canadienne): Merci. Avant de débuter, pourriez-vous me rappeler de combien de temps nous disposons?
Une voix: Nous avons tout le temps que nous voulons.
Le président: Nous aurons un premier tour de table où chaque parti aura droit à dix minutes. Je vous demanderais donc d'y aller de questions brèves et intéressantes pour que nous puissions aborder le plus d'aspects possibles.
M. Jim Abbott: D'accord. Merci.
Monsieur Cullen, merci de votre exposé. Bienvenue à tous les hauts fonctionnaires et à chacun de nous qui sommes entassés dans ce local. J'imagine que c'est ainsi qu'on doit se sentir dans une boîte de sardines, mais je n'en suis pas sûr.
Permettez-moi d'abord de reprendre brièvement certains propos que j'ai tenus à la Chambre. Si les libéraux se retrouvaient avec une franchise de casse-croûte, ils abandonneraient sans doute le concept de restauration rapide. Ils ont mis terriblement de temps à proposer cette mesure législative, et il va sans dire que l'Alliance canadienne appuie le principe de ce projet de loi. J'ai quand même quelques questions à poser à ce sujet.
Dans un entretien privé que j'ai eu avec certains des hauts fonctionnaires, on m'a expliqué quelque chose que j'aimerais faire consigner au compte rendu. Ma question s'adresse à n'importe lequel d'entre vous qui se sentira bien placé pour y répondre. Pourquoi nous faut-il créer un centre à part pour consigner des renseignements sur les opérations financières? Pourquoi ne pourrions-nous pas confier cette responsabilité aux organismes existants, quitte à adapter quelque peu en conséquence le système actuel plutôt que d'ajouter un niveau supplémentaire de bureaucratie et de devoir embaucher de nouveaux employés? J'aimerais faire consigner au compte rendu la réponse à cette question, s'il vous plaît.
M. Roy Cullen: Merci. Peut-être pourrais-je d'abord m'exprimer là-dessus et demander ensuite à M. Lalonde s'il aurait quelque chose à ajouter.
Si nous créons un organisme distinct, c'est que nous tenons à sauvegarder le droit à la vie privée des citoyens et à nous assurer qu'il y aura une première vérification des renseignements obtenus afin que seuls les renseignements essentiels soient transmis aux forces policières si l'on soupçonne la présence d'activités de blanchiment d'argent. Si je ne m'abuse, ce que nous proposons est conforme à ce qui se fait dans tous les pays du G-7. Cette mesure vise principalement à faire en sorte que seuls les cas où l'on soupçonne sérieusement l'existence d'un lien avec des activités de blanchiment d'argent soient soumis aux forces policières et que le principe du respect de la vie privée des citoyens soit respecté.
Peut-être que Richard ou Charles pourraient compléter ma réponse.
M. Richard Lalonde (chef, Division du secteur financier, ministère des Finances): Merci, monsieur le président.
C'est exact. Il y a manifestement en l'occurrence nécessité de créer un organisme indépendant. Les autres pays qui font partie du Groupe d'action financière international sur le blanchiment de capitaux ont également adopté ce modèle. Il est d'importance capitale que cet organisme fonctionne en toute indépendance de la bureaucratie gouvernementale et des organismes d'application de la loi, car il aura pour responsabilité de recueillir et d'analyser des renseignements personnels de nature délicate concernant les opérations financières des Canadiens. Il lui faudra protéger l'information qu'il recueille et établir, en toute indépendance à l'égard du gouvernement, s'il y a lieu ou non de communiquer certains renseignements aux entités chargées d'appliquer la loi et à d'autres organismes compétents.
M. Jim Abbott: La façon dont on exprime ces choses m'inquiète un peu. Le gouvernement aura-t-il le pouvoir discrétionnaire de communiquer l'information en question? Est-ce là ce que vous dites?
M. Richard Lalonde: Non, bien au contraire. Ce que j'ai voulu dire, c'est que c'est l'organisme lui-même qui aura le pouvoir discrétionnaire de communiquer l'information, et c'est pourquoi il lui faudra pouvoir s'acquitter de sa mission en toute autonomie.
M. Jim Abbott: Je vois.
Ne trouvez-vous pas normal qu'un libertaire craigne que l'adoption de cette mesure législative et la création de cet organisme de consignation des opérations financières ne se traduisent par une ingérence accrue dans les affaires des Canadiens?
M. Roy Cullen: Voyez-vous, monsieur Abbott, on ne peut pas tout avoir. D'une part, la création d'un tel centre vise à garantir le respect des principes auxquels tiennent les Canadiens en matière de protection de la vie privée. Tout au long des consultations que nous avons menées jusqu'à maintenant pour élaborer cette mesure législative et établir quelle forme donner à cet organisme, nous avons mis beaucoup de soin et nous sommes donné bien du mal à assurer que la vie privée des Canadiens sera respectée. Je suis sûr que certains groupes de particuliers, d'organismes et de parties prenantes feront part au comité de leurs inquiétudes en ce qui concerne les questions de protection de la vie privée, mais nous avons le sentiment d'avoir vraiment tenu compte de tous les aspects de cette question.
Richard, auriez-vous quelque chose à ajouter?
M. Richard Lalonde: C'est déjà assez complet. Le projet de loi contient un certain nombre de garanties concernant la protection des renseignements que l'organisme dont on envisage la création recueillera auprès des Canadiens, et nous pourrions volontiers vous fournir des précisions à cet égard si vous le désirez.
M. Jim Abbott: Les Canadiens, qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises, ne devraient-ils pas s'inquiéter du paragraphe 73(2) de la partie 4 du projet de loi? Il dit:
-
Les projets de règlements fondés sur le paragraphe (1) sont publiés
[...]
etc. Je suis conscient qu'il s'agit là d'une disposition qui apparaît probablement invariablement dans ce genre de mesure législative, mais je la considère au regard d'une lettre de la maison H&R Block, qui était datée du 8 février et que, sauf erreur, nous sommes nombreux à avoir reçue. L'auteur de cette lettre parle d'un montant de 1 000 $ comme seuil entraînant l'obligation de conserver un document. Il dit:
-
Notre principale inquiétude a trait à la partie 4 [...] qui nous
oblige à garder pendant au moins cinq ans tout document se
rapportant à une opération de 1 000 $ ou plus.
et ainsi de suite.
Je n'ai pas eu l'occasion de vérifier ce qu'il en était auprès de l'auteur de la lettre, un monsieur Irving de la maison H&R Block, mais j'ai trouvé cette lettre quelque peu déroutante lorsque je me suis donné la peine de me reporter au projet de loi pour y chercher en vain un endroit où il était fait mention d'un seuil de 1 000 $. C'est ce qui m'a amené à me demander si les Canadiens, notamment les gens d'affaires, n'auraient pas raison de s'inquiéter du fait que ce paragraphe 73(2), qui confère des pouvoirs discrétionnaires, constituera, sans vouloir vous contredire, une sorte de chèque en blanc. Il donnera lieu à l'adoption d'un nombre impressionnant de règles obligeant les entités à conserver des piles de documents qui empiéteront encore davantage dans la vie des particuliers et des entreprises au Canada.
M. Roy Cullen: Je vous signale tout d'abord que nous nous sommes efforcés dans le projet de loi de chercher le juste milieu en ce qui concerne le nombre d'organisations ou de secteurs visés par les exigences de déclaration. À l'heure actuelle, nous nous en tenons aux intermédiaires financiers. En allant plus loin, nous risquerions d'imposer à d'autres entreprises des frais d'observation inutiles.
Dans tout ce processus, vu que nous évoluons en territoire qui nous est inconnu, nous entendons élaborer le Règlement en consultation avec les parties prenantes et nous inspirer de nos expériences au fur et à mesure de la mise en application de la loi et du fonctionnement du nouvel organisme.
Nous n'avons vraiment pas l'intention de faire porter par les entreprises un fardeau inutilement lourd, mais nous estimons que c'est à ceux qui au départ reçoivent des montants en espèces ou obtiennent ce genre de renseignements qu'il appartiendra de faire ces déclarations.
Pour ce qui est de la lettre de H&R Block, peut-être que Richard ou Horst en savent quelque chose et auraient des commentaires à formuler à cet égard.
M. Richard Lalonde: Volontiers. H&R Block nous a fait part de ses observations concernant le document de consultation que nous lui avons soumis portant sur le projet de règlement. Si j'ai bien compris et si ma mémoire est bonne, les représentants de cette entreprise ont exprimé leur inquiétude à propos de certains des seuils proposés. Ces seuils—ou du moins le pouvoir réglementaire pertinent—sont prévus à l'article 73 du projet de loi. Nous poursuivons actuellement le dialogue avec les parties prenantes en vue de parfaire ces propositions.
Il n'est vraiment pas dans notre intention d'imposer à qui que ce soit un fardeau indu en cette matière. En réalité, en présentant le document de consultation, nous avons établi très clairement que notre objectif était de réduire au minimum le fardeau d'observation de ce règlement, et que nous sommes très sensibles à cet aspect. C'est pourquoi nous entendons discuter de ces questions directement avec les parties prenantes dans les mois qui viennent pour pouvoir prendre les bonnes décisions.
M. Jim Abbott: En toute sincérité, j'ai le plus grand respect pour tous ceux qui sont assis autour de cette table et, d'ailleurs, pour tous ceux qui sont ici présents, et je ne doute pas des bonnes intentions de chacun. Ce qui me préoccupe, c'est l'empiétement croissant de la bureaucratie, de même que toutes ces exigences de déclaration qui sont en train d'étouffer littéralement l'entreprise dans tout le Canada.
Je le répète, l'Alliance canadienne appuie en principe ce projet de loi. Nous comprenons pourquoi il est nécessaire, et nous croyons d'ailleurs qu'on aurait dû nous le proposer il y a deux ou trois ans. Cela dit, nous demeurons vivement préoccupés de ce que, malgré toutes les bonnes intentions du monde, il risque de représenter un véritable cauchemar de paperasserie s'il n'est pas très judicieusement réglementé.
M. Roy Cullen: Monsieur Abbott, vous avez raison de dire qu'il nous faudra être très prudents dans nos exigences relatives aux déclarations. Étant donné que le projet de loi prévoit d'ailleurs un délai de 90 jours entre la publication dans la Gazette officielle de tout projet de règlement ou de toute modification à un projet de règlement et la date envisagée pour son entrée en vigueur, les Canadiens auront tout le temps voulu pour réagir et exprimer leurs préoccupations s'ils estiment que le gouvernement va trop loin. C'est quelque chose dont il nous faut scrupuleusement tenir compte.
Si nous avons attendu à ce moment-ci pour proposer cette mesure législative, c'est que nous avons pris tout le temps voulu pour mener des consultations intensives à ce sujet et parce que nous avons tenu à nous assurer que nous ferions de bonnes propositions. Nous croyons être maintenant près du but, mais les consultations que nous menons auprès de votre comité et d'autres groupes intéressés à propos des règlements nous aideront très certainement à prendre les bonnes décisions.
Le président: Merci, monsieur Abbott.
[Français]
Monsieur Marceau.
M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): D'abord, merci, monsieur Cullen, de votre présentation. Merci aussi à tous ceux et celles qui ont daigné vous accompagner dans une pièce aussi petite.
Monsieur Cullen, je voudrais juste comprendre un peu mieux la relation entre le GAFI et le projet de loi C-22. Si je comprends bien, le projet de loi C-22 a été proposé sur certaines recommandations du GAFI, qui regroupe des pays non seulement d'Europe mais aussi du Golfe et de l'Amérique du Nord.
• 0930
Est-ce qu'on se dirige vers des systèmes qui seraient
très similaires dans tous les pays du monde en suivant les
recommandations du GAFI?
M. Roy Cullen: Je pense qu'il faut collaborer avec tous les pays. Ceux du G-7 ont instauré ce groupe d'action pour améliorer la situation et pour coordonner les activités visant à diminuer le blanchiment d'argent dans les pays.
[Traduction]
Peut-être que les hauts fonctionnaires pourraient...
[Français]
Le président: Monsieur Lalonde.
M. Richard Lalonde: Tout à fait. Le problème du blanchiment d'argent est un problème mondial, qui exige donc des solutions ou des mesures de répression mondiales, d'où le besoin de coopération sur le plan international. Le GAFI a été constitué en 1989 pour établir des normes internationales en vue de mieux permettre aux pays membres de coopérer dans la répression du blanchiment d'argent.
Donc, le projet de loi C-22 s'inspire évidemment des normes établies par le GAFI et aussi des examens qui ont été faits sur le Canada par le GAFI.
M. Richard Marceau: D'accord. Le centre qui sera créé a donc des équivalents dans d'autres pays du monde; c'est ce que vous me dites. Il a ou aura des équivalents dans d'autres pays du monde.
Est-ce que le centre canadien pourra ou devra communiquer certaines informations à d'autres centres à travers le monde pour lutter justement contre ce que vous appelez ce problème mondial? Je présume que oui.
J'en viens à ma question. Au Canada, nous nous sommes donné certains barèmes selon lesquels un tel centre devra opérer. Vous avez mentionné la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Or, certains pays dans le monde n'ont pas nécessairement de telles protections. Je vous pose la question, mais je vous dis tout de suite que nous sommes favorables au projet de loi. Est-ce qu'il n'y a pas danger que certains renseignements protégés qu'on ne peut pas communiquer au Canada puissent être détournés, communiqués à un autre pays et réapparaître quelque part au Canada par une autre voie? En un mot, pourrait-on en arriver à faire par la porte d'en arrière ce qu'on ne peut pas faire par la porte d'en avant? Est-ce que dans les ententes entre pays, il y a possibilité, non pas d'exporter nos protections, mais de faire en sorte que les protections que vous avez fort justement inscrites dans le projet de loi ne puissent être contournées?
M. Roy Cullen: Excusez-moi, je vais vous répondre en anglais.
[Traduction]
D'abord, la communication de ce genre d'information à d'autres pays serait soumise aux mêmes règles rigoureuses que si elle s'effectuait au Canada. Seuls des renseignements de haut niveau pourraient ainsi être communiqués, et encore, leur transmission serait régie par un protocole liant chacun des pays concernés. Ce n'est vraiment qu'à des fins d'enquêtes policières, où la coopération avec Interpol et d'autres organismes du genre s'impose de toute évidence, que la loi et les normes régissant par exemple les ordonnances judiciaires de production de renseignements s'appliqueraient.
Pour ce qui est de l'échange de renseignements avec d'autres pays, nous signerions des protocoles, et le principe de la confidentialité des renseignements en question serait respecté. Ce n'est qu'au plus haut niveau, au niveau de l'organisme... et à propos des renseignements de haut niveau, qu'on caractériserait le type d'activités en cause.
Cette réponse vous satisfait-elle?
[Français]
M. Richard Lalonde: J'ajouterai simplement que tout échange d'information avec d'autres entités semblables à notre centre serait gouverné par des protocoles d'entente prévus dans le projet de loi. Ceux-ci ne s'appliqueraient pas seulement à l'échange d'information; ils contiendraient aussi des restrictions concernant leur utilisation par l'autre pays.
M. Richard Marceau: À quel article se trouve ce qui porte sur les protocoles? Est-ce à l'article 56?
• 0935
Je vous pose la question. Est-ce que, selon vous, ce
serait améliorer le projet de loi que d'ajouter dans
cet article que ces
protocoles doivent, de toute nécessité, respecter les lois
canadiennes en
matière de protection de la vie privée et ou d'accès à
l'information afin qu'on se donne une protection de plus?
J'ai lu rapidement les trois alinéas, et il n'est dit nulle part que ces accords doivent être guidés par des modalités ou contenir une condition relative aux protections qui ont été consenties au Canada.
Le président: Monsieur Carrière.
Me Yvon Carrière (avocat-conseil, Équipe de transition, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ministère des Finances): Chaque pays a son système juridique propre. Aux États-Unis, par exemple, les policiers ont directement accès à la base de données qui contient des renseignements sur les opérations suspectes. Évidemment, si on imposait les normes canadiennes, on ne pourrait transmettre aucune information aux États-Unis.
Dans d'autres pays, par exemple en Belgique, les magistrats décident ce qui doit être rendu public ou non. Encore là, le système canadien ne prévoit pas la divulgation de renseignements par le système judiciaire de première instance. Je crois donc que ce serait essayer d'imposer à des systèmes juridiques complètement différents du nôtre des normes qui sont propres au Canada.
M. Richard Marceau: Je suis d'accord avec vous. Je comprends votre point de vue, mais ça me ramène à mon premier point. Vous dites qu'aux États-Unis, et ça me donne un peu froid dans le dos, tous les policiers ont accès à cette banque de données. Si la Chambre décide que dans telle opération, on soupçonne Richard Marceau de blanchiment d'argent—et nous reviendrons sur la nature du soupçon—alors qu'il y a eu un protocole d'entente avec les États-Unis, comme il y a pas mal de policiers aux États-Unis, il me semble que beaucoup de monde aurait accès à des renseignements qui me sont extrêmement personnels.
Il y a danger qu'on fasse par la porte d'en arrière, c'est-à-dire qu'on donne accès à des informations très personnelles, à des choses qui devraient être très peu connues, ce qu'on n'a pas le droit de faire par la porte d'en avant. Par un tel projet de loi, on s'introduit dans la vie privée des gens, ce qu'on accepte parce que le fléau à combattre est grave. Par ailleurs, si vous me dites que les corps policiers des États-Unis vont aussi pouvoir s'y introduire, cela veut dire beaucoup de monde. Il y a peut-être plus de policiers aux États-Unis que d'habitants dans bien des pays.
M. Yvon Carrière: Je voudrais préciser que le centre peut donner des renseignements à un autre pays uniquement quand il a des motifs raisonnables de soupçonner qu'ils seraient utiles aux fins d'une enquête ou d'une poursuite pour une infraction de recyclage des produits de la criminologie. C'est dire qu'il y a un premier pas à franchir: il faut quand même qu'il existe des soupçons.
Deuxièmement, il s'agit uniquement des renseignements tels que désignés ou définis dans la loi, c'est-à-dire le nom du client, le montant de l'opération et l'endroit où l'opération a été faite. Encore là, il pourrait y avoir des conditions dans les protocoles d'entente qui limiteraient l'utilisation de l'information. Chaque protocole d'entente peut contenir des modalités propres à chacun d'eux. Je suis certain qu'on va faire preuve de beaucoup de discernement quant aux pays avec lesquels on va conclure des protocoles d'entente.
M. Richard Marceau: Voici d'autres questions, même si je sais, monsieur le président, que le temps file.
Vous avez mentionné les critères pour déterminer quels sont les motifs raisonnables de soupçonner qu'il y a recyclage d'argent. Or, ces critères de motifs raisonnables ne sont définis nulle part dans la loi. On ne prévoit nulle part dans la loi l'instauration d'un règlement qui détermine les critères employés pour déterminer ce qui est un motif raisonnable. Il me semble que le centre jouit d'un pouvoir discrétionnaire assez large. Il me semble qu'il devrait revenir de préférence au législateur, sinon au gouvernement, de définir ce que sont les motifs raisonnables, et non pas à une agence indépendante du gouvernement. Je voudrais avoir votre avis là-dessus.
[Traduction]
M. Roy Cullen: Monsieur Marceau, n'oubliez pas que ce dont nous voulons parler ici, c'est autre chose que... Les organismes comparables dans d'autres pays, qui, uniquement s'ils ont des motifs de soupçonner qu'il y a activité de recyclage d'argent...
En un sens, ces critères sont déjà définis dans les lignes directrices qu'on est actuellement tenu de respecter, et peut-être seront-ils précisés dans le règlement qui accompagnera ce projet de loi.
• 0940
Donc, ce sont uniquement certains renseignements de haut
niveau qui seront communiqués si l'on soupçonne qu'il y a activité
de blanchiment d'argent. Il y aura également des protocoles.
D'ailleurs, ces organismes se doivent de travailler de concert pour
que, en nous entraidant, nos efforts respectifs s'en trouvent plus
fructueux. Il nous faut, dans ce domaine, conjuguer nos efforts,
tout en tenant compte des lois et préoccupations propres à chaque
pays en ce qui touche la protection de la vie privée. On devra
tenir compte de ces différences dans le texte des protocoles
d'entente.
[Français]
M. Richard Marceau: Je parlais plutôt des critères employés pour déterminer les motifs raisonnables de soupçonner qu'il y a blanchiment d'argent. Ce n'est pas défini dans la loi. La loi ne confie nulle part au gouvernement la tâche de définir ces critères grâce à son pouvoir réglementaire. Je présume donc que c'est laissé au centre lui-même. On laisse au centre le pouvoir discrétionnaire de décider quels sont ces motifs raisonnables. Cela ne vous paraît-il pas un peu large comme pouvoir?
[Traduction]
M. Horst Intscher (directeur exécutif, Équipe de transition, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances): Avec votre permission, j'aimerais apporter ici quelques explications. D'abord, c'est à l'entité qui aura au départ constaté qu'il y a lieu de soupçonner l'existence d'activités illicites qu'il incombera de déclarer l'opération présumée douteuse. C'est vraiment en fonction du contexte normal de la conduite de ses affaires qu'elle pourra en juger. Autrement dit, l'entité soumise à cette exigence de déclaration—par exemple une banque ou une société de fiducie—devra déterminer si telle transaction sort suffisamment de l'ordinaire pour justifier qu'on la croie liée à une opération de blanchiment d'argent.
Le rôle que jouera le Centre à cet égard variera selon les cas. Encore là, suivant la nature de l'information que lui auront transmise les entités tenues de faire de telles déclarations et dépendant aussi de la portée des renseignements qu'il tiendra d'autres sources, le Centre se prononcera afin d'aider les entités tenues de faire ces déclarations à juger si l'opération financière en question est douteuse ou non.
De temps à autre, le Centre produira des lignes directrices décrivant les types d'opérations financières qui sont propres aux entreprises bancaires, aux caisses de crédit, aux casinos ou à d'autres entreprises de services financiers et qui, dans d'autres circonstances ou d'autres pays, se sont révélées liées à des activités de recyclage des produits de la criminalité. Ces lignes directrices constitueront un moyen d'aider les entités qui seront tenues de faire ces déclarations à devenir en mesure d'établir si telle ou telle opération financière doit être considérée comme douteuse et donner lieu à une déclaration qui sera transmise au Centre.
M. Roy Cullen: Si vous me le permettez, j'aurais quelque chose à ajouter en réponse à la question de M. Marceau, à savoir qu'il existe déjà des lignes directrices qui sont appliquées sur une base volontaire. Jusqu'à un certain point, ces lignes directrices définissent à l'aide d'exemples ce qu'il faut entendre par opérations financières douteuses et proposent aux entreprises certains critères pour en juger. L'un des problèmes auxquels nous faisons naturellement face, c'est que les activités ou les façons de faire des intermédiaires financiers sont en constante évolution, ce qui nous oblige à modifier nos lignes directrices en conséquence. Mais nous ne partons pas actuellement de zéro. Il existe déjà des lignes directrices que nous allons modifier et compléter au moyen du présent projet de loi.
Me Stan Cohen (avocat principal, Section des droits de la personne, ministère de la Justice): Je voudrais simplement ajouter, à propos du sens à donner à l'expression «soupçon raisonnable», que la Charte des droits recouvre d'une certaine manière l'ensemble de cet exercice. L'expression «motifs raisonnables de soupçonner» a un sens qui repose sur des cas de jurisprudence.
Il nous faut reconnaître qu'il s'agit d'un critère moins élevé que celui des «motifs raisonnables et probables», mais, dans le premier cas, la Cour suprême du Canada a convenu de donner à l'expression un sens qui, essentiellement, nous oblige à considérer que, pour qu'il y ait soupçon raisonnable, il doit y avoir une constellation de faits objectivement discernables qui justifient l'agent qui retient un prévenu de soupçonner celui-ci d'être criminellement impliqué dans une activité pouvant faire l'objet d'une enquête. La Cour a d'ailleurs insisté sur l'importance de garder à l'esprit qu'un doute fondé sur une intuition tenant à l'expérience ne saurait suffire, que ce doute s'avère ou non.
Ainsi, ce que nous cherchons à établir ici, qui est d'ailleurs conforme à ce que nous enseigne la jurisprudence—et qui finira peut-être par nous sembler aller de soi à la lumière de futurs jugements qui seront rendus dans des causes pertinentes—c'est quelque chose qui soit fondé sur des critères objectifs qui restent à définir et qui seront éventuellement énoncés dans le Règlement, les lignes directrices, etc. La norme que propose le présent projet de loi n'est donc pas purement arbitraire, ni d'ailleurs sans fondement dans la jurisprudence.
M. Roy Cullen: Bien que le Centre soit un organisme très indépendant du ministre, s'il s'éloigne de la ligne de conduite qui, aux yeux du ministre, va dans le sens des intérêts supérieurs de la population, le ministre a alors le pouvoir, aux termes du présent projet de loi, d'intervenir et d'imposer une façon différente d'agir plus conforme aux politiques du gouvernement.
Le président: Merci, monsieur Marceau.
Monsieur Nystrom.
L'hon. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Apelle, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à souhaiter la bienvenue à chacun de vous ici présents ce matin.
Comme nous l'avons dit à la Chambre, le Nouveau parti démocratique appuie ce projet de loi qui devrait nous permettre de nous hisser sur ce chapitre au même niveau que les autres pays de l'OCDE.
J'ai deux ou trois questions à poser dans le même esprit que celles de mes collègues qui m'ont précédé. D'abord, peut-être pourriez-vous nous renseigner un peu plus avant sur la définition qu'on donnera dans le Règlement de la notion d'opérations douteuses. Il s'agit là de questions très complexes. Je ne m'attends pas à ce qu'on me donne aujourd'hui une réponse précise à cet égard, mais peut-être pourriez-vous nous renseigner un peu mieux sur la façon dont on définira cette notion dans le Règlement. Évidemment, une telle définition n'a pas à être énoncée dans le projet de loi, mais elle le sera dans le Règlement, qui, lui, fera partie de la loi. Nous vous serions reconnaissants de nous éclairer un peu sur cet aspect.
M. Richard Lalonde: Comme nous l'avons indiqué un peu plus tôt, la loi ne comporte de pas de définition de ce qui constitue une opération douteuse.
Il demeure que la loi prévoit deux types de déclaration obligatoire d'opérations financières. Dans le premier cas, il s'agit des déclarations portant sur les opérations financières désignées, c'est-à-dire sur les transactions dont le montant est supérieur à un seuil donné ou sur certaines catégories très particulières d'opérations. Le deuxième type de déclaration porte sur les opérations financières douteuses. Comme nous l'avons indiqué, l'approche qu'ont adoptée à cet égard de nombreux autres pays, dont le Royaume-Uni, est simplement d'aider, au moyen de lignes directrices, les intermédiaires financiers à établir ce qu'est une opération financière douteuse, et c'est cette approche que nous entendons adopter.
M. Roy Cullen: Monsieur Nystrom, j'ai ici une liste de peut-être une dizaine d'opérations financières douteuses qui sont données en exemple dans les lignes directrices actuellement en vigueur. Il s'agit de cas relatifs à des opérations en espèces effectuées dans des comptes bancaires ou fiduciaires, de dépôts de montants d'argent considérables faits par une entreprise qui ne devrait normalement pas générer de tels montants en espèces, de clients dont les dépôts contiennent des billets contrefaits ou des effets falsifiés, etc. Il y a dans cette liste une dizaine d'exemples de ce genre que nous pouvons passer en revue si vous le désirez. Ces pratiques sont appelées à évoluer et à changer au fur et à mesure que les auteurs d'activités de blanchiment d'argent et les intermédiaires financiers se montreront plus créatifs et inventifs.
M. Lorne Nystrom: Je présume que les lignes directrices que nous allons adopter seront semblables à celles qui sont en vigueur dans les autres pays de l'OCDE.
M. Roy Cullen: C'est juste.
M. Lorne Nystrom: En ce qui a trait à la protection des renseignements personnels, le projet de loi permettra au Centre de communiquer à Revenu Canada des renseignements relatifs à des infractions aux lois fiscales, et là encore, il pourrait y avoir dans certaines circonstances un risque d'atteinte au droit à la vie privée. Auriez-vous quelque chose à ajouter à ce que vous avez déjà dit en ce qui touche ce que pourraient prescrire les lignes directrices en matière de communication de renseignements fiscaux à Revenu Canada?
M. Roy Cullen: Je vais me contenter d'une observation d'ordre général. L'objet de ce projet de loi est la lutte contre le blanchiment d'argent. S'il y a blanchiment d'argent, il est probable qu'il y ait également évasion fiscale. Mais l'inverse n'est pas forcément vrai. Si l'on soupçonne qu'on se livre à la fois à des activités de blanchiment d'argent et à des manoeuvres d'évasion fiscale, les renseignements pertinents pourraient être communiqués simultanément à l'agence du revenu et aux forces policières pour que ces organismes puissent coordonner leurs efforts.
Il me semble qu'on s'intéressera en priorité aux activités de blanchiment d'argent, et que, au besoin, il y aura une coordination des efforts entre la police et l'agence du revenu. Mais l'accent sera mis—et je tiens à insister sur ce point—sur la détection des activités de blanchiment d'argent.
• 0950
Richard, auriez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?
M. Richard Lalonde: Votre réponse à cette question m'apparaît complète. Pour que le Centre puisse communiquer des renseignements à toute autorité autre que l'organisme chargé d'appliquer la loi, il faut d'abord qu'il ait des motifs raisonnables de soupçonner qu'il y a blanchiment d'argent. L'autre élément à garder à l'esprit, c'est que si ces autres organismes peuvent aussi se voir communiquer de tels renseignements, c'est qu'on reconnaît qu'ils ont, bien entendu, également un rôle à jouer dans la lutte contre le crime organisé au Canada, et c'est là-dessus que portent nos efforts.
M. Lorne Nystrom: J'ai une autre question, monsieur le président. Peut-être suis-je dans l'erreur ou du moins un peu naïf, mais il m'a semblé que le projet de loi ne faisait pas mention des fraudes par carte de crédit ou carte de débit. Si j'ai raison de le croire, pourquoi n'en est-il pas question? Ne s'agit-il pas là de moyens potentiels de blanchir de l'argent?
M. Richard Lalonde: Vous avez tout à fait raison, ce sont effectivement des moyens qui pourraient servir au blanchiment d'argent. D'ailleurs, le projet de loi vise le blanchiment des produits de la fraude par carte de crédit au même titre que le recyclage des produits d'autres activités illicites qui sont définies dans le Code criminel tout comme le sont les infractions désignées en matière de drogue.
M. Lorne Nystrom: J'ai une dernière question. Pour revenir sur la question de M. Abbott, à savoir pourquoi créer un centre plutôt que de s'en remettre aux organismes existants, les autres pays qui ont adopté une telle loi se sont-ils tous dotés d'un centre qui s'acquitte de cette responsabilité en toute autonomie, ou certains d'entre eux s'en remettent-ils plutôt à cet égard à leur force de police nationale, l'équivalent de la GRC dans notre pays? Je présume que nous ne sommes pas les seuls à avoir choisi cette voie.
M. Richard Lalonde: Il y a à cet égard différents modèles dans le monde. Certains pays s'en remettent en réalité à leurs organismes existants d'application de la loi, mais, le plus souvent, ils créent expressément un organisme indépendant à cette fin. Il peut s'agir d'une branche d'un organisme existant de réglementation des services financiers, ou encore d'un organisme indépendant. Les pouvoirs conférés à de tels organismes varient d'un pays à l'autre, de même que leur mandat, mais ils ont tous, pour ainsi dire, la responsabilité de communiquer au besoin les renseignements pertinents aux organismes d'application de la loi.
M. Roy Cullen: L'idée qui sous-tend tout cela, monsieur Nystrom, c'est que nous devons nous assurer qu'il n'y aura pas d'excès de zèle dans la quête des soupçons, qu'il existera un premier mécanisme de vérification au niveau de la réception des dépôts ou de l'argent pour détecter les opérations douteuses et les opérations dont la déclaration sera prescrite par règlement. Puis, il y aura une autre vérification au niveau de l'agence responsable, où l'on utilisera d'autres renseignements et d'autres critères. Ce n'est qu'à ce stade, si l'on continue de soupçonner des activités de blanchiment d'argent, que les renseignements pourront être communiqués à la police. Rendu là, si la police, après avoir confronté ces renseignements avec ses propres informations, tient à se renseigner davantage, il lui faudra s'adresser aux tribunaux pour obtenir une ordonnance de production de renseignements plus détaillés.
M. Lorne Nystrom: Merci.
Le président: Sur une question qui n'a peut-être pas directement à voir avec le contenu du projet de loi proprement dit, quand une mesure législative comme celle-ci est proposée au peuple canadien, il faut évidemment prévoir les ressources requises pour en assurer la mise en application. D'après ce qui est ressorti des audiences que nous avons tenues dans le cadre des consultations prébudgétaires, la GRC et tous les autres organismes d'application de la loi auraient besoin de beaucoup plus d'argent.
Je crois que ce projet de loi est attendu depuis fort longtemps, et il est très heureux que nous fassions des progrès en ce sens et que nous nous apprêtions au moins à nous placer au même niveau que nos pays partenaires. Mais bien qu'en principe, ce projet de loi soit merveilleux, à quoi le gouvernement s'est-il engagé pour faire en sorte que ses objectifs soient atteints?
M. Roy Cullen: Merci, monsieur le président.
Dans le budget 2000, des ressources supplémentaires ont été allouées à la GRC, et quelque 5 millions de dollars de ces montants sont destinés à financer l'intensification de ses efforts de répression du recyclage des produits de la criminalité. En ce qui a trait au Centre lui-même, on est à réunir les données qui permettront d'évaluer combien il en coûtera pour en assurer le fonctionnement. Il est encore trop tôt pour être précis à cet égard, mais, comme ordre de grandeur, on peut avancer un chiffre se situant aux alentours de 10 à 15 millions de dollars annuellement pour financer ce centre.
Je le répète, si nous entendons nous attaquer à ce très grave problème du recyclage de plus en plus répandu des produits du trafic de la drogue dans notre pays tout en respectant le droit des Canadiens à la protection de leur vie privée, nous n'avons pas le choix entre bien des options. Mais vous posez là une bonne question. Les ressources sont rares, soit, mais dans le budget 2000, on a tout de même alloué à la GRC des fonds supplémentaires pour le financement d'activités liées à ce combat.
Le président: D'accord, mais soyons sincères de part et d'autre. Dans les notes d'information que j'ai ici, on dit que le blanchiment d'argent est une infraction criminelle grave qui, chaque année, est responsable dans notre pays d'un mouvement illicite de fonds dont la valeur estimée se situerait quelque part entre 5 et 17 milliards de dollars. Or, voici que nous allons nous attaquer à ce problème avec un budget supplémentaire de 5 millions de dollars. Je me demande tout simplement si—et peut-être n'est-ce pas ici le bon endroit pour poser cette question, je ne sais trop—à supposer que nous entendions vraiment appliquer ce projet de loi, nous ne devrions pas donner aux organismes d'application de la loi ou au Centre un budget un tant soit peu respectable pour le faire.
M. Roy Cullen: D'abord, les sommes supplémentaires qu'on allouera à la GRC à cette fin viendront s'ajouter aux ressources qu'elle affecte déjà à ce type d'activités. Quant à savoir si ce qu'on lui allouera sera suffisant, si le nouveau centre en aura assez de 10 à 15 millions de dollars par année, encore faudra-t-il établir quel montant lui suffirait. Je prends bonne note de votre question. Au fur et à mesure que nous réaliserons ce projet et que nous pourrons mieux mesurer les différents paramètres impliqués, il se pourrait que nous constations que les activités de blanchiment d'argent sont plus importantes que nous ne l'aurions cru, ce qui signifierait qu'il nous faudrait consacrer plus de ressources à cette lutte. Je suis porté à croire que, pour l'heure, le gouvernement est probablement raisonnablement confiant que, dans un premier temps, nous avons affecté ou allons affecter à ce poste suffisamment de ressources pour assurer le lancement de l'organisme, mais il faudra surveiller constamment la situation à cet égard.
Nous avons avec nous M. Deacon, de la GRC.
M. Jamie Deacon (directeur, Division de la lutte contre le crime organisé, ministère du Solliciteur général du Canada): Monsieur le président, j'ajouterai simplement, sur la question des ressources, qu'en 1997, le gouvernement a approuvé les fonds requis pour l'établissement au sein de la GRC de 13 unités intégrées de répression du recyclage des produits de la criminalité. Ces unités sont implantées dans divers importants centres urbains du pays. Elles sont administrées par la GRC, mais elles fonctionnent avec l'aide des forces de police provinciales et locales, du personnel de l'ACDR, ainsi que des procureurs de la Couronne et des juricomptables pour s'occuper des cas compliqués d'activités de blanchiment d'argent. C'est donc dire qu'en plus des investissements plus récents dont M. Cullen a fait mention, on avait déjà affecté des fonds à la lutte contre le blanchiment d'argent, et les arrangements prévus dans le projet de loi C-22 viendront à point nommé appuyer les activités de ces unités et en accroître l'efficacité.
Le président: Est-ce à dire que vous êtes satisfaits de ce montant d'argent?
M. Jamie Deacon: Je préférerais m'abstenir de formuler des observations sur cet aspect précis. Je tenais simplement à signaler qu'il y avait déjà eu des investissements de faits à cet égard.
M. Roy Cullen: Auriez-vous à l'esprit un montant plus approprié?
Le président: Je ne veux pas dire que j'ai un montant plus approprié à proposer, mais s'il s'agit vraiment de lutter contre le crime organisé et si ces activités criminelles impliquent des mouvements d'argent d'une valeur se situant entre 5 et 17 milliards de dollars, eh bien oui, je me pose ici une question. Je ne crois pas qu'il suffise d'un investissement de 10 millions de dollars pour s'attaquer sérieusement à ce problème. Il se peut que je fasse erreur, mais je crois que si l'on entend vraiment contrer des activités impliquant des fonds d'une valeur qui pourrait atteindre 17 milliards de dollars, il faudra qu'on mobilise davantage de ressources que cela.
Monsieur Szabo.
M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): J'ai deux ou trois questions d'ordre général à poser.
L'Institut canadien des comptables agréés, par exemple, se retrouvera dans une position où ses membres seront amenés à examiner les livres comptables et les dossiers de sociétés et à se demander quelles sont leurs obligations à l'égard de l'application de cette loi. Les comptables ont-ils fait état de problèmes que pourrait leur poser l'approche proposée dans le projet de loi en ce qui a trait au fardeau et exigences supplémentaires que la nouvelle loi pourrait faire peser sur leur profession?
M. Roy Cullen: Je crois, monsieur Szabo, qu'on nous a fait part de certaines préoccupations à cet égard. M. Lalonde aurait peut-être des observations à formuler sur ce sujet, ou encore Charles.
M. Richard Lalonde: Volontiers.
Nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec des représentants tant de l'Institut canadien des comptables agréés que de l'Association des comptables généraux licenciés concernant le projet de loi et le Règlement proposé, et je crois que nous avons été en mesure de les rassurer en partie en leur faisant valoir que nous allons veiller à les protéger pour autant qu'ils agiront comme intermédiaires financiers—autrement dit, pour autant qu'ils seront impliqués dans des opérations financières au nom de leurs clients.
Les comptables ont effectivement soulevé la question de leur rôle de vérificateurs et de la possibilité qu'ils se retrouvent placés en conflit d'intérêts avec leurs clients si on les oblige à transmettre au Centre des renseignements qu'ils auront recueillis dans le cadre de leurs activités de vérification. Ce que nous leur avons fait savoir, c'est que le Règlement indiquera très clairement que les exigences de déclaration ne s'appliqueront pas aux activités de vérification qu'exercent les comptables professionnels.
M. Paul Szabo: Il s'agit là d'un bon point, car je songeais même aux organismes de bienfaisance qui ne peuvent garantir la provenance des fonds dans le cas de certaines de leurs activités, et je me demandais si ce genre de situation entraînerait automatiquement une obligation de déclarer les activités douteuses vu que ces organismes n'auraient aucune base sur laquelle se fonder pour formuler une telle opinion sans... Il ne leur serait tout simplement pas possible de le faire.
On estime qu'environ 70 p. 100 de l'argent blanchi provient du trafic de la drogue. Je me demande dans quelle mesure il nous faudra, pour pouvoir mener efficacement ce combat, collaborer avec les pays étrangers et coordonner nos efforts avec les leurs.
M. Roy Cullen: D'abord, notre attention portera principalement sur le blanchiment d'argent. Comme nous l'avons mentionné précédemment, il y a déjà coopération sur le plan international, et toute opération financière douteuse sera visée par la loi.
Horst, auriez-vous quelque chose à ajouter?
M. Paul Szabo: Avons-nous eu des entretiens avec nos homologues des autres pays à propos de la façon d'aborder ce problème, et ce que nous proposons de faire est-il compatible avec les moyens dont disposent les autres pays ou avec la collaboration que nous pouvons attendre de ces pays?
M. Richard Lalonde: Tout à fait. La question de la coopération internationale pour réprimer le recyclage des produits de la criminalité fait l'objet de discussions constantes depuis au-delà d'une décennie. Au départ, ce sont les pays du G-7 qui ont lancé ces discussions qui, en réalité, se poursuivent encore aujourd'hui entre les pays du G-7 précisément sur ces questions et sur la façon d'intensifier la coopération. Le GAFI, le Groupe d'action financière international, a été créé pour favoriser cette collaboration et élaborer des normes internationales, dont certaines sont relatives à la coopération internationale.
D'ailleurs, depuis la mise sur pied du GAFI, on a créé un autre organisme international dans ce domaine d'activité. Il s'agit d'un organe qui regroupe tous les mandataires responsables de la répression du recyclage des produits de la criminalité, comme notre centre à nous, et ses membres discutent également de questions relatives à la coopération. C'est donc dire que cette question est au centre des préoccupations des organismes internationaux concernés.
M. Paul Szabo: J'aurais une dernière question. Les chiffres qu'on avance à propos de l'importance des pertes de revenu qui résultent du trafic des devises et du blanchiment d'argent semblent être relativement modestes comparé à ceux dont on fait état relativement à l'économie clandestine en général. Étant donné que, si j'ai bien compris, le nombre de cas de blanchiment d'argent doit être inférieur à celui des activités liées à l'économie clandestine dans son ensemble, entend-on à long terme élargir, pour ainsi dire, le mandat de cet organisme pour l'amener à s'attaquer à l'économie clandestine au sens large?
M. Roy Cullen: Je pourrais peut-être commencer par répondre à votre dernière question.
D'abord, comme je l'ai signalé précédemment, ce projet de loi a pour objet de s'attaquer au problème du blanchiment d'argent, l'évasion fiscale y étant abordée comme une question secondaire. Là où il y a blanchiment d'argent, il y a naturellement également évasion fiscale, mais l'inverse n'est pas nécessairement vrai. Ce projet de loi met donc l'accent sur la lutte contre le blanchiment d'argent. Ce n'est que dans la mesure où le blanchiment d'argent est lié à des activités de l'économie clandestine que l'on sera amené à s'attaquer à ces activités.
Mais j'aimerais revenir sur le point que vous avez soulevé plus tôt concernant les paradis fiscaux à l'étranger, par exemple. En réalité, lors d'une discussion que nous avons eue à ce sujet, M. Intscher m'a expliqué que l'argent qui sortira du pays, par exemple, sera très caché et surveillé, ce qui, dans une large mesure, impliquera manifestement des pratiques d'évasion fiscale. Mais supposons, par exemple, que cet argent soit placé dans un paradis fiscal où l'impôt est faible ou inexistant. Quand cet argent réintégrera notre pays, ses propriétaires prendront bien soin de respecter toutes les règles en vigueur, notamment la réglementation fiscale, à laquelle ils se conformeront en versant des dividendes ou autrement.
Comme vous pouvez l'imaginer, monsieur Szabo, à voir la façon dont ces opérations s'effectuent par l'entremise d'intermédiaires, de mandataires ou de prête-nom, il y a là tout un défi. Mais nombre de ces opérations se chiffrent par millions ou dizaines de millions de dollars, ce qui dans un sens peut nous faciliter la tâche, mais nous la compliquer par ailleurs.
M. Paul Szabo: Merci.
Le président: Y a-t-il d'autres questions? Monsieur Abbott.
M. Jim Abbott: J'aimerais poursuivre sur la question qu'a soulevée M. Bevilacqua. Peut-être que je vois les choses sous un angle légèrement différent du sien.
• 1005
Sur précisément la même question, il m'apparaît troublant
qu'on parle d'une fourchette de 5 à 17 milliards de dollars. En
fait de précision, on a déjà vu mieux. Puis, en réponse aux
questions du président du comité, vous nous dites qu'il nous faudra
peut-être ajouter des ressources supplémentaires. Encore là, ça
ressemble un peu à un chèque en blanc.
Sans vouloir vous contredire, monsieur Cullen, vous avez dit que le gouvernement avait mené d'intenses consultations et que c'est pour cette raison qu'il lui a fallu deux ans pour en arriver où nous en sommes. C'est là le genre de considérations que vous faites. Alors qu'on constate qu'il existe déjà ailleurs dans le monde des organismes comparables à celui que nous nous apprêtons à créer et que ces organismes ont déjà des états de service, j'aimerais bien qu'on m'aide à comprendre pourquoi le gouvernement ne peut pas répondre précisément à ce genre de question.
Désolé. Permettez-moi de reformuler ma question.
Aidez-moi à comprendre pourquoi le gouvernement est incapable de fournir au comité une réponse précise qui nous permettrait de savoir ce qui nous attend en ce qui touche le financement de cet organisme. Comment ne pas croire que le gouvernement lui-même ne sait pas où il va en ce qui concerne le financement en question?
M. Roy Cullen: D'abord, je crois que nous savons très bien où nous allons. J'ai dit que, dans le budget 2000, on avait alloué à la GRC des fonds supplémentaires qui, comme l'a souligné M. Deacon, s'ajoutaient à des sommes déjà affectées à ce type d'activités. Le budget annuel du nouveau centre se situera aux alentours de 10 à 15 millions de dollars. Si l'estimation de l'ampleur du problème du blanchiment d'argent au Canada n'est pas plus précise, c'est que nous ne savons pas vraiment dans quelle mesure il existe au Canada de telles activités. Nous avons quant à nous le sentiment que de telles pratiques sont beaucoup plus répandues que nous ne le souhaiterions.
Le président: Vous dites cela en vous fondant sur vos intuitions?
M. Roy Cullen: Oui, en effet. Une fois que le Centre aura été mis sur pied et que nous aurons une meilleure idée de la situation, nous évaluerons plus précisément ce qu'il en est. Je crois cependant que le montant proposé sera amplement suffisant pour lancer le Centre.
Richard ou M. Intscher auraient peut-être quelque chose à ajouter là-dessus.
M. Horst Intscher: En ce qui a trait à la taille appropriée et au niveau de financement du Centre, nous avons examiné le cas d'un certain nombre d'autres organismes qui ont un mandat de cette nature. La comparaison n'est pas facile à faire, parce que chacun de ces organismes a un mandat différent et des façons particulières de s'acquitter de ses responsabilités. Dans le cas de certains de ces organismes, un bon nombre des fonctions analytiques que notre centre aura à assumer sont confiées partiellement ou entièrement à des exécutants de l'extérieur. Dans d'autres cas, le régime de déclaration est très simple à administrer étant donné que les exigences relatives à la protection des renseignements personnels sont plus limitées que chez nous.
Compte tenu de la nature de notre mandat et de la relation qu'en vertu du projet de loi nous serons tenus d'avoir avec d'autres organismes qui recevront nos renseignements, nous sommes raisonnablement confiants que nous serons en mesure, avec un budget annuel de l'ordre de 10 à 15 millions de dollars, de disposer de la capacité d'analyse voulue. L'équipe de transition s'applique actuellement à préciser en priorité ces aspects. Elle s'efforce d'établir de quels systèmes nous aurons besoin pour traiter ce genre de données et quel type de capacité analytique il nous faudra mettre en place à cette fin. Nous espérons que, d'ici quelques mois, nous serons bien davantage en mesure qu'actuellement de fournir des précisions sur ce chapitre.
M. Jim Abbott: Mais enlevons quelques zéros à ces 10 ou 15 millions, car je ne suis pas très à l'aise avec les gros chiffres, même avec une marge d'erreur aussi généreuse. Supposons que vous venez tout juste de finir l'aménagement du sous-sol de votre maison. Quelqu'un s'amène pour vous offrir de vous poser une moquette pour un montant se situant quelque part entre 1 000 et 1 500 $, plus ou moins, en espérant ne s'être pas trop trompé dans son estimation. Seriez-vous disposé à signer une commande de travail aussi vague? C'est précisément ce que vous nous demandez.
Si vous ne demandez rien au gouvernement, chose certaine, vous demandez à l'opposition de trouver que tout cela est bien et de se déclarer satisfaite de ce que vous avancez quand vous dites que le montant sera probablement de tel ordre mais pourrait finir par être tout autre. Ne serait-il pas normal que le Parlement soit informé avec plus de précision et d'exactitude en ce qui concerne les coûts, plutôt que de devoir se contenter d'être mis au fait de vos états d'âme, de vos espoirs et de vos souhaits, avec des écarts pouvant aller jusqu'à 50 p. 100, plus, en prime, l'aveu que ces coûts pourraient être supérieurs à vos prédictions? N'est-ce pas énorme comme situation?
M. Roy Cullen: Eh bien, monsieur Abbott, le ministère s'emploie actuellement à consulter tous les groupes intéressés pour parfaire les lignes directrices et mettre au point les mécanismes et les exigences de déclaration. D'ici quelques mois, comme l'a mentionné M. Intscher, nous disposerons de chiffres plus précis en ce qui concerne le budget dont aura besoin le nouveau centre. Je regrette, mais nous ne sommes pas pour l'instant en mesure d'avancer des chiffres précis.
M. Jim Abbott: Pouvons-nous espérer qu'avant le moment où ce projet de loi sera réintroduit à la Chambre pour sa troisième lecture, où nous serons appelés à nous prononcer sur son adoption, nous aurons en main des chiffres beaucoup plus précis auxquels nous pourrons éventuellement nous référer pour demander des comptes au gouvernement? Si nous n'obtenons pas d'être mieux renseignés, le gouvernement, compte tenu de l'extrême imprécision des chiffres que vous nous avez fournis, n'aura à répondre de rien.
M. Roy Cullen: Selon le temps que tout cela prendra et le moment où nous reviendrons, je vous fournirai tous les renseignements dont je disposerai concernant la ventilation des coûts. Il est probable que nous aurons alors établi quels seront les coûts de fonctionnement, mais, en ce qui a trait à l'infrastructure nécessaire sur le plan des technologies de l'information, je ne suis pas sûr que nous aurons ces chiffres à ce moment-là. Tout dépendra du moment où nous les obtiendrons. Chose certaine, je ne demanderai pas mieux que de vous faire part de toute l'information qui nous parviendra d'ici là.
M. Jim Abbott: Merci.
Le président: La vraie réponse à cette question n'est-elle pas qu'il nous faut de toute façon commencer quelque part? Au départ, il faut un minimum de ressources, qu'on pourra éventuellement augmenter ou diminuer selon les responsabilités qu'on demandera à l'organisme d'assumer.
Je me dis qu'il s'agit là d'un montant qui vous apparaît plus ou moins raisonnable pour débuter, mais qui pourrait devoir être augmenté, ou encore être réduit si le mandat de l'organisme se révélait moins exigeant que prévu.
M. Jim Abbott: Puis-je proposer que vous vous donniez environ un mois pour la réalisation du projet de rénovation de votre sous-sol?
M. Roy Cullen: Nous prenons bonne note de votre suggestion. À l'heure actuelle, il n'existe pas au Canada de régime de déclaration obligatoire dans ce domaine. Étant donné qu'il s'agit d'une toute nouvelle problématique, nous allons en connaître davantage les détails dans les mois qui viennent. D'ailleurs, le comité va mener lui aussi d'autres consultations à ce sujet. Il se peut qu'il fasse ensuite des recommandations qui pourront venir modifier les besoins de ressources du Centre.
En ce qui a trait au processus, nous ne voulions pas arriver avec une proposition ferme sans savoir ce qui nous attendait. Il se pourrait qu'on adopte des orientations qui influeront sur les coûts. D'ailleurs, le budget du Centre fera certainement l'objet d'un nouvel examen par le Parlement et par votre comité.
Le président: Très bien.
M. Marceau, puis Mme Leung, seront les deux derniers à pouvoir poser des questions.
[Français]
M. Richard Marceau: Monsieur Cullen, est-ce que vous ou un de vos associés pouvez me dire si les exigences prévues dans le projet de loi C-22 en matière de déclaration des opérations financières vont entraîner des coûts pour les personnes et les organismes qui y sont soumis? Est-ce qu'il y aurait une façon de s'assurer que les coûts, réels ou prétendus, auxquels le système bancaire sera contraint ne soient pas transmis à monsieur ou madame Tout-le-monde, aux clients de ce système bancaire?
En d'autres mots, les frais bancaires étant déjà tellement élevés, peut-on s'assurer que ces nouvelles obligations ne seront pas transmises de la banque au client et, finalement, que ce ne soit pas monsieur et madame Tout-le-monde qui doivent payer davantage pour qu'on bénéficie de cela?
[Traduction]
M. Roy Cullen: À l'heure actuelle, les banques et la plupart des institutions financières le font sur une base volontaire. Elles assument déjà des coûts liés à la formation de leurs employés en cette matière ainsi qu'à la collecte des renseignements pertinents et à la production des déclarations à l'interne. Elles auront probablement un fardeau supplémentaire à porter. Nous voyons mal qu'il doive être lourd, mais il y en aura un. Compte tenu des profits astronomiques qu'elles réalisent, je suis convaincu que les banques n'auront aucun mal à absorber ces coûts. Chose certaine, nous ne pouvons pas statuer sur cette question dans le présent projet de loi.
Quelqu'un d'autre aurait-il quelque chose à ajouter sur ce point?
Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.): Lorsque vous confisquerez de l'argent blanchi, à supposer que cette opération soit excédentaire, les produits de cette confiscation seront-ils versés au Trésor ou reviendront-ils au Centre?
M. Yvon Carrière: Aux termes du projet de loi, tout montant d'argent confisqué sera considéré comme étant un produit de la criminalité et sera de ce fait traité comme tel. Nous avons à cet égard la Loi sur l'administration des biens saisis, qui prévoit la possibilité de partage avec d'autres paliers de gouvernement ou avec des gouvernements étrangers qui auraient participé à l'opération de confiscation proprement dite. Il va sans dire que le Centre ne touche à cet égard pas un sou, ni directement, ni indirectement, sauf par l'intermédiaire des revenus généraux de l'État ou du processus budgétaire.
M. Roy Cullen: L'argent va au secrétaire parlementaire.
Mme Sophia Leung: Je croyais qu'il allait au Parlement.
Des voix: Oh!
Le président: Monsieur Saint-Denis.
Me Paul Saint-Denis (avocat principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): J'ai une observation à ajouter. La Loi sur l'administration des biens saisis à laquelle mon collègue vient de faire référence contient une disposition qui crée un compte des produits de la criminalité. Ce compte fait partie des revenus consolidés de l'État. C'est donc dans ce compte que sont versés tous les produits de la criminalité. Ce n'est qu'ensuite que les montants sont répartis. Une partie de l'argent va à ceux qui ont contribué à l'enquête ou à la poursuite et le reste est remis au gouvernement, au Trésor.
Mme Sophia Leung: Merci.
Le président: Monsieur Pillitteri.
M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'avais une question à poser à propos de la confiscation des biens, mais on y a déjà répondu. Représentant la circonscription de Niagara Falls, je crois être bien placé pour savoir ce qu'est le blanchiment. Naturellement, aujourd'hui, c'est de blanchiment d'argent que nous parlons, et ce blanchiment peut prendre bien des formes. Le problème numéro un, c'est le trafic des stupéfiants. Allons-nous confisquer l'argent blanchi provenant du trafic des stupéfiants? Allons-nous estimer que cet argent appartient au gouvernement? Allons-nous permettre que d'une façon ou d'une autre l'organisme responsable se sente en droit d'utiliser une partie de cet argent, sachant d'où il vient?
M. Roy Cullen: J'aimerais d'abord répondre à votre question moi-même, avant de demander à M. Carrière d'intervenir sur l'aspect relatif aux produits de la criminalité.
En ce qui concerne l'argent qui entre au Canada par les postes frontières, par exemple, il devra faire l'objet d'une déclaration obligatoire. Quiconque s'amène à la frontière avec 15 000 $ en espèces ou en effets sera tenu de les déclarer. Si j'ai bien compris, tout montant d'argent supérieur à ce qui a été déclaré aux frontières et qui est découvert dans les bagages ou l'automobile d'un voyageur ou ailleurs sera saisi.
Une personne victime d'une telle saisie pourra ensuite prouver que l'argent en question n'était pas un produit de la criminalité ou du blanchiment. Si sa preuve est jugée fondée, la personne en question pourra, je crois, récupérer son argent. Dans le cas contraire, l'argent sera confisqué. Si je ne m'abuse, les règles qui s'appliquent dans un tel cas sont les mêmes que celles qui, d'après ce qu'a expliqué M. Carrière, s'appliquent dans le cas des produits de la criminalité.
M. Gary Pillitteri: J'aimerais poursuivre sur le même sujet. Nous qui vivons dans des localités frontalières, nous allons et venons constamment d'un pays à l'autre. On ne demande pas aux gens qui traversent la frontière depuis ou vers le Canada combien d'argent ils apportent avec eux. On ne demande pas aux gens s'ils transportent avec eux des espèces, de l'argent. Je ne crois pas qu'avec ce projet de loi, on s'apprête à ouvrir davantage nos frontières. Soit dit en passant, ce soir même, je vais assister à une conférence intitulée «Des frontières plus ouvertes: une façon intelligente de concevoir les douanes et l'immigration».
Avons-nous l'intention d'obliger les gens à répondre à encore plus de questions? Voilà où nous en sommes. Nous tentons, d'une part, d'obtenir des Américains qu'ils abrogent l'article 110 de leur loi sur l'immigration afin que nous n'ayons pas à faire la queue à l'approche de notre frontière, et, d'autre part, on me dit aujourd'hui que l'une des questions qu'on pourrait être amené à devoir poser aux gens à la frontière, c'est combien d'argent ils apportent avec eux. Si nous entendons vraiment ouvrir davantage nos frontières, faciliter le va-et-vient entre nos deux pays...
M. Roy Cullen: Monsieur Pillitteri, comme je l'ai mentionné au départ, l'un des points forts des relations canado-américaines, c'est que nos frontières sont ouvertes. Du même coup, toutefois, cette ouverture crée d'autres problèmes. À l'heure actuelle, par exemple, je crois savoir qu'en entrant aux États-Unis, il vous faut déclarer la valeur des espèces et des effets que vous apportez avec vous.
Essentiellement, cette loi et les règlements qui l'accompagneront obligeront les gens qui se présenteront à nos frontières à déclarer les montants qu'ils apportent avec eux s'ils ont en main quelque 15 000 $—ce chiffre n'est pas définitif, mais le seuil devrait être fixé aux alentours de 15 000 $—au cas où ils s'amèneraient au Canada avec de l'argent blanchi et parce que nous tenons à contrer ce genre d'activités.
M. Gary Pillitteri: Sauf erreur, le seuil de déclaration obligatoire est de 10 000 $; passé ce seuil, le fait doit être enregistré.
M. Roy Cullen: En dollars américains.
M. Gary Pillitteri: Vous avez raison, en dollars américains.
Mais je ne puis m'empêcher d'être inquiet quand je pense au cas de Niagara Falls et des casinos—il y en a déjà un et on s'apprête à en construire un deuxième encore plus grand—et au fait qu'à l'heure actuelle, il y a des gens d'affaire qui voyagent avec des montants beaucoup plus élevés que cela. Je me demande si, au lieu d'ouvrir davantage nos frontières et d'inciter les étrangers à visiter notre pays, on n'est pas en train, avec de telles mesures, de rendre la chose de plus en plus difficile.
Je reviens tout juste d'un séjour en Europe et j'y ai constaté en traversant les frontières d'un pays à l'autre de la Communauté économique européenne qu'on y avait abandonné ce genre de mesures restrictives. À quoi voulons-nous en venir? Ne nous apprêtons-nous pas à adopter une loi archaïque qui nous fera reculer plutôt qu'avancer?
M. Roy Cullen: Je ne suis pas sûr que cette loi soit archaïque; je crois plutôt que nous nous alignons sur ce que font à cet égard d'autres pays. Mais en ce qui concerne les pays de l'Union européenne, ils forment maintenant un grand ensemble.
Monsieur Lalonde, auriez-vous quelque chose à ajouter ou des observations à formuler sur cet aspect?
M. Richard Lalonde: Certainement.
Ce qui justifie l'application d'une telle mesure à nos frontières, c'est qu'étant donné qu'à l'intérieur de notre pays, nous allons resserrer notre régime et obliger les gens à faire certaines déclarations, nous tenons naturellement à nous assurer qu'en colmatant ainsi une brèche, nous n'allons pas repousser le problème à nos frontières et laisser aux gens la possibilité d'aller blanchir de l'argent aux États-Unis. Nous sommes donc en quelque sorte forcés d'instaurer un régime de déclaration à nos frontières.
Cette mesure s'apparente de très près à celle qu'appliquent les États-Unis à cet égard. Elle ne vise pas à entraver la libre circulation des capitaux, et ce n'est certes pas ce que nous voulons. Ce régime a été conçu de manière à ce qu'il n'y ait pas de telle entrave. Il ressemble beaucoup au régime que nous avons actuellement concernant l'entrée des biens dans notre pays, régime qui oblige les Canadiens et les étrangers à déclarer ce qu'ils apportent au Canada.
La procédure peut être aussi simple que de demander aux voyageurs de cocher une case de plus pour indiquer s'ils apportent avec eux des espèces ou des effets d'une valeur supérieure à un certain seuil. Le seuil que nous avons actuellement à l'esprit, comme l'a indiqué ou proposé M. Cullen, c'est 15 000 $ canadiens, ce qui équivaut sensiblement au seuil qu'appliquent les Américains.
En définitive, il y a peut-être des économies que nous pourrions réaliser en coopérant avec les autorités douanières américaines. Étant donné que les Américains recueillent déjà ce renseignement, nous pourrions peut-être en effet collaborer d'une certaine façon avec eux à cet égard, et c'est d'ailleurs pourquoi nous proposons un seuil de cet ordre.
M. Roy Cullen: Il y a aussi, monsieur Pillitteri, que ce seuil m'apparaît passablement élevé. Je sais qu'il y a des joueurs qui jouent gros jeu, mais il s'agit quand même de 15 000 $. Peut-être que les hauts fonctionnaires pourraient m'éclairer sur un point. Si le seuil est fixé à 15 000 $ et qu'une personne transporte plus que ce montant, elle sera tenue de le déclarer. Dans le cas d'une personne qui s'amène avec un tel montant, soi-disant pour aller jouer au casino, une fois qu'elle l'a déclaré—et c'est là-dessus que j'aimerais que les hauts fonctionnaires me répondent—comment les choses se passent-elles si cette personne est en mesure de convaincre le douanier qu'elle s'en va bel et bien au casino pour miser ces 15 000 $?
M. Yvon Carrière: Je tiens simplement à ce qu'il soit bien entendu que rien n'empêche quelqu'un de transporter plus de 15 000 $. Tout ce dont il s'agit, c'est d'un formulaire sur lequel vous déclarez le fait que vous traversez la frontière avec 15 000 $. Une fois que vous avez fait cela, aucune autre exigence ou limite ne vous est imposée.
M. Roy Cullen: Là où un problème se pose, c'est lorsqu'une personne transporte plus de 15 000 $ et omet de cocher la case voulue du formulaire. Si elle déclare qu'elle transporte plus de 15 000 $—et reprenez-moi si j'ai tort—rien d'autre ne se passe. L'information est ensuite transmise au Centre, n'est-ce pas? Mais pour ce qui est de...
M. Gary Pillitteri: Monsieur Cullen, je m'excuse, mais j'aimerais bien qu'on élimine tous ces documents comportant des cases à cocher. C'est ce que j'essaie de dire. C'est dans ce sens que s'oriente le reste du monde, et vers lequel je souhaiterais qu'on se dirige.
Lorsqu'une personne transporte de l'argent d'un pays à un autre, dès lors qu'il lui faut indiquer, en cochant une case sur un formulaire, qu'elle transporte tel ou tel montant, elle devient suspecte, quelqu'un à surveiller, et on lui ouvre un dossier d'enquête, avec numéro...
M. Roy Cullen: En un sens oui, mais pas vraiment, parce qu'il s'agirait d'une déclaration obligatoire, soit, mais une fois que le renseignement aurait été communiqué au Centre, si celui-ci ne voyait pas de motif de soupçonner qu'il y a activité de blanchiment d'argent, tout s'arrêterait là.
Monsieur Carrière, auriez-vous quelque chose à ajouter là-dessus?
M. Yvon Carrière: Oui, peut-être deux choses.
D'abord, le Centre adoptera dans la mesure du possible un système électronique de déclaration. Il y a peut-être moyen de travailler à l'aide de systèmes de déclaration par voie électronique dans certains cas et dans certaines circonstances.
Je vous ferai également remarquer que la loi prévoit la possibilité de conclure, dans certains cas, avec des gouvernements étrangers, des ententes d'échange de renseignements, ce qui pourrait nous permettre, par exemple, d'éviter d'exiger à notre frontière sud la production de deux déclarations, une en quittant le Canada et une autre en entrant aux États-Unis. De cette façon, nous réduirions la paperasserie à laquelle on vient de faire allusion.
Le président: Merci, monsieur Pillitteri.
Monsieur Cullen et messieurs les hauts fonctionnaires, au nom du comité, merci beaucoup. Bien entendu, il pourrait nous arriver de devoir communiquer avec vous pour clarifier certains points. D'ailleurs, étant donné que nous aurons sûrement besoin de vous pour l'étude article par article, nous vous disons au plaisir de vous revoir bientôt.
Encore une fois, je vous prie de nous excuser pour ce local, mais nous n'y pouvions pas grand-chose.
Bonne journée.
La séance est levée.