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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 11 avril 2000

• 1532

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): La séance est ouverte. Je souhaite la bienvenue à tous les témoins de cet après-midi.

Comme vous le savez, l'ordre du jour d'aujourd'hui porte sur le projet de loi C-22, Loi visant à faciliter la répression du recyclage financier des produits de la criminalité, constituant le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.

Nous avons le plaisir d'accueillir les représentants des organismes suivants: l'Institut canadien des comptables agréés, l'Association du Barreau canadien, le Service national de renseignements sur la criminalité du Royaume-Uni et, à titre individuel, le Dr Marc Zoccolillo.

Comme vous le savez sans doute, vous disposez de cinq à sept minutes pour faire votre déclaration préliminaire, laquelle sera suivie d'une période de questions. Cet après-midi nous procéderons par cycles de dix minutes.

Nous allons commencer par entendre le représentant de l'Institut canadien des comptables agréés, M. Ian Murray, président du Groupe consultatif sur la loi contre le recyclage financier des produits de la criminalité, ainsi que M. R. Simon G. Chester, conseiller juridique. Je vous souhaite la bienvenue.

M. Ian Murray (président, Groupe consultatif sur la Loi contre le recyclage financier des produits de la criminalité, Institut canadien des comptables agréés): Merci et bonjour.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, j'aimerais vous remercier au nom de l'Institut canadien des comptables agréés de nous permettre de comparaître devant vous afin de vous faire part des commentaires que nous inspire le texte de loi proposé par le gouvernement pour combattre le recyclage financier des produits de la criminalité.

Je m'appelle Ian Murray et je suis l'un des associés du cabinet KPMG. Je préside le Groupe consultatif mis en place par l'ICCA pour étudier ce texte législatif. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Simon Chester qui est le conseiller juridique de l'ICCA.

Vous savez certainement que nous avons soumis un mémoire au ministère des Finances en février dernier, dans lequel nous formulions des commentaires sur le document de consultation du gouvernement relatif au projet de loi C-22. Pour la préparation de son mémoire, l'ICCA s'est inspiré des travaux du Groupe consultatif qui avait examiné le document de consultation du gouvernement, ainsi que les avant-projets du texte législatif et des règlements. Dans notre mémoire, nous nous disions globalement favorable au texte législatif, mais nous pensions qu'il pourrait bénéficier de quelques modifications.

Notre mémoire abordait cinq questions sur lesquelles nous aimerions revenir aujourd'hui: la restriction du champ d'application du texte législatif proposé; la définition des opérations douteuses; le problème de la duplication des exigences en matière de déclaration; la restriction du droit d'accès aux dossiers; enfin, l'élargissement des moyens de défense et de protection disponibles.

Commençons par le champ d'application de la future loi: je vais d'abord répéter que l'ICCA est foncièrement en faveur du texte législatif proposé par le gouvernement, et heureux de l'importance accordée aux intermédiaires financiers. Nous reconnaissons l'utilité d'un système efficace pour proscrire le blanchiment des capitaux. Nous pensons que les intermédiaires financiers qui sont directement impliqués dans des opérations financières devraient avoir la responsabilité première de déclarer les opérations douteuses. Nous admettons que lorsqu'un comptable agréé agit à titre d'intermédiaire financier, il doit assumer les mêmes responsabilités que les autres intermédiaires financiers au plan de la déclaration des transactions douteuses.

Nous croyons comprendre que la loi est censée s'appliquer aux professionnels libéraux tels que les comptables agréés uniquement lorsqu'ils sont directement impliqués dans une opération financière, par exemple, les comptables agréés qui manipulent des fonds pour leurs clients ou qui occupent un poste dans la direction générale d'une entreprise. La loi est bien ciblée à cet égard. Ces comptables agréés doivent savoir exactement ce qu'ils ont à faire.

• 1535

Nous croyons comprendre également que les exigences en matière de déclaration contenues dans la loi ne sont pas censées s'appliquer à ceux qui seront indirectement impliqués dans des opérations financières au sein de leurs entreprises, entre autres, les vérificateurs internes, les planificateurs stratégiques, les comptables fiscalistes et les gestionnaires de systèmes. Ces exigences ne sont pas non plus censées s'appliquer aux comptables agréés qui agissent uniquement à titre de consultants, essentiellement ceux qui jouent un rôle de tiers et qui offrent des services à leurs clients, par exemple, les vérificateurs, les juricomptables, les conseillers en gestion d'entreprises, les évaluateurs d'entreprises et les conseillers fiscaux. Quelle que puisse être l'intention du législateur, nous craignons néanmoins que le libellé de la loi et des règlements proposés ne soit interprété d'une telle façon que la profession dans son ensemble ne finisse par risquer d'être assujettie à ces dispositions.

L'alinéa 5i) stipule que la Partie 1 de la loi s'appliquera aux personnes qui se livrent à l'exploitation d'une entreprise ou à l'exercice d'une profession visée par les règlements. Il existe actuellement un règlement lequel, si nos informations sont exactes, sera conservé dans la nouvelle loi, qui mentionne que la loi s'applique à toute personne qui se livre à l'exploitation d'une entreprise ou exerce une profession ou une activité où de l'argent en espèces est reçu en paiement ou pour transfert à un tiers. Nous craignons qu'une telle formulation ne s'avère trop lâche. Il n'est pas évident dans le libellé actuel que la loi ne s'appliquerait qu'à ceux qui sont directement impliqués dans de telles opérations. La loi pourrait être interprétée comme s'appliquant également à tous ceux qui exercent une profession dont certains membres effectuent de telles opérations.

Nos craintes sont attisées par la formulation de l'article 7, où l'on exige que les personnes ou les entités déclarent les opérations douteuses dont elles pourraient avoir connaissance dans le cadre de leurs activités. Nous pensons que cette formulation est tellement large qu'elle ne restreint pas les exigences de déclaration aux comptables professionnels qui seront directement impliqués dans des opérations financières.

Nous craignons par conséquent que la formulation approximative du règlement actuel, conjuguée à l'article 7, pourrait aboutir à l'application des exigences de déclaration d'une manière beaucoup plus générale à la profession comptable dans son ensemble.

Pour vous donner un exemple des types de problèmes auxquels pourrait donner lieu cette interprétation approximative de l'article, prenons le cas d'un juricomptable chargé par un client d'enquêter sur une possible irrégularité. N'importe quel juricomptable sera placé dans une position où il devra choisir entre aider son client et faire une déclaration au Centre, et il pourrait être obligé de refuser le travail. Le client serait ainsi privé d'une aide qu'il juge utile. Il existe de nombreuses autres situations où, faute de clarification du texte de loi, les comptables agréés se trouveront assujettis aux prescriptions relatives à la déclaration des opérations douteuses.

Toutefois, le texte de loi proposé comprend une disposition, à l'alinéa 5j), qui prévoit l'introduction de règlements afin de limiter l'application de la Partie 1 à certaines activités précises des entreprises ou des professions visées. Nous recommandons l'élaboration d'un règlement qui précisera que le champ d'application de la loi ne s'étendra pas aux comptables professionnels qui agissent à titre d'intermédiaires financiers.

Nous proposons par conséquent que le règlement énoncé à l'alinéa 73(1)b), qui se rapporte à l'alinéa 5j) du projet de loi, stipule ce qui suit: la partie 1 de la loi s'applique à tout comptable professionnel qui, au sein d'une entreprise ou dans l'exercice de sa profession, perçoit de l'argent en espèces à titre de paiement ou pour transfert à un tiers.

Nous pensons que les effets recherchés par la nouvelle loi doivent être liés à des activités et non au statut de quiconque; non à la nature de notre profession, mais à la nature des activités auxquelles nous sommes appelés à prendre part. La modification que nous proposons indiquerait clairement que la loi ne s'appliquera qu'à ceux qui sont directement impliqués dans des opérations financières.

Nous nous félicitons des assurances fournies ce matin par plusieurs hauts fonctionnaires qui ont affirmé qu'on envisageait bien veiller à ce que la loi ne s'applique qu'aux professionnels libéraux agissant à titre d'intermédiaires financiers.

Nous avons aussi été heureux d'entendre des représentants du ministère confirmer ce matin que les règlements stipuleront clairement que l'obligation de déclaration ne s'applique pas aux fonctions de vérification de la profession comptable.

La deuxième question que je veux aborder est la définition des opérations douteuses. Nous craignons, entre autre, que ni la loi envisagée ni les règlements proposés ne contiennent une définition des transactions douteuses. La réussite du système de déclaration obligatoire sera fonction de l'existence de critères clairs et non équivoques. L'absence de tels critères aboutira à des déclarations inutiles, injustifiées et incohérentes car le les professionnels devront décider arbitrairement de ce qu'ils doivent juger suspect.

• 1540

Bien que le Centre d'analyse soit censé élaborer des directives qui aideront à préciser les caractéristiques et les circonstances appropriées, ces directives n'auront pas force de loi. Nous considérons qu'en l'occurrence la clarté doit venir de la loi et non des directives.

Nous recommandons par conséquent que les règlements contiennent une définition prescrite de ce qu'il faut entendre par opérations douteuses, une définition qui formule des critères évidents. La définition claire et non équivoque des opérations douteuses est une priorité. Cette définition devrait être accompagnée d'exemples, de situations et d'études afin d'illustrer quand une déclaration est nécessaire et quand elle ne l'est pas.

Si l'on devait mettre en place des directives temporaires pour quelque raison que ce soit, ces directives devraient éventuellement figurer dans les règlements de manière à ce qu'elles puissent être soumises à l'examen et à l'avis du public et qu'elles aient force de loi.

En outre, nous recommandons que la date d'entrée en vigueur de la déclaration des opérations douteuses soit retardée jusqu'à ce que des critères soient établis, des exemples fournis et ainsi de suite.

Troisièmement, en ce qui a trait à la duplication des exigences de déclaration, nous sommes préoccupés également par le manque de clarté quant à l'application de la loi à certains professionnels libéraux tels que les comptables agréés, qui travaillent pour des entités visées spécifiquement à l'article 5, et qui sont directement impliqués dans des opérations financières.

Ces comptables agréés ont la responsabilité de déclarer les opérations douteuses à deux titres: en tant qu'employés d'une entité assujettie à la loi et en tant que comptables professionnels. La situation porte à confusion, et il semble qu'il y ait là une double exigence de déclaration ne s'appliquant qu'à des personnes qui sont à la fois employées de telles entités et comptables professionnels.

Si une telle personne fait rapport à son supérieur hiérarchique, elle se trouve protégée, en tant qu'employé, contre toute sanction par le paragraphe 75(2). Mais, elle pourrait néanmoins faire l'objet d'une sanction, en tant que comptable professionnel, du fait qu'elle n'a pas déclaré l'opération au Centre d'analyse. Nous considérons que les protections accordées aux employés devraient s'appliquer également aux comptables agréés, qui se trouvent être la même personne dans de telles situations.

Quatrièmement, en ce qui concerne les droits d'accès, les mesures de contrôle de l'application de la loi prévues aux articles 62 à 65 permettent, à cette fin, à une personne autorisée travaillant au Centre d'analyse d'examiner les dossiers et les activités des personnes ou entités visées à l'article 5. Nous craignons que cela ne représente des pouvoirs très vastes, accordant l'accès à tous les dossiers et non uniquement à ceux liés à des activités d'intermédiaire financier; et ce, sans qu'aucun mandat n'ait été délivré. Si les conditions d'application de la partie 1 de la loi ne sont pas clarifiées, nous craignons que ces pouvoirs ne soient interprétés comme s'appliquant à tous les membres de la profession, et pas uniquement à ceux concernés par les activités visées.

Nous recommandons par conséquent que la loi proposée soit clarifiée afin de restreindre le droit d'accès uniquement aux dossiers qui se rapportent à des activités d'intermédiation financière. Nous croyons également que l'accès aux dossiers ne devrait être autorisé que dans le cadre d'un mandat.

Enfin, en ce qui a trait aux procédures de défense et de protection, nous aimerions faire quelques observations se rapportant à la Partie 5 de la loi.

D'autres pays reconnaissent l'excuse valable comme moyen de défense—par exemple, lorsque des violences physiques ou autres menaces sont à craindre et qu'il serait donc déraisonnable pour quelqu'un de produire une déclaration ou de refuser d'agir pour un client. Il peut y avoir des circonstances où des tiers sont en mesure de déduire qui est la personne à l'origine d'une enquête. Bien qu'il soit possible de recourir à certains moyens de défense similaires à l'excuse valable dans le cadre de la common law, ce type de défense ne figure pas dans la loi proposée. Nous regrettons également que la loi ne prévoie pas de recours pour la protection de ceux qui perdent leur emploi parce qu'ils ont fait une déclaration en toute bonne foi.

En outre, la loi ne précise pas clairement comment agir dans des situations où elle est incompatible avec d'autres textes législatifs qui exigent la confidentialité, notamment la Charte des droits et libertés de la personne de la province de Québec.

Par conséquent, une recommandons que l'excuse valable soit reconnue dans la loi comme moyen de défense, et qu'une protection additionnelle soit accordée aux gens qui font des déclarations.

Enfin, nous recommandons que le projet de loi soit modifié pour tenir compte des situations où il existe une incompatibilité législative par rapport à d'autres lois qui exigent la confidentialité.

En terminant, permettez-moi de confirmer que nous faisons nôtre l'esprit de cette future loi, dans la mesure où elle s'appliquera à ceux qui sont directement impliqués dans des opérations d'intermédiation financière. Toutefois, nous considérons que la formulation de ce texte législatif manque de clarté quand il s'agit de déterminer à qui, au sein de la profession, s'appliquent les exigences de déclaration. Nous pensons que c'est une question importante et nous vous encourageons fortement à utiliser l'article 73 pour préciser les activités auxquelles s'appliquerait la loi pour ce qui est des comptables agréés.

• 1545

Nous vous encourageons tout aussi fortement à inclure dans la loi une définition claire, non ambiguë des opérations douteuses de manière à ce que ceux qui ont l'obligation de faire une déclaration puissent agir en fonction de critères cohérents.

Nous vous remercions de nous permettre de discuter de ce projet de loi avec vous et nous nous ferons un plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir.

Merci.

Le président: Merci, messieurs Murray et Chester.

Nous allons maintenant entendre M. Eugene Meehan, président de l'Association du Barreau canadien; M. Greg DelBigio, membre de la Section nationale du droit pénal; et Mme Joan Bercovitch, directrice principale aux Affaires juridiques et gouvernementales. Je vous souhaite la bienvenue.

[Français]

Me Joan Bercovitch (directrice principale et avocate, Affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau canadien): Merci. De la part de l'Association du Barreau canadien, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.

L'Association du Barreau canadien est une association de 36 000 avocats de partout au Canada. Les buts et objectifs de l'association incluent l'amélioration de la loi et l'administration de la justice. Les propos que nous tiendrons aujourd'hui sont liés à ces buts et objectifs.

Nos propositions seront faites aujourd'hui par notre président, Me Eugene Meehan d'Ottawa, et par Me Greg DelBigio de Vancouver. Me Meehan commencera et Me DelBigio présentera la dernière section. Les deux pourront répondre aux questions.

Me Eugene Meehan (président, Association du Barreau canadien): Je suis heureux de comparaître devant vous aujourd'hui en ma capacité de président de l'Association du Barreau canadien.

[Traduction]

Nous aimerions faire trois remarques préliminaires mais cruciales au sujet de cette loi.

Premièrement, la sécurité et la confidentialité des affaires traitées par le Cabinet sont importantes pour vous. C'est important pour la façon ne dont fonctionne le gouvernement, c'est important pour la façon dont le gouvernement devrait fonctionner, et c'est dans l'intérêt foncier de la population et de sa protection. Je n'ai pas besoin de vous donner les raisons pour lesquelles cela est important. Pour toutes ces mêmes raisons, la confidentialité de la relation d'avocat à client a la même importance pour les avocats et pour les clients, et de la même façon, c'est dans l'intérêt foncier de la population et de sa protection. Si la confidentialité des affaires du gouvernement et du Cabinet est importante pour vous, vous devriez alors considérer la confidentialité de la relation d'avocat à client comme étant aussi importante, aussi sacrée, aussi sacro-sainte, et la protéger de la même façon.

Deuxièmement, tout comme l'État n'a pas sa place dans la chambre à coucher, il n'a rien à voir non plus dans la relation privilégiée des avocats avec leurs clients—absolument rien. Dans les deux exemples, la confidentialité des échanges est aussi sacro-sainte, aussi sacrée, et doit être également protégée.

[Français]

Troisièmement, la raison pour laquelle ceci est tellement important est que sans un barreau indépendant et sans une magistrature indépendante, on n'a pas de démocratie. C'est aussi important que cela et tellement simple aussi.

[Traduction]

Prenez n'importe quel pays du monde, si vous vous demandez: est-ce une démocratie?, il vous suffit de poser deux questions: possède-t-il un barreau totalement indépendant, et possède-t-il une magistrature totalement indépendante? Tout le reste en découle.

Le Canada est particulier. Nous possédons une déclaration des droits; nous disposons d'une charte des droits et libertés, écrite et solidement ancrée. Cela signifie quelque chose se pour les clients, et pour notre démocratie.

Nous vous conseillons vivement, par conséquent, de ne pas adopter le projet de loi C-22. Il s'agit d'une initiative dangereuse et malavisée, une initiative dangereuse pour la société canadienne, dangereuse pour la démocratie canadienne.

[Français]

Merci beaucoup.

[Traduction]

M. Greg DelBigio (membre, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien): J'aimerais, moi aussi, vous remercier de nous donner l'occasion de témoigner. Vous trouverez le résumé de nos recommandations dans le mémoire.

En toile de fond de notre résumé, nous retrouvons notre grave préoccupation à l'égard de la protection du secret professionnel entourant la relation d'avocat à client. Cette relation est fondée sur le privilège, sur la confidentialité et sur la protection de la vie privée. Nous estimons que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, menacerait gravement les fondements de cette relation.

• 1550

Le projet de loi dans sa forme actuelle possède toutes les caractéristiques d'une loi criminelle—c'est-à-dire qu'il traite de l'application d'une loi criminelle, ainsi qu'il ressort des objectifs—mais il n'offre aucune des protections d'une loi criminelle. Nous sommes donc d'avis que dans le contexte de l'application des lois criminelles, les avocats seront contraints d'agir d'une manière allant directement à l'encontre de la relation avocat-client. Ce projet de loi obligera les avocats à agir d'une manière qui est contraire au droit, qui reconnaît l'importance de cette relation. La loi menacera le droit des Canadiens à bénéficier de conseils juridiques en sachant que les communications avec les avocats sont pleinement protégées par le privilège et la confidentialité.

L'Association du Barreau canadien est consciente des obligations internationales relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, et reconnaît qu'il est important de réagir face au recyclage financier des produits de la criminalité au Canada et dans le monde. Toutefois, une loi existe déjà, la Partie XII. 2 du Code criminel. Les dispositions de cette partie s'appliquent aux avocats, s'appliquent à d'autres, et interdisent le blanchiment des capitaux. Par conséquent, les activités qui sont visées sont déjà couvertes par une loi en vigueur.

Nous sommes préoccupés par les coûts élevés qu'entraînerait l'administration du Centre, dont des coûts liés à l'analyse d'activités légitimes menées sur une base quotidienne au Canada. Ces coûts supplémentaires ne peuvent que miner les efforts des entreprises canadiennes qui cherchent à s'intégrer effectivement dans l'environnement de la concurrence internationale.

Pour résumer nos déclarations préliminaires, je dirais que l'Association du Barreau canadien est très fermement et très fortement d'avis que les avocats doivent être soustraits à l'application du projet de loi. Toute autre façon de procéder menacerait une relation qui est reconnue depuis longtemps en droit.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci, monsieur DelBigio.

La parole est au Dr Marc Zoccolillo.

M. Marc Zoccolillo (témoignage à titre personnel): Merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Je vais vous parler des résultats d'une étude que nous avons faite récemment sur l'étendue du problème que pose la consommation de drogues parmi les adolescents québécois, ce qui est, je suppose, l'une des principales raisons pour lesquelles vous étudiez un texte comme le projet de loi C-22.

Je voudrais rendre hommage aux coauteurs de l'étude, MM. Frank Vitaro et Richard Tremblay de l'Université de Montréal. Vous devriez déjà avoir en mains un exemplaire de l'étude, et je me contenterai de vous en donner maintenant un extrait.

Il porte sur un échantillon d'adolescents représentatifs pour la province de Québec. Ils sont originaires de toutes les régions de la province et ils ont été étudiés entre 1995 et 1997. Comme vous pouvez voir, ils étaient pour la plupart âgés de 15 à 16 ans. La majorité d'entre eux étaient élèves en secondaire III ou IV, ce qui correspond à la neuvième et à la dixième année ici. J'insiste: On ne parle pas de collégiens, mais d'adolescents.

Je l'ai dit, ils sont représentatifs pour la province de Québec, et ils forment un échantillon qui n'a été choisi en fonction d'aucun autre critère particulier. Il est composé d'environ 900 garçons et 900 filles.

Nous les avons interrogés sur leur consommation de drogues, ainsi que sur un grand nombre d'autres sujets. Pour en savoir plus sur leurs habitudes en matière de consommation de drogues nous avons eu recours à un questionnaire qu'ils devaient remplir eux-mêmes, chez eux, mais à l'écart de leurs parents, en toute confidentialité. J'ai l'intention d'insister surtout sur la consommation des drogues plutôt que sur l'usage de l'alcool, sauf pour le besoin des comparaisons.

J'aimerais que vous notiez qu'en ce qui concerne l'usage de drogues, environ la moitié des adolescents du Québec avaient essayé une drogue illicite à cet âge. Beaucoup plus important encore, environ un tiers des garçons et des filles avaient consommé des drogues illégales à plus de cinq reprises. Nous avons choisi ce seuil comme limite au-dessus de laquelle nous avons posé une question beaucoup plus importante, à savoir: combien de fois et dans quelles circonstances avez-vous consommé ces drogues?

• 1555

J'aimerais que vous notiez aussi que la drogue la plus communément consommée est la marijuana; c'est la drogue sur laquelle je vais concentrer mon exposé. Les drogues qui se situent en deuxième place parmi les plus consommées, chez un adolescent sur cinq, étaient les hallucinogènes qui comprennent également la phencyclidine, ou PCP, une drogue particulièrement dangereuse.

Je vais maintenant vous montrer très brièvement un transparent qui porte sur la consommation d'alcool, que je voudrais comparer à la consommation de drogues. Certains adolescents avaient consommé de l'alcool à plus de cinq reprises, soit environ 60 p. 100 de l'échantillon au moment de l'étude. J'aimerais que vous notiez deux choses.

Premièrement, reportez-vous à la troisième ligne qui traite de la présence à l'école en état d'ébriété. La plupart des adolescents ne vont pas à l'école en état d'ébriété, même s'ils ont consommé de l'alcool.

Ensuite, au bas du transparent se trouvent regroupés plusieurs problèmes; en fait, la somme de tous les autres mentionnés auparavant, notamment: pratique d'un sport et consommation d'alcool; présence à l'école en état d'ébriété; participation à des bagarres; conduite en état d'ébriété; disputes avec les parents; accrochages avec la police; disputes avec des amis; recherche d'une aide.

Vous pouvez le constater, la plupart des adolescents avaient, soit zéro problème, soit un de ces problèmes. Dans le cas de ceux qui en avaient un, c'était habituellement «en pratiquant un sport». Rares étaient ceux qui en avaient quatre ou plus. L'importance de ces données ressort quand on procède à une comparaison avec les drogues.

On voit ici la tendance en matière de consommation de drogues, laquelle est très différente de celle en matière de consommation d'alcool. On parle d'un tiers de tous les adolescents. Je voudrais souligner qu'il ne s'agit pas d'un tiers des adolescents qui consomment des drogues, mais d'un adolescent sur trois au Québec. La drogue concernée, dont on parle énormément, est la marijuana; vous pouvez remarquer une tendance très différente.

Le comportement le plus commun est de se rendre en classe «high», d'aller à l'école «gelé». Ils pratiquent des sports sous l'influence de la drogue; ils font de la bicyclette, de la planche à roulettes, de la natation. Ils consomment le matin. C'est très important car s'ils sont «high» le matin, ils le restent toute la journée.

Un peu moins fréquente, mais inquiétante néanmoins, c'est la conduite de véhicules automobiles sous l'influence de la drogue.

Je voudrais maintenant attirer votre attention sur le bas du transparent, sur le nombre de problèmes liés à la drogue. Souvenez-vous qu'en ce qui concerne l'alcool la plupart des adolescents avouaient zéro problème ou un seul; et quelques-uns seulement, quatre problèmes ou plus. La tendance est très différente pour ce qui est de la consommation de drogues. On voit ici qu'étant donné la façon dont les adolescents consomment de la drogue, on parle avant tout de la marijuana, ils adoptent plusieurs de ces comportements, presque la moitié des garçons reconnaissant avoir au moins quatre de ces problèmes et environ un tiers des filles, quatre problèmes ou plus. Il y a donc une grosse différence par rapport à l'alcool; et c'est très inquiétant.

Nous leur avons ensuite demandé quelle était la fréquence de leur consommation. Là encore, on peut faire une comparaison avec l'alcool, et vous pouvez vous reporter seulement à la colonne concernant les garçons, car les données sont très semblables à celles qui se rapportent aux filles. Nous avons posé la question suivante: au moment où votre consommation était la plus forte, quelle en était la fréquence? Un grand nombre de ces adolescents, même s'ils n'avaient que 15 ou 16 ans, avaient commencé à consommer lorsqu'ils avaient 13 ou 14 ans, et cela faisait donc un an ou deux qu'ils consommaient de la drogue. Nous les avons interrogés sur le pic de leur consommation, la période où ils consommaient le plus fréquemment.

Si l'on examine la colonne alcool, on remarque que la plupart des garçons et des filles ont déclaré que même au moment où leur consommation était la plus forte, ils consommaient moins d'une fois par semaine, ou une fois par semaine—c'est-à-dire pendant le week-end. Ce n'est toutefois pas le cas pour les drogues, pour la marijuana. En ce qui la concerne notamment, très peu ont déclaré qu'au moment de leur consommation maximale, ils en consommaient moins d'une fois par semaine. La majorité des garçons et presque la majorité des filles en étaient arrivés au point de consommer trois fois par semaine ou plus.

C'est un phénomène particulièrement inquiétant; cela signifie qu'ils consomment fréquemment, plusieurs fois par semaine et, je le répète, ils se rendent à l'école «gelés», pratiquent des sports «gelés» et consomment dès le matin.

• 1600

En conclusion, on peut dire que le problème de la consommation d'alcool et de drogues est relativement commun parmi les adolescents québécois. Ce phénomène est particulièrement inquiétant du fait des blessures dont il est responsable, blessures dont le taux est relativement plus élevé lorsque ces adolescents conduisent un véhicule automobile sous l'emprise de drogues ou pratiquent des sports, notamment la bicyclette ou le patin à roues alignées, alors qu'ils sont sous l'emprise d'une drogue.

Se rendre l'école sous l'emprise d'une drogue est un comportement fréquent, un élève sur quatre ayant été à l'école «gelé» à un moment ou à un autre, et un sur six au cours des six derniers mois. La tendance en matière de consommation de drogues, notamment le chanvre, la marijuana, est assez différente de la tendance en matière de consommation d'alcool. La consommation d'alcool est plus fréquente, mais elle semble être limitée au week-end, et la plupart des consommateurs d'alcool avouent n'avoir aucun problème ou alors un seul.

La tendance habituelle des consommateurs de marijuana est d'en faire usage plusieurs fois par semaine, d'aller en classe «gelés», de pratiquer des sports «gelés», de passer la majeure partie de la journée «gelés». La drogue la plus communément consommée est la marijuana; et il est faux de prétendre que la consommation de drogues par les adolescents est, de nos jours, la plupart du temps expérimentale et qu'elle se limite à une consommation occasionnelle de marijuana lors de parties.

J'aimerais aussi ajouter qu'il y a eu plusieurs études de contrôle, ici, au Canada, ainsi qu'aux États-Unis, qui examinaient chaque année la fréquence de la consommation. On peut dire qu'il y a eu essentiellement un doublement de la fréquence de la consommation de la marijuana au cours de la dernière décennie. Il y a dix ans, ces chiffres, en ce qui concerne le nombre de personnes qui avaient essayé la marijuana, étaient d'environ la moitié; au lieu de parler d'environ la moitié de la population, on parlait d'environ 25 p. 100. Il semble donc qu'il y ait eu une augmentation considérable de la consommation au cours de la dernière décennie.

C'est un grave problème. On le constate à l'Hôpital de Montréal pour enfants. Les adolescents consomment des drogues tout à fait communément. Ces dernières sont vendues à un prix raisonnable et sont facilement accessibles. Leur possession fait rarement l'objet de poursuites policières, et les adolescents le savent. Le phénomène semble être relativement toléré.

Je terminerais en disant que nous sommes effectivement confrontés à un problème considérable. Il y a probablement plusieurs façons de s'y attaquer. Vous avez là un exemplaire de notre document, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions plus tard.

Je vous remercie de votre attention.

Le président: Je vous remercie, docteur Zoccolillo.

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir M. Martin Comley, directeur adjoint, Section des crimes économiques, Service national de renseignements sur la criminalité.

M. Martin Comley (directeur adjoint, Section des crimes économiques, Service national de renseignements sur la criminalité (R.-U.)): Merci. Je me considère très privilégié, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, d'avoir été invité ici. Je viens de très loin et j'espère pouvoir contribuer utilement à vos délibérations.

Je vais commencer par vous prévenir que je vais souvent employer l'acronyme SRF, pour Section de renseignements financiers, comme on appelle souvent votre Centre d'analyse dans les autres parties du monde. Je vous demande donc de bien vouloir vous montrer indulgent à mon égard.

J'espère que l'on vous a distribué la copie papier de mon exposé que j'avais préparée. Je vous demande de bien vouloir m'excuser du fait qu'il n'en existe qu'une version anglaise. Vous jugerez peut-être utile de vous y reporter car vous y trouverez des statistiques auxquelles je ferai référence tout au long de ma communication.

Je voudrais commencer par situer la SFR du Royaume-Uni dans son environnement. Il ne s'agit pas d'un organisme autonome puisqu'il est rattaché au Service national de renseignements sur la criminalité, service qui existe depuis huit ans et qui a été réorganisé il y a deux ans. Nous nous sommes éloignés du gouvernement et nous sommes aujourd'hui un organisme indépendant, mais pas un service policier.

Nous avons environ 650 employés qui recueillent des renseignements sur les crimes graves touchant le Royaume-Uni. Le personnel vient de 17 organismes différents. Nous sommes une entité véritablement multi-organisationnelle, puisque nous abritons également l'antenne d'Interpol au Royaume-Uni et, pour nos sections européennes, Europol. Nous sommes subdivisés en plusieurs secteurs d'activité. Nous avons une division internationale, une division de l'étude des renseignements et une division du Royaume-Uni.

Je voudrais concentrer mes propos sur la division du Royaume-Uni à laquelle nous sommes rattachés. Nous avons divisé le pays en régions géographiques dans lesquelles les crimes graves sont examinés dans l'optique de la criminalité. À la direction des services de renseignements stratégiques et spécialisés, nous examinons les choses dans l'autre sens; nous remontons du crime vers le criminel. Nous faisons par conséquent la jonction des deux fonctions du renseignement afin de nous concentrer sur les crimes graves.

La direction des services de renseignements stratégiques et spécialisés compte de nombreuses activités ciblées. Nous nous nous intéressons au crime organisé, aux crimes en matière d'immigration, aux crimes liés aux véhicules, aux crimes en Afrique de l'Ouest, aux crimes liés aux drogues, à la contrefaçon des monnaies, aux délinquants sexuels dangereux, aux enlèvements et aux extorsions de fonds. Nous possédons une section chargée du soccer, qui doit malheureusement s'occuper des hooligans, une section des renseignements turcs et une section des renseignements sur le trafic de la cocaïne.

• 1605

Je mentionne tous ces services car leur raison d'être est l'argent; et il y a donc de nombreux chevauchements avec les activités de ma section, la Section des crimes économiques—la SRF du Royaume-Uni. Nous sommes le principal point de collecte des renseignements sur les opérations douteuses au sein du Royaume-Uni. Nous rassemblons les renseignements, puis nous les rediffusons. Nous les transmettons à des enquêteurs désignés, un peu partout dans le pays. J'y reviendrai tout à l'heure.

Sur le plan législatif, nous avons criminalisé le recyclage financier des produits de la criminalité dans le contexte d'un certain nombre de lois que nous avons dû refondre et modifier avec le temps. Nous continuons aujourd'hui encore de les modifier.

De la criminalisation du blanchiment d'argent découlent les dispositions relatives à l'obligation de divulgation. Ces dispositions s'appliquent à tous. On ne trouve pas d'exception à l'obligation de divulgation dans ces dispositions. Nous possédons un système de déclaration des activités suspectes, mais il ne donne pas de définition de ce que l'on entend par-là; nous nous fondons sur les notes que nous adressent certaines industries pour cerner ce qui peut être suspect.

Après avoir entendu vos collègues du barreau, je voudrais préciser qu'il existe en fait une exception: elle concerne les privilèges juridiques. Elle est clairement définie dans la loi. Il existe aussi une loi subsidiaire qui porte sur les divers mécanismes ou systèmes de lutte contre le blanchiment des capitaux, loi que peuvent invoquer les établissements financiers comme moyen supplémentaire de contrôler les activités criminelles.

Je voudrais maintenant revenir sur la question des personnels de notre section. La Section des crimes économiques est elle-même pluri-organisationnelle, tout comme l'organisme qui la chapeaute, à savoir le Service national de renseignements sur la criminalité. Nous recrutons notre personnel principalement au sein de six organismes: la police; le Service des douanes; l'Office des prestations, autrement dit la Sécurité sociale; l'Autorité des services financiers, autrement dit l'organisme de réglementation; la Commission des jeux; et le Service des impôts. Nous disposons également d'un personnel administratif au sein duquel se trouvent des analystes. La section emploie actuellement 27 personnes, mais elle est l'objet d'une étude, et le nombre de ses agents devrait être augmenté dans le proche avenir.

L'utilité d'un organisme pluri-organisationnel s'est affirmée au fil des ans. Il s'agit d'une innovation récente en ce qui nous concerne. Afin d'évaluer des déclarations fondées sur le soupçon, il faut posséder une expérience diversifiée. Je possède une vaste expérience au plan policier, mais cela ne fait pas de moi un expert en questions douanières, ni en questions fiscales, et ainsi de suite. Combiner ces divers outils facilite l'évaluation des renseignements et nous aide à les transmettre aux organismes d'enquête appropriés.

En deux mots, donc, je dirais qu'il est nécessaire d'assurer la jonction, au plan national, entre les divers ministères, c'est-à-dire le Trésor, le ministère de l'Intérieur et les autres ministères concernés, non seulement pour la préparation des textes législatifs, mais afin d'assurer leur suivi et leur bon cheminement. Nous faisons actuellement l'objet d'un examen par le Bureau du Conseil des ministres qui s'assure que nous gardons le cap fixé et que nous fonctionnons selon l'optique voulue par le gouvernement.

Les responsables des services financiers ont également un rôle important à jouer à ce niveau, car ils traitent quotidiennement avec le monde de la finance et ils sont chargés de contrôler son bon fonctionnement.

Enfin et surtout, il y a le secteur financier lui-même. La seule chose sur laquelle je tiens à insister, c'est que cela ne se limite pas uniquement à une fonction de surveillance policière. La police ne peut pas assumer cela à elle seule.

Je vais maintenant vous bombarder de quelques statistiques. Au bas de la page 4, vous pouvez voir un graphique en barres qui récapitule les divulgations enregistrées au Royaume-Uni. Au cours de nos premières années d'existence, nous en avons reçu environ 600. À l'époque, nous parlions directement aux administrateurs des quatre principales banques de High Street. C'était ce à quoi se limitait notre connaissance du recyclage financier des produits de la criminalité. Notre expérience s'est développée, de même que notre connaissance du secteur financier.

En 1990, nous avons mis en place un Comité directeur mixte sur le blanchiment des capitaux. Cette initiative a fait suite aux pressions exercées par le secteur de la finance qui nous interrogeait et nous posait des questions du genre: «Qu'est-ce qu'un soupçon?», et «Pouvez-vous contribuer à une définition du soupçon?» pour pouvoir faire des rapports utiles.

Cette instance s'est réunie et a élaboré ses premières notes d'orientation en 1990. Je dois reconnaître, avec le recul, qu'elles étaient plutôt naïves; mais leur naïveté est à mettre au compte de notre manque d'expérience à l'époque. Ces notes d'orientation remplissent maintenant un classeur d'à peu près un pouce ou deux centimètres et demi d'épaisseur. Le contenu de ces notes évolue perpétuellement, au fur et à mesure que notre expérience s'enrichit.

• 1610

Vous pouvez constater que le graphique en barres fait ressortir d'importants changements. En effet, entre 1990 et 1991 nous sommes passés de 2 000 divulgations à 4 500; il y a eu ensuite une forte progression de 1991 à 1992, puisqu'on est passé de 4 500 divulgations à environ 12 000. Cette progression est le fruit d'une meilleure formation du personnel du secteur financier. Les notes d'orientation étaient alors transmises correctement aux personnes qui traitaient, directement ou indirectement, avec les clients. Vous pouvez vous rendre compte que l'on parle d'une augmentation importante, qui ne s'est d'ailleurs pas véritablement ralentie puisque nous recevons depuis lors une moyenne de 14 000 divulgations par an. Sur les graphiques suivants, ces divulgations sont ventilées par secteur.

Un SRF n'a pas uniquement pour fonction de vérifier qui fait des divulgations mais, ce qui est beaucoup plus important, qui n'en fait pas. Nous entretenons à cet égard des liens étroits avec les organismes de réglementation des services financiers.

Il y a bien sûr matière à amélioration dans la plupart des sphères de compétence—y compris la mienne. Ce n'est que par l'examen attentif des statistiques qu'il est possible de déterminer où il y a matière à amélioration. Et par «amélioration», je n'entends pas uniquement des poursuites susceptibles d'être entreprises à l'encontre de certains contrevenants. Si leur intention est criminelle, oui, ils doivent naturellement être poursuivis. Mais on peut également apporter des améliorations au niveau de la formation; et cela doit résulter du dialogue entre les organismes concernés.

Je l'ai déjà dit, la Section des crimes économiques reçoit, examine et diffuse des renseignements en provenance, ou à destination, de tous les intervenants, y compris et entre autres les organismes de réglementation, les avocats, les comptables ou les agents d'assurance. Nous diffusons ces renseignements à des instances désignées au sein de la Brigade de la police des frontières, dont la compétence s'étend à tout le territoire national du Royaume-Uni. Chaque membre du personnel est spécialement formé pour assurer cette fonction. Cela est tout à fait différent d'une fonction policière ordinaire. Un rapport de suspicion, ce n'est pas la même chose qu'une accusation de crime; il doit donc être traité différemment, et le personnel doit en être conscient quand il s'occupe de ces divulgations.

Nous avons conclu des arrangements particuliers avec d'autres organismes qui travaillent sur la criminalité. J'ai mentionné tout à l'heure l'Office des prestations, autrement dit la Sécurité sociale, ainsi que le Service des impôts. Il n'est pas question en l'occurrence d'un dialogue qui serait ouvert, direct. Nous devons d'abord établir s'il n'y a, ou non, intention criminelle et si l'on est en présence de revenus tirés de la criminalité avant d'engager le dialogue avec ces organismes.

Enfin et surtout, je mentionne dans ce document nos homologues étrangers, avec qui nous collaborons de plus en plus.

J'aimerais, si vous le permettez, faire quelques remarques à propos du Groupe Egmont, un organisme apolitique qui a entrepris, en 1995, une étude sur les SRF. Fonctionnent-ils correctement? Sommes-nous en mesure de communiquer? Quand ces lois ont été adoptées nous avons été nombreux à nous pencher, au niveau national—et à juste titre—sur nos propres problèmes. Mais les problèmes de criminalité auxquels nous sommes confrontés sont d'envergure internationale, et nous devons donc examiner la législation et nous assurer qu'elle offre des solutions adéquates nous permettant de communiquer avec nos homologues.

Je crois qu'il est important, du point de vue où je me place, d'insister sur la différence entre le partage du renseignement, la définition de ce qu'est le renseignement et le processus judiciaire approprié. Je ne parle pas ici d'une quelconque usurpation du processus judiciaire, lequel amène les affaires devant les tribunaux. Il s'agit de faire en sorte que les centres ou les SRF soient en mesure de fonctionner correctement, au niveau de l'évaluation des soupçons, et de communiquer le fruit de leurs travaux aux organismes qui sont chargés de l'application des lois concernées, afin qu'ils puissent recueillir des preuves dans les meilleures conditions.

La première réunion, tenue en 1995, s'est intéressée à 24 entités et à 7 organismes internationaux. En fait, 14 auraient pu être considérés comme des SRF.

Les activités du Groupe Egmont se partagent en trois grandes sphères, et peut-être même en quatre aujourd'hui: le juridique, le technologique et la formation, et finalement, la recherche et l'information; autrement dit, à quoi d'autre devrions-nous nous intéresser, et avec qui d'autre devrions-nous communiquer? Le Royaume-Uni préside le sous-groupe sur la formation. Nous rencontrons des collègues avec lesquels, sans échanger des renseignements détaillés d'ordre législatif, nous partageons nos idées sur la façon dont nous pouvons échanger les renseignements, sur les limites de nos sphères de compétence, sur la description de nos pouvoirs et sur les moyens de recueillir au mieux des renseignements financiers à l'échelle internationale.

Je donne, en bas de page, un bref aperçu de la façon dont le Groupe Egmont perçoit la situation. Nous souhaitons un échange d'informations, une plus grande efficacité et une meilleure coordination. Nous n'avons pas de préférence en ce qui a trait aux autorités de tutelle des SRF. Personnellement, je suis d'avis que notre SRF revêt un caractère policier; d'autres relèvent de ministères; d'autres encore sont placés sous la tutelle des banques centrales; d'autres relèvent du ministère de l'Intérieur ou du ministère de la Justice. L'important, c'est de savoir quelle fonction ils remplissent. Sont-ils spécialisés dans la lutte contre le blanchiment des capitaux? Jouent-ils le rôle de centre de collecte de renseignements sur les opérations douteuses ou les transactions bizarres? S'occupent-ils de traiter et d'évaluer des renseignements, de les diffuser; ou procèdent-ils à des enquêtes?

• 1615

J'ai essayé de vous donner une définition générale de ce qu'est un SRF et de vous expliquer la façon dont nous les envisageons.

Au moment où vous vous apprêtez à créer votre propre SRF, il est important que vous teniez compte de votre contexte national. Je vous dis cela, car il est très facile pour un pays d'examiner ce qui se fait ailleurs et de se dire: voilà la façon dont nous devrions procéder, car cela a l'air de bien fonctionner là-bas. Mais cela ne veut pas dire que les choses iront nécessairement aussi bien dans votre pays. Il faut adapter les formules étrangères à votre propre contexte local. Ce qu'il faut retenir avant tout, c'est qu'il est essentiel que tous les organismes collaborent et qu'il n'y a pas un type d'organisme de tutelle qui est préférable à un autre.

En 1995, 14 sections satisfaisaient à la définition de SRF. En 1999, il y en avait 48. Il y en a actuellement 17 à l'étude.

Je vous remercie de l'attention que vous avez bien voulu m'accorder. Je vous ai donné un bref exposé de l'approche adoptée au Royaume-Uni, et sur le plan international.

Merci.

Le président: Je vous remercie, monsieur Comley, de votre exposé et d'avoir pris le temps de nous faire part votre point de vue.

Nous allons maintenant passer aux questions. Nous allons commencer par entendre M. Abbott, dans le cadre du premier cycle de dix minutes.

M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Alliance canadienne): J'ai trouvé les renseignements fournis par le Dr Zoccolillo très convaincants. Je pense que cela répond peut-être aux questions qui ont été soulevées à la page 3 du mémoire de l'Association du Barreau canadien. Je lis au deuxième paragraphe la phrase suivante:

    Ainsi, on projette d'instaurer cet appareil étatique aussi lourd qu'envahissant et d'imposer un fardeau financier aux contribuables pour la création du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada dans le but de régler un problème qui, selon nous, ne reflète qu'une partie infime des activités commerciales entreprises au Canada. Ce qui nous amène à conclure que les conséquences salutaires envisagées par le projet de loi C-22 sont largement contrebalancées par ses répercussions aussi néfastes que prévisibles.

J'aimerais dire aux gens qui se sont fait les porte-parole de l'Association du Barreau canadien qu'effectivement, ce que nous avons vu sur cet écran ne représente qu'une de très petite partie, mais une partie exceptionnellement importante, du problème: les jeunes de notre pays. Je ne prétends pas que ce n'est pas important, mais il s'agit seulement d'une petite partie de ce à quoi nous essayons de nous attaquer.

Même si je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine sympathie à l'égard du point de vue défendu par l'Association du Barreau canadien, notamment au niveau des principes, et si je ne veux pas vous couper l'herbe sous le pied et ne pas vous donner la possibilité de me répondre, je pense que M. Comley pourra peut-être venir à notre secours—en tout cas m'aider, moi, à mieux comprendre. À la page 5 de son mémoire, il est question de divulgations et d'échanges de renseignements entre les comptables et les avocats et la section des crimes économiques. Je pense qu'il a mentionné qu'il existait une sorte d'arrangement entre son organisme et le barreau.

Je serais heureux d'entendre l'Association du Barreau canadien, mais je suis également très intéressé par ce que pourrait ajouter M. Comley sur la façon dont les problèmes sont envisagés par l'Association du Barreau et sur la manière dont on les surmonte en pratique au Royaume-Uni.

M. Eugene Meehan: J'ai, moi aussi, trouvé les remarques du Dr Zoccolillo très intéressantes, notamment dans ce contexte particulier. Le questionnaire qui a été utilisé par le Dr Zoccolillo et ses collègues a été rempli par des jeunes qui n'étaient pas chez eux et à qui on avait promis la confidentialité totale. Avec ce projet de loi, c'est comme si le Dr Zoccolillo disait à ces adolescents: «Oui, je sais que nous vous avons promis la confidentialité de nos échanges et je sais que vous nous avez donné vos réponses en prenant un certain risque personnel sur la base de la confidentialité qui vous avait été garantie par moi et mes collègues. Mais je vais maintenant discuter avec vos parents et remplir un formulaire qui sera transmis à la police. Vous allez être accusés d'une infraction pénale.» C'est exactement ce que fait ce projet de loi. Il viole la confiance accordée par les clients, les Canadiens, à leurs avocats.

• 1620

Essayez de vous projeter en arrière au temps de votre enfance ou de celle de vos collègues. Il y a des jeunes qui font l'expérience de la marijuana. Il y en a aussi qui font l'expérience de l'intimité sexuelle. Quand une jeune femme décide d'avoir des relations sexuelles avec un jeune homme, elle est persuadée que leur intimité physique restera entre eux deux. Imaginez son horreur si elle découvrait qu'il a filmé leurs ébats amoureux et qu'il a ensuite montré le film à ses amis. C'est comme si une bombe atomique explosait dans sa tête. C'est exactement ce que fait ce projet de loi. Il détruit le secret professionnel et la confidentialité. Les Canadiens ne pourront plus avoir confiance quand ils devraient pouvoir avoir confiance.

Je passe maintenant la parole à mon collègue M. DelBigio.

M. Greg DelBigio: Si vous me permettez, quand on parle de l'importance indéniable de la relation entre l'avocat et son client, la question qui se pose est la suivante: ne devrait-elle pas être remplacée? Y a-t-il une raison valable et convaincante qui justifierait qu'on la remplace par un objectif supérieur? Même si ces statistiques sont intéressantes, la question est de savoir si ces statistiques seront en réalité affectées advenant que les avocats soient couverts par cette loi? Inversement, je dis qu'il n'y a aucune raison de croire que ces statistiques seront affectées par l'exemption des avocats. En fait, il n'existe pas de données empiriques qui suggèrent que ces statistiques seront affectées si les avocats sont spécifiquement exclus. Eu égard à la plus récente législation, un projet de loi structuré comme celui-ci court le risque d'être rejeté, en partie tout au moins, dans la mesure où il va à l'encontre du respect du secret professionnel.

En conséquence, la question se pose: est-ce nécessaire d'inclure les avocats? Je réponds non.

M. Jim Abbott: Je voudrais savoir comment M. Comley et son organisme viennent à bout de cet épineux problème?

M. Martin Comley: Premièrement, la loi est déjà en place. Je dois le dire carrément.

M. Jim Abbott: Oui.

M. Martin Comley: Nous avons été confrontés à des problèmes semblables au début des années 90; nous avons dialogué en 1993 avec le Barreau d'Angleterre et du Pays de Galles. Comme la loi avait déjà été déposée, nous sommes convenus que la seule solution était de collaborer.

Le barreau a donc décidé de préparer ses propres notes d'orientation à l'intention de ses membres. Elles sont plutôt arides et ne veulent pas dire grand chose, à moins d'être suivies à dessein. Nous avons ensuite entrepris des tournées, en collaboration avec les associations régionales de l'Ordre des avocats, d'un bout à l'autre du pays, pour faire des présentations sur la question. Ces tournées impliquaient généralement un de mes collaborateurs, un membre de l'Ordre des avocats et un avocat en exercice. On a donc pu présenter, de façon impartiale, les diverses opinions en la matière.

Comme le même problème se posait pour la profession comptable, nous avons procédé de manière similaire.

Le dialogue est engagé et se poursuit. En fait, le mois dernier nous avons terminé une série de trois présentations organisées avec le Barreau écossais et nous allons entreprendre une autre série de présentations plus tard dans l'année en Angleterre et au pays de Galles. Il s'agit donc d'un dialogue et d'échanges permanents.

Il faut protéger le privilège juridique. Je ne serai jamais d'avis contraire. Je dis que ce qui constitue le privilège juridique est clairement défini dans la loi. Toutefois, la confidentialité se trouve être neutralisée dans notre législation.

M. Jim Abbott: Le barreau considère-t-il qu'il y aurait un avantage à collaborer avec les rédacteurs de cette loi, afin de parvenir à une position qui ne serait pas très différente de celle dont il vient d'être question?

Avec tout le respect que je vous dois, je dirai que je ne suis pas enthousiasmé par les exemples que vous avez donnés. Je les trouve quelque peu incendiaires. Selon moi, si votre client est mis au courant de l'exigence de déclaration, contrairement à l'exemple où il était question de filmer clandestinement, on se trouve alors dans une situation où c'est: «Voici la caméra, passons à l'acte». Il doit sûrement exister un moyen de venir à bout de ce problème.

La raison pour laquelle je mentionne les statistiques, c'est que le blanchiment des capitaux est directement lié au crime organisé international, et que le fléau commence à menacer les plus petites agglomérations canadiennes. Nous devons être déterminés et donner aux responsables de l'application des lois la possibilité de recueillir les informations nécessaires pour obtenir les résultats voulus.

• 1625

Je me montrerais beaucoup plus charitable à l'égard de l'Association du Barreau canadien si vous me disiez: voici ce qui est en jeu, et nous voulons faire notre possible pour sauvegarder autant que faire se peut le principe de la confidentialité des relations avocat-client. Voici des moyens d'y parvenir. Mais je vous entends plutôt dire que le mieux est de laisser tomber. Je ne suis pas convaincu que ce soit une attitude très constructive.

M. Eugene Meehan: Permettez-moi de vous répondre par deux remarques. Premièrement, les exemples que j'ai fournis ne sont pas incendiaires. Ils sont bien réels. Ce sont des faits qui se sont produits. Ils posent le problème de l'abus de confiance.

Deuxièmement, la question que vous avez posée à M. Comley était: peut-on suivre l'exemple du Royaume-Uni? La réponse que je vous donne est non. Pour la raison suivante. Compte tenu de mon accent vous avez pu, sans vous tromper, en déduire que je suis né là-bas. Je suis diplômé en droit de l'Université d'Édimbourg. Le Royaume-Uni n'a pas de déclaration des droits. Le Royaume-Uni n'a pas de charte des droits et libertés. Au Royaume-Uni, la démocratie n'est pas garantie par une constitution. Le Canada est particulier. Il existe au Canada une charte des droits et libertés et, si vous voulez, il y a un pendant à cela. Il y a non seulement une charte des droits et responsabilités, mais il y a également une charte des obligations et des responsabilités sous-jacentes aux libertés. Le Canada est un pays différent. Le monde entier nous envie pour notre démocratie.

Troisièmement, la cour criminelle se charge correctement du problème. Rien n'indique, à notre connaissance, que la cour criminelle ne suffit pas, n'est pas appropriée et ne possède pas toute la compétence voulue. Nous sommes d'avis que les dispositions qui impliquent la cour criminelle sont efficaces—personne ici ne dit le contraire—et que ces dispositions, telles qu'elles sont formulées à l'heure actuelle, protègent suffisamment les clients.

Ce ne sont pas les avocats qui sont en cause. J'occupe des fonctions publiques. Je suis au service des Canadiens. C'est d'eux qu'il est question. Si, comme vous le suggérez, monsieur Abbott, on déclare aux clients: «Je suis sous l'obligation de divulguer les informations que vous me donnez», mieux vaut se montrer réaliste et savoir qu'ils prendront immédiatement la porte. On ne les verra pas dans mon cabinet ni dans aucun autre. Ils iront consulter à l'étranger.

Je vous demanderais de bien vouloir tenir compte du fait que le Canada est un pays particulier, qu'il possède une Charte des droits et libertés. Protégeons cela, protégeons la démocratie, continuons d'utiliser le Code criminel et laissons le Code criminel accomplir la tâche.

Le président: Merci, monsieur Abbott.

Je donne la parole à M. Marceau.

[Français]

M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Merci à tous nos témoins d'être ici aujourd'hui. Je vous souhaite la bienvenue au Comité des finances. Je suis particulièrement heureux d'accueillir Me Chester, avec qui j'ai eu l'occasion de travailler à Toronto. Maître Chester, soyez le bienvenu.

Monsieur Meehan, j'ai suivi avec intérêt votre présentation. Si je la comprends bien, votre premier choix ne serait pas le projet de loi C-22. Votre deuxième choix serait peut-être le projet de loi C-22 s'il ne s'appliquait pas aux avocats. Un troisième choix pourrait être le projet de loi C-22 s'il comportait les 12 modifications que vous mentionnez. Est-ce que je vous ai bien saisi?

Me Eugene Meehan: C'est ça.

M. Richard Marceau: Vous voulez exclure les avocats de ce projet de loi?

Me Eugene Meehan: Ce n'est pas tant pour les avocats que pour leurs clients. Ce sont leurs clients qui sont importants, pas les avocats eux-mêmes.

M. Richard Marceau: D'accord. Souvent, je dis à la blague que les avocats, dans le milieu professionnel, sont un peu comme les Québécois au Canada: ils veulent toujours être distincts.

Je serais curieux de savoir pourquoi vous venez devant nous pour nous dire que cela ne devrait pas s'appliquer aux avocats. Demain, les comptables agréés pourraient bien venir nous dire que le projet de loi ne devrait pas s'appliquer aux clients des comptables en s'appuyant sur le même principe.

Me Eugene Meehan: C'est totalement différent parce que les comptables n'ont pas la même responsabilité. En fait, les comptables ont une responsabilité de disclosure, dit-on en anglais. On n'a pas ça chez nous. Nous, nous avons une responsabilité vis-à-vis de la confidentialité.

M. Richard Marceau: Oui.

• 1630

Me Eugene Meehan: Les choses se passent entre nous et notre client. C'est totalement différent. Ce n'est pas que nous, les avocats et les avocates, soyons spéciaux. C'est le fait que lorsqu'un client décide de consulter un avocat, et non pas un comptable, il s'attend à ce que cette relation soit marquée du sceau de la confidentialité.

M. Richard Marceau: Très bien. Mais si le client est averti que s'il veut faire quelque chose de sale, qu'il veut faire une transaction qui est du blanchiment d'argent, ne serait-il pas bon qu'il sache que la porte lui sera fermée en se faisant dire que s'il consulte un avocat, le centre ou l'État—appelons-le comme on le veut—sera sera mis au courant?

Me Eugene Meehan: Tous les barreaux du Canada, ceux de l'Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan et ainsi de suite, ont des règlements qui vont exactement dans ce sens.

M. Richard Marceau: Bon.

Me Eugene Meehan: C'est couvert soit par les règlements du Barreau, soit par le Code criminel.

M. Richard Marceau: Oui. C'est d'ailleurs un cours qui est très «plate» à suivre, soit dit en passant, entre vous et moi, surtout en Ontario. Justement, si l'obligation est déjà là, si l'obligation est déjà dans le code de déontologie des avocats, quel est le... À ce que j'ai cru comprendre, vous me dites que l'obligation se trouvant déjà dans le code de déontologie, on peut se demander pourquoi on la met dans le projet de loi. Est-ce bien ce que vous me dites?

Me Eugene Meehan: C'est cela.

M. Richard Marceau: Bien. Donc, à l'inverse, si cela n'ajoute pas grand-chose, si l'obligation existe déjà, quel danger y a-t-il à l'introduire dans le projet de loi?

Me Eugene Meehan: Il y a une différence. Selon le code de déontologie, il faut révéler la chose à l'Association du Barreau. On n'a pas la responsabilité de s'adresser à la police.

M. Richard Marceau: Oui, mais le Barreau, c'est une grosse bureaucratie. Dieu sait qu'il y a du «tétage» là-dedans et des pertes de temps. Il y a des papiers qui se perdent. La dernière fois, j'ai dû faire trois appels avant de recevoir ma facture de frais d'inscription à la Law Society of Upper Canada. Ce n'est pas la bureaucratie la plus dynamique, dirais-je. Une fois que cela se rend au Barreau, que fait le Barreau? Qui avertit-il?

Me Eugene Meehan: L'avocat a deux obligations, une envers le Barreau et une autre en vertu du Code criminel. Notre position, c'est que le Code criminel et la réglementation du Barreau suffisent. Il n'est pas nécessaire que le gouvernement soit présent dans le bureau lors de la rencontre avec un client. Les relations entre un client et son avocat, qu'elles soient professionnelles ou sexuelles, sont leur affaire. Ce n'est pas l'affaire du gouvernement. À notre point de vue, c'est une intrusion du fédéral dans cette relation.

M. Richard Marceau: J'ai un peu de difficulté, comme mon collègue Abbott, à associer une relation professionnelle et une relation sexuelle pour diverses raisons, entre autres parce que la deuxième peut être plus agréable.

Je voudrais revenir sur un autre sujet que vous avez mentionné, celui de la confidentialité. Vous avez dit qu'un des problèmes posés par le projet de loi C-22 était celui de la confidentialité, non seulement entre l'avocat et son client mais aussi de façon générale. Cela vous ferait un peu froid dans le dos. Êtes-vous en train de me dire que pour vous, ce n'est pas assez que le projet de loi précise que la Loi sur la protection de la vie privée s'applique?

Me Eugene Meehan: Ce n'est pas suffisant parce qu'il est indiqué que cela s'applique seulement à cette partie. Or, cela s'applique aussi à tout le reste de la loi.

M. Richard Marceau: Très bien.

Ce matin, nous avons reçu les hauts fonctionnaires du ministère des Finances, qui nous ont fait une présentation. Je leur ai posé une question que je vais poser à nouveau à M. Comley. Je disais que la protection accordée aux Canadiens par la Loi sur la protection de la vie privée et par le fait que la Loi sur l'accès à l'information s'appliquerait au centre qui serait mis sur pied, se trouverait garantie. Cependant, dans la mesure où certains renseignements communiqués au centre pourraient être transmis à un centre analogue dans un autre pays, n'y a-t-il pas danger que se fasse par la porte d'en arrière ce qu'il est interdit de faire par la porte d'en avant? En effet, certaines protections qui s'appliquent au Canada ne s'appliquent pas nécessairement ou n'existent pas nécessairement dans d'autres pays.

• 1635

[Traduction]

M. Martin Comley: J'ai pris rapidement connaissance de votre loi. On y mentionne la coopération avec des organismes extérieurs et autres au moyen de protocoles d'entente.

Je vous avoue que c'est la méthode privilégiée de communication en ce qui nous concerne, car les protocoles d'entente stipulent qui, comment et quoi, et ce qui sera fait à la suite de la communication de ces renseignements. Il est important que cela soit fait, car les lois de chaque pays diffèrent énormément. Je pense en particulier à l'Europe, où nous sommes censés disposer d'une norme commune—on en est malheureusement loin.

Des protocoles d'entente spécifiques aident à garantir que l'information qui est fournie par un pays sera prise en compte par l'autre pays concerné. Pour que des mesures soient prises à propos d'une opération douteuse, il n'est pas toujours nécessaire de transmettre en détail toutes les informations. C'est une chose qui doit être discutée au niveau opérationnel, afin d'assurer au mieux la protection des particuliers dans chaque pays et le respect de la confidentialité.

[Français]

M. Richard Marceau: Est-ce qu'il me reste encore du temps?

Le président: Une minute.

M. Richard Marceau: Monsieur Murray ou monsieur Chester, dans votre mémoire, vous vous demandez si le projet de loi C-22 ne va pas à l'encontre de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Qu'est-ce qui vous fait dire qu'il y a lieu de se le demander? Connaissant votre façon de fonctionner, maître Chester, je sais qu'il est rare que vous posiez une question sans avoir une réponse en tête. Alors, votre réponse, quelle est-elle? Si le projet de loi est contraire à l'article 8, comment le récririez-vous pour faire en sorte que les exigences de la Charte soient respectées?

[Traduction]

M. R. Simon G. Chester (conseiller juridique, Institut canadien des comptables agréés): Monsieur Marceau, j'ai deux réponses à vous fournir. Premièrement, et cela ne porte pas vraiment à conséquence, le mémoire que vous citez est celui de la Certified General Accountants Association of Canada. Deuxièmement, je me ferai un plaisir de vous répondre.

[Français]

M. Richard Marceau: C'est que votre nom apparaissait ici avec...

[Traduction]

M. Simon Chester: Nous représentons l'Institut canadien des comptables agréés.

[Français]

M. Richard Marceau: Je m'excuse.

[Traduction]

M. Simon Chester: Pour vous donner une réponse sérieuse, je vous dirais qu'à notre avis, il serait préférable que le projet de loi fasse une distinction entre deux types de circonstances dans lesquelles le centre d'analyse chercherait à obtenir des renseignements. Par exemple, pour une enquête à propos d'une violation de la loi ou quand des informations financières particulières risquent de disparaître, nous croyons que les mêmes garanties que celles qui existent dans le reste du système de justice pénale devraient s'appliquer—c'est-à-dire qu'il faudrait s'adresser à une autorité indépendante et obtenir un mandat.

Un mandat garantit que l'on va évaluer objectivement s'il existe des motifs raisonnables de croire que les circonstances justifient l'enclenchement d'un mécanisme légal. Une telle évaluation objective constituerait une forme de contrôle du Centre.

À la lecture de l'article 62, on s'aperçoit qu'il stipule qu'une personne autorisée peut, à l'occasion, pénétrer à toute heure convenable dans tout local. Ladite personne autorisée étant tout simplement quiconque est désigné par le directeur du Centre d'analyse en vertu du paragraphe 45(2). On ne trouve aucune des garanties qui s'appliqueraient dans le cas d'une action policière, ni celles qu'offre le droit pénal en général. Nous sommes d'avis que la loi qui nous occupe devrait offrir les mêmes garanties que l'ensemble du système judiciaire.

Ma réponse était un peu facétieuse. J'ajoute que je me ferais un plaisir de demander aux comptables généraux licenciés s'ils partagent ce point de vue.

[Français]

M. Richard Marceau: Merci.

[Traduction]

Le président: Madame Bulte.

Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président.

Merci à tous d'être présents aujourd'hui.

• 1640

J'adresse mes questions, par votre intermédiaire, monsieur le président, à l'Association du Barreau canadien. Je le fais à titre de membre de la Section ontarienne de cette association et à titre de membre du Barreau du Haut-Canada. J'ai pratiqué le droit pendant 18 ans. Les personnes assises autour de cette table connaissent toutes le caractère privilégié des relations professionnelles des avocats. M. Marceau est, lui aussi, avocat.

Je vais commencer par dire qu'en tant qu'avocate, je me range aux côtés de mes collègues, M. Marceau et M. Abbott, qui ont jugé votre analogie sexuelle, monsieur Meehan, concernant le secret professionnel des avocats, tout à fait choquante. Je tiens à ce que cela figure dans le compte-rendu.

J'ajouterais que je crois également—et je vous lance un défi en disant cela—qu'il n'existe pas de secret professionnel absolu en ce qui concerne les avocats. On trouve, en revanche, des exceptions au privilège jurisprudentiel.

Vous n'avez pas non plus, messieurs, mentionné l'article 11 du projet de loi—dont je vais faire la lecture aux fins du compte-rendu: «La présente partie n'a pas pour effet de porter atteinte au secret professionnel du conseiller juridique.»

Quatrièmement, les règlements ne concernent pas les gens qui reçoivent de l'argent à titre d'honoraires ou de caution. On ne l'a pas mentionné ici aujourd'hui.

Cinquièmement, l'affaire Murray-Bernardo dont les tribunaux sont actuellement saisis va permettre de définir l'étendue du secret professionnel des avocats. Je le répète, quand vous affirmez qu'il existe pour les avocats un secret professionnel absolu et quand vous faites une analogie à caractère sexuel pour illustrer vos propos, je trouve cela très choquant.

J'aimerais que vous nous parliez particulièrement de l'article 11 et des règlements.

Avant de terminer, si vous le permettez, monsieur le président, je tiens à préciser que je n'ai pas pratiqué le droit pénal. C'est un domaine que j'avais choisi de ne pas exercer. Mais j'ai pratiqué le droit immobilier, et j'étais très consciente du secret professionnel. Il y a eu des occasions où j'ai reçu des versements en espèces dans le cadre de transactions immobilières, ce qui n'était pas inhabituel à la fin des années 80, époque où l'argent affluait de Hong Kong. C'était l'époque où l'argent, des dollars américains dans des sacs en papier, nous était apporté par des jeunes gens qui l'avait reçu de leurs familles, à Hong Kong.

Cela ne m'a posé aucun problème à l'époque de dire à ces clients qu'après avoir déposé l'argent à ma succursale de la Banque Royale, étant donné qu'il s'agissait d'espèces, j'allais devoir remplir un formulaire pour que la banque soit au courant de la provenance de ces fonds et de leur utilisation. Je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit de mal, ni avoir brisé le secret professionnel, mais c'était incontournable. Je pense que tous les avocats ont eu à agir ainsi, même volontairement.

Bref, encore une fois, veuillez nous parler de l'article 11, des exemptions en vertu des règlements.

M. Eugene Meehan: Je tiens à présenter à ma collègue toutes mes excuses. Je m'excuse d'avoir fait une remarque qui a été jugée choquante. Je suis désolé. Ce n'était pas mon intention de vous choquer. C'est quelque chose qui est bel et bien arrivé. Heureusement, le secret professionnel m'interdit de dire quoi que ce soit d'autre que, oui, c'est bel et bien arrivé, parce que c'est vrai, et cela a été une expérience très traumatisante pour la jeune femme en question, qui en souffre encore.

Quoi qu'il en soit, chère collègue, je m'excuse de vous avoir choquée. Je reconnais que je n'aurais pas dû présenter les choses de cette façon. Je suis désolé; j'en ai parlé pour appuyer mon argument. Cet argument, c'est que la relation privilégiée qui existe entre un avocat et son client, comme une relation intime, est importante et devrait être protégée. Mais je m'excuse si je vous ai choquée. Ce n'était pas mon intention, croyez-moi.

Je donne la parole à mon collègue, M. DelBigio, qui va vous parler de l'article 11.

M. Greg DelBigio: Nous avons présumé, en préparant notre comparution, que tout le monde connaissait bien le projet de loi et en ne mentionnant pas précisément l'article 11 ou en omettant de faire référence à d'autres articles, nous ne cherchions pas à abuser qui que ce soit. Nous sommes partis du principe que vous connaissiez tous ces dispositions. Bien sûr, elles existent et elles traitent du privilège.

Cependant, de l'avis de l'Association du Barreau canadien, une telle disposition n'est pas suffisante. Il faut reconnaître à la fois le privilège et la confidentialité des échanges. La confidentialité est un concept plus large que celui de privilège.

Deuxièmement, même si l'article 11 existe, il y aura nécessairement des cas où l'on ne sera pas sûr de la façon dont le privilège se traduit. Ceux et celles d'entre nous qui se sont trouvés dans une situation où le privilège entrait en jeu savent pertinemment combien cela peut être compliqué et que ce n'est jamais un problème simple à résoudre.

Des mesures pénales sont prévues dans le projet de loi. Il y a un risque que les déclarations soient injustifiées. Autrement dit, si un avocat a des doutes à propos du caractère confidentiel de certaines informations, il y a un risque qu'il décide erronément de faire une déclaration plutôt que de s'abstenir. Il serait très utile d'avoir un mécanisme qui permettrait à un avocat qui a des doutes à propos du secret professionnel de s'adresser à un juge ou à une autre instance à l'avance pour régler la question. De cette façon, la chose est déterminée par des voies appropriées et par une autorité indépendante, et toute incertitude disparaît. Cela permet à un avocat de savoir s'il est réellement autorisé à divulguer l'information qu'on lui demande de fournir.

• 1645

Enfin, j'aimerais souligner que les recommandations de l'ABC ne vont pas à l'encontre des objectifs du projet de loi, sauf sur un point. Étant donné que les avocats sont actuellement assujettis à leur code de déontologie et aux dispositions du Code criminel, ils ne peuvent déjà pas se livrer au blanchiment d'argent. Le seul objectif de la loi qui ne serait pas servi s'ils étaient exemptés de son application est celui qui a trait à la collecte d'informations. Cela se résume à dire que l'on n'aurait pas la possibilité de puiser à une source d'informations parmi tant d'autres, celle que représentent les avocats. À part cela, la loi s'appliquerait normalement, et la réalisation de ses objectifs n'en serait aucunement entravée ni menacée. Par conséquent, nos propositions ne portent pas atteinte aux objectifs du projet de loi.

Le président: J'ai trois noms: Cullen, Szabo et Gallaway.

M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je remercie tous les témoins, notamment M. Comley, qui vient de si loin.

J'ai quelques questions à poser à M. Comley et ensuite, j'aimerais revenir sur cette question de privilège. Je ne suis pas avocat, mais j'aimerais revenir là dessus.

Monsieur Comley, en vertu de ce projet de loi, certaines transactions doivent, de facto, faire l'objet d'une déclaration, si les sommes en question dépassent un certain montant d'argent, et il y a d'autres transactions qui exigent que l'on détermine si elles sont ou non de nature suspecte. Est-ce que les mêmes dispositions existent au Royaume-Uni et y a-t-il des transactions qui doivent être déclarées de facto et d'autres, parce qu'elles peuvent être considérées suspectes, qui doivent également faire l'objet d'un rapport? Comment cela est-il défini concrètement au Royaume-Uni?

M. Martin Comley: Il n'y a pas de déclaration de facto. Ce qui se rapproche le plus de cela, c'est la directive de l'Union européenne qui reflète un règlement sur le blanchiment d'argent et où sont fixées des limites en écus, ce qui signifie que certaines mesures doivent être prises. On ne définit nulle part ce qui est particulièrement suspect et qui doit nécessairement faire l'objet d'une déclaration auprès de notre service. Notre système de déclaration se fonde purement et simplement sur le soupçon.

M. Roy Cullen: Donc, le seul critère que vous appliquez est le suivant: si une transaction semble suspecte, quelle que soit la façon dont cela est défini et autant que l'on puisse en juger, elle fait l'objet d'une déclaration?

M. Martin Comley: Exact.

M. Roy Cullen: Mon autre question porte sur le fait que ce projet de loi se focalise sur les intermédiaires financiers. On a envisagé d'en élargir le champ d'application de façon à inclure les détaillants, par exemple, et d'aller au-delà des intermédiaires financiers. Je me demande quelle est votre expérience en ce domaine et quel serait votre avis.

M. Martin Comley: J'ai une réponse en deux parties. Premièrement, notre principale loi couvre tout le monde, les détaillants, les avocats et ainsi de suite. Les gens que vous citez sont déjà couverts.

Deuxièmement, les règlements stipulent qu'il devrait y avoir en place des systèmes dans certaines institutions, tant et si bien que dans les institutions concernées, on est plus sensibilisé à la question à cause de la présence de ces systèmes. Ces dispositions visent essentiellement les milieux financiers. À l'heure actuelle, on discute au sein de l'Union européenne d'une deuxième directive sur le blanchiment d'argent qui porte sur des questions semblables, notamment sur un élargissement du champ d'application des mesures législatives dans le sens que vous suggérez. C'est un concept très intéressant, voilà ce que je peux vous répondre honnêtement. Cependant, je ne sais pas trop comment on pourrait appliquer ces dispositions. On se demande si l'on doit cibler les bijoutiers? Si oui, qui va se charger de réglementer les bijoutiers? Est-ce que cela devrait être reflété dans les exigences de déclaration, c'est-à-dire, devraient-ils être tenus de faire des déclarations, ou bien est-ce qu'on leur demande d'avoir un système en place? On leur demande déjà de faire des déclarations, mais pas d'avoir mis des systèmes en place.

• 1650

Je ne sais pas s'il y a une réponse toute faite à votre deuxième question. Je ne sais pas si, en s'éloignant beaucoup du secteur financier, on peut envisager avoir des résultats toujours meilleurs, car si l'on ne peut pas veiller à ce que des dispositions soient appliquées, quel est l'objectif que l'on poursuit lorsqu'on les prend? Je ne dis pas que cela ne puisse pas s'appliquer à tous les secteurs.

En ce qui me concerne, les transferts d'argent constituent un secteur qui échappe à tout contrôle à l'heure actuelle. Mais cela nous préoccupe au plus haut point, et c'est la raison pour laquelle nous consacrons beaucoup de ressources pour le contrôler d'une autre manière.

M. Roy Cullen: Okay. Merci.

Il y a bien des organismes et des centres différents, et vous avez décrit le vôtre. Un des sujets que le comité a abordé ce matin, c'est la question des ressources nécessaires pour installer adéquatement un centre et de l'ordre de grandeur d'une telle initiative. Pouvez-vous nous donner quelques conseils à ce propos?

M. Martin Comley: Je vous dirais carrément qu'il faut y consacrer les ressources nécessaires. C'est la principale critique qui nous a été adressée à propos de la façon dont nous avons procédé. Lorsque j'ai commencé à travailler dans mon service, il y avait cinq employés. Quelques années plus tard, nous en sommes rendus à 27. D'ici la fin de l'année, il est probable que ces effectifs vont doubler. Il faut tenir compte du fait que je peux puiser dans les ressources du Service national de renseignements criminels et arracher quelque chose à ses tentacules. Il existe donc une organisation qui a pas mal d'envergure. À part cela, il faut aussi des ressources de TI convenables pour faire le travail correctement, parce que ni votre centre, ni le mien, ne devrait être uniquement une boîte postale. Un tel service doit faire davantage.

M. Roy Cullen: Okay. Merci.

J'ai dit que je reviendrai sur la question du privilège. Monsieur Comley, au Royaume-Uni, si quelqu'un arrive dans le cabinet d'un avocat ou va voir un comptable à propos d'une transaction ou d'une somme d'argent qui paraît suspecte, est-ce que l'avocat ou le comptable est tenu, en vertu de vos lois, de faire une déclaration à ce sujet au centre?

M. Martin Comley: Oui.

M. Roy Cullen: J'aimerais, si vous le permettez, m'adresser à nouveau aux représentants de l'Association du Barreau canadien. Tout d'abord, comme l'a fait remarquer mon collègue, la loi respecte la relation privilégiée entre l'avocat et son client. Mais ne reconnaît-on pas que lorsqu'il est question de comptes en fiducie, le privilège n'est pas le même que celui qui entre en jeu dans le cadre d'autres activités?

Je lis, dans un rapport de l'Association du Barreau de l'Ontario, qui date de 1985, la déclaration suivante:

    Certains avocats croient, erronément, que quoiqu'ils fassent, quoi qu'on leur dise, c'est confidentiel, simplement du fait qu'Ils sont avocats. Or, ce n'est justement pas le cas.

On précise ensuite dans ce document que l'ouverture de comptes en fiducie fait partie de ce qui n'est pas nécessairement confidentiel. J'aimerais que vous commentiez.

M. Greg DelBigio: Premièrement, le rapport dont vous parlez est un document publié en 1985 par l'Association du Barreau de l'Ontario, et il ne reflète pas la position officielle adoptée alors et maintenant par l'association nationale... Notre position est celle que résument les recommandations que nous avons formulées aujourd'hui.

Deuxièmement, même si certains aspects de l'ouverture d'un compte en fiducie ne sont pas couverts par le privilège dont nous jouissons, il est important d'inscrire cela dans une plus large perspective. Pour qu'il y ait soupçon, il se peut fort bien que parfois, il faille poser des questions. Il se peut que l'on ne puisse pas soupçonner quoi que ce soit sans faire enquête, mais que, néanmoins, un avocat soit porté à faire enquête pour déterminer s'il y a ou non quelque chose à soupçonner. Ce sont les questions posées et les réponses fournies dans le cadre de cette enquête qui pourraient être couvertes par ce privilège et qui le sont effectivement.

Donc, nous ne pouvons pas nous limiter, pour prendre cette question en considération, au simple fait de déposer de l'argent dans un compte en fiducie. Cela va beaucoup plus loin. Qui est la personne en question? Quel est son métier? Quelle est la source de ses revenus en dehors de son activité professionnelle? Depuis combien de temps occupe-t-elle ses fonctions? Ce sont de telles questions qui vont permettre de faire disparaître ou de confirmer les soupçons.

• 1655

Le président: Merci, monsieur Cullen. Avez-vous une autre question à poser?

M. Roy Cullen: J'ai beaucoup de questions à poser, mais je vais laisser la place à mes collègues et si l'occasion se présente, j'interviendrai à nouveau.

Le président: Très bien.

Monsieur Szabo.

M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président. M. Cullen est comptable agréé, comme moi, et nous avons ici un avocat et là un autre avocat; les choses sont donc bien départagées.

Le président: Bien. Merci, monsieur Szabo.

Monsieur Abbott.

Des voix: Oh, oh!

M. Paul Szabo: Le mémoire de l'ICCA m'a intéressé parce qu'il aborde une question qui est en fait le thème de nombreux témoignages, c'est-à-dire ce qui constitue une transaction suspecte, la définition que l'on peut en donner. Je présume qu'en faisant un tour de table, on constaterait que vouloir donner une telle définition est la source de toutes sortes de frustrations. C'est un peu comme chercher la quadrature du cercle. On n'y arrivera tout simplement pas.

Mais ce qui m'intrigue, c'est le débat qui porte sur le rôle ou la fonction des avocats et des comptables. Si je pense aux 30 années que j'ai passées dans le secteur public ou dans le privé, il me semble que les avocats et les comptables peuvent occuper presque toutes les fonctions à un moment ou un autre. Ce n'est pas seulement les vérificateurs et le personnel judiciaire. Ils peuvent être agents, conseillers ou consultants. Ils peuvent être impliqués directement dans des transactions financières. Ils peuvent occuper absolument toutes les fonctions possibles tout en restant à l'emploi d'un cabinet ou en agissant en qualité de professionnels.

Étant donné que c'est le cas et que les deux professions ont des codes de déontologie stipulant que des rapports doivent être faits auprès du barreau ou de l'institut, y a-t-il un parallèle ici que nous devrions prendre en compte, une exigence de déclaration au titre de membre d'une profession? Dans le contexte de ce projet de loi, est-ce que cela ne devrait pas au moins s'appliquer également à certaines des activités menées dans ces deux milieux professionnels?

M. Ian Murray: Étant donné la façon dont la profession de comptable est envisagée dans la loi, vous avez parfaitement raison. En tant que comptables, nous sommes impliqués de nombreuses manières dans les affaires, pas seulement au plan professionnel. Un grand nombre de nos membres sont impliqués dans le milieu des affaires à un autre titre que celui de comptable. C'est pour cette raison que la portée du texte législatif nous préoccupe et que nous considérons que le texte législatif doit préciser clairement que son objet se limite en fait à ceux qui sont impliqués dans des transactions financières particulières et non à ceux qui sont impliqués indirectement, soit parce qu'ils fournissent des conseils professionnels, soit parce qu'ils agissent à un autre titre que celui de comptable.

Voilà donc, dans le contexte de ce texte législatif, ce qui nous préoccupe en premier lieu à titre de comptables, la nécessité de limiter la portée du projet de loi de façon à ce qu'il soit bien clair qu'il vise uniquement ceux qui sont directement impliqués dans des transactions financières et des activités d'intermédiaires. En dehors de cela, notre responsabilité, en vertu du code de déontologie professionnelle, est de respecter la confidentialité. Toutefois, s'il existe une loi qui a préséance, qui nous oblige à faire des déclarations, nous sommes tenus de la respecter.

M. Paul Szabo: En ce qui concerne l'une de vos principales recommandations, celle qui porte sur la définition de transactions suspectes, peut-être devrions-nous déterminer s'il y a un consensus en la matière. Vous n'avez suggéré aucune définition. Vous avez certes dit clairement qu'il devrait y en avoir une. Savez-vous s'il existe dans une autre sphère une telle définition ou êtes-vous prêts à suggérer un critère ou deux qui devraient être inclus dans une telle définition?

M. Ian Murray: Nous ne connaissons aucune définition que nous pourrions reprendre aux fins de ce projet de loi. Au cours des discussions qui ont eu lieu dans le cadre de ce processus et dans notre document de travail, nous avons noté que nous sommes disposés à participer à des consultations à ce sujet.

Comme l'a indiqué M. Comley dans sa présentation, c'est quelque chose qu'il est difficile d'exprimer clairement et de faire correspondre à des critères qui aboutiraient à des rapports cohérents. Il va falloir beaucoup de temps et d'expérience, je crois, pour parvenir à une définition qui soit apte à être mise en pratique.

• 1700

M. Paul Szabo: J'ai une dernière question, et peut-être que M. DelBigio peut m'aider. Je comprends ce qu'il définit comme la position des avocats de profession. Qu'arriverait-il si un avocat, alors qu'il se décharge de ses responsabilités professionnelles, se rend compte qu'une transaction dont il est mis au courant est clairement suspecte, quelle que soit la définition qui s'applique? Pour ce qui est de faire rapport au barreau ou aux autorités, y a-t-il quelque chose...

M. Greg DelBigio: À l'heure actuelle?

M. Paul Szabo: À l'heure actuelle.

M. Greg DelBigio: Toute déclaration est interdite, sauf si un avocat est mis au courant d'informations qui indiquent la possibilité de dommages corporels imminents.

M. Paul Szabo: Dans ce contexte, si vous veniez à apprendre personnellement qu'un collègue, un autre avocat, a été impliqué dans un acte qui est, selon vous,... Peut-être n'avez-vous pas de preuve irréfutable ou s'agit-il de quelque chose qui n'est pas établi dans la loi, mais vous soupçonnez ou vous pensez que c'est peut-être... Êtes-vous tenu, en vertu de votre code de déontologie professionnelle, d'avertir le barreau, de façon à ce que l'on puisse donner suite à de telles allégations?

M. Greg DelBigio: Corrigez-moi si je me trompe, mais je ne pense pas qu'une telle obligation existe en Colombie-Britannique.

M. Eugene Meehan: En Ontario, si. Quelqu'un qui est convaincu qu'un collègue a commis une faute professionnelle est dans l'obligation de faire rapport au barreau. Le barreau prendra alors les mesures appropriées, y compris faire rapport aux autorités.

M. Paul Szabo: Et l'ICCA?

M. Ian Murray: Les instituts provinciaux, en tout cas, ceux de l'Ontario et la plupart de ceux qui sont établis à travers le Canada, imposent une exigence semblable à celle que sont tenus de respecter les avocats de l'Ontario. Vous auriez l'obligation de faire rapport à l'Institut.

M. Paul Szabo: Merci.

Le président: Merci, monsieur Szabo.

Je passe maintenant la parole à M. Abbott.

M. Jim Abbott: Je vais essayer d'être très bref.

Tout d'abord, les témoins devraient savoir qu'il n'est pas habituel... Cela arrive de temps en temps, mais il n'est pas habituel qu'un texte législatif soit présenté à la Chambre des communes et adopté par la Chambre en deuxième lecture, ce qui constitue un accord de principe, avec dissidence—autrement dit, sans qu'il y ait eu de vote. Selon moi—et je pense que mes collègues seront d'accord—cela signifie essentiellement que les personnes élues par la population canadienne ont indiqué vouloir que ce genre de loi existe. Le mandat relatif à l'adoption de ce projet de loi est donc très ferme.

En conséquence, s'il est mis en application, en excluant les membres du barreau, veuillez m'expliquer pourquoi, si j'étais quelqu'un qui vit de pratiques inavouables, je ne m'adresserais jamais à un CGA ou à un CA pour s'occuper de mes activités professionnelles. Je pourrais fort bien avoir caché suffisamment de choses pour ne pas contrevenir aux règles du barreau et ainsi de suite. Comment se pourrait-il que, pour des gens qui vivent de pratiques inavouables, vous ne soyez pas, vous, messieurs, les agents idéaux? Il y aurait là un vide législatif tellement grand que toute une armée pourrait s'en prévaloir.

M. Greg DelBigio: Je ne pense pas que ma foi dans l'intégrité de la profession n'est pas fondée. Je ne crois pas qu'il y aurait un vide tel que les gens s'adresseraient aux avocats pour leur demander de faciliter des transactions criminelles en leur nom.

Tout d'abord, cela présume que, parmi la communauté suspecte, cela se sache. Même si cela se sait et si les gens se précipitent chez les avocats, encore faudrait-il présumer que les avocats vont faire ce genre de transaction. Rien ne prouve qu'ils agiraient ainsi, ni qu'ils l'ont fait. Les transactions, si elles étaient suspectes, n'iraient pas plus loin que la porte du cabinet de l'avocat.

• 1705

M. Jim Abbott: Alors, pourquoi ne pas également exclure les comptables, les CA et les CGA? Ils constituent un groupe de professionnels.

M. Greg DelBigio: Eh bien, ce ne sont pas uniquement les codes de déontologie professionnelle qui entrent en jeu. Même si ces codes présentent des similitudes, la loi a reconnu très clairement et depuis de nombreuses années, pas seulement au Canada, d'ailleurs, que la relation entre les avocats et leurs clients est différente de la relation qui peut exister entre les comptables et leurs clients, les médecins et leurs clients ou les membres de bien d'autres professions et leurs clients. C'est un fait reconnu dans la loi comme un privilège, ce qui diffère de la relation que peuvent nouer les membres d'autres professions, et il s'agit là d'un facteur légal incontournable qui doit être pris en compte.

M. Jim Abbott: Aux fins du compte-rendu, je dirais que j'ai écouté votre réponse, mais que je reste sceptique.

M. Greg DelBigio: Désolé de vous l'entendre dire.

M. Jim Abbott: Merci.

Le président: Est-ce votre dernière question?

M. Jim Abbott: C'est la dernière.

M. Richard Marceau: Est-ce votre dernière réponse?

[Français]

Ce sera très rapide, parce que les mémoires nous ont été remis au moment où vous êtes arrivés. En tout cas, moi, je les ai eus simplement à ce moment-là. Est-ce que vous croyez, monsieur Comley, monsieur Murray et monsieur Meehan, que le projet de loi devrait décrire ou préciser les motifs raisonnables de soupçonner que des transactions sont liées à la perpétration d'une infraction? Est-ce que ça devrait être défini, soit dans la loi, soit dans la réglementation, selon vous?

Me Eugene Meehan: Je vais répondre d'abord. Il faut que l'exception soit universelle dans la loi et aussi que la protection de la confidentialité soit ajoutée pour protéger les clients, pour protéger les Canadiens.

M. Richard Marceau: Je comprends cela, mais est-ce que ce sont des motifs raisonnables? C'est assez vague. Est-ce que, selon vous, on devrait dire que des motifs raisonnables pourraient être a, b, c ou d, afin de donner au moins...

Me Eugene Meehan: Nous avons des problèmes avec l'expression «motifs raisonnables» parce qu'elle est plutôt employée comme norme dans le domaine criminel.

M. Richard Marceau: Je vois.

À vous, monsieur Murray.

[Traduction]

M. Ian Murray: Nous sommes convaincus que les critères et les directives établis en ce qui concerne les transactions suspectes devraient être reconnus et précisés dans la loi.

M. Richard Marceau: Bon.

Monsieur Comley.

M. Martin Comley: Je dois me reporter à ce qui se passe au Royaume-Uni pour vous répondre, et pour nous, c'est dans les notes d'orientation. Si vous cherchez à intégrer cela à la loi, elle risque d'être longue et je ne sais pas comment vous feriez pour la modifier. C'est le dilemme auquel nous avons toujours fait face.

M. Richard Marceau: Merci.

Le président: C'est à nouveau à votre tour, monsieur Cullen.

M. Roy Cullen: Merci, monsieur le président.

Tout d'abord, je comprends la question qui se pose à propos des CA et des CGA qui, dans le cadre de travaux normaux de comptabilité ou de vérification, peuvent découvrir une transaction qui semble suspecte; mais ce projet de loi a été conçu pour couvrir les cas où des comptables, CA ou CGA, seraient impliqués dans une telle transaction. Je sais que c'est ce que le ministère vous a dit, et si cela n'est pas clair dans la loi, nous devrions peut-être le préciser ou élaborer rapidement un règlement afférent.

Je m'adresse maintenant à nouveau pour un moment à l'Association du Barreau canadien: monsieur DelBigio, vous avez évoqué, disons, une première rencontre avec un client ou un client éventuel qui a apporté beaucoup d'argent liquide. Si ce projet de loi est adopté, on va fixer certains montants au-dessus desquels il sera obligatoire de faire une déclaration. Donc, qu'est-ce qui empêcherait à ce moment-là un avocat de dire: «Savez-vous que si vous me donnez cet argent pour que je le place dans un compte en fiducie, je serai obligé de faire une déclaration, sans même être tenu de vous dire quand, comment, ni pourquoi?»

Dans la même veine, si quelqu'un arrive avec 100 000 $ en liquide et que vous avez des doutes, qu'est-ce qui empêcherait un avocat de dire: «Savez-vous qu'il existe une loi en vertu de laquelle, si je vous pose quelques questions et que cela m'amène à avoir des doutes, je suis obligé, par la loi, de faire une déclaration.» En quoi serait-il si difficile de procéder ainsi?

• 1710

M. Greg DelBigio: Je ne pense pas que ce serait difficile. De fait, si ce projet de loi est adopté, je pense qu'un avocat serait dans l'obligation de donner à un client ou à un client éventuel ce genre d'information.

Quoi qu'il en soit, même si cette information est donnée à un client ou à un client éventuel, il reste qu'il n'est pas conforme à la relation avocat-client, telle qu'elle est actuellement définie, de faire une déclaration qui pourrait avoir des conséquences pénales pour le client en question. Ce n'est tout simplement pas conforme aux obligations de l'avocat vis-à-vis son client, telles qu'elles existent actuellement. Donc, informer d'entrée le client n'efface pas les dommages qui pourraient éventuellement résulter d'une déclaration qui serait faite par la suite.

M. Roy Cullen: Je pourrais certes poursuivre cette discussion pendant un bout de temps, mais je...

Le président: Allez-y. Cela m'intéresse.

M. Roy Cullen: Je dois dire que je ne vous suis pas très bien. En effet, dans ces conditions, le client a à prendre certaines décisions, et l'avocat a dit assez clairement quelles sont les exigences à prendre en compte. Si le client n'est pas coupable de blanchiment d'argent ou ne risque pas d'être reconnu comme tel, alors, présumément, il dira: «Je n'ai rien à cacher, alors, allons-y.» S'il a des réserves à propos de l'acte qu'il commet ou qu'il est prêt à commettre, alors, présumément, il sera un peu plus sur ses gardes et il envisagera un arrangement dont les règles lui sont absolument connues.

M. Greg DelBigio: Il se pourrait que le client prenne la porte et que...

Le président: Vous feriez une déclaration à son propos, n'est-ce pas? Si quelqu'un prenait la porte après que vous lui ayez dit que vous alliez faire une déclaration, vous devriez tirer la sonnette d'alarme, n'est-ce pas?

M. Greg DelBigio: C'est une des questions que soulève l'interprétation de l'article 7: est-ce qu'une consultation de ce genre constitue une transaction financière... Il semble que cela soit limité aux transactions financières. Je ne sais pas si l'article 7 pourrait s'appliquer à ce genre de consultation initiale ou non.

Je le répète, c'est l'incertitude qui plane sur l'interprétation du projet de loi qui pourrait fort bien amener un avocat à se préoccuper avant tout de sauver sa peau et à faire une déclaration. Cela pousse un avocat à essayer, d'une part, de servir les intérêts d'un client ou d'un client éventuel ou encore de déterminer si ces intérêts peuvent être servis dans le cadre de la loi, tout en protégeant aussi ses propres intérêts.

Le président: En toute justice, je dois dire que je n'essayais pas de faire de l'humour. Si cela devait vous arriver et si M. X venait vous voir avec 50, 100 ou je ne sais combien de milliers de dollars, vous lui diriez probablement: «Écoutez, je vais peut-être être obligé de faire une déclaration qui vous concerne parce que j'ai quelques doutes.» Que feriez-vous, si vous vouliez vous montrer responsable? Feriez-vous ou non une déclaration?

M. Greg DelBigio: Eh bien, je pense qu'en présence d'une grosse somme en liquide, si l'on a également à ce sujet d'autres informations, on peut fort bien être amené à soupçonner quelque chose. Cela peut même être plus que des soupçons. Mais d'après mon interprétation du projet de loi, on doit obligatoirement faire une déclaration à propos de toutes les transactions financières qui soulèvent des doutes.

Je ne voudrais pas répondre à votre question en vous en posant une autre, mais un des problèmes qui se pose dans ce cas de figure, c'est la façon dont on doit interpréter l'article 7. L'avocat devrait certainement dire à la personne en question qu'il ne peut pas s'occuper de son affaire. L'avocat ne peut accepter cet argent à titre d'avance sur ses honoraires, ni de versement dans le cadre d'une transaction d'affaires.

Mme Sarmite Bulte: Je pense que si, vous pouvez l'accepter à titre d'avance sur vos honoraires. Les règlements ne couvrent pas les sommes d'argent liquide versées à titre d'honoraires. Pour contourner la loi, quelqu'un pourrait venir et vous dire: «Voici 100 000 $ à titre d'honoraires», et vous ne seriez pas dans l'obligation de faire une déclaration.

M. Greg DelBigio: Il est vrai que les honoraires sont exclus, mais ce genre de transaction peut être couverte par les dispositions qui existent à l'heure actuelle dans le Code criminel. Cela peut fort bien constituer du blanchiment d'argent; de fait, je suis prêt à soutenir que ce serait le cas.

• 1715

Mme Sarmite Bulte: Mais est-ce que la banque ne va pas s'en apercevoir de toute façon, que vous fassiez une déclaration ou non, si vous déposez 100 000 $ ou si, disons, vous mettez 9 000 $ dans un compte en fiducie, 9 000 $ dans un autre compte en fiducie et que vous avez 10 de ces comptes où vous aurez versé telle ou telle somme? À un moment ou à un autre, une institution financière quelconque va s'en apercevoir, que vous fassiez une déclaration ou non.

M. Greg DelBigio: Peut-être, et heureusement. Si c'est le cas, si ce genre d'information peut être recueillie autrement, alors, il n'y a aucune raison pour que ce soit les avocats qui soient chargés de recueillir et de transmettre ces renseignements.

Mme Sarmite Bulte: Bon.

Le président: Monsieur Szabo.

M. Paul Szabo: Juste pour faire le point, et peut-être que M. DelBigio pourrait nous le dire, à nous qui ne sommes pas experts en la matière, à partir de quand la relation entre l'avocat et son client devient-elle privilégiée?

M. Greg DelBigio: Le privilège et le secret professionnel entrent en jeu dès le premier contact, dès que quelqu'un cherche à obtenir un conseil juridique et qu'il y a communication dans le but d'obtenir un conseil et dans le cadre de la relation de cette personne avec un avocat. Si vous parlez, en passant, avec un avocat des résultats d'un match de baseball, cette conversation n'est ni privilégiée, ni confidentielle. Si vous allez chez un avocat pour obtenir des conseils à propos d'une transaction d'affaires—et vous consultez cet avocat parce que c'est un spécialiste du domaine commercial qui vous intéresse—il s'agit clairement d'une relation à la fois privilégiée et confidentielle.

M. Paul Szabo: Donc, cela n'a rien à voir avec les honoraires. Ce pourrait être gratuit, tant qu'il s'agit d'un conseil juridique légitime.

M. Greg DelBigio: Oui.

M. Paul Szabo: Donc, à partir de là, cela signifie qu'à votre avis, ou du moins, de l'avis du barreau, tout ce que font les avocats entre dans le cadre des relations privilégiées entre les avocats et leurs clients et ne devrait donc pas être couvert de quelque façon que ce soit par ce projet de loi.

M. Greg DelBigio: Non, cela ne s'applique pas à toutes les communications. Il se pourrait que toutes les conversations soient confidentielles, mais elles ne le sont par principe.

M. Paul Szabo: J'ai une dernière question. Je reviens sur celle que j'ai posée plus tôt: pouvez vous imaginer un cas où, dans le cadre d'une transaction financière, un avocat serait amené à se trouver dans une position... et où vos collègues pourraient admettre qu'une déclaration doit être faite parce qu'il s'agit de quelque chose de suspect ou, en fait, qui semble illégal?

M. Greg DelBigio: Non, je pense que si l'on prend en compte le caractère privilégié et confidentiel des relations avocat-client, aucune déclaration ne doit être faite, mais je pense également que l'avocat concerné ne doit pas participer à la transaction en question. Encore une fois, tout ce que demande l'ABC, c'est que les avocats ne soient pas obligés de transmettre des renseignements. Les avocats ne vont pas participer à ce genre de transaction, ils ne le peuvent pas.

Le président: Monsieur Cullen.

M. Roy Cullen: Merci, monsieur le président.

Sans vouloir trop insister, j'aimerais toutefois, si vous le permettez, laisser de côté la question de la relation privilégiée entre l'avocat et son client et reprendre la discussion avec M. Comley: étant donné la façon dont ce projet de loi est conçu, premièrement, il y a une exigence de déclaration au Centre. Si le Centre, en collaborant avec d'autres organes de renseignements... en vient à soupçonner qu'il y a blanchiment d'argent, il transmettra certaines informations cumulatives de haut niveau à la police. Si la police met alors en oeuvre les nombreux moyens dont elle dispose et conclut que, oui, c'est vrai, il y a de fortes présomptions en ce sens, mais qu'un complément d'information est nécessaire, en vertu de nos lois, il faut qu'elle s'adresse à un juge et obtienne une ordonnance pour obliger le Centre à fournir des renseignements supplémentaires. La loi est ainsi faite pour prendre en compte la question de la protection de la vie privée.

Comment cela se passe-t-il au R.-U.? Je sais que votre service est indépendant et pourtant, vous fonctionnez en parallèle ou en collaboration avec les corps policiers du R.-U. Comment cela fonctionne-t-il chez vous?

M. Martin Comley: Des dispositions semblables s'appliquent, sauf que l'on ne s'adresserait pas à moi pour obtenir cette information, parce que les renseignements sur lesquels se basent les soupçons sont détenus par une institution, la banque, le cabinet d'avocat ou autre. En outre, la police serait également dans l'obligation de s'adresser à un juge et de lui prouver qu'une ordonnance ou un mandat est nécessaire pour que l'information recherchée soit mise à sa disposition, pour que l'institution qui la détient soit obligée de la fournir.

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M. Roy Cullen: Ainsi donc, en pratique, au R.-U., ce qui s'est passé jusqu'ici ou plutôt ce qui se passe, c'est que la police s'adresse directement à l'institution financière concernée et pas nécessairement à votre service pour une ordonnance.

M. Martin Comley: Exact. La police s'adresse directement au juge. Il faut que ce soit le juge d'une cour de circuit et non d'un tribunal inférieur.

Le président: J'ai une dernière question à vous poser, monsieur Comley. À la page 4 de votre document, vous mentionnez les «divulgations de soupçons dont le SNRC a été saisi». Vous êtes passés de 600 à 14 500 et vous avez battu tous les records en 1996 avec 16 125. Peut-on faire des économies d'échelle dans le sens où... je veux dire, vous avez doublé vos effectifs depuis 1967, c'est bien cela?

M. Martin Comley: Oui, à peu près.

Le président: C'est toute une charge de travail, n'est-ce pas?

M. Martin Comley: Absolument, et il y a à l'heure actuelle, beaucoup de travail en retard. Nous employons aussi ce qui pourrait être considéré comme des ressources énormes par rapport à la taille de notre organisme. C'est la raison pour laquelle je peux vous dire d'ores et déjà que le prochain budget de l'organisme prévoira une augmentation de nos effectifs. On en a déjà discuté au niveau de la direction générale. Nous n'avons pas les effectifs qu'il faut pour assumer les fonctions qui nous ont été confiées.

Le président: Bien. Quand on voit avec quels effectifs vous avez commencé, c'est phénoménal d'avoir pu traiter toutes ces affaires.

M. Martin Comley: Nous ne faisons pas d'enquête. Nous fonctionnons un peu comme le Centre. Nous faisons seulement une évaluation et nous remettons les choses entre les mains de l'organisme d'enquête approprié.

Le président: Mais quand même... bon. C'est toujours la même question.

Mme Albina Guarnieri (Mississauga-Est, Lib.): Monsieur le président, dans la foulée de vos remarques, ma question s'adresse à l'association des avocats criminalistes.

Dans votre mémoire, vous indiquez que vous essayez de «régler un problème qui, selon nous, ne reflète qu'une partie infime des activités commerciales entreprises Canada.» Comment pourriez-vous démontrer la véracité de cette remarque?

M. Greg DelBigio: Je ne suis au courant de rien qui démontre ou suggère qu'on puisse généraliser et dire que les avocats, individuellement ou collectivement, sont impliqués dans le blanchiment d'argent.

Mme Albina Guarnieri: C'est donc simplement une observation personnelle plutôt qu'un...

M. Greg DelBigio: Non, j'ai lu des rapports, j'ai examiné des données, et rien de ce que j'ai vu ne prouve une telle chose.

Mme Albina Guarnieri: À cause de la nature privilégiée des relations entre les avocats et leurs clients, les avocats ne vont pas disséminer ni partager les renseignements qu'ils détiennent.

M. Greg DelBigio: Les avocats ne partagent les informations qu'ils détiennent, mais comme M. Comley pourrait le confirmer, je pense, la police a des moyens très efficaces pour surveiller, écouter et savoir qui fait quoi. Une bonne source de renseignements, c'est simplement les arrestations, les accusations ou les condamnations. Les poursuites qui ont été engagées contre les avocats sur ce chapitre sont extrêmement rares, et c'est là une source d'information très sûre.

Mme Albina Guarnieri: Mais ce n'est essentiellement qu'une hypothèse de votre part.

M. Greg DelBigio: Non, ce n'est pas une hypothèse. Je me base sur des données que tout le monde peut consulter.

Mme Albina Guarnieri: Alors, cela ne poserait pas beaucoup de problèmes si ce projet devait... Cela ne placerait pas les avocats dans une position difficile, s'il s'agit d'un problème relativement mineur.

M. Greg DelBigio: Au contraire, cela placerait les avocats dans une position très difficile. Même si rien ne prouve que les avocats sont impliqués dans le blanchiment d'argent, on leur transmet quotidiennement des informations privilégiées et confidentielles, et c'est ce que le projet de loi risque de compromettre. Cela mettrait les avocats dans une position très difficile.

Mme Albina Guarnieri: Merci.

Le président: Merci, madame Guarnieri.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier.

Monsieur Comley, encore une fois merci d'être venu à Ottawa. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir participé à nos débats.

Vous nous avez tous donné matière à réflexion, que vous soyez avocats ou non. Nous aurons des décisions à prendre très bientôt et nous tenons à vous remercier.

M. Greg DelBigio: Monsieur le président, si je peux me permettre de faire une dernière observation, l'Association du Barreau canadien voudrait vous remercier de lui avoir donné l'occasion de témoigner aujourd'hui. Si nous pouvons vous être utiles par la suite, vous pouvez être assuré de notre collaboration.

Le président: Nous nous en souviendrons. Merci.

La séance est levée.