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AANR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 6 février 2003




À 1035
V         Le président (M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.))
V         M. Stephen Cornell (professeur de sociologie et d'administration publique et de politique, directeur du Udall Center for Studies in Public Policy, Université de l'Arizona)
V         Le président
V         M. Stephen Cornell
V         Le président
V         M. Stephen Cornell

À 1040

À 1045

À 1050
V         Le président
V         M. Maurice Vellacott (Saskatoon—Wanuskewin, Alliance canadienne)
V         M. Stephen Cornell
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Stephen Cornell
V         M. Maurice Vellacott

À 1055
V         M. Stephen Cornell
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Stephen Cornell
V         Le président
V         M. Stephen Cornell
V         Le président
V         M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ)

Á 1100
V         M. Stephen Cornell

Á 1105
V         Le président
V         M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.)
V         M. Stephen Cornell

Á 1110
V         Le président
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Stephen Cornell

Á 1115
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Stephen Cornell
V         Le président
V         M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.)
V         M. Stephen Cornell
V         Le président
V         M. Yvan Loubier

Á 1120
V         M. Stephen Cornell
V         Le président
V         M. John Godfrey
V         M. Stephen Cornell

Á 1125
V         Le président
V         M. Stephen Cornell

Á 1130
V         Le président
V         M. Stephen Cornell
V         Le président
V         Le président
V         Grand chef Ed Schultz (Conseil des Premières nations du Yukon)

Á 1140

Á 1145

Á 1150

Á 1155

 1200

 1205

 1210

 1215
V         Le président
V         Vice-chef Mary Jane Jim (région du Yukon, Assemblée des Premières nations)

 1220

 1225

 1230
V         Le président
V         Chef Robert Dickson (Première nation Kluane, Conseil des Premières nations du Yukon)

 1235
V         Le président
V         M. Maurice Vellacott
V         Grand chef Ed Schultz
V         M. Maurice Vellacott
V         Vice-chef Mary Jane Jim
V         M. Daryn Leas (conseiller juridique en chef, Conseil des Premières nations du Yukon)

 1240
V         Le président
V         M. Yvan Loubier
V         Le président
V         M. Yvan Loubier
V         Vice-chef Mary Jane Jim
V         Grand chef Ed Schultz
V         M. Yvan Loubier
V         Grand chef Ed Schultz

 1245
V         Vice-chef Mary Jane Jim
V         Le président
V         M. Gérard Binet (Frontenac—Mégantic, Lib.)
V         Le président
V         Vice-chef Mary Jane Jim

 1250
V         Le président
V         M. Yvan Loubier
V         Le président
V         M. John Godfrey
V         Le président
V         M. Daryn Leas
V         M. John Godfrey
V         Grand chef Ed Schultz

 1255
V         M. John Godfrey
V         Vice-chef Mary Jane Jim

· 1300
V         M. John Godfrey
V         Le président
V         M. Charles Hubbard
V         M. John Godfrey
V         Le président
V         Vice-chef Mary Jane Jim
V         Le président
V         M. John Godfrey

· 1305
V         M. Daryn Leas
V         M. John Godfrey
V         M. Daryn Leas
V         M. John Godfrey
V         Le président
V         Grand chef Ed Schultz

· 1310
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles


NUMÉRO 023 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 6 février 2003

[Enregistrement électronique]

À  +(1035)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.)): Bienvenue à tous. Nous reprenons aujourd'hui les audiences publiques portant sur le projet de loi C-7, Loi concernant le choix des dirigeants, le gouvernement et l'obligation de rendre compte des bandes indiennes et modifiant certaines lois.

    Aujourd'hui, c'est avec plaisir que nous accueillons, au moyen d'une vidéoconférence, M. Stephen Cornell, de l'Université de l'Arizona. M. Cornell est professeur de sociologie et d'administration publique et de politique ainsi que directeur du Udall Center for Studies in Public Policy.

    Bonjour, monsieur Cornell.

+-

    M. Stephen Cornell (professeur de sociologie et d'administration publique et de politique, directeur du Udall Center for Studies in Public Policy, Université de l'Arizona): Bonjour.

+-

    Le président: Nous allons d'abord vous demander de bien vouloir nous faire votre exposé, après quoi nous allons permettre aux membres de vous interroger. Nous allons le faire au moyen de périodes de questions. Si j'accorde cinq minutes de temps de parole, cela englobe à la fois la question et la réponse. Malheureusement, un tel système a parfois pour conséquence d'interrompre notre témoin invité. Toutefois, vous aurez tout de même l'occasion de nous faire des remarques en guise de conclusion, notez donc ce que vous n'aurez peut-être pas le temps de nous communiquer sous forme de réponse.

    Monsieur Cornell, la parole est à vous.

+-

    M. Stephen Cornell: Je vous remercie vivement de m'avoir invité à me joindre à vous ce matin. Je vous suis reconnaissant de pouvoir prendre la parole puis de répondre à vos questions, ou tout au moins de m'efforcer d'y répondre.

    Ainsi qu'on l'a dit dans les quelques mots de présentation, je suis professeur de sociologie, d'administration publique et de politique gouvernementale à l'Université de l'Arizona à Tucson, où je dirige également le Udall Center for Studies in Public Policy. Je suis aussi chercheur principal au Native Nations Institute for Leadership, Management, and Policy dans le même établissement. De plus, j'ai participé à la création du Harvard Project on American Indian Economic Development, qui a mené de nombreuses recherches...

    [Note de la rédaction: Difficultés techniques]

+-

    Le président: Nos excuses. La communication a été coupée. Poursuivez, je vous prie.

+-

    M. Stephen Cornell: Très bien.

    Le vice-chef régional de la Colombie-Britannique auprès de l'Assemblée des premières nations nous a demandé d'analyser le projet de loi sur la gouvernance des Premières nations, tel qu'on l'appelle, et de l'évaluer du point de vue des recherches menées dans le cadre du Harvard Project on American Indian Economic Development, dont je suis le codirecteur. Notre analyse, élaborée et rédigée par le professeur Joseph Kalt, Mme Miriam Jorgensen et moi-même, a été soumise au vice-chef régional de la Colombie-Britannique en juillet dernier.

    Très brièvement, on nous a donc demandé d'évaluer la LGPN à la lumière des résultats d'une recherche. Le Harvard Project on American Indian Economic Development visait à répondre à une seule question: Pourquoi certaines nations indiennes américaines ont-elles plus de succès sur le plan économique que d'autres? Selon ce que nous avons observé, les conditions essentielles de développement économique durable dans les territoires administrés par les Autochtones tiennent à l'exercice de véritables pouvoirs exécutifs, étayés par des institutions de gouvernance compétentes qui correspondent aux notions autochtones d'organisation et d'exercice du pouvoir.

    Telles sont les conclusions qui ont servi de cadre de référence à l'évaluation de la Loi sur la gouvernance des Premières nations. Je précise toutefois qu'on ne nous a pas demandé de nous pencher sur les répercussions de cette loi sur les rapports officiels entre les Premières nations et le gouvernement du Canada. On nous a simplement demandé d'examiner le projet de loi en tenant compte des résultats de nos recherches. Dans les quelques minutes qui me sont imparties, j'aimerais donc me concentrer sur certains points fondamentaux de ce texte.

    Si j'ai bien compris, le but premier du projet de loi est d'accorder aux Premières nations constituées aux termes de la Loi sur les Indiens les outils de gouvernance que cette loi ne prévoit pas. Le projet de loi ne vise pas à empêcher ces nations de conclure des ententes d'autonomie gouvernementale avec le gouvernement canadien, des ententes qui—on le présume—pourraient mettre en place des structures de gouvernance très différentes de celles proposées dans la LGPN.

    Aider les Premières nations à élaborer et à adopter des outils de gouvernance efficaces est sans doute un objectif louable. Développer les institutions des Premières nations est une étape importante vers l'autodétermination et le développement économique. D'ailleurs, nos recherches aux États-Unis indiquent fortement que la mise en place d'outils efficaces d'autonomie gouvernementale—ce que nous appelons des institutions de gouvernance compétentes—est un aspect essentiel du développement d'économies durables chez les Premières nations.

    Nous estimons cependant que pour fondamentaux qu'ils soient, les enjeux abordés dans le projet de loi sont aussi très problématiques à certains égards. C'est tout à l'honneur du gouvernement d'essayer de régler ce genre de questions. Il est tout à fait primordial qu'on facilite, encourage et appuie une véritable autodétermination pour les nations autochtones, mais c'est également très complexe. Cela dit, la Loi sur la gouvernance des premières nations a manifestement fait l'objet d'une réflexion approfondie.

    À en croire certains reportages dans les médias, nous aurions balayé la LGPN du revers de la main, ou aurions même affirmé qu'elle constitue un échec. Rien n'est plus faux. Il n'en demeure pas moins cependant que divers aspects de cette initiative nous semble—à la lumière de nos travaux aux États-Unis—problématiques. J'aimerais aborder quatre d'entre eux.

    En premier lieu, on a imposé des modèles de gouvernance. Selon notre étude, le projet de loi encourage les Premières nations constituées aux termes de la Loi sur les Indiens à adopter certains codes, pratiques et institutions de gouvernance, notamment pour la sélection des dirigeants, l'administration et la gestion financière. Il précise à divers degrés ce que doivent inclure ces codes, pratiques et institutions; et pour les Premières nations qui choisissent de ne pas élaborer de tels codes, pratiques et institutions, le projet de loi impose des structures élaborées par le gouvernement du Canada.

À  +-(1040)  

    Nous avons quelques préoccupations au sujet de cette approche. Bien qu'elle permette aux bandes d'élaborer leurs propres modes de gouvernance, elle impose des contraintes très précises, exigeant certains éléments dans l'organisation de la sélection des dirigeants, l'administration et la gestion financière. Le message semble être que les bandes doivent incorporer ces éléments dans leurs propres gouvernements ou accepter ces éléments dans les gouvernements élaborés pour elle.

    Voici ce qui nous préoccupe. Nos propres recherches—et d'autres recherches partout dans le monde—suggèrent que le succès des institutions gouvernementales ne dépend pas seulement des détails de leur conception; il dépend également du degré de soutien accordé aux institutions par les personnes gouvernées—à quel point les personnes gouvernées estiment que ces institutions correspondent à leur perception de ce que devraient être l'organisation et l'exercice du pouvoir.

    En général, il est très difficile pour les institutions imposées d'obtenir le soutien des personnes à qui on les a imposées. En imposant ces exigences, la LGPN prend appui sur des valeurs auxquelles les Canadiens sont attachés—c'est l'expression qu'on trouve dans la loi—comme la démocratie représentative, la transparence et la responsabilité. Nous croyons que la volonté de justifier la conception gouvernementale en se reportant aux valeurs est une approche qui a du mérite. Mais que fait-on des valeurs moins répandues préconisées par les Premières nations? Ne devraient-elles pas faire partie de la démarche? Ne faudrait-il pas que la légitimité du point de vue des personnes gouvernées et l'aptitude des institutions à gouverner de manière efficace soient aussi des critères essentiels? Ne faudrait-il pas que la LGPN tienne compte du fait que la légitimité et l'efficacité sont normalement liées, et que les institutions qui ne bénéficient pas du soutien de la collectivité tendent à fonctionner de manière inadéquate?

    Nous croyons que l'approche de la LGPN comporte un danger: dans certains cas, elle pourrait mener à des institutions de gouvernance bien conçues par le gouvernement fédéral, mais incapables d'assurer une gouvernance efficace chez les Premières nations. La solution de rechange consiste à collaborer avec les Premières nations en vue de mettre au point des institutions de gouvernance qui reflètent non seulement les valeurs, préférences et préoccupations du gouvernement fédéral, mais aussi celles des Premières nations. Le gouvernement canadien aurait encore la possibilité d'avancer certains défis ou objectifs de gouvernance qu'il faudrait atteindre, mais dans un cadre qui permettrait aux Premières nations de faire valoir leur propre patrimoine, leurs propres pratiques et leur propre ingéniosité.

    Notre deuxième préoccupation concerne l'approche unique. Le projet de loi définit une seule approche possible de gouvernance pour le gouvernement des Premières nations. Il semble présumer qu'il existe une méthode infaillible de gouverner et oblige par conséquent les Premières nations à adopter ou à imiter ce modèle. Nous nous demandons pourquoi les gouvernements des Premières nations devraient tous se ressembler. Il pourrait sembler commode qu'ils le soient et confortent quelque croyance que nous sommes tous pareils. Mais le souci de commodité et l'uniformité sont-ils plus importants que l'efficacité? S'il s'avérait que les structures uniformes produisent des résultats inégaux, tandis que les structures diversifiées parviennent à des résultats plus positifs, cela suffirait-il à laisser tomber le critère d'uniformité dans la conception du mode de gouvernance?

    Cette préoccupation est fondée en partie sur ce que nous avons découvert aux États-Unis où les principes de bon gouvernement au sein des nations indiennes incluent une diversité importante de modes de gouvernance. Cette diversité résulte des différences existant dans la taille, les circonstances, les préférences et les cultures politiques des Premières nations. Malgré les hypothèses souvent formulées par les gouvernements centraux—dont le gouvernement des États-Unis—, hypothèses selon lesquelles il n'existe qu'un seul bon modèle de gouvernement local, en fait, les observations pointent du doigt l'autre façon, plus particulièrement dans les situations de grande diversité culturelle.

    Certes, les gouvernements font face à un ensemble des défis communs qui doivent être relevés, notamment la responsabilité, la transparence et la légitimité. Toutefois, les solutions efficaces tendent à être multiples. Pourquoi ne seraient-elles pas diversifiées, les Premières nations étant elles-mêmes à caractère très varié?

    Notre troisième préoccupation concerne l'échéancier exigeant. En effet, le projet de loi exige que les Premières nations constituent ou réorganisent un gouvernement en deux ans environ. Il s'agit d'une tâche complexe pour n'importe quelle société, mais qui est encore plus exigeante pour les sociétés qui se sont vu refuser avant longtemps l'essence de l'autonomie gouvernementale et qui exige non seulement la création d'institutions mais aussi l'engagement d'un dialogue interne étendu et la résolution de différends internes. Nous nous demandons quelle incidence l'échéancier aura sur la qualité et l'efficacité des institutions résultantes et sur le niveau d'appui que leur procureront les populations autochtones. Nous nous demandons également si cet échéancier leur donnera le temps d'examiner les modèles éprouvés qui sont déjà utilisés par les nations autochtones au Canada ou même par des peuples indigènes d'autres pays.

    Notre quatrième et dernière question concerne le but visé par le projet de loi. À notre avis, c'est peut-être la question cruciale, mais laissez-moi d'abord expliquer le fondement de notre proposition à propos de cette loi. On nous a simplement demandé de comparer le projet de loi à ce que nous avons appris des nations autochtones américaines sur la gouvernance et le développement. Notre opinion est donc profondément influencée par les résultats de notre propre recherche.

À  +-(1045)  

    Le principal résultat de notre recherche peut se résumer comme suit. Le gouvernement américain a consacré une bonne partie d'un siècle—depuis environ le milieu des années 1920—à essayer de trouver des solutions à la pauvreté qui sévit au sein des populations autochtones. Pendant toute cette période, seule une approche a remporté un succès soutenu. Cette approche consiste à transférer aux nations autochtones des pouvoirs étendus et à aider ces nations à exercer ces pouvoirs en leur fournissant des institutions de gouvernance, culturellement appropriées, que ces nations ont aidé à concevoir, qu'elles appuient et auxquelles elles font confiance.

    En abordant la LGPN, nous avons supposé que le but final recherché par le gouvernement canadien est de trouver des moyens permettant d'améliorer le bien-être des Autochtones. Nous sommes convaincus que c'est véritablement l'objectif du gouvernement. Compte tenu des résultats de nos recherches, nous nous sommes posé deux questions. Ce projet de loi augmente-t-il les pouvoirs essentiels des Premières nations? Aide-t-il à mettre sur pied des institutions de gouvernance qu'elles auront elles-mêmes conçues?

    Nous croyons que la réponse à la première question est peut-être et nous soupçonnons que la réponse à la seconde est non. Dans son préambule, la LGPN nie qu'elle a «pour but de définir la nature et l'étendue de tout droit à l'autonomie gouvernementale»; néanmoins le projet de loi s'étend longuement sur la définition des compétences des Premières nations constituées aux termes de la LGPN. Il nous semble qu'il s'agit d'une précision de l'étendue du droit en question, mais nous ne sommes pas suffisamment informés pour déterminer si cela constitue ou non un accroissement des pouvoirs des Autochtones. D'où le peut-être.

    Par ailleurs, la loi semble certainement être destinée à déterminer, jusqu'à un certain point, la forme que prendra l'autonomie gouvernementale et la façon d'exercer cette autonomie. Ce faisant, la loi semble confirmer le refus signifié aux Autochtones dans la Loi sur les Indiens de pouvoir faire leurs propres choix. C'est pourquoi nous soupçonnons que la réponse est non. Il nous apparaît que cela réduit la possibilité que la loi améliorera le bien-être des Autochtones.

    Cela dit, nous sommes conscients que nous avons peut-être trop d'attentes à l'égard de la loi. Après tout, le premier but du projet de loi est apparemment de résoudre quelques-uns des problèmes qui perdurent avec la Loi sur les Indiens. Mais encore là, nous sentons le peu d'empressement qu'il y a à associer pleinement à cet effort les Autochtones; à tenir compte véritablement de leurs opinions concernant non pas la position et les propositions du gouvernement canadien, mais plutôt la Loi sur les Indiens elle-même. À notre avis, un certain nombre de Premières nations souhaitent ardemment que soit modifiée la Loi sur les Indiens, mais elles ont leurs propres idées sur la forme que devraient prendre ces modifications. Nous croyons que ce qu'elles souhaitent voir modifier est autant au coeur du débat que le sont les préoccupations légitimes du gouvernement fédéral. L'engagement d'une discussion à cet égard offrirait la possibilité aux Premières nations de participer entièrement à la recherche et à l'élaboration de solutions institutionnelles à des questions invétérées et d'autre part épineuses.

    Merci, monsieur le président, cela met fin à mon exposé.

À  +-(1050)  

+-

    Le président: Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions.

    Monsieur Vellacott, vous disposez de sept minutes.

+-

    M. Maurice Vellacott (Saskatoon—Wanuskewin, Alliance canadienne): Merci beaucoup d'être des nôtres ce matin, monsieur Cornell.

    J'aimerais vous interroger sur les comparaisons que vous faites avec certaines mesures qui ont donné de bons résultats aux États-Unis. Premièrement, vous dites, d'entrée de jeu, que ce n'est pas tellement une question de ressources, d'éducation, d'emplacement, etc. J'aurais cru que ces questions ont une certaine importance. Vous avez également parlé d'un système judiciaire indépendant de la sphère politique et de divers autres pouvoirs qu'ont pu assumer des Autochtones. Quelle est la fourchette de tailles des réserves que vous avez examinées aux États-Unis, c'est-à-dire la population d'une réserve ou le nombre de membres d'une bande?

+-

    M. Stephen Cornell: Tout d'abord, pour répondre à votre première observation, permettez-moi de dire que ce n'est pas tant que nous pensons que ces choses que vous avez mentionnées—comme les ressources et l'emplacement—n'ont aucune importance. Nous croyons qu'elles influencent énormément les résultats, mais leur effet dépend en général de certains facteurs politiques qui sont apparus au fil de nos recherches. Par exemple, les nations indiennes qui n'ont pas d'institutions de gouvernance compétentes ou qui n'exercent pas beaucoup de pouvoir sur leurs propres affaires ont tendance à gaspiller certaines de ces ressources plutôt que de les utiliser efficacement.

    Pour ce qui est des nations que nous avons examinées, elles étaient très différentes les unes des autres. Bon nombre des nations que nous avons examinées et avec lesquelles nous avons travaillé aux États-Unis comptent beaucoup plus de membres que bien des Premières nations canadiennes. C'est-à-dire que nombre d'entre elles comptent plus de 1 000 membres et parfois même beaucoup plus. La nation Navajo, avec laquelle nous avons beaucoup travaillé, a une population de 250 000 personnes ou plus. Cependant, je dirais que la majorité des nations avec lesquelles nous avons travaillé comptent entre 1 000 et 10 000 membres, quoique nous ayons examiné certaines nations qui sont considérablement plus petites et dont la population ne dépasse pas 300, 700 ou 800 personnes.

    Permettez-moi de dire quelques mots sur les moyens qu'ont trouvés les Autochtones américains pour composer avec leur nombre. Un certain nombre de très petites nations américaines ont réussi à créer des institutions en s'unissant avec d'autres nations autochtones avec lesquelles elles partageaient des caractéristiques importantes qui sont en général soit culturelles, c'est-à-dire qu'elles appartiennent au même groupe culturel et ont les mêmes antécédents; soit écologiques, c'est-à-dire que leurs circonstances physiques et géographiques sont semblables; ou historiques, c'est-à-dire qu'elles ont vécu les mêmes expériences historiques et qu'elles interprètent de la même façon le passé et le présent. Par exemple, dans le sud de la Californie, un certain nombre de très petites nations autochtones ont tenu des discussions sur la possibilité de créer un tribunal intertribal, qui n'existe pas encore, ...

+-

    M. Maurice Vellacott: Quelle serait la taille de chacune de ces nations qui songent à créer un tribunal intertribal?

+-

    M. Stephen Cornell: Je crois qu'elles comptent entre une cinquantaine et plusieurs centaines de citoyens. Toutes ces nations ont compris qu'il est très difficile de créer des institutions efficaces lorsque le bassin de ressources humaines est si restreint. Elles ont donc cherché d'autres nations qui partagent leur façon de voir le monde et qui ont les mêmes antécédents culturels et les mêmes hypothèses. Puis elles se sont demandé s'il était possible pour elles de s'unir pour régler au moins quelques-uns de leurs problèmes institutionnels. Elles disent, essentiellement, que pour certaines fonctions gouvernementales, il est possible de s'organiser au niveau supranational alors que d'autres fonctions gouvernementales doivent être organisées au niveau national.

+-

    M. Maurice Vellacott: Je serais également curieux de savoir si ces bandes sont voisines ou si des centaines de milles les séparent.

À  +-(1055)  

+-

    M. Stephen Cornell: Dans le sud de la Californie, je dirais que la plupart de ces groupes habitent à deux ou trois heures de route les uns des autres. Mais il existe des expériences institutionnelles semblables en Alaska, où certains groupes ne sont pas du tout reliés par la route et sont obligés de se déplacer par avion ou peut-être par bateau le long de la rivière Yukon. Par exemple, le Council of Athabascan Tribal Governments offre certains services gouvernementaux à dix villages athapascans de la plaine du Yukon. Ces villages sont disséminés sur une vaste région géographique de plusieurs centaines de milles.

+-

    M. Maurice Vellacott: C'est intéressant. Je suis heureux de l'entendre. Alors il y en a donc des petites. Comme vous le savez sans doute, dans la vaste majorité des cas au Canada, il y a 200 personnes ou moins; alors ce n'est pas du tout la même échelle. Je suis sûr que vos études vous ont révélé cela ou que vous en avez une expérience personnelle pour avoir visité le pays et rencontré certains de ces groupes. Vous avez parlé de 10 000 membres, ici ce serait plutôt l'exception. Il n'y a pas beaucoup de groupes au Canada qui comptent environ 10 000 membres. Ils sont peu nombreux et très éloignés les uns des autres, alors c'est une question d'économies d'échelle.

    Je me demande si vous auriez des observations à faire sur la viabilité ou la faisabilité dans les domaines de l'infrastructure, de l'éducation, de la santé, etc. Nous ne nous attendons même pas à ce que de petites municipalités aient la capacité d'offrir leurs propres services d'éducation, de santé, etc. Est-ce juste? Est-ce raisonnable de s'attendre à ce qu'une très petite bande comptant quelques centaines de personnes puisse offrir toute la gamme des services de soins de santé et d'éducation?

+-

    M. Stephen Cornell: Je pense qu'il est important de faire la différence entre deux choses. Premièrement, il y a le niveau où les décisions gouvernementales sont prises et, deuxièmement, le niveau où les services sont fournis. Par exemple, en Alaska, un certain nombre de nations autochtones ont conservé au niveau local d'importants pouvoirs décisionnels tout en créant de vastes consortiums avec d'autres nations pour offrir des services de santé. Il peut y avoir une administration centrale des services de santé ou de l'application des lois ou de l'éducation, mais c'est la décision que prend le gouvernement des Premières nations de participer, de contribuer et d'investir dans ces services qui constituent l'autonomie gouvernementale.

    Je voudrais également faire la différence entre l'autonomie gouvernementale et l'administration des services. Les peuples qui se gouvernent véritablement eux-mêmes peuvent choisir d'organiser la prestation de services de diverses façons tout en respectant les questions que vous soulevez. Y a-t-il des économies d'échelle? Quel est le meilleur moyen de régler les problèmes locaux en se fondant sur les connaissances locales? Où est le juste équilibre? D'après nous, il s'agit de décisions gouvernementales qui peuvent céder des fonctions à des organismes administratifs qui sont établis à l'intérieur de frontières très différentes.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur, le membre du comité qui vient de vous interroger s'appelle Maurice Vellacott, de l'Alliance canadienne. J'aurais dû vous le dire auparavant, puisque vous êtes si loin.

    La prochaine personne qui s'adressera à vous est M. Yvan Loubier, du Bloc québécois. Il posera sa question en français mais vous entendrez l'interprétation anglaise.

+-

    M. Stephen Cornell: Merci.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Loubier, vous avez cinq minutes.

+-

    M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Merci, monsieur le président.

    Professeur Cornell, j'ai trouvé votre exposé à la fois fort intéressant et éclairant. On peut faire des parallèles entre l'histoire vécue aux États-Unis au cours des 100 dernières années et celle qu'on pourrait vivre ici durant les prochaines décennies. Si elle peut nous être utile, votre analyse sera tout à fait bienvenue et fort appréciée.

    J'ai cru comprendre, en vous écoutant, que le projet de loi se trouvant devant nous est, à votre avis, la pire façon de régler à long terme la question de l'autonomie gouvernementale chez les nations autochtones, cette dernière devant leur permettre de se développer autant sur le plan économique que sur le plan identitaire.

    Vous avez mentionné plus tôt que depuis 1920, toutes les expériences que vous avez considérées comme des histoires à succès sont celles qui consistaient à céder le plus grand nombre possible de pouvoirs aux nations autochtones tout en les accompagnant dans l'exercice et l'expérimentation de cette nouvelle autorité.

    J'ai trouvé fort intéressant que vous présentiez la chose de cette manière et j'aimerais que vous illustriez la façon dont vous avez procédé par un exemple de success story. J'aimerais savoir ce que peut signifier aujourd'hui une autonomie gouvernementale autochtone réussie en termes de pouvoirs à exercer et de relations à entretenir avec les autres paliers de gouvernement.

Á  +-(1100)  

[Traduction]

+-

    M. Stephen Cornell: Ce qui nous a attirés dans cette recherche au départ, c'était le fait de découvrir que des nations indigènes aux États-Unis avaient réussi à se sortir de conditions de pauvreté systématiques, continuelles et profondément enracinées. Nous avons donc tenté de comprendre ce qu'elles faisaient différemment. Une des constantes capitales que nous avons découvertes, c'est que dans la plupart des cas, ces Premières nations jouissaient de pouvoirs de gouvernement substantiels.

    À mon avis, aux États-Unis, les nations indiennes ont plus d'autonomie gouvernementale que les Premières nations du Canada. Le gouvernement américain affirme avoir des relations de gouvernement à gouvernement avec les nations indigènes du pays, mais cette relation varie. En effet, certaines nations indigènes affirment avec plus de conviction que d'autres leur désir de prendre en main leurs propres affaires.

    Ce qui nous a frappés, c'est que les nations qui avaient changé la nature des relations avec les organismes fédéraux, ceux-ci ne jouant plus un rôle de décideur mais plutôt un rôle de ressource et de partenaire, semblaient mieux réussir que les autres. Dans bien des cas, ces nations avaient conçu leurs propres institutions de gouvernement, forgé leurs propres relations avec les collectivités non autochtones locales et les autres États ainsi qu'avec le gouvernement fédéral, et elles collaboraient avec des organismes fédéraux à l'établissement, dans certains cas, de partenariats très créatifs et novateurs pour la prestation de services et ainsi de suite.

    Or, nous avons constaté que pour que ces relations soient fructueuses, ces nations indigènes devaient exercer elles-mêmes avec efficacité ces pouvoirs. Nous avons trouvé que certaines nations indigènes étaient très sûres de leurs capacités, mais qu'elles avaient des institutions de gouvernement qui favorisaient l'abus de pouvoir, la corruption ou encore des problèmes dans les domaines de la fiducie et de la comptabilité.

    Certes, la combinaison du pouvoir de gouverner et de la capacité à gouverner est cruciale, mais le gouvernement américain ne pouvait pas simplement dire «Vous devez gouverner de telle façon ou telle autre». La solution qui s'est avérée la plus utile a été pour le gouvernement fédéral d'investir dans le renforcement des capacités des institutions indigènes. Cela a donné naissance à des institutions de gouvernement extrêmement riches et hétérogènes.

    Cochití Pueblo est un peuple extrêmement traditionnel du Nouveau-Mexique qui jouit d'une autonomie gouvernementale qui ressemble beaucoup à la manière dont il était gouverné quand les Espagnols ont conquis le sud-ouest. C'est principalement une théocratie. Ce sont les chefs spirituels qui détiennent les rênes du pouvoir au sein de la collectivité, et ce sont eux qui nomment les gouvernants. C'est l'exemple d'une collectivité où le gouvernement fonctionne très bien. Il y a d'autres Pueblos qui suivent un modèle semblable. Ce mode de gouvernement semble fonctionner, parce que la culture indigène elle-même exige des gens, y compris des dirigeants politiques, qu'ils respectent des normes très strictes.

    En revanche, il existe d'autres nations, les tribus confédérées Salish et Kootenai de la réserve Flathead et d'autres, qui suivent un mode de gouvernement de démocraties parlementaires classiques et qui fonctionnent suivant un modèle dans lequel je me retrouverais facilement en tant que citoyen américain.

    Tout cela pour dire que l'éventail est large, mais dans chaque cas, les nations dont les efforts ont été couronnés de succès semblent avoir résolu un ensemble de problèmes fondamentaux se rapportant à la gouvernance, problèmes auxquels, à notre avis, toute société humaine fait face quand il s'agit de choisir un mode de gouvernement: comment amener les citoyens de la nation à participer à la résolution des problèmes collectifs? Comment empêcher que ceux qui détiennent le pouvoir ne profitent de leurs postes pour s'enrichir? Comment faire en sorte que la gouvernance serve l'intérêt collectif?

    Les nations qui trouvent réponse à ces problèmes obtiennent de meilleurs résultats que les autres. Nous l'avons constaté dans le contexte indien, mais nous le constatons partout dans le monde.

Á  +-(1105)  

+-

    Le président: Je vous remercie beaucoup.

    La prochaine intervention sera de M. John Godfrey, représentant du Parti libéral, pour cinq minutes.

+-

    M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.): Bonjour, monsieur Cornell. Je dois dire que j'ai trouvé votre exposé profond et fascinant.

    Notre ministre et vous vous accordez sur le lien positif entre la bonne gouvernance et le développement économique. Par contre, vous, à l'instar de bon nombre de nos témoins, êtes d'avis que les questions de procédure sont aussi importantes pour le résultat final que le produit législatif, et vous convenez aussi de l'importance de la réciprocité et du respect. Le grand chef Gary Merasty du Grand Conseil de Prince Albert sera amplement conforté par vos propos.

    Je vais poursuivre dans le même ordre d'idées que la question de M. Loubier. Vous dites que vous avez découvert que les trois conditions systémiques que sont la souveraineté pratique, le gouvernement capable et la concordance culturelle, donnaient de meilleurs résultats pour ce qui est de diffuser des connaissances et des pratiques quand le gouvernement fédéral américain investit dans le renforcement des capacités institutionnelles indigènes.

    Quel conseil nous donneriez-vous si nous souhaitions nous inspirer de cette expérience, en gardant à l'esprit la différence entre nos deux pays et la différence de taille de nos Premières nations? Comment pouvons-nous réaliser les meilleurs progrès? Est-ce par voie législative comme c'est le cas de ce projet de loi, qui pourrait éventuellement prévoir une disposition de souscription qui permettrait au peuple de choisir? Ou est-ce par un autre moyen qui serait utilisé aux États-Unis, notamment pour ce qui est d'établir une sorte d'institution à laquelle les Premières nations pourraient donner leur adhésion sur une base volontaire, comme elles le font avec le Vérificateur général au Canada, pour améliorer leurs méthodes de gouvernance? Quelle leçon pourrions-nous en tirer compte tenu de votre amère expérience?

+-

    M. Stephen Cornell: Permettez-moi de préciser que je ne voudrais pas exagérer l'action du gouvernement américain. Cela étant, nombre de nations indigènes aux États-Unis ont réussi à édifier des institutions sans l'appui du gouvernement américain et, parfois, en dépit de l'hostilité de ce gouvernement. Le bilan n'est pas parfait, et celui du Canada non plus, j'en suis sûr.

    Pour répondre à votre question, nous croyons qu'un gouvernement central devrait aider ces petits gouvernements à se doter d'institutions de gouvernement capables—et par «capables», j'entends la capacité à exercer des pouvoirs substantiels et pas seulement à exécuter un programme conçu à Washington, dans le cas des États-Unis, où l'on se contente de dire aux nations indigènes «Voilà un programme pour vous. Nous vous donnerons l'argent, et vous le dirigerez.» À mon sens, cela relève de l'administration et non du gouvernement.

    Nous parlons de pouvoirs de gouvernement substantiels, c'est-à-dire des choses qui ont trait à une autorité constitutionnelle. Quelles sont les règles qui nous régissent en tant que société? Comment pouvons-nous travailler ensemble à la réalisation d'objectifs communs? Quelles sont nos politiques envers nos propres citoyens? Quels types de relations économiques souhaitons-nous entretenir? De quelle manière souhaitons-nous gérer nos affaires, nos ressources naturelles, notre avenir? Ce sont des décisions fondamentales en matière de gouvernement. Nous pensons que le rôle d'un gouvernement central est idéalement de reconnaître que ces pouvoirs sont nécessaires, d'une part, et d'investir, comme vous le dites, dans le renforcement des capacités institutionnelles, d'autre part, ce qui pour nous prendrait peut-être la forme très générale qui suit.

    Pour être efficaces, les institutions de gouvernement doivent être en mesure de régler un certain type de problèmes. Quels sont ces problèmes? Je pense que le projet de loi sur la gouvernance des Premières nations recense certains de ces problèmes dans la mesure où il met l'accent sur des choses comme la transparence et la reddition de comptes. Tout gouvernement devrait garder à l'esprit ces considérations. Je pense qu'il en existe d'autres.

    Deuxièmement, essayons de voir quels modèles ont fait leurs preuves. Ne supposons pas que nous, à Washington par exemple, savons quel est le meilleur modèle. Allons plutôt voir sur le terrain ce qui marche. Lorsque nous avons entamé notre recherche, nous ne savions pas qu'il y avait des Pueblos dans le sud-ouest qui avaient trouvé une solution à ces problèmes de gouvernement en se dotant d'institutions de gouvernement très inhabituelles et radicalement différentes. Nous avons été ravis de les découvrir, car cela nous a appris qu'il y avait de multiples façons de faire les choses. Cela donne aussi l'occasion de mettre en valeur les ressources que les nations indigènes elles-mêmes ont au sein de leurs propres cultures.

    Le travail consiste donc, en partie, à rendre ces modèles disponibles. Ensuite, il s'agit de collaborer avec des nations indigènes en leur demandant si un de ces modèles ou un tout autre modèle qu'elles auraient inventé elles-mêmes leur convient ou non. Que nécessiterait la mise au point d'un tel modèle?

    Bien entendu, il y a des contraintes, financières et autres, qui limitent le genre de liberté d'action dont on peut jouir dans le renforcement des capacités institutionnelles. S'il doit y avoir encore des Premières nations constituées aux termes de la Loi sur les Indiens pendant encore longtemps, alors le manque d'outils de gouvernance dans la Loi sur les Indiens constitue effectivement un problème auquel il faudra s'attaquer comme il se doit. Je pense que c'est l'approche utilisée pour régler le problème, soit l'approche unique, qui pose problème ici, et non l'effort pour modifier la loi. À mon sens, c'est probablement une entreprise qui vaut la peine.

    Je crois que, dans votre cas, vous pourriez déterminer comment les ressources dont dispose le gouvernement canadien pourraient être utilisées dans le cadre d'un partenariat avec les Premières nations afin de résoudre les problèmes institutionnels. Comment pouvons-nous aider les Premières nations non seulement à se doter d'institutions, mais aussi à prendre en considération la première question soulevée ce matin, celle de l'échelle appropriée? Devrions-nous envisager des institutions partagées dans certains cas? Devrions-nous travailler de concert avec des Premières nations pour essayer de comprendre ce qu'on entend au juste par «autonomie gouvernementale» dans un contexte particulier?

    Comment le faire par voie législative, je crains de ne pas avoir de réponse. Aux États-Unis, on n'a pas procédé par voie législative. Aux États-Unis, il existe une loi appelée la Indian Self-Determination and Education Assistance Act, qui a essentiellement permis aux nations indigènes d'affirmer leur autonomie gouvernementale, mais le gros du travail a été effectué par les Premières nations elles-mêmes.

Á  +-(1110)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Cornell.

    La prochaine intervention est de M. Vellacott, pour l'Alliance canadienne.

    Monsieur Vellacott, vous avez trois minutes pour votre question et la réponse.

+-

    M. Maurice Vellacott: J'ai deux questions à vous poser, monsieur Cornell, et je vais vous les lire très rapidement.

    Premièrement, seriez-vous d'accord pour dire qu'il est important de garder la distinction entre le volet politique et le volet administratif en matière de bonne gouvernance? Comment cela est-il possible dans le cas de certaines bandes relativement petites qui sont composées peut-être d'à peine quelques familles?

    Ma deuxième question concerne tout le sujet... Quand on parle de fusion de services et de choses de ce genre, on se heurte généralement à de la résistance de la part des non-Autochtones. Les gens s'y opposent, et chacun essaie de protéger son territoire. Je présume que le problème se pose aussi dans les collectivités autochtones. Aux États-Unis, les gens ont-ils été persuadés du bien-fondé de la fusion des services? L'ont-ils acceptée volontiers ou est-ce qu'ils ont compris, en désespoir de cause, que cette guerre de territoire ne pouvait continuer?

+-

    M. Stephen Cornell: Cela a exigé une longue campagne de sensibilisation, et une partie de cet exercice d'autosensibilisation a dû être faite par les nations indigènes elles-mêmes. Dissocier la gouvernance de l'administration n'est pas chose facile, en partie parce que pendant très longtemps le gouvernement fédéral aux États-Unis tenait pour acquis qu'il s'agissait de la même chose. Essentiellement, nous avons appris à de nombreuses nations autochtones que le gouvernement et l'administration ne faisaient qu'un.

    Le travail de sensibilisation consiste en partie à tenter d'amener les gens à réfléchir en termes de pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, et à penser à l'avantage que procure la séparation des pouvoirs. En fait, s'il est vrai que l'exécutif perd de son pouvoir en ayant une magistrature indépendante, il n'en demeure pas moins que la nation dans son ensemble y gagne.

    Pour notre part, nous faisons notamment ce que nous appelons de la sensibilisation exécutive. Nous traitons justement de ces questions. Nous avons appris que de nombreuses nations indigènes des États-Unis en ont assez de continuer à fonctionner comme elles l'ont fait pendant des décennies. Elles recherchent avidement le changement, et elles recherchent particulièrement un ensemble de principes fondamentaux que nous devrions garder à l'esprit au moment d'élaborer de nouvelles méthodes de gouvernement.

    La question que vous soulevez, celle des très petites collectivités, est en effet extrêmement difficile. Dans certains cas, il se trouve que le problème ne peut pas être résolu au niveau de l'organisation. Si tout le monde est parent avec tout le monde, il est impossible de séparer les pouvoirs.

Á  +-(1115)  

+-

    M. Maurice Vellacott: Ma deuxième question était de savoir si les gens avaient accepté volontiers la fusion des services ou s'il y a eu de la résistance à cette idée. Était-ce le désespoir total qui a amené les gens à comprendre qu'ils doivent travailler ensemble au sein d'un conseil tribal ou quelque chose de plus grand encore, au-delà de la bande ou de la réserve, si la collectivité est trop petite pour relever le défi?

+-

    M. Stephen Cornell: Au fur et à mesure que les gens s'aperçoivent des avantages de l'autonomie gouvernementale réelle, ils s'ouvrent à de nouveaux modes de gouvernement. Je peux vous citer des exemples du Canada. En effet, en Colombie-Britannique, le conseil tribal Ktunaxa Kinbasket regroupe cinq Premières nations.

    Ces décisions ne sont pas faciles à prendre, mais quand les gens se rendent compte des avantages et du renforcement possible de leur capacité à s'autogouverner ainsi qu'à façonner leur propre avenir, ils s'ouvrent alors de plus en plus à l'idée d'adopter des modes novateurs d'organisation.

+-

    Le président: Merci infiniment.

    M. Charles Hubbard, pour le Parti libéral, pour trois minutes.

+-

    M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.): Soyez le bienvenu à notre séance de comité. Il est toujours intéressant d'entendre le point de vue d'un sociologue.

    Je suis assez fasciné par l'idée selon laquelle nous éprouvons des sentiments de contentement, de bonheur, d'estime de soi, et nous avons bien des valeurs différentes. Étant d'origine européenne, nous partageons des ambitions, des objectifs et des valeurs qui, pour nous, sont synonymes de réussite et nous sommes convaincus qu'il suffit de réunir ces valeurs pour rendre les gens heureux.

    J'aimerais savoir si vous appliquez ces mêmes valeurs à ce que vous considérez comme la réussite pour une Première nation. Par quels regards ces valeurs passent-elles et qui juge de la réussite ou de l'échec? Nous n'avons qu'une minute ou deux, mais j'aimerais que vous me précisiez ce qui constitue la réussite, et qui la juge. Est-ce la réussite selon le regard des Blancs ou selon le regard des membres des Premières nations?

+-

    M. Stephen Cornell: Au début de notre recherche, nous nous sommes intéressés à la notion de réussite et nous l'avons définie. Nous avons essayé de la faire définir par les nations autochtones. Nous considérions qu'il n'était pas particulièrement utile de la faire définir par des intellectuels. Nous voulions que les nations indigènes nous disent quels objectifs elles s'efforçaient d'atteindre.

    Nous considérons que nous-mêmes aussi bien que les Autochtones nous efforçons de construire des sociétés qui marchent. Qu'est-ce que cela signifie? Ce sont des sociétés capables de donner à leurs citoyens l'occasion de mener une vie productive et satisfaisante, des sociétés capables de résoudre leurs conflits internes sans se déchirer, capables aussi de poursuivre leurs propres objectifs économiques, politiques, culturels et sociaux, c'est-à-dire identifier des objectifs et s'organiser pour les atteindre; des sociétés capables d'établir des relations de respect mutuel avec d'autres pays et gouvernements souverains. Voilà ce qui, pour nous, caractérise la réussite d'une société.

    C'est dans la façon d'atteindre ces objectifs qu'apparaissent des différences. Dans une société, on peut miser sur des entreprises économiques collectives gérées par un gouvernement tribal. Dans une autre société indigène, il se peut qu'on atteigne les objectifs grâce à une économie d'entreprise privée gérée conformément à des règles imposées par le gouvernement tribal. Dans une autre encore, on atteint les objectifs grâce à différentes formes d'entreprises coopératives organisées au niveau communautaire.

    On peut procéder de différentes façons, mais si l'on considère les nombreuses sociétés indigènes présentes aux États-Unis, on y constate l'absence de réussite. Un siècle de domination du gouvernement fédéral américain n'a pas produit les signes de réussite dont j'ai parlé et on commence à voir des sociétés qui fonctionnent selon leurs propres impulsions et qui commencent à parvenir à une certaine forme de réussite. Quoi qu'il en soit, j'écoute toujours ce que les Premières nations ont elles-mêmes à dire quant à leurs objectifs.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

[Français]

    Monsieur Loubier, du Bloc québécois, vous avez trois minutes.

+-

    M. Yvan Loubier: La voix qu'on va entendre maintenant risque de ressembler un peu plus à la mienne.

    Professeur Cornell, vous avez fait plus tôt une assertion intéressante. Selon vous, ce n'est pas le projet de loi comme tel qui pose le plus grand problème, mais plutôt l'approche unique qui le définit. Or, j'ai bien compris, à partir des exemples sur les Pueblos qui se trouvent aux États-Unis, ce que vous entendiez par là.

    Mais revenons au projet de loi. Vous avez l'habitude de travailler avec les communautés de la Colombie-Britannique. À votre avis, que devrait-on intégrer ou changer au projet de loi pour qu'il soit un peu plus acceptable aux yeux des communautés autochtones? Est-ce l'esprit ou la lettre? Faudrait-il briser le modèle unique qui est imposé par le gouvernement fédéral et, à toutes fins pratiques, refaire nos devoirs?

Á  +-(1120)  

[Traduction]

+-

    M. Stephen Cornell: Voilà une question bien difficile. Je considère que dans ce projet de loi, l'approche unique constitue certainement un sujet de préoccupation. J'aurais tendance à vouloir abandonner certains détails. Ce qui est gênant, dans ce projet de loi, c'est qu'on y donne trop de détails. Il me semble qu'il énonce des principes valables. Nous devrions tous souhaiter la reddition de comptes et la transparence, mais je pense qu'il faudrait se préoccuper davantage de la légitimité des institutions auprès des administrés. Est-ce qu'ils vont les accepter?

    Pour moi, l'effort devrait porter sur les principes qui sous-tendent la gouvernance des Premières nations et sur les modalités de la coopération avec les Premières nations, qui permettra de concrétiser ces principes. C'est ce qui permettra aux Premières nations d'apporter les changements qui leur sembleront nécessaires pour créer des gouvernements capables de servir leurs intérêts au sein du Canada.

    Je vous conseille donc de prendre du recul par rapport aux détails tout en vous attachant aux principes. Considérez les autres principes qui s'imposent, puis pensez à la meilleure façon de construire des institutions grâce à des relations de partenariat.

    Je ne sais pas si mes propos sont assez précis pour vous éclairer, mais c'est tout ce que je peux faire pour répondre à votre question.

+-

    Le président: Excellent. Merci beaucoup.

    Monsieur Godfrey.

+-

    M. John Godfrey: J'aimerais revenir à l'expérience américaine. Vous dites que le gouvernement fédéral américain n'a jamais adopté de loi semblable à la nôtre. J'aimerais savoir s'il a créé une institution ou mis en place des programmes fédéraux pour faciliter la création d'une capacité institutionnelle autochtone. Pouvez-vous nous en parler ou nous dire ce qu'il aurait fallu faire pour réussir?

+-

    M. Stephen Cornell: Le gouvernement fédéral américain a adopté une loi concernant la gouvernance autochtone. C'était il y a longtemps, dans les années 1930. Ce que je voulais dire, c'est que les réussites qu'on a vu apparaître depuis les années 1960 ont résulté, en réalité, du changement qui a placé le pouvoir décisionnel entre les mains des Autochtones, et non pas de modalités détaillées sur la gouvernance qui auraient été définies par le gouvernement américain.

    Dans les années 1930, les autorités ont adopté une loi qui ne s'est pas imposée aux Premières nations, mais qui les incitait fortement à adopter un gabarit de gouvernement. Pour la plupart des Premières nations, ce gabarit n'a pas donné de bons résultats et n'a pas permis de résoudre les problèmes.

    Aujourd'hui, les formes créatives de renforcement des institutions auxquelles participent les nations autochtones aux États-Unis résultent le plus souvent non pas d'un programme fédéral, mais des initiatives prises par ces Premières nations, avec l'appui de certains organismes fédéraux qui mettent des fonds à la disposition des nations indiennes désireuses de se doter d'une constitution, par exemple. Ce n'est pas véritablement un programme de rédaction constitutionnelle, mais il permet d'obtenir des fonds afin de se doter d'une constitution.

    Je dirais que le gouvernement américain a du moins débloqué des ressources qui sont mises à la disposition des Premières nations lorsqu'elles constatent la nécessité de reconsidérer la façon dont elles se gouvernent et de renforcer leurs institutions; pour ce faire, elles ont besoin de ressources financières. Le gouvernement fédéral leur en fournit par l'intermédiaire de différents organismes, mais il n'a pas de législation globale dans ce domaine. On trouve plutôt des programmes spécifiques à chaque ministère, qui visent à résoudre certains problèmes particuliers.

    Certaines Premières nations font la même démarche en collaborant avec des organisations comme la mienne, le Native Nations Institute, l'Université Harvard ou divers organismes américains qui mettent des ressources intellectuelles et matérielles considérables à la disposition des Premières nations. Ce n'est donc pas un effort strictement gouvernemental.

Á  +-(1125)  

+-

    Le président: Merci.

    Il nous reste cinq minutes. Nous aimerions entendre votre conclusion, car tout ce que vous nous dites nous est très utile; nous en voulons encore. Je vous invite à y consacrer les cinq prochaines minutes.

+-

    M. Stephen Cornell: J'aimerais simplement aborder une ou deux choses, si vous voulez bien, monsieur.

    Il est à la fois tout à fait compréhensible et tout à fait tentant qu'un gouvernement central se braque sur une solution idéale et tente de l'imposer lorsqu'il se trouve confronté aux genres de problèmes qui interpellent les nations autochtones elles-mêmes, lorsqu'il se trouve confronté à la difficile nécessité qu'il y a de tenter d'améliorer le sort des Premières nations. Nous savons par expérience, aux États-Unis, que ce genre d'attitude a rarement abouti. Chez nous, ce n'est pas en imposant des règles qu'on parvient automatiquement à améliorer les résultats.

    Je voudrais revenir et insister sur quelque chose que j'ai dit un peu plus tôt. Cela signifie-t-il que le gouvernement canadien ne devrait pas s'occuper des problèmes de reddition de comptes, des problèmes administratifs, de la question du choix des dirigeants et de tous ces autres éléments de la gouvernance? Pas du tout. Je pense qu'il s'agit là manifestement de quelque chose qui doit vous interpeller ainsi que les Premières nations. Le problème, c'est comment s'y prendre.

    Pour moi, un des éléments de l'équation consiste à déterminer comment tirer parti des ressources qu'offrent les Premières nations elles-mêmes. Aux États-Unis, nous savons que les nations autochtones ont très souvent à leur palmarès une tradition très riche et très instructive de l'autonomie gouvernementale et, dans une certaine mesure, il faut que nous tirions parti de cela.

    Elles ont également été obérées par le fait qu'elles ont dû passer plus d'un siècle sous la houlette de quelqu'un d'autre, très souvent d'un gouvernement extrêmement minutieux et extrêmement intrusif. En l'occurrence, l'objectif consiste ici en partie à déterminer comment mobiliser les citoyens des Premières nations elles-mêmes pour les faire participer au processus de création de gouvernements auxquels elles puissent se fier et donner leur appui, des gouvernements qui sont effectivement capables de faire le travail. Pour cela, il faut des partenariats.

    De tels partenariats, de tels investissements dans l'édification de capacités institutionnelles permettraient-ils d'éviter les erreurs d'antan? Non. Remettre le pouvoir de gouverner entre les mains d'une société, quelle qu'elle soit, entraîne inévitablement des erreurs. Nous sommes tous des êtres humains. Nous ne connaissons aucune société qui ne se plante pas en se gouvernant. Cela, nous devons nous y attendre. Mais lorsqu'on remet le pouvoir de se gouverner entre les mains des nations autochtones, on fait à mon avis deux choses qui sont absolument essentielles.

    La première chose, c'est que les agendas des nations en question passent à l'avant-plan de l'activité de gouvernance, et cela est particulièrement important. Après tout, c'est leur avenir qu'elles sont en train de créer. La seconde chose, qui est peut-être aussi la plus importante, c'est qu'on crée une adéquation entre les décisions et leurs conséquences. Tant que le gouvernement fédéral américain a pris des décisions de gouvernance pour le compte des nations indiennes, chaque fois qu'il s'est trompé dans ses décisions, il a rarement eu à en subir les conséquences. Ce sont les nations autochtones qui en ont fait les frais, de sorte que les décisions et leurs conséquences étaient deux choses distinctes. Aux États-Unis, le passage à une autonomie gouvernementale autochtone a permis de rétablir le lien entre les décisions et leurs conséquences. Maintenant, ce sont les nations autochtones qui subissent les conséquences de leurs erreurs, mais ce sont également elles qui profitent de leurs bonnes décisions.

    D'après ce que nous avons pu constater, il en a résulté au fil du temps une amélioration de la qualité des décisions. Il y a des erreurs, il y a des bourdes, certes, mais au fil du temps, les nations autochtones en sont arrivées rapidement à prendre de meilleures décisions concernant leur avenir et leurs propres affaires, bien meilleures en tout cas que ce n'aurait pu être le cas si ces décisions avaient été prises par d'autres, parce que ce sont elles qui vont devoir subir les conséquences de leurs décisions. Réduire le nombre d'erreurs et améliorer la possibilité que l'autonomie gouvernementale produise plus rapidement des résultats positifs exigent d'investir dans l'édification de ces capacités institutionnelles dont nous parlions. Mais là encore, il ne s'agit pas d'imposer des institutions. Ce qui est important à notre avis, c'est de travailler avec les nations autochtones pour implanter ces institutions.

    L'une des meilleures choses que le gouvernement du Canada pourrait sans doute faire, c'est de voir parmi toutes les Premières nations canadiennes où sont les solutions autochtones qui donnent effectivement des résultats. Réunissez donc tous ces modèles et jetez-y un coup d'oeil. Qu'ont-ils fait d'utile? Dans ce que nous faisons au Canada, nous voyons le cas de certaines Premières nations qui appellent de notre part à des commentaires élogieux sur leurs réalisations. Nous découvrons des solutions neuves, innovatrices, et nous les importons aux États-Unis où nous disons à nos nations indiennes ce que font les Premières nations canadiennes, ce qu'elles font d'intéressant, de productif et d'innovateur.

    Une des choses que le gouvernement canadien pourrait donc faire serait de réunir tous ces modèles et de dire aux Premières nations ce qui se fait ici et là dans le cadre des principes fondamentaux de la gouvernance. Faites-leur donc savoir qu'à votre avis, certains de ces modèles pourraient leur être utiles, dites-leur que ces modèles pourraient leur donner des idées pour inventer leurs modèles à elles. À ce moment-là, vous pourriez travailler de concert pour répéter ce genre d'expériences réussies.

Á  +-(1130)  

    Il y a donc eu ici et là certaines réussites qui pourraient être copiées. Mais pour cela, il y a du travail à faire, il y aura également des erreurs, mais je dirais que c'est la seule façon productive de s'y prendre.

    Merci beaucoup, monsieur.

+-

    Le président: Professeur, vous avez été très précieux et je suis certain que votre document sera cité à maintes reprises lorsque nous passerons à l'étude article par article.

    Merci beaucoup encore, et bonne journée à vous.

+-

    M. Stephen Cornell: Merci, monsieur.

+-

    Le président: Nous allons maintenant suspendre nos travaux pendant cinq minutes.

Á  +-(1131)  


Á  +-(1137)  

+-

    Le président: Encore une fois, bienvenue. Nous reprenons nos audiences publiques sur le projet de loi C-7, Loi concernant le choix des dirigeants, le gouvernement et l'obligation de rendre compte des bandes indiennes et modifiant certaines lois.

    Je suis heureux d'accueillir maintenant le vice-chef régional pour le Yukon de l'Assemblée des premières nations, Mary Jane Jim, ainsi que Brian McDonald et Daryn Leas, conseillers juridiques, le grand chef Ed Schultz du Conseil des Premières nations du Yukon et le chef Robert Dickson de la Première nation Kluane.

    Je pense que vous avez convenu entre vous de faire vos exposés dans l'ordre suivant: le grand chef Schultz pour commencer, puis le vice-chef Mary Jane Jim, puis le chef Robert Dickson. Est-ce bien cela? Bien sûr, nous pouvons toujours changer l'ordre, la décision vous appartient.

    Allez-y, je vous prie.

+-

    Grand chef Ed Schultz (Conseil des Premières nations du Yukon): Je vous remercie de me permettre une fois encore de comparaître devant vous pour parler de ce projet de loi, mais cette fois-ci pour traiter d'un sujet différent.

    En toute déférence, monsieur le président, je voudrais que ce mémoire soit versé au compte rendu. Je voudrais également saisir l'occasion pour vous présenter ceux qui m'accompagnent et vous décrire brièvement leurs fonctions.

    J'ai à mes côtés Mary Jane Jim qui est le vice-chef régional de l'Assemblée des premières nations pour le Yukon. Elle représente en effet nos Premières nations sur le plan régional, pas uniquement le conseil, mais les autres nations qui constituent la région Yukon du ministère, au niveau de l'Assemblée des premières nations, et qui a été élue par un processus extrêmement démocratique, celui de notre assemblée.

    Je suis également accompagné du chef Bob Dickson qui représente l'une des 17 collectivités des Premières nations dans la région.

    Et pour plus de précision, Daryn Leas, de la Première nation Kluane, est le conseiller juridique principal du Conseil des Premières nations du Yukon. En notre sein, c'est lui qui conseille les dirigeants, c'est-à-dire tous les chefs des 11 communautés membres de notre conseil. Brian McDonald est conseiller juridique au bureau régional de l'APN.

    J'ai été interloqué par l'exposé—ou du moins par les parties de l'exposé que j'ai entendues—qui a été fait par le représentant du projet de Harvard. C'est quelque chose que je suis depuis plusieurs années. Même s'il s'agit de quelque chose d'intéressant et dont certains volets pourraient être utiles dans le contexte canadien, je pense que ce que nous allons vous présenter aujourd'hui est quelque chose de typiquement canadien qui est déjà en voie de réalisation sur le plan pratique.

    Dans notre région, huit de nos 17 Premières nations ont déjà signé des ententes sur les revendications territoriales et l'autonomie gouvernementale. Ces ententes sont le fruit de 30 années de négociations longues et très poussées que nous avons eues avec le Canada et le gouvernement territorial. Les principes de ces ententes d'autonomie gouvernementale sont ancrés dans les systèmes de valeurs et de croyances propres à notre peuple.

    Pour être clair et vous situer un peu le contexte, le Conseil des Premières nations du Yukon a été créé en 1973 pour regrouper toute une série d'organisations autochtones. À l'époque, ses représentants étaient venus à Ottawa pour rencontrer Pierre Trudeau et ils avaient déposé un document intitulé Together Today for Our Children Tomorrow. Ce document avait également été remis au ministre des Affaires indiennes de l'époque, Jean Chrétien. Il exposait toute une série de griefs de notre peuple au sujet de sa condition sociale par rapport aux autres Canadiens vivant dans la même région, et il affirmait qu'il ne s'agissait pas là d'une distribution équitable de la richesse ou des potentialités.

    On y trouvait également l'exposé de certains griefs relatifs à l'absence extrême de participation des nôtres et de nos peuples à la prise de décisions concernant nos terres par exemple en ce qui concernait l'exploitation des ressources naturelles, particulièrement dans le secteur minier, ainsi que les forêts. Ces décisions avaient été prises en grande majorité à Ottawa, de même que par les fonctionnaires d'Ottawa nommés dans notre région, sans guère de consultations auprès de nous ni des autres citoyens non autochtones de la région. Bien souvent, ces décisions avaient produit des effets très néfastes sur les nôtres.

    Sans entrer trop dans le détail à ce sujet, je voudrais néanmoins dire que nous avons lancé un processus de négociation parce que le Canada avait compris—comme l'avait fort bien dit M. Trudeau à l'époque—qu'il y avait en l'occurrence un groupe autochtone qui proposait une réconciliation mutuelle dans un certain nombre de dossiers, de même qu'un grand cadre de référence concernant le partage des responsabilités en matière décisionnelle au sein d'une région du Canada où fleurissait le respect mutuel. Nous sommes intimement convaincus que les assises d'une bonne gouvernance sont ancrées dans ce respect mutuel.

Á  +-(1140)  

    Par ailleurs, toujours à l'époque, notre peuple n'avait pas une attitude vraiment très vindicative. En fait, nous voulions un processus de négociations et très franchement, depuis le dépôt de notre première revendication, le dialogue a dominé notre agenda. Il n'y a jamais eu de grandes manifestations dans notre région ni d'incidents majeurs dont on aurait pu entendre parler ailleurs au Canada. Nous avons lancé un très long processus de dialogue dont la genèse était ce document.

    Si vous me permettez de vous faire un rapide survol, le document en question insistait sur une décentralisation de certains pouvoirs détenus à Ottawa, décentralisation jusqu'au niveau du territoire du Yukon. Nous cherchions en particulier à avoir davantage notre mot à dire et une plus grande participation pour notre peuple aux systèmes de gouvernance territoriaux, aussi bien au niveau communautaire qu'au niveau régional, et cela dans toute une série de domaines comme l'éducation, la santé, l'environnement et la gestion des terres et des ressources.

    Nous voulions également arriver à implanter un nouveau système de gouvernance plus fidèle à nos valeurs, à nos convictions ancestrales et traditionnelles. À l'époque, nous étions tous régis par la Loi sur les Indiens, mais cette loi ne cadrait pas très bien avec notre système.

    C'est donc dans cette optique générale que nous avons conduit nos négociations. Comme je l'ai déjà dit, huit de nos nations ont fini de négocier et travaillent sans relâche à la mise en oeuvre des ententes qu'elles ont conclues. Trois autres nations faisant partie du Conseil des Premières nations du Yukon ont déjà signé, cette année-ci encore, un protocole d'entente confirmant que les éléments les plus importants en négociation avaient fait l'objet d'un accord. Ces mêmes nations se préparent actuellement à mener les processus de ratification nécessaires et nous espérons qu'elles pourront très bientôt, cette année, passer aux phases de mise en oeuvre.

    Le Conseil des Premières nations du Yukon qui, à l'origine, s'appelait le Conseil des Indiens du Yukon, a été créé à l'origine par toutes ces nations pour défendre leurs intérêts et négocier en leur nom, pour essayer de conclure des ententes. À mesure qu'évoluaient les négociations, il est devenu évident...

    Mais je vais omettre tout un pan du contexte historique parce que le temps est précieux.

    En 1995, les membres ont décidé de remanier les statuts du Conseil des Indiens du Yukon. Étant donné que bon nombre des négociations que nous étions en train de mener semblaient vouloir aboutir, il ne nous était plus vraiment indispensable d'avoir un organisme central pour négocier en notre nom. Ce que nous avons par contre réussi à faire dans le cadre du CIY, c'est conclure une entente-cadre finale.

    Cette entente-cadre finale, pour en faire rapidement le survol, est précisément ce que son titre indique. Il s'agit d'une entente globale qui offre un cadre de référence général dans toute une série de domaines pour toutes les Premières nations de la région, mais pas à un niveau de détail qui permettrait à une nation membre, mettons la Première nation Kluane, d'établir un système de gouvernance constitué de telle ou telle façon. Cette entente précise simplement que les nations membres sont compétentes dans tel ou tel domaine. Il s'agit de l'éducation, de la santé, de la justice, de la gestion des terres et des ressources, ainsi de suite. Toute une liste est ainsi donnée, mais l'entente ne précise pas qu'une Première nation «doit» exercer cette compétence. Le texte dit simplement que, selon les voeux et les aspirations de la collectivité, de son peuple, selon les priorités de celui-ci, une Première nation peut arrêter les domaines en question avec le Canada et le gouvernement territorial. Mais la partie véritablement habilitante, c'est l'entente-cadre, et c'est donc cela que le CIY a réussi à négocier.

    Les nations qui ont été de l'avant depuis lors ont ainsi pu identifier et négocier des dispositions particulières dans ce que nous appelons les ententes finales avec une Première nation du Yukon et les ententes finales sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon, qui découlent directement de l'entente-cadre. L'entente-cadre en question a été pour nous un modèle intéressant, et il n'a pas été facile d'y parvenir. Je ne veux pas vous induire en erreur en affirmant que la tâche a été facile. Il a fallu énormément négocier et discuter, au niveau de nos propres communautés, mais également avec les autres ordres de gouvernement, pour aboutir finalement à une entente-cadre que toutes les parties étaient prêtes à prendre pour point de départ étant donné que c'était quelque chose de tout à fait expérimental. Jusqu'alors, au Canada, toutes les ententes que nous connaissions, toutes les ententes globales modernes, étaient effectivement des ententes très complètes et d'application unique.

Á  +-(1145)  

    Ce nouvel exercice comportait un risque pour chacune des parties. Je dois dire que nous sommes très heureux aujourd'hui d'avoir couru ce risque, parce que l'entente tient compte de la diversité unique de notre région. Des 17 collectivités de la région du Yukon délimitées par le MAINC, nous comptons huit groupes linguistiques principaux, huit langues distinctes, huit identités culturelles ainsi que des pratiques de gouvernance traditionnelles qui ne sont pas nécessairement les mêmes.

    Il a été intéressant de noter les lacunes de la Loi sur les Indiens quand il faut tenir compte de ces différences. Nous avons compris rapidement que nous ne pouvions élaborer un accord d'autonomie gouvernementale inspiré de la Loi sur les Indiens. Il nous fallait une solution mieux adaptée aux besoins diversifiés de notre peuple. Plus précisément, si nous voulions redonner vigueur à nos pratiques traditionnelles et à nos croyances, il fallait nous doter d'un régime de gouvernance qui serait non seulement accepté mais conçu par le peuple concerné.

    Et voilà une autre caractéristique unique. Dans notre relation historique sous la Loi sur les Indiens, la reddition de comptes et l'obligation de rapports étaient entièrement dirigées vers le ministre des Affaires indiennes, et non vers notre peuple. Le chef pouvait à toutes fins utiles agir comme bon lui semblait, à condition de recevoir l'approbation du ministre des Affaires indiennes. Il n'était pas nécessaire de tenir compte de l'opinion des gens. En tout cas, il était possible d'agir ainsi et, parfois, nous avons été témoins de pratiques abusives.

    Dans ce processus d'autonomie gouvernementale, toutefois, c'est le peuple qui élabore une constitution pour la collectivité au moyen de réunions communautaires et d'une série de consultations dans la communauté. Ce sont les membres de la communauté qui assurent le développement communautaire et, en dernière analyse, ce sont eux qui décident d'adopter la constitution et de déclarer qu'il s'agit du régime de gouvernance qu'ils veulent pour leur société.

    Sous le régime d'autonomie gouvernementale, les mesures de reddition de comptes visant le pouvoir exécutif varient parce que certaines collectivités ont adopté des régimes modernes, où l'on élit le chef, des conseillers dotés de portefeuilles et ainsi de suite, tandis que d'autres groupes ont adopté une méthode intégralement traditionnelle, avec la sélection traditionnelle de chefs de clan. Ces chefs de clan, à titre d'exemple, sont choisis au moyen de pratiques traditionnelles très anciennes. En outre, dans d'autres collectivités, comme la mienne, il y a une fusion des deux façons de faire. Notre chef est élu au suffrage universel de la collectivité, mais nous avons des représentants de clans qui sont nommés par leurs clans respectifs et qui siègent en conseil pour collaborer avec le chef élu. C'est un système hybride.

    Au-delà des détails de la nomination de ces membres de l'exécutif, notons les obligations de reddition de comptes fort intéressantes. Contrairement à la reddition de comptes prévue par la Loi sur les Indiens, mécanisme qui passe par le ministre, les membres de l'exécutif sont tenus de rendre des comptes directement au peuple. Ils ont pour tâche de faire rapport au peuple lors d'assemblées générales annuelles, en continu et conformément à la constitution. Ils ont l'obligation de faire rapport par écrit non seulement de leurs activités, mais aussi de leur gestion financière, au moyen de vérifications financières certifiées. Ils doivent rendre compte, en détail, de leurs dépenses, et ainsi de suite.

    Par ailleurs, le processus d'autonomie gouvernementale offre aux citoyens la possibilité de donner une orientation au pouvoir exécutif quant aux dépenses prioritaires. Cela tient au fait que nous avons noté, entre autres choses, que les priorités sont différentes d'une zone à l'autre de notre région, même si notre région est relativement petite. Par exemple, dans la région sud-est du Yukon, l'industrie forestière et la gestion des forêts représentent une véritable priorité pour les collectivités autochtones. Ce n'est pas nécessairement le cas pour nos amis du versant nord parce que, pour être franc, les arbres là-bas sont plutôt petits et de peu de valeur commerciale. Toutefois, il y a des discussions très relevées au sujet de l'exploitation du gaz naturel à l'heure actuelle.

Á  +-(1150)  

    Ainsi, ce régime tient compte de la diversité unique que l'on retrouve dans notre région, et ces accords sur l'autonomie gouvernementale permettent aux citoyens de définir les priorités. Les membres des collectivités peuvent cerner les priorités, orienter et mandater les membres de l'exécutif dans leurs travaux. Au chapitre de la reddition de comptes, si l'exécutif ne remplit pas ses mandats, nous en subirons les conséquences. Des dispositions inscrites dans ces constitutions prévoient la révocation des dirigeants. Elles s'apparentent tout à fait aux méthodes modernes comme les pétitions, notamment.

    C'est très difficile. Je peux vous le dire pour l'avoir vécu. J'ai la chance d'avoir connu le niveau administratif des deux régimes, soit la Loi sur les Indiens et le nouveau régime. Lorsque je rédigeais des rapports sur les fonds consacrés à tel ou tel programme, le rapport allait directement au bureau du ministre par l'entremise du bureau du directeur général régional. Je déposais le rapport et l'on recevait une réponse ou non. Dans la plupart des cas, je ne recevais aucun commentaire parce que j'étais très compétent à titre d'administrateur.

    Lors du dépôt de mon premier rapport sous le régime d'autonomie gouvernementale, toutefois, j'ai constaté que mon rapport suscitait un niveau d'intérêt élevé. Même le poste où figurait une dépense de 100 $ était remis en question par les citoyens à l'assemblée, et je devais justifier cette dépense. Ce fut une expérience très enrichissante pour moi et j'en suis sorti très heureux et encouragé.

    Je sais que je ne m'en tiens pas rigoureusement au texte, parce que je vais vous le laisser. L'impression que je veux vous laisser c'est que, en fin de compte, je suis aussi un politicien et j'aime résumer l'essentiel d'un message plutôt que de le livrer in extenso.

    L'autre aspect important de l'autonomie gouvernementale dans le territoire est la possibilité que nous avons de devenir les titulaires légaux de toutes les ressources financières de la collectivité, les détenteurs légaux de tous les titres, les terres et les ressources acquis sous notre régime d'autonomie gouvernementale. Notre régime ne suppose pas la cession des terres, par exemple. En vertu de nos accords, toutes nos nations gardent 16 000 milles carrés, par exemple.

    La situation est différente. Chez nos cousins de l'Alaska, ils ont constitué des sociétés qui détiennent en fief simple les terres qu'ils gardent en vertu de l'accord. Bien sûr, au Yukon, l'expérience est totalement différente. Nos régimes de gouvernement des Premières nations prévoient que les nations détiennent les terres en fiducie au nom des citoyens, qui sont les véritables titulaires des terres. Même les membres du pouvoir exécutif, comme nous, n'avons pas le pouvoir discrétionnaire de céder nos intérêts dans les terres octroyées par l'entente. Il faut obtenir l'autorisation des citoyens lors d'assemblées générales prévues par la constitution de la collectivité, et certaines procédures sont très rigoureuses.

    En vertu de l'ancien régime découlant de la Loi sur les Indiens, alors que les terres étaient mises de côté en réserve, il était relativement facile de se départir d'une participation dans les terres octroyées par l'entente ou les autres terres. Dans certaines circonstances, cela pouvait se produire sans même que la collectivité n'en comprenne pleinement la justifications. C'est pourquoi beaucoup de revendications particulières se trouvent devant les tribunaux canadiens aujourd'hui.

    Le nouveau régime crée l'obligation de rendre des comptes directement à la collectivité. Tout le monde comprend clairement pourquoi on se départit de certaines terres et la transaction est approuvée, autorisée. Ce sont les membres de la collectivité qui ont dit oui, nous sommes d'accord pour que telle ou telle société acquière une partie de ces terres pour telle ou telle activité, et nous approuvons les modalités.

    Il y a certains points que je ne voudrais surtout pas perdre de vue. Mes conseillers juridiques ont travaillé minutieusement pour les repérer, c'est pourquoi je ne voudrais pas les oublier. Les accords d'autonomie gouvernementale énoncent aussi un code de la citoyenneté découlant d'une constitution. La citoyenneté est une question très intéressante pour nous depuis très longtemps. La Loi sur les Indiens prévoyait qu'il y avait des Indiens inscrits et des Indiens non inscrits. Ces étiquettes ne cadraient pas du tout avec les pratiques traditionnelles de notre peuple. Par exemple, prenons un élément qui nous différencie profondément de la société occidentale.

Á  +-(1155)  

    La conception que nous nous faisons de l'identité dans notre société est très matriarcale. Autrement dit, je tire mon identité de ma mère et mes enfants de la leur. L'inverse est évidemment vraie dans les sociétés occidentales. Dans ces sociétés, l'identité d'un enfant est liée à celle de son père dont il porte le nom et dont il est l'héritier. Il s'agit donc d'une différence fondamentale dans la façon dont nous concevons l'identité.

    Cette différence remonte au contact initial entre nos peuples. Cette différence est constatée immédiatement. Il s'agit d'une différence fondamentale, mais personne n'en a tenu compte. Lorsque les relations entre nos peuples se sont constituées par l'entremise de traités et par l'entremise de lois comme la Loi sur les Indiens, nous n'avons pas prêté attention à ce genre de différences fondamentales. Dans le cadre du processus menant à l'autonomie politique, nous sommes revenus à notre conception traditionnelle de l'identité.

    Les codes constitutionnels inscrits dans nos constitutions ont été établis par nos citoyens et sanctionnés par eux. L'identité d'un citoyen n'a rien à voir avec le fait qu'il soit un Indien inscrit ou un Indien non inscrit aux termes de la Loi sur les Indiens. Cette identité est liée à la lignée de la personne qui est déterminée par notre peuple. C'est très important parce que lorsque nous avons déposé le document intitulé Together Today for Our Children Tomorrow, en 1973, nous avons dit d'entrée de jeu à l'égard de l'autonomie politique et du règlement des revendications territoriales au Yukon que nous n'accepterions pas l'identité qu'on voulait nous imposer.

    À titre d'exemple—et je me donnerai en exemple parce que je ne veux pas donner en exemple d'autres personnes—j'ai été considéré comme un Indien inscrit. Ma soeur, qui est née juste après moi, n'a pas eu ce statut. Notre cas s'est reproduit partout au pays. Ce genre de situation a divisé les collectivités autochtones et même les familles autochtones. C'est absolument injuste. On ne ferait pas subir la même chose à aucun autre Canadien. Nous faisons tout en notre pouvoir pour assurer la santé et l'unité de notre peuple et, en particulier de nos familles.

    J'ai déjà traité de certains points liés aux pouvoirs conférés à nos gouvernements, mais j'aimerais maintenant aborder une question qui revient continuellement et qui est celle de la reconnaissance et de la protection des droits et des libertés de nos citoyens. S'ils n'ont pas été remplacés par une charte autochtone semblable, ils sont protégés en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces droits et libertés sont reconnus à tous nos citoyens en vertu de l'autonomie politique. Je jouis des mêmes droits que tous les autres Canadiens. Je considère ces droits comme des droits fondamentaux. Les nations autochtones peuvent cependant adopter leurs propres lois et conférer à leurs citoyens des droits qui cadrent avec leurs pratiques et leurs coutumes traditionnelles.

    Par ailleurs, en vertu du système de l'autonomie politique, les nations autochtones peuvent adopter des lois s'appliquant à leurs citoyens, leurs terres et leurs ressources, des lois qui ont la même valeur que les lois fédérales. Dans le cadre des négociations qui ont eu lieu, on nous a demandé, pour calmer les inquiétudes de certains, d'accepter que les lois canadiennes d'application générale s'appliquent aussi à nous et à nos terres. Nous avons fait cependant valoir que certaines lois fédérales comme les lois dans le domaine environnemental n'étaient pas suffisamment rigoureuses. Nous avons dit que nous voudrions sans doute dans certains cas adopter des lois plus rigoureuses pour protéger nos terres.

    À l'issue de longues négociations, nous avons finalement convenu du principe suivant avec le Canada: toutes les lois d'application générale s'appliqueront également à nos citoyens, à nos terres et à nos ressources pourvu qu'elles soient compatibles avec les dispositions qui figurent dans les accords finals et les accords d'autonomie politique. Les autres lois seront remplacées à un moment donné par des lois que nous nous serons données nous-mêmes. Ces lois seront au moins aussi rigoureuses que les lois qui existent déjà. Prenons l'exemple du transport des produits dangereux. Nous avons déjà accepté que nous n'adopterions pas de lois qui prévoiraient des normes moins rigoureuses que celles que le Canada ou le gouvernement territorial a déjà adoptées.

  +-(1200)  

    J'aimerais aussi insister sur le rôle de l'exécutif. Les gens peuvent prendre des décisions par une foule de méthodes, mais l'accord-cadre, et en particulier l'accord sur l'autonomie politique, ne comporte pas de processus décisionnel bien clair.

    Chaque nation peut décider si elle veut élire son exécutif, le constituer d'après la tradition ou opter pour un système mixte. La décision à cet égard appartient aux gens. C'est une bonne chose que cette latitude soit prévue parce que, comme l'a fait ressortir la discussion, c'est déjà suffisamment compliqué pour les petites collectivités qui ne disposent peut-être pas de toutes les compétences voulues. Des élections dans les petites collectivités pourraient finir par diviser les gens.

    Nous avons cependant trouvé une façon d'assurer la légitimité des gens qui occupent des postes comme le nôtre. Les titulaires de charges publiques doivent rendre des comptes à la population et l'on devrait chercher par tous les moyens à favoriser l'établissement d'un consensus. J'aimerais aussi parler brièvement de cette question.

    Dans notre culture, les décisions n'étaient pas prises à l'issue d'un vote majoritaire. Les décisions se fondaient plutôt sur le consensus. De très bonnes raisons expliquent cela. Nous venons d'une partie très éloignée de l'Amérique du Nord où le climat connaît de très grandes variations saisonnières. Comme nous étions à l'origine une société nomade en quête de subsistance, nous devions nous trouver au bon endroit au bon moment et faire ce qu'il convenait de faire, autrement beaucoup de gens mourraient. C'était la réalité.

    Une seule personne—le dän zhi comme on dit dans ma langue, ce qui signifie le «chef»—ne prenait pas des décisions pour toute la population. Si cette personne prenait la mauvaise décision, trop de gens seraient morts. Les gens se réunissaient donc en petits groupes—en conseil comme on dit aujourd'hui—et ils prenaient une décision collective. Même si le dän zhi pouvait recommander de changer l'emplacement du camp d'été puisque c'était le moment de l'année de le faire ou pour d'autres raisons, cette décision n' appartenait pas à lui seul. Il donnait les raisons qui l'incitaient à faire cette recommandation et le groupe prenait ensuite la décision. Tous les gens avaient donc l'impression d'y avoir participé. Personne n'assumait l'entière responsabilité des conséquences d'une décision.

    Le système moderne que nous nous sommes donné repose sur le même principe, c'est-à-dire sur le consensus. Nous essayons par tous les moyens de faire en sorte qu'il y ait consensus au sein de la collectivité. La Loi sur les Indiens, cependant, privilégiait le processus décisionnel fondé sur un vote majoritaire. C'est un système qui est propre aux systèmes parlementaires occidentaux. Nous ne disons pas que ce n'est pas un bon système. Nous disons simplement qu'il ne cadre pas avec nos traditions et nos pratiques. Avec l'aide de nos aînés, nous devons veiller à conserver des systèmes de gouvernement qui favorisent l'établissement d'un consensus.

    Il existe aussi une autre raison fondamentale pour laquelle ce système est nécessaire à notre époque. Aux termes de cet accord, nous conservons la propriété de 16 000 milles carrés de terres avec toutes les responsabilités que cela suppose. Nous avons aussi reçu la somme de 232 millions de dollars en dollars de 1989 ainsi que la propriété des droits de coupe et des droits miniers sur plus de 10 000 milles carrés de terre. Autrement dit, le reste des terres sur le territoire que nous gérons conjointement... [Note de la rédaction: Inaudible]...ces ressources ne sont pas illimitées. Si nous ne mettons pas en place les bons mécanismes, nous pourrions nous retrouver dans la même situation que certains nations autochtones aux États-Unis qui ont perdu des terres et de l'argent en raison de mauvaises décisions ou de décisions intéressées.

  +-(1205)  

    Nous voulons nous assurer d'avoir un consensus lorsque nous octroyons des droits sur nos terres, lorsque nous faisons des investissements importants avec le capital limité dont nous disposons et lorsque nous concédons des droits à des tiers sur des ressources naturelles tirées de nos 16 000 milles carrés. Nous avons actuellement 16 000 milles carrés de terres officiellement, nous ne voulons pas nous réveiller dans 50 ans avec seulement 1 p. 100 de ces terres qui soient réellement contrôlées par nous. Voilà pourquoi c'est tellement important.

    J'ai presque terminé ma partie de l'exposé. Il y a quelques éléments dont je voudrais parler au sujet du projet de loi lui-même, et quelques questions générales que je voudrais évoquer avant de laisser la parole au prochain témoin, si vous me le permettez.

    Premièrement—et je dis cela en tant que grand chef—je félicite le gouvernement du Canada d'essayer de trouver une meilleure méthode pour permettre aux Premières nations et aux peuples autochtones de notre pays d'avoir un meilleur contrôle sur leurs gouvernements. L'erreur de cette méthode c'est que le Canada ne choisit pas un modèle qui, selon nous, servirait le mieux nos intérêts. Nous pensons que le modèle que nous venons de décrire, avec un cadre qui n'est pas très détaillé mais qui laisse place au développement axé sur les besoins précis des régions, est le plus satisfaisant. Nous abordons cette question dans notre région comme une version à plus petite échelle du développement du Canada.

    Lorsque nous acceptons ces ententes, nous acceptons essentiellement de faire partie de la Confédération, aussi imparfaite soit-elle. Je porte cette épinglette partout où je vais, que ce soit à l'étranger ou au Canada, et je la porte parce que je suis fier d'être un Autochtone canadien. Je reconnais certains des défis constitutionnels qui existent dans notre pays. Malgré cela, je suis un participant enthousiaste, comme mes citoyens.

    Nous sommes aux prises avec ce problème à un niveau national. S'il y a une chose que nous pouvons faire au cours de cet exercice, c'est de reconnaître que lorsque l'on parle d'un système de gouvernance qui doit convenir à tous, il ne s'agit pas uniquement d'une question autochtone. Nous savons tous que les provinces et le fédéral ont ce débat depuis le début de la Confédération, et ça continue jusqu'à ce jour. Même si cette question a été mise à l'arrière-plan, elle existe toujours, et elle ressurgira un jour.

    Il nous absolument trouver des méthodes, au niveau national et au niveau interne, pour reconnaître la diversité de notre pays. Au Canada, nous avons 633 Premières nations reconnues par la Loi sur les Indiens. Cependant, cela ne reflète pas le nombre réel de peuples du Canada, parce que certains ne sont pas reconnus officiellement par la Loi sur les Indiens.

    Il faut trouver une façon d'encourager la diversité et la croissance régionale sans nous nuire entre nous. Nous pensons réellement avoir trouvé un modèle adapté à nos régions qui le permette. Il est fondé sur les principes et les bases du respect. Notre peuple a dit au Canada: «Oui, nous vous reconnaissons comme un palier de gouvernement dans nos territoires et vous allez nous reconnaître en tant que gouvernement territorial, comme un palier de gouvernement également.» En tant que partenaires reconnus, nous souhaitons travailler en coopération pour gérer ce territoire de manière productive pour procurer une vie saine à nos citoyens partout au Canada et pour faire place à des décisions collectives qui profitent à tous tout en reconnaissant l'aspect unique de chacun.

    Honnêtement, nous pensons que cette entente entre le Canada, le gouvernement territorial, et nous-mêmes, est si exhaustif que lorsque le Chef Robert Johnson aura conclu ses ententes finales, il va recevoir toute une pile de documents regroupés en 28 chapitres qui traite de tout ce que vous pouvez imaginer. Après 30 ans de négociations, vous avez une idée du temps que prendrons ces ententes à être conclues.

  +-(1210)  

    Mais il n'y a rien dans ce document qui ait nui au Canada ou qui l'ait lié à un quelconque processus nouveau qui serait contraire au développement traditionnel du pays. Il n'y a rien non plus qui ait nui au gouvernement territorial ou l'ait lié à quelque chose qui ne correspondait pas à ses traditions ou à nous. Il y avait un respect mutuel des systèmes pré-existants et on laisse la possibilité aux trois paliers de gouvernement de faire fructifier ce système harmonisé de gouvernance dans le territoire.

    C'est l'idée générale que je voudrais partager avec vous. Je ne sais pas si vous voulez me poser des questions maintenant, ou si vous voulez écouter le prochain témoin.

  +-(1215)  

+-

    Le président: Non, nous allons écouter tous les exposés avant de passer à la période de questions. La parole est donc au vice-chef régional du Yukon, Mary Jane Jim.

+-

    Vice-chef Mary Jane Jim (région du Yukon, Assemblée des Premières nations): Merci, monsieur le président. Si vous le permettez, je voudrais également que mon mémoire fasse partie du compte-rendu.

    [Note de la rédaction: Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.

    Je voudrais vous remercier de cette occasion de témoigner devant le comité pour faire un exposé sur le Projet de loi C-7.

    Je me suis présentée avec mon nom traditionnel, le nom qu'on m'a donné à la naissance, qui est Nn echeden chea, qui voudrait dire littéralement «une surprise». C'est un nom autochtone du sud que m'a donné ma grand-mère. Mon autre nom est Dak wa' äl. Ce nom représente mon héritage Tlingit, qui m'a encore été donné par ma grand-mère et qui appartenait à sa grand-mère qui était d'origine Tlingit et qui faisait partie du clan Ishkî tàn qui est venu s'installer à l'intérieur des terres en provenance du littoral de l'Alaska. À cette époque, ces terres ne faisaient pas partie de l'Alaska, car il n'y avait pas de frontière entre l'Alaska et le Yukon.

    Comme l'a dit le grand chef, notre système est un système matriarcal. Nos noms et nos clans nous sont transmis par la lignée matriarcale. Dans notre famille, nous avons décidé de reconnaître et d'honorer cette tradition jusqu'à ce jour, ce qui explique mon introduction.

    J'ai aussi honoré mes parents, ma mère Tlestîn, Stella Jim, et mon père Paddy Jim, Kàkhnokh. J'ai aussi honoré ma grand-mère, Ichî tlâ, Annie Ned, et mon grand-père Kàkhnokh. Mes deux grands-mères et ma mère sont Kajìt, du clan Crow, Tutchone du sud, ainsi que Ishkî tàn, qui est Tlingit. Mon père et mes grands-pères viennent du clan Wolf. Ce sont les clans prédominants.

    Mon histoire ne remonte pas à deux générations, ni à quatre, ni à six mais beaucoup plus loin encore. Mon nom Dak wa' äl, d'aussi loin que je puisse le retracer, remonte à 10 générations. C'est notre forme, notre système de gouvernance. C'est notre gouvernance traditionnelle qui dicte le processus de gouvernance du Yukon pour ma collectivité, ma famille et moi-même.

    Officiellement, je suis ici sous le nom de Mary Jane Jim. Je suis la vice-chef de l'Assemblée des premières nations, ce qui signifie que je représente l'Assemblée des premières nations. J'ai été élu par 14 dirigeants des Premières nations du Yukon pour les représenter à ce conseil exécutif.

    Le but de mon exposé aujourd'hui est de traiter de plusieurs questions liées au projet de loi C-7 qui sont particulières à certaines préoccupations uniques aux Premières nations du Yukon. Étant donné que nous n'avons pas eu l'occasion de participer à la rédaction du projet de loi, en vertu de la Constitution, par exemple, et que nous n'avons pas pu analyser d'un point de vue juridique cette mesure législative par rapport à nos ententes d'autonomie gouvernementale et aux Premières nations qui ne sont pas encore autonomes actuellement, nous voulons traiter des questions que ce projet de loi pourrait soulever. Je dis «pourrait» parce qu'on ne nous a pas donné l'occasion d'examiner entièrement le document comme il se doit.

    Comme l'a signalé le chef national de l'Assemblée des premières nations, la participation des Premières nations du Yukon a été dérisoire. Nous reconnaissons que le ministre des Affaires indiennes a limité cette participation parce que, selon lui, ces Premières nations qui font l'objet d'ententes d'autonomie gouvernementale ne seront pas touchées par ce projet de loi. Nous sommes d'accord sur ce point. Cependant, nous avons six Premières nations qui ne sont pas encore autonomes, et nous n'avons pas pu déterminer si celles-ci seront touchées si elles ne signaient pas d'entente.

  +-(1220)  

    Lorsque nous parlons de consultation positive, nous parlons de l'intention des Premières nations du Yukon de mener à bien et de mettre en oeuvre leurs ententes de revendications territoriales et d'autonomie gouvernementale respectives. Cela signifie qu'elles doivent poursuivent leurs négociations, comme nous l'avons fait, mais cela ne doit pas nous empêcher de discuter avec le Canada des paramètres du projet de loi, qui peut nous toucher ou non.

    Il y a aussi la question de la mise en oeuvre du projet de loi. Nous savons en consultant ce projet de loi que nous n'avons pas eu la possibilité d'analyser, que sa mise en oeuvre entraînera l'élaboration de politiques. Nous n'avons pas eu la possibilité d'analyser ces politiques. De plus, le Ministre doit reconnaître qu'il ne faut pas retarder les négociations. Si elles sont retardées ou ne sont pas menées à bien, alors ce projet de loi s'appliquera aux Premières nations du Yukon.

    En ce qui concerne les terres de réserve, pour assurer une gouvernance efficace, les Premières nations du Yukon ont besoin d'une assise territoriale clairement définie, comme l'a souligné le grand chef. Il s'agit d'un principe qui se trouve au premier plan de nos ententes et de nos négociations. Comme vous le savez peut-être, il existe très peu de réserves au Yukon, et avant les revendications territoriales, la plupart des terres réservées aux Indiens ou aux Premières nations—et j'utilise le terme Indiens parce que c'est le terme utilisé dans la Loi sur les Indiens—étaient considérées comme des terres mises de côté. Selon la décision récente rendue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River v. Canada, «les terres mises de côté» ne constituent pas des terres de réserves au sens de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, les terres mises de côté ne bénéficient pas du même statut que les terres de réserves. Comme je l'ai déjà dit nous n'avons pas eu la possibilité d'analyser les répercussions de ce projet de loi sur la situation du Conseil de la bande dénée de Ross River, si elle ne signe pas d'entente. Je crois que le Conseil des Dénés kaskas approfondira peut-être ces aspects lorsqu'il paraîtra devant vous le 11 février. Je n'entrerai pas dans les détails à propos de cette question particulière, mais je tiens à signaler qu'il s'agit une source de préoccupation.

    En ce qui concerne les terres transfrontalières, dans mes remarques préliminaires je me suis présentée comme femme du sud Tutchonie-Tlingit. Dans le territoire du Yukon, les frontières n'existaient pas. Notre territoire s'étendait de l'Alaska, comme on l'appelle aujourd'hui, jusqu'aux Territoires du Nord-Ouest et ce que l'on appelle maintenant le nord de la Colombie-Britannique. Cependant, aujourd'hui les frontières sont une réalité. Il existe des frontières internationales, et des frontières provinciales et territoriales. Le projet de loi risque d'influer sur les questions qui se rattachent aux terres transfrontalières.

    Un grand nombre de Premières nations ont des territoires traditionnels dans les Territoires du Nord-Ouest ou en Colombie-Britannique. L'Alaska est un cas différent. Les Premières nations du Yukon qui ont des territoires traditionnels en Colombie-Britannique ou dans les Territoires du Nord-Ouest, seront touchées par ce projet de loi. Nous ne savons pas précisément comment ces Premières nations composeront avec les différentes structures de gouvernance. Comme le grand chef l'a indiqué, nous sommes sur le point de conclure définitivement nos ententes. Si nous obtenons l'autonomie gouvernementale au Yukon et qu'il existe un accord transfrontalier et des terres limitrophes de la Colombie-Britannique ou des Territoires du Nord-Ouest, comment administrons-nous ces terres selon ce projet de loi? Faudra-t-il les administrer selon le présent projet de loi ou selon nos ententes d'autonomie gouvernementale?

  +-(1225)  

    Il faut répondre à ces questions et en discuter. Elles intéressent entre autres le Conseil des Dénés kaskas, le Conseil des Tlingits de Teslin, certains groupes tutchonis du Nord et le Conseil de la bande dénée de Ross River, de même qu'un certain nombre d'autres groupes qui ne font pas partie du Conseil des Premières nations du Yukon mais qui relèvent de l'Assemblée des premières nations. Le cadre législatif actuel, y compris le projet de loi, peut obliger les Premières nations du Yukon à élaborer deux modèles distincts pour y donner suite—et j'utilise le verbe «peut» dans un contexte général parce que nous n'avons pas encore analysé la question, n'ayant pas eu l'occasion de le faire.

    En ce qui concerne la non-application, bien que l'on reconnaisse que le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord ait déclaré à maintes reprises que ce projet de loi ne veut pas porter atteinte aux droits ancestraux et issus de traités, une initiative législative d'une telle ampleur doit reconnaître de façon précise qu'elle ne vise pas à abroger les droits des peuples autochtones ni à y déroger, tels qu'ils sont reconnus en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C'est tout à fait simple.

    Enfin, il importe de signaler que les principes de reddition de comptes dans le cadre de la prise de décisions et de la gestion financière sont des principes que les Premières nations du Yukon appliquent déjà de façon rigoureuse au sein de leurs structures actuelles de gouvernance, comme en a témoigné le grand chef. Probablement depuis cinq à dix ans, pas une seule Première nation au Yukon n'a vu ses vérifications contestées. Donc en ce qui concerne l'obligation de rendre compte, c'est un principe qui fait partie de la structure et qui est appliqué. Qu'il s'agisse d'une Première nation visée par une entente d'autonomie gouvernementale ou une entente de revendications territoriales, ce principe s'applique. On a donc pris des mesures pour assurer l'obligation de rendre compte.

    Pour terminer, j'aimerais profiter de l'occasion pour encourager le gouvernement à appuyer la poursuite des négociations sur une entente de revendications territoriales et d'autonomie gouvernementale au Yukon. Au Yukon, la capacité des Premières nations de s'autogouverner s'est traduite par une vaste gamme d'avantages sur le plan de la gouvernance et des services à nos citoyens. En fait, nous constatons une augmentation du nombre de diplômés d'écoles d'études supérieures, une amélioration de la santé et une augmentation du nombre de mesures destinées à combattre la pauvreté. Nous devons bien sûr faire une étude pour corroborer cette déclaration, mais nous constatons effectivement qu'une bonne gouvernance et une bonne base économique permettent en fait de régler certains des problèmes les plus fondamentaux.

    Cette bonne gouvernance s'appuie sur notre vision, sur nos pratiques et les incorpore. Elle offre une certitude aux Premières nations ainsi qu'à d'autres gouvernements, comme le grand chef l'a indiqué. Il s'agit de l'un des processus tout à fait unique dans lequel nous nous sommes engagés au Canada. Il s'agit d'une entente tripartite. Nous avons invité le gouvernement territorial du Yukon à négocier avec nous. En soi, cela est exceptionnel.

    J'encourage le comité et le gouvernement canadien à tenir compte de la réussite de nos négociations au Yukon et de ce qu'elles nous ont apporté au Yukon, à savoir un moyen d'évaluer nos succès, surtout compte tenu des critiques accablantes exprimées par les Premières nations d'un bout à l'autre du Canada à l'égard de ce projet de loi et du processus selon lequel il a été élaboré.

    Enfin, je tiens à déclarer qu'il y a plus d'un siècle, le chef Ta'an Jim Boss a tâché d'obtenir de Sa Majesté du chef du Canada qu'on tienne compte des droits de son peuple. Trente ans plus tard, Elijah Smith et un groupe de chefs du Yukon ont réussi à obtenir la coopération du Canada. Ils ont entamé un processus négocié de règlement au Yukon. En passant, Elijah Smith est mon oncle du côté maternel.

    À l'époque, le premier ministre était ministre des Affaires indiennes, et j'étais probablement très jeune lorsque ce grand projet s'est concrétisé. Il ne venait pas de germer. J'en avais entendu parler lorsque j'étais très jeune, probablement vers l'âge de huit ans. Grâce aux conseils de ma grand-mère, de mes parents et d'Elijah Smith, je comparais devant vous aujourd'hui en tant que l'un des chefs des Premières nations du Yukon et aussi en tant que l'un des dirigeants d'une organisation nationale au Canada. Ce n'est pas le résultat de ma propre conception, mais de la conception personnelle de nos aînés, de nos chefs et de nos collectivités qui voulaient établir collectivement un grand projet qui permettrait aux chefs de veiller au respect des droits des Premières nations partout au pays.

  +-(1230)  

    Compte tenu de la réussite de nos initiatives au Yukon, réussite qui ne se dément pas, aujourd'hui nous comptons huit Premières nations autonomes et six qui attendent qu'un accord définitif soit signé. Ces accords, comme je l'ai déjà dit, s'appuient sur notre vision de l'avenir, et quand je parle de notre vision de l'avenir, cela inclut aussi bien la vision des Premières nations que celle du Canada, de même que nos idées sur la bonne gouvernance, qui vont bien au-delà des aspects administratifs.

    Nous devons respecter les traités en vigueur, nous devons respecter les traités historiques et nous devons respecter les droits de chaque Première nation.

    [Note de la rédaction: Le témoin s'exprime dans une langue autochtone]

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Chef Dickson.

+-

    Chef Robert Dickson (Première nation Kluane, Conseil des Premières nations du Yukon): Bonjour à tous. Je m'appelle Robert Dickson, je suis chef de la Première nation Kluane et j'aimerais que mon témoignage soit versé au compte rendu.

    La Première nation que je dirige négocie la question du titre et des droits ancestraux depuis 30 ans, depuis que le premier ministre Trudeau avait accepté notre invitation de régler la question territoriale au Yukon au moyen de négociations plutôt que de litiges. Je peux confirmer que nos négociations sur le fond sont terminées et que tous les accords, plans et autres documents de traités pertinents seront prêts à être présentés à nos citoyens d'ici avril 2003.

    La seule question de fond qui n'a pas encore été réglée est l'accord de territoire de chevauchement ou partagé avec la Première nation de White River. Au début des années 50, pour des raisons administratives, nos Premières nations ont été réunies et nous avons eu du mal à essayer de séparer nos territoires traditionnels.

    Le projet d'accord d'autonomie gouvernementale de la Première nation Kluane n'est pas un élément inscrit dans la Constitution de l'accord définitif de la nation Kluane, qui constituera un traité en vertu du paragraphe 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982. L'accord d'autonomie gouvernementale de la Première nation Kluane se verra conférer un statut juridique par la Loi sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon, une loi fédérale.

    L'accord d'autonomie gouvernementale de la Première nation Kluane renferme une disposition de non-application afin que les accords d'autonomie gouvernementale ou les accords définitifs de la Première nation Kluane ne privent pas la Première nation Kluane de ses droits inhérents à l'autonomie gouvernementale. Cela signifie que notre droit ancestral à l'autonomie gouvernementale demeure intact.

    La loi fédérale qui rend exécutoires les accords d'autonomie gouvernementale renferme une disposition prévoyant que la Loi sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon l'emporte sur les autres lois territoriales ou fédérales. La loi habilitante de même que nos accords d'autonomie gouvernementale proposés renferment une disposition qui prévoit que notre Première nation doit être consultée. Elle se lit comme suit:

Les termes consulter ou consultation signifient qu'il faut fournir:
ç a. à la partie qui doit être consultée un avis de la question dont on doit décider de façon suffisamment détaillée pour permettre à cette partie de se préparer en conséquence;
ç b. une période raisonnable de temps au cours de laquelle la partie devant être consultée peut préparer sa position sur la question et l'occasion de présenter cette position à la partie tenue de la consulter;
ç c. et un examen complet et juste par la partie tenue de consulter de toute position présentée.

    Cette consultation, selon la définition qui précède, soit les répercussions possibles du projet de loi C-7, n'a pas eu lieu, et cela est contraire à l'engagement pris par la Couronne. Selon l'interprétation actuelle en common law du terme «consultation», suite aux cas des Tlingits de la rivière Taku et Haida, la Couronne et les tiers sont obligés de reconnaître leur obligation en vertu de la loi, de consulter la Première nation touchée et de trouver un accommodement réaliste.

    Notre interprétation de l'article 35 du projet de loi C-7 semble indiquer qu'une Première nation au Yukon n'ayant pas d'accord d'autonomie gouvernementale est exemptée de l'application du projet de loi C-7, puisque l'on s'attend à ce que les dispositions financières et les pratiques électorales prévues dans ces accords représenteront les normes applicables, tout comme elles le sont partout ailleurs au Yukon. Cette interprétation est logique. Autrement, la Première nation que je dirige devrait mettre en oeuvre trois régimes législatifs et de reddition des comptes distincts au cours des trois prochaines années: les exigences prévues par le MAINC, les exigences du projet de loi C-7, et, enfin, les exigences de la Loi sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon. Cela signifie que la Première nation Kluane devrait adopter les politiques et procédures en vigueur au Yukon, des Premières nations ayant des accords d'autonomie gouvernementale, ou revenir à l'ancienne méthode comptable du MAINC.

    La première approche semble plus logique. Le fait est que la Première nation Kluane aurait dû être consultée afin que l'on s'assure que cette technique soit logique si on compte conserver les anciennes ou les nouvelles pratiques du MAINC et si cela exige la présence du MAINC au Yukon. Le projet de loi C-7 prévoit que l'ensemble de nos accords d'autonomie gouvernementale et de nos accords définitifs seront menés à bien.

    Le processus de ratification par la Première nation Kluane assure la participation de l'ensemble des citoyens de cette Première nation. Il n'existe aucune autre garantie que cellequ'offre la démocratie même.

  +-(1235)  

    Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de présenter mon point de vue sur cette question. Ce point de vue est celui d'une Première nation du Yukon, qui n'a pas encore accédé à l'autonomie et qui poursuit ses négociations.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    On ne pourra certainement pas accuser notre comité de ne pas faire de consultations, parce que nous avions limité votre temps de parole à cinq minutes chacun mais plus d'une heure s'est maintenant écoulée. Cependant, les renseignements que vous nous présentez sont très intéressants. Nous vous en sommes reconnaissants car ils nous seront utiles.

    Nous allons maintenant passer aux questions. Vous constaterez que je serai très strict pour ce qui est du temps. Si je dis sept minutes, c'est sept minutes pour la question et la réponse. Malheureusement, les gens qui se feront interrompre seront les témoins que nous avons invités, mais vous aurez l'occasion d'avoir le mot de la fin. Nous avons beaucoup de temps, donc nous pourrons tout aborder.

    Monsieur Vellacott, vous avez neuf minutes.

+-

    M. Maurice Vellacott: Je n'utiliserais peut-être pas tout mon temps de parole parce que je dois donner une entrevue aux journalistes.

    La première question que j'aimerais vous poser est la suivante: si le projet de loi C-7 avait été en vigueur, est-ce que cela aurait facilité les négociations et la mise en oeuvre de certains de ces accords ou traités particuliers?

+-

    Grand chef Ed Schultz: Je ne suis pas sûr qu'il aurait été avantageux si ce projet de loi avait été en vigueur. Il aurait peut-être été d'une certaine utilité mais pour ce qui est de faire la comparaison entre les deux, notre accord dépasse de loin les mesures prévues en vertu du projet de loi C-7. Par conséquent, je ne peux faire que des conjectures. Je pourrais dire qu'il aurait peut-être été d'une certaine utilité, mais qu'il n'aurait pas permis d'atteindre le résultat voulu. En fait, le résultat final représentait un compromis par rapport à notre point de départ et était bien en-deçà de nos attentes, comme c'est le cas pour le résultat de la plupart des négociations.

+-

    M. Maurice Vellacott: Merci beaucoup. C'était la question que je voulais poser.

+-

    Vice-chef Mary Jane Jim: Nous avons une autre réponse à cette question.

+-

    M. Daryn Leas (conseiller juridique en chef, Conseil des Premières nations du Yukon): Je voulais simplement préciser que le processus des négociations des revendications territoriales est très concentré et s'étend parfois sur plusieurs années. Donc, détourner son attention de ce processus pour mettre l'accent sur l'élaboration de codes de sélection, de codes d'obligation de rendre compte, ou des codes exigée en vertu du projet de loi C-7 risque en fait de nous détourner de cet objectif central, surtout lorsque ces codes sont élaborés conformément aux dispositions du projet de loi C-7, qui ne sont pas forcément conformes aux valeurs ou institutions culturelles des Premières nations. Autrement dit, cela peut s'avérer un gaspillage d'efforts, de temps et de ressources alors qu'il serait préférable de consacrer ce temps, ces efforts et ces ressources au processus d'autonomie gouvernementale, comme le grand chef l'a indiqué, pour bâtir un projet constructif et cohérent et dont la collectivité reconnaît la légitimité.

  +-(1240)  

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Loubier.

+-

    M. Yvan Loubier: Vous arrivez à temps, monsieur le président.

+-

    Le président: On est dans la cuisine.

+-

    M. Yvan Loubier: Je vous remercie infiniment pour vos présentations; ce fut fort intéressant. En outre, cela nous éclaire sur les imbroglios qui peuvent se produire entre les projets de loi, les négociations et les obligations qui découlent du projet de loi C-7.

    Mme Jim a souligné un fait dont aucun autre témoin n'a fait mention jusqu'à présent: pour négocier une autonomie gouvernementale et pour finaliser des codes, il faut nécessairement qu'on ait des assises territoriales. En l'absence de ces dernières, on peut se demander, lorsqu'on en est à définir des codes et une forme d'autonomie gouvernementale, où s'exerceront cette autonomie gouvernementale et ces codes.

    Au Yukon, où en sont les négociations territoriales, et comment le projet de loi C-7 peut-il nuire à ces négociations et vous rendre la vie plus difficile qu'elle ne le serait si on poursuivait les négociations qui ont été si bien commencées?

[Traduction]

+-

    Vice-chef Mary Jane Jim: Je ne veux pas parler au nom du chef Dickson, mais il a déclaré que hypothétiquement, si l'accord négocié n'est pas négocié par ses citoyens, trois niveaux de ce processus s'appliqueront à lui, la Loi sur les Indiens, le projet de loi C-7 et les dispositions prévues dans le Loi sur l'autonomie politique des Premières nations du Yukon ou dans l'accord-cadre. Nous n'avons pas pu cependant savoir comment cela nous toucherait et nous n'avons pas été consultés parce que nous avons fait porter tous nos efforts sur les négociations.

    Je ne sais pas si cela répond à votre question.

+-

    Grand chef Ed Schultz: Si vous me le permettez, relativement aux pouvoirs conférés en vertu de l'autonomie politique en ce qui a trait aux terres en particulier, les Premières nations exerceront le contrôle sur plus de 16 000 milles carrés. La loi prévoit qu'elles peuvent réserver 70 milles carrés pour des réserves. Certaines nations ont donc décidé de le faire, ce qui donne à penser—il faudra certainement analyser davantage la question—qu'une Première nation—et il en existe un certain nombre au Yukon qui possèdent des terres—peuvent aussi conserver des terres pour constituer des réserves selon la Loi sur les Indiens.

    Si ce projet de loi est adopté, les Premières nations qui ont conservé des réserves devront peut-être se conformer à des mesures figurant dans la loi sur la gouvernance de même que les mesures prévues dans le système de l'autonomie politique. Voilà comment j'essaierai de répondre à votre première question.

    Les pouvoirs dont je parlais plus tôt s'exercent au sein de la collectivité seulement. Autrefois, les décisions se rapportant à ces terres appartenaient au ministre et à ses représentants, mais ces décisions appartiennent maintenant à la collectivité et sont régies par sa constitution.

    Je ne sais pas si cette réponse vous satisfait.

[Français]

+-

    M. Yvan Loubier: Si j'ai bien compris, grand chef, le projet de loi C-7, s'il était adopté, pourrait nuire à ce que vous avez déjà convenu au niveau de la disposition des terres que vous avez vous-mêmes réservées et qui sont utilisées à certaines fins, avec l'approbation de vos populations. La Loi sur les Indiens et le projet de loi C-7 nuiraient aux décisions que vous avez prises concernant l'utilisation de ces terres-là, et non pas à ce dont vous aviez convenu auparavant, soit un processus permettant à vos populations de décider de l'utilisation de ces terres mises en réserve. En résumé, c'est ce que vous prétendez.

[Traduction]

+-

    Grand chef Ed Schultz: Nous ne voulons certainement pas que le projet de loi C-7 vienne compromettre un processus qui est l'aboutissement de 30 ans de négociations. Les trois paliers de gouvernement ont consacré beaucoup d'efforts et de ressources financières et humaines à parvenir à cette entente. Ces processus font l'objet d'un large appui parmi la population autochtone et la population non autochtone du territoire, appui qui résulte de très longues négociations.

    Il serait très imprudent de modifier de façon fondamentale des systèmes qui en sont à leurs premiers balbutiements. Ces changements pourraient entraîner de graves conséquences pour nous alors que le gouvernement fédéral et le ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord viennent à peine de commencer à nous remettre certains pouvoirs. Nous voulons certainement nous assurer que ce projet de loi ne compromet pas les processus sur lesquels nous nous sommes déjà entendus.

  +-(1245)  

+-

    Vice-chef Mary Jane Jim: J'aimerais simplement ajouter que le territoire qui a été négocié au Yukon jouit d'une protection provisoire. Dans le cas de certaines Premières nations, cette protection s'applique pendant cinq ans après la signature d'un accord d'autonomie politique. Si un accord n'est pas conclu après cinq ans, la protection provisoire ne s'applique plus. Cela nous amène à nous demander quel sera l'impact du projet de loi C-7 et la façon dont la Loi sur les Indiens s'appliquera par la suite, ainsi que la question de savoir quel sera le territoire protégé pour les Premières nations du Yukon.

    J'ai dit au début de mon exposé qu'il existe très peu de réserves au Yukon. Certaines terres ont donc été réservées pour nous. Je ne sais pas ce que prévoit à cet égard le projet de loi C-7.

[Français]

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Binet.

+-

    M. Gérard Binet (Frontenac—Mégantic, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Bonjour, chers invités. Je voudrais faire une réflexion plutôt que poser une question.

    J'ai eu la chance de siéger à la Chambre avec un député du Yukon, Larry Bagnell, qui a été mon voisin de siège, et on a souvent discuté du Yukon. J'ai aussi assisté à plusieurs réunions où siégeaient des représentants politiques du Yukon, dont la première ministre et d'autres. La population du Yukon est d'environ 25 000 habitants, si ma mémoire est bonne. Ce qui me surprend, c'est la qualité des politiciens du Yukon. Aujourd'hui, je peux vous dire que du côté autochtone, c'est très, très bien.

    J'ai aimé votre présentation, madame Jim, surtout lorsque vous avez parlé d'une vision. Moi, j'ai la foi. Il faut une vision et il faut croire en quelque chose. À mon avis, dans ce que vous avez dit il y a 30 ans avec votre oncle et actuel premier ministre, il y avait une vision, et vous avez aujourd'hui des résultats.

    Dans le reste du Canada, dans toutes les communautés et chez les autres grands chefs qu'on a rencontrés jusqu'à présent, je n'ai pas ressenti la même chose qu'aujourd'hui. J'ai vu plus de blocages que de visions. Je tiens à vous féliciter, car quand on entend dire continuellement du négatif au sujet des autochtones, cela se répand dans toute la population. C'est plaisant de savoir qu'il y en a un certain nombre qui vont bien. J'espère qu'on va vous prendre comme référence. Merci.

[Traduction]

+-

    Le président: Le député n'a pas posé de question, mais si vous voulez répliquer...

+-

    Vice-chef Mary Jane Jim: Je vous remercie vos bons mots. J'aimerais aller un peu plus loin et dire que j'espère que le Canada s'inspirera de nos réussites. Nous devons réexaminer sérieusement ce projet de loi s'il est susceptible d'empêcher d'autres nations d'exprimer leur vision.

  +-(1250)  

+-

    Le président: Je vous remercie.

[Français]

    Monsieur Loubier, avez-vous une question?

+-

    M. Yvan Loubier: Ça va, monsieur le président. Je vous remercie.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Godfrey.

+-

    M. John Godfrey: Comme mon collègue M. Binet, j'aimerais vous remercier de votre présence et de la façon dont vous montrez ce qu'on peut obtenir avec de la patience, du travail acharné et une vision.

    Je crois, monsieur le président, que le chef Dickson, en particulier, a bien fait ressortir le fait que certains Premières nations sont encore régies par l'AINC alors que d'autres commencent à ne plus l'être. Cela doit être pris en compte. Je ne sais pas jusqu'où...

    D'après ce que le chef Dickson nous a dit, il est très près d'obtenir l'approbation de son peuple de sorte qu'il serait vraiment contre-indiqué que le projet de loi ralentisse le processus. Ce n'est pas ce que nous souhaitons.

    J'adresse ma question à l'attaché de recherche. Il serait utile de savoir combien d'autres Premières nations se dirigent vers l'autonomie politique et dans combien de cas le projet de loi risque d'avoir des conséquences inattendues nuisibles. Ce n'est certainement pas l'objet du projet de loi. Je pense qu'il faudrait se pencher là-dessus. Nous voudrons peut-être poser cette question aux témoins que nous entendrons dans diverses parties du pays, parce que nous pourrions peut-être proposer un amendement disant que le processus ne s'applique pas... Je vois que M. Leas veut dire quelque chose.

+-

    Le président: J'aimerais faire une observation, monsieur Godfrey.

    Nous demanderons certainement aux attachés de recherche de se renseigner sur la question.

    Monsieur Leas, vous avez la parole.

+-

    M. Daryn Leas: Je vous remercie, monsieur le président.

    Je voulais simplement signaler le fait que l'article 34 du projet de loi C-7 prévoit que la mise en oeuvre du processus sera retardée dans le cas des Premières nations qui sont sur le point de conclure des accords d'autonomie politique. Reste à savoir si la période de report est suffisante, mais je voulais simplement signaler que le projet de loi traite de la question.

+-

    M. John Godfrey: Il nous serait peut-être utile que vous nous expliquiez clairement la situation que vous venez de nous décrire. Cela vous forcerait peut-être à nommer des gens, cependant, je l'ignore. Quoi qu'il en soit, l'article 35 du projet de loi mentionne déjà explicitement les Cris naskapis, les Nisga'as et d'autres groupes.

    S'il me reste assez de temps, j'aimerais poser une seconde question au grand chef.

    Dans la partie intitulée «Objet de la loi», il est dit très clairement qu'elle sera en vigueur «en attendant la négociation du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et sa mise en oeuvre». Justement, et ainsi que vous nous l'avez rappelé, votre cas est exemplaire. Vous êtes dans cette situation, vous êtes passé par ce processus.

    Dans votre réponse à M. Vellacott, qui vous demandait s'il aurait été utile de compter sur un projet de loi C-7 en 1972, vous avez été très nuancée. Pour ma part et compte tenu de ce que vous savez maintenant, de votre expérience, de la diversité des Premières nations, et du fait que toutes les Premières nations se dirigent vers ce que vous et huit autres nations avez obtenu et que six autres vont obtenir, j'aimerais que vous me disiez quelles institutions ou mécanismes vous auraient été utiles. J'entends par là les moyens qui vous auraient appuyés pendant la période de transition, tout en accélérant l'avènement d'une bonne gouvernance et n'imposant pas un modèle unique.

+-

    Grand chef Ed Schultz: Il serait présomptueux de ma part de proposer quoi que ce soit pour une autre région du pays, mais vous me posez aussi une question qui me touche plus personnellement sur notre propre expérience. Par conséquent, je me sens plus à l'aise pour répondre à celle-là. J'essaie d'adoucir les choses le plus possible parce que je suis politicien et c'est mon métier.

    Pour répondre à nos besoins, nous avons créé, en 1973, le Conseil des Premières nations du Yukon. Ce dernier devait servir de point central pour chacune des diverses nations de la région afin de faire le lobbying nécessaire. Ainsi, c'est lui qui a envoyé une délégation ici, à l'édifice du Centre, en 1973. Il a énoncé un cadre, un régime de gouvernance qui envisageait la division de la prestation des programmes et des services dans les collectivités, tout en assurant une supervision collective et des liens avec les autres paliers de gouvernement.

    Comme je l'ai expliqué, c'est une procédure que nous avons mise au point par le dialogue et le consensus, qui sont nos pratiques traditionnelles. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'il s'agit du même type de méthode qu'emploient d'autres groupes autochtones ailleurs au pays. Il y a peut-être des approches que je ne connais pas très bien, d'autres processus décisionnels, mais pour nos fins, dans le Nord, c'est comme ça que nous arrêtons nos décisions.

    Ce qui a été utile pour nous, c'est que le Conseil des Indiens du Yukon, de son ancien nom, constituait la tribune centrale où le Canada pouvait engager le dialogue avec toutes les nations en même temps, et où nous pouvions dégager un certain consensus sur le fond et proposer des solutions concrètes pour alimenter le dialogue. Ce n'était pas une question de répertorier onze, douze, voire quatorze positions disparates sur un sujet donné. La démarche nous a été utile, mais il nous faut reconnaître que le CIY, le Conseil des Indiens du Yukon, était davantage une entité de négociation.

    En 1995, la constitution a été amendée. En effet, les citoyens, ou plus précisément les nations, avaient affirmé que, puisqu'elles évoluaient vers l'autonomie gouvernementale, elles n'avaient plus besoin du CIY comme agent négociateur. Les nations allaient alors reconstituer le CIY en une nouvelle entité appelée le Conseil des Premières nations du Yukon, qui agirait comme gouvernement central en leur nom. Ce gouvernement central devait continuer à faire le lobbying et la promotion et à favoriser le développement et le renforcement des capacités. Sous l'autorité des Premières nations, toutefois, le Conseil se verrait aussi confier, de temps à autre, certaines responsabilités parce qu'il y a une délégation du pouvoir qui est prévue dans les accords d'autonomie. Les Premières nations ne sont pas tenues d'entreprendre quoi que ce soit elles-mêmes. Elles peuvent déléguer à une autre entité certaines de leurs responsabilités constitutionnelles. Cette entité peut être soit le Canada, soit le gouvernement du territoire, soit une autre institution, ou encore, les Premières nations peuvent créer à cette fin une institution, comme le Conseil des Premières nations du Yukon.

    À mon avis, l'une de nos plus grandes réalisations, c'est d'avoir gagné le droit de déléguer le pouvoir des Premières nations. En dernière analyse, ces responsabilités incombent aux Premières nations, mais elles peuvent les déléguer. Nous envisageons justement cette possibilité pour de nombreux programmes et services. Par exemple—et je ne dis pas que ce soit le cas—, nous envisageons une telle pratique pour les services policiers. Voulons-nous vraiment assumer la responsabilité de ces services? Nous exerçons l'autorité dans nos collectivités, mais concrètement, voulons-nous vraiment assurer les services policiers nous-mêmes? Nous examinons la question et il y a une panoplie d'options qui s'offrent à nous. Je pense notamment à la création de notre propre corps policier. L'autre possibilité est d'en confier la responsabilité à une tierce partie, ou de laisser la chose en l'état.

    Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

  +-(1255)  

+-

    M. John Godfrey: Cela répond à la question. Dans un certain sens, peut-être que je ne devrais pas obliger un représentant de l'Assemblée des premières nations à répondre à une telle question, mais vous racontez une histoire intéressante au sujet de l'organisme qui a été constitué au départ comme groupe de revendication, mais aussi dans le but de donner un coup d'envoi à la réflexion sur la gouvernance. Le Conseil a ensuite évolué.

    Encore une fois, j'en demande peut-être trop à une personne qui est ici à titre de représentant du Yukon, mais je me demande si votre modèle peut s'appliquer à d'autres régions du pays? Étant donné la très grande diversité et la nature vraiment spéciale du Yukon et compte tenu du fait qu'il n'y a pas deux régions identiques au pays, pouvons-nous tirer, de votre expérience, des leçons générales?

+-

    Vice-chef Mary Jane Jim: Pour renchérir sur ce que le grand chef vient de dire au sujet de la mise sur pied de ce modèle, lorsque nous avons édifié ce modèle, nous avons dû créer des capacités en même temps. C'est la première chose. Il fallait nous doter des capacités non seulement de créer un tel modèle, mais de le mettre en oeuvre. Par ailleurs, il nous fallait un mandat. Ce sont les deux aspects à considérer par rapport à la reddition de comptes, à l'administration et ainsi de suite.

·  +-(1300)  

+-

    M. John Godfrey: Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Monsieur Hubbard.

+-

    M. Charles Hubbard: Je remercie les témoins des informations utiles et des réalisations qu'ils ont partagées avec nous.

    À l'instar de M. Leas, j'aimerais souligner que les articles 34 et 35 du projet de loi prévoient une certaine marge de manoeuvre pour ce type de situation. Nous avons là un certain jeu, et, si on peut y apporter des améliorations, nous aimerions recevoir des propositions d'amendements.

    Deuxièmement, monsieur le président, certaines personnes, comme mon collègue, ont employé l'expression «solution tout usage».

    John, je ne suis pas sûr que cela convienne. Pour moi, j'envisage ce projet de loi par analogie avec l'achat d'une paire de chaussures. Nous ne portons pas tous la même taille ou le même style. Je crois, John, que le projet de loi, dans sa version actuelle, permet de tenir suffisamment compte des coutumes ainsi que des codes qui seront mis au point par chacune des Premières nations ou des groupes de Premières nations.

    Je ne veux pas m'écarter du sujet en ramenant l'idée que l'on puisse avoir une solution tout usage. Si j'ai bien compris, le Conseil des Premières nations du Yukon est un type de fédération de Premières nations qui travaillent ensemble, qui se regroupent au sein de différents processus juridiques. Encore une fois, John, le projet de loi englobe l'idée que des groupes peuvent travailler ensemble. Il n'est pas nécessaire de conclure 600 différents accords ou d'adopter 600 codes différents. Des groupes ou des fédérations de nations pourraient adopter un code qui serait jugé acceptable par tous les membres du groupe.

    Pour conclure, je vous félicite de votre bon travail. J'espère pouvoir compter sur vous pour nous présenter d'autres bons rapports—peut-être que ni moi, ni John ni Ray ne serons ici—, et j'espère que nous ne devrons pas attendre 30 ans avant de conclure de nouveaux accords de coopération et de travail dans le meilleur intérêt de tous.

    Je vous remercie, monsieur le président.

+-

    M. John Godfrey: Je suis tenté de répondre, mais comme je ne suis pas l'un des témoins, je me demandais si eux pourraient répondre.

+-

    Le président: Pouvez-vous répondre, s'il vous plaît.

+-

    Vice-chef Mary Jane Jim: En ce qui concerne l'article 34, pour employer des termes plus précis, le projet de loi stipule clairement qu'il ne s'appliquera pas aux Premières nations qui sont en train de négocier. Quand nous avons parlé, dans mon exposé et dans celui du chef Dickson, du processus de consultation, nous avons dit que si nous ne ratifions pas nos ententes... Il y a six Premières nations dont les ententes ne sont pas finalisées. Si l'une de ces nations décidait de ne pas ratifier d'entente, alors ce projet de loi s'appliquerait. Ce que nous disons, c'est que nous n'avons pas été consultés sur ce projet de loi, nous n'avons pas pu déterminer en quoi il nous touchera ni comment l'appliquer, parce que nous nous concentrions sur la négociation.

+-

    Le président: À titre de clarification, le projet de loi C-7 est la seule responsabilité du comité actuellement, alors tous les témoins qui ont comparu dans la dernière heure et demie ont été invités en consultation avec les membres du comité pour traiter des détails du projet de loi. Je suis très généreux avec le temps. Les gens peuvent parler de ce qu'ils veulent à ce comité. Je n'aime pas rappeler les gens à l'ordre et leur dire qu'ils ne parlent pas précisément du projet de loi C-7, parce que toute information est bonne à prendre. Mais ce comité a passé trois mois au printemps dernier à se renseigner sur la question et nous consacrons maintenant neuf semaines, presque à plein temps, à la consultation. Alors, s'il y a une chose dont nous ne voulons pas être accusés, c'est de ne pas avoir consulté les personnes concernées. Je pense pouvoir dire qu'environ 10 p. 100 des témoignages que nous entendons traitent du projet de loi et que 90 p. 100 traitent d'autres choses, mais il s'agit quand même d'information utile.

    Monsieur Godfrey.

+-

    M. John Godfrey: Je voudrais revenir au projet de loi si possible. Après votre intervention, je m'en sens un peu obligé, n'est-ce pas?

    Encore une fois, peut-être que je ne fais que reformuler une question qui a déjà été posée, mais quand vous lisez le projet de loi, il y a une question dont mon collègue M. Hubbard et moi-même avons débattu à plusieurs reprises. Nous avons entendu le témoignage du professeur Cornell du projet Harvard. Il a trouvé le projet de loi trop restrictif. Il a dit qu'il y avait des postulats par défaut qui étaient un peu trop audacieux. Je ne sais pas lequel d'entre vous souhaiterait répondre à ce commentaire, mais je vais essayer de l'expliquer dans le contexte du Yukon.

    Si le projet de loi C-7 avait été adopté et appliqué au Yukon avant que ne soient signées et finalisées les ententes d'autonomie gouvernementale, aurait-il été assez souple pour couvrir tous les types de structure de gouvernance qui existent, ou aurait-il été trop restrictif?

    C'est un peu une reformulation de la question de M. Vellacott, mais...

·  +-(1305)  

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    M. Daryn Leas: Je voudrais faire quelques commentaires.

    Je pense que l'élément fondamental de la Loi sur la gouvernance des Premières nations, projet de loi C-7, c'est qu'elle prescrit ou définit les priorités d'une Première nation lorsque celle-ci devient autonome. La loi détermine quels codes peuvent être adoptés et décrit ce qui se passe s'ils ne le sont pas. Si ces codes ne sont pas votre priorité, alors ce sont les codes par défaut dont vous avez parlé qui s'appliquent. De plus, la loi détaille précisément les différentes questions dont doivent traiter ces codes.

    Je pense que l'observation que j'ai faite plus tôt s'applique aussi à cette question. Si C-7 avait été en vigueur avant que les ententes d'autonomie gouvernementale ne soient ratifiées et appliquées, cette loi n'aura été qu'une distraction. Si vous mettez C-7 et nos ententes d'autonomie gouvernementale à côté, vous pouvez voir que nous traitons des questions de reddition de comptes d'une manière très différente, et que nous procédons de manière différente également pour créer, nommer ou élire nos gouvernements.

    Quand vous regardez le projet de loi C-7 et les dispositions qui ont trait au processus d'élection des dirigeants, il est dit en gros que la majorité des membres du Conseil devrait être élue à moins qu'une disposition sur les traditions de la bande ne s'applique. Dans certaines de nos collectivités, nous trouvons que les gouvernements sont efficaces, justes et responsables, même s'ils ne sont pas toujours élus, pour les raisons exposées plus tôt par le grand chef.

    Pendant plusieurs années, j'ai participé à la négociation et à la mise en application de plusieurs ententes au Yukon. Étant donné mon expérience en la matière, je pense qu'il faut s'assurer de créer quelque chose d'unique et de particulier à chaque collectivité, qui respecte ses priorités, ses institutions et ses valeurs. Le projet de loi C-7, en prescrivant de créer ces codes, dans ces délais et au sujet de ces questions spécifiques, ne permet pas ce genre de souplesse.

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    M. John Godfrey: C'est désolant d'entendre cela, parce que l'objectif du projet de loi est, d'une part, d'être provisoire, et d'autre part, d'accélérer ou du moins de faciliter le passage à l'autonomie gouvernementale, pas l'inverse. Si l'on applique ce projet de loi sans tenir compte de vos réalités—et nous ne pouvons pas parler des réalités des autres peuples—ce travail aura non seulement été inutile mais il n'aura pas été neutre. Il n'aura été qu'une distraction. Est-ce que cela résume votre pensée?

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    M. Daryn Leas: C'est mon avis.

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    M. John Godfrey: Merci.

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    Le président: Je tiens à vous remercier pour cette quantité d'information précieuse. Cela nous a été et nous sera très utile. Nous vous remercions également d'avoir accepté notre invitation.

    Si vous avez des commentaires finals à faire, je vous demanderais de les faire maintenant.

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    Grand chef Ed Schultz: Merci, monsieur le président. Encore une fois, je voudrais remercier les membres du comité de cette occasion.

    De toute évidence, c'est une obligation constitutionnelle pour moi que de défendre la cause de mon peuple, et j'assume cette responsabilité avec une grande fierté. Bien que nous ayons exprimé un point de vue très favorable et que nous ayons fait ressortir de nombreux aspects positifs de ce qui, à notre sens, est l'esprit et le but de notre accord—et ce serait certainement un modèle pour le Canada qui mérite d'être examiné plus en profondeur—, je ne veux cependant pas laisser entendre que nous pensons que tout est parfait dans le territoire. Une initiative de ce genre s'accompagne toujours de problèmes et comme le professeur qui a témoigné avant nous l'a dit, nous sommes des êtres humains et les êtres humains font des erreurs.

    Un des problèmes auquel nous nous heurtons constamment, quand il s'agit des questions autochtones dans notre pays, d'après mon expérience, ce sont les déclarations globales et générales au sujet de nos peuples. Si quelqu'un a vécu une mauvaise expérience, et tombé sur un mauvais praticien ou quelque chose du genre, les gens ont tendance à souscrire à un point de vue généralisateur comme quoi nous sommes tous pareils.

    Je suis sincèrement heureux que ma délégation ici présente ait eu l'occasion de faire part de son expérience au Canada, expérience relativement unique en son genre, mais ce n'est pas la seule. En effet, d'autres régions ont connu des succès semblables ou continuent de travailler à assurer leur réussite. Mais à mon avis, il ressort de la plupart de ces histoires de réussite quelques caractéristiques fondamentales qui ont été évoquées dans l'étude Harvard et qui trouvent leur expression dans notre accord: permettre aux collectivités de se prendre en charge, décentraliser le pouvoir et investir les collectivités de certains pouvoirs sur leurs terres, leurs ressources, et leur donner une certaine latitude pour créer de la richesse.

    La réalité est que la Loi sur la gouvernance des Premières nations et la Loi sur les Indiens émanent essentiellement du fait que le Canada se sent une obligation—non seulement légale mais morale aussi—d'aider les Premières nations à améliorer leurs conditions sociales. Nous sommes la proie de toutes sortes de problèmes partout au pays en raison de nos piètres conditions sociales. Tout le monde semble se tourner vers des instruments comme la législation, les programmes et les services. Certes cela est nécessaire, mais une des choses que nous devons faire impérativement, c'est de permettre aux collectivités de créer une certaine richesse financière. Le plus tôt nous pourrons générer de la richesse financière pour les collectivités et les membres de celles-ci, le plus tôt nous pourrons sortir notre peuple de ses piètres conditions sociales. Voilà donc un des principes de l'accord que nous avons.

    Je vous remercie beaucoup de votre temps.

·  -(1310)  

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    Le président: Et nous aussi nous vous remercions infiniment.

    Chers collègues, nous allons nous revoir mardi prochain, puisque nous ne siégerons pas lundi.

    La séance est levée.