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Je suis certaine que vous êtes au courant des piliers désormais très connus du Pacte pour l'Afghanistan, à savoir la sécurité, la gouvernance, la primauté du droit et les droits de la personne, ainsi que le développement économique et social. On s'est beaucoup intéressé à la sécurité en tant que précurseur de l'exécution d'autres volets du pacte. Cependant, la véritable sécurité n'est réalisable que par un engagement envers tous les aspects de concert et par des progrès considérables dans ce domaine. L'échec persistant de nombreux acteurs, sur la scène internationale et au niveau national, en ce qui concerne l'établissement de priorités et le soutien à la gouvernance, à la primauté du droit et aux droits de la personne a finalement eu pour seule conséquence d'accroître l'insécurité en Afghanistan.
Les violations des droits de la personne et du droit humanitaire international en Afghanistan sont une préoccupation depuis des dizaines d'années, comme l'a fait remarquer M. Neve; elles sont en tout cas encore très fréquentes. La persistance du conflit et la répression continuelle ont eu des conséquences dévastatrices. Elles ont, à proprement parler, détruit les institutions et les capacités dans cette région. Une reconstruction et un renforcement considérables sont essentiels, comme l'est aussi, de la part du gouvernement afghan et de la communauté internationale, la volonté politique nécessaire pour que ça se réalise.
Dans le contexte du conflit armé et d'autres opérations militaires, tous les acteurs, c'est-à-dire les forces de sécurité afghanes, les groupes armés afghans et les diverses forces internationales, ont commis des abus, notamment en lançant des attaques aveugles ou en ne faisant pas suffisamment de différence entre les cibles civiles et les cibles militaires. En outre, tous les acteurs ont manqué à leurs obligations expresses de protéger les civils. Au contraire, leurs interventions ont, dans certains cas, mis des civils en danger de plusieurs façons, notamment lorsque des forces sont, par un malheureux concours de circonstances, devenues la cible d'attaques pendant qu'elles intervenaient dans des zones civiles ou s'y déplaçaient. Les civils sont de plus en plus souvent pris entre deux feux.
Je suis certaine que vous avez lu le journal Globe and Mail la fin de semaine dernière qui contenait un reportage sur l'Afghanistan. Les chiffres mentionnés méritent d'être signalés: en 2005, le nombre de décès était de 1 000 et il a atteint 4 000 en 2006, puis au moins 6 500 en 2007. L'impact de cette situation ne se résume pas à des pertes de vies; elle entraîne en outre des déplacements de personnes, la fermeture de l'espace et de l'accès pour les groupes humanitaires, notamment l'enlèvement et le meurtre de travailleurs de l'aide internationale.
C'est un contexte dans lequel les Afghans eux-mêmes sont souvent dévalorisés et sont considérés par les différents acteurs, nationaux et étrangers, comme des boucliers humains ou des collaborateurs possibles, comme des dommages collatéraux regrettables, hors de proportion, ou comme des menaces potentielles s'ils sont regroupés à trop grande proximité des forces étrangères ou tentent d'engager une discussion ou encore de manifester leur désaccord. Cette situation est aggravée par une incapacité d'enquêter sur les acteurs afghans et, parfois, par un manque de volonté chez les acteurs étrangers, quoique la capacité d'enquêter existe. Le résultat est une absence troublante d'imputabilité.
La primauté du droit est un facteur essentiel de la reconstruction en Afghanistan. L'absence de respect de cette primauté, surtout dans un contexte où les institutions sont faibles, voire inexistantes, perpétue des violations généralisées des droits de la personne. Cette situation a plusieurs conséquences en Afghanistan, notamment la perpétuation de la violence contre les femmes, un regain de la marginalisation des personnes et des collectivités vulnérables, l'incarcération des prisonniers d'opinion, des procès politiques inéquitables, la torture et les mauvais traitements, des disparitions ou des exécutions sommaires et, malheureusement, l'impunité généralisée pour les violations passées et présentes. Cette situation est encore rendue plus complexe par la persistance de l'incapacité d'écarter du pouvoir les violeurs des droits de la personne.
Quelques obstacles supplémentaires à la protection efficace des droits de la personne, de la justice et de la primauté du droit sont liés à un appareil judiciaire avec du personnel non qualifié, à une force policière qui continue d'être mal entraînée et mal rémunérée — il y a eu quelques améliorations, mais il reste bien des difficultés à surmonter —, à une force armée qui est elle-même la cible d'attaques, à des menaces à l'indépendance judiciaire, que ce soit de la part de groupes armés, de personnes titulaires de charges publiques, de seigneurs de la guerre, de particuliers ou à des procédures judiciaires inéquitables, notamment des violations du droit de convoquer et de questionner des témoins, et à un manque général de confiance ou d'accès à un système de justice officiel, qui se solde par le recours à des systèmes de justice informels, en particulier dans les régions rurales.
En 2003, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a demandé au gouvernement afghan de déclarer un moratoire sur la peine de mort en raison des nombreuses lacunes procédurales et d'autre nature, dans le système judiciaire afghan. Quinze exécutions étatiques récentes ont marqué la fin d'un moratoire de trois ans sur les exécutions en Afghanistan et ont suivi de près l'exécution d'un jeune taliban de 15 ans, dans le sud du pays. La reprise des exécutions est une préoccupation en soi, étant donné qu'on a tendance à les abolir à l'échelle mondiale. Ce revirement survient dans un contexte dans lequel la faiblesse du système juridique de base est profondément troublante.
Alors qu'on a enregistré quelques améliorations pour certains Afghans, surtout dans les domaines de la liberté d'expression et de l'accès à l'éducation et aux soins de santé, l'expérience globale en matière de droits fondamentaux de la personne demeure très faible à l'échelle du pays. Les défenseurs des droits de la personne sont exposés au harcèlement, à l'intimidation, voire à une exécution. Toute protestation ne va pas sans risques.
De nombreuses promesses d'amélioration de la situation sur le plan des droits de la personne ont été faites par le biais des mandats des forces internationales, des Nations Unies, de la récente Conférence de Rome sur la primauté du droit en Afghanistan et, naturellement, de la constitution afghane comme telle. Ces engagements à créer ou à renforcer les institutions et à édifier une vaste culture des droits de la personne pour assurer leur survie doivent être respectés si l'on veut que les progrès réalisés ne soient pas vains.
Je laisse maintenant la parole à M. Neve.
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Je ferai seulement quelques commentaires au sujet de la question des prisonniers appréhendés par des membres des Forces canadiennes au cours des opérations militaires en Afghanistan.
Amnistie internationale a soulevé pour la première fois des préoccupations à ce sujet au début de 2002, quand le Canada a commencé à déployer des forces en Afghanistan. Nos préoccupations concernaient alors la politique consistant à remettre les prisonniers aux forces américaines et la probabilité que ces prisonniers atterrissaient finalement à la base aérienne de Bagram ou à Guantanamo Bay. Cette façon de procéder a été abandonnée en décembre 2005, à la suite de la première entente entre le Canada et l'Afghanistan en vertu de laquelle les prisonniers devaient être transférés sous garde afghane; il était toutefois spécifié que le Comité international de la Croix-Rouge et la commission afghane indépendante des droits humains participeraient à la surveillance.
Nous avons fait remarquer immédiatement que ça n'avait pas résolu le problème en raison de la pratique de la torture répandue depuis des années dans tout le système carcéral afghan. Nous avons exhorté le Canada à examiner une approche différente, une approche qui serait conforme à nos obligations internationales. Nous avons fait remarquer qu'une possibilité serait d'élaborer, de concert avec nos alliés de l'OTAN et en collaboration très étroite avec les autorités afghanes, une stratégie commune concernant la façon de traiter les Afghans qui ont été faits prisonniers au combat, allant d'une collaboration entre les parties concernées pour construire une nouvelle prison et l'administrer en commun à la collaboration dans les installations existantes. Cette proposition n'a pas été retenue.
En février 2007, après avoir exercé en vain des pressions pendant cinq ans pour qu'on adopte une approche résolument fondée sur les droits de la personne en matière de traitement des prisonniers en Afghanistan, nous avons estimé que nous n'avions pas d'autre choix que de nous adresser aux tribunaux; nous avons donc entamé les démarches pour présenter une demande à la Cour fédérale, avec la British Columbia Civil Liberties Association. Je suis certain que vous êtes tous au courant des événements qui se sont déroulés depuis lors.
En mai 2007, en réponse à la demande judiciaire, le gouvernement a négocié une entente bilatérale plus solide avec le gouvernement afghan, prévoyant un rôle spécifique de surveillance pour les autorités canadiennes. Au cours des mois qui suivirent, les autorités canadiennes reçurent au moins huit allégations spécifiques de torture faites, par des prisonniers, pendant des tournées dans les prisons. La dernière, qui remonte à novembre, était assez inquiétante pour que l'on prenne la décision de suspendre complètement les transferts.
Les allégations reçues contiennent des descriptions très préoccupantes de scènes de torture extrêmement pénibles, notamment des coups répétés avec des câbles, des électrochocs, des doigts coupés et également brûlés avec des briquets ou encore forcer les détenus à rester debout ou à rester éveillés pendant des périodes prolongées.
Les transferts ont toutefois repris vendredi dernier, le 29 février. La décision de les reprendre a été prise à la suite de plusieurs événements, notamment des accusations portées contre une personne pour l'incident de torture de novembre.
C'est un aperçu très général, mais j'aimerais mettre l'accent sur trois faits importants. Le premier est qu'on a souvent prétendu que la surveillance réglerait ce problème. On a insisté sur le fait que la Croix-Rouge, la Commission afghane indépendante des droits humains et le gouvernement du Canada intervenaient tous les trois dans la surveillance dans les prisons où étaient détenus les prisonniers transférés et que ceux-ci seraient donc protégés de façon fiable de la torture. Si seulement c'était vrai!
La surveillance est une bonne chose et nous exhortons régulièrement les gouvernements à adopter des systèmes plus rigoureux de surveillance dans leurs prisons, en mettant l'accent sur la prévention de la torture, mais dans un contexte comme celui de l'Afghanistan, où la torture est endémique et dure depuis des années, ça ne règle pas le problème du jour au lendemain, ni même en quelques semaines ou quelques mois. La surveillance peut aider à l'occasion à détecter la torture après coup. Elle peut même éventuellement, conjuguée à plusieurs autres initiatives, contribuer à diminuer la fréquence de la torture, voire la faire disparaître à long terme, mais ce n'est pas une solution rapide ou à court terme sur laquelle on puisse se fier pour protéger les prisonniers. Les allégations préoccupantes faites au cours des mois pendant lesquels des hauts responsables canadiens faisaient des visites de surveillance dans les prisons l'ont démontré. Certains gardiens afghans se sentaient si peu concernés qu'ils ont laissé traîner des instruments de torture dans une cellule, même en sachant que des agents canadiens venaient à l'occasion faire des vérifications.
Ensuite, il a souvent été dit que nous préconisions en quelque sorte un système de justice parallèle en Afghanistan — une prison canadienne, un système correctionnel canadien à Kandahar, entièrement indépendants du système judiciaire afghan. Ce n'est pas du tout le cas. Nous n'avons jamais fait cette recommandation et nous ne le ferions jamais. Nous avons toujours préconisé une collaboration étroite, la coopération et le renforcement des capacités. Si c'était bien fait, ça apporterait la solution à court terme aux transferts de détenus en contribuant à long terme à améliorer le système carcéral et à mieux protéger les droits de la personne dans le système judiciaire afghan.
Enfin, certaines personnes prétendent que ce n'est pas important parce qu'il s'agit de combattants talibans qui sont, après tout, responsables de graves atrocités, et que nous ne devrions pas trop nous soucier de la façon dont ils sont traités. Il ne faut pas oublier que ce qui nous concerne en l'occurrence, c'est la torture, et pas les talibans. Certaines des personnes capturées sont probablement des loyalistes talibans endurcis; d'autres sont probablement des agriculteurs locaux qui se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Toutes ces personnes devraient être protégées de la torture. Ce doit être l'approche sans équivoque du Canada. L'interdiction de la torture est une valeur fondamentale liée aux droits de la personne. C'est clairement une obligation internationale. Si notre engagement en Afghanistan n'a pas pour objet de promouvoir scrupuleusement des valeurs semblables, à quoi sert-il?
Je vous remercie pour votre attention.
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Monsieur le président, je vous remercie, vous et les autres membres du comité, pour cette occasion de témoigner. J'aimerais également féliciter le comité pour ses délibérations méthodiques et approfondies sur les difficultés auxquelles le Canada, la communauté internationale, le gouvernement de l'Afghanistan et le peuple afghan sont confrontés en ce qui concerne la sécurité, la reconstruction et le développement économique durable, ainsi que l'édification de structures et de processus efficaces de gouvernance.
Mon point de vue s'est formé grâce au travail que j'ai fait dans les domaines des élections et du développement démocratique en Afghanistan, et dans plusieurs autres pays de la région. Je suis certain de me faire l'écho des commentaires de nombreux autres témoins en faisant remarquer que notre engagement à l'égard du peuple afghan devrait être à long terme, comme l'exigent la nature et l'ampleur des défis à relever.
J'estime que, dans le cadre de l'examen de son futur rôle en Afghanistan, le Canada devrait décider de faire du développement démocratique et de la gouvernance la pierre angulaire du travail que nous appuyons et dans le cadre duquel nous prenons parfois la direction des opérations.
En janvier de cette année, j'ai écrit un article paru dans le Globe and Mail dans lequel je préconisais que le gouvernement du Canada collabore avec le peuple et le gouvernement de l'Afghanistan pour édifier une démocratie représentative vigoureuse et efficace. J'ai recommandé dans cet article que le Canada profite de la prochaine série d'élections — présidentielles, parlementaires et provinciales, prévues pour la prochaine année ou l'année suivante — et en fasse l'objectif à court terme pour aider le gouvernement afghan à édifier des structures de gouvernance et des institutions démocratiques légitimes, efficaces et durables. Je pense que la prochaine série d'élections sera déterminante pour asseoir la légitimité et la crédibilité du gouvernement afghan, aux trois paliers.
L'euphorie de la première série d'élections en 2004 et en 2005 s'est dissipée; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Canada et la communauté internationale, en partenariat avec le gouvernement afghan, doivent s'engager à faire tout ce qui est possible pour s'assurer que cette prochaine série d'élections soit une réussite. Pour cela, il sera essentiel de collaborer avec un large éventail d'intervenants et d'institutions, avec la magistrature, avec la fonction publique, y compris les forces armées et les forces policières, avec les législateurs et avec les partis politiques.
Les suggestions concernant les domaines où nous pouvons faire une différence constructive incluent, si je ne me trompe, le financement de projets d'éducation civique dans le but d'inciter les citoyens à s'engager afin qu'ils comprennent le but et le processus des élections. En votre qualité de représentants élus, vous êtes très sensibles au fait que, dans un processus électoral, le temps est précieux; par conséquent, il est essentiel de faire tout ce qu'il faut pour mettre en oeuvre des projets d'éducation civique dans les plus brefs délais possible.
Une suggestion consiste à établir un institut de formation de la fonction publique. C'était indiqué expressément dans le récent rapport du groupe d'étude sur l'Afghanistan coprésidé par l'ambassadeur Pickering et par le général James Jones. À court terme, il faudrait mettre l'accent sur la formation des fonctionnaires quant à leur rôle et responsabilités pendant le processus électoral. Je sais que l'ambassadeur afghan au Canada, son excellence Omar Samad, a fait plusieurs fois cette suggestion; le Centre for the Study of Democracy de l'Université Queen's et moi-même l'avons faite également.
Une autre suggestion est d'appuyer la mise en place d'un conseil des gouverneurs dans le cadre duquel les gouverneurs des diverses régions du pays se réuniraient régulièrement pour échanger de l'information et des idées concernant le développement économique, les questions de sécurité, les difficultés qui se posent dans la prestation des services publics, etc. Il n'existe actuellement aucun organisme de ce genre dans le pays.
Une autre suggestion consiste à élaborer des programmes pour appuyer le travail des représentants élus et des partis politiques. Comme vous l'avez appris à la Chambre aujourd'hui, une délégation de femmes parlementaires d'Afghanistan est en visite à Ottawa et je recommande fortement qu'on mette en place d'autres programmes d'échanges semblables.
Étant donné que notre engagement et notre mission militaires sont situés à Kandahar, je recommande d'envisager de cibler nos efforts avec les intervenants mentionnés ci-dessus dans cette région. Ces efforts ne seront couronnés de succès que si nous donnons aux Afghans au niveau local la responsabilité, le pouvoir et l'imputabilité pour le processus électoral en édifiant en outre des structures et des processus de gouvernance efficaces.
L'ex-ministre de l'Intérieur afghan, Ali Jalali, a écrit dernièrement dans un article, avec une grande perspicacité, que l'édification d'une gouvernance efficace au niveau provincial et au niveau des districts en Afghanistan était essentielle pour la légitimité et la stabilisation du pays. Il a aussi écrit qu'il était impératif que les actions non militaires aient pour principal objet de rassurer, de persuader et d'influencer la population locale en assurant la sécurité, l'aide humanitaire et les services essentiels, en établissant une infrastructure, en édifiant des institutions et en appuyant la primauté du droit.
La suppression des sources d'insurrection au Pakistan nécessite une nouvelle approche régionale et le règlement de plusieurs préoccupations légitimes de l'Afghanistan et du Pakistan. Le développement et l'éducation du peuple dans les zones rurales tribales des deux côtés de la frontière, la promotion des valeurs démocratiques au Pakistan et le renforcement de la gouvernance en Afghanistan sont parmi les préoccupations les plus impérieuses.
Nous pensons qu'une stratégie militaire et d'aide au développement synchronisée est essentielle. Il faut toutefois agir rapidement si l'on veut laisser une empreinte constructive et durable. Le temps presse si nous voulons organiser un effort majeur dans cette région.
D'autres pays et d'autres organisations se sont déjà attelés à la préparation du terrain pour les prochaines élections. Par exemple, l'Institut néerlandais pour la démocratie multipartite que vous connaissez grâce à vos travaux sur le développement économique, vient d'annoncer la mise en oeuvre d'un projet en Afghanistan.
Malheureusement, depuis 2005, aucun travail majeur n'a été fait par la communauté internationale en matière de collaboration avec les partis politiques en Afghanistan.
L'Agence américaine pour le développement international évalue actuellement des propositions concernant ce qui est probablement le plus vaste projet d'aide électorale en Afghanistan; une décision sera probablement prise au cours des deux ou trois prochains mois.
Les récentes élections au Pakistan indiquent qu'il est essentiel d'investir dans le renforcement des institutions et des processus démocratiques. Bien qu'on estime que les résultats sont généralement le reflet de la volonté des électeurs, le processus électoral posera des défis considérables. Le PPP et le PML-N, ainsi que les groupes nationaux et internationaux d'observateurs électoraux, ont relevé des milliers de cas d'irrégularités électorales présumées.
À l'occasion des élections à la Wolesi Jirga et au conseil provincial, près de 7 000 contestations et plaintes ont été déposées. Bien que la plupart d'entre elles concernent des allégations d'infractions criminelles et des violations antérieures des droits de la personne, un nombre considérable sont associées à l'intervention de fonctionnaires et à l'utilisation de ressources étatiques dans le processus. Il faudra faire davantage au cours des prochaines élections pour remédier à ces irrégularités.
J'estime en outre qu'étant donné les nouveaux gouvernements élus aux niveaux national et provincial au Pakistan, c'est le moment parfait pour que le Canada réévalue les possibilités de soutenir les activités de développement démocratique au Pakistan. La Chambre aura bientôt l'occasion de renforcer les relations professionnelles et les dialogues avec les nouveaux homologues des assemblées nationale et provinciales au Pakistan.
Si le Canada ne l'a pas encore fait, il devrait envisager d'établir un groupe de travail sur la diplomatie, la défense et le développement pour qu'il évalue les meilleures possibilités de réagir au nouveau programme gouvernemental.
En votre qualité de représentants élus, vous connaissez très bien l'expression « toutes les politiques sont locales ». Elle est attribuée à Tip O'Neill, le deuxième président de la Chambre des représentants des États-Unis ayant eu le plus grand nombre d'années de service. Je pense que ça mérite d'être répété, car ça résume ce que je considère comme le travail important que fait votre comité en contribuant à déterminer notre futur rôle en Afghanistan. Voici ce qu'a dit Tip O'Neill :
J'ai passé toute ma vie dans la politique. Je suis fier d'être politicien. Aucune autre carrière n'offre autant de possibilités d'aider les gens. Il ne faut pas se préoccuper des essais qu'on a faits et des échecs qu'on a connus, mais il faut s'intéresser à ce qui est encore possible. Il ne faut ménager aucune énergie lorsque la nation et le monde peuvent être améliorés par nos efforts.
Merci.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'accueillir ici aujourd'hui. J'apprécie réellement l'occasion qui m'est donnée de contribuer à ce qui est, sans aucun doute, le plus important débat de politique étrangère auquel le Canada ait été appelé à participer, de toute ma vie. Avec votre permission, je m'adresserai au comité en anglais, car je ne voudrais pas massacrer
la langue de Molière, et je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions avec simplicité et franchise.
Le 18 septembre 2005, j'étais au bureau de scrutin de la province de Logar, dans le vieux Kaboul, pour observer le déroulement des premières élections parlementaires tenues en Afghanistan depuis plus de 30 ans. Le souvenir le plus vivace que je conserve de cette journée est celui de tous ces électeurs remplis d'optimisme et des plus folles espérances. Nomades de la tribu Kuchi, villageois pashtounes, travailleurs Hazara, et certaines des femmes les plus pauvres du monde avaient tous en commun, ce jour-là, le sentiment que l'Afghanistan allait enfin tourner la page, et que ces élections, dernière étape du processus de Bonn, marquaient la fin de 30 ans de violence et de terreur. Bref, les Afghans croyaient réellement qu'ils pourraient bientôt reprendre le cours normal de leur existence, libérés enfin du poids écrasant de la peur, devenue depuis trop longtemps leur lot quotidien.
Or, malgré l'optimisme palpable de cette journée d'élections, j'ai bientôt compris avec stupeur que le gouvernement de la République islamique d'Afghanistan et ses partenaires internationaux n'avaient pas le moindre plan réel pour la suite des choses. Le processus de Bonn était maintenant terminé, les structures étatiques étaient en place, mais sans les ressources humaines nécessaires à leur fonctionnement, et la sécurité semblait s'améliorer un peu partout dans le pays. Au bureau de scrutin de la province de Logar, je me souviens distinctement d'avoir demandé à Chris Alexander, le premier ambassadeur canadien en Afghanistan, ce qu'on ferait ensuite. Malgré sa connaissance approfondie de l'Afghanistan et sa grande influence à Kaboul, il n'a pas pu répondre à ma question pour la bonne raison qu'il n'y avait tout simplement pas de plan.
Bien que le processus de Bonn ait été mis en oeuvre avec succès, il n'y avait pas de plan stratégique pour encadrer tout le travail à long terme que représente la construction de cette démocratie naissante qu'est l'État afghan. Cette absence de vision stratégique a eu pour résultat qu'il a fallu consacrer des mois d'intenses efforts pour en arriver à produire le Pacte pour l'Afghanistan et la Stratégie intérimaire de développement national de l'Afghanistan à temps pour la Conférence de Londres sur l'avenir de l'Afghanistan, qui s'est ouverte le 1er février 2006.
L'Équipe de consultation stratégique — Afghanistan, que je dirigeais, avait joué un rôle mineur dans l'élaboration de ces deux documents, et j'ai assisté à la Conférence de Londres en compagnie des membres afghans de mon équipe. Cette Conférence de Londres a été un autre grand moment d'optimisme. Pour la première fois depuis la chute du régime des talibans, il existait un langage commun et un cadre stratégique reconnu à la fois par l'Afghanistan et par la communauté internationale. Des engagements ont été pris, des promesses ont été faites, et tous les espoirs étaient permis, mais pas pour longtemps. Quelques mois plus tard, le manque de vision stratégique et l'absence quasi totale de cohésion entre les instances internationales présentes à Kaboul ont commencé à ébranler les chances de succès du Pacte et de la Stratégie intérimaire. Ce manque de cohésion compromet toute l'entreprise de construction d'un État démocratique. Pour dire les choses sans détour, on peut perdre la mission afghane sur les champs de bataille de la province de Kandahar, mais on ne peut la gagner qu'à Kaboul.
Je ne m'étendrai pas sur les erreurs stratégiques des quelques dernières années. Il en est amplement question dans le Rapport Manley et dans l'excellent rapport provisoire qu'a déposé votre comité en janvier dernier. Je vais plutôt consacrer le reste de cette allocution aux choses qu'il faut faire, à mon avis, pour atteindre le niveau de cohésion stratégique nécessaire au succès des efforts conjoints de l'Afghanistan et de la communauté internationale, et au rôle crucial que joue le Canada dans ce contexte. Je ferai aussi quelques recommandations précises sur la gouvernance et les priorités de développement essentielles, tant à l'échelle nationale que dans la province de Kandahar. Enfin, je conclurai par des remarques sur l'importance de cette mission pour le peuple afghan.
Bien qu'il semble y avoir consensus international sur la nécessité d'une stratégie afghane cohérente, il semble n'y avoir aucune vision commune des moyens à prendre pour y parvenir. Il a récemment été question de nommer un envoyé spécial de l'ONU, ce qui est une promesse de cohérence, mais la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan, la MANUA, reste en marge de la dynamique à l'oeuvre à Kaboul. La nomination d'un haut représentant de l'ONU pourrait sans doute contribuer au redressement de la situation, mais ne parviendrait pas à elle seule à créer la cohérence souhaitée.
Certains des États les plus puissants représentés à Kaboul, de même que certains des plus importants organismes de développement international, nuisent systématiquement à toute possibilité de leadership de l'ONU en insistant pour servir leurs intérêts nationaux et mettre en oeuvre leurs priorités organisationnelles au lieu de s'en tenir au programme élaboré dans le Pacte.
La racine du problème remonte à la période qui a immédiatement précédé la chute du régime des talibans. Les États-Unis ont délibérément limité le rôle de l'ONU et le processus de Bonn, avec son système dysfonctionnel de nation responsable, a nui de manière structurelle à toute forme de cohésion. Cette situation est intenable et, si l'on veut que la MANUA soit efficace, il faudra que l'envoyé spécial de l'ONU reçoive un appui politique inconditionnel, et qu'il se produise un réel changement d'attitude sur le terrain. Le Canada peut et doit faire jouer l'influence et le capital politique dont il jouit, et qu'il s'est mérité de haute lutte, pour exercer son leadership et susciter la volonté politique internationale indispensable au succès à Kaboul.
Il est évident que l'approche pangouvernementale adoptée par le Canada a beaucoup évolué au cours des deux dernières années. La création récente d'un comité du Cabinet, soutenu par un groupe de travail relevant du BCP, promet de soutenir la cohésion de l'effort canadien. Si la motion actuellement débattue est adoptée, un comité parlementaire spécial sur l'Afghanistan pourra superviser l'ensemble de la mission et garantir la responsabilité ministérielle.
Ces mesures très positives doivent maintenant s'accompagner d'une stratégie publique d'ensemble, qui définisse avec exactitude les objectifs que poursuit le Canada en Afghanistan — les fins —, les organismes, méthodes, priorités et étapes à franchir pour les réaliser — la manière — et les ressources, humaines et financières, qui y seront consacrées — les moyens. Cette stratégie doit être compatible avec le Pacte et devra servir de guide suprême à l'effort « pangouvernemental » du Canada. Elle permettra aux parlementaires de suivre les progrès de la mission et, du même coup, d'informer la population canadienne des objectifs nationaux que nous visons en Afghanistan et des moyens que le gouvernement entend mettre en oeuvre pour les réaliser. Tous ensemble, le comité du Cabinet, le groupe de travail, le comité parlementaire spécial et la stratégie publique sur l'Afghanistan ne pourront qu'accroître la cohérence de notre stratégie nationale.
Cependant, par sa nature même, le système de Westminster, fondé sur la responsabilité ministérielle, ne se prête pas à une approche « pangouvernementale ». Les soldats, les diplomates, les représentants des organismes de développement international, les policiers et les agents de correction sont tous formés indépendamment les uns des autres en fonction des impératifs et de la culture de leurs organisations respectives. Les mesures décrites plus haut auront le pouvoir d'atténuer les tensions à Ottawa, mais elles doivent aussi donner lieu à des modifications structurelles sur le terrain. La stratégie afghane du Canada doit non seulement être cohérente à Ottawa, mais elle doit aussi être coordonnée de manière harmonieuse et sans rupture de continuité à Kaboul et à Kandahar.
Sans mettre en doute la compétence et l'habileté diplomatiques de nos agents des Affaires étrangères, il faut comprendre que la gestion d'une opération aussi complexe et multidimensionnelle que la mission afghane n'est tout simplement pas du ressort des ambassadeurs du Canada, ni des commandants militaires. Pour trouver une solution, le premier ministre doit nommer un envoyé spécial canadien, crédible et compétent, lui conférer le pouvoir d'agir à titre de responsable de « l'équipe canadienne » et lui donner pour mandat de veiller à la bonne coordination de la Stratégie Canada-Afghanistan. Cet envoyé devrait relever directement du premier ministre et être soutenu par une équipe de coordination stratégique formée d'environ quatre personnes. Celles-ci devraient avoir de l'expérience en Afghanistan et des compétences en matière de sécurité, de gouvernance et de développement international, ainsi que des capacités éprouvées dans les secteurs de la planification et de la coordination stratégiques. Les membres de cette équipe ne doivent pas être des soldats ni des fonctionnaires encore actifs, car il faut pouvoir garantir leur indépendance, et les soustraire aux pressions inévitables de la bureaucratie qui ne pourraient que freiner leurs décisions. Cette équipe serait chargée de conseiller l'envoyé spécial du premier ministre, de réviser les projets et activités de manière à en assurer la cohérence stratégique, et d'être les yeux et les oreilles de l'envoyé spécial, partout au pays.
Je voudrais maintenant faire des commentaires sur la gouvernance et les priorités de développement.
Tous les efforts que consent le Canada dans les secteurs de la gouvernance et du développement, ces deux piliers du Pacte, doivent avoir pour but de raffermir la légitimité du gouvernement afghan. Une grande partie du soutien apporté par l'Agence canadienne de développement international aux programmes nationaux a porté fruit à cet égard. Par exemple, le soutien de l'ACDI au Programme de solidarité nationale a non seulement eu les résultats positifs que d'autres témoins ont décrits, mais est aussi l'une des raisons principales pour lesquelles le ministère de la Réhabilitation rurale et du Développement, le MRRD, est aujourd'hui l'une des structures les plus crédibles du gouvernement afghan. Mettre sur pied d'autres ministères et doter la province de Kandahar d'une administration aussi efficace que l'est le MRRD, voilà ce que le Canada devrait avoir pour objectif.
C'est pour cette raison que l'idée de réaliser à Kandahar un projet signature soulève des inquiétudes. Par exemple, rénover l'hôpital Mirwais et y planter un drapeau canadien ne fait rien pour légitimer le gouvernement afghan. On risque même, en agissant ainsi, d'envoyer aux habitants de la province le message qu'Ottawa peut en faire plus pour eux que Kaboul.
Cela dit, le ministre responsable de l'ACDI a déjà télégraphié au gouvernement son intention d'aller de l'avant avec la réalisation d'un projet signature. Tout projet de ce genre devra être réalisé en partenariat avec le gouvernement afghan et la population locale. Et surtout, il devra raffermir le pilier de la gouvernance et la légitimité du gouvernement afghan en soutenant le leadership afghan et en améliorant ses moyens d'action.
Les besoins de l'Afghanistan sont si criants que tous les partenaires au développement doivent se fixer des priorités et démultiplier leurs capacités en trouvant des appuis solides. Le besoin le plus urgent, celui que citent tous les rapports sans exception, est celui de la sécurité humaine, le genre de sécurité que seul peut apporter un gouvernement honnête et efficace, soutenu par une administration publique professionnelle, un bon système judiciaire, des mécanismes de résolution de conflits efficaces, et des forces de l'ordre qui exercent leurs fonctions dans l'honneur et le sens du devoir. Le Canada devrait orienter ses compétences traditionnelles dans ces secteurs, tant à l'échelle nationale que dans les provinces afghanes.
La réforme de l'administration publique et des structures de gouvernance à Kaboul se fait de façon fragmentée et indisciplinée depuis la chute du régime taliban. Malgré les quantités d'argent qui y sont déversées et la présence de centaines de techniciens d'aide internationale, il n'y a encore aucune stratégie cohérente de réforme du système et de ses modalités. Le Canada devrait faire preuve de leadership à cet égard et travailler en étroite collaboration avec l'ONU et la Banque mondiale à l'élaboration de la stratégie nécessaire et à la coordination des efforts de la communauté internationale.
La forme concrète que pourrait prendre un tel effort reste à préciser, mais il pourrait s'agir d'envoyer des hauts représentants pour gérer le programme, ou donner plus de poids à l'Équipe de consultation stratégique — Afghanistan en y intégrant des professionnels de la gouvernance et en élargissant son mandat en conséquence.
Il faut aussi, à tout prix, instaurer une gouvernance efficace dans la province de Kandahar. Toute la structure de gouvernance des provinces de l'Afghanistan pose problème, et je suis généreux. La corruption, le manque de capacité et les décisions arbitraires sont monnaie courante. Il ne fait aucun doute que les projets visant à corriger cette situation à Kandahar devraient faire partie des priorités du Canada. Il pourrait s'agir de projets visant à réformer le système d'administration publique, la police et les forces de l'ordre, le système pénal et le contrôle des finances publiques. En même temps, le Canada doit soutenir le gouvernement afghan dans ses efforts pour livrer les services de base à la population.
Pour dire les choses très simplement, les Afghans d'aujourd'hui ne veulent rien d'autre que ce que voulaient les Canadiens en 1867: la paix, l'ordre et un bon gouvernement. Nos efforts d'aide au développement doivent miser là-dessus et les aider à y parvenir.
J'aimerais conclure en vous disant toute l'importance que prend cette mission pour le peuple afghan. Lorsque je prends la parole en public au sujet de l'Afghanistan, je cite souvent un passage du Dialogue mélien de Thucydide, à savoir « ... la justice n'entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d'autre; dans le cas contraire, l'effort exerce leur pouvoir et les faibles doivent leur céder ». Cette expression de réalisme politique caractérise l'histoire, la politique et la société afghanes depuis beaucoup trop longtemps. Il faut mettre un terme au règne des prédateurs pour que l'Afghanistan et son peuple puissent avoir un avenir. Pour cela, il faudra du temps, beaucoup de temps. C'est tout simplement impossible de réparer en quelques années les dommages causés par trois décennies de guerre. On peut facilement faire l'inventaire des dommages matériels causés aux infrastructures et aux institutions du pays et on peut les réparer avec du temps et de l'argent. En revanche, il est plus difficile de prendre la mesure des dommages que tant d'années de conflits ont causés au tissu social d'un pays, à sa capacité de garantir la sécurité humaine, la gouvernance efficace et l'autonomie individuelle. Tout cela est beaucoup plus difficile à réparer que les ponts, les routes et les écoles.
La communauté internationale a failli à sa tâche par manque de vision stratégique et, dans certains cas, par orgueil démesuré. Elle n'a pas réussi à mettre en place les conditions essentielles à la sécurité humaine et à la gouvernance efficace. Je suis convaincu que le Canada peut contribuer à corriger cette situation en faisant preuve de leadership sur la scène internationale de même qu'à Kaboul. Les premiers pas ont été faits à Ottawa. Je suis sûr qu'en élaborant une Stratégie publique afghane, en nommant un envoyé spécial du premier ministre soutenu par une équipe de coordination stratégique, et en orientant les efforts du gouvernement vers des actions qui contribuent à légitimer le gouvernement afghan, tant à Kaboul qu'à Kandahar, on parviendra, avec le temps, à corriger la plupart des erreurs stratégiques des quelques dernières années.
L'Afghanistan et les Afghans sont complexes et contradictoires. Fiers, travaillants et remarquablement résilients, les Afghans ont appris à survivre au pire. L'invasion soviétique, une terrible guerre civile, le régime des talibans, les bombardements américains et, maintenant, un état d'insurrection permanente ont détruit toutes les institutions du pays et les mécanismes traditionnels de résolution de conflits de la société.
Ma plus grande crainte serait que la communauté internationale, frustrée par la lenteur des progrès, la confusion politique et la faiblesse des gouvernements en vienne à « blâmer la victime » et abandonne de nouveau l'Afghanistan et les Afghans. Certains invoquent l'intérêt national pour s'opposer à cette mission.
Étrangement peut-être, de la part d'un ancien soldat, j'aimerais simplement rappeler au comité que l'Afghanistan est au plus bas niveau d'à peu près tous les indicateurs de développement humain de l'ONU. Le Canada, qui est, lui, presque toujours au sommet de ces mêmes indicateurs, a pris un solide engagement en acceptant de signer le Pacte de 2006. Nous avons réitéré nos engagements quand le Conseil de sécurité de l'ONU a entériné le Pacte, et ils sont désormais scellés dans le sang des soldats qui ont fait les sacrifices dont nous ne sommes que trop conscients.
Les opposants à la mission égrènent la liste des échecs et des difficultés comme preuve que la stabilisation de l'Afghanistan et le relèvement de son niveau de vie sont une mission impossible — comme dans l'article du Globe and Mail de samedi, ayant pour titre « Mission impossible » — et qu'il n'y a rien d'autre à faire que d'abandonner ce pays à lui-même. C'est là une erreur de jugement qui n'aura d'autre effet que de condamner les Afghans à quelques décennies de plus de prédation et de violence.
La seule réponse moralement acceptable, à mon avis, est de tirer les leçons des quelques dernières années et d'exercer le leadership politique essentiel à la mise en oeuvre d'une stratégie efficace afghane — communauté internationale, le genre de leadership pour lequel le Canada et les Canadiens sont connus.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, messieurs. Ce fut une conversation très intéressante et très franche. C'est une des meilleures séances sur le sujet.
Je ne m'attarderai pas trop sur la question du développement, mais je signalerai que la plus grosse partie du travail accompli en Afghanistan concerne les droits de la personne. Qu'il s'agisse d'éducation, de renforcement de la capacité économique, de développement et d'infrastructure communautaires, de santé, de déminage, de primauté du droit, de soutien à la Police nationale afghane, de liberté d'expression, tout cela revient à apporter une capacité d'édification de droits de la personne, à reconnaître les droits humains dans différents domaines.
Le fait que nous nous concentrions sur un seul domaine en négligeant les autres me laisse un peu perplexe. Je félicite le gouvernement d'avoir augmenté de plus de 200 millions de dollars l'aide au développement. C'est un pays complexe, si on peut appeler ça un pays. La tâche est difficile. J'estime qu'il est essentiel non seulement de s'intéresser à certains domaines précis, mais aussi d'avoir une vue d'ensemble. Il faut voir ce qui peut être réalisé dans ce pays de façon globale.
Je ne prétends en aucun cas que c'est très bien et que tout a été parfait. Pas du tout. Il ne faudrait toutefois pas que la communauté internationale, et en particulier le Canada, relâche ses efforts. Lorsque je suis allé en Afghanistan, j'y ai rencontré le ministre du Développement rural; j'étais heureux de constater que les membres canadiens des équipes de reconstruction provinciales emmenaient ce ministre dans des régions où le gouvernement afghan n'avait pas la capacité de se rendre. Les Canadiens aidaient le ministre dans ces régions dangereuses.
En outre, lorsque j'ai rencontré le général McNeill, qui était alors le commandant de la FIAS, il ne tarissait pas d'éloges à l'endroit des Canadiens. Il a dit que nous étions un des seuls groupes... que les agents de développement avançaient avec les militaires en ce qui concerne la province de Kandahar. On peut en rire ou plaisanter, mais il ne faut pas oublier que sans l'établissement de l'ordre, il ne peut y avoir de sécurité, et que, sans la sécurité, il ne peut y avoir le respect des droits humains que nous souhaitons tous.
Sans plus tarder — je ne dispose pas de beaucoup de temps, mais je pourrais faire beaucoup de commentaires —, j'aimerais poser une question à M. Kippen, et aussi à M. Capstick.
Vous avez fait des commentaires sur les élections au Pakistan. Depuis 1947, trois dictatures et plusieurs gouvernements se sont, comme vous le savez, succédé. Je pense que le peuple pakistanais a envoyé un signal très clair. Chaque fois qu'il y a eu des élections libres et équitables, et je pense que c'était le cas de celles-ci — peut-être pas entièrement, mais dans une large mesure —, les partis religieux, les partis fondamentalistes ont été complètement rejetés, ce qui est formidable. Le gouvernement a été défait et les partis laïques l'ont remporté. Je pense que, dans le cas présent, il faut également attribuer une partie du mérite au nouveau chef d'état-major de l'armée, le général Kayani, qui a fait savoir à tous les commandants de corps et à toutes les agences du renseignement, jusqu'aux personnes qui assuraient les fonctions de nasim, comme on les appelle — les maires dans les petites localités —, qu'il prendrait des mesures très sévères envers tous ceux qui interviendraient, surtout les militaires. Par conséquent, ils ne seront là que pour aider et maintenir l'ordre et la loi; ils n'interviendront pas. C'est une des principales raisons pour lesquelles nous avons eu ces élections.
Ce que j'aimerais vous demander, monsieur Kippen, c'est quelle devrait être l'étape suivante.
Très brièvement, colonel, nous avons abandonné l'Afghanistan en 1989, ce qui nous a amenés là où nous sommes aujourd'hui. Qu'arriverait-il si nous l'abandonnions maintenant?