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HUMA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HUMAN RESOURCES DEVELOPMENT AND THE STATUS OF PERSONS WITH DISABILITIES

COMITÉ PERMANENT DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES ET DE LA CONDITION DES PERSONNES HANDICAPÉES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 9 mai 2000

• 1104

[Traduction]

Le président (M. Peter Adams (Peterborough, Lib.)): Chers collègues, je pense que nous allons commencer.

L'ordre du jour, en conformité du paragraphe 108(2) du Règlement nous amène à faire l'étude des subventions et des contributions au DRHC. Le thème ou la question que nous examinons plus particulièrement aujourd'hui est le rôle du député et du fonctionnaire dans le processus de prise de décisions. Quel a été ce rôle? Quel est-il? Quel devrait-il être? Quelle mesure positive pourrait-on prendre pour clarifier ce rôle?

• 1105

Nous remercions les témoins que nous allons entendre aujourd'hui. Nous avons pour commencer M. Arthur Kroeger. Monsieur Kroeger, nous vous souhaitons la bienvenue.

M. Kroeger est chancelier de l'université Carleton. Comme nous le savons tous, il a occupé plusieurs postes de sous-ministre et il est officier de l'Ordre du Canada.

Sean Moore est conseiller en affaires publiques. Il travaille actuellement chez Gowling, Strathy et Henderson, un cabinet d'avocats d'Ottawa. Il a déjà été rédacteur en chef du Lobby Monitor.

Soyez le bienvenu Sean. Merci d'être venu.

Et enfin, nous avons Gilles Paquet qui est professeur de sciences politiques à l'Université d'Ottawa. Il a signé ou dirigé 25 ouvrages et de nombreuses autres publications. Il est lui aussi membre de l'Ordre du Canada.

[Français]

Professeur Paquet, je vous souhaite la bienvenue.

[Traduction]

Messieurs, si cela vous convient, nous allons suivre l'ordre du jour et vous donner la parole à tour de rôle en commençant par Arthur Kroeger, puis Sean Moore et enfin Gilles Paquet.

Monsieur Kroeger.

M. Arthur Kroeger (témoignage à titre personnel): Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je n'ai pas préparé de document écrit mais depuis hier, je me suis livré à quelques réflexions que je pourrais peut-être partager de manière impromptue avec le comité.

Votre sujet d'étude est le rôle du député et j'aimerais présenter quelques réflexions à ce sujet à partir d'une perspective particulière. Je me suis intéressé d'une part à la controverse politique prolongée et très intense qui a touché les députés pratiquement chaque jour et aux conséquences que cela a pu, à mon avis, avoir sur le fonctionnement du gouvernement, le travail des fonctionnaires et la conduite des affaires publiques au Canada. Je ne suis pas sûr que les députés aient pris pleinement conscience des conséquences que tout ceci peut avoir, mais j'ai été très impressionné par toute cette affaire et j'en ai discuté avec d'autres personnes.

Bien entendu, des mesures correctives assez vastes s'imposent en raison des lacunes graves qu'a révélées la vérification des subventions et des contributions. Il est tout à fait légitime pour les représentants de la population d'exprimer leurs inquiétudes face à la gestion laxiste des fonds qui a ainsi été révélée. Ma question concerne l'effet qu'aura toute cette affaire.

Je partage le point de vue que le vérificateur général a présenté au comité, à savoir qu'il est important de ne pas tomber dans l'excès, de ne pas prendre de mesures trop draconiennes pour rectifier la situation constatée. Pourtant, le gouvernement est un instrument assez brut qui, dans bien des cas, ne permet pas vraiment de faire des nuances.

Selon moi, après quatre mois de controverse à la Chambre et de manchettes quotidiennes dans les journaux, n'importe quel gouvernement serait extrêmement incité à la prudence. Cette incitation ne se limite pas aux fonctionnaires qui adoptent un comportement bureaucratique que l'on juge normal. Cette incitation s'étend aux ministres, parce qu'aucun ministre ne veut prendre le risque d'être cloué au pilori semaine après semaine à la Chambre. Par conséquent, on joue de prudence et on essaie de faire le moins d'erreurs possible. Un gouvernement qui ne commet pas d'erreurs est un gouvernement bureaucratique.

Votre problème consiste à trouver le juste équilibre. Il est clair que l'on ne peut pas s'en tenir au type de gestion laxiste qu'a révélée la vérification, mais on peut facilement penser avoir pris toutes les mesures correctives souhaitables sans tenir compte des conséquences néfastes qui peuvent en découler: néfastes pour la bonne marche de la fonction publique où les fonctionnaires qui veulent se mettre à l'écoute de la population se garderont bien désormais de le faire, préférant jouer la sécurité; néfastes dans leurs conséquences sur les organisations bénéficiaires.

• 1110

Le comité s'est penché sur des subventions et contributions d'une valeur approximative d'un milliard de dollars. Ces fonds, contrairement à ce qui s'est dit dans certains milieux, ne sont pas empochés par les grosses entreprises. Ils sont répartis entre des dizaines de milliers d'organisations pour la plupart petites, dans tout le pays.

Lorsque j'étais sous-ministre à Emploi et Immigration, nous versions chaque année des fonds à 70 000 organisations réparties dans tout le pays qui offraient des programmes de formation—par exemple le Y, des syndicats, des groupes communautaires. Nous faisions appel très souvent à ce genre d'organisations qui pouvaient offrir la formation de manière plus efficace, moins bureaucratique et moins coûteuse que les fonctionnaires.

En agissant de cette manière, il est fatal que certaines choses tournent mal. Le risque d'une réaction excessive, c'est d'augmenter considérablement le fardeau d'un grand nombre d'organisations bénévoles qui ont pour la plupart très peu de ressources. Elles n'ont pas toute une armée de comptables et de gestionnaires à leur service. Elles ne sont pas très bonnes dans la prévision des liquidités, ni à établir une liste précise des personnes qui seront bénéficiaires de leurs services, mais elles mettent tout en oeuvre pour offrir un excellent service à la clientèle qu'elles desservent, qu'elles oeuvrent dans le domaine de l'alphabétisation, de l'action communautaire ou du perfectionnement des Autochtones.

Je pense que le problème, c'est que les organisations sont désormais tenues de remplir plus de formulaires. Elles vont devoir engager des spécialistes pour les aider, ce qui occasionnera une dépense supplémentaire. Elles vont devoir détourner leur personnel de ses tâches habituelles. C'est inévitable, mais il y a un risque de réaction excessive. L'autre conséquence négative pour les organisations bénéficiaires, c'est qu'elles devront diminuer encore plus les fonds réservés aux programmes pour les consacrer aux frais généraux.

Il est intéressant de revenir aux vérifications antérieures. On constatera ainsi que le ministère du Développement des ressources humaines et son prédécesseur ont tenté périodiquement d'obtenir le pouvoir de transférer des crédits des programmes à l'administration parce que le risque d'une gestion déficiente les inquiétait. Or, les différents gouvernements leur ont opposé un refus. Maintenant, c'est chose faite. Il fallait en partie que cela soit ainsi. J'avertis simplement le comité que si la réaction politique est excessive, on risque de se trouver avec un fardeau administratif trop lourd; les formalités administratives et les frais généraux vont absorber une trop grande partie des fonds, au détriment de l'organisation bénéficiaire.

En terminant, je dirai tout simplement que je suis heureux d'entendre de la part de la greffière du comité et de votre recherchiste, que vous avez l'intention de vous tourner vers l'avenir, de tirer des conclusions constructives de toute cette affaire afin de trouver une façon d'améliorer le fonctionnement plutôt que de s'enliser dans la bureaucratie.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Kroeger.

Normalement, nous entendons tous les exposés les uns après les autres. Par conséquent, nous sommes prêts maintenant à entendre Sean Moore.

M. Sean Moore (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Je m'adresse à vous aujourd'hui à titre de demandeur de subventions et de contributions fédérales, sans pour autant m'exprimer au nom de quiconque, pas même le cabinet d'avocats pour lequel je travaille. Je m'exprime strictement à titre personnel.

Je n'ai jamais fait de lobbyisme pour le compte d'un client en vue de bénéficier des subventions et contributions qui font l'objet de l'examen du comité, mais j'ai sans aucun doute réuni de la documentation sur ces programmes et l'ai transmise à des clients, des entreprises, des groupes industriels pour qu'ils puissent l'examiner. À plusieurs reprises, je leur ai également donné des points de vue et des conseils gratuits—des conseils sans prétention—relativement à ces programmes lorsqu'ils étudiaient la possibilité de présenter une demande. Avec certains clients, j'ai discuté d'autres types d'aide financière fédérale ne relevant pas du ministère du Développement des ressources humaines, tels que les programmes Partenariat technologique Canada et les contrats d'approvisionnement offerts par divers ministères.

• 1115

À mon avis, la plupart des programmes gérés par DRH depuis quelques années ne nécessitent pas vraiment l'intervention d'un lobbyiste professionnel ou d'un consultant en relations gouvernementales. Si l'on juge d'après la description des programmes et de leurs paramètres, dont le comité a déjà entendu parler, ils me paraissent relativement simples. Nous savons tous maintenant que beaucoup de programmes offrent, pour le meilleur ou pour le pire, beaucoup de flexibilité.

Les formulaires de demande ne sont pas terriblement compliqués, même s'ils peuvent paraître un peu décourageants pour une personne qui ne connaît pas certains documents. D'après moi, il n'est pas nécessaire que le demandeur, ou un lobbyiste agissant en son nom, effectue des démarches spéciales.

Les demandeurs engagent souvent des consultants tout simplement parce que leurs cadres n'ont pas le temps de régler eux-mêmes tous les détails. Souvent, ils n'ont pas nécessairement besoin d'envoyer quelqu'un à Ottawa pour s'occuper de leur demande, ils ont simplement besoin qu'on leur dise s'ils sont admissibles à l'aide financière du gouvernement. De fait, la grande partie du travail de la plupart des consultants en relations gouvernementales qui oeuvrent dans cette ville consiste, selon moi, moins à faire des démarches auprès du gouvernement pour le compte de leurs clients qu'à s'asseoir avec leurs clients afin de s'assurer qu'ils procèdent d'une manière conforme à la politique publique ou qui leur permette de se rendre admissibles à certains programmes.

Les organisations qui font appel à nous ont souvent besoin qu'une personne prenne le temps de produire les informations internes requises. La vaste majorité des organisations, en particulier les organismes à but non lucratif, mais également les petites et grandes entreprises, n'ont tout simplement pas l'argent ou tout au moins ne veulent pas payer des gens de l'extérieur pour les aider à obtenir des subventions.

En effet, d'après mon expérience depuis deux ans, les organismes à but non lucratif et surtout les entreprises, petites et grandes, rechignent à dépenser les ressources nécessaires pour faire des demandes d'aide financière au gouvernement, les gérer et en faire le compte rendu. Au fil des années, beaucoup d'entre elles se sont tout simplement rendu compte que cela ne valait pas la peine. De très nombreuses organisations avec qui je suis en contact et qui ont bénéficié il y a quelques années des avantages du financement de base, estiment désormais que les conditions imposées et les exigences de compte rendu que les divers paliers de gouvernement attachent au financement rendent la démarche peu intéressante. Ironiquement, les tentatives de DRH en vue de faciliter la tâche des bénéficiaires des subventions gouvernementales semble avoir été à l'origine des déboires que connaît le ministère depuis deux ans.

Une chose apparaît clairement aux personnes de l'extérieur qui traitent chaque jour avec le gouvernement: la fonction publique à tous les paliers, mais surtout au palier fédéral, est devenue pratiquement anorexique. On peut toujours ressasser les clichés qui prétendent faire plus avec moins, dégraisser la bureaucratie, la réalité est que la fonction publique fédérale n'est plus que l'ombre d'elle-même. On ne saurait être surpris de constater qu'il n'y a tout simplement plus le personnel nécessaire pour accomplir les tâches comme autrefois.

À mon avis, une des plus grandes lacunes est la perte de la mémoire institutionnelle dans la fonction publique. Lorsque vous téléphonez pour vous informer sur les antécédents d'une politique quelconque, sur les façons antérieures de procéder et sur l'expérience du gouvernement à ce sujet, il est souvent impossible d'obtenir ce genre d'informations.

Je ne suis pas une autorité sur la gestion de la fonction publique, mais j'ai l'impression que la technologie pourrait alléger le fardeau administratif dans le cadre de tels programmes. Par exemple, ce serait beaucoup plus commode si les formulaires de demande de certains de ces programmes se présentaient sous forme électronique et interactive. Puisqu'il est possible de transmettre électroniquement à Revenu Canada un document aussi complexe que la déclaration d'impôt sur le revenu, ou un formulaire d'inscription de lobbyiste, il devrait également être possible de concevoir un programme permettant la saisie de données et leur classement automatique afin de faciliter la gestion des programmes.

Je ne prétends pas que la technologie soit l'unique réponse aux nombreuses questions que vous avez examinées. Cependant, c'est peut-être un élément de réponse car la réalité est telle qu'il faudra soit consacrer plus de ressources à ces programmes, soit faire un usage plus pertinent de la technologie disponible.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Paquet, s'il vous plaît.

[Traduction]

M. Gilles Paquet (professeur, Université d'Ottawa): Merci beaucoup, monsieur le président.

• 1120

Je n'ai pas eu l'avantage de participer activement aux affaires du gouvernement. Je vis un peu en retrait de tout cela. Cependant, j'occupe une position d'observateur de la scène administrative d'Ottawa depuis de nombreuses années—et c'est en cette qualité que je suis ici.

Mes collègues ont signalé le danger d'aller trop loin d'un point de vue politique. D'un point de vue administratif, mon argument est tout simplement qu'il y a des choses que vous devez vous aussi reconnaître en tant que députés. Vous ne fonctionnez plus selon l'ancien modèle de Westminster, mis au point à l'époque où le ministre avait 17 employés et pouvait aller parler à chacun d'entre eux puisque leur bureau donnait sur le même couloir. Ce n'est pas le monde dans lequel vous devez vivre. Par conséquent, mes remarques s'articuleront en trois parties.

Premièrement, je vais tenter de montrer que des changements très importants touchent la façon dont les secteurs privés, publics et communautaires sont organisés et gérés de nos jours.

Deuxièmement, les nouveaux modèles de gouvernement qui vont forcément évoluer dans chacun des trois secteurs tendent vers une répartition de la gestion des affaires publiques dans laquelle les pouvoirs sont partagés. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous limiter uniquement à l'examen d'une simple relation hiérarchique de maître à serviteur.

Troisièmement, vous allez être contraints de vous livrer à une réflexion beaucoup plus difficile puisqu'il vous faudra composer avec ce que j'appelle la «responsabilité souple».

Permettez-moi de passer rapidement en revue chacun de ces trois points.

Dans chaque secteur—privé, public et communautaire—la complexité des questions auxquelles nous sommes confrontés dans une économie fondée sur le savoir nous a contraints à créer des organisations qui ne se contentent pas simplement de répondre à des problèmes mécaniques. Elles doivent être des organisations intelligentes qui s'attaquent aux problèmes à mesure qu'ils se présentent—c'est l'apprentissage par l'action. La principale difficulté vient du fait que nous n'avons pas procédé de cette manière. Une grande partie de l'absence de productivité dans les trois secteurs vient du fait que nous n'avons pas reconnu les impératifs de ce nouveau type de situation.

Il nous faut de la cohérence et des règles, mais si nous voulons encourager l'innovation, nous devons éviter les règles trop strictes qui risqueraient tout simplement d'éliminer toute possibilité de s'adapter aux nouvelles situations. Ce nouveau type d'impératif a mené fatalement à la non-centralisation. En effet, on provoque la congestion dès lors que l'on tente de tout gérer depuis le centre. Par conséquent, les gestionnaires ont dû apprendre à déléguer, mais aussi à mettre en place des organisations qui sont beaucoup plus modulaires et horizontales. Dans le secteur privé, il y a de plus en plus d'organisations virtuelles de ce type, de plus en plus d'unités modulaires.

La question essentielle est de savoir s'il est possible d'exploiter ces organisations extrêmement morcelées où le pouvoir est partagé, non seulement à l'intérieur d'un ministère, mais de plus en plus pour effectuer le travail que le gouvernement doit exécuter. En effet, il faut travailler en collaboration avec le secteur privé, le secteur communautaire—comme cela a déjà été fait—et d'autres paliers de gouvernement. S'il n'est pas possible d'élaborer des formes d'organisation assez subtiles et assez souples pour mobiliser la volonté de tous ces intervenants et mobiliser leur capacité à travailler ensemble, alors, les difficultés vont se présenter.

Par contre, cette répartition des pouvoirs est un véritable cauchemar sur le plan de la responsabilité. Même les forces armées de nos jours ne relèvent pas directement du premier ministre uniquement. Lorsque l'armée se met au service de l'ONU, lorsqu'elle s'est rendue dans la province du Québec au moment de la tempête de verglas, toutes sortes de paliers de responsabilités autres que celui du premier ministre se sont imposés.

D'une certaine façon, nous devons accepter que la définition d'une responsabilité unique, à une époque où nous savons qu'il y a de nombreux intervenants différents, de nombreuses formes d'autorité, de nombreux types de comptes à rendre—sur les plans politique, administratif, juridique, professionnel et financier—et des situations beaucoup plus complexes que celles qu'on avait définies et vécues auparavant, il est extrêmement dangereux de se limiter à un seul aspect, un seul intervenant, un seul type de reddition de comptes et de tout ramener à un même point. Agir de la sorte ne peut qu'aboutir à un cauchemar terrible.

• 1125

Qu'est-ce que j'entends par «responsabilité souple»? Ce type de responsabilité reconnaît que si vous devez rendre des comptes à de nombreux intervenants, vous serez tenus d'appliquer des règles qui s'avéreront beaucoup plus floues. C'est inévitable. Si vous insistez pour appliquer une règle inflexible, elle ne manquera pas d'être fausse, destructrice et négative.

Pour terminer, je vais prendre un exemple afin d'illustrer comment nous devons nous y prendre, non seulement au Parlement, mais également ailleurs. Actuellement, le droit des sociétés reconnaît que le propriétaire unique d'une entreprise est un actionnaire. Cela signifie qu'une société qui dirige une partie de ses bénéfices vers ses employés, ses fournisseurs ou la collectivité, peut être accusée en vertu de la loi d'avoir détourné l'argent des actionnaires.

Actuellement, 28 États des États-Unis ont adopté des lois reconnaissant que le conseil d'administration peut utiliser les bénéfices de diverses manières afin de les répartir entre les autres parties intéressées. Ce n'est pas encore le cas au Canada. Le droit des sociétés est désuet. Cela signifie, par conséquent, que lorsque nous modifierons nos lois, nous devrons modifier notre définition de ce qu'est le propriétaire de l'entreprise, ainsi que la notion de propriété.

En fait, le même problème se pose à vous. Si une entreprise doit rendre des comptes non seulement à ses actionnaires, mais également à ses employés, aux groupes environnementaux et à la collectivité, elle doit constamment choisir entre ses différentes obligations et accorder plus ou moins d'importance aux unes et aux autres. Il serait dommage que le Parlement, dans une tentative futile de préserver l'ancien modèle de Westminster, concentre entièrement ce type de responsabilité sur un seul élément.

Nous voulons que les fonctionnaires fassent bien leur travail et de manière économique et rentable, mais dans le fond, les citoyens veulent surtout que les fonctionnaires prennent les bonnes décisions. Il n'est pas facile de savoir à l'avance quelle est la bonne chose à faire. Tout dépend du contexte. Il serait absolument essentiel qu'un comité comme le vôtre redéfinisse ces choses. Il y a peut-être des principes de base, mais tout comme la Grande Charte, certains de ces principes ont besoin d'être revus de temps à autre afin d'éviter l'intégrisme ou le «fundamentalism» comme on dit en anglais, qui consiste à se fixer sur un seul élément d'un ensemble vaste et complexe et à affirmer que tous les autres éléments sont en fait sans importance.

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Paquet.

Merci messieurs pour vos brefs exposés et pour les différentes perspectives que vous nous avez offertes sur les questions posées.

Nous avons une longue liste d'intervenants. Nous allons commencer par Maurice Vellacott, puis nous passerons à Rey Pagtakhan, Paul Crête, Raymonde Folco, Larry McCormick et Bryon Wilfert. Maurice Vellacott.

M. Maurice Vellacott (Wanuskewin, Alliance canadienne): Merci messieurs d'être venus témoigner ce matin.

Ma question porte sur le FCCE ou le FTCE, comme il s'appelait auparavant. Je me souviens d'avoir parlé samedi dernier à un petit entrepreneur au sujet de la recherche agricole, du développement des produits, etc. À un moment donné, notre discussion a porté sur les formulaires de plus en plus complexes qui ont vu le jour ces derniers mois. Vous avez en quelque sorte fait allusion au côté négatif d'une plus grande responsabilité.

Au cours de la conversation, mon interlocuteur m'a parlé d'une question que vous n'avez pas abordée. Je vais vous dire tout simplement comment il s'est exprimé. Il m'a dit que si le gouvernement n'imposait pas tant les entreprises, s'il leur accordait des allégements fiscaux, s'il imposait des charges sociales moins lourdes, par exemple, les entreprises n'auraient rien à redire des formulaires. Il prétendait exprimer la pensée de nombreux chefs de petites entreprises. Il affirmait que les petites entreprises ne peuvent pas engager du personnel, comme le font les grosses entreprises, pour remplir ces formulaires de demande dont Sean a parlé un peu plus tôt. Il m'a dit «Maurice, on fait du bon travail et on offre un bon service de R-D sur les produits agricoles pour les marchés intérieurs et internationaux, mais il y a autre chose...». Et malheureusement, on en n'entend pas beaucoup parler. Ou alors très vaguement.

Ne serait-il pas possible de procéder de cette manière, tout au moins pour encourager les emplois, plutôt que de se contenter de réduire l'impôt des sociétés, de diminuer les charges sociales, etc., et d'éliminer...? Si toutes les petites entreprises créaient chacune un poste à mi-temps, cela ferait beaucoup d'emplois dans tout le pays. Vous n'en avez pas parlé explicitement dans vos exposés respectifs.

Je sais que le temps est limité, mais je voulais parler de la création d'emplois. Monsieur Kroeger, vous avez été sous-ministre dans ce domaine. J'aimerais entendre vos points de vue à tous les trois sur cette question.

• 1130

Nous devons nous débarrasser de notre ancienne façon de penser et sortir des schémas habituels. Pourquoi ne pas envisager cette nouvelle façon de penser?

Sean, d'après votre expérience, je serais intéressé à entendre vos commentaires et aussi ceux de M. Paquet.

M. Arthur Kroeger: C'est vrai que la politique fiscale joue un rôle important en matière d'emploi et on a par exemple beaucoup critiqué les cotisations sociales. Les charges sociales sont beaucoup plus basses au Canada qu'aux États-Unis et dans beaucoup de pays européens, mais elles continuent cependant d'être un obstacle à l'embauche. Avec le niveau d'imposition des entreprises, elles ont une incidence importante sur l'emploi.

Cependant, les organisations bénéficiaires sont en majorité des associations à but non lucratif. Elles ne sont pas imposées. Environ 30 p. 100 d'entre elles sont des groupes autochtones sous une forme ou une autre. Ce sont toutes des associations communautaires, des coopératives et autres qui ne sont pas touchées, tout au moins par les impôts sur le revenu. Elles doivent probablement payer les charges sociales et le RPC et ce genre de cotisations. Mais je crois que l'impôt n'a pas la même incidence sur la création d'emplois dans l'économie en général et chez les organisations bénéficiaires dont il est largement question ici.

M. Maurice Vellacott: Sean, je reconnais que ma question vise essentiellement l'emploi et la création d'emplois et la façon de procéder...

M. Sean Moore: J'avais l'intention d'aller dans le même sens qu'Arthur et de souligner qu'un grand nombre des programmes que le comité est chargé d'étudier profite en fait à des organisations qui ne paient pas d'impôts.

M. Maurice Vellacott: Excusez-moi de vous interrompre, Sean, mais celles qui ont soulevé le plus de questions sont...

Le président: Messieurs les témoins, nous avons observé qu'il était préférable de s'adresser au président. Ce n'est pas une question d'ego de ma part. Nous avons remarqué au cours des autres réunions que cela donne de meilleurs résultats. Je suis certain, Maurice, que la conversation est très sympathique, mais cette règle est utile.

M. Maurice Vellacott: Eh bien, je m'adresse donc à vous par l'intermédiaire du président pour vous faire remarquer que je soulève ce point parce que les questions plus importantes ont été soulevées dans le domaine de la création d'emplois et du type de crédits qui ont été accordés en particulier par le FCCE et le FTCE. C'est la raison pour laquelle j'ai soulevé cette question précise, monsieur le président, si vous le permettez.

M. Sean Moore: Je ne me sens pas à l'aise pour parler des mérites relatifs en matière de création d'emplois, de la réduction des impôts, par rapport à des programmes d'incitation tels que le Fonds du Canada pour la création d'emplois.

Vous avez dit dans vos commentaires que les entreprises ne se plaindraient pas des formulaires si le gouvernement ne leur imposait pas d'autres fardeaux tels que de lourds impôts. Est-ce que c'est cela que vous voulez souligner?

M. Maurice Vellacott: Il disait qu'il serait tout à fait satisfait de ne pas avoir besoin de solliciter des fonds du gouvernement si ce dernier simplifiait les formalités administratives et diminuait les impôts des entreprises et les cotisations sociales. C'était son point de vue.

M. Sean Moore: Je suis désolé, mais je n'ai rien à dire à ce sujet.

Le président: Monsieur Paquet.

M. Gilles Paquet: Il faut bien comprendre que l'impôt est encore un instrument extrêmement brutal qui a des incidences dans toutes sortes de domaines.

Si j'ai bien compris, ces programmes tentent de trouver des solutions locales à des problèmes locaux. On ne peut pas dire qu'il y a un Taux, majuscule T, de chômage canadien, mais plutôt différentes situations très difficiles.

Lorsque le gouvernement retire 30 à 40 milliards de dollars de l'économie chaque année, il est évident que les diverses régions du pays sont touchées de manière différente. Les gens ont beau dire maintenant qu'ils ne se plaindraient pas de l'administration des formulaires si le gouvernement réduisait leurs impôts. J'ai tendance à ne pas vraiment y croire. Si le gouvernement réduisait les impôts de 50 p. 100, ces mêmes contribuables se plaindraient sans doute de certains autres inconvénients.

Comme l'a mentionné Arthur Kroeger, je pense que ce genre de difficultés viennent du fait que vous tentez de régler 70 000 situations différentes à l'aide d'une solution plus ou moins appropriée et adaptée le plus possible aux différentes situations. Dans ce type de choses, il n'est pas facile de trouver un compromis entre cette solution et une diminution générale de l'impôt.

M. Maurice Vellacott: Je pense qu'il me reste encore quelques minutes.

• 1135

Je ressens une certaine frustration. Je suppose que nous nous efforçons d'examiner à fond certains problèmes dans ce secteur, en particulier, je le concède à M. Kroeger, dans certains autres secteurs non touchés. Je ne pense pas que ces secteurs soient concernés; ce sont plutôt les secteurs où nous avons ordonné une demi-douzaine d'enquêtes de la GRC, dans la circonscription du premier ministre. Ce sont les questions de création d'emplois qui sont au centre de la controverse et qui ont tout déclenché.

Je pense qu'il nous incombe de définir de quelle manière nous pouvons obtenir un meilleur service dans ce secteur. Je pense que c'est également l'intention du comité et de nos témoins. Est-ce qu'il y a d'autres façons meilleures de s'y prendre? C'était l'intention au départ.

Je vais passer rapidement à autre chose. Donald Savoie, le professeur, a souligné dans ses publications que, dans le système parlementaire britannique, le rôle du député est extrêmement précis. Un député de l'arrière-ban n'est absolument pas en mesure de jouer un rôle dans la décision d'approuver ou non un projet, dans l'utilisation des crédits, ni dans le choix des personnes qui devraient en bénéficier. Est-ce que l'un d'entre vous peut commenter cette déclaration de Donald Savoie?

Le président: Messieurs, je vous demande d'être extrêmement brefs. Il y aura un autre tour.

M. Arthur Kroeger: Je vais brièvement commenter la question.

Il s'agit de savoir si les députés devraient être consultés au sujet de la répartition des fonds. Cela pose des problèmes évidents, mais en tant qu'ancien fonctionnaire, je vois quelques mérites à cette formule. Imaginez-vous dans un bureau à Kamloops en train d'examiner trois demandes. Vous n'avez pas suffisamment de crédits pour les trois, par conséquent, vous devez faire un choix. Vous examinez les trois demandes. Une paraît meilleure que les deux autres, mais vous n'en êtes pas totalement sûr. Votre décision est d'autant plus complexe que vous devez en rendre compte à vos électeurs.

En fait, il faut constamment prendre des décisions administratives, mais dans un processus aussi discrétionnaire que l'attribution de subventions, il ne me paraît pas mauvais de consulter l'élu local. Je sais que cela peut ouvrir la porte à certains excès politiques, je sais que cela peut prendre la forme de pressions malsaines de la part des députés sur les fonctionnaires qui se trouvent alors dans une situation extrêmement délicate, mais la consultation politique au sujet de l'attribution des deniers publics me paraît avoir un certain mérite.

Le président: Merci.

Je suis désolé, Maurice, mais nous devrons y revenir et j'espère d'ailleurs que vous y reviendrez.

M. Maurice Vellacott: Est-ce que vous me permettez un commentaire?

Le président: Non, Maurice, nous sommes déjà une minute en retard.

Chers collègues, je vais expliquer à nos témoins que nous sommes un grand comité. Le temps imparti aux députés est approximatif. Il comprend la réponse des témoins. Je ne veux pas vous empêcher de parler, c'est tout simplement que Maurice a disposé d'un laps de temps raisonnable. Je suis sûr que nous y reviendrons.

Rey Pagtakhan.

M. Rey D. Pagtakhan (Winnipeg-Nord—St. Paul, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je pourrais peut-être reprendre la conversation là où elle s'est arrêtée. Les députés auraient peut-être en effet un rôle de consultation à jouer. Monsieur le président, j'aimerais tout simplement préciser aux fins du compte rendu qu'une partie de l'appréhension repose sur l'absence d'intégrité que représente l'apposition de la signature du député sur une recommandation de subvention.

Dans le cadre du modeste travail que j'exerçais autrefois, j'avais à examiner des articles pour une revue médicale. Je sais que quand on privilégie l'intégrité et qu'on prend garde aux intérêts partisans, on fait très attention avant d'apposer sa signature. Je voulais tout simplement le préciser pour mémoire.

La thèse voulant que la réduction des impôts favoriserait l'emploi et rendrait inutiles les programmes de création d'emplois, m'a beaucoup intéressé et intrigué. Cela signifie implicitement—ce n'était pas dit, mais c'était quand même très clair—qu'il n'y a pas besoin de subventions ni de contributions et que le gouvernement n'a pas à intervenir dans la création d'emplois.

Ma question s'adresse à M. Kroeger et se rapporte à ses responsabilités antérieures. Considérez-vous que le gouvernement continue d'avoir un rôle à jouer dans le perfectionnement professionnel des citoyens et la création d'emplois au Canada?

M. Arthur Kroeger: Les subventions à la création d'emplois telles que nous les avons connues dans les années 70, 80 et 90 ont donné des résultats plus ou moins bons. Elles ont permis de soulager le chômage à l'échelle locale. Parfois, elles ont permis trop facilement à des gens de rester dans certaines régions du pays où il n'y avait plus d'avenir pour eux. Les subventions leur ont permis de vivre d'années en années partiellement grâce à un emploi créé artificiellement et partiellement grâce à l'assurance-chômage. Il aurait été préférable à long terme que ces gens-là et leurs enfants déménagent dans une région où ils avaient de meilleures perspectives d'emploi.

D'un autre côté, il est bon que le gouvernement puisse intervenir afin de remédier à une mesure qui peut avoir des répercussions disproportionnées dans une région. Les deux points de vue se discutent, mais j'aimerais aborder une question plus vaste concernant l'usage des subventions et contributions. Monsieur le président, les subventions et contributions ont une incidence sur l'emploi, mais elles jouent également un rôle plus large dans la société. Elles contribuent à ce que les politologues comme mon collègue M. Paquet appellent le capital social.

• 1140

Un peu partout dans le pays, il y a des groupes communautaires, des petites organisations, surtout dans les petites localités. Vous savez, le genre d'association qui se constitue pour récolter de l'argent afin de créer un terrain de jeu pour les enfants. Le club Kiwanis offre 10 000 $, on organise une vente de pâtisseries qui rapporte 5 000 $ et la province offre une subvention de 30 000 $. Peut-on s'adresser au gouvernement fédéral et obtenir 50 000 $? Ce genre de débat a lieu constamment dans toutes les régions du pays. Les programmes de subventions et de contributions que proposent les gouvernements fédéral et provinciaux et les municipalités incitent les citoyens à se mobiliser, à se réunir et à entamer des actions communautaires au profit de la collectivité dans son ensemble.

Le gouvernement pourrait bien décider de se désintéresser de tous les programmes qui ne lui rapportent rien et de supprimer tous les programmes de subventions et de contributions, afin de laisser libre cours aux lois du marché. Un économiste pourrait trouver quelques mérites à une telle solution. Mais je pense que d'un point de vue social, les subventions et contributions que le député a évoquées ont un rôle à jouer sur le plan de la cohésion sociale au Canada.

M. Rey Pagtakhan: En tant qu'ancien bénévole d'associations communautaires, j'ai obtenu en vertu du programme du multiculturalisme des subventions qui m'ont initié, en tant que Canadien d'adoption, à la fonction gouvernementale et qui m'ont finalement incité à changer de carrière, pour passer de la médecine à la politique.

Monsieur Moore, vous avez souligné que la technologie pourrait être mise à profit pour la saisie des données et les interactions. Jusqu'à présent, je ne sais pas exactement si le gouvernement est en mesure d'utiliser une source naturelle de données, d'informations, en vue de procéder à l'amélioration de nos activités de développement de politiques et d'utiliser par exemple les projets financés actuellement pour l'amélioration future de nos politiques

Comment la technologie peut-elle favoriser de telles interactions? Pouvez-vous dire, d'après votre propre expérience, que les données que nous avons à notre disposition peuvent servir de dénominateur commun pour toutes les subventions et contributions à l'échelle de tout le gouvernement? Il faudrait par conséquent organiser des sous-sections à l'échelle de chaque ministère afin de pouvoir réunir toutes les données dans un modèle intégré grâce aux moyens informatiques dont nous disposons aujourd'hui. J'aimerais entendre vos trois points de vue à ce sujet.

M. Sean Moore: J'aimerais que le gouvernement nous donne les moyens d'effectuer ce genre de comparaison. La simple comparaison des adresses électroniques du gouvernement révèle que leur composition varie d'un ministère à l'autre.

Quand vous vous demandez dans quelle mesure le gouvernement dispose des systèmes qui lui permettraient de mettre en communication plusieurs ministères différents, est-ce que vous faites allusion uniquement aux subventions et contributions?

M. Rey Pagtakhan: Oui.

M. Sean Moore: J'aimerais que ce soit possible. Je ne sais pas dans quelle mesure les données recueillies par le système de gestion des informations pour ce type de programmes à DRH seraient utiles ou permettraient certaines comparaisons à Industrie Canada, mais par contre, je sais que la tâche qui consiste à recevoir les demandes imprimées, à en saisir les données est à les manipuler serait grandement facilitée si elle était faite de manière à favoriser ce type de comparabilité.

Nous travaillons pour plusieurs entreprises de haute technologie et je suppose que l'autre problème qui se pose est l'évolution rapide de la technologie, des logiciels et des plates-formes de logiciels. Ces choses-là changent très souvent. Il faudrait sans doute changer d'approche tous les trois ou quatre ans. Or, c'est probablement le temps qu'il faudrait à certains ministères pour installer ces programmes et les faire fonctionner.

Pour ce qui est de la comparabilité à l'échelle de l'ensemble du gouvernement, je ne suis pas très optimiste, mais je pense que certains ministères pourraient au moins en retirer d'importants avantages administratifs.

M. Rey Pagtakhan: Monsieur Paquet et monsieur Kroeger, avez-vous quelques commentaires à ajouter?

• 1145

M. Gilles Paquet: Je ne pense pas que ce soit un problème technique. Le véritable problème, c'est qu'on fait face à des situations extrêmement différentes dans les diverses régions du pays. Vous pourrez résoudre les questions techniques, mais elles sont négligeables. Le véritable problème, c'est que les situations qui se présentent dans le Bas-Saint-Laurent, à Kamloops ou dans les Maritimes sont très différentes et exigent de poser un jugement. D'après moi, il n'existe pas encore d'ordinateur capable de se substituer au jugement d'une personne.

M. Rey Pagtakhan: Monsieur Kroeger—par votre entremise, monsieur le président.

M. Arthur Kroeger: Je pense, monsieur le président, que l'on progresse beaucoup dans ce domaine à l'heure actuelle. On a beaucoup parlé de la gestion des subventions et contributions. Je ne suis pas dans le secret, mais j'aurais pensé que les principaux ministères concernés auraient consacré beaucoup d'efforts à cette question. Grâce à la technologie existante, ils devraient pouvoir faire des progrès raisonnables au cours des prochaines années.

Le président: Très bien. Nous pouvons maintenant passer à Paul Crête.

J'aimerais vous signaler, chers collègues, que nos travaux de jeudi porteront sur les moyens de surveiller les subventions et contributions et ce genre de choses.

Passons maintenant à Paul Crête, Raymonde Folco, Larry McCormick, Brian Wilfert, Stéphan Tremblay et Judy Sgro.

[Français]

M. Paul Crête (Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, BQ): Messieurs Kroeger, Paquet et Moore, vous semblez oublier que la question de la gestion des subventions est assujettie à la théorie des balanciers. Si on a identifié un problème il y a longtemps—d'ailleurs, des vérifications menées en 1991 et en 1994, à l'époque où M. Kroeger était sous-ministre, avaient relevé des problèmes importants—et qu'on dit que pour éviter de créer des conflits, il ne faut pas qu'on règle la situation, eh bien, l'autre bout de la ligne consistera à dire que les gens qui soutiennent que ces programmes ne sont pas utiles vont gagner la bataille. C'est comme cela que la politique fonctionne. S'il n'y a pas d'ajustement aux programmes en temps opportun, en bout de ligne, ce sont ceux qui prônent l'abolition des programmes qui vont gagner.

Dans la situation présente, en tant que personne favorable à ces programmes, je souhaite qu'il y ait suffisamment d'honnêteté au niveau de la gestion des programmes pour qu'on puisse éviter que les entreprises de chez nous, qui ont droit à ces subventions et qui contribuent au développement de l'économie régionale, se voient privées de ce moyen-là parce qu'on aura décidé que ces programmes ne sont plus utiles. Cette décision n'aura pas nécessairement été prise parce qu'on aura jugé que les programmes sont bons ou ne le sont pas, mais parce que leur gestion aura fait défaut. Les gens soutiennent tout le temps que nous, les élus, devons être imputables des gestes que pose notre gouvernement. Comme élus, il faut qu'en bout de ligne, nous puissions être imputables. Cela m'apparaît important.

Puisque le sujet à l'ordre du jour est le rôle du député, j'aimerais vous entendre nous parler du rôle d'un député important, soit le ministre, face à cette situation.

Je vous donne un exemple. Le 10 avril 1997, une entreprise de Montréal recevait une subvention de 700 000 $ pour créer des emplois dans le domaine du textile. Jusque-là, il n'y a pas de problème. Mais nous avons en main une lettre datée le 25 mars qu'a signée l'employeur concerné et dans laquelle il avise déjà les employés que la subvention sera versée à une autre entreprise. L'employeur les rassure en leur disant qu'ils ne perdront pas leur emploi puisqu'ils seront mutés à l'autre entreprise qui leur versera désormais leur salaire.

Entrevoyez-vous des solutions possibles à ce genre de situations afin qu'on puisse s'assurer que les sommes affectées à un fonds de création d'emplois puissent être utilisées en vue de la réalisation de cet objectif et qu'on puisse désormais éviter ce genre de situation? Je ne fais pas ici d'accusation officielle au sujet d'une distribution partisane de l'argent par le parti au pouvoir, mais je relève plutôt une situation où il y a certainement eu une mauvaise gestion d'une somme de 700 000 $ qui a été versée à une entreprise qui n'a créé aucun nouvel emploi, qui n'a fait que déménager ses employés d'une place à l'autre.

Je vous donne comme exemple cette dynamique afin que nous puissions examiner cette question du rôle politique par rapport à des décisions de ce type. Quel genre de solutions nous proposeriez-vous afin qu'on en vienne à éviter—je ne dis pas qu'il ne peut pas y avoir des exceptions—que ce genre de situation soit en quelque sorte érigé en système?

M. Gilles Paquet: Il ne faudrait pas traduire l'appel à la prudence que nous avons fait tous les trois comme une sorte de bénédiction de la mauvaise gestion, une bénédiction de la magouille ou une bénédiction des formes de dérèglement qui peuvent exister. Ce n'est pas le cas. Il est très clair que quand il y a une mauvaise gestion, il faut qu'on corrige les lacunes. Le problème, c'est qu'on a l'impression—et là je parle en tant que quelqu'un qui voit ça de la mezzanine—qu'on va chercher la bête noire et qu'on cherche à donner l'impression qu'il y a eu un vaste gaspillage de 1 milliard de dollars, alors qu'en réalité, il y a peut-être eu une demi-douzaine ou une douzaine d'impairs importants.

• 1150

La résolution de ce problème ne réside pas dans la création d'un État policier qui va régler, doubler, tripler et quadrupler les vérifications, mais plutôt dans un certain effort pour accepter l'idée qu'on ne jugera pas un programme uniquement en fonction des erreurs de gestion minimes qui ont été commises. Comme le disait notre ami Kroeger, s'il y avait à l'époque 70 000 versements et qu'on en trouve un certain nombre qui sont un peu difficiles à expliquer, il ne faut pas remettre en question le programme simplement parce qu'on a trouvé des impairs.

Les solutions administratives à cela sont réalisables. La technologie peut nous aider. Mais ce qui me fait peur, c'est qu'on risque, comme vous le dites, de jeter le bébé avec l'eau du bain et de trouver des peccadilles administratives qui sont indéfendables pour attaquer un programme qui a d'autre part des impacts importants.

À mon avis, la façon de mesurer cela consiste à contrer cela, à en arriver à des mesures d'évaluation un peu plus transparentes, un peu plus claires et un peu plus périodiques qui vont nous permettre de mettre ces petits impairs en contexte. Si on pouvait par exemple vous assurer que sur les 30 000 versements qui ont été faits au cours d'une année, il y en a 29 990 qui sont impeccables, vous n'auriez pas à vous préoccuper beaucoup de ce qui s'est passé puisque l'évaluation s'occuperait du reste.

Ce qui est inquiétant pour le moment et qui n'a pas transparu aux yeux du public, c'est qu'on n'a pas l'impression très claire qu'on vous a convaincus—on vous a peut-être mal informés—que le gros de ces transactions est tout à fait impeccable. Or, l'impression que j'ai lorsque j'examine la situation de la mezzanine, c'est qu'on ne nous a pas dit que c'était mal fait; on a simplement monté en épingle un, deux ou trois cas juteux, et cela a suffi pour remettre en question l'intégrité du programme comme tel.

M. Paul Crête: Monsieur le président, je voudrais dire au témoin que le vérificateur général, qui porte l'étendard quand on doit mettre en lumière des situations difficiles, a dit que la situation était très grave au ministère du Développement des ressources humaines. Il ne nous a pas dit que c'était des peccadilles. Il nous a rappelé qu'il y avait eu des vérifications internes en 1991 et en 1994 lors desquelles il avait relevé des difficultés du genre de celles qui ont surgi en l'an 2000 et qu'à la suite des trois évaluations, il n'y avait eu aucune correction dans le système. Et aujourd'hui, on s'apprête à entamer un débat politique pour déterminer si ces programmes de création d'emplois sont nécessaires ou pas, alors que le fond de la question n'a pas encore été réglé, à savoir si les programmes de subventions ont ou n'ont pas été gérés correctement par le gouvernement fédéral.

Je ne suis pas d'accord avec le témoin lorsqu'il affirme que ce sont des peccadilles. On parle entre autres d'une subvention de 700 000 $ à une entreprise de Montréal. Je suis plutôt d'accord avec vous lorsque vous affirmez qu'il faudrait faire la lumière et s'assurer qu'il y ait une transparence suffisante. N'arriverait-on pas à faire cela en modifiant, par exemple, nos pratiques administratives afin que nous puissions demander au ministre en poste de venir témoigner pendant cette période? Ne faudrait-il pas avoir recours à un processus d'enquête publique indépendant parce que les députés sont partie à cette décision-là? Est-ce qu'il n'y aurait pas moyen que le gouvernement fasse preuve de plus d'originalité dans ce sens-là?

[Traduction]

Le président: Vous avez une minute.

[Français]

M. Gilles Paquet: Monsieur le président,

[Traduction]

c'est assez important pour reconnaître également que si vous pouvez citer le vérificateur général... le vérificateur général cherche à savoir si les choses ont été bien faites et de manière économique. Son travail ne consiste pas à vérifier si l'on a pris la bonne décision.

En vérité, il faudrait faire une évaluation plus large qui permettrait de révéler ce qui ne fonctionne pas, afin de l'éliminer, et qui permettrait au public et à vous les membres du comité d'avoir une plus large perspective et de décider si la tâche a été bien faite. En effet, il est important de veiller à faire les choses de manière économique, mais on ne saurait négliger l'importance de choisir la bonne solution.

Le président: Monsieur Kroeger, très brièvement.

M. Arthur Kroeger: Je voulais simplement ajouter un commentaire supplémentaire.

Pendant des années, les vérifications ont révélé l'absence d'une surveillance appropriée, l'absence de traces écrites suffisantes; elles ont réclamé un contrôle plus étroit de la gestion de ces programmes. La dernière vérification n'a pas fait exception, mais elle a révélé un problème encore pire.

Ce qui est frappant, c'est que toutes ces vérifications ont révélé très peu de malversations, ou de détournements de fonds. Malgré les graves lacunes au niveau de la gestion, les organisations bénéficiaires, à quelques exceptions près, ont utilisé l'argent de manière consciencieuse pour les raisons prévues. Si vous examinez les longues listes d'organisations bénéficiaires, vous comprendrez pourquoi.

• 1155

Les gens qui travaillent dans les associations communautaires ne sont pas là pour s'en mettre plein les poches ni pour garnir celles de leurs amis. Ils travaillent en fait pour le bien-être de la communauté. Et s'il faut exercer une certaine surveillance, il faut bien reconnaître que depuis de nombreuses années, extrêmement peu de fonds ont finalement été détournés de leurs fins premières.

[Français]

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Si vous me le permettez, j'aimerais revenir sur une question qui, à mon avis, est plus large et a trait au rôle des députés d'une façon peut-être plus globale.

C'est sûr que l'équilibre que nous cherchons au Parlement par rapport à la fonction publique en général et non pas seulement par rapport au ministère du Développement des ressources humaines, est un équilibre entre un contrôle de la façon dont les deniers publics ont été utilisés d'une part et la flexibilité au niveau du service au client d'autre part. Je pense que c'est un peu de cela que nous parlait M. Paquet tout à l'heure pendant sa présentation.

Ce qui m'intéresse a trait au rôle du Parlement. M. Kroeger nous disait justement qu'il voyait la possibilité d'un input de la part des députés lors de l'attribution des budgets locaux.

J'aimerais revenir à une étape qui précède l'attribution des budgets, à savoir l'élaboration des programmes. Je pense que ma question s'adressera surtout à M. Kroeger et à M. Paquet, mais vous serez évidemment le bienvenu si vous désirez y répondre, monsieur Moore.

Selon vous, au chapitre de l'élaboration des programmes, est-ce que le rôle des députés se limite simplement à énoncer des objectifs généraux, après quoi la fonction publique, à tous ses niveaux, regarde le détail et conçoit les programmes, ou si vous pensez que le Parlement devrait avoir un input important?

Je pense à d'autres personnes, des personnes à l'extérieur du gouvernement, qui ont écrit et qui vont écrire sur le rôle du député. Je me réfère entre autres au livre qu'a publié Donald Savoie l'été passé sur le rôle du député et sur le peu de cas qu'on fait des députés d'arrière-ban. Je fais aussi allusion au Centre parlementaire qui, par l'entremise de M. Dobell, s'intéresse lui aussi à la question.

Cette question n'est pas simple. Bien qu'elle soit liée à l'élaboration des programmes, j'aimerais que vous alliez plus loin et approfondissiez la question du rôle des députés. Merci.

M. Arthur Kroeger: Monsieur le président, je dois vous donner une réponse assez diverse parce qu'il y a différents niveaux. De façon plus générale, il est très important que les députés examinent attentivement les projets de loi qui leur sont soumis, y compris les détails d'un programme proposé, les impact d'une nouvelle mesure et les sommes qui y sont affectées. Ce sont des questions importantes.

Il y a évidemment des limites quant à la possibilité d'une surveillance accrue de leur part. Le rôle des députés n'est pas le même que celui des fonctionnaires. On ne demande pas aux députés d'être des spécialistes. Leur rôle est assez différent: ils doivent veiller à l'intérêt public. Je crois que c'est surtout à ce niveau que se situe leur importante contribution, ce qui comprend principalement l'examen de la législation.

Tout cela étant dit, il est aussi vrai que les députés sont parmi les personnes les mieux placées pour faire un bilan local. Le député peut dire que le Parlement avait fixé tel objectif et que, dans sa circonscription, l'impact est différent de celui qu'on recherchait. C'est un rôle très légitime pour les députés que de s'exprimer quand des problèmes sont évidents.

• 1200

M. Gilles Paquet: Permettez-moi d'aller un peu plus loin. Je crois que M. Kroeger a tout à fait raison, bien qu'il faille reconnaître que l'ancien modèle de Westminster, que défendent encore certains collègues et certains parlementaires et qui veut que la Chambre des communes définisse les grandes politiques et qu'ensuite les fonctionnaires puissent les appliquer mécaniquement, est justement désuet et caduc. Il est impossible de gérer un pays moderne de cette manière-là. Il faut que les élus gouvernent, oui, mais il faut aussi qu'ils soient assez bien informés pour s'allier aux bureaucrates de toutes sortes de manières. Or, il est vrai, comme le disait Arthur Kroeger, que lorsque le député soumet son point de vue ou son avis ou éclaire la question, on ouvre peut-être la porte à des abus. Malheureusement, c'est incontournable.

Je ne vois pas comment, dans nos sociétés, les élus pourraient être simplement dans l'arrière-ban à voter conformément à la logique du parti, sans penser au moment de l'adoption de grandes lois et être ensuite muets à perpétuité parce qu'ils n'auraient pas le droit de parler pour défendre et expliquer les valeurs, les intérêts et les problèmes des gens qui les ont élus.

Donc, il faut que le rôle du parlementaire soit plus important. Dans une société comme la société américaine, les membres du Congrès américain ont beaucoup plus de voix dans les comités et beaucoup plus de façons d'intervenir pour influer les politiques que c'est le cas chez nous. À mon avis, c'est quelque chose qu'il faudrait non pas copier, mais accepter de considérer comme étant... On sait que tous les gouvernements qui arrivent au pouvoir promettent un rôle plus grand aux députés. Je n'ai pas vu cela de mon vivant. J'espère le voir avant de mourir.

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président. Je vous remercie.

[Traduction]

Le président: Sean.

M. Sean Moore: J'aimerais ajouter une chose.

Je crois bien que si les députés devaient jouer un rôle important dans les décisions concernant ces demandes, cela ne durerait pas très longtemps, parce que prendre des décisions, cela veut dire faire des choix et quand on fait des choix, il faut expliquer aux personnes concernées pourquoi on n'appuie pas leurs projets. Les députés devraient donc expliquer qu'ils n'appuient pas leurs projets pour des raisons administratives ou, au contraire, parce que leur parti s'oppose à ce type de subventions directes à la création d'emplois.

Je pense qu'il serait également particulièrement difficile, compte tenu du mécanisme de prestation de bon nombre de ces programmes qui, bien qu'ils soient financés par le gouvernement fédéral, sont offerts par l'entremise des gouvernements provinciaux, dans certains cas. Par conséquent, les députés de la Chambre des communes exerceraient une influence tout à fait différente sur les dépenses dans les différents programmes.

Comme dit le proverbe, chinois je crois, il faut se méfier des souhaits. Je mets en garde les députés qui souhaitent modifier le rôle qu'ils ont à jouer dans les décisions concernant les demandes de subventions comme on en a parlé aujourd'hui.

Le président: La parole est maintenant à Larry McCormick, puis à Bryon Wilfert, Stéphan Tremblay, Judy Sgro et au président.

M. Larry McCormick (Hastings—Frontenac—Lennox and Addington, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'aimerais remercier les témoins d'être venus partager avec nous leur grande sagesse sur les questions qui nous intéressent aujourd'hui.

Faites attention, parce que nous obtenons ce que nous demandons. Tout à l'heure, je siégerai à un autre comité, puis à un autre. C'est dommage que même en comité, les gens continuent à agir par pure partisannerie. Oui, je veux qu'on me rende des comptes. Je paie des impôts, comme tous les Canadiens.

J'avais des questions sur les partenariats et la reddition de comptes, mais j'ai entendu le DRH tous les jours à la Chambre ces derniers mois. Bien sûr, c'est politique; bien sûr qu'il y a eu des erreurs, mais est-ce qu'un des témoins peut nous dire s'il existe des solutions? Les députés se lèvent, posent des questions, protestent, en oubliant que leur propre parti et leur propre province ont donné leur aval. Ici même, il y a quelques minutes, il a été question de la circonscription du premier ministre, alors qu'il est prouvé que certaines circonscriptions représentées par leur parti ont reçu plus d'argent que la circonscription du premier ministre.

Tout ça c'est très bien, et vous avez tous une expérience dans votre domaine, mais comment pouvons-nous en finir avec tout ce remue-ménage politique? Nous avons un plan pour régler le mieux possible toutes ces situations. Est-ce que nous continuons à travailler malgré la tourmente ou est-ce que nous devons totalement modifier ce que nous voulions faire? Est-ce que nous devons apporter des correctifs sévères, malgré l'avertissement que vous nous avez lancé tout à l'heure?

• 1205

M. Arthur Kroeger: Monsieur le président, je ne suis probablement pas la bonne personne pour donner des conseils sur la façon de mettre un terme à une controverse politique, parce que j'ai toujours été de l'autre côté de la barrière. Je ne vais donc pas me prononcer à ce sujet, cependant, je pense qu'il est important de passer à quelque chose de constructif une fois que l'on a suffisamment débattu des aspects politiques. Il est important de reconnaître les dégâts et de voir ce que l'on peut en faire par la suite. Quelles mesures raisonnables et équilibrées peut-on prendre pour éviter que cela se reproduise?

En tant que citoyen, tout ce que je peux espérer, c'est que cela soit possible. Je pense qu'une grande partie de la population souhaite que l'on accorde maintenant plus d'attention aux mesures constructives à mettre en place à l'avenir, plutôt de continuer encore à pointer du doigt et à accuser pendant deux mois.

M. Larry McCormick: Messieurs, pensez-vous que les problèmes ont été aggravés par le fait que nous devions collaborer avec les provinces? Encore une fois, c'est une question politique, mais pensez-vous qu'il serait utile qu'un autre palier de gouvernement légitime approuve le projet? Je suis certain d'ailleurs qu'ils le font avec sérieux.

Je me demande si l'un d'entre vous a des commentaires à formuler à ce sujet.

M. Gilles Paquet: Je pense que vous venez de mettre le doigt sur le défi que vous aurez à relever au cours des dix prochaines années. Vous n'êtes pas capables de résoudre la plupart des problèmes qui se posent aux citoyens sans traiter avec la province, la municipalité, le secteur privé ou le secteur communautaire.

Malheureusement, monsieur McCormick, cela ne va pas vous rendre la vie plus facile. Puisque vous avez réparti les paliers de gouvernement, cela signifie qu'il faudra aussi répartir la responsabilité. Cela signifie que vous devrez accepter une responsabilité plus floue, plus souple—pas nécessairement moins réelle, mais vous devrez accepter qu'elle soit négociée.

C'est comme lorsqu'on apprend à faire de la bicyclette. Si vous insistez pour obtenir un manuel d'utilisation, vous n'apprendrez jamais à faire de la bicyclette. Si vous essayez de rédiger les règles, vous vous apercevrez que c'est une tâche impossible. Il vous faudra donc accepter qu'un brin de confiance, certains principes généraux et un peu de délibérations permettent de clarifier tout ça. Mais vous ne l'obtiendrez pas nécessairement dans un système de gouvernement qui repose sur la confrontation.

Il est arrivé, par le passé, que l'on puisse surmonter cet obstacle. Je constate qu'il existe un certain sentiment d'agressivité, une attitude de confrontation aux niveaux supérieurs du gouvernement. Par contre, si vous regardez comment cela se passe dans l'administration, vous constaterez que les fonctionnaires des paliers fédéral, local et provincial ont trouvé des façons de très bien travailler ensemble.

M. Larry McCormick: Monsieur le président, j'ai un dernier commentaire.

Ces programmes et services sont très utiles dans toutes les régions du pays. Étant président du caucus rural du gouvernement, cela a toujours fait partie de mes préoccupations. Quant au fait que nous réagissons avec excès... La plupart des employés de DRHC sont des gens extraordinaires qui souvent ne ménagent pas leurs efforts. Pourtant, trop de programmes ont été supprimés à cause de tout le battage que cette affaire a occasionné à la une des journaux et à la télévision. Pourtant, le besoin est criant, surtout dans les régions rurales du Canada et dans certaines régions plus éprouvées que les autres.

Le président: Merci, Larry.

Bryon Wilfert.

[Français]

puis Stéphan Tremblay.

[Traduction]

M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Messieurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'être venus nous rencontrer et de nous avoir présenté des exposés très intéressants.

Il y a une question dont personne n'a vraiment parlé dans cette discussion. Quand on a un trou dans le toit, on ne jette pas toute la maison par terre pour le réparer. Il me semble que, depuis quelques mois, nous nous sommes concentrés uniquement sur la démolition de la maison plutôt que d'essayer de boucher le trou dans le toit.

Certains d'entre vous ont parlé de la question de l'«intérêt public»; c'est une notion dont j'aimerais avoir une définition plus précise, parce que tout dépend souvent de celui qui la définit. C'est évidemment très différent selon le côté de la Chambre où on siège, même si nous avons tous admis qu'il y avait clairement des problèmes administratifs, qui sont peut-être systémiques, mais peut-être pas. J'aimerais savoir ce que vous en pensez et si vous jugez que c'est un aspect sur lequel nous devrions nous pencher.

• 1210

Nous devons nous assurer que la population, les bureaucrates et le Parlement, et aussi les médias, sont convaincus qu'un des sept programmes administrés par DRHC est en fait une bonne chose—ce qui est discutable, d'ailleurs. Mais, si c'est une bonne chose, que pouvons-nous faire pour regagner la confiance générale, étant donné tout particulièrement ce que M. Paquet a dit au sujet de la responsabilité souple et du fait qu'il y a maintenant une foule de tierces parties en cause? Il y a nous, mais aussi les provinces, parfois les administrations municipales et le secteur privé. Si un de ces échelons manque à ses engagements envers un bénéficiaire, il semble que le blâme retombe sur nous. En fait, on n'entend pas tellement parler des autres.

Donc, j'aimerais que vous nous fassiez part de vos réflexions sur la façon de concilier tout cela.

Quelqu'un a parlé du rôle des députés, et vous avez mentionné les interventionnistes au Congrès américain, par rapport à ceux qui préfèrent ne pas intervenir. À cause de la nature de notre régime fédéral, nous avons créé dans bien des domaines—à mon grand désarroi, d'ailleurs—toutes sortes d'offices et d'organismes indépendants, ce qui est très bien en théorie. Mais, en réalité, ce n'est pas eux qui reçoivent les téléphones quand les choses tournent mal. Ce sont les députés.

Donc, d'un côté, selon un des scénarios possibles, nous n'aurions rien à dire au sujet des subventions et des contributions, mais nous devrions quand même, en fin de compte, essuyer le tir des critiques. De l'autre côté, nous pourrions adopter une approche interventionniste et participer activement aux décisions, et nous nous ferions quand même tirer dessus. Donc, est- ce qu'il y aurait à votre avis un moyen d'essayer de résoudre le problème en adoptant une approche équilibrée, compte tenu de tous ces facteurs?

Le président: Vous avez deux ou trois minutes pour répondre à toutes ces questions.

M. Bryon Wilfert: Vous pourriez certainement vous montrer plus libéral.

Le président: Non, je ne peux pas.

M. Arthur Kroeger: Un vétéran de l'Aviation canadienne a déjà dit: «Si vous ne vous faites pas tirer dessus, c'est que vous n'êtes pas au-dessus de la cible.» Je n'ai pas besoin de vous dire que les critiques font partie du métier de député.

Pour en revenir à un commentaire de Gilles Paquet, il m'apparaît irréversible que les gouvernements soient appelés de plus en plus souvent à travailler en collaboration non pas avec une seule organisation, mais avec plusieurs, ce qui va rendre la reddition de comptes plus diffuse. J'aime bien l'expression «responsabilité souple». Je pense que c'est une façon plus contemporaine de voir la chose.

En effet, les organisations ne doivent pas rendre des comptes seulement à ceux qui leur donnent de l'argent, mais aussi au grand public, à leurs clients, à leurs employés, aux gens qui leur ont fait des dons à l'occasion de leurs campagnes de financement. La responsabilité est donc plus diffuse.

C'est quelque chose de très concret pour certaines de ces organisations; si une organisation de bienfaisance semble plutôt brouillonne dans sa façon d'administrer un programme et de gérer son argent, elle en paie le prix. Elle reçoit moins de contributions. Elle en subit donc les conséquences. Ces conséquences sont loin d'être aussi visibles que les répercussions que vivent les députés, mais je pense que c'est inévitable. Ça fait partie du métier.

M. Gilles Paquet: À mon avis, vous ne faites qu'amplifier la question. Si c'est irréversible, il a falloir mettre au point de nouveaux outils. À mon avis, un de ces nouveaux outils, qui se développe beaucoup trop lentement d'ailleurs, c'est la présentation de rapports collectifs. Quand cinq groupes travaillent ensemble, mais présentent leurs rapports séparément, on n'a jamais de vue d'ensemble de la situation.

C'est la même chose pour la transparence. Il n'y a rien de mieux que des rapports transparents et réguliers. Ça révèle les inepties et ça permet de les corriger. Ça semble très simple, mais c'est impossible pour le moment parce que personne n'a droit à l'erreur.

• 1215

À mon avis, la seule façon d'apprendre, c'est de corriger ses erreurs. Quand on nie ses propres erreurs simplement par instinct de survie, on se prive en même temps d'un apprentissage, en un sens. Donc, les nouveaux outils seront des rapports d'un genre nouveau, plus réguliers, et la reconnaissance du fait qu'il ne suffit pas de poser des questions sur les formulaires qui ont été remplis... Il ne faut pas chercher à savoir si la chose a été bien faite, mais plutôt si c'était la chose à faire.

Le président: Je laisse la parole à Stéphan Tremblay.

[Français]

M. Stéphan Tremblay (Lac-Saint-Jean, BQ): J'aimerais vous donner l'exemple d'un programme qui est d'ailleurs le seul programme pour lequel le député a un mot à dire. Il s'agit des Placements carrière-été. Dernièrement, dans mon cas—et je pense que c'est le cas pour tout le monde autour de cette table—, j'ai dû faire des choix quant à la gestion des fonds.

En ce qui me concerne, l'enveloppe était de 300 000 $ et dans les faits, on avait des demandes pour 1 million de dollars. J'ai donc établi des orientations et des critères d'admissibilité. Je les ai établis avec les fonctionnaires de DRHC. J'ai obtenu une très bonne collaboration de leur part et on a fait part à la population de nos orientations. Ensuite, nous avons fait la sélection du côté de mon bureau et le fonctionnaire a fait la même chose de son côté. On est arrivés à la conclusion que 90 p. 100 des décisions étaient les mêmes, puisqu'on s'était donné des orientations très précises.

Ce modèle, que j'appellerais le modèle de codécision entre le fonctionnaire et l'élu, ne serait-il pas applicable à d'autres programmes gouvernementaux, puisque, comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur Kroeger, le député se promène sur son territoire et connaît les organismes de son comté, ce qui lui est utile quand il doit prendre une décision et faire des choix entre certains organismes. Il est sur le terrain et il connaît leurs besoins.

Donc, ce modèle de codécision ne pourrait-il pas être utilisé dans les programmes généraux? Ce modèle fait en sorte qu'aujourd'hui, je ne peux pas m'attaquer au ministre pour les décisions qui ont été prises, puisque j'y ai participé. La seule chose que je peux faire, par contre, c'est me plaindre des 300 000 $ qu'on m'a alloués. Ce n'est pas assez. Voilà.

M. Arthur Kroeger: Monsieur le président, c'est un exemple très intéressant d'une collaboration très fructueuse entre un député et des fonctionnaires locaux. J'ai été sous-ministre à Emploi et Immigration pendant quatre ans et j'ai souvent visité des bureaux locaux et régionaux. Dans beaucoup de cas, j'ai eu l'impression qu'une telle collaboration existait. Elle n'était pas toujours assez étroite, mais on retrouvait ce même principe où le personnel du bureau du député ou le député lui-même et les gestionnaires locaux entretenaient un dialogue continu sur les besoins des organisations locales et sur les projets possibles. Je suis entièrement d'accord avec M. Tremblay. C'est un bon modèle pour le futur.

M. Stéphan Tremblay: Pensez-vous qu'il est transposable dans d'autres domaines? Serait-il transposable dans d'autres secteurs, dans d'autres projets de Développement des ressources humaines?

M. Arthur Kroeger: Oui, bien sûr. Il est vrai que la collaboration entre les députés et les fonctionnaires pour les projets d'emplois existe depuis longtemps. Pendant les années 1970, pour les Programmes d'initiatives locales, c'était la même chose. Il y avait des consultations avec le député. Il y a une longue histoire de collaboration au ministère du Développement des ressources humaines, mais j'ai l'impression que dans d'autres domaines, au ministère du Patrimoine canadien par exemple, il y a aussi certains bons exemples de collaboration entre les élus et les fonctionnaires.

Le président: Ça va, Stéphan?

M. Stéphan Tremblay: J'aurais poser une autre question. Dans l'exemple que je vous ai donné, le député se retrouve avec une enveloppe très précise dont il doit faire la gestion. Les autres programmes de Développement des ressources humaines peuvent parfois être tels qu'il y a une enveloppe par région. Ici, au fédéral, le Québec est considéré comme une région. Donc, il n'y a pas de sommes systématiquement attribuées par comté. Les sommes sont distribuées selon la demande partout au Québec, en Atlantique, etc.

• 1220

Serait-il possible d'en arriver quand même à la codécision là où il n'y a pas de sommes précises octroyées à des comtés précis, étant donné que pour d'autres programmes, certains comtés n'auront absolument pas de subvention et d'autres en auront, compte tenu du fait que les demandes qui ont été faites sont beaucoup plus pertinentes en vertu du programme?

M. Arthur Kroeger: Monsieur le président, je pense que cela pourrait être assez complexe. Il faudrait voir si tous les députés d'une région sont du même parti, par exemple, parce qu'il y a toujours possibilité de réactions diverses et de désaccord entre les députés.

Pour de grands projets, des projets industriels, il vaut parfois mieux avoir la collaboration du gouvernement provincial et consulter les provinces sur l'impact, parce que l'impact est plus grand qu'il ne l'est dans situation locale. Il y a aussi la possibilité d'avoir une certaine consultation avec les députés, mais ce serait très compliqué de mettre un peu d'argent ici, un peu d'argent là. Pour réaliser certains projets dont l'impact est très grand, il faudrait avoir beaucoup d'argent.

[Traduction]

Le président: C'est maintenant au tour de Judy Sgro.

Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): Merci beaucoup.

J'ai trouvé très rafraîchissant de vous écouter tous les trois ce matin et de discuter de ce que nous pourrions faire pour corriger le problème. Ce qui m'intéresse surtout, ce sont les outils nécessaire pour surveiller la situation; nous allons d'ailleurs en parler à la prochaine séance.

Le fait est que la distribution des subventions et des contributions suscite des interrogations depuis 1977. Les problèmes que nous constatons aujourd'hui ne sont donc pas nouveaux. La question est de savoir ce que nous pouvons faire dans le but de nous assurer une fois pour toutes que tous les indicateurs nécessaires sont en place afin que le programme se déroule comme nous le voulons. Mais en même temps, pour en revenir à ce qu'a dit M. Moore, il ne faut pas que les demandes de subventions, par exemple, soient trop difficiles à présenter. C'est exactement ce que vous avez dit; je connais beaucoup d'organisations qui ne se donnent même pas la peine d'essayer parce que c'est trop compliqué et trop difficile, mais en même temps, on nous demande si nous avons géré les programmes correctement.

Donc, je suppose que nous sommes en quelque sorte pris entre deux feux. Quelles réponses nous proposez-vous? Que devrions-nous faire, et comment pourrions-nous adopter de meilleures mesures de contrôle?

M. Sean Moore: Je ne sais pas qui conçoit ces formulaires. Arthur le sait peut-être.

Je passe beaucoup de temps à m'occuper de formulaires, et à répondre à des demandes de propositions du gouvernement. Je sais que ce n'est pas à l'ordre du jour de vos audiences, mais à mon avis, il pourrait être extrêmement intéressant d'examiner les conditions énoncées dans les demandes de propositions que le gouvernement lance pour se procurer des biens et des services, parce qu'elles mettent automatiquement de côté toutes sortes d'organisations. Elles sont tellement complexes qu'il faut avoir quelqu'un qui en a l'habitude et qui sait comment remplir les formulaires.

J'ai malheureusement l'impression, comme Arthur et Gilles l'ont mentionné tous les deux ce matin, que tout ce qui s'est passé au cours des trois ou quatre derniers mois sur le front politique semble indiquer que nous allons prendre la direction opposée, à moins que votre comité ait assez d'influence pour amorcer un changement de cap. À mon avis, il faudrait simplifier considérablement ces formulaires même si, comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai examiné ceux qui se rapportent aux différents programmes et je ne les ai pas trouvés particulièrement compliqués. Mais je ne suis peut-être pas bon juge en la matière parce que je passe énormément de temps à m'occuper de ce genre de choses.

Il doit sûrement y avoir des gens qui ont à la fois des aptitudes en gestion et des talents de communicateurs, et qui pourraient aider le gouvernement à obtenir le genre d'information dont il a besoin pour prendre ses décisions.

• 1225

Encore une fois, je suis tout à fait d'accord avec Gilles quand il dit qu'il y a des limites à la simplification des formulaires, des limites aux solutions technologiques, parce qu'en définitive, il faudra quand même que quelqu'un se fasse une idée sur ce que ces documents contiennent.

Il me semble que les renseignements demandés sur ces formulaires dénotent souvent un comportement obsessif-compulsif. Il serait très intéressant de demander à quelqu'un d'analyser ces formulaires, pas seulement d'un point de vue d'administration et de gestion, mais également pour déterminer si l'information qui y est demandée va au-delà de ce qui est vraiment nécessaire à la prise des décisions. Est-ce que les questions posées sont, à la limite, accessibles à la moyenne des gens appelés à y répondre?

Le président: Monsieur Kroeger, puis Gilles Paquet.

Messieurs, Judy n'a pas beaucoup de temps.

M. Arthur Kroeger: D'accord. Je serai bref.

Le président: Et vous en prenez beaucoup.

Mme Judy Sgro: Mais cette information est tellement intéressante que l'attente en vaut la peine.

Le président: Elle dit que l'attente en vaut la peine.

Mme Judy Sgro: Je ne poserai pas d'autres questions parce que je trouve les réponses très intéressantes.

Le président: Arthur Kroeger et Gilles Paquet.

M. Arthur Kroeger: Malheureusement, on ne pourra jamais établir un équilibre parfait entre la supervision et le jugement personnel. La technologie peut aider. L'électronique peut permettre une meilleure supervision centrale, de manière à ce qu'il soit possible de voir ce qui se fait localement, et c'est utile. Mais en définitive, c'est une question de jugement personnel. Où se trouve le point d'équilibre entre le fait de regarder par-dessus l'épaule d'une organisation de bienfaisance locale et de lui prescrire en détail ce qu'elle doit faire, et celui de laisser une grande latitude aux agents locaux pour qu'ils puissent travailler avec les gens du milieu?

Il n'y a pas de réponse claire et nette. C'est une question de jugement, et ce sont les élus qui doivent trancher. C'est à eux qu'il appartient en définitive de déterminer où se trouve l'intérêt public. Ce qui me désole surtout, depuis quatre mois, c'est que les accusations et les blâmes ont duré plus longtemps que ce qui me semble pouvoir être productif, et que personne n'a accordé jusqu'ici suffisamment d'attention à la question plus complexe de l'établissement d'un juste équilibre. Comment peut-on servir l'intérêt public en laissant aux gens du milieu assez de latitude pour prendre des décisions, sans pour autant que tout un chacun soit libre de dépenser les fonds publics comme bon lui semble? C'est le genre de décision sur laquelle j'espère voir votre comité se pencher.

M. Gilles Paquet: Comme quelqu'un l'a déjà dit, le problème—et je suis désolé si j'offense certains avocats de mes amis—, c'est que les avocats sont là pour faire des interrogatoires et trouver les coupables. Mais ce qui nous occupe aujourd'hui n'est pas un problème d'identification des coupables; c'est un problème d'architecture sociale. Comment concevoir le système de manière à éviter de répéter les mêmes erreurs?

Il me semble que cela doit se faire à trois niveaux. Il y a le niveau du processus lui-même. Il est possible de trouver de meilleurs mécanismes, de faire des formulaires plus appropriés; nous pouvons y travailler. Deuxièmement, il y a une question de capacité. Nous devons avoir les ressources nécessaires pour faire ce qu'il y a à faire. Il est complètement déraisonnable d'espérer que les ressources vont se matérialiser et que les gens vont être capables de faire le nécessaire au moment même où 5 000 à 7 000 emplois sont éliminés. Et, troisièmement, il y a le devoir de diligence raisonnable. Comment établir des garanties et des mécanismes de surveillance qui pourront servir de sonnette d'alarme si les choses tournent mal?

Il me semble que c'est à vous, puisque vous êtes là non pas pour gérer, mais pour gouverner, d'indiquer comment il serait possible d'améliorer le processus, d'augmenter la capacité et de garantir la diligence raisonnable.

Mme Judy Sgro: De tous les témoins qui sont venus nous faire leurs commentaires, ces trois messieurs nous ont présenté des renseignements particulièrement intéressants au sujet de la simplification du processus et de la direction que nous devrions prendre.

Le président: Merci.

Mme Judy Sgro: Merci.

Le président: Nous nous intéressons tout particulièrement au rôle des députés. Je ne pense pas que la présidence me laisse assez de temps pour décrire en détail mon rôle dans le processus dont nous discutons aujourd'hui. Stéphan en a donné un bon exemple.

Ma circonscription se trouve dans une petite ville entourée d'un comté rural. J'ai toujours cru que mon travail consistait en partie à rencontrer tout le monde, pas pour des raisons politiques, mais pour connaître les gens et les organisations, et à favoriser la fécondation réciproque entre les différentes organisations. Je suis une des rares personnes à assister aux assemblées générales annuelles d'une multitude de groupes. Donc, voyons un peu quel est mon rôle dans ce processus.

• 1230

Les gens viennent me voir avec une idée. Ce sont des gens créatifs et actifs dans leur milieu, que ce soit dans de petites entreprises ou des groupes sociaux. Ils me demandent mon avis sur leur idée. Dès que je fais un commentaire, j'interviens. Ma position a une dimension politique. Puis, les gens me demandent quel genre d'aide le gouvernement peut leur accorder. Je les aide à trouver les programmes appropriés. Soit dit en passant, si vous trouvez qu'il y a des recoupements à certains endroits, il y a sans doute des programmes pour lesquels j'ai fait des pressions, ou dont j'ai demandé la modification.

Alors, les gens me disent: «Bon, on a trouvé un programme. Pouvez-vous nous aider à obtenir de l'information?» Sean s'occupe de ce genre de choses à titre professionnel. Donc, je les aide à remplir les formulaires. J'examine leur demande. Bien sûr, tout cela est politique. Si je refuse, c'est politique; si je reste neutre, c'est politique; et c'est la même chose si je les appuie énergiquement.

Ensuite, la demande est envoyée, et la plupart des gens pensent que c'est à cette étape-là que j'interviens. Ils croient que je vais voir les responsables du programme, au gouvernement, en vue d'obtenir de l'argent pour mes amis. C'est ce que les gens s'imaginent. Quand ils envoient leur demande, ils me demandent une lettre d'appui. Encore là, je peux dire non, ce qui envoie un message aux gens qui recevront la demande tout autant qu'à ceux qui la présentent. Je peux être très vague, et écrire par exemple: «J'ai vu cette demande.» Ou encore, je peux donner mon appui.

Quand la subvention a été attribuée, comme un de vous l'a mentionné, il y a une autopsie. Si la demande est approuvée, je le sais. C'est un atout. Sinon, j'essaie de savoir pourquoi. Je sais que la demande a été rejetée. Il y a là aussi une autopsie. Et le groupe ou les personnes qui avaient présenté la demande auront plus de mal à obtenir des fonds la fois suivante.

Il y a une foule de choses que nous pouvons faire, et qui nous mettent souvent en contact avec des fonctionnaires. «Avez-vous une idée des programmes qui pourraient être utiles pour soutenir tel ou tel projet?» C'est un exemple. On dit que c'est une intervention politique parce que le député a téléphoné pour savoir s'il y avait un programme. Je vous parle de ce qui se passe dans les petites communautés. On dit au député que oui, et on attend. Même si je n'appuie pas la demande, les fonctionnaires se disent, quand elle arrive, qu'elle ressemble à celle dont le député s'occupait.

J'aimerais que vous réfléchissiez à voix haute à ce processus. Il me semble que c'est la majeure partie de ce que je fais, et j'aime à croire que c'est bien. Cela améliore à mon avis la qualité de vie et l'économie de ma région. C'est politique parce que je suis le député. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Arthur Kroeger: Vous n'avez pas à vous excuser du fait que c'est politique, à mon avis, parce que ce que vous décrivez, monsieur le président, c'est en réalité de la petite politique, plutôt que de la politique partisane. Il me semble que cela fait partie du cours normal de l'activité gouvernementale. Quand j'étais fonctionnaire, j'aurais été parfaitement d'accord si j'avais vu ce genre de chose dans un bureau local.

Il y a évidemment des limites au genre d'interactions qu'il devrait y avoir entre les fonctionnaires et les élus, mais il y a beaucoup de place pour des interactions vraiment constructives, comme celles dont M. Tremblay a parlé, sans pour autant dépasser ces limites. En fait, dans bien des cas, si les fonctionnaires peuvent être utiles à un député en lui disant quels sont les programmes offerts, comment il faut présenter une demande et quels sont les critères, le député peut en retour être utile aux fonctionnaires en faisant le tri de toutes les demandes en concurrence quand il n'y a pas beaucoup d'argent. La plupart du temps, d'après ce que me disaient les fonctionnaires locaux de mon ministère—quand j'en avais un—, le processus n'était vraiment pas partisan. Il me semble que, dans la grande majorité des cas, cela fonctionnait assez bien.

Le président: Merci.

Monsieur Paquet.

M. Gilles Paquet: Monsieur le président, je ne veux pas vous citer l'exemple des États-Unis comme s'il s'agissait d'un modèle parfait, que nous devrions copier, mais les Américains ont trouvé des moyens pour faire en sorte que les shérifs soient élus et qu'ils puissent en même temps administrer la justice d'une manière qui ne soit pas répréhensible. Il est plutôt stupide de croire que nous devons être complètement schizophrènes et dire qu'il y a des choses qu'on ne peut pas faire quand on est élu, plutôt que fonctionnaire.

Tout comme les partenariats entre les différents paliers de gouvernement, ainsi qu'entre l'entreprise privée, le secteur public et la société civile représentent la voie de l'avenir, il est clair que vous devrez participer de plus près aux décisions, que vous le souhaitiez ou non, si nous voulons que les citoyens bénéficient de services adaptés à leurs besoins, puisqu'il se trouve que vous êtes très bien placés pour comprendre ces besoins.

Le problème, il me semble, c'est que nous sommes schizophrènes. Nous vivons dans un monde où il n'y a pas de demi- teintes. Nous n'aimons pas les domaines où il faut du jugement, du discernement et de la prudence. Les gens sont mal à l'aise dans ces cas-là parce que ce sont des zones grises. Pourtant, j'ai bien l'impression qu'un gouvernement moderne ne peut pas se permettre de faire autrement. Cette conception ancienne du système de gouvernement britannique, dans lequel les membres de la Chambre des communes gouvernent pendant que le menu fretin administre, n'est plus qu'un écho du passé.

• 1235

Nous ne pourrons pas faire les choses comme il faut si nous ne trouvons pas de nouvelles façons de les faire. Il est bien possible qu'il y ait des abus, mais il me semble qu'un des avantages très réels, c'est que cela nous aidera à redéfinir la notion de responsabilité et à éclairer certaines de ces zones grises.

Le président: Merci.

Sean, brièvement...

M. Sean Moore: Entre mes divers passages dans le secteur des relations gouvernementales, j'ai été consultant en philanthropie stratégique pendant quelques années. Je travaillais avec les entreprises pour les aider à gérer la distribution de leurs fonds. Un des phénomènes que j'ai trouvés particulièrement intéressants pendant mes dernières années dans ces fonctions, c'est que les membres des conseils d'administration de ces entreprises demandaient instamment la restructuration de leurs programmes de contributions parce qu'ils ne voulaient plus être obligés de prendre les décisions au cas par cas. Ils voulaient définir les orientations générales sur le genre de causes que leur entreprise souhaitait soutenir, mais ils ne voulaient surtout plus se faire malmener devant leur comité des contributions au sujet du parrainage d'un projet plutôt que d'un autre.

Je ne sais pas si c'est la même chose pour les députés. Mais beaucoup de ces administrateurs m'ont dit que, dans leurs premières années au conseil d'administration, la possibilité d'exercer une certaine influence à cet égard était à leurs yeux un des privilèges liés à leurs fonctions. Mais, après quelques années, ils y voyaient plutôt un lourd fardeau dont ils avaient très hâte d'être libérés.

Le président: Rey Pagtakhan.

M. Rey Pagtakhan: Merci, monsieur le président.

Je vais vous expliquer en quoi devrait consister selon moi le rôle d'un député par rapport au public et vous donner une idée de certaines des recommandations qui à mon avis devraient être faites. J'aimerais avoir vos vues pour que nous puissions régler cette question qui occupera une place importante, je pense, dans les délibérations du comité.

Pour ce qui est du rôle du député, je dirais que, premièrement, nous devrions avoir notre mot à dire sur la valeur apparente d'un projet communautaire qui fait l'objet d'une demande. Deuxièmement, nous devrions avoir un rôle à jouer dans l'établissement de l'ordre de priorité des nombreux projets qui ont été proposés au ministère et dont la liste nous a été remise. Troisièmement, nous devrions être consultés au sujet de la crédibilité de requérants ou de groupes de la communauté, pas tant pour porter un jugement final que pour attirer l'attention du chargé de projet sur la nécessité d'une évaluation plus poussée. Quatrièmement, nous aimerions pouvoir donner notre avis sur le caractère raisonnable du montant demandé. Cinquièmement, nous devrions faire des commentaires sur le rendement des groupes qui ont déjà demandé une forme quelconque d'aide gouvernementale. Enfin—mais ce n'est pas tout, parce que ce sont les seuls points auxquels j'ai pensé aujourd'hui—nous devrions intervenir dans l'élaboration de la politique, comme le mentionnait le Bloc.

Ma question est la suivante: est-ce que les députés devraient avoir un rôle quelconque à jouer en ce sens? Si la réponse est oui, alors la discussion est close. Si la réponse est non, nous pourrons en discuter un peu plus.

Le président: Professeur Paquet.

M. Gilles Paquet: Arthur est nécessairement le mieux placé pour répondre à cette question à cause de son expérience. Quant à moi, je dirais que non.

M. Tremblay a indiqué qu'on pourrait peut-être s'entendre sur les principes de base, ce qui est acceptable selon moi. Mais l'idée de se porter garant de la crédibilité, de définir le caractère raisonnable, de raconter des histoires à propos de l'individu et d'établir des priorités me gêne puisque tout cela relève de la gestion. Autant abolir les ministères et avoir de très gros bureaux de député.

Il me semble que le premier et le dernier point de votre liste sont extrêmement importants—c'est-à-dire la valeur du projet et la question de savoir si nous pouvons nous entendre sur une politique quelconque. Mais s'il fallait en plus établir des priorités, se porter garant de la crédibilité des requérants, définir le caractère raisonnable du projet ou raconter l'histoire du requérant, j'ai l'impression que le député... Cela n'aurait plus de fin.

• 1240

M. Rey Pagtakhan: Pour que tout soit plus clair, monsieur le président, parce que c'est une question très importante, j'aimerais préciser à M. Paquet que nous jouerions un rôle consultatif et que nous n'aurions pas le dernier mot. Autrement dit, nous conseillerions le chargé de projet et ce serait à chaque député de décider si c'est un rôle qu'il tient à jouer ou non.

Le président: Arthur Kroeger.

M. Arthur Kroeger: Monsieur le président, nous ne pouvons pas être d'accord tous les trois ici aujourd'hui sur tout et c'est un point sur lequel j'ai des vues différentes.

Tout d'abord, ces six activités pourraient fort bien s'avérer très avantageuses. Je n'ai en principe rien contre aucune d'entre elles quoiqu'on pourrait s'interroger sur la façon de s'y prendre. Ce genre de rôle consultatif pourrait être particulièrement intéressant en ce sens qu'il permettrait de réduire la paperasserie.

Une des choses frappantes à propos du fonctionnement de ces programmes à l'échelle locale—et pas seulement en 1998, lorsque la vérification a été effectuée, mais aussi quand j'étais sous-ministre et pendant dix à vingt ans avant que je sois sous-ministre—c'est qu'il peut arriver qu'un chargé de projet connaisse le groupe de femmes de l'endroit qui veut créer un refuge pour femmes battues, en sache pas mal sur elles, ait des contacts personnels et parvienne à leur venir en aide, pas en présentant un formulaire, pas en donnant des chiffres à n'en plus finir, pas en rédigeant un tas de notes de service, mais en se servant de ses contacts personnels.

C'est ce que la vérification a fait ressortir. On s'est aperçu qu'il n'y avait pas assez de demandes dans les dossiers. Oui, dans un certain nombre de cas, il y avait des lettres, mais pas de formulaires de demande. Quand on est un fonctionnaire local, après avoir pris connaissance d'un projet, on a le choix: soit qu'on s'assoie et qu'on écrive une note de service qui sera versée au dossier et que le vérificateur pourra trouver à sa prochaine visite, soit, parce qu'on manque de temps, qu'on aille rendre visite aux responsables du projet suivant pour s'assurer que tout va bien. Cette façon de faire sans cérémonie a été une caractéristique très importante des rapports entre les fonctionnaires du ministère et les gens de l'endroit, et les vérificateurs trouvent frustrant de ne pas trouver un tas de documents. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas assez de surveillance.

Permettez-moi de revenir à la question de M. Pagtakhan. Un des moyens de confirmer des impressions qu'ont pu laisser des conversations lors d'un dîner au club Rotary local, une des façons d'avoir une idée d'ensemble de ce qui va et de ce qui ne va pas est de s'en remettre au député local parce que celui-ci a des responsabilités qui sont comparables à celles d'un fonctionnaire local, qui consistent à savoir ce qui se passe à l'échelle locale et à connaître les gens de l'endroit.

Je reconnais qu'il y a des limites à tout cela, limites que la vérification de 1999 a d'ailleurs mis cruellement en lumière. Il faudrait qu'il y ait dans les dossiers plus de documents qu'il y en avait alors. Mais pour éviter d'aller trop loin et d'exiger de ces organisations toutes sortes de formulaires et de notes de service en plus de rapports hebdomadaires et trimestriels, une des façons de s'y prendre serait d'entretenir un dialogue avec le député local.

Le président: Sean.

M. Sean Moore: Moi qui ai l'habitude d'aller voir les députés pour obtenir leur aide en ce qui concerne différentes choses, surtout des demandes d'immigration, je trouve qu'il y a de grandes différences entre eux quant à savoir qui est prêt à écrire une lettre ou à faire quoi que ce soit à l'appui d'une demande d'immigration.

Dans un cas comme celui-ci, le problème c'est que tant la plate-forme politique que l'idéologie personnelle des différents députés risquent de devenir un facteur déterminant et de faire en sorte que des Canadiens d'une région du pays pourraient ne pas vraiment avoir accès à ces programmes contrairement à d'autres.

M. Pagtakhan a parlé d'un rôle consultatif, mais je me demande combien de fonctionnaires seront épouvantés par l'idée d'un rapport particulièrement négatif et accablant de la part d'un député alors qu'en réalité la demande d'un organisme mériterait d'être approuvée.

M. Rey Pagtakhan: Monsieur le président...

Le président: Très brièvement. Un commentaire, peut-être?

M. Rey Pagtakhan: Bien sûr, ma proposition s'explique par ma croyance innée dans l'intégrité des fonctionnaires. Ils ont le droit de refuser toute intervention d'un député parce qu'ils savent qu'il joue un rôle consultatif. Le politicien qui abuse de cette obligation particulière en abuse à ses propres risques.

• 1245

Mon dernier point, monsieur le président, est celui-ci.

Le président: Très brièvement, Rey.

M. Rey Pagtakhan: Pour que tout soit plus clair, seriez-vous d'accord pour dire que le rôle des députés...? Bien sûr, cette question s'adresse à M. Kroeger, qui m'a donné son appui conditionnel, de même qu'à M. Moore et à M. Paquet. Je respecte vos vues. Ces différentes fonctions devraient-elles être définies clairement et expliquées à l'ensemble des citoyens afin qu'on ne se méprenne pas sur le rôle du député? Pourriez-vous commenter brièvement?

Le président: Pourriez-vous répondre par oui ou non, très rapidement?

M. Arthur Kroeger: La réponse est oui, surtout s'il est clair qu'il joue un rôle consultatif.

M. Sean Moore: Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'il est très important qu'on sache qui participe à la prise de décisions.

M. Gilles Paquet: Mais n'allez pas croire que tout sera clair pour la simple raison que vous voudriez que tout soit clair.

M. Rey Pagtakhan: L'effort vaut la peine d'être tenté.

Le président: Bryon Wilfert, après quoi je vais clore la séance.

M. Bryon Wilfert: L'assistance peu nombreuse d'aujourd'hui n'enlève manifestement rien à la qualité des témoignages qui nous ont été présentés. Il est regrettable que nous n'ayons pas pu vous rencontrer beaucoup plus tôt, messieurs, étant donné tout le pointage de doigt dont M. Kroeger a parlé. On a utilisé des expressions comme superfétatoire et parlé de caisse électorale et de pertes de 1 milliard de dollars. Malheureusement, toutes ces expressions ont été reprises par les médias. Bien sûr, le travail de l'opposition est de continuer à jouer son rôle.

Je me demande si nous avons vraiment franchi le Rubicon. Si vous regardez ce qui s'est passé au cours des quelques derniers mois, vous constaterez qu'on a consacré 95 p. 100 du temps à la maladie et moins de 5 p. 100 au remède. Entre-temps, selon moi, le patient risque de mourir. Au sein de ces organismes, il y a eu un mouvement de retraite de la part de DRHC—une retraite marquée, selon moi—qui ne veut plus être au premier rang et au coeur des collectivités. Le ministère a annulé toutes sortes d'annonces. Il n'a pas été prêt... Il y a eu beaucoup de nombrilisme interne et une moins grande attention a été portée aux clients.

Il se pourrait que dans l'esprit du public, le rôle de... M. Kroeger parle des milliers et des milliers d'organismes qui en profitent, pas nécessairement de grosses entreprises ou le secteur privé. À mon avis, ils en pâtissent.

Je suppose que cela nous ramène au commentaire original. Est-il trop tard? S'il n'est pas trop tard, à votre avis, qu'est-ce qui aiderait à ramener la discussion sur les moyens à prendre pour régler le problème? Le public est persuadé que le navire n'a absolument aucun gouvernail ni aucun capitaine et que nous avons touché le fond.

M. Arthur Kroeger: J'aimerais pouvoir vous donner une réponse encourageante, mais je ne le peux pas. Il est trop tard. À bien des égards, le mal est déjà fait. Premièrement, la crédibilité du gouvernement a souffert partout au pays et non seulement celle du gouvernement fédéral, soit dit en passant. Je me suis récemment entretenu avec un très haut fonctionnaire qui travaille pour un gouvernement néo-démocrate provincial. Il était tout aussi préoccupé que les fonctionnaires de DRHC par les répercussions que cette dissension prolongée risque d'avoir.

Deuxièmement, je termine actuellement un projet qui m'a amené à parcourir les cinq régions du pays. J'ai visité des bureaux gouvernementaux locaux et j'ai parlé à un grand nombre de fonctionnaires. Ils ont tous l'impression que leur réputation a été ternie et que leur compétence et leur honnêteté ont été remises en question par des gros titres à sensation et trompeurs. Ils ont l'impression que les médias ont faussé la réalité. Ils ont l'impression que les médias n'ont présenté qu'un côté de la médaille.

• 1250

Cela a eu une incidence sur la façon dont ils perçoivent leur travail de même que sur leur moral, non seulement vis-à-vis leurs supérieurs. C'est le genre de choses que le député local peut constater lorsqu'il tond sa pelouse et que son voisin lui dise: «Vous avez vraiment tout gâché!» Le moral est plutôt bas.

Le mal est fait et il faudra beaucoup de temps pour s'en remettre. Il ne faut pas se le cacher. Il reste que des propositions très constructives au sujet de l'avenir pourraient résulter des travaux du comité et qu'elles pourraient avec le temps compenser certains des graves dommages causés depuis janvier dernier.

Le président: Merci.

Gilles Paquet.

M. Gilles Paquet: Personne ne saurait le dire mieux qu'Arthur. Une chose serait peut-être possible. Je n'ai pas beaucoup d'espoir, mais si vous vous intéressez vraiment tous au rôle que le député pourrait jouer, une solution serait de faire en sorte que le rapport du comité ne ressemble pas au document teinté de schizophrénie qu'était le rapport provisoire, où il semblait y avoir deux solitudes, et d'essayer de trouver un moyen d'identifier des points sur lesquels tous les partis pourraient tomber d'accord.

Nous pouvons ne pas être d'accord sur de nombreux points et vous sur de nombreux autres, mais ne serait-il pas possible de trouver un dénominateur commun pour agir maintenant? Un nouveau vote de confiance dans la fonction publique, à condition qu'on aborde ces points d'une manière qui conviendrait à un comité multipartite, permettrait de commencer à réparer les dommages dont Arthur Kroeger a parlé.

Le président: Sean Moore.

M. Sean Moore: Je n'ai rien à ajouter.

Le président: Avant de vous remercier officiellement, je tiens à vous remercier de votre contribution à propos du rôle du député et du rôle des fonctionnaires. Nous avons cerné celui du député, mais nous n'avons peut-être pas cerné aussi bien celui du fonctionnaire et des organismes publics en général.

Il y a une question technique qui a été soulevée à un certain nombre de reprises. Quand on pense à la fonction publique, on pense aux députés. Il y a l'idée des comités consultatifs locaux. Juste pour mémoire, parce que c'est le genre de matériel dont nous avons besoin pour notre rapport, quelles sont vos vues à ce sujet?

Nous discutons déjà depuis une heure ou deux. Une solution consisterait à trouver un complément aux députés ou aux fonctionnaires ou, comme certaines personnes le pensent, à remplacer les deux. L'idée serait d'avoir un comité consultatif public de citoyens locaux qui seraient nommés au comité et qui évalueraient les demandes du genre de celles dont nous discutons. Auriez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

M. Arthur Kroeger: Personnellement, j'aime l'idée, parce qu'elle élargit la prise de décisions. J'ai dit tout à l'heure que je crois que les députés peuvent être utiles, mais il reste qu'il pourrait toujours arriver qu'une influence capricieuse s'exerce. En élargissant la prise de décisions, on atténue ce risque en profitant quand même de la connaissance assez vaste qu'un député a de la circonscription.

J'imagine qu'il reste à savoir qui nommerait le comité. Il serait peut-être préférable que le comité soit choisi localement afin qu'aucune question ne surgisse au sujet de sa crédibilité et des influences de l'extérieur.

M. Sean Moore: C'est la première question que je me suis posé moi aussi quand j'ai entendu parler de cette proposition: Qui nommerait ses membres? Il serait intéressant, s'il y avait un comité comme celui-là, qu'il représente certains des autres paliers de gouvernement dont nous avons parlé et les parties aux accords de partenariat qui sont en place dans certaines régions du pays de sorte que le député local ne serait pas le seul à choisir ses membres. Un représentant de l'administration locale ou du gouvernement provincial pourrait peut-être avoir son mot à dire lui aussi.

M. Gilles Paquet: Dans le même ordre d'idées, il me semble que plus représentatif serait ce comité, mieux ce serait. Le véritable danger, s'il s'agissait d'un petit comité fédéral seulement nommé par Dieu sait qui, c'est que ce serait le patronage poussé à l'extrême. Nous n'avons pas tellement l'esprit de collaboration. L'idée d'avoir des membres des partis d'opposition ne serait peut-être pas très bien accueillie.

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D'une certaine façon, cela pourrait peut-être se faire à un niveau régional un peu plus vaste, peut-être pas circonscription par circonscription, mais sous-région par sous-région parce que différents partis sont représentés au sein d'une sous-région. Les gens sont très intéressés à promouvoir leur région particulière. Il existe peut-être un dénominateur commun que nous n'avons pas encore découvert.

Le président: Rey Pagtakhan, très brièvement.

M. Rey Pagtakhan: Oui, je serai bref. J'ai fait allusion au rôle des députés, surtout en ce qui concerne les points auxquels MM. Kroeger et Moore ont donné leur appui conditionnel. J'aimerais aussi que vous nous disiez quand le ministre du ministère dont proviennent la subvention et la contribution, d'autres ministres et le premier ministre ont un rôle à jouer. Comment définissez-vous ce rôle, la position particulière du ministre, du premier ministre et des députés? Avez-vous un mécanisme à proposer si vous pensez qu'il faudrait aborder ce rôle différemment?

Le président: Je vous prierais d'être brefs, si vous le pouvez.

M. Arthur Kroeger: Au risque de vous donner une réponse toute faite, je dirais que le rôle du député tout comme celui d'un représentant officiel est consultatif. La prise de décisions revient au ministre qui doit en assumer la responsabilité. C'est ainsi que les choses continuent à fonctionner en fin de compte, malgré l'évolution du gouvernement. En dernière analyse, la responsabilité continue à incomber au ministre et c'est donc le ministre qui doit avoir le dernier mot.

Le président: Gilles Paquet.

M. Gilles Paquet: Permettez-moi de répondre en ne répondant pas, en ce sens que je pense qu'un grand nombre de ces suggestions ne seraient pas nécessairement mauvaises si je pouvais croire que cette interaction sera marquée au sceau de l'intégrité souhaitée par l'honorable député.

Dans un monde qui... Je qualifierais de grosse perte un grand nombre des choses qu'Arthur Kroeger a mentionnées et elles ont été imputées à un gouvernement qui a réagi en déniant la réalité. Ma mère avait l'habitude de dire qu'il n'y a pas de mots plus puissants dans la langue française que je m'excuse. Quand on dit «Je m'excuse», il n'y a pas grand-chose qu'on puisse faire.

À bien des points de vue, le pire, c'est qu'on a nié ses erreurs au lieu de les admettre et d'essayer de les corriger; autrement, les choses auraient probablement été beaucoup plus faciles.

Oui, ce que vous proposez est raisonnable. Ma peur, c'est que dans une atmosphère où le déni de la réalité est la politique qui a cours, il n'y a pas grand-chose à apprendre et nous risquons de nous retrouver dans une impasse.

Le président: Sean. Non?

Rey, merci beaucoup.

Chers collègues, j'ai deux commentaires à faire avant de clore la séance et de remercier nos témoins.

Premièrement, le thème de notre réunion régulière de jeudi—celui d'aujourd'hui était le rôle des députés et des fonctionnaires en ce qui concerne les subventions et contributions—a trait aux outils qui sont disponibles pour rendre des comptes et à la façon dont ils peuvent être appliqués à l'administration des subventions et des contributions par le gouvernement fédéral. Comment la nouvelle technologie peut-elle fournir de l'information aux donateurs, dans ce cas-ci le gouvernement, et au public à propos de l'administration et de l'efficacité, et à quel coût?

Messieurs, je vous ai lu le thème pour que vous soyez au courant. Nous avons abordé certaines de ces choses aujourd'hui, mais vous comprendrez où nous en sommes.

Deuxièmement, chers collègues, à notre dernière réunion, nous avions une motion de convocation de l'honorable Claudette Bradshaw, la ministre du Travail. Je proposerais que si c'est possible, nous tenions une réunion supplémentaire la semaine prochaine pour rencontrer la ministre. Nous devons la rencontrer avant la fin du mois et nous tiendrons donc une réunion supplémentaire mercredi prochain, à 15 heures 30.

Chers collègues, j'aimerais remercier en votre nom Sean Moore, Arthur Kroeger et Gilles Paquet de leurs témoignages d'aujourd'hui. Messieurs, nous vous savons gré de votre patience. La réunion a été très instructive.

La séance est levée jusqu'à jeudi.