AANR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON ABORIGINAL AFFAIRS, NORTHERN DEVELOPMENT AND NATURAL RESOURCES
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES AUTOCHTONES, DU DÉVELOPPEMENT DU GRAND NORD ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 31 mai 2001
La présidente (Mme Nancy Karetak-Lindell (Nunavut, Lib.)): La séance est ouverte. Veuillez m'excuser pour mon retard ce matin.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous nous réunissons aujourd'hui, 31 mai, pour participer à une séance d'information concernant le Ralliement national des Métis. Nous accueillons M. Gerald Morin, président, et M. Tony Belcourt.
Je crois savoir que vous allez nous faire un exposé sur le Ralliement national des Métis et un certain nombre d'actions qui sont actuellement devant la justice. Vous avez la parole.
M. Gerald Morin (président, Ralliement national des Métis): Merci beaucoup, Nancy.
• 1115
Bonjour, mesdames et messieurs. Je tiens à vous remercier de
l'occasion qui nous est donnée ce matin de faire un exposé sur la
nation métisse, nos droits et nos aspirations, l'état actuel de nos
relations avec le gouvernement fédéral et l'évolution que nous
entrevoyons.
Nous avons préparé un mémoire écrit, et je crois que nous avons des trousses à remettre à tous les membres du comité à la fin de la réunion. Je vous invite donc à en prendre une tout à l'heure. La trousse est assez informative, en fait, puisqu'elle compte un mémoire écrit très détaillé. À mon avis, il présente bien les questions que nous voulons vous expliquer aujourd'hui. Alors, je vous conseille de prendre une trousse au moment de partir.
Ce que je souhaitais faire aujourd'hui, dans le délai qui nous est imparti, c'est vous donner une idée générale de qui nous sommes en tant que nation, et de vous expliquer un peu l'évolution de la nation métisse. Nous allons vous décrire la situation actuelle, ou disons la situation relative à nos rapports avec le gouvernement fédéral, par le passé et de nos jours. Ces rapports n'ont guère changé. Nous vous parlerons également du grand nombre d'actions en justice intentées par la nation métisse sur une série de questions différentes. Et enfin, nous ferons le point sur les négociations actuellement en cours avec Ralph Goodale, qui est l'interlocuteur fédéral auprès des Métis, concernant les grandes priorités de la nation métisse.
S'agissant de l'évolution de la nation métisse, il importe que les membres du comité se rendent compte du fait que notre approche ne consiste pas à vous dire que les Métis sont des personnes de race mixte, soit d'origine à la fois européenne et indienne, et qu'ils sont présents dans toutes les régions du pays, y compris la moitié du Québec, et ce genre de choses. Telle n'est pas notre optique.
Nous qui sommes de la nation métisse estimons que notre peuple est bien d'ascendance mixte, mais nous nous sommes créé notre propre patrie dans l'ouest du Canada, si bien que nous nous sommes établis comme nation distincte ayant ses propres langues michif, sa propre culture, ses propres traditions, sa propre musique, sa propre danse, etc., et ses propres institutions politiques; de plus notre situation juridique au Canada est unique depuis fort longtemps.
Donc, notre peuple est bien établi en tant que nation. Nous avons défendu notre territoire à plusieurs reprises au cours de notre histoire, et nous nous sommes battus pour assurer notre existence collective en tant que nation. Par exemple, en 1816, dans la bataille de Seven Oaks, nous nous sommes battus contre les pionniers de Selkirk dans la région de la rivière Rouge au Manitoba. Cette bataille concernait surtout la traite des fourrures. Pour nous, leur implantation dans la région et leur mode de vie axée sur l'agriculture constituaient une menace pour notre poursuite du bison. Les tensions se sont intensifiées et la bataille a été menée par l'un des premiers dirigeants métis, soit Cuthbert Grant. C'était en 1816.
À cette époque-là, nous nous étions sans conteste établis comme nation distincte; nous ne nous considérions ni Européens ni Indiens. Nous estimions constituer une collectivité distincte ayant son propre mode de vie, et il nous semblait donc nécessaire de nous défendre et surtout de protéger notre existence collective.
En 1849, il y a eu le procès de Sayer: la Compagnie de la Baie d'Hudson essayait d'imposer son monopole et nous obligeait donc à vendre nos fourrures exclusivement à la Compagnie de la Baie d'Hudson. Évidemment, nos membres vendaient leurs fourrures aux négociants américains basés à Minneapolis. Le dénommé Sayer a été inculpé en 1849. Lors de son procès, il a été déclaré coupable, mais le juge lui a accordé la libération inconditionnelle parce qu'une centaine de personnes armées de fusils avaient entouré le palais de justice. Je pense que ce juge a pris la bonne décision.
Dans une telle situation, nous nous devions de protéger notre mode de vie par rapport au commerce de la fourrure, etc., et notre capacité de participer librement au commerce de la fourrure en Amérique du Nord.
L'année 1869 a marqué l'un des événements les plus connus de notre histoire, soit la Rébellion de la rivière Rouge. C'est Louis Riel qui a annoncé la création du gouvernement provisoire métis à Red River en 1869 et 1870, et a rédigé une déclaration des droits qui a été le point de départ de nos négociations avec le Canada et le gouvernement dirigé par John A. Macdonald. Les éléments essentiels de cette déclaration ont ensuite été reproduits dans la Loi sur le Manitoba qui a suivi, et qui concrétisait l'adhésion de la province du Manitoba à la fédération canadienne.
Une résolution adoptée par la Chambre des communes en 1992, si je ne m'abuse, reconnaissait Louis Riel comme fondateur de la province du Manitoba.
• 1120
La bataille de Batoche a suivi en 1885. Notre défaite
militaire dans cette bataille a mené ensuite au procès et à
l'exécution de Riel le 16 novembre 1885, à Regina.
Dès le XVIIe siècle, à cause des mariages mixtes, une population de sang mixte a commencé à se constituer. Nous avons par la suite créé notre propre langue et notre propre culture. Nous nous considérions comme une nation distincte. Nous avons créé notre propre patrie dans l'ouest du Canada, qui comprend également le nord des États-Unis. D'ailleurs, il s'agit là d'un événement tout à fait unique dans le monde—du moins, à l'époque moderne—c'est-à-dire qu'un peuple d'ascendance mixte se rassemble pour créer une nation distincte qui a sa propre culture et qui défend ses propres droits et aspirations.
Il est essentiel de comprendre cette réalité. D'ailleurs, nous pourrons en discuter plus en profondeur pendant la période des questions.
En ce qui concerne la situation actuelle des Métis—je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, alors j'essaie de passer vite—je dirais que par le passé et encore maintenant, le gouvernement fédéral a toujours maintenu une attitude de refus à l'égard des Métis: il a refusé d'admettre notre existence en tant que peuple, nos droits et nos aspirations. Ce refus s'est manifesté de diverses façons. Par exemple, le gouvernement fédéral a refusé d'assumer des responsabilités constitutionnelles à l'égard des Métis.
Aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le gouvernement fédéral exerce ses pouvoirs et assume ses responsabilités à l'égard des Premières nations et des Inuits, mais refuse toute responsabilité à l'égard des Métis. Ce refus a été la cause de beaucoup de souffrance chez les Métis et dans les collectivités métisses, parce que le gouvernement fédéral a essentiellement fermé les yeux sur notre existence.
Aucune des démarches de règlement des revendications territoriales au Canada n'a été accessible aux Métis, qu'on parle des revendications territoriales globales ou particulières ou encore de la Commission des revendications des Indiens; les Métis n'ont pu être visés par aucune de ces démarches, à cause de cette politique de délégation et ce refus d'assumer la moindre responsabilité à notre égard. Aucune démarche n'a été établie qui nous aurait permis de réclamer nos ressources et le territoire qui constitue notre patrie depuis de nombreuses années et sur lequel nous avons pratiqué notre mode de vie.
De nos jours, les Métis constituent essentiellement un peuple sans territoire. Nous n'avons eu accès à aucune démarche sérieuse qui nous aurait permis de négocier des mécanismes d'autonomie gouvernementale avec le gouvernement fédéral, afin d'exercer un certain contrôle sur notre vie et sur notre destin. Cela a certainement posé problème.
Et malgré les milliards de dollars consacrés au fil des ans aux Premières nations et aux Inuits—d'ailleurs, les gens utilisent parfois le terme «Autochtones» sans grande rigueur—comme si ce terme incluait les Métis, alors qu'il n'en est rien—et tous les programmes établis et les importantes sommes engagées au cours des années, rien n'a été mis à la disposition de notre peuple pour régler ses problèmes et répondre aux besoins de nos collectivités dans le domaine du logement social, du développement économique, de la santé, de la justice, des services sociaux, etc.
En ce qui concerne donc la situation sociale et économique de notre peuple, même si les données sont rares, celles qui existent indiquent que notre situation est aussi mauvaise, sinon pire, que celle des Premières nations et des Inuits. Juste pour vous en donner quelques exemples rapides, la hausse du taux du diabète chez les Métis est semblable à celle qu'on observe chez d'autres peuples autochtones, et il en va de même pour des infections comme le VIH, le SIDA, l'hépatite C, etc.
De graves problèmes surgissent de nos jours dans nos collectivités, mais nous n'avons pas accès à des ressources fédérales pour solutionner ces problèmes, à cause de cette politique de refus et du fait que le gouvernement fédéral refuse d'assumer ses responsabilités à l'endroit des Métis. Et cela a donné lieu à énormément de souffrance et de misère dans nos collectivités, comme je viens de vous le dire. Sur le plan humain, les coûts sont considérables.
Voilà donc pour la situation actuelle.
En ce qui concerne les actions en justice, étant donné que les Métis n'ont pas pu être visés par les démarches fédérales et vu cette politique de refus... Nous préférons toujours négocier de bonne foi avec les gouvernements pour parvenir à une entente qui propose des solutions à nos problèmes grâce à la bonne volonté des deux parties. Mais comme nous avons été exclus, nous n'avions pas le choix. La frustration des membres de nos collectivités est telle qu'ils nous exhortent depuis plusieurs années à intenter des actions en justice; si cette démarche-là est la seule qui nous soit accessible, nous devons absolument passer devant la justice. Et voilà justement ce que nous avons fait.
• 1125
C'est surtout au cours des cinq dernières années que nous
sommes très actifs et que nous défendons vigoureusement nos droits
devant les tribunaux. Nous avons intenté bon nombre d'actions en
justice concernant les droits territoriaux, les droits de chasse,
et les droits de pêche, par exemple. L'affaire Dumont, par exemple,
a été l'une des premières actions à traiter des droits
territoriaux. Nous avons intenté cette action dans les années 80 et
nous avons poursuivi la défense de nos droits jusque devant la Cour
suprême du Canada pour qu'on nous reconnaisse notre qualité pour
agir et notre droit de nous défendre devant la justice, droit que
nous avons gagné. Et la Fédération des Métis du Manitoba nous dit
que nous devons sans doute passer devant la Cour du Banc de la
Reine du Manitoba pour examiner les questions de fond que soulève
l'affaire Dumont concernant les droits territoriaux garantis par la
Loi sur le Manitoba.
Un autre exemple serait l'action que nous avons intentée en Saskatchewan en 1994 dans laquelle nous avons réclamé une bonne partie du nord-ouest de la Saskatchewan, soit un quart du territoire de la province et des ressources qui s'y trouvent. Nous affirmons dans notre demande que le système des certificats était un moyen frauduleux de déposséder notre peuple, et de lui retirer ses terres et ses ressources, d'où la situation des Métis de nos jours qui se trouvent sans terres.
Nous avons donc lancé ces deux grandes actions et plusieurs autres actions qui concernent les droits de chasse et de pêche.
Tony Belcourt, président de la Nation métisse de l'Ontario, m'accompagne aujourd'hui. L'affaire Powley sera la première des causes à passer devant la Cour suprême du Canada. Elle concerne les droits de chasse des Métis de la région de Sault Ste. Marie. Nous avons eu gain de cour en première instance. Nous avons ensuite gagné l'appel devant la Cour supérieure, et nous avons remporté une victoire unanime devant la Cour d'appel de l'Ontario, soit le tribunal supérieur de l'Ontario, qui a affirmé que sur le plan juridique, la nation métisse constitue un peuple en bonne et due forme, que les Métis ont des droits et que ces droits sont inscrits dans la Constitution du Canada.
Le gouvernement de l'Ontario a interjeté appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada, et nous nous attendons à ce que ce pourvoi soit entendu devant la Cour suprême au cours des deux prochaines années. Il s'agira de la première fois que la Cour suprême du Canada statuera sur une affaire intéressant les droits des Métis. À mon avis, les juges attendent cela avec impatience, étant donné qu'ils ont affirmé dans une affaire antérieure intéressant les Premières nations—l'affaire Vanderpeet, si je ne m'abuse—que peu importe les critères qu'ils établiraient à l'égard des droits autochtones, ces droits ne s'appliqueraient pas nécessairement aux Métis et qu'ils se prononceraient donc sur la situation des Métis que ces derniers se trouveraient devant la Cour suprême du Canada. Donc, il s'agit d'une affaire très, très importante.
Enfin, pour ce qui est de nos négociations avec le gouvernement fédéral, lorsque ce dernier a publié sa réponse au Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones en janvier 1998, à prime abord, notre réaction était caractérisée par la colère et la déception. La réponse du gouvernement de l'époque s'adressait surtout aux Premières nations et, une fois de plus, nous étions un peuple oublié. Nos problèmes n'ont pas été pris en compte. Conscients de cette déception, le gouvernement fédéral et Ralph Goodale se sont engagés à négocier un plan d'action ou un cadre de travail avec la nation métisse en vue de trouver des solutions à nos problèmes.
Ce programme comprenait deux volets. D'abord, des tables de concertation qui nous permettraient de commencer à négocier les droits et les compétences des Métis et de voir clair dans les questions que posaient nos actions en justice, pour que nous puissions enfin bénéficier d'une démarche en bonne et due forme visant à reconnaître nos droits au Canada. Le deuxième volet de ce programme devait nous permettre de nous attaquer aux questions d'ordre pratique et de prestation de services qui sont également très importantes pour répondre aux besoins de nos collectivités.
Depuis trois ans et demi, nous participons à beaucoup de négociations. Nous avons accompli des progrès sensibles. Ralph a pris un engagement personnel à l'égard de cette démarche et fait vraiment preuve de leadership dans ce domaine.
Nous avons également fait le tour des ministres. Et lui aussi. Nous avons fait la même chose au Ralliement national des Métis. Nous souhaitons que Ralph fasse approuver par le Cabinet dès cet automne, d'une part, des crédits supplémentaires pour poursuivre le plan d'action de la nation métisse et, d'autre part, la signature d'un accord-cadre relatif à ce plan d'action, accord qui viserait le Ralliement national des Métis et le gouvernement fédéral.
Si nous avons voulu comparaître devant vous aujourd'hui, c'est pour vous informer de cette activité, vous sensibiliser à notre situation, et vous renseigner sur notre identité et sur l'état actuel des choses. Nous espérons donc pouvoir conclure un accord-cadre sur un plan d'action pour la nation métisse, afin de réparer les torts du passé, et que vous nous appuierez dans cette démarche—non seulement pour nous aider à mettre en place cet accord-cadre, mais à faire pression sur autant de personnes que possible au gouvernement fédéral pour qu'il dise oui, qu'il reconnaisse les injustices du passé et qu'il décide de tourner la page et d'établir de nouvelles relations avec la nation métisse, représentée par le RNM pour que nous puissions ensemble, avec le gouvernement fédéral, réaliser des progrès constructifs.
• 1130
Enfin, en cherchant à conclure un accord-cadre, nous
souhaitons assurer un leadership proactif de notre part et de la
part du gouvernement fédéral pour trouver de vraies solutions à ces
problèmes, au lieu d'avoir à passer devant la justice et d'attendre
les répercussions, comme cela a été le cas sur la côte est en
matière de pêche à la suite de la décision dans l'affaire Marshall.
Par exemple, nous ne voulons pas, dans l'affaire Powley, que la
Cour suprême fasse des affirmations et que l'on se trouve d'un coup
sans possibilité de négocier et sans accord-cadre qui nous
permettrait de réaliser des progrès dans un contexte politique si
les parties font preuve de volonté politique et de bonne foi.
Donc, voilà notre espoir et voilà l'orientation que nous souhaitons prendre. Nous espérons que vous nous soutiendrez dans cette initiative.
Merci de votre bienveillante attention.
Tony, je ne sais pas si vous voulez ajouter quelque chose.
M. Tony Belcourt (représentant, Ralliement national des Métis): Merci, Gerald.
J'ai plusieurs remarques à faire. D'abord, je note que le secrétaire parlementaire, qui est un important représentant du gouvernement, est déjà parti, et je suis très déçu de voir qu'il n'a pas cru bon de rester, étant donné que les représentants d'un des peuples autochtones du Canada comparaissent devant le comité. Je présume que le compte rendu des délibérations du comité lui communiquera clairement notre déception à cet égard.
Je voudrais insister sur certains des points soulevés par Gerald. Nous espérons que le comité nous soutiendra dans nos efforts pour réaliser un programme d'action avec le gouvernement. Je ne sais pas dans quelle mesure cela peut se faire au moyen de résolutions. Si la nation métisse et le gouvernement fédéral n'arrivent pas à conclure un accord-cadre avant cet automne, à notre avis, il conviendrait que le Parlement lance une enquête pour voir ce qui pose problème.
La nation métisse est l'un des peuples autochtones du Canada reconnus dans la Constitution canadienne. Les gouvernements ont l'obligation de protéger les droits qui y sont inscrits. Les droits ancestraux et les droits issus de traités du peuple métisse sont reconnus dans la Constitution du Canada, mais le Canada n'a rien fait pour protéger nos droits. Nous avons donc été obligés de recourir à l'appareil judiciaire pour prouver le bien-fondé de ces droits. Et nous avons eu gain de cause en première instance et à deux paliers, y compris devant la Cour supérieure d'appel de l'Ontario, qui a affirmé le bien-fondé des droits du peuple métis. Les tribunaux ont d'ailleurs reproché aux gouvernements leur inaction. Rien n'a été fait pour protéger nos droits; au contraire, les efforts déployés jusqu'à présent ont surtout visé à nous les enlever et à nous déposséder. Nous sommes à présent un peuple sans terres.
Je voudrais donc mettre les membres du comité en garde contre deux choses en particulier: d'abord, permettez-mois d'insister sur ce que disait Gerald Morin concernant la possibilité que la décision de la Cour suprême l'année prochaine, quelle qu'elle soit, entraîne toutes sortes de problèmes. Nous nous attendons à ce que l'affaire Powley soit entendue par la Cour au printemps prochain. Si la Cour nous donne gain de cause—et nous sommes convaincus que c'est ça qui se produira, étant donné les preuves très solides que nous avons présentées en première instance, preuve dont la validité a été reconnue par les deux paliers inférieurs—donc, dis-je, si nous connaissons ce même succès devant la Cour suprême du Canada, mais sans entretenir de relations officielles avec le gouvernement fédéral, ou sans qu'il y ait de processus de négociation avec le peuple métis, ce sera le chaos. Ça, c'est certain.
Si la Cour suprême du Canada ne nous donne pas raison, le résultat sera un chaos d'un autre ordre. Nos membres se sont battus pour édifier ce pays. Ils se sont battus pour ce pays. Ils en ont assez d'être laissés pour compte. Nous affirmons dans notre déclaration que le fait d'ignorer les problèmes des Métis et de ne pas reconnaître leurs droits déshonore l'État. À notre avis, il est temps que le gouvernement nous écoute, et nous espérons que le comité pourra le convaincre de cette nécessité.
Merci.
La présidente: Merci, monsieur Morin et monsieur Belcourt.
Pour assurer l'exactitude du compte rendu, nous avons besoin du nom de l'affaire qui a été jugée en Saskatchewan.
M. Tony Belcourt: Il s'agit de l'affaire des droits territoriaux des Métis du nord-ouest de la Saskatchewan.
La présidente: Merci.
Nous ouvrons donc la période des questions. Comme je ne vois pas M. Vellacott, je vais donner la parole à M. Marceau.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ): Merci beaucoup, madame la présidente. Je vous remercie tout d'abord d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd'hui. Cela me fait énormément plaisir. C'est la première fois que je rencontre votre groupe; c'est d'autant plus intéressant pour moi.
Je vais commencer par vous poser une question pour satisfaire ma curiosité. Vous avez mentionné l'histoire de Riel. Évidemment, cette histoire est importante. L'exécution de Riel a donné naissance à un des grands mouvements nationaux du Québec, auquel se rattache l'élection d'Honoré Mercier. Par curiosité, quelle est la population totale des Métis? Je voudrais aussi poser une sous-question. Quel est le pourcentage de cette population qui parle et qui comprend encore le français?
[Traduction]
M. Gerald Morin: Merci.
En ce qui concerne Riel, il faut se rappeler que ce chef métis s'est battu pour défendre les droits non seulement des Métis mais d'autres peuples également. Il s'est battu pour les Canadiens français et pour défendre les droits des populations francophones du Canada. Il a fait inscrire dans la Loi de 1870 sur le Manitoba et dans la Constitution canadienne les droits des populations francophones. Il a fait en sorte que la Déclaration des droits protège les droits des membres des Premières nations dans l'ouest du Canada, et ce dans un contexte d'immigration et de colonisation poussées. Il est considéré comme un héros non seulement par nous, mais par d'autres segments de la société canadienne, et certainement par les francophones du Canada et la population du Québec.
Lorsqu'il a été exécuté le 16 novembre 1885, le peuple du Québec était fort déçu, et 50 000 personnes sont descendues dans les rues de Montréal pour protester contre son exécution. Le peuple et les dirigeants du Québec exhortaient le gouvernement du Canada à ne pas l'exécuter et à faire plutôt preuve de clémence envers lui. Rappelons-nous la fameuse déclaration de John A. Macdonald qui aurait dit ceci: «Riel sera pendu, même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur». Donc, il avait beaucoup d'appui dans cette province, en plus d'entretenir des relations avec sa population; c'est un fait qu'il s'est battu pour les francophones du Canada et a même vécu un certain temps au Québec. Par exemple, il a fait ses études à Montréal. C'est donc un héros pour beaucoup de gens.
Ce qui s'est produit en 1885 est une véritable tragédie, et je sais que dans le cadre, d'une part, du processus de réconciliation dont il était question dans sa réponse au Rapport de la Commission royale, et d'autre part, de la poursuite des objectifs de la nation métisse, le gouvernement s'est engagé à mettre en relief le rôle de Riel et de la nation métisse dans l'histoire et dans l'évolution du Canada. C'était le fondateur de la province du Manitoba et l'un des pères de la Confédération, et à ce titre, il a joué un rôle critique dans le développement du Canada, notamment dans la région du Nord-Ouest. Donc, voilà l'un des objectifs que nous espérons atteindre dans la concrétisation des priorités de la nation métisse.
• 1140
Quant à la population globale de Métis, cela rejoint un de nos
autres objectifs, car il n'y a jamais eu de recensement des membres
de la nation métisse au Canada. Nous ne savons donc pas avec
exactitude combien il y a de Métis. Ainsi nous souhaitons établir
un registre pour la nation métisse, grâce à l'appui et aux crédits
du fédéral; nous pourrions donc procéder au recensement des membres
de la nation métisse et les inscrire au registre dans le cadre de
notre projet d'autonomie gouvernementale. Voilà justement l'un des
engagements pris par le gouvernement fédéral dans son premier Livre
rouge, à savoir le recensement de la population métisse. C'est une
promesse qui n'est toujours pas remplie.
En 1996, si je ne m'abuse, il y avait, selon les estimations, environ 210 000 Métis au Canada, soit 26 p. 100 de la population autochtone globale du Canada. Ce sont évidemment des estimations conservatrices. Notre chiffre est également approximatif, mais à notre avis, il y aurait entre 300 000 et 800 000 Métis au Canada, selon notre conception de notre identité et notre définition de la nation métisse.
Encore une fois, dans le cadre de la concrétisation des priorités de la nation métisse, nous espérons mettre sur pied un tel registre et procéder au recensement des Métis, et ce en vue de faire reconnaître notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
Mais il existe si peu de statistiques concernant le nombre de Métis qui parlent encore le français. Nous avons notre propre langue michif, qui représente un mélange de cri et de français, d'ojibway, et saulteux, qui est devenue un dialecte en bonne et due forme au cours des générations. Je crois savoir qu'un dictionnaire de michif a été rédigé à Belcourt, en Dakota du Nord, où habitent bon nombre de membres de la nation métisse. Certains Métis parlent encore le michif, mais je pourrais pas vous dire de quel pourcentage il s'agit. Je dirais qu'environ 2 ou 3 p. 100 des Métis parlent encore le michif.
Comme c'est le cas pour d'autres peuples autochtones, nous avons subi la perte de notre langue. À une époque, bon nombre de nos membres parlaient les langues michif. Donc, encore une fois, l'une des initiatives d'ordre pratique que nous espérons prendre consisterait à obtenir d'autres crédits pour nous aider à préserver et à promouvoir nos langues michif tout à fait uniques.
Je tiens à préciser, cependant, que pour la première fois, Patrimoine canadien a accepté ces dernières années d'accorder des crédits au Ralliement national des Métis pour lui permettre de protéger et de promouvoir les langues michif. Nous avons toujours besoin de plus de fonds, mais au moins nous disposons d'un certain financement à cette fin. Ainsi les langues michif sont reconnues comme des langues autochtones du Canada.
[Français]
M. Richard Marceau: En 1996, il y a cinq ans, vous êtes venus et vous avez parlé de différents problèmes, de différents enjeux: territoires, ressources, droits de pêche, droits de chasse, etc. Est-ce qu'il y a eu des progrès depuis, ou si vous êtes venus, vous avez vu, vous avez parlé et vous êtes repartis sans que le gouvernement apporte des solutions, en collaboration avec vous évidemment, aux enjeux que vous avez soulevés en 1996?
[Traduction]
M. Gerald Morin: En ce qui concerne notre situation au Canada, je dois dire qu'il n'y a eu absolument aucune évolution sur ce plan là. Par exemple, nous sommes toujours un peuple sans terres. Nous n'avons accès à aucun mécanisme utile ni à aucun programme ou service. Le taux de la pauvreté et la situation sociale et économique des Métis demeurent inchangés. Donc, c'est toujours le statu quo.
L'élément le plus encourageant, c'est que depuis que le gouvernement fédéral a réagi au Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui comportait 440 recommandations, Ralph Goodale et les responsables fédéraux se sont engagés à discuter de la concrétisation des priorités de la nation métisse avec le Ralliement national des Métis. Mais aucune démarche n'a été entreprise jusqu'à présent, donc je peux affirmer que la situation n'a pas changé, même si elle semble prometteuse. En tout cas, Ralph s'est engagé à conclure un accord-cadre avec nous sur les priorités de la nation métisse. Nous souhaitons donc que Ralph s'adresse au Cabinet dès cet automne afin d'obtenir des ressources additionnelles pour poursuivre cette démarche qui consiste à concrétiser les priorités de la nation métisse. De plus, d'ici là, nous devrions avoir l'ébauche finale de l'accord-cadre. Ralph s'adressera donc au Cabinet pour lui demander l'autorisation de ratifier et de signer cet accord cadre avec le Ralliement national des Métis.
Même quand cet accord-cadre sera en place, toutefois, tous nos problèmes ne seront pas réglés du jour au lendemain. Mais nous aurons au moins un cadre ou une démarche pour faire valoir nos droits au Canada de manière à accéder à tous ces programmes et services.
• 1145
Nous espérons donc que l'accord-cadre amènera un changement
important de politique du côté fédéral consistant à reconnaître
officiellement la nation métisse et le droit de nos gouvernements
d'être à la table des négociations pour faire valoir nos droits,
pour que nous puissions définir les modalités d'accès aux divers
programmes et services dispensés par les ministères fédéraux et
répondre ainsi aux besoins urgents de nos collectivités.
Donc, en ce qui nous concerne, l'accord-cadre sur les priorités de la nation métisse...disons que nous y avons consacré énormément de travail ces trois dernières années et demie. Il suscite énormément d'espoir dans nos collectivités. Certaines attentes ont été créées, et il faut procéder rapidement à la conclusion d'un tel accord. Tony l'a bien dit tout à l'heure lorsqu'il expliquait que si aucun accord n'était conclu, il y aurait un changement radical sur le plan de nos relations avec le Canada et de la dynamique politique en général.
Je demeure donc optimiste, et j'ai bon espoir que nous réussirons à conclure un tel accord.
La présidente: Merci.
Monsieur Martin, vous avez la parole.
M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): M. Belcourt voulait intervenir.
La présidente: Très bien. Vous avez la parole.
M. Tony Belcourt: Merci, madame la présidente.
Comme M. Morin, je suis convaincu que M. Goodale est de bonne foi lorsqu'il affirme, dans ses discussions avec nous, qu'il demandera l'autorisation du Cabinet dès cet automne. Mais je crains qu'il ne soit pas convaincu de recevoir l'appui ni du Parlement ni des Canadiens pour un accord-cadre englobant des négociations avec les Métis sur les questions les plus épineuses, c'est-à-dire les questions territoriales, et la reconnaissance et l'application de nos droits. Je pense vous dire que nos membres n'accepteront pas que les négociations portent uniquement sur la façon de faire dispenser les programmes et services fédéraux par la nation métisse.
Nous sommes déjà exploités par le gouvernement fédéral. Nous menons d'ores et déjà des activités au nom du gouvernement fédéral, même si nous avons beaucoup moins de personnel et beaucoup moins de ressources que lui.
Donc, les Métis ne s'intéressent pas uniquement aux programmes et aux services. Notre peuple s'intéresse aux questions les plus fondamentales, et c'est pour cela qu'il faut absolument obtenir l'autorisation du Cabinet pour aller de l'avant. C'est pour ça qu'il est si important que les parlementaires fassent savoir à M. Goodale qu'ils soutiennent cette initiative et qu'il est grand-temps que le gouvernement du Canada mette en place une démarche concrète et fructueuse pour répondre aux aspirations des Métis.
Madame la présidente, je voudrais ajouter un autre point concernant les statistiques. Nous avons actuellement des registres, même si nous n'avons reçu aucun crédit pour les mettre sur pied. Par exemple, la Nation métisse de l'Ontario a utilisé ses propres fonds pour élaborer sa propre procédure d'enregistrement. Au sein de la nation métisse, nous utilisons toujours des urnes pour nos élections. Chaque fois que des élections sont déclenchées, nous affichons la liste des électeurs. En Saskatchewan, la liste des éjecteurs récemment publiée comportait le nom de quelque 25 000 électeurs.
Donc, ce n'est pas comme si nous n'avions pas une bonne idée de l'ampleur de notre population de base; nous en avons une idée très précise. Mais pour ce qui est de savoir combien de personnes bénéficieront de la reconnaissance officielle des droits des Métis ou du règlement de toute éventuelle revendication, il est certain qu'au bout du compte, le nombre de personnes qui se seront déclarées bénéficiaires potentielles sera bien plus élevé que le nombre dont il a été question jusqu'à présent.
Je tenais donc à apporter cette petite précision. Nous avons des registres, et nous avons une bonne idée de la population métisse de base et de l'ampleur de nos collectivités. Il va sans dire que nous possédons toutes ces informations-là.
Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur Martin.
M. Pat Martin: Merci, madame la présidente.
Merci, monsieur Morin et monsieur Belcourt.
Votre exposé m'a beaucoup intéressée. J'attendais avec impatience cette rencontre, car j'estimais que nous aurions dû depuis longtemps donner l'occasion aux représentants légitimes de votre nation de présenter leurs doléances, et je constatais que le comité n'agissait pas dans ce sens. Donc, nous sommes très heureux de vous accueillir ce matin. Je tiens à vous dire également qu'il y a à mon avis beaucoup de bonne volonté autour de cette table et que nous aimerions pouvoir travailler en étroite collaboration avec vous pour faire avancer vos dossiers. Je ne crois pas me tromper en vous disant que c'est certainement l'avis des parties représentées de ce côté-ci de la table.
• 1150
J'ai été frappée par vos remarques concernant le nombre
d'actions en justice que vous avez intentées, ou du moins votre
sentiment de n'avoir aucun autre recours que le système judiciaire;
à mon avis, tout le monde conviendrait pour dire qu'une
multiplicité de procédures judiciaires dénote un échec—c'est-à-dire la
rupture de négociations entre deux parties. Donc, en
l'absence d'un autre moyen légitime de négocier un règlement, vous
estimez que votre seul recours consiste à passer devant la justice.
La question que j'aimerais vous poser concerne les résultats de notre recherche, qui indiquent que dans le cadre de l'Accord de Charlottetown, le peuple métis aurait bénéficié d'une reconnaissance officielle. Les autorités fédérales et les ministres provinciaux étaient d'accord à l'époque pour faire viser les Métis par le paragraphe 91.(24).
Donc, en supposant que des progrès soient réalisés sur ce plan-là—c'est-à-dire que le gouvernement ait la volonté politique de rassembler tous ces acteurs une autre fois, dans le contexte d'une conférence de premiers ministres ou à un autre forum, quels seraient à votre avis les résultats concrets de cette reconnaissance? Une fois cette reconnaissance officielle... S'agirait-il des éléments que vous avez énumérés—c'est-à-dire le financement de services et soins de santé, le logement social et les questions liées à la justice? Est-ce que vous vous attendez à bénéficier des mêmes ressources que d'autres peuples autochtones? Est-ce que cela suffirait?
M. Gerald Morin: D'abord, au lendemain de cette reconnaissance officielle, notre première grande priorité serait de nous assurer d'avoir mis en place une démarche particulière pour les Métis, pour nous permettre de faire valoir nos droits en tant que nation au sein de la fédération canadienne et notre droit à l'autodétermination au Canada. Je pense que ce sont justement les questions épineuses auxquelles a fait allusion Tony qui seraient notre grande priorité—c'est-à-dire nous assurer d'avoir...
M. Pat Martin: Des programmes?
M. Gerald Morin: Non, plutôt une démarche légitime et fructueuse qui nous permette de conclure, avec le gouvernement fédéral, des traités et des ententes touchant nos revendications territoriales pour que nous puissions accéder à nos terres et à nos ressources, commencer à exercer notre droit à l'autonomie gouvernementale, établir des registres pour la nation métisse et procéder au recensement de nos membres. Nous voulons aussi être en mesure de défendre et de concrétiser notre troisième ordre de gouvernement métis au sein de la fédération, comme le prévoyait l'Accord de Charlottetown et l'accord conclu avec la nation métisse qui l'accompagnait, pour que le transfert des responsabilités ne devienne pas un prétexte pour nous exploiter, comme le disait Tony, et nous forcer à exécuter des programmes pour moins cher au nom du fédéral. Il faut que la responsabilité des programmes, des ressources et des budgets aux administrations métisses pour que nous exécutions les programmes et services que requiert notre peuple en fonction de nos priorités et de nos besoins.
Cela me semble bien important, même si je reconnais qu'il faudrait un certain temps pour organiser tout cela. Il va sans dire que nous avons besoin d'accéder aux divers programmes, services et ressources qui existent pour répondre aux besoins les plus pressants de nos collectivités et combattre les plus graves problèmes sociaux et économiques qui les caractérisent.
Je pense que l'autre volet de votre question concernait...
M. Pat Martin: Souhaitez-vous que l'accord-cadre que vous cherchez à conclure actuellement précise tous ces détails? Je suppose que vous voulez que cet accord-cadre soit en place au cas où tout cela se concrétiserait.
M. Gerald Morin: C'est exact.
M. Pat Martin: Les deux vont de pair.
M. Gerald Morin: À l'heure actuelle, comme vous l'avez fait remarquer, à cause du nombre croissant d'actions en justice et du fait que nous n'avons accès à rien du tout... Disons qu'en ce qui nous concerne, l'accord-cadre serait un point de départ pour constituer une démarche et créer des tables de négociation qui nous permettent de conclure des accords de fond, notamment dans le domaine du droit, des compétences, etc., puisque ces questions font l'objet des actions que nous intentons devant les tribunaux. Et, bien sûr, les questions très pratiques, telles que la prestation des services, l'exécution des programmes et les ressources que cela suppose sont aussi très importantes.
Mais ce qui me semble tout à fait critique, c'est que l'on n'oublie pas que notre lutte ne s'est pas articulée uniquement autour des droits et de l'autodétermination. Notre lutte a surtout concerné et continue de concerner notre volonté de faire reconnaître et respecter la nation métisse au Canada. Si nous voulons conclure cet accord cadre, c'est surtout pour faire reconnaître, sur le plan juridique, notre existence légitime en tant que peuple. Il s'agirait de reconnaître l'existence du peuple métis au Canada.
À partir de là, on pourrait commencer à négocier les questions de droits et d'autodétermination et nous attaquer aux problèmes des collectivités métisses, car à l'heure actuelle, et depuis la Confédération, le gouvernement du Canada considère que, juridiquement parlant, nous n'existons pas. Nous sommes nulle part. Nous ne sommes rien. Il en a d'ailleurs toujours été ainsi. Donc, nous espérons que grâce à un accord-cadre, nous pourrons nous entendre avec les autorités fédérales pour faire reconnaître notre existence légitime sur le plan juridique en tant que peuple et pour notre droit à l'autodétermination.
• 1155
En tant que l'un des peuples fondateurs du pays, qui a aidé à
édifier cette nation—et comme vous l'a fait remarquer Tony, nos
membres se sont battus lors de la Première Guerre mondiale, la
Seconde Guerre mondiale, et la guerre de Corée; ils sont allés en
Afrique du Sud et dans divers pays pour défendre l'Empire
britannique; nous nous sommes battus pour le Canada—nous avons
joué un rôle important à juste titre, car la présence de notre
peuple est l'une des caractéristiques fondamentales du Canada. Les
droits de la nation métisse sont consacrés dans la Constitution du
Canada et reconnus en droit international et dans d'autres
instruments juridiques.
Voilà donc notre position. Nous l'avons toujours affirmé énergiquement. Nous avons fait la guerre deux fois au nom du gouvernement canadien afin de défendre nos intérêts collectifs et de concrétiser cette vision que nous avions de nous-mêmes et de notre pays. Nous espérons que cet accord-cadre sera enfin l'occasion de conclure un pacte avec le Canada. Pour moi, et là je pense pouvoir parler pour l'ensemble de la nation métisse, comme vous le disait Tony, il va de l'honneur de l'État, et il est temps, à une époque où le premier ministre fait le tour du monde en affirmant que le Canada est le meilleur pays du monde, que ce soit vrai aussi pour ce qui est de la reconnaissance de la nation métisse au Canada.
M. Tony Belcourt: Je voudrais faire quelques autres observations en réponse à la question de M. Martin, ou disons y apporter un éclairage un peu différent.
Cela ne nous intéresse absolument pas de mettre sur pied un autre ministère des Affaires indiennes et du Nord. Ce que nous avons en tête est radicalement différent du statu quo.
Ce qui nous semble tout à fait fondamental, c'est que l'on procède à une réorganisation et une réaffectation des ressources financières.
Nous avons un seul exemple à vous citer à cet égard, même s'il n'est pas parfait: lorsque le gouvernement fédéral a décidé de transférer aux provinces les crédits du ministère du Développement des ressources humaines, soit 5 milliards de dollars par année, il a mis de côté les fonds destinés aux peuples autochtones pour ensuite les leur verser directement. Ils ne nous ont pas transféré toute la responsabilité, puisque nous n'exerçons aucun contrôle sur les programmes; nous ne sommes pas en mesure de les concevoir. Mais au moins le gouvernement fédéral a réservé ces crédits pour nous, au lieu de les transférer aux provinces.
Par conséquent, nous sommes maintenant en mesure d'administrer des programmes de formation professionnelle à l'intention de nos propres membres, si bien qu'en Ontario, nous avons mis sur pied des programmes de bourses dans 22 collèges et 10 universités de la province grâce à ces crédits. Nous permettons à des centaines de Métis de bénéficier de formation professionnelle et de programmes d'éducation. Nous ne pouvons faire preuve d'innovation que jusqu'à un certain point, étant donné que nous devons nous conformer aux règlements du Conseil du Trésor, mais c'est néanmoins un bon exemple d'une réaffectation efficace des fonds.
Donc, si nous réussissons à mettre en place des structures de gouvernance, comme vous l'expliquait Gerald, nous voudrons que Santé Canada et les autres autorités nous versent directement ces crédits pour nous permettre...
M. Pat Martin: Vous voulez établir des relations en bonne et due forme, en fin de compte.
M. Tony Belcourt: Oui, exactement. Tout cela était prévu dans l'Accord de Charlottetown et les modalités y étaient définies.
La présidente: Monsieur Godfrey.
M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.): Merci, et bienvenue. J'entretiens des relations suivies avec les Métis de l'Ontario, et je suis donc très heureux d'avoir l'occasion de vous parler aujourd'hui.
J'ai deux questions à poser qui sont liées. La première concerne les statistiques qui sont évidemment importantes—c'est-à-dire le recensement et tout ce qui l'entoure—car il est difficile de généraliser tant qu'on n'a pas une bonne idée du nombre de personnes dont on parle.
Au dernier recensement mené en mai, par exemple, aviez-vous la possibilité de vous déclarer volontairement, soit sur le questionnaire abrégé, soit sur le questionnaire complet? J'essaie de m'en souvenir. Je l'ai bien rempli, mais j'avais le questionnaire abrégé. Aviez-vous la possibilité de vous autodéclarer des Métis?
Par rapport aux trois définitions proposées par la Fédération des Métis du Manitoba, il y a un critère négatif—on ne peut pas être inscrit à titre de membre de Première nation ou d'Inuk, puisqu'il faut être à la fois Européen et Autochtone—mais en même temps il faut s'autodéclarer. Donc, je présume que le plus important groupe est composé de Métis qui se sont autodéclarés. On ne peut certainement pas forcer quiconque à se déclarer Métis.
• 1200
Donc, ma première question concerne le recensement; je voulais
savoir si ce dernier nous apporterait des informations utiles—et
ensuite, j'aurais une deuxième question à vous poser.
M. Tony Belcourt: Merci, monsieur Godfrey.
D'abord, je tiens à préciser que nous ne nous considérons pas comme étant de sang mixte. Moi je suis à 100 p. 100 Métis. Les gens que vous voyez devant vous ne sont pas de sang mixte; moi, je suis Métis à 100 p. 100, et la personne assise à côté de moi l'est également. Quand nous parlons d'auto-identification, nous parlons de ceux qui se déclarent volontairement Métis.
Pour répondre à votre question concernant le recensement, le questionnaire complet permet aux Métis de s'identifier. Le problème, c'est que le questionnaire complet n'est pas donné à autant de ménages. La méthodologie pose de nombreux problèmes à notre avis, et nous avons discuté avec les responsables du Recensement du Canada du questionnaire proprement dit, etc. Mais nous n'arrivons absolument pas à convaincre ces derniers de rassembler grâce au recensement les données qui nous semblent importantes. En ce qui nous concerne, le recensement comporte de nombreux défauts. Donc, nous ne sommes pas convaincus que les statistiques sur le nombre total de Métis au Canada correspondront vraiment à la réalité cette fois-ci.
M. John Godfrey: La dernière fois, est-ce que le questionnaire complet comportait une question semblable, et dans l'affirmative, même si la méthodologie était imparfaite, qu'est-ce que vous avez obtenu comme statistique par suite de ce recensement?
M. Tony Belcourt: Je pense que Gerald a déjà mentionné que le nombre recensé était d'environ 210 000.
M. John Godfrey: Très bien.
M. Tony Belcourt: Mais nous savons pertinemment que ce chiffre est inexact, vu le nombre de personnes actuellement inscrites dans nos registres.
M. John Godfrey: Ma deuxième question concerne ce paradoxe que nous a décrit M. Morin—et vous aussi, monsieur Belcourt—c'est-à-dire le montant disproportionné de crédits fédéraux qui sont versés aux diverses collectivités, c'est-à-dire aux Indiens de plein droit plutôt qu'aux Métis, si vous voulez.
Ce qui me semble un peu curieux, et voilà justement le paradoxe—j'essayais de me souvenir de statistiques que j'ai vues récemment concernant l'habitation—certains constatent que malgré le manque de ressources, et aussi déplorable que soit la situation en matière d'habitation, elle semble un tout petit peu moins déplorable chez les Métis.
Donc la question avec laquelle je me débats est celle-ci: Nous avons au Canada deux groupes de personnes dont la situation socio-économique est tout à fait déplorable, qui sont atteints de diabète et de problèmes semblables et à un de ces deux groupes, nous fournissons toutes sortes de ressources, et nous sommes beaucoup plus avancés sur le plan de la reconnaissance, des revendications territoriales, etc. Mais au niveau communautaire, là où ça compte vraiment, cela n'a aucune importance, qu'on parle de revendications territoriales, de reconnaissance, de recensement ou d'autres choses. Ce qui compte le plus pour un être humain, c'est sa santé, son espérance de vie, les taux de mortalité infantile, et ce genre de choses, et le fait est que l'argent—du moins selon l'ancienne définition—n'y est pour rien. Donc je me dis que nous devons faire preuve de créativité pour solutionner ce problème. Je me débats donc avec cette constatation que vous en arrivez au même point, que vous bénéficiez ou non de toute l'aide et de toutes les ressources qu'on a fournies aux Indiens de plein droit. Pouvez-vous m'aider à comprendre ce paradoxe?
M. Tony Belcourt: Eh bien, je peux vous dire une chose: si j'étais député, je me demanderais pourquoi les fonds investis par Affaires indiennes et du Nord n'ont pas donné de meilleurs résultats, et je suis convaincu que c'est justement la question que vous vous posez.
D'après ce que j'ai pu comprendre de la position des membres des Premières nations à qui j'ai parlé—et je travaille en étroite collaboration avec les Premières nations de l'Ontario—ils sont fermement convaincus, comme moi, que si nous avions la possibilité de maîtriser tous les éléments de notre vie, nous nous tirerions beaucoup mieux, par rapport à une situation où quelqu'un vient chez nous et fait tout à notre place.
• 1205
Je peux vous dire que s'il y avait eu un agent indien dans la
collectivité où j'ai grandi, qui faisait tout pour nous, qui
décidait du genre de maison où on habiterait, etc., si bien qu'on
n'aurait eu aucune maîtrise sur quelque aspect que ce soit de notre
vie, je pense que nous serions à présent en bien plus mauvaise
posture que c'est actuellement le cas.
Cela n'empêche pas qu'un peu plus loin, dans la réserve, il y a des gens qui vivent dans des maisons toutes neuves construites de planches à gorge sans eau courante ou chauffage convenable, si ce n'est peut-être un demi-baril d'huile qui leur sert de poêle. Chez nous, dans notre collectivité, nous avons des maisons en bois rond qui sont beaucoup plus solides et que nous avons construites nous-mêmes en utilisant de la boue et de la paille. Mais nous non plus, nous n'avons toujours pas d'eau courante dans nos maisons.
Je me demande même pourquoi on a besoin de tenir un tel débat, car il est si évident—et les Premières nations l'affirment aussi—que des changements radicaux s'imposent. Notre message, c'est que nous ne voulons absolument pas passer par là.
M. John Godfrey: Ce qui me plaît dans votre déclaration à la page 13, c'est l'idée d'une démarche en trois volets. J'ai beaucoup aimé votre deuxième point, où il est question d'initiatives pratiques, de pratiques exemplaires, et là vous donnez un très bon exemple. À propos, concernant le transfert des fonds fédéraux—vous avez cité l'exemple d'un cas où le gouvernement fédéral a retenu des crédits pour vous les verser directement au titre de la formation professionnelle—il faudrait qu'on puisse avoir tous les détails concernant cette initiative et son déroulement.
Nous sommes sur le point de faire la même chose pour l'habitation—d'ailleurs, il convient que vous soyez au courant. Nous avons demandé à divers fonctionnaires d'élaborer des pratiques exemplaires, et nous souhaitons à juste titre connaître vos vues sur la question. D'ailleurs, madame la présidente, il faudra s'assurer de poser cette question dans le cadre de notre étude, pour ne pas oublier, comme nous l'avons fait si souvent, d'incorporer les meilleures pratiques de la nation métisse dans le domaine de l'habitation.
Mais il serait bon de pouvoir éliminer toutes ces mauvaises pratiques dont se plaignent les Premières nations et d'incorporer tous les enseignements que nous avons tirés grâce aux pratiques exemplaires des uns et des autres dans le nouveau régime que nous élaborons. À mon avis, ce serait une meilleure approche pour faire avancer les choses. Je vous invite à réagir, si vous le souhaitez, mais sinon je vais en rester là.
M. Gerald Morin: Pour répéter ce qu'a dit Tony, quelles que soient les solutions que nous cherchons pour la nation métisse dans le cadre de nos discussions avec le gouvernement fédéral, nous ne voulons certainement pas nous contenter de reproduire ce qui a été fait... Par exemple, il est impensable qu'il existe un ministère massif des Affaires indiennes qui traite avec nous de la même manière qu'il traite actuellement avec les membres des Premières nations. À mon avis, nous devrons trouver des solutions uniques et intéressantes en cherchant à régler les grands problèmes de nos collectivités.
En ce qui concerne les pratiques exemplaires, Tony vous en a cité un exemple en parlant du transfert des programmes de formation et d'emploi aux cinq organismes membres du RNM. Il y a beaucoup d'exemples de réussites, et Tony a cité certains exemples en Ontario. Dans le domaine du logement social, nous avons été parmi les premiers agents, dans les années 70, à nous plaindre des conditions de logement déplorables dans les collectivités autochtones, et ce sont les dirigeants métis qui ont soulevé la question à l'époque par l'entremise du Conseil national des Autochtones du Canada. Nous avons réussi à convaincre la SCHL de créer des programmes qui seraient administrés et gérés par nos membres, notamment dans la région des Prairies à l'époque.
Dans la province de Saskatchewan, qui est ma province d'origine, nous avions par exemple la Métis Housing Corporation. Nous avions la responsabilité exclusive du logement social en Saskatchewan, en milieu rural et dans les collectivités autochtones, et donc nous assurions des services à l'ensemble des peuples autochtones, et aux non-Autochtones des régions rurales de la Saskatchewan. Nos efforts ont été couronnés de succès. Lorsque le gouvernement fédéral, par suite d'une entente conclue avec les provinces, a commencé à transférer la responsabilité du logement social de la SCHL aux provinces, il a négligé de protéger les ententes que nous avions négociées dans les années 70. Par conséquent, le gouvernement de la Saskatchewan nous a essentiellement enlevé notre programme d'habitation et s'est mis à traiter directement avec les municipalités. Et nous ne jouons toujours aucun rôle dans le secteur du logement social, malgré notre bilan et notre excellent taux de réussite en Saskatchewan.
• 1210
Et c'est le cas dans de nombreux domaines différents. Nous
avons l'Institut Gabriel Dumont en Saskatchewan, et l'Institut
Louis Riel au Manitoba. L'Institut Gabriel Dumont en Saskatchewan
compte 700 ou 800 personnes qui ont obtenu leur diplôme
d'enseignement—et là je parle d'Autochtones et de Métis. Donc nous
avons fait nos preuves. Nous avons formé plus de personnes grâce au
système que vous a décrit Tony. Plus de nos membres ont bénéficié
de formation et de programmes d'études. Nous avons à présent les
ressources humaines et la capacité d'administrer nous-mêmes ces
programmes et services dans nos collectivités, et donc de commencer
à changer les choses chez nous.
Mais c'est le genre de choses que nous n'avons pas fait assez souvent, car nous n'avons pas réussi à nous faire transférer suffisamment de programmes et de services. Cela devrait se faire beaucoup plus, mais vu ce que nous avons réalisé au cours des 20 ou 30 dernières années, je dirais que dans l'ensemble, nos efforts ont été couronnés de succès. Ce n'est jamais facile et il y a toujours un certain nombre de détracteurs, mais c'est ainsi qu'on s'améliore. On fait toujours des erreurs, mais on apprend toujours de ses erreurs, et on obtient ensuite de meilleurs résultats.
Pour les fins du mémoire au Cabinet de M. Goodale cet automne, nous préparons ce que nous appelons un Rapport sur l'état de la nation. Nous y décrirons nos pratiques exemplaires et certaines des réussites que nous avons connues au fil des ans dans le cadre des programmes qui nous ont été transférés, non seulement par le gouvernement fédéral mais des administrations provinciales également. Ce document démontrera que nous avons la capacité de prendre en charge ce genre de programmes. Nous lui préparons ce document pour qu'il soit bien armé, si vous voulez; nous lui fournirons donc l'information qui lui permettra de dire: Voilà ce qu'ils ont fait avec les crédits que nous leur avons versés au cours des trois dernières années dans le cadre de l'initiative Rassembler nos forces; voilà ce qu'ils ont fait grâce aux autres ressources et aux programmes qu'ils ont mis sur pied; donc, ils ont la capacité voulue. Ainsi nous préparerons ce document pour M. Goodale, et vous pourriez éventuellement en avoir des copies aussi.
Donc, cet aspect-là est très important.
M. Tony Belcourt: Madame la présidente, je ne veux pas manquer l'occasion de dire à M. Godfrey que les statistiques sur le logement pourraient changer considérablement. Si nos statistiques étaient légèrement plus encourageantes que celles des Premières nations, c'est parce que nous avons accès au Programme de logement pour les ruraux et les autochtones depuis 1974. Mais comme ce programme a été éliminé par le gouvernement du Canada il y a quelques années, nous n'y avons plus accès. Il a été transféré aux provinces, et les provinces s'en fichent. D'ailleurs, dans la province de l'Ontario, notre situation est très grave. Dans le domaine de l'habitation, il n'y a aucune mesure qui nous permettrait de faire quelque chose pour les nouveaux membres qui arrivent, sans parler des réparations urgentes que nécessite le parc de logements plus anciens. Donc, dans le secteur de l'habitation, nous avions de bonnes pratiques, mais elles n'existent plus. Je voulais m'assurer d'apporter cette précision pour les fins du compte rendu.
La présidente: Merci.
Nous entamons le deuxième tour de questions. Chaque député disposera en principe de trois minutes, mais nous essayons évidemment d'être plutôt souples car je sais que tout le monde veut entendre les réponses. Donc nous passons au deuxième tour.
Monsieur Marceau.
[Français]
M. Richard Marceau: Il n'est pas écrit dans la Constitution, au paragraphe 91(24), que vous êtes sous la responsabilité du gouvernement fédéral. Un des enjeux que vous avez mentionnés en 1996, c'est celui de savoir qui a compétence pour—permettez-moi l'expression—«deal» avec vous. Si ce n'est pas le gouvernement fédéral, ce sont nécessairement les provinces qui ont compétence pour faire affaire avec vous, mais vous ne faites mention de négociations avec les provinces nulle part dans vos présentations ou dans vos questions, et cela m'a un peu surpris. Est-ce parce qu'il n'y en a pas? Est-ce parce qu'elles sont bloquées? Est-ce que ça va bien? Est-ce qu'il y a des relations officielles ou officieuses? Qu'est-ce qui se passe dans vos relations avec les provinces? Avez-vous décidé de les laisser tomber et de faire affaire directement avec le gouvernement fédéral?
[Traduction]
M. Gerald Morin: D'abord, les provinces sont d'accord avec la position que nous avons adoptée, à savoir que les Métis sont visés par le paragraphe 91(24) et qu'ils tombent donc sous le coup des lois fédéralse. C'est d'ailleurs la position qu'elles défendent depuis toujours. Dans certains cas, c'est parce que c'est dans leur propre intérêt de le faire. Elles nous répondent toujours: «Ne frappez pas à notre porte; allez voir les autorités fédérales.» Mais le fait est que nous avons souvent traité avec les administrations provinciales...
M. Tony Belcourt: Sauf en Ontario.
M. Gerald Morin: ...sauf en Ontario. Nous avons cinq organismes membres dans les provinces des Prairies, en Ontario, et en Colombie-Britannique qui constituent le Ralliement national des Métis. Nous avons conclu des accords tripartites—sauf en Ontario—dans la région des Prairies et en Colombie-Britannique avec les administrations fédérale et provinciales qui nous ont permis de négocier un certain nombre de choses, bien que nous mettions l'accent sur le transfert des programmes. En Alberta, depuis les années 30—et je crois qu'ils ont adopté une nouvelle loi au début des années 90—ils ont huit implantations métisses qui sont réservées au peuple métis. Des terrains, des ressources et des programmes ont également été prévus pour les Métis.
• 1215
D'autres accords ont également été conclus. Par exemple, à
l'Assemblée législative de la Saskatchewan, ils ont procédé à la
première lecture d'un projet de loi sur les Métis de la
Saskatchewan qui reconnaît officiellement la nation métisse de la
Saskatchewan et la contribution qu'elle a apportée à la société de
cette province. Je crois que la deuxième lecture est prévue pour
vendredi. L'idée est de tout finir avant l'été, pour que le projet
de loi puisse recevoir la sanction royale pendant l'été. Donc, un
certain nombre d'opérations ont été conclues là-bas.
Je pense que les gouvernements provinciaux se rendent compte qu'il est possible de faire des progrès par rapport à certains éléments pratiques même si les grandes questions juridiques et de compétence ne sont pas réglées. Mais ils peuvent avancer jusqu'à un certain point seulement. Tant que le gouvernement fédéral n'aura pas fait preuve de leadership en tirant au clair la question des compétences, il ne sera pas possible à mon avis de faire beaucoup avancer le dossier des droits métis. Mais certaines administrations démontrent, de par les initiatives qu'elles lancent, qu'elles sont prêtes à négocier de bonne foi avec les Métis pour conclure des accords qui permettront de régler un certain nombre de nos problèmes.
Si nous pouvions conclure un accord-cadre sur les priorités de la nation métisse, grâce auquel il serait possible de réaliser des progrès substantiels dans ces autres domaines, je pense que les provinces seraient plus disposées à négocier et à conclure des ententes conjointes avec le fédéral et les Métis. Dans nos discussions avec Ralph Goodale, nous avons accepté que, selon le sujet que nous examinons dans le contexte de nos discussions sur l'accord-cadre, que les provinces participent aux discussions et négociations, notamment sur des questions qui relèvent de leur responsabilité.
Donc, ce travail-là se poursuit. Pour moi, cet accord-cadre amènera de nombreux changements positifs, y compris une plus grande volonté de la part des provinces de participer au processus. D'ailleurs, je vous rappelle qu'en 1992, le gouvernement fédéral et toutes les administrations provinciales et territoriales ont accepté à l'unanimité un texte prévoyant qu'il est entendu que les Métis sont visés par le paragraphe 91(24).
Donc, le résultat final dépend surtout du gouvernement fédéral et de cet accord-cadre. Si nous sommes en mesure de réaliser des progrès sensibles par ce biais, cela préparera la voie à une participation provinciale beaucoup plus poussée.
En Ontario, la situation est fort différente de celle des Prairies ou de la Colombie-Britannique. En Ontario, le gouvernement provincial éprouve surtout de l'hostilité à l'égard de notre peuple. Sa politique consiste à ne pas reconnaître l'existence de notre peuple. En ce qui le concerne, le peuple métis n'existe pas dans la province de l'Ontario. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'accords tripartites en Ontario—la province n'est tout simplement pas disposée à prendre part à ces discussions et maintient une attitude très hostile à notre endroit. Un bon exemple de son attitude est l'affaire Powley, dans le cadre de laquelle la province avance des arguments très énergiques pour étayer sa position selon laquelle notre peuple ne jouit d'un droit et n'existe pas dans la province de l'Ontario.
M. Belcourt: Madame la présidente, d'abord, vous venez de soulever un point tout à fait critique. Tout s'articule autour de la question des compétences. Nous sommes en quelque sorte un hochet politique, puisque le gouvernement fédéral nous dit: «Désormais vous ne relevez plus de notre responsabilité; désormais c'est la province qui en est chargée», alors que la province nous répond qu'elle n'est pas compétente pour traiter avec nous en tant que peuple. Dans les provinces des Prairies, cependant, ils ne peuvent pas faire abstraction de tous ces gens à peau brune et de sang cri qu'ils entendent protester dans les rues et qui sont Métis.
Donc, les provinces établissent des programmes à l'intention des pauvres et nous disent ensuite: «Bon, vous êtes pauvres et nous acceptons de traiter avec vous parce que vous êtes pauvres. Nous acceptons aussi de traiter avec le gouvernement fédéral et de conclure des accords tripartites avec vous parce que vous êtes pauvres». Mais la province refuse de traiter avec nous en tant que peuple. Il n'y a aucune négociation à l'heure actuelle sur la question des droits. Et il n'est pas non plus question d'en discuter dans le cadre de ces accords tripartites.
• 1220
Dans la province de l'Ontario, la situation actuelle est
scandaleuse. Nous avons été obligés de recourir au système
judiciaire pour prouver les antécédents historiques de la
collectivité métisse de Sault Ste. Marie. En Ontario, les livres
d'histoire n'en parlent pas, parce que les autorités s'y refusent.
Mais nous avons prouvé l'existence de cette collectivité devant les
tribunaux. Et nous avons prouvé que cette collectivité métisse
existe toujours, même si des milliers de Métis proclament haut et
fort: «Nous sommes Métis et nous sommes originaires de ces
collectivités métisses historiques». La province refuse néanmoins
de négocier avec nous et de nous rencontrer. La seule personne qui
accepte de dialoguer avec moi est le procureur général de la
province.
On nous traite comme des criminels lorsque nous exerçons notre droit de chasser et de pêcher pour des raisons de subsistance—il s'agit là d'une pratique traditionnelle dont dépendent bon nombre de nos membres pour survivre. Voilà donc la situation à laquelle nous sommes confrontés.
Les provinces nous ont dit essentiellement: «Non, vous n'êtes pas notre responsabilité. Vous relevez de la compétence du gouvernement fédéral. Et pour ce qui est de l'accord que nous avons conclu, celui qui a été accepté par tout le monde à Charlottetown en 1992, eh bien, il n'est jamais entré en vigueur, évidemment, parce que l'Accord de Charlottetown n'a pas reçu l'appui de la population; par conséquent, l'accord conclu avec la nation métisse n'a pas abouti. Et nous allons faire comme si nous n'avions jamais ni rien signé, ni conclu d'accord.»
En fait, le Parlement et l'ensemble des assemblées législatives ont approuvé cet accord, étant donné que les Métis relèvent de la compétence du fédéral. Le gouvernement fédéral n'est peut-être pas la seule autorité responsable, mais faisons au moins en sorte que nous puissions en arriver là. Cette question relève de la compétence du gouvernement fédéral, mais quelle est l'étendue de sa compétence? Cette question relève aussi de la compétence des provinces, mais encore une fois, quelle est l'étendue de leur compétence? Le problème, c'est que nous n'avons aucun moyen de discuter de ces choses-là.
La présidente: Merci.
Monsieur Godfrey.
M. John Godfrey: J'ai trouvé le passage que je cherchais dans le rapport de la SCHL. Je voudrais vous le lire et obtenir votre réaction.
-
Le résultat, c'est que 32 p. 100 des ménages métis ont un besoin
impérieux de logement (cela correspond à la moyenne chez les
peuples autochtones). La proportion est la même dans les ménages
métis [...] bien que dans l'ensemble, la situation économique des
Métis est légèrement supérieure à celle d'autres peuples
autochtones. Une plus forte proportion de Métis adultes en âge de
travailler ont l'avantage d'avoir fait au moins certaines études
secondaires et d'avoir trouvé un emploi.
Il est question un peu plus loin dans ce rapport d'effets neutralisateurs. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de gens ayant une incapacité, de parents seuls, de personnes âgées à faible revenu qui habitent en milieu rural, et de plus, les régions où habitent la plupart des Métis sont problématiques, que ce soit les centres urbains du nord de la région des Prairies ou les zones rurales éloignées au nord, qui s'étendent vers les Territoires du Nord- Ouest.
Donc, j'ai deux questions à vous poser: D'abord, dans la mesure où les Métis jouissent réellement de ce léger avantage économique, à votre avis, ce dernier serait-il attribuable à une différence de milieu de vie (le facteur rural-urbain) entre la population métisse et la population d'Indiens inscrits?
Ma seconde question fait suite à un commentaire de M. Belcourt, si je ne m'abuse. Avez-vous bien dit, sur un ton ironique, que si les Métis avaient été visés par la Loi sur les Indiens depuis toujours, leur situation serait encore plus grave qu'elle ne l'est maintenant? Autrement dit, la négligence était préférable à la politique officielle. Je ne veux pas vous faire dire des choses, bien sûr, mais vos propos m'ont semblé assez clairs en ce qui concerne au moins une collectivité.
M. Tony Belcourt: Permettez-moi de préciser tout d'abord qu'à mon avis, les statistiques vont révéler une toute autre situation.
Les Premières nations bénéficient d'une politique d'habitation qui prévoit la construction de nouveaux logements. Un budget est établi à cette fin. Par contre, nous, nous n'avons rien. Nous ne disposons d'aucun budget pour la réparation du parc immobilier actuel. Je pense donc que notre situation en matière de logement va changer, et ce en raison de l'élimination de programmes dont nous pouvions nous prévaloir précédemment, et qui nous remontaient à un niveau relativement acceptable.
Pour ce qui est de l'éducation, cependant, je peux vous affirmer que nous n'avons pas de fonds pour les études postsecondaires. Nous avons réussi à faire affecter certaines sommes aux universités et collèges pour des bourses, mais nous n'avons pas de fonds pour les études. Nous sommes très envieux des Premières nations et des Inuits, à cause du nombre de diplômés qui sont membres de leurs collectivités, parce que nous n'avons pas les ressources voulues pour aller aussi loin. Nos membres ne pourront jamais atteindre le même niveau d'instruction.
• 1225
Pour ce qui est de l'écart entre les populations selon que
l'on se trouve en milieu urbain ou rural, il ne faut surtout pas
s'imaginer que nos membres habitent principalement en milieu
urbain. Ils sont très présents dans les milieux à la fois urbains
et ruraux, sans doute dans les mêmes proportions que les membres
des Premières nations. La négligence nous a-t-elle favorisés? Eh
bien, c'est un peu comme si on demandait à un grand brûlé s'il est
préférable d'avoir des brûlures sur 50 p. 100 du corps ou sur
75 p. 100 du corps. Nous sommes effectivement en meilleure posture
à certains égards. Je suis d'ailleurs heureux que mon orgueil soit
intact, parce que mes parents avaient aussi de l'orgueil—parce que
nous ne dépondions pas d'autorités ministérielles pour nous donner
des certificats de naissance, pour nous dire qui nous sommes, ou
pour déterminer qui nous ne sommes pas, car le ministère des
Affaires indiennes fait aussi ce genre de choses.
Donc, à certains égards, oui, la négligence nous a favorisés, mais ça veut dire quoi au juste?
La présidente: Merci.
Monsieur Martin, vous avez trois minutes.
M. Pat Martin: Merci.
Je trouve intéressant de constater la fréquence avec laquelle il est question de l'Accord de Charlottetown autour de cette table, et même dans d'autres comités permanents dont je suis membre. Je ne peux donc pas m'empêcher de revenir sur le passé. J'ai même participé à la série de discussions entreprises avec les Autochtones ici à Ottawa dans le cadre de l'Accord de Charlottetown. J'étais un simple invité—l'un des Canadiens ordinaires qu'ils ont fait venir à Ottawa pour participer au dialogue. Je me rappelle donc que lorsque les Métis...c'est-à-dire qu'un article en particulier était incorporé dans l'Accord à des fins de précision, si bien qu'en cas de doute, nous préciserions que les Métis étaient visés par cet article.
L'Accord de Charlottetown n'a pas été adopté, mais le gouvernement a tout de même pris des mesures pour concrétiser bon nombre des éléments de cet accord. En réalité, le gouvernement s'est contenté de retenir les éléments qui lui semblaient les plus intéressants. Par exemple, il a choisi de transférer certains pouvoirs aux provinces. Dans l'Accord de Charlottetown, il était question de leur transférer toute une série de pouvoirs, mais le gouvernement a préféré ne pas agir dans d'autres domaines où il y avait pourtant un bon consensus—je dirais même un rare consensus entre l'ensemble des provinces et le gouvernement fédéral.
Alors, maintenant vous êtes devant les tribunaux pour... Est- ce le Congrès des peuples autochtones qui a...?
M. Gerald Morin: L'action concerne le paragraphe 91(24).
M. Pat Martin: Oui. Et quel est l'état d'avancement de cette action? Est-ce que le seul recours possible maintenant consiste à exhorter les tribunaux à reprocher au fédéral de ne pas avoir étendu l'application du paragraphe 91(24)?
M. Gerald Morin: Eh bien, je crois savoir que le Congrès a intenté une action devant la Cour fédérale il y a environ un an.
M. Pat Martin: Oui, en 1999.
M. Gerald Morin: Oui. Mais ce n'est pas la seule action. Si je ne me trompe pas, plusieurs actions invoquent le paragraphe 91(24). Par exemple, dans l'action qui concerne les droits territoriaux des Métis du Nord-Ouest, nous avançons plusieurs arguments. Par exemple, nous affirmons notre titre aux territoires et ressources du nord-ouest de la Saskatchewan. Nous soutenons que les Métis ont un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale relativement à ces terres et ressources. Nous soutenons également que nous sommes visés par le paragraphe 91(24). Cette action a été intentée en mars 1994, si je ne me trompe pas. Cela fait donc déjà sept ans. Beaucoup de recherches ont été faites dans le contexte de cette action. À mon avis, ils sont maintenant en train de se dire: «Cette action traîne depuis trop longtemps; nous avons déjà fait assez de recherche», si bien que les autorités veulent maintenant faire accélérer les choses en faisant entendre l'affaire devant un tribunal de première instance.
Donc, recourir au système judiciaire n'est certainement pas la meilleure méthode. Mais tôt ou tard—que ce soit dans le contexte de l'affaire que vous avez mentionnée, ou de celle que nous avons intentée en Saskatchewan—les tribunaux supérieurs, et peut-être même la Cour suprême du Canada, seront bien obligés de régler la question du paragraphe 91(24). Voilà donc une voie possible. Voilà donc pour la première possibilité.
La deuxième possibilité fait depuis 20 ans—si je ne me trompe—l'objet d'une demande, auprès des gouvernements fédéraux successifs, d'autorisation de renvoyer devant la Cour suprême du Canada la question de savoir si les Métis sont visés par le paragraphe 91(24). Évidemment, avant que cela puisse se faire, ce serait au procureur général et au ministre de la Justice de prendre la décision de renvoyer cette question et d'autres devant la Cour suprême du Canada. Le gouvernement fédéral a toujours refusé de faire un renvoi devant la Cour suprême pour tirer les choses au clair, et donc, ce n'est pas une réelle possibilité en ce qui nous concerne. Voilà donc pour la deuxième option.
• 1230
À mon avis, la première option—celle que nous privilégions,
d'ailleurs—ce serait que le gouvernement fédéral déclare tout
simplement que les Métis sont visés par le paragraphe 91(24) et que
ce principe oriente sa conduite—c'est-à-dire que toutes ces
politiques et initiatives traduisent cette réalité.
M. Pat Martin: Qu'est-ce qu'on peut faire pour pousser le gouvernement fédéral à prendre une telle orientation? Comment peut- on le convaincre d'accorder volontairement cette reconnaissance? Par exemple, comment justifie-t-il que vous ne soyez pas visés par ce paragraphe? Quelle est son excuse?
M. Gerald Morin: Eh bien, je suppose qu'on pourrait remercier tous les avocats du ministère fédéral de la Justice et en recruter d'autres. Je ne sais pas. Vous savez comment sont les avocats. Ils...
M. Richard Marceau: Je vous en prie.
M. Gerald Morin: «Ne faites pas ça parce que vous allez créer un précédent»—voilà l'un de leurs principaux arguments.
Je ne sais pas, ce serait bien que cela puisse se faire par le biais de l'accord-cadre...je rêve peut-être, mais ce serait bien que le fédéral arrive à la conclusion que nous sommes effectivement visés par le paragraphe 91(24) et qu'il se conduise en conséquence et commence à mettre en place des programmes, politiques et initiatives qui traduisent la réalité de la répartition des compétences.
M. Pat Martin: Lorsque les autorités fédérales ont signé l'Accord de Charlottetown, elles devaient être d'accord avec vous.
M. Gerald Morin: Oui.
M. Pat Martin: Elles étaient d'accord à l'époque pour que...
M. Gerald Morin: À mon avis, plusieurs précédents ont déjà été établis—de plus petits précédents, qui, pris ensemble, sont assez considérables—y compris la concession de l'Accord de Charlottetown, soit que nous sommes effectivement visés par le paragraphe 91(24). Personnellement, je suis assez convaincu, que cela se fasse par le biais d'une action que nous intentons nous- mêmes—comme l'affaire en Saskatchewan—ou d'un renvoi en bonne et due forme, que les tribunaux supérieurs et la Cour suprême du Canada, s'ils sont appelés à porter un jugement là-dessus, seront d'accord avec nous pour reconnaître que nous sommes visés par le paragraphe 91(24).
C'est un gros obstacle. Pour faire des progrès sensibles sur la question des droits ou même sur des questions plus pratiques, il faudra tôt ou tard que nous réglions cette question de compétence. Aussi longtemps que le gouvernement fédéral se retranchera derrière cette ambiguïté, les progrès seront marginaux, parce qu'encore une fois il faut éviter de créer le moins de précédents qui pourraient permettre aux tribunaux de dire: «Voilà! Vous avez fait ceci, et par conséquent nous sommes visés par le paragraphe 91(24).»
Évidemment, le gouvernement fédéral ne prend aucune mesure qui touche les droits sans se faire conseiller par ses avocats. Les avocats, de par leur nature, aiment bien défendre les intérêts de leurs clients et s'assurer de ne pas porter préjudice à leur position ou créer de nouveaux précédents; or, cela fait peur parce que...
M. Pat Martin: Le résultat, c'est l'inaction totale. On ne peut rien faire.
M. Gerald Morin: Oui. Dans leur réponse au rapport Rassembler nos forces, les instances politiques s'engagent à tourner la page et à prendre les mesures qui s'imposent pour qu'il y ait réconciliation, reconnaissance et respect des peuples autochtones; c'était ça l'orientation que le gouvernement devait prendre. Mais cela suppose qu'on créera de nouveaux précédents et qu'il faudra trouver une autre façon de faire les choses.
Nous espérons pouvoir atteindre nos objectifs dans le contexte politique, mais sinon, comme pour bon nombre d'autres questions, nous recourrons à l'appareil judiciaire pour obtenir des décisions devant des tribunaux supérieurs et devant la Cour suprême du Canada.
Je peux vous dire ceci—et là, je crois pouvoir parler au nom de mon peuple et de nos collectivités: la volonté, l'engagement et la détermination de notre peuple à l'égard de cette lutte que nous menons depuis que nous existons—la lutte pour être reconnus, pour être considérés comme une nation, pour nos droits, pour nos aspirations et pour la réalisation de tous ces objectifs au Canada... La détermination, la volonté et la vision de nos collectivités sont telles que je suis personnellement convaincu—que je sois là ou non pour en témoigner—que nous réussirons parce que notre peuple... C'est pour cela que nous avons intenté toutes ces actions en justice.
Cet été, je suis allé visiter les collectivités du nord de la Saskatchewan dans la région de Palmbere. Nous avons monté nos tentes et nous nous sommes réunis dehors. Nos membres nous font des reproches; ils nous disent: Écoutez, faites quelque chose; nos dossiers n'avancent pas. Adressons-nous aux tribunaux. S'il faut recourir au système judiciaire, faisons-le.
Donc, vu le message qu'ils nous avaient communiqué, nous étions tout à fait d'accord pour dire: Très bien, nous allons soumettre la question aux tribunaux et être entendus. On ne peut plus nous en empêcher. Notre jour viendra. J'en suis tout à fait convaincu.
M. Pat Martin: Merci.
La présidente: Merci.
J'ai été très souple avec tout le monde, mais je tiens à vous faire remarquer que je vous ai permis deux tours de sept minutes. En fait, là vous avez eu presque huit minutes.
M. John Godfrey: Comme vous êtes généreuse et pleine de bonté.
La présidente: J'ai quelques questions à poser, mais vous avez déjà répondu à un certain nombre d'entre elles. Je sais que dans les Territoires du Nord-Ouest, ils ont leur propre conseil des Métis, mais leur situation est très différente de celle des Métis d'autres provinces, du point de vue de leur reconnaissance en tant que peuple.
S'agissant de la définition d'un Métis, comment allez-vous faire accepter une seule définition nationale par tout le monde? Cette définition aurait évidemment un impact considérable sur vos listes d'électeurs, quand arrive le moment de déterminer qui a le droit d'être inscrit.
• 1235
Vous avez parlé des collectivités à plusieurs reprises. Si je
songe aux collectivités dans ma circonscription électorale, je peux
vous nommer des collectivités qui comptent des Inuits qui relèvent
du Nunavut. Je ne sais pas si ma définition correspond tout à fait
à la vôtre, si j'en juge d'après plusieurs commentaires que vous
avez faits à ce sujet.
J'ai deux questions: Est-ce que la définition de «Métis» change, selon la région du Canada dont il s'agit? Comment ferez- vous pour en arriver à une définition nationale? Est-ce une question dont vous déciderez dans vos discussions avec Ralph Goodale? Il faudra une définition précise. Comment définissez-vous les collectivités?
M. Gerald Morin: D'abord, il existe à mon avis deux écoles de pensée: la nôtre, c'est-à-dire que nous nous considérons comme une nation, une communauté précise qui a émergé dans l'ouest du Canada, et qui a sa propre histoire et sa propre langue. Voilà donc qui nous sommes et les personnes que nous représentons.
D'autres—par exemple, le Congrès des peuples autochtones—sont d'avis que les Métis sont comme toutes les autres personnes d'origine à la fois européenne et indienne, ce qui signifie donc qu'il y a des Métis dans toutes les régions du Canada et dans bon nombre d'États américains, y compris en Floride. Je suppose qu'on pourrait prétendre que selon cette définition, les mestizos du Mexique sont des Métis. Mais une telle définition n'est pas logique. Elle ne cadre pas avec la réalité.
Beaucoup de gens qui se considèrent Indiens de nos jours seraient des Métis selon cette définition. Il y a aussi beaucoup de gens qui ne se considèrent pas Autochtones, mais qui le seraient d'après cette définition. Nous avons une conception très claire et précise de ce que nous sommes. Même s'il n'existe pas de définition nationale, nous sommes une communauté ayant sa propre «patrie» qui a pris racine dans l'ouest du Canada. Nous avons notre propre histoire, histoire qui a été marquée par des personnages comme Louis Riel et Gabriel Dumont, et les événements historiques que je vous ai décrits tout à l'heure.
Nous avons créé nos propres institutions politiques. Par exemple, la Métis Association of Alberta a été fondée en 1932. La Métis Society of Saskatchewan, désignée maintenant sous le nom Métis Nation of Saskatchewan, a été créée en 1938. La Fédération des Métis du Manitoba a été fondée en 1967. La Nation métisse de l'Ontario et notre organisme en Colombie-Britannique ont été mis sur pied plus tard.
En 1983, nous nous sommes retirés du Conseil national des Autochtones du Canada, parce que nous étions regroupés avec les Indiens non inscrits et que les activités du Conseil concernaient surtout l'amélioration des conditions sociales et les programmes. Dans le contexte du rapatriement de la Constitution, nous étions d'avis qu'il était nécessaire de réorienter notre mouvement aux niveaux national et provincial, pour mettre désormais l'accent sur le fait que nous formons une nation, sur nos droits, et surtout sur notre droit à l'autodétermination. Nous avons réalisé des progrès considérables dans ce sens au cours des 20 dernières années.
Au RNM, nous avons un comité permanent, soit le Comité des droits des Métis, qui est présidé par Tony. Le conseil d'administration du RNM, auquel je siège à titre de président avec tous les présidents provinciaux, lui a confié le mandat d'approfondir toute la question d'une définition nationale du Métis. Nous avons fait des progrès remarquables. Les avis ne sont pas unanimes encore sur la formulation exacte à retenir, mais je pense que nous sommes d'accord sur les principes. À mon avis, un consensus se dégage à l'heure actuelle sur la définition à retenir au sein du RNM pour circonscrire la communauté qui a émergé dans le reste du Canada et que je vous décrivais tout à l'heure.
On y précise que les Métis forment une nation distincte par rapport aux Premières nations et Inuits, et il s'ensuit donc que nos membres doivent se déclarer Métis volontairement. On ne pourra donc pas se déclarer à la fois Indien et Métis. Il faut être membre de la nation particulière qu'est la nation métisse. D'abord, il faut avoir des ancêtres métis. Il faut aussi qu'il existe une procédure quelconque d'acceptation des membres par la communauté. Donc, la définition s'articule essentiellement autour de ces principes.
Je suis convaincu qu'au cours des prochaines années, nous réussirons à arrêter une définition nationale du Métis, dans le contexte de l'accord-cadre. Deuxièmement, nous établirons un registre pour la nation métisse. Troisièmement, une fois que ces deux éléments seront en place, nous procéderons au recensement des membres de la nation métisse en vue de les inscrire au registre, s'ils répondent aux critères de cette définition. Voilà donc ce que nous souhaitons faire.
Nous n'avons jamais conclu d'accord officiel avec les organismes métis des Territoires du Nord-Ouest. Je pense que nous avons signé un protocole d'entente avec la nation métisse des Territoires du Nord-Ouest à un moment donné, mais il a été abandonné en 1994. Nous avons pris quelques contacts avec les Métis de cette région au fil des ans, mais la fragmentation des organismes métis a toujours posé problème. Nous ne savions pas trop à qui nous adresser.
• 1240
Récemment, nous avons rencontré les membres du Conseil tribal
des Métis de Slave Lake. La description qu'ils nous ont faite de
leur communauté et la documentation qu'ils nous ont remise à ce
sujet indiquent bien que leur réalité est conforme à notre
définition de la nation métisse historique. Ce sont des gens qui,
à cause du commerce de la fourrure, se sont établis dans le sud des
Territoires du Nord-Ouest, dans des localités comme Hay River et
Fort Smith.
Pour ma part, je suis de Green Lake, dans le nord-ouest de la Saskatchewan, et dans les années 50 et 60, bon nombre de nos membres s'y sont établis pour faire de la pêche et obtenir des emplois. Certains sont restés, alors que d'autres sont revenus chez nous. Par conséquent, j'ai de la famille là-bas.
Ces personnes font partie de la nation métisse historique. Si vous regardez leur nom de famille, vous verrez qu'ils ont leur place dans la généalogie de la nation métisse. Je suis encouragé par les discussions que nous avons tenues avec eux, et j'espère que nous pourrons un jour officialiser nos relations.
Notre objectif consiste à unir l'ensemble de la nation métisse. C'est un travail qui est plus difficile à accomplir aux États-Unis, étant donné que c'est un pays différent avec un gouvernement différent, mais nous entretenons néanmoins des relations officieuses avec les Métis du Montana, du Dakota du Nord et du Minnesota, ces zones faisant partie de la patrie métisse.
C'est donc une grande priorité pour nous. À mon avis, nous avons déjà réalisé des progrès considérables dans ce sens. Nous aurons bientôt une définition nationale, et j'espère que par suite de la conclusion d'un accord-cadre, il sera possible d'obtenir des crédits fédéraux pour établir un registre et procéder au recensement des membres de notre nation.
Ce serait utile non seulement pour obtenir des statistiques précises sur notre population et déterminer qui seraient les bénéficiaires officielles d'accords conclus avec le gouvernement fédéral—comme sur la question des revendications territoriales, mais aussi pour avoir des statistiques exactes sur les conditions de vie de nos membres que nous pourrions ensuite utiliser pour déterminer nos priorités en matière de programmes, etc.
M. Tony Belcourt: Pour répondre à votre question, si quelqu'un disait aux Inuits qu'ils devaient utiliser la langue des Blancs pour se définir, je suis sûr que vous vous retrouveriez avec autant de définitions que pour les Métis.
Les gens se servent de termes un peu différents, mais en fin de compte, si je comprends bien ce qui est prévu, les bénéficiaires seront ceux qui se déclarent volontairement et qui sont acceptés par la communauté. Cela correspond d'ailleurs une norme internationale. Nous, aussi, nous appliquons cette norme, sauf que certains n'emploient pas nécessairement les mêmes termes pour décrire cette réalité, étant donné que nous avons dû trouver une définition pour les fins d'enregistrement de nos sociétés.
La présidente: En fait, ce sont les collectivités qui ont pris la décision. Mais si j'ai soulevé la question, c'est parce qu'il semble bien important d'être juste envers les deux parties qui sont à la table des négociations. Il est tout à fait normal, à mon sens, que l'autre partie sache si elle sera responsable de 500 000 personnes ou d'un million de personnes. Les négociations seront très difficiles pour les deux parties à moins qu'elles sachent exactement qui elles représentent et qui serait admissible aux services. Si vous n'avez pas de définition précise, vous allez porter préjudice à tous ceux qui n'auraient pas été comptés au moment où vous avez négocié votre formule de financement et qui se déclareraient Métis par la suite, en souhaitant être visés par l'accord conclu et avoir accès à ces services.
À mon avis, cela va compliquer la vie aux deux parties si vous n'êtes pas en mesure de créer une meilleure procédure d'identification pour savoir qui sera admissible aux services.
M. Tony Belcourt: Je ne suis pas en désaccord avec vous, mais par contre, cela me semble tout à fait injuste de dire à la nation métisse, qui n'a pas de ressources, d'aller accomplir elle-même ce travail sur l'ensemble du vaste territoire de la nation métisse, par l'entremise d'un processus de consultation qui doit nous permettre d'en arriver à la formule magique, c'est-à-dire la définition du Métis qui fera l'objet d'un consensus parmi l'ensemble des membres de la nation métisse. Pour nous, notre identité est claire. Je suis d'accord pour dire qu'il faut satisfaire les autorités externes, mais il nous faut les ressources nécessaires pour lancer ce processus. Or, on ne nous a jamais accordé de ressources.
La présidente: Ce n'est pas forcément les autorités externes qu'il faut satisfaire, parce qu'en fait, nous avons fait cela nous- mêmes. Nous avons dû décider nous-mêmes qui bénéficierait de notre entente touchant nos revendications territoriales. Il existe déjà un mécanisme en vertu duquel les collectivités peuvent prendre de telles décisions.
M. Tony Belcourt: Oui, mais vous avez l'argent nécessaire pour accomplir ce travail.
La présidente: Je pense que M. Morin a indiqué qu'en plus du président, tous les présidents provinciaux participent à ce travail. Ai-je bien compris?
M. Gerald Morin: Oui, malgré le manque de ressources, nous avons réalisé des progrès sensibles.
Ce que je vous expliquais tout à l'heure par rapport à l'émergence du Ralliement national des Métis et de nos organismes membres, c'est que nous sommes à présent bien organisés sur le plan politique, grâce à des institutions politiques qui sont en place depuis longtemps. Dans un contexte de ressources suffisantes, de gouvernements hostiles et de circonstances particulièrement difficiles, si nous avons autant progressé, c'est en bonne partie grâce à la détermination de nos membres, comme je vous le sais tantôt. Malgré tous les obstacles auxquels nous nous sommes heurtés, nous avons réalisé des progrès très considérables sur toute une série de questions, y compris celle-là.
Pour ce qui est d'élaborer une définition nationale, je pense que nous souhaiterions surtout en avoir une pour pouvoir délimiter notre propre communauté. Nous savons qui nous sommes, mais pour tirer les choses au clair, je suppose que nous devrons trouver une formule qui exprime notre conception de notre identité sous forme de définition.
Il faut se rappeler, toutefois, que vu les actions que nous avons intentées devant les tribunaux supérieures et, dans un cas, devant la Cour suprême du Canada, les tribunaux s'attribuent eux- mêmes le rôle de définir les Métis, et ça c'est quelque chose qui nous fait peur. Si la Cour suprême devait rendre une décision concernant notre identité comme peuple qui ne correspondait pas à notre conception de notre propre identité, à mon avis, ce serait une grave violation de nos droits comme peuple et de ceux de nos collectivités.
Nous estimons que c'est à nous d'élaborer notre propre définition, de mettre sur pied nos propres registres et de les organiser comme bon nous semble pour recenser les membres de la nation métisse. L'un des fondements du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est le droit de décider de toute question touchant l'appartenance à la communauté. Ça, c'est critique. Voilà donc quelque chose que nous espérons faire. Nous ne voulons certainement pas que les gouvernements se mettent à nous imposer une définition, comme ils l'ont fait aux Indiens par le biais de la Loi sur les Indiens, expérience qui s'est révélée tout à fait catastrophique et qui a certainement aggravé les difficultés des collectivités indiennes.
On parle beaucoup de l'argent qui est dépensé. Je pense que bon nombre des projets entrepris grâce à cet argent sont bien intentionnés, mais ils reposent sur une fausse prémisse. D'après ce que m'ont dit divers chefs indiens et inuits, on dépense beaucoup parce qu'on s'imagine qu'il est possible de régler les problèmes à coups de millions, plutôt que de trouver des solutions créatrices qui permettraient de changer le statu quo.
C'est quelque chose qui nous tient à coeur dans le contexte de l'exercice de notre droit à l'autodétermination. Nous existons à présent dans un environnement politique qui ne nous offre aucun choix. Nous savons qui nous sommes et quelles collectivités font partie de la nation métisse. Nous préférerions ne pas être obligés de le savoir. Nous avons réussi à nous en sortir sans définition jusqu'à présent, mais à cause de l'environnement politique actuel, il nous en faut une. À un certain moment, il faudra que nous procédions à l'établissement d'un registre pour la nation métisse et au recensement de notre population.
Ce qui compte finalement, c'est que nous soyons en mesure de protéger nos droits, d'exercer notre droit inhérent à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale et de déterminer nous-mêmes des questions d'appartenance. Voilà ce que nous avons revendiqué devant la Commission royale, et les recommandations de cette dernière reconnaissaient essentiellement la validité de ce principe.
Nous avons également vigoureusement défendu notre droit de traiter avec tout gouvernement de nation à nation, de gouvernement à gouvernement, et de peuple à peuple. Les recommandations fondamentales de la Commission royale concerne justement la nécessité de changer la nature de nos relations avec les gouvernements et avec les Canadiens pour qu'elles reposent sur la reconnaissance et le respect mutuels plutôt que sur une attitude colonialiste, raciste et paternaliste.
L'une des initiatives qui permettraient d'établir ces nouvelles relations consisterait, par exemple, à maintenir un ministère des services indiens et inuits pour s'assurer de la continuité des services actuellement assurés par Affaires indiennes aux Premières nations et aux Inuits et à créer un nouveau ministère des affaires autochtones qui engloberait les Métis. De plus, le fédéral pourrait adopter la position selon laquelle nous sommes effectivement visés par le paragraphe 91(24) et commencer à reconnaître l'existence de nos droits. Pour lancer ce processus, il y aurait une conférence des premiers ministres pour ouvrir un dialogue qui devait s'amorcer dans les six mois qui ont suivi le dépôt du rapport, qui a été publié il y a déjà quelques années.
Nous ne sommes pas d'accord avec toutes les recommandations de la Commission royale. Cette démarche a été fort coûteuse, et je pense que dans l'ensemble, ses recommandations sont bonnes. Mais à mon avis, ce rapport a été plus ou moins mis en veilleuse.
La présidente: Merci. Je voulais dire simplement qu'il est toujours préférable d'élaborer sa propre définition plutôt que de se la faire imposer.
Merci infiniment de votre exposé ce matin. Je voudrais remercier nos témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui pour nous permettre de mieux connaître le Ralliement national des Métis. Merci infiniment de votre présence.
M. Gerald Morin: Merci, madame la présidente, et tous les membres du comité. Merci de nous avoir donné cette occasion de vous parler. Encore une fois, nous espérons vous avoir éclairés sur notre situation et que vous appuierez nos efforts, notamment en ce qui concerne les priorités de la nation métisse.
La présidente: Nous avons une autre question à l'ordre du jour, à savoir les rapports des commissions. Lors d'une réunion précédente, M. Godfrey a demandé qu'on lui prépare une liste des rapports exigés et de nous indiquer dans quelle mesure le gouvernement a répondu aux rapports en question. Nous avons maintenant reçu cette information qui vous est donnée pour l'instant pour votre gouverne.
Monsieur Godfrey.
M. John Godfrey: D'abord, merci de me permettre d'intervenir.
Je voulais faire l'observation que voici. Dans les discussions avec le ministère, on m'a dit que des douzaines de rapports sont déposés au Parlement et qu'il est tout simplement impossible de répondre à chacun d'entre eux. J'exagère peut-être, mais pas beaucoup.
Si je regarde ceux qui concernent les traités ou la mise en oeuvre de certains accords—je veux m'assurer que Mary Hurley est d'accord avec mon résumé—je constate à la page 2, qu'un seul rapport doit être déposé à la Chambre des communes, à savoir celui qui concerne le Nunavut. Je n'en vois pas du tout à la page 3. Ils doivent tous être publiés, mais ce sont les seuls à être déposés au Parlement. Au haut de la page 4, il est question d'un deuxième rapport annuel provenant de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Là j'exclus la Commission canadienne des affaires polaires, car c'est un organisme de nature différente. Je constate que la Commission crie-naskapie est tenue de déposer des rapports bisannuels à la Chambre des communes. Et il y a un deuxième cas où des rapports doivent être déposés auprès du ministre tous les cinq ans, et donc je l'ai inscrit comme étant une exigence quinquennale. Quand j'additionne le tout, j'obtiens une moyenne de 2,7 rapports par année, ce qui ne me semble pas excessivement...
M. Pat Martin: Lourd.
M. John Godfrey: Non. Il me semble que puisque ces rapports tombent dans une catégorie spéciale—c'est-à-dire qu'ils concernent les traités ou la mise en oeuvre et font l'objet d'exigences de rapport particulières auprès de la Chambre des communes, qu'il s'agisse de la Commission crie-nakaspie ou de la Commission des traités de la Colombie-Britannique—ce ne serait pas une tâche excessivement lourde que de répondre à moins de trois rapports par année en moyenne si le comité le jugeait souhaitable. Je ne propose rien pour l'instant. Je vous suggère cette possibilité pour vous permettre d'amorcer votre propre réflexion sur la question, étant donné que ces rapports sont de nature spéciale.
Ai-je mal représenté la situation, Mary?
La présidente: Allez-y, Mary.
Mme Mary Hurley (attachée de recherche): En fait, le comité a reçu deux documents. Jim Latimer en a fait distribuer un la semaine dernière, qui présente la liste des organismes, conseils ou commissions qui doivent faire rapport au ministère et dont les rapports doivent être déposés à la Chambre des communes. Cette liste n'est pas à jour. Vous remarquerez qu'elle ne comprend pas le Comité de mise en oeuvre du Nunavut. Vous remarquerez également que pour la majorité des conseils et commissions qui figurent sur la liste préparée par Jim, presque toutes les obligations en matière de report qui s'y rattachent découlent de la Loi sur l'accès à l'information ou la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elles n'émanent pas des accords sur les revendications territoriales ou les lois portant exécution d'accords sur les revendications territoriales.
Malheureusement, je vais devoir faire allusion à toutes sortes d'instruments, mais je vais vous présenter l'information aussi simplement que possible. Par exemple, si vous regardez les pages 2 et 3 de la liste que vous a remise Jim, vous remarquerez qu'il n'y est pas question de l'Office des terres et des eaux gwich'in, du Conseil de l'aménagement du territoire gwich'in, de l'Office des terres et des eaux du Sahtu et du Conseil d'aménagement du territoire du Sahtu.
• 1255
Monsieur Godfrey, cela se trouve sur la première liste qu'on
vous a donnée.
M. John Godfrey: Ah, bon. Malheureusement, je ne l'ai pas apportée avec moi.
Mme Mary Hurley: Si ces conseils et offices sont tenus de faire des rapports de ce genre, c'est parce que les lois fédérales sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels prévoient la présentation de rapports selon un calendrier fixe. Autrement dit, l'obligation de présenter des rapports n'émane pas des accords sur les revendications territoriales conclus avec ces deux peuples autochtones.
Cependant, la situation est un peu plus compliquée, monsieur Godfrey, car malheureusement tous ces conseils, même s'ils sont prévus dans les accords sur les revendications territoriales, ont été officiellement mis sur pied, comme le prévoient les accords en question, aux termes de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie de 1998. Si vous regardez la page 3 du tableau préparé par Peter Niemczak à l'intention du comité—d'ailleurs, je tiens à le remercier pour son aide—vous verrez que tout conseil ou office créé pour permettre aux résidents de la vallée du Mackenzie de participer à la gestion de leurs ressources est tenu de soumettre un rapport annuel à l'examen du ministre, mais le dépôt à la Chambre des communes n'est pas obligatoire.
La présidente: Nous allons examiner ceux de l'Office des eaux du Nunavut et d'autres offices qui découlent de l'accord sur les revendications territoriales. Nous ne les avons pas encore examinés.
Mme Mary Hurley: Exactement. Donc, il est probable que d'autres organismes créés par voie législative soient déjà en place et opérationnels aux termes de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. En tant qu'institutions émanant du gouvernement national, ils seront probablement inscrits au calendrier de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'accès à l'information, si bien qu'ils devront présenter le même genre de rapport, concernant non pas l'accord sur les revendications territoriales mais l'accès à l'information et la protection de la vie privée. J'ai examiné l'article 10 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut avant de venir, et il est possible que la loi créant ces conseils ou offices exigera, comme l'a fait la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, que ces derniers présentent un rapport annuel, qui devra peut-être être déposé devant le Parlement.
Mon autre commentaire concerne la deuxième note en bas de page du document de Peter, à la page 1. Même si selon nos observations, le ministre n'est jamais tenu de répondre à ces rapports, il convient de noter que de nombreux autres conseils qui ne sont pas mentionnés sur l'une ou l'autre de ces listes doivent présenter un rapport au ministre, bien que le dépôt devant l'une ou l'autre Chambre du Parlement ne soit pas obligatoire. Donc, il est vrai qu'une multiplicité de rapports sont exigés, mais le nombre devant être déposé devant le Parlement n'est pas très élevé. Je vous signale aussi à titre d'information que la Commission sur les revendications des Indiens dépose son rapport à la Chambre des communes, même si elle n'est pas tenue de le faire. Donc, il y a toutes sortes de possibilités et de formules. Cela entraîne malheureusement énormément de confusion, mais le fait est qu'un très grand nombre de rapports doivent être soumis à l'examen du ministre. Il y en a beaucoup qui ne sont pas tenus d'être déposés devant aucune Chambre du Parlement, mais d'autres le sont parce que telle est la pratique. Je ne suis pas en mesure de vous donner une réponse à la question de savoir si l'absence de l'obligation de répondre signifie qu'il n'existe pas de précédent à cet égard. Je ne le sais pas. Ça, c'est plutôt une question de procédure.
La présidente: Monsieur Godfrey.
M. John Godfrey: Merci pour cet excellent travail. Je ne savais pas vraiment ce que je vous demandais, mais c'est une question intéressante.
À moins que j'ai mal compris, je pense que nous pourrions peut-être éliminer tout ce qui concerne la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l'accès à l'information—ce n'est pas cela qui nous intéresse. Ce sont les rapports sur le fond de la question qui nous intéressent.
• 1300
Si je comprends bien, il y en a un certain nombre qui
concernent les traités et la mise en oeuvre, c'est-à-dire le droit
officiel. Ensuite, il y a le droit coutumier, si je peux me
permettre d'utiliser ce terme, qui englobe toute une autre série de
rapports qui pourraient concerner la mise en oeuvre du traité.
J'aimerais savoir si certains des rapports qu'il dépose, sans être
tenu de le faire, font partie de cette catégorie-là?
Mme Mary Hurley: Ce serait celui que je viens de mentionner, puisque je connais cet exemple-là, à savoir le rapport de la Commission sur les revendications des Indiens. Lorsque j'ai examiné les attributions de la Commission sur les revendications des Indiens, je n'ai trouvé aucune mention d'une obligation de déposer un rapport, mais d'après ce que Mme Karetak-Lindell disait il y a quelques réunions, la Commission aurait effectivement déposé un rapport annuel. Dans tous les cas que j'ai cités, les divers conseils de mise en oeuvre des accords de revendications territoriales sont tenus, aux termes de cet accord, de faire rapport au ministre, mais le dépôt du rapport devant le Parlement n'est pas obligatoire. La liste que vous avez ici n'est pas exhaustive, parce qu'il y en a énormément.
Pour vous aider à comprendre, je vous invite à regarder la page 1 du tableau préparé par Peter. Vous verrez que pour l'Accord sur les revendications territoriales du Yukon, mention est faite de l'accord-cadre définitive, et vous avez ensuite des exemples de quatre accords-cadres définitifs. Vous verrez aussi que les organismes qui doivent faire rapport au ministre sont les comités de la politique de formation qui sont chargés, aux termes de l'Accord sur les revendications territoriales, de mettre sur pied des programmes de formation. Il y a aussi des organismes de mise en oeuvre, mais ces derniers ne sont pas tenus de présenter un rapport. Il est tout simplement impossible de généraliser dans ce contexte, étant donné toutes les possibilités qui existent.
La présidente: Merci. Nous allons tous prendre connaissance de cette information pour notre propre gouverne. Si jamais vous avez des questions, vous pouvez les adresser directement à l'attaché de recherche.
M. John Godfrey: J'ai une dernière observation à faire. Quand vous faites vos calculs et que vous reteniez soit ceux où il existe une obligation officielle et le contenu des rapports est celui dont on parle—c'est-à-dire les 2,7 p. 100 par an—soit ceux pour lesquels il n'existe aucune obligation officielle mais où la coutume veut—comme pour la Commission sur les revendications des Indiens—que les organismes en question déposent le rapport, y compris devant nous, vous constatez que le nombre n'est pas très élevé. On ne parle pas de 10, 15 ou 20 rapports, mais plutôt de trois ou cinq par année, n'est-ce pas? Autrement dit, si le comité le désire et souhaite mieux faire son travail, étant donné que ces organismes doivent soumettre un rapport à l'examen du Parlement et du comité de toute façon, ce ne serait pas déraisonnable, me semble-t-il, de demander au ministère d'être un peu plus responsable et de répondre officiellement à trois ou quatre ou cinq de ces rapports par année. Cela ne représente pas un travail énorme.
S'il était question de répondre à tous, ce serait effectivement énorme, mais si nous voulons prendre notre travail au sérieux année après année, il nous faut savoir ce que le gouvernement a dit sur tel ou tel sujet. À mon avis, vous nous avez au moins permis de constater que ce ne serait pas une opération particulièrement lourde, puisque le nombre est limité, et on peut le limiter encore plus, si on veut. Je voulais simplement faire cette observation.
La présidente: Merci.
Nous allons conclure là-dessus, parce que je sais que certains membres ont d'autres engagements et doivent partir. Donc, je vous remercie.
La séance est levée.