Bonjour, tout le monde. Bienvenue à la séance no 14 du Comité législatif spécial chargé du projet de loi C-32.
Ce matin, nous allons entendre la représentante de l'Association canadienne des distributeurs de films, Wendy Noss, et les représentants de l'Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films, Ted East, Patrick Roy et David Reckziegel.
Allez-y, madame Noss, pour cinq minutes. La parole est à vous.
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Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.
Je m'appelle Wendy Noss, et je suis la directrice générale de l'Association canadienne des distributeurs de films. Nous représentons les six grands producteurs et distributeurs internationaux de films, d'émissions de télévision et de divertissement à domicile au Canada.
Au cours des prochaines minutes, je veux vous donner une idée des avantages de l'industrie cinématographique et télévisuelle pour notre économie et, en même temps, des raisons pour lesquelles il est si vital que notre législation en matière de droit d'auteur favorise la santé présente et future de cette industrie. Le volume total de la production cinématographique et télévisuelle au Canada s'est établi l'an dernier à plus de 4,9 milliards de dollars et a généré 117 000 emplois équivalents temps plein. Les studios de production associés à la CMPDA apportent au secteur de la production étrangère une contribution majeure évaluée à plus de 1,5 milliard de dollars par année. La production crée des emplois pour les interprètes, les équipes de tournage et les fournisseurs locaux et génère des revenus fiscaux, et ses retombées économiques, bien entendu, débordent largement le cadre des projets réalisés. En voici quelques exemples précis.
À la télévision, Smallville est tourné dans la région vancouveroise depuis plus de 10 ans. La série dépense chaque année plus de 39 millions de dollars dans la localité, dont la moitié est consacrée aux équipes de tournage locales.
Au cinéma, le dernier film de la série La Momie a été tourné à Montréal. La dépense totale était d'environ 50 millions de dollars, dont 22 millions de dollars en coûts de main-d'oeuvre et dépenses générales, plus de 1 000 acteurs, techniciens et figurants ont été engagés et 4 millions de dollars ont été consacrés à la location d'installations seulement dans la région de Montréal.
Malheureusement, ces chiffres ne sont qu'un côté de l'histoire. On ne peut plus fermer les yeux sur la possibilité que jusqu'au quart du trafic Internet implique la distribution non autorisée de matériel sous droit d'auteur. Les sites illicites qui distribuent des films et contenu télévisuels piratés menacent à la fois ces emplois et la capacité de l'industrie de demeurer le moteur économique qu'on connaît.
Qu'est-ce que cela veut dire pour le Canada? J'ai entendu nombre d'entre vous poser cette question à d'autres témoins. Une étude conjointe d'Ipsos et d'Oxford Economics sur le tort causé à l'économie canadienne par le piratage de films en 2010 sera publiée aujourd'hui. Des détails additionnels vous ont été fournis, mais sachez que, selon l'étude, le piratage de films a entraîné une perte équivalant à 965 millions de dollars au niveau du PIB dans l'ensemble de l'économie canadienne l'année dernière; en ce qui concerne les emplois, sans le vol de films, il y en aurait eu 12 600 de plus l'an dernier seulement.
Ce que nous dit l'enquête d'Ipsos, c'est que le vol de films a un impact destructeur non seulement sur l'industrie du film, mais sur l'ensemble de l'économie canadienne, et qu'il menace des emplois et des entreprises de tout genre. Nous avons désespérément besoin d'un cadre juridique qui correspond aux pratiques d'excellence internationales en établissant des règles claires qui rendent le piratage en ligne illégal. Nous savons que ce sont là les objectifs du gouvernement — ces objectifs ont souvent été mentionnés par des membres du comité dans cette salle — et, bien sûr, nous les appuyons.
À certains égards extrêmement importants, toutefois, l'actuel projet de loi ne rencontre pas ces objectifs. Il faut lui apporter des correctifs techniques afin de veiller à ce que des conséquences imprévues ne viennent pas miner le cadre juridique dont le gouvernement lui-même a affirmé la nécessité.
Encore une fois, vu que le temps presse, je me contenterai de mentionner brièvement les inquiétudes globales que nous inspirent les principales dispositions du projet de loi concernant la distribution illicite de contenus en ligne. Fondamentalement, nous reconnaissons l'objectif du gouvernement visant à mettre un terme aux activités de ceux qui facilitent le piratage en ligne. Toutefois, le libellé de l'article sur la facilitation est tellement restrictif que l'activité des sites visés par le gouvernement ne pourrait pas être arrêtée, à moins qu'on modifie le projet de loi pour préciser les points suivants.
Premièrement, l'interdiction doit s'appliquer non seulement aux services principalement destinés à faciliter la violation du droit d'auteur, mais aussi aux services qui fonctionnent d'une façon qui facilite ou incite à la violation.
Deuxièmement, l'interdiction doit également s'appliquer aux personnes qui facilitent ou incitent à la violation en hébergeant des contenus dont la diffusion constitue une violation du droit d'auteur. Cet élément n'est pas clair dans le projet de loi, mais il est absolument critique, étant donné que les grands sites de téléchargement — parfois appelés « cyberlockers » — sont fondés sur un modèle d'affaires visant la distribution massive de contenus piratés à hauteur de jusqu'à 90 p. 100 et sont la source de distribution illicite en ligne qui connaît présentement la croissance la plus rapide.
Troisièmement, la totalité des recours judiciaires, y compris les dommages-intérêts légaux, doivent s'appliquer aux personnes qui facilitent le piratage en ligne.
De plus, à moins que le libellé ne soit resserré afin de répondre à l'objectif du gouvernement, les règles d'exonération prévues pour protéger seulement ceux qui agissent comme des intermédiaires neutres créeront des échappatoires juridiques dont profiteront les pirates et les exploitants illégitimes pour poursuivre leurs opérations au Canada, et elles ne feront rien pour mettre fin aux violations massives qui ont lieu en ligne. Par exemple, la loi doit exiger que les fournisseurs de services en ligne qui veulent bénéficier de la protection d'une règle d'exonération adoptent et mettent en oeuvre une politique efficace permettant d'empêcher les récidivistes d'utiliser leurs services à des fins de violation. Un système permettant à un contrevenant de recevoir avis après avis sans qu'il ne s'attende à subir de conséquences significatives ne constitue pas un mécanisme de dissuasion adéquat. Loin de faire cesser les activités illégales, la règle d'exonération actuelle concernant l'hébergement est exprimée en termes tellement larges qu'elle pourrait encourager les exploitants des grands sites, les puissants serveurs contenant de nombreux téraoctets de contenus illégitimes et les concentrateurs de contenus d'hébergement rassemblant des centaines de milliers de fichiers piratés à continuer de fonctionner impunément au Canada...
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Monsieur le président et très chers membres du comité, je vous remercie de nous avoir invités à vous rencontrer aujourd'hui.
Je suis Ted East, président de l'Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films, ou ACDEF.
L'ACDEF est une association sans but lucratif qui représente les intérêts des distributeurs et exportateurs de films dont les compagnies sont la propriété de Canadiens. Les membres de l'ACDEF distribuent chaque année, dans les salles de cinéma du Canada, plus de 90 p. 100 des films produits hors des studios américains, ainsi que des films canadiens. Les membres de l'ACDEF distribuent au Canada des films qui proviennent de partout dans le monde et dont les genres et les budgets sont des plus diversifiés.
J'ai avec moi deux cadres supérieurs de compagnies membres de l'ACDEF: M. Patrick Roy, président et chef de la direction d'Alliance Vivafilm, et M. David Reckziegel, coprésident de eOneFilms.
La réforme du droit d'auteur est une nécessité trop longtemps mise de côté au Canada. L'étude qu'Ipsos a publiée aujourd'hui prouve l'urgence d'une modernisation des lois qui régissent le droit d'auteur au Canada, afin d'enrayer le piratage qui sévit massivement sur Internet et pour encourager le développement et la création de nouveaux modèles d'affaires innovateurs. Le piratage nuit aux distributeurs de films canadiens, car il érode gravement le marché des films — tant au pays qu'à l'étranger —, rend plus ardu le financement de nouvelles productions, met en danger les emplois de tous ceux qui travaillent dans l'industrie et affecte ultimement le consommateur, puisque la perte d'investissement engendre une diminution de la production de films, au détriment des spectateurs du monde entier.
Nous applaudissons l'initiative du gouvernement d'introduire le projet de loi et soutenons pleinement les intentions et buts qu'il défend. Cependant, nous ne croyons pas que l'état présent du projet de loi réponde à ces objectifs.
Des changements doivent être apportés aux aspects suivants: la clause concernant la responsabilité doit être révisée afin de s'assurer que l'on stoppe quiconque permet une infraction au droit d'auteur, y compris les sites d'hébergement; les règles refuges visant les fournisseurs de services Internet sont également trop larges et pourraient même la légaliser les activités de sites Internet illicites; l'exception du contenu produit par l'utilisateur est tellement vague qu'elle légitime l'infraction au droit d'auteur et enfreint les obligations du Canada, telles que décrites dans les traités internationaux; les clauses concernant les dommages-intérêts devraient s'appliquer à quiconque permet une infraction au droit d'auteur et devraient avoir un effet dissuasif assez puissant pour enrayer le partage illégal de fichiers à grande échelle.
L'ACDEF s'oppose également aux exceptions concernant l'utilisation aux fins d'éducation — mentionnées à l'article 29 — et demande que des changements soient apportés, afin de permettre aux producteurs et distributeurs d'exercer leurs droits commerciaux dans le secteur de l'éducation au Canada.
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Monsieur le président, membres du comité, Alliance Films est l'un des plus grands distributeurs de longs métrages au Canada. Notre compagnie oeuvre également dans le marché de la distribution de films au Royaume-Uni et en Espagne. Alliance Films distribue des longs métrages au cinéma, sur DVD, sur le Web ainsi qu'auprès d'entreprises de télédiffusion.
Certains croient que le piratage touche seulement les studios américains. Toutefois, rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Si je n'ai pas les compétences d'un avocat pour analyser le projet de loi , je suis aux premières loges pour juger de l'impact grandissant du piratage sur notre industrie. Je suis ici aujourd'hui pour exprimer le souhait que le Canada devienne enfin un leader dans la lutte contre le piratage.
Selon l'étude d'Ipsos/Oxford Economics publiée aujourd'hui, l'impact au Canada du piratage sur l'industrie du film, incluant les propriétaires de cinéma, les distributeurs, les producteurs et les marchands, est estimé à 895 millions de dollars de pertes en ventes directes. Les pertes en taxes gouvernementales à elles seules sont estimées à 294 millions de dollars. Le piratage en ligne, méthode de piratage la plus prolifique, a gobé une partie des revenus de tous les films qu'Alliance Films a distribués au cours des dernières années, incluant des films canadiens aussi acclamés que De père en flic, Les amours imaginaires, Polytechnique et Bon Cop, Bad Cop.
Comme tous les films indépendants du monde, les films canadiens sont financés par une combinaison de plusieurs sources. Une des composantes les plus cruciales du financement est la prévente aux distributeurs. Le montant qu'un distributeur allouera à un film est déterminé par les revenus anticipés. Si le marché est contaminé par le piratage, le montant octroyé par le distributeur diminuera, ce qui rendra la production du film encore plus difficile.
De nouveaux modèles de distribution virtuelle font leur apparition et obtiennent une popularité sans cesse croissante au Canada, comme partout dans le monde. Les plateformes récemment mises en oeuvre par Netflix, Apple iTunes et Cinéplex en sont quelques exemples.
Comme la plupart des cadres de l'industrie, je suis d'avis que la distribution virtuelle des films remplacera graduellement la vente de DVD au cours des prochaines années. D'autres plateformes de distribution virtuelle innovatrices seront légitimement créées et permettront aux consommateurs d'avoir accès à un choix encore plus grand que le marché ne le permet de nos jours.
Cependant, si le piratage continue de se développer, ces efforts pourront être freinés. Cela signifie que moins de films seront produits, que les compagnies de production et de distribution canadiennes faibliront et que les emplois seront réduits dans les domaines créatifs et connexes de notre industrie.
Merci.
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Alors, je crois que je vais seulement m'attacher aux éléments clés de la déclaration que j'avais préparée, qui recoupe certains aspects du propos de Patrick. Cette année, nous avons distribué des films comme
Le monde de Barney et
Incendies, deux des films les plus acclamés de l'année, et, si on ne fait rien au sujet du projet de loi , il sera de plus en plus difficile de produire ce genre de films. Ces films sont déjà touchés directement.
Nous sommes aussi accablés par le piratage, nous avons besoin de règles claires et d'un mécanisme de dissuasion afin d'enrayer ce fléau.
L'été dernier, une jeune cinéaste dont nous avons distribué le film a été félicitée par une connaissance qui venait de voir son film. Cela l'avait étonnée, puisque son film ne devait pas être diffusé en salle avant un mois. Elle a découvert que son film était déjà accessible en ligne et que des dizaines de ses connaissances l'avaient aussi déjà vu. Il ne s'agit que d'une anecdote, mais ce genre de chose arrive régulièrement.
Le piratage sur Internet est désormais hors de contrôle et cause des dommages graves à l'industrie canadienne du cinéma. En ce moment même, quatre des dix films les plus piratés sur le serveur BitTorrent sont distribués au Canada par des compagnies canadiennes.
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Pas pour longtemps, toutefois.
Monsieur le président, merci, et je souhaite la bienvenue à nos députés ici aujourd'hui.
[Français]
J'aimerais également remercier les témoins. Leurs propos sont très intéressants
[Traduction]
et je suis très intéressé à aller plus en profondeur.
Monsieur Reckziegel, votre dernier commentaire portait sur le serveur BitTorrent. J'aimerais aborder cette question sans plus tarder, car, à mon avis, le comité devra aller beaucoup plus en profondeur à ce chapitre. Je sais qu'il y a tout un débat sur la question, mais je crois que je vais consulter Mme Noss en premier.
The Pirate Bay, le plus grand site d'échange de données pair à pair au monde, avait 2,5 millions — si mes sources sont exactes ici — d'utilisateurs enregistrés en 2008. Il a aussi produit des recettes incroyables de quatre millions de dollars seulement en publicité sur son site. Son appel d'une déclaration de culpabilité en Suède, comme certains d'entre vous le savez, a été rejeté. La cour a statué ce qui suit, et je la cite: « The Pirate Bay a facilité le partage illégal de fichiers de telle façon que ceux qui exploitent le service sont criminellement responsables. »
Ce service, comme vous le savez, n'est pas exclusivement accessible en Suède ou dans d'autres pays. Il l'est aussi au Canada. Je crois qu'isoHunt, en particulier, exploité à partir de la Colombie-Britannique, est le troisième site de fichiers BitTorrent piratés en importance au monde. Il continue de fonctionner avec plus de 40 millions de pairs et plus de 6,7 millions de fichiers torrent actifs. Ces chiffres ont été tirés de son propre site Internet il y a seulement quelques semaines, le 31 janvier 2011. Je veux qu'il soit tout à fait clair que je ne prends pas ces chiffres dans ma tête.
Madame Noss, à votre avis, comment le projet de loi pourrait-il prévenir, empêcher de fonctionner et arrêter des sites comme isoHunt, qui facilitent la distribution en masse de copies d'oeuvres illégales, si tant est qu'il le puisse?
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Merci, monsieur McTeague, de la question.
Je crois — comme je l'ai laissé entendre dans ma déclaration préliminaire — que les objectifs du gouvernement sur ce dossier sont clairs: il veut arrêter ceux qui permettent le piratage de masse en ligne.
J'ai entendu tous les membres du comité se faire l'écho de ces objectifs, alors ce que nous essayons de faire ici, c'est d'arrêter un texte législatif qui agira sur le fonctionnement effectif de ces sites et de tirer des leçons des pratiques exemplaires internationales.
Comme je l'ai avancé, la disposition habilitante — telle que libellée — doit faire l'objet d'amendements de forme. Quant aux sites de fichiers BitTorrent en particulier, le protocole BitTorrent en soi est légitime. Il n'a pas été conçu à des fins de piratage. Il a une utilité autre que le piratage. Le problème tient au fonctionnement de ces sites, qui permet et favorise le piratage; et ce sont là les mots clés qui en font des contrevenants. Juste pour vous donner une idée, le Canada est la terre d'accueil de cinq des dix premiers sites BitTorrent en importance au monde, qu'ils soient exploités ici ou hébergés ici. Cela ne touche pas seulement le marché intérieur: les marchés internationaux s'en ressentent aussi.
Deux sites BitTorrent au Québec — exploités ou hébergés là-bas — touchent le marché européen, du fait que de 70 à 80 p. 100 de leurs utilisateurs sont en France, en Suisse et en Suède, alors, encore une fois, il s'agit d'être capable de créer un article habilitant qui prévoit l'imposition de dommages-intérêts à ceux qui permettent le piratage et d'imposer une interdiction à ceux dont le fonctionnement permet ou favorise l'utilisation interdite. Encore une fois — enfin —, il ne fait aucun doute que cela devrait s'appliquer à ceux qui hébergent des contenus illicites.
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Il me reste seulement trois minutes environ, et j'ai encore quelques questions, pas seulement pour vous, mais aussi pour les autres, si nous pouvons y arriver.
La disposition du projet de loi sur les dommages-intérêts — particulièrement — vous satisfait-elle? Permettez-moi de préciser que, pour certaines personnes — comme moi-même —, il y a deux problèmes. Les dommages-intérêts ne s'appliquent pas, évidemment, aux actes des facilitateurs, mais l'autre problème — et j'ai soulevé la question auprès d'autres témoins qui ont comparu devant nous —, c'est qu'une amende maximale de 5 000 $ est prévue pour l'utilisation interdite à des fins réputées non commerciales.
Est-on d'avis, dans votre milieu, qu'un certain nombre de pirates à grande échelle ont des motivations autres que le bénéfice commercial? Je m'intéresse plus particulièrement à la question de la notoriété et à celle de savoir si la réputation entre aussi en jeu ici. Je me demande si les dommages-intérêts que nous avons prévus ici, en plus d'être impuissants à cet égard, n'ont pas d'effets dans la mesure où ce type de comportement peut entraîner des conséquences inattendues. Si le comité n'a pas relevé cet aspect, il n'a certainement pas été relevé par les auteurs du projet de loi. Ce n'est pas pour les blâmer, mais il faut simplement reconnaître qu'il y a un élément qui dépasse le cadre de ce que nous avions prévu.
Madame Noss, peut-être que vous — ou M. East — pourriez répondre.
Je ne crois pas qu'elles sont assez sévères. À mon avis, des services comme isoHunt qui font des millions de dollars en publicité perçoivent une amende de 5 000 $ comme une simple dépense opérationnelle.
Quant à la notoriété, je crois que cela va encore plus loin. Selon moi, cela relève, dans une certaine mesure, d'une idéologie voulant que le piratage soit acceptable, du fait qu'on ne croit pas vraiment au code criminel du pays où on exploite le site, dont le Canada. Il ne s'agit pas seulement de dire: « Regardez-moi: je suis malin. Je ne me suis pas fait pincer. » Dans certains cas, les gens croient sincèrement que ce qu'ils font est acceptable et contestent les lois du pays où ils se trouvent. C'est pour moi un gros problème.
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Merci, monsieur le président.
Madame, messieurs, bonjour et bienvenue au comité.
L'étude d'Ipsos/Oxford Economics n'a pas été réalisée par des méchants séparatistes ou souverainistes, contrairement à ce que pourraient penser les conservateurs. Elle nous révèle néanmoins des chiffres assez astronomiques. Jusqu'à aujourd'hui, on parlait d'au moins 126 millions de dollars par année de pertes en droits d'auteur pour différents artistes et créateurs, mais vous ajoutez à cela un minimum de près de 800 millions de dollars. Vous parlez même de 1,8 milliard de dollars. Ce sont des pertes économiques considérables.
Le sondage nous révèle plusieurs choses. Il y a une note dans la feuille que vous nous avez donnée. On peut y lire que les résultats de l'enquête tracent un portrait prudent de la situation. Pourtant, les conservateurs nous ont toujours dit que cela n'aurait pas d'impact sur les créateurs. Il s'agit néanmoins d'un portrait modeste et on parle de près de 2 milliards de dollars en pertes. C'est une somme considérable qui comprend les pertes évaluées à d'autres niveaux et le montant de 1,8 milliard de dollars dont vous avez parlé.
Certaines petites choses sont intéressantes. Par exemple, 48 p. 100 des consommateurs de films piratés, c'est-à-dire près de la moitié, ont affirmé qu'ils auraient payé pour voir un film si ce dernier n'avait pas été disponible de façon non officielle. Évidemment, on parle de prévention, d'avertissements et de mises en situation pour protéger l'économie et les droits de certaines productions.
Que fait-on avec cela? Lors de la présentation du projet de loi devant le comité par le ministre de l'Industrie et le ministre du Patrimoine canadien, on sentait que c'était une loi plus pour l'industrie que pour la protection du droit d'auteur. Il me semble que l'industrie de l'Internet et de l'informatique est convenablement équipée.
Que nous suggérez-vous pour endiguer tout cela le plus possible? Y a-t-il des exemples à suivre provenant d'autres pays? D'autre pays ont-ils déjà commencé de façon peut-être plus radicale à contrer ces façons de faire?
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Merci, monsieur. Si vous me le permettez, je vais répondre à votre question.
Je suis choqué par les chiffres que cette nouvelle étude a révélés aujourd'hui. D'un autre côté, je suis heureux qu'on puisse enfin avoir des chiffres, parce qu'on nous demande depuis des années quel est l'impact du piratage chez nous. On a une idée modeste de ce que cela représente. J'ai l'ai dit d'entrée de jeu, je ne suis pas avocat, je ne suis pas spécialiste des lois, mais il est clair pour moi qu'il faut adopter le degré zéro de tolérance à cet égard. Il faut une loi forte, sans trou. Il faut aussi éduquer les gens, car ils tiennent ça pour acquis.
J'ai un compte Twitter. Il y a quelques mois, quelqu'un m'a envoyé un message alors que je faisais la promotion d'un de mes films. Il m'écrivait qu'il avait déjà vu mon film par Internet. Je lui ai répondu que c'était du vol et sa réponse a été que s'il trouvait un billet de 10 $ dans la rue, il le ramassait et le gardait. Il a ajouté qu'il s'était penché sur son ordinateur, que le film était là et qu'il l'avait regardé. C'est la perception du public. Les gens n'ont pas l'impression de voler quand ils font du piratage. Il y a donc une partie d'éducation. On doit absolument avoir des mesures strictes, qui ne laissent pas de doute et qui empêchent le piratage des oeuvres au Canada. Pour moi, c'est essentiel.
Je ne suis pas un expert, mais j'ai l'impression qu'en France, entre autres, il y a une loi très restrictive. Je ne sais pas si elle a été adoptée, mais ce que j'avais entendu me donnait l'impression d'une vraie loi, forte. Pourquoi ne peut-on pas avoir une telle loi au Canada? Je pose la question. Je souhaiterais qu'un message clair soit envoyé aux consommateurs, afin qu'ils sachent que le piratage a un impact sur des individus, sur des entreprises canadiennes, et que cela doit cesser.
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J'aurais deux ou trois choses à dire.
Il existe différents modèles, et l'un des avantages d'avoir pris autant de retard ici au Canada, c'est que nous pouvons apprendre des pratiques exemplaires internationales.
Certes, vous voyez différents modèles d'un pays à l'autre. Dans certains pays, comme en France, l'intervention était progressive et de nature législative. C'est la même chose en Nouvelle-Zélande, en Corée et ailleurs. D'autres, comme bien des pays européens, ont adopté une disposition législative qui mobilise les FSI et les titulaires de droits en prévoyant que l'entité voulant profiter d'une protection doit avoir établi une politique efficace relativement aux récidivistes qui utilisent son réseau.
Si vous vous contentez d'envoyer des avis, vous enverrez des avis à perpétuité. C'est comme si on disait: « Arrêtez, ou je vais vous redire d'arrêter. » Vous devez établir des mesures de dissuasion progressives que les gens prendront au sérieux si vous voulez changer leur comportement, car c'est là l'objectif fondamental de tout programme. On cherche à amener les gens à changer leur comportement, ce qui n'arrivera pas s'ils ne font que recevoir des avis.
Avant que nous commencions à parler du ciel qui nous tombe sur la tête, je tiens à dire que, à mon avis, nous assistons à l'âge d'or du cinéma canadien. Félicitations. Je crois que les produits que nous diffusons sont prodigieux, et nous atteignons un public international, alors je vous remercie de votre excellent travail.
De toute évidence, nous avons tous intérêt à maintenir une industrie cinématographique solide et dynamique au Canada, et il ne fait aucun doute que nous devons gérer des intérêts conflictuels. Nous essayons de trouver cet équilibre ici.
Je m'intéresse au cas d'isoHunt parce qu'on a mentionné ce site à maintes reprises. Madame Noss, votre organisation a-t-elle déjà tenté de poursuivre isoHunt ou de fermer le site?
Merci aux témoins d'être venus aujourd'hui.
Vous avez mis en lumière des points très importants aujourd'hui. Nous parlons d'une épidémie. Il s'agit d'une épidémie de vol, qui entraîne la disparition de 965 millions de dollars et la perte de 12 000 emplois dont profiterait le pays autrement. Je ne peux pas croire que nous ne nous démenons pas davantage et que nous ne faisons rien. Nous suivons un processus. Nous laissons juste aller les choses. Peut-être que nous aurons terminé notre examen du projet de loi d'ici l'Action de grâce. Je l'ignore — peut-être. Au rythme où vont les choses, je ne suis pas optimiste. Qui sait?
Vous mettez en lumière l'urgence de la situation. Je crois que c'est le message que vous essayez de transmettre aux députés ici aujourd'hui. Est-il juste de dire que, du point de vue de votre industrie, il est urgent que nous agissions? M. Angus a déclaré que nous assistions à l'âge d'or du cinéma canadien, mais cet âge d'or peut régresser à l'âge de la pyrite de fer assez rapidement, juste sous notre nez, si nous ne faisons rien pour protéger les investissements effectués et pour protéger les emplois, qu'il s'agisse des emplois d'acteurs ou des emplois de l'industrie de soutien et tous les emplois dérivés.
Vous nous dites que, si nous ne faisons rien, cette industrie sera en péril. Est-ce exact?
Pour d'abord répondre à votre dernière question, nous allons présenter un mémoire au comité. Nous voulions connaître vos questions d'aujourd'hui et entendre ce que vous aimeriez savoir avant de le faire.
Concernant vos observations, il importe de reconnaître qu'on a des distributeurs canadiens et américains, une main-d'oeuvre composée d'acteurs et de membres de l'AIEST, qui représente les 16 000 personnes travaillant comme électriciens et machinistes. Vous avez l'Association canadienne des producteurs qui a récemment témoigné devant vous. Nous — les producteurs et distributeurs, la main-d'oeuvre et tous ceux qui travaillent sur les films tant au pays qu'à l'étranger — vous disons tous la même chose: c'est important pour l'industrie.
Nous devons établir des règles claires pour que le Canada ne soit plus un refuge pour les gens qui fournissent ces services.
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J'entends au sein du comité un débat presque absurde où nous sommes seulement préoccupés par la protection du revenu des créateurs. Comme si cela devait être la seule préoccupation du comité.
Au bout du compte, l'ensemble de l'industrie est un écosystème. Chaque industrie qui dépend de la protection du droit d'auteur est un écosystème, et la viabilité de cet écosystème tient en grande partie à une industrie saine qui offre des emplois et des possibilités aux créateurs, aux acteurs et aux employés et travailleurs qui y contribuent, lesquels appuient ensuite toutes les autres industries et économies et tous les emplois indirects liés à un film produit dans une collectivité. Les retombées sont énormes et touchent beaucoup d'autres économies, mais l'industrie est très certainement au cœur de l'écosystème. L'industrie mise sur l'économie, et l'économie, c'est le rendement du capital investi. Si vous ne pouvez pas assurer un rendement du capital investi, vous n'allez pas faire d'investissement.
Monsieur Roy, vous avez dit quelque chose que je considère comme tout à fait vrai. Les gens croient que tout ce qu'ils trouvent sur Internet doit être gratuit et que cela doit être acceptable. S'ils trouvent une chose gratuite, elle devrait être gratuite, et j'entends couramment ce point de vue, même de la part de députés.
S'il y a une chose que j'aimerais voir le projet de loi réaliser — et vous pouvez peut-être commenter cela —, ce serait qu'il décrive ce qui est bien et ce qui est simplement mal.
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Il y a quelques points à soulever. Tout d'abord — et bien évidemment —, si nous pouvons inverser la tendance, cela donnera lieu à des rentrées d'argent plus élevées pour des entreprises comme Entertainment One et Alliance, et, comme nous sommes des entreprises canadiennes, nous avons tendance de réinvestir ces revenus au Canada.
Bien entendu, si nous n'adoptons pas les pratiques exemplaires qui ressortent de l'expérience de pays aux quatre coins du monde... Nous sommes également des entreprises internationales. Nous exerçons des activités sur de nombreux territoires, et, si le cadre canadien ne nous permet pas de réaliser des profits, nous allons investir l'argent ailleurs.
Si nous voulons continuer à produire d'autres films comme Le monde de Barney... Nous sommes ici non pas pour demander des subventions, mais pour assurer la protection de nos flux de rentrées pour que nous puissions réinvestir dans le prochain Le monde de Barney ou Incendies ou Splice ou d'autres films.
Merci.
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Nous croyons comprendre que le projet de loi — sous sa forme actuelle — accorderait aux établissements d'enseignement une exemption à l'égard des longs-métrages. Je vais simplement parler des longs-métrages parce que je sais que d'autres secteurs de l'industrie sont mécontents à ce chapitre pour des raisons semblables.
Concernant les longs-métrages, cela signifierait que les écoles n'auraient plus à payer une licence pour projeter un film dans leur établissement. Nos entreprises membres ont des ententes de sous-distribution avec deux sociétés — Audio Ciné Films et Criterion Pictures — qui assurent une promotion très active des films canadiens dans les établissements scolaires. Il s'agit non seulement de leur vendre des films, mais aussi d'offrir du contenu éducatif sur leur site Internet et des documents écrits. Nous menons également des discussions avec eux et une entreprise sans but lucratif appelée Reel Canada, dont le mandat est de promouvoir le cinéma canadien dans les établissements d'enseignement canadiens et d'offrir un contenu en ligne plus innovateur.
Si le projet de loi est adopté tel quel et si je comprends bien ses répercussions, ces deux sociétés — Audio Ciné Films et Criterion Pictures — fermeront leurs portes, et tous les efforts que nous déployons pour améliorer l'expérience en ligne des établissements scolaires à l'égard des films canadiens sont voués à l'échec.
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Je vous remercie beaucoup.
Par ailleurs, quelqu'un parmi vous a dit que vous étiez favorables à 100 p. 100 au projet de loi . Toutefois, vous nous demandez d'y apporter des amendements qui m'apparaissent importants relativement à la responsabilité des fournisseurs de services Internet, mais aussi sur le plan de leur reddition de comptes. Vous voulez les rendre responsables de ce qui se passe sur leur site Internet. Vous nous parlez aussi du système permettant à un contrevenant de recevoir avis après avis sans s'attendre à subir de conséquences significatives, et où un ayant droit qui se sent lésé envoie un avis au fournisseur de services Internet qui, à son tour, l'envoie au responsable d'un site ou à quelqu'un qui a contrevenu à la loi, croit-on. C'est ce qu'on appelle le système avis et avis. Il y a aussi celui de la riposte graduée, qu'on a vu en France, en Angleterre ou en Australie.
Bref, vous nous dites que vous appuyez totalement le projet de loi , mais qu'il faut y apporter deux gros amendements. Ce ne sont pas des petits amendements. Si on ne les apporte pas, croyez-vous que le projet de loi puisse atteindre son objectif, soit contrer le piratage?
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Je crois que tout ce qui peut être fait doit être fait.
Je vais vous donner un exemple. Nous distribuons des films en Espagne. Dans ce pays, il y a eu un certain laxisme et, par conséquent, la distribution de DVD est inexistante. Les mesures qui ont été implantées par la suite sont arrivées trop tard. Dans d'autres pays, comme ici, il y a eu une protection plus importante à cet égard et c'est pour cela que ce marché existe.
Je pense qu'il y a des choses à faire et qu'on doit les faire. C'est vrai, il y aura toujours du piratage, mais ça ne devrait pas représenter 1 milliard de dollars de ventes directes perdues par année. Il faut absolument en arriver à diminuer ce chiffre et tout faire pour que les gens ne sentent pas que le Canada est un endroit où on peut faire ça facilement. Le public canadien doit comprendre que poser ce geste n'est pas légal et qu'en faisant ça, on affecte des créateurs canadiens.
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Nous les appuyons. Je crois que les mesures techniques de protection sont absolument nécessaires. Pour créer ces entreprises en ligne, vous devez avoir la capacité de contrôler l'utilisation du contenu d'une certaine manière, alors, nous appuyons ces dispositions.
Je devrais dire que nous sommes au début de ce que j'appellerais l'ère numérique de la distribution de films. Vous avez Netflix qui a fait son apparition au pays l'automne dernier, vous avez Cineplex qui fait de la distribution numérique, vous avez iTunes d'Apple, et vous avez les sociétés de câblodistribution qui offrent ce service, alors, ce n'est que le début.
Ces entreprises sont en concurrence, et c'est ce qu'elles devraient faire. Elles ne devraient pas être en concurrence avec les isoHunt de ce monde, mais il semble — et nous n'avons pas encore tout à fait digéré le sondage d'Ipsos — que les pirates de la distribution en ligne détiennent l'avantage. Ils ont peut-être aujourd'hui une plus grande part de marché que les distributeurs numériques légitimes, ce qui est préoccupant.
On continue de les appeler « serrures numériques », mais il s'agit, en fait, du mécanisme par lequel ces personnes fournissent le contenu aux consommateurs sur le support qu'ils veulent, dans le format qu'ils veulent et au moment où ils veulent, selon différents modèles. Les mesures techniques de protection visent à contrôler l'accès. Elles sont destinées à des services comme Netflix, car vous n'allez pas continuer à payer votre abonnement mensuel si vous pouvez déjouer les mécanismes d'accès et télécharger gratuitement tout ce que vous voulez.
C'est la façon dont les DVD sont vendus actuellement; ils peuvent être copiés numériquement. Lorsque vous êtes un consommateur légitime de DVD, tous les DVD peuvent être copiés numériquement.
Si c'est ce que vous décidez de faire... Le marché s'élargit, mais le marché ne peut connaître de succès que si ce qui l'entoure — ce qui le protège contre un nombre illimité de copies —, ce sont les copies que le consommateur veut et dont il a besoin.
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Monsieur le président, à la lumière des témoignages précédents, je me suis rendu compte que des renseignements présentés dans plusieurs articles rédigés par M. Michael Geist donnent à penser que l'industrie du disque a poursuivi IsoHunt au Canada, et je crois qu'un de mes collègues partageait le même point de vue.
Je tiens à préciser, pour le compte rendu, que cela est manifestement trompeur et faux. C’est, en fait, IsoHunt qui est allée devant les tribunaux. Je crois savoir que l’Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement et d’autres organismes ont dû réagir à cette convocation en raison d’une poursuite judiciaire intentée par IsoHunt. On peut considérer cela comme une attaque préventive, mais cela n’appuie clairement pas le point de vue selon lequel la législation existante procure un soutien suffisant à l'égard du piratage qui a lieu actuellement.
Je tiens à ce que cela figure au compte rendu parce que M. Geist a pris la liberté d'associer mon nom à cette position. Je tiens simplement à préciser, aux fins du compte rendu, que c'est IsoHunt qui a engagé cette poursuite judiciaire — et non l'inverse —, contrairement à ce que M. Geist a avancé.
Merci.
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Monsieur le président, je souhaite m'exprimer à cet égard.
Au cours du premier tour de table qui a duré une heure, nous avons reçu deux témoins. Dans le deuxième tour, nous avons quatre témoins. Antérieurement, le comité avait décidé que nous en aurions six par rencontre, soit deux groupes de trois témoins, et non un groupe de deux et un autre de quatre.
En procédant de cette façon, on donne une chance inégale aux personnes qui ont été convoquées, qui ont préparé leur présentation, qui s'attendent à un certain nombre de questions pour exprimer leur point de vue en détail. Nous sommes obligés de partager notre attention entre quatre personnes représentant quatre organismes dont les mémoires sont tous différents.
Je vais accepter la situation pour cette fois, mais je ne veux plus que cela se reproduire. Je souhaite que nos séances soient plus équilibrées.
De plus, je ne sais pas si M. Del Mastro avait prévu cela à son agenda, mais une conférence de presse est prévue à 13 heures en ce qui concerne la présentation publique du rapport du Comité permanent du patrimoine canadien.
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D'accord. Est-ce que vous êtes aussi d'accord pour retirer la motion et terminer à 13 heures?
D'accord. Nous allons réduire le temps accordé aux témoins. Désolé.
Passons maintenant aux témoins. Nous accueillons François Côté et Caroline Fortier, de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, et Lisa Fitzgibbons et Cameron McMaster, de l'Association des documentaristes du Canada.
Ensuite, nous écoutons Maureen Parker et Jill Golick, de la Writers Guild of Canada, et, enfin, Brigitte Doucet et Patrick Boie.
Nous allons commencer par Caroline Fortier.
[Français]
Vous disposez de cinq minutes.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, d'entrée de jeu, permettez-moi de souligner que Denis Villeneuve, dont on a parlé fréquemment ce matin, le réalisateur du film
Incendies qui est en nomination aux Oscars, est membre actif de notre association, tout comme Denys Arcand, Xavier Dolan et beaucoup d'autres.
Vous comprendrez donc la raison de notre empressement à défendre le droit d'auteur des réalisateurs. Vous comprendrez aussi pourquoi nous nous sommes joints à l'ensemble des créateurs et que nous avons cosigné les mémoires qui ont dénoncé tant d'aspects du projet de loi .
Nous sommes inquiets des conséquences du projet de loi pour l'ensemble de la création cinématographique et audiovisuelle du Canada. L'effet combiné des exceptions multiples aux paiements de redevances, des critères imprécis et des moyens dérisoires accordés aux auteurs pour protéger leurs oeuvres sera de dévaloriser les oeuvres des créateurs canadiens, dont les réalisateurs, et de toute la chaîne de production. On l'a entendu, ce matin.
Serait-il alors surprenant de voir que les créateurs chercheront leurs revenus dans d'autres activités ou dans d'autres lieux? En voulant élargir l'accès gratuit aux oeuvres au bénéfice des consommateurs, ce projet de loi menace en fait l'accessibilité aux oeuvres créées par des Canadiens et à des contenus canadiens reflétant notre identité et notre culture, tout simplement parce qu'il n'y en aura peut-être plus. Les chiffres cités ce matin à ce comité en sont l'illustration.
Nous sommes aujourd'hui tentés de faire un parallèle entre ce qui pourrait se produire si ce projet de loi était adopté et ce qui s'est produit chez nos voisins américains dans le cas des subprimes qui, on s'en souvient, ont entraîné une crise financière qui nous affecte encore.
Le contenu est à l'industrie audiovisuelle et des communications ce que les prêts sont aux banques. C'est le produit principal, le core business. Quand les prêts hypothécaires ont perdu de leur valeur, c'est le système bancaire qui a été intoxiqué. Si on dévalue le contenu canadien, c'est l'ensemble de l'industrie canadienne de l'audiovisuelle et des communications qui sera intoxiqué.
Mais la comparaison se termine ici, puisque si le prêt est le produit fondamental, essentiel et irremplaçable du système bancaire mondial, le contenu canadien n'est quant à lui qu'un produit parmi d'autres et dont les diffuseurs, les fournisseurs d'accès et les intégrateurs de contenu, surtout s'ils ne sont pas canadiens, peuvent très bien se passer. Ils ne manqueront pas de contenu international à faire transiter dans leurs bandes passantes pour le prix des abonnements qu'ils pourront garder pour eux seuls.
Après avoir consacré des milliards de dollars d'argent public à soutenir la culture et à créer une industrie canadienne de l'audiovisuel, quelle affreuse ironie ce serait pour le gouvernement canadien de tout détruire en affamant ses auteurs. Le monde saurait quoi penser de nous.
Revenons à Denis Villeneuve. Je vous demande ceci: comment est-il possible d'être à la fois aussi fier de sa remarquable réalisation et vouloir miner la capacité même de nos créateurs de continuer à créer de telles oeuvres?
Le Comité permanent du patrimoine canadien a adopté et adressé à Denis Villeneuve une motion de félicitations pour la nomination d'Incendies. Mais saviez-vous que Denis Villeneuve, tout comme Denys Arcand ou Xavier Dolan d'ailleurs, n'est pas reconnu dans la Loi canadienne du droit d'auteur comme l'auteur de son film? Pourtant, il est bien en lice pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Le monde entier reconnaît en Denis Villeneuve l'auteur d'Incendies, mais pas la loi de son pays. C'est pourquoi nous estimons que dans le libellé de la Loi sur le droit d'auteur, il est tout à fait légitime, logique et urgent d'inclure et de nommer le réalisateur comme auteur de l'oeuvre audiovisuelle au même titre que l'auteur du scénario de cette même oeuvre.
L'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec tient à offrir toute sa collaboration aux efforts de modernisation de la Loi sur le droit d'auteur. Elle le fera avec la conviction que ceux qui créent des oeuvres, ce sont des personnes, et que ces mêmes personnes doivent profiter de la vie économique de leur oeuvre.
Merci de votre temps et de votre attention.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de me présenter devant vous aujourd'hui. Je m'appelle Lisa Fitzgibbons et je suis directrice générale de l'Association des documentaristes du Canada, ou DOC. Je suis accompagnée de mon collègue Cameron McMaster.
DOC parle au nom des 800 membres, qui sont des réalisateurs, des producteurs et des artisans du milieu du documentaire partout au Canada.
[Traduction]
Les documentaristes créent des oeuvres qui jouissent d’une protection du droit d’auteur, mais, en tant que créateurs, ils doivent souvent aussi consulter et utiliser le travail des autres. Les documentaristes se servent couramment, entre autre choses, d'extraits vidéos, d’archives et de photos pour créer des oeuvres et pour raconter des histoires ayant une importance historique ou sociale. Sous réserve de certaines conditions, un réalisateur de documentaires peut invoquer l'utilisation équitable légale pour consulter et cité du contenu protégé par le droit d’auteur sans devoir obtenir une autorisation ni payer une licence. Les réalisateurs s’assurent de le faire avec soin, car, en étant eux-mêmes des utilisateurs et des propriétaires d’objets protégés par le droit d’auteur, ils comprennent que l’utilisation équitable va dans les deux sens: les oeuvres qu’ils produisent pourraient également être utilisées de façon semblable par d’autres personnes.
De nombreux intervenants avancent que les utilisateurs d'oeuvres protégées par le droit d'auteur peuvent abuser de l'utilisation équitable pour éviter de payer les droits d'utilisation de ces oeuvres. DOC ne tolère pas cette pratique. L'utilisation équitable n'est pas une utilisation gratuite. Au chapitre de la production de documentaires, la défense devrait s'appliquer à des circonstances légitimes à des fins de commentaire, de critique et d'examen.
La relation entre l’utilisation équitable et la production de documentaires est au cœur des efforts de revendication de DOC depuis de nombreuses années, et c’est pourquoi nous sommes particulièrement préoccupés par les dispositions du projet de loi concernant les serrures numériques. DOC appuie les serrures numériques comme façon de protéger l’expression d’une personne contre toute atteinte, mais les dispositions concernant les serrures numériques proposées dans le projet de loi ne prévoient aucune exception liée à des mesures d’anticontournement en matière d’utilisation équitable.
Les documents visuels sont la matière première avec laquelle les réalisateurs de documentaires travaillent. L’accès à diverses sources — analogiques et numériques — est essentiel à l’activité du documentariste. Au fil des progrès technologiques, nous encodons notre histoire sur différents supports. L’histoire est en train d’être numérisée. L’ubiquité des supports numériques pourrait donner lieu à un plus grand nombre de serrures numériques, mais comment pouvons-nous accéder gratuitement à cette histoire si on en bloque l'accès au moyen d’une serrure numérique? Réfléchissez à l'incidence que cela aurait sur notre capacité, en tant que Canadiens, de raconter notre histoire.
Le fait d’intégrer des serrures numériques sans établir des exceptions adéquates liées à l’utilisation équitable — surtout à des fins de réalisation de documentaires — minerait la capacité des réalisateurs de documentaires d’exercer leur métier. Si les réalisateurs de documentaires ne sont pas en mesure de pratiquer leur métier en raison des serrures numériques, ils se voient refuser leur liberté d’expression et de création. L’utilisation équitable est légale. Le fait de criminaliser les outils ou la création et la vente d’outils à des fins d’utilisation équitable est une contradiction inhérente du droit d’auteur.
Dans d’autres administrations, on a considéré que les serrures numériques gênaient la liberté d’expression et de création. En effet, en juillet 2010, le bureau du droit d’auteur des États-Unis a modifié la DMCA pour permettre aux réalisateurs de documentaires de briser les serrures numériques si l’objectif et l’utilisation étaient équitables. Comme le gouvernement du Canada met à jour sa Loi sur le droit d’auteur, il devrait commencer du bon pied en créant des exceptions utiles et efficaces liées à des fins qui ne visent aucune violation.
Nous allons maintenant dire quelques mots sur le marché éducatif. Nous aimerions aujourd’hui vous faire part du point de vue de la communauté qui s’occupe des vidéos éducatives — les distributeurs, les producteurs de contenu et les producteurs qui assurent la distribution de leurs oeuvres — à l’égard du projet de loi . Les documentaristes autorisent sous licence l’utilisation de leurs productions par de nombreux marchés, y compris le théâtre, la télévision, le numérique et l'éducation. De par sa nature, le documentaire se prête parfaitement à l'utilisation en classe. Grâce aux documentaires, les enseignants ont accès à une façon abordable et accessible d’enrichir leur enseignement.
Les étudiants ont accès à des histoires canadiennes et à l’histoire canadienne. Jusqu’à présent, les étudiants canadiens, les établissements d’enseignement, les distributeurs de vidéos éducatives et les producteurs de documentaires ont profité d’une relation fructueuse. Les documentaristes veulent susciter le débat, critiquer et — chose la plus importante — informer les Canadiens sur les grandes questions actuelles et pertinentes de notre époque. En l’absence d’une rémunération adéquate liée à l’utilisation de leurs oeuvres dans les classes, les documentaristes seront incapables de créer du contenu destiné à ce contexte.
De plus, les distributeurs qui facilitent l'accès à ce matériel disparaîtront. Si cela se produit, vers qui les établissements d'enseignement se tourneront-ils pour trouver des vidéos éducatives de qualité qui abordent des sujets d'actualité à des fins pédagogiques? Devront-ils se tourner vers une plus grande ressource — à savoir les distributeurs américains? Si c'était le cas, il n'y aurait pratiquement plus de contenu vidéo canadien dans les classes.
Nous craignons que l'effet combiné des réformes proposées qui visent les établissements d'enseignement et des dispositions liées à l'utilisation équitable du projet de loi n'entraînent une baisse du contenu vidéo canadien disponible dans les classes canadiennes.
Merci.
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Bonjour, mesdames et messieurs les députés. Je m'appelle Maureen Parker. Je suis directrice générale de la Writers Guild of Canada. Je suis également accompagnée aujourd'hui de la présidente, Jill Golick, créatrice de contenu numérique. Merci de nous avoir invitées.
La Writers Guild est une association nationale qui représente plus de 2 000 scénaristes professionnels oeuvrant dans les domaines du cinéma, de la télévision, de la radio et de la production de contenu numérique en anglais. Les scénaristes canadiens ont un intérêt direct à l'égard du droit d'auteur. Contrairement à leurs homologues américains, les scénaristes canadiens conservent les droits d'auteur à l'égard de leurs oeuvres et n'autorisent sous licence que le droit de production. Leur capacité de vivre de leurs oeuvres est fondée sur les frais initiaux, l'intéressement et les redevances d'utilisation secondaire générées par le droit d'auteur dans d'autres administrations.
Nous convenons que la Loi sur le droit d'auteur du canada doit être modernisée, et nous avons constamment défendu la réforme du droit d'auteur au fil des ans.
Les technologiques numériques ont permis aux gens de copier et d'échanger plus facilement les oeuvres des créateurs. Ce n'est plus seulement l'industrie de la musique qui est touchée. L'iPod, l'ordinateur et la tablette électronique du consommateur moyen sont remplis de films et d'émissions de télévision. Le public télécharge des émissions pour les regarder et les conserve pour les revoir, et c'est ce que les scénaristes veulent. Ils veulent que leurs oeuvres soient vues par le plus de gens possible, mais il importe de se rappeler que les copies ont une valeur et que les scénaristes doivent être rémunérés selon cette valeur.
Notre plus grande préoccupation concernant le projet de loi , c'est l’adoption de l’article 29.22 proposé, qui étend la notion de copie à des fins privées à toutes les oeuvres, mais sans qu’une rémunération ne soit versée. L’article 29.22 proposé élargit la notion de copie à des fins privées et la fait passer de la copie destinée à l’utilisation personnelle par la personne concernée à la copie par une personne pour un nombre non spécifié de personnes. Cela porte clairement atteinte à la vente d'oeuvres protégées par le droit d’auteur. Pourquoi vos amis et votre famille achèteraient un film ou un coffret DVD d’une émission de télévision alors que vous pouvez copier la version que vous avez achetée et leur donner une copie? L’article 29.22 proposé risque de porter un dur coup au marché du DVD. Les créateurs ont besoin d’une Loi sur le droit d’auteur moderne qui protège au lieu de miner leurs flux de rentrées.
Nous préférons que l’article 29.22 proposé soit supprimé. Cela permettrait aux marchés touchés par ces copies de se développer. Sinon, la loi ne devrait limiter l’article 29.22 proposé qu’à l’industrie de la musique, de façon à créer un équilibre et à travailler en tandem avec l'actuel régime de reproduction à des fins privées, lequel est lié uniquement à l’industrie de la musique. Cela exigerait également la revue de la notion d’« utilisation personnelle » et du libellé existant de la loi actuelle. L’amendement du projet de loi de l'une de ces deux façons permettrait l’octroi de licences collectives à l’égard de la reproduction d’oeuvres non musicales à des fins privées de voir le jour en marge de la Loi sur le droit d’auteur ou dans le cadre d’amendements futurs. Nous serons incapables de faire cela si ces droits sont accordés gratuitement maintenant.
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Le projet de loi mine l'octroi de licences collectives. L'introduction de l'article 29.22 proposé n'est qu'un exemple. L'octroi de licences collectives — que ce soit dans le cadre d'un marché régi par la loi ou d'un marché libre — est une solution très simple à un si grand nombre de problèmes auxquels nous faisons face. Cela permet aux consommateurs d'accéder facilement au contenu et procure une rémunération aux créateurs du contenu. L'octroi de licences collectives fonctionne très bien dans de nombreux secteurs depuis des décennies. Je le sais parce que je reçois des chèques — par l'entremise de la Canadian Screenwriters Collection Society — à l'égard de l'utilisation secondaire dans d'autres administrations. L'octroi de licences collectives est un modèle éprouvé qui assure l'utilisation du contenu par les consommateurs et la rémunération des créateurs, et ce devrait être le modèle à adopter dans le monde du numérique.
Toutefois, même si l'octroi de licences collectives s'applique aux oeuvres audiovisuelles, en tant que scénariste, je n'y aurais pas droit, car la notion d'« auteur de l'oeuvre audiovisuelle » n'est définie ni dans la Loi sur le droit d'auteur ni dans le projet de loi.
Comme c'est le cas pour les droits des photographes, l'absence de définition représente une anomalie depuis le début. La Writers Guild of Canada et la Guilde canadienne des réalisateurs s'entendent pour dire qu'un scénariste et un réalisateur sont des coauteurs de l'oeuvre audiovisuelle. C'est le cas dans de nombreuses administrations dans le monde. En l'absence d'une définition de la notion de « paternité de l'oeuvre », le projet de loi n'offre pas aux oeuvres audiovisuelles la même protection qu'aux autres oeuvres. À titre d'exemple, l'article 41.22 proposé protège l'information sur le régime des droits, ce qui nous permet de retracer l'utilisation de nos oeuvres et de toucher des redevances aux quatre coins du monde. En l'absence d'une définition de la notion de « paternité de l'oeuvre », l'interdiction prévue par l'article proposé contre la suppression de l'identité de l'auteur est inutile en ce qui concerne les oeuvres audiovisuelles. Après 12 ans et plusieurs séries de réformes du droit d'auteur, il est temps de reconnaître le scénariste et le réalisateur comme coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle.
On a dit que le projet de loi avantage les créateurs parce qu'il met à leur disposition des serrures qu'ils peuvent utiliser pour protéger leurs oeuvres contre le piratage. À titre d'information, en tant que créateurs, nous n'avons aucun contrôle sur l'ajout d'une serrure. La décision revient aux titulaires d'un droit d'auteur, et, même si les serrures numériques pourraient préserver les modèles de gestion existants pour un certain temps, les modes de distribution changent actuellement. Même les titulaires pourraient ne pas se rendre compte de la valeur complète d'une oeuvre. La protection contre le piratage ne règle qu'une partie du problème. La reproduction doit être assortie d'une rémunération.
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Bonjour. Je suis Brigitte Doucet, directrice générale adjointe de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec, l'APFTQ. Je suis accompagnée de Patrick Boie, directeur des communications.
D'entrée de jeu, je vais devoir m'excuser auprès des interprètes. Je vais sauter certains passages de mon texte.
Rappelons que l'APFTQ est active depuis 40 ans et regroupe plus de 140 entreprises de production oeuvrant dans les deux langues officielles, et ce, dans tous les secteurs de la production audiovisuelle au Québec.
L'APFTQ a déposé un mémoire qui relate ses positions et qui propose également des modifications législatives, et ces modifications et nos positions sont abordées sous cinq volets qui concernent notre industrie.
Le premier volet concerne les nouveaux droits qui sont au bénéfice des artistes interprètes et exécutants. C'est dans le but de respecter les obligations internationales du Canada qu'ils ont été ajoutés, mais ces mêmes obligations précisent que ces nouveaux droits ne devraient s'appliquer qu'au domaine de la musique et ne pas s'appliquer à l'audiovisuel. Or le projet de loi n'a pas fait les ajustements nécessaires pour s'assurer qu'ils ne s'appliquent pas à l'audiovisuel. Nous demandons au gouvernement de faire ces modifications. Vous aurez le détail des propositions dans notre mémoire.
Le second volet traite de piratage. Il semble de l'intention du gouvernement de contrer ou à tout le moins de limiter le piratage au Canada, et nous considérons que le projet de loi, tel qu'il est rédigé, n'atteint pas l'objectif. Il est vrai qu'un article spécifique du projet de loi vient déterminer que les services facilitant le piratage constituent une violation du droit d'auteur. Par contre, une des conditions à remplir ne peut l'être, puisque, d'un côté, on exige que le consommateur commette un acte illégal en utilisant ces services et, de l'autre côté, il y a une nouvelle exception, soit la reproduction à des fins privées, qui vient légaliser ce que les consommateurs font dans le contexte de piratage de masse. Ainsi, toute possibilité pour les ayants droit d'obtenir justice est court-circuitée.
Pour contrer le piratage, nous proposons plusieurs éléments, dont vous avez le détail dans le mémoire. Selon nous, il faut que les services facilitant le piratage soient clairement illégaux. Il faut que ces services soient assujettis au régime de dommages-intérêts préétablis et que ces derniers soient dissuasifs. Il ne faut pas que ces services soient exempts de responsabilité grâce au régime d'exemption en faveur des fournisseurs de services réseau. Finalement, il faut que les actes de mise à disposition et de reproduction faits par les consommateurs lorsqu'ils piratent du contenu protégé soient clairement illégaux.
Soulignons également que le contournement des mesures techniques de protection qui deviendrait illégal avec le projet de loi est, selon nous, à son niveau minimum puisqu'il ne vise que l'accès aux oeuvres et non les autres actes protégés comme la reproduction. Plusieurs modèles d'affaires émergeant sont basés sur des mesures de protection créatives et fonctionnelles. Afin de permettre à l'exploitation numérique de se déployer, il aurait été souhaitable que tout contournement de mesures de protection soit illégal. Cela dit, nous considérons que le projet de loi doit au moins maintenir l'illégalité du contournement des mesures qui protègent l'accès aux oeuvres.
Le troisième volet aborde toutes les nouvelles exceptions prévues dans le projet de loi. Comme vous pourrez le lire dans notre mémoire, nous considérons que plusieurs de ces exceptions ne devraient pas être ajoutées, mais si le gouvernement a l'intention de les maintenir, nous soumettons une série d'ajustements afin de les encadrer pour empêcher d'éventuels abus.
Le quatrième volet propose un nouveau régime de financement de l'utilisation numérique des oeuvres. Ce régime serait composé de contributions annuelles du gouvernement et de contributions annuelles de fournisseurs de services qui profitent du contenu numérique. À titre de contribution exceptionnelle du gouvernement, l'APFTQ demande qu'une partie significative des sommes qui seront collectées lors de la prochaine attribution de la quatrième génération d'ondes de télécommunication soit également versée dans ce nouveau fonds. Ce fonds financerait la production du nouveau contenu pouvant être exploité numériquement et rémunérerait les ayants droit pour certaines utilisations numériques de leurs oeuvres. Il y a un peu plus de détails dans le mémoire et nous serons heureux d'en discuter plus en détail au besoin.
Finalement, l'APFTQ réitère sa demande soumise à maintes reprises et sur laquelle nous avons un terrain d'entente avec les réalisateurs et les scénaristes, à savoir qu'on règle définitivement la question permettant de déterminer qui est l'auteur de l'oeuvre cinématographique.
À ce point-ci, il n'y a aucune mention. La seule possibilité de savoir avec certitude qui est l'auteur, c'est de soumettre la question à un tribunal, à la toute fin d'une production, pour qu'il puisse déterminer qui sont les créateurs qui font en sorte que cette oeuvre complète soit protégée. C'est impossible. On ne peut pas faire cela, et on ne le fait pas.
On navigue donc en eaux troubles. Parfois cela peut être le réalisateur, parfois le réalisateur et le scénariste et, parfois encore, des tribunaux ont déterminé que le producteur était aussi l'auteur. On peut imaginer des situations où le créateur de costumes ou de décors pourrait être l'auteur. Nous avons une solution différente pour régler la situation...
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En fait, notre position est un peu différente, sans être opposée. Il y a beaucoup de nuances à faire. Il y a des différences entre le film et la télévision, par exemple.
En télévision, on peut imaginer une émission de télévision où le réalisateur, par exemple, va faire de la mise en ondes. La mise en ondes est clairement identifiée en France, mais elle ne l'est pas ici. La mise en ondes n'apporte pas de droits d'auteur. On peut imaginer une émission de télé du genre de ce qu'on appelle parfois en français un « show de chaises », où quelqu'un écrit seulement des textes de liens. Cela peut être les mots d'accueil et la présentation de la personne qui va faire son numéro. Nous considérons que ça n'apporte pas de droits d'auteur. Il pourrait exister une émission de télé où le réalisateur et le scénariste n'auraient pas de droits d'auteur. En même temps, si on écrit que les auteurs doivent spécifiquement être le réalisateur et le scénariste, cela peut avoir pour effet soit de donner des droits alors qu'il n'y en a pas, soit, à l'inverse, de priver de droits ceux qui devraient en avoir. J'omets tous les détails, mais je pourrais en parler longtemps.
La solution que l'on propose est de mettre une exception dans la loi, comme il en existe dans le cas d'un employeur. L'employeur qui paie les gens pour confectionner une oeuvre est le premier titulaire des droits. Il n'est pas l'auteur, mais il est le premier titulaire des droits pour pouvoir exploiter cette oeuvre par la suite.
Selon nous, le producteur est dans la même situation, à une exception près, soit que notre industrie est surtout composée de pigistes. On ne peut donc pas automatiquement profiter de l'exception qui figure à la loi. Au même titre qu'un employeur, on paie tout le monde qui participe à la confection d'une oeuvre et, au bout du compte, c'est nous qui l'exploitons. Grosso modo, c'est notre position.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Tout d'abord, j'ai une question à propos des coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle.
Monsieur Côté, je suis particulièrement fière de vous voir ici, car je sais que vous êtes un des réalisateurs de Passe-Partout, émission avec laquelle mes enfants ont grandi. Passe-Partout occupe une place particulièrement importante dans la vie de mes enfants et dans la mienne. J'ai aussi écouté l'émission et je pourrais réciter les comptines qu'apprenaient mes enfants.
Qu'est-ce qui se fait dans les autres pays relativement aux droits d'auteur des réalisateurs et des scénaristes? Qui est le réalisateur, qui est l'auteur d'un film ou d'une émission de télé?
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Puis-je commencer par clarifier une chose?
Au cours de la dernière série de questions, tout le monde — et cela tient peut-être à la traduction — parlait constamment de « producteurs » et de « scénaristes ». Ce sont des réalisateurs. Pouvons-nous corriger cela dans le compte rendu et le réviser?
Nous ne proposons pas de partager le droit d'auteur avec les producteurs — question d'être très claire. Nous proposons qu'il y ait une copaternité de l'oeuvre entre le scénariste et le réalisateur. La raison, c'est qu'il s'agit d'un rôle créatif, d'un geste de création. Les réalisateurs — l'APFTQ et la CMPA — sont très préoccupés par la paternité de l'oeuvre, et je comprends cela, mais ils sont surtout préoccupés par la propriété et l'exploitation des oeuvres.
Pour répondre à votre question, madame Lavallée, des administrations de partout dans le monde reconnaissent la paternité d'une oeuvre audiovisuelle. Ce n'est pas un nouveau concept. En France, en Espagne, en Italie et en Amérique du Sud, nous recouvrons des sommes par l'entremise de sociétés de gestion des droits d'auteurs dans ces administrations depuis de nombreuses années. La loi prévoit généralement que le scénariste et le réalisateur sont les auteurs d'une oeuvre audiovisuelle, car la paternité d'une oeuvre découle d'un effort de création. Le « titulaire-fabricant » est le producteur.
Je crois que les producteurs cherchent à obtenir tous les droits dont ils ont besoin pour exploiter le contenu, et nous pouvons les assurer que nous leur donnerons tout ce dont ils ont besoin pour mettre en valeur notre travail. En tant qu'auteurs, nous sommes les premiers titulaires du droit d'auteur. Nous sommes prêts à le transférer, et nous disposons d'un document juridique pour transférer le droit d'auteur au producteur qui se trouve en haut de l'échelle, pour qu'il puisse se charger de l'exploitation. Lorsqu'il exploite une oeuvre, nous faisons de l'argent.
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Merci, monsieur le président.
Je m'intéresse à l'article 29.22 proposé. Il m'a sauté aux yeux lorsque j'ai lu le projet de loi, et il a reçu très peu d'attention. C'est l'idée qu'on peut faire des copies « à des fins privées ».
Supposons, par exemple, que ma parenté a envie de me voir et que j'assiste à une grande réunion de famille où se trouvent des centaines de membres de la famille. Si je me dis que, j'aimerais, à des fins privées, faire une copie de mon nouveau film préféré que je viens d'acheter, je pourrais en faire 300 copies et les distribuer à l'occasion de la réunion familiale. Ce serait à des fins privées, n'est-ce pas? Cela différerait d'un usage privé.
Pourquoi croyez-vous que le libellé est là? Et comment réglons-nous cela?
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Alors, il faudrait que nous changions cela.
Madame Fitzgibbons, je suis heureux que vous soyez ici aujourd'hui.
Je me suis entretenu avec de nombreux producteurs au Canada — ou des cinéastes — et j'entends sur le droit d'auteur des choses qui diffèrent de ce qui est habituellement dit dans le cadre de nos séances. J'ai souvent entendu dire à quel point le droit d'auteur est limité et à quel point il est difficile d'obtenir des droits, même pour du matériel filmique de base qui serait normalement du domaine public n'importe où ailleurs, mais qui pourrait être verrouillé aux fins de l'obligation de payer des droits. J'ai même entendu parler de la difficulté de tourner en extérieur; on m'a dit — et je ne sais pas si c'est vrai — qu'il est impossible de tourner à Niagara Falls parce que l'image avec des lumières est protégée par un droit d'auteur qui appartient à une grande industrie du divertissement américaine, alors, vous devez les payer si vous voulez tourner une scène sur le côté canadien des chutes.
Pour faire un documentaire aujourd'hui, vous auriez recours à des extraits de séquences filmées, mais cela serait assujetti à une serrure numérique, alors, ce serait essentiellement illégal.
J'ai soulevé cette question lorsque nous parlions à un des groupes qui tenaient fermement à ce qu'il n'y ait pas d'exceptions relativement aux serrures numériques, et les représentants ont dit: « Eh bien, ce n'est pas compliqué: vous pouvez filmer un écran de télévision. »
Qu'est-ce que cela représente pour votre industrie et pour votre capacité d'utiliser des extraits d'oeuvres pour réaliser des films légitimes si on vous traite comme si vous étiez isoHunt?
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Je m'intéresse à la question de la définition de la paternité de l'oeuvre. J'ai évolué dans l'industrie de la musique, et, bien avant que j'y mette les pieds, il y avait des histoires d'horreur selon lesquelles Creedence Clearwater Revival, Ray Charles et tous les autres se faisaient escroquer par l'éditeur de musique, qui s'appropriait tous les droits.
Alors, on a défini les droits. Il y a des droits de reproduction mécanique et des droits de l'artiste-interprète, mais, en ce qui concerne la propriété de la chanson en soi, chaque dollar est divisé en deux parts égales. Si une part de 50 p. 100 appartient à l'auteur, celle-ci ne peut être enlevée; l'éditeur ne peut prendre cette part. Il peut prendre celle de l'éditeur ou une partie de celle-ci, et elle pourrait être divisée de 20 façons différentes, y compris entre les auteurs — s'il y a plusieurs auteurs. C'est très défini.
La question qui nous occupe est-elle associée à un problème dans l'industrie? Ou s'agit-il d'un problème législatif? Comment se fait-il que cela n'a pas été défini dans votre industrie, comme c'est le cas dans l'industrie de la musique depuis 30 ans?
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C'est une très bonne question.
C'est parce que les modes de distribution sont en train de changer. Nous sommes en plein changement. Les copies numériques sont une chose merveilleuse, alors, nos oeuvres sont maintenant largement diffusées. À l'heure actuelle, nous parlons vraiment de reproduction.
Nous tirons un revenu de nos oeuvres et de différentes formes d'exploitation liées à l'utilisation primaire. Si c'est au théâtre ou si c'est vendu sous forme de coffret DVD d'émissions de télévision, nous recevons une redevance dans le cadre de nos ententes collectives, mais nous sommes en train de parler d'une rémunération à l'égard de la reproduction de nos oeuvres. À titre d'exemple, si l'article 29.22 proposé était adopté tel quel, cela permettrait à un nombre de copies non spécifié de nos oeuvres de se retrouver sur le marché, et, à moins qu'il n'y ait une forme quelconque de régime de rémunération lié à l'octroi d'une licence collective, aucun dollar ne revient au créateur. Même si une licence collective était octroyée à la copie en question, nous ne serions pas en mesure de déterminer qui toucherait l'argent, car nous n'avons pas établi la paternité de l'oeuvre audiovisuelle. C'est difficile, car nous sommes quatre pas en arrière. Je peux dire que la majorité des pays dans le monde ont tranché cette question depuis très longtemps.
Permettez-moi d'ajouter un dernier point: aux États-Unis, les studios sont les titulaires du droit d'auteur, et, à ce titre, ils sont une anomalie dans le monde. Ils sont la seule exception, dans la mesure où les studios détiennent le droit d'auteur, alors que, dans le reste du monde, la paternité d'une oeuvre revient au créateur.
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Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à nos témoins.
Nous avons ici des opinions très divergentes, et, c'est ce qui, selon moi, est censé se passer. Lorsque vous tentez de trouver l'équilibre à l'égard d'un projet de loi, personne ne sera tout à fait content.
Je veux revenir sur la question des serrures numériques. Certains d'entre vous n'ont pas été très clairs à l'égard de votre position concernant le contournement.
Madame Fitzgibbons, je crois connaître votre position. Peut-être que je pourrais vous demander, madame Doucet, quelle est votre position concernant le contournement des serrures numériques. Donnez simplement une courte réponse, car je vais pousser plus loin l'analyse de la question.
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D'accord. Parlons des deux, c'est-à-dire de ceux qui vont accéder à l'information dont ils ont besoin.
Bien entendu, ce n'est pas tout le monde au Canada qui est honnête. Il y aura ceux qui disent qu'il est actuellement légal d'acheter cela, alors, je vais utiliser ces inventions technologiques pour contourner les serrures numériques. Comme je suis malhonnête, je vais, en fait, tricher et je vais maintenant briser les serrures à des fins non autorisées par la loi. Au bout du compte, vous avez ce groupe dans la société qui cause en réalité un problème pour ceux qui créent le contenu et qui détiennent le droit d'auteur, ce qui signifie que la protection de leurs droits leur coûte beaucoup plus cher.
Je tiens pour acquis que vous avez pris connaissance du projet de loi , alors, vous savez que, selon l'article 47, le sous-alinéa 41.21(2)a)(iii) proposé confère au ministre un pouvoir discrétionnaire étendu de prendre des règlements pour modérer certaines dispositions anticontournement. J'aimerais au moins vous lire l'alinéa — aux fins du compte rendu.
Le paragraphe 41.21(2) proposé prévoit ce qui suit:
Le gouverneur en conseil peut, par règlement:
a) prévoir d’autres cas dans lesquels l’alinéa 41.1(1)a) ne s’applique pas, compte tenu des critères suivants:
(iii) le fait que l’impossibilité de contourner une telle mesure technique de protection pourrait nuire à toute critique et à tout compte rendu, nouvelle, commentaire, parodie, satire, enseignement, étude ou recherche dont l’oeuvre, la prestation ou l’enregistrement peut faire l’objet,
C'est ce que dit le projet de loi. Essentiellement, le projet de loi dit que nous comprenons que vous n'êtes pas actuellement autorisés à briser les serrures numériques, mais que le ministre a le droit de prendre des règlements à cette fin, et ce, sans avoir à retourner au Parlement pour demander une modification de la loi. Au fur et à mesure que les industries se développent, au fur et à mesure que nous gagnons de l'expérience à l'égard de cette nouvelle loi, le ministre a la marge de manoeuvre voulue pour adapter et adopter des règlements qui autorisent des industries comme la vôtre à tirer profit d'une partie du contenu auquel vous aimeriez accéder et dont les serrures numériques vous empêchent de le faire.
Alors, êtes-vous au courant de cette disposition?