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J'aimerais commencer par remercier le comité de m'avoir invitée à comparaître au sujet d'un dossier fort important dans l'histoire du droit d'auteur au Canada, sujet qui me tient très à coeur.
J'offre mes commentaires en tant que professeure en droit à l'Osgoode Hall Law School et en tant que fondatrice et directrice d'IP Osgoode, le programme de propriété intellectuelle et de technologie de l'Osgoode Hall Law School. J'offre mes commentaires sans intention cachée ni parti pris à l'appui d'un quelconque groupe intéressé. Je penche en faveur d'une approche équilibrée qui sous-pèse l'ensemble des défis auxquels se trouve confronté le gouvernement, ainsi que les intérêts des différents intervenants.
Le projet de loi et ambitieux dans sa tentative visant à établir cet équilibre, et il renferme de nombreuses dispositions visant à cerner les différents intérêts et défis. En dépit de cette vaillante tentative, le projet de loi requiert un certain peaufinage, certains aspects n'y ayant pas été traités et d'autres seulement de manière ambiguë.
Si nous prenons comme point de départ que nous voulons que les utilisateurs finaux — le public — apprécient les oeuvres, que nous voulons assurer aux auteurs la possibilité de créer et de continuer de créer, que nous voulons que la créativité et l'innovation soient florissantes, et que nous voulons assurer la plus vaste dissémination possible des oeuvres, tout en veillant en même temps à ce qu'il y ait des moyens de compensation viables pour l'utilisation des oeuvres d'autrui, alors il importe de travailler encore au projet de loi. Si nous voulons une loi qui soit claire et qui puisse être comprise par les Canadiens, alors il nous faut faire mieux.
Je vais, dans le temps dont je dispose, me concentrer sur quelques points seulement que le comité pourrait rattraper.
Mon premier point concerne les amendements proposés à l'article 29, portant sur l'utilisation équitable. Bien qu'il soit salutaire d'avoir ajouté, en tant que nouvel objet, « la parodie ou la satire », je ne comprends toujours pas très bien pourquoi l'on a ajouté, comme nouvel objet, en vertu de cette disposition, « l'éducation ». Ce nouvel objet est trop large et annonce des années de litige pour tirer la chose au clair, ce qui soulèvera des questions d'accès à la justice et obligera les tribunaux à résoudre des questions qu'il reviendrait au gouvernement de codifier avec confiance.
Quelle est la politique sous-tendant cette disposition? Quel problème existe-t-il en matière d'éducation qui n'est à l'heure actuelle pas couvert par les autres dispositions de la loi? Si le gouvernement a quelque chose en tête, il devrait le dire expressément et non pas de manière ambiguë, en employant un terme polyvalent, en espérant que ce qu'il vise, ou pourrait viser, se trouve ainsi réglé. Chose importante, il n'existe en la matière aucune jurisprudence, et les tribunaux seront ainsi chargés de faire le travail du gouvernement. Je m'empresse de souligner qu'il existe aujourd'hui une vaste jurisprudence en ce qui concerne les autres objets.
Comment faire pour corriger cela?
Inscrire dans la loi les facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt CCH canadienne Ltée n'est pas une solution. Cela ne fait rien pour clarifier ce que l'on entend par « éducation ». Le gouvernement devrait se prononcer sur les décisions judiciaires lorsqu'il souhaite les renverser, et non pas lorsqu'il les appuie, et certainement pas lorsqu'il a devant lui une décision unanime de la Cour suprême du Canada, comme c'est le cas de l'arrêt CCH canadienne Ltée. Il pourrait, par exemple, intervenir pour codifier une décision d'un tribunal inférieur qu'il appuie, s'il craint qu'un tribunal supérieur veuille peut-être la renverser, mais il n'est guère logique d'intervenir et de répéter ce qu'a déjà dit la Cour suprême du Canada.
En conséquence, la question demeure: comment corriger la chose? Devons-nous inscrire dans la loi le « test en trois étapes » de la Convention de Berne ou de l'ADPIC, qui limite les exceptions autorisées dans les lois nationales à certains cas spéciaux où il n'est pas porté atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur? Je ne pense pas que ce soit là, en soi, la réponse complète non plus. Cela inviterait davantage d'ambiguïté dans un cadre déjà ambigu définissant, pour le Canada, ce qui s'entend par « exploitation normale », « préjudice injustifié » et « intérêts légitimes de l'auteur », et ainsi de suite. Le risque serait que la loi canadienne soit déterminée à Genève par des panels de l'OMC rendant des décisions au sujet des dispositions de l'ADPIC.
Ce qu'il nous faut faire c'est corriger l'utilisation équitable dans le domaine de l'éducation, étant donné qu'un des objets est d'isoler, au niveau le plus élémentaire, le problème que nous cherchons à régler par voie de loi, puis à exprimer ce problème.
Si nous savons lequel il est, alors il importerait de le dire. Si nous ne savons pas lequel il est, mais avons le sentiment qu'il nous faut faire quelque chose, alors je recommanderais le recours à un cadre plus flexible. Par exemple, nous pourrions inclure, à la fin de l'article 29, une disposition du genre « ne constitue pas une infraction au droit d'auteur le fait de traiter de telles fins éducatives d'une manière qui soit conforme à ce que le gouverneur en conseil pourrait prescrire par règlement ».
Cela ouvrirait la voie à une approche davantage fondée sur la preuve et permettrait aux ministères compétents de recueillir des éléments de preuve utiles et de préciser ce qu'il leur faut corriger par voie de loi, et d'être agiles et flexibles dans les correctifs à apporter aux problèmes en matière de droit d'auteur pouvant survenir de temps à autre dans le secteur de l'éducation.
Mon deuxième et dernier point est que, étant donné la question administrative de l'équilibre, la question de s'attaquer directement aux défis pour les créateurs, de manière à veiller qu'ils soient indemnisés pour les utilisations faites de leurs oeuvres, n'est pas abordée. Je me ferais un plaisir de traiter de manière plus approfondie de cette question si nous en avons le temps dans le cadre de la discussion.
Les créateurs sont, à certains égards, coincés entre les titulaires, d'un côté, et, de l'autre, les utilisateurs. Un aspect sur lequel j'ai beaucoup travaillé est la relation en matière de droit d'auteur entre les titulaires et les créateurs. Pour ce qui est du projet de loi, il semble que les créateurs risquent d'être minés, soit par l'article remanié en matière d'utilisation équitable, soit par une autre disposition, le paragraphe 29.21, sur le contenu non commercial généré par l'utilisateur, et qui, dans son libellé actuel, demeure, lui aussi, vague, et pourrait avoir des conséquences non voulues.
Voilà qui met fin à mes remarques liminaires. J'envisage avec plaisir de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour, tout le monde.
Je m'appelle Michael Geist. Je suis professeur de droit à l'Université d'Ottawa. Comme nombre d'entre vous le savent, j'en suis sûr, cela fait de nombreuses années que j'oeuvre activement au dossier de la politique en matière de droit d'auteur. En 2007, j'ai lancé sur Facebook un groupe du nom de FairCopyright for Canada, groupe qui compte aujourd'hui plus de 92 000 membres et des chapitres locaux d'un bout à l'autre du pays. Plus tôt cette année, j'ai publié From“Radical Extremism” to “Balanced Copyright:” Canadian Copyright and theDigital Agenda. Cet ouvrage est la plus vaste étude universitaire sur le projet de loi publié à ce jour, réunissant des contributions, examinées par des pairs, de plus de 20 experts canadiens.
Cela étant dit, je comparais aujourd'hui devant le comité à titre personnel et n'exprimerai ici que mes propres opinions.
Bien que je sois parfois caractérisé comme étant un critique du droit d'auteur, la réalité est que je suis favorable à une grosse partie du projet de loi . Lorsque le projet de loi a été déposé, je l'ai décrit comme étant défectueux mais réparable, et je suis un fervent défenseur de nombre des compromis qui s'y trouvent renfermés. Ma position en la matière n'a pas changé.
Je serais heureux de discuter de quelque élément que ce soit du projet de loi, mais j'aimerais, dans mes remarques liminaires, me concentrer sur deux aspects: l'utilisation équitable et les verrous numériques. Comme vous le savez, j'estime que les réformes quant à l'utilisation équitable sont une tentative d'établir un équilibre entre ceux qui souhaitent une disposition flexible en matière d'utilisation équitable et ceux qui sont largement opposés à toute nouvelle exception. Je considère que le compromis du projet de loi est, largement, bon.
Du fait d'annonces pleine page et d'articles publiés régulièrement en page en regard de l'éditorial, nous savons tous que certains groupes prétendent que ces changements porteront atteinte à la culture canadienne. J'aimerais vous soumettre deux raisons de croire que la réalité est bien moins inquiétante et vous proposer un amendement possible, qui pourrait alléger certaines de ces craintes courantes.
Premièrement, l'utilisation équitable dans l'éducation n'est pas quelque chose de nouveau. Cela englobe déjà la recherche, l'étude privée, la communication de nouvelles, la critique et le compte rendu. Comme vous pouvez fort bien l'imaginer, ces catégories recouvrent une part considérable de l'activité de reproduction sur les campus canadiens. Ces changements ne sont pas révolutionnaires, mais évolutionnaires. Ce sont des réformes qui autoriseront l'utilisation de nouvelles technologies en salle de classe et qui appuieront la créativité, l'innovation et la curiosité chez les étudiants.
Deuxièmement, et c'est le plus important, l'analyse canadienne de l'utilisation équitable fait appel à un test à deux étapes, à deux parties. La partie un vise à déterminer si l'utilisation est admissible à l'une des exceptions prévues en matière d'utilisation équitable. Si elle est admissible, la partie deux est une analyse visant à déterminer si l'utilisation elle-même est ou non équitable. L'élargissement de l'utilisation équitable pour englober l'éducation ne touche que la première partie du test. Même si le projet de loi élargira les catégories d'utilisations pouvant être qualifiées d'équitables, il ne change pas l'exigence que l'utilisation elle-même soit équitable.
La Cour suprême du Canada a établi une liste non exhaustive de six facteurs pour aider tout tribunal saisi d'une affaire d'équité, et l'été dernier, la Cour d'appel fédérale, dans une affaire de reproduction à des fins éducatives, a confirmé que les changements proposés dans le projet de loi , s'ils sont adoptés, continueront d'exiger une analyse de l'équité.
Bien que j'estime que certaines des inquiétudes exprimées soient mal placées, il serait toujours possible d'assurer une plus grande certitude pour apaiser certaines des craintes des auteurs et maisons d'édition. Je pense que cela pourrait se faire en codifiant dans la Loi sur le droit d'auteur le test d'équité à six facteurs. Un tel changement veillerait à ce que les juges soient tenus d'évaluer l'équité de toute utilisation — y compris à des fins éducatives — avant de considérer s'il s'agit d'une utilisation équitable. Je pense que cela dissiperait également les prétentions que l'utilisation équitable mènerait à une mêlée générale. De fait, ce serait tout le contraire; les réformes, de propos délibéré, veilleraient à ce que l'utilisation équitable soit équitable pour tous.
Pour ce qui est des verrous numériques, qui ont été l'un des aspects les plus discutés et les plus critiqués du projet de loi, il me faudrait commencer par préciser qu'un grand nombre des inquiétudes ne sont pas le fait des verrous numériques à proprement parler. Les sociétés sont libres de les utiliser si elles le veulent, et les gens s'entendent généralement pour dire qu'il devrait y avoir une certaine protection juridique pour les verrous numériques, étant donné qu'il s'agit d'une exigence des traités Internet de l'OMPI, et que c'est un objectif clair du projet de loi.
L'inquiétude découle plutôt de la position déséquilibrée du projet de loi à l'égard des verrous numériques, ceux-ci l'emportant sur presque tous les autres droits, comme le comité l'a lui-même entendu tout juste la semaine dernière de la bouche de M. Blais, dans le contexte de l'éducation. Cela défait l'équilibre en matière de droit d'auteur, non seulement pour les exceptions existantes à l'intérieur de la Loi sur le droit d'auteur, mais également pour les nouveaux droits des consommateurs, qui peuvent être éclipsés par un verrou numérique, au moment même où l'on en retrouve couramment dans les dispositifs, les DVD, les livres électroniques, et ainsi de suite.
La solution la plus évidente ici serait de modifier le projet de loi pour clarifier que le fait de contourner un verrou numérique ne constitue une violation que si l'objet sous-jacent est de violer le droit d'auteur. Cette approche, qui a été adoptée par certains de nos partenaires commerciaux, comme par exemple la Nouvelle-Zélande et la Suisse, veillerait à ce que la loi, tout en pouvant servir pour cibler des cas évidents de piratage commercial, préserve en même temps les droits individuels des consommateurs et les droits des utilisateurs.
J'aimerais évoquer rapidement cinq points relativement à cette proposition. Premièrement, cette approche est conforme aux traités Internet de l'OMPI, qui offrent, dans leur application, une flexibilité considérable. Je sais qu'il y a en la matière des opinions divergentes, mais il ne manque pas d'analyses savantes — dont un chapitre de mon livre — ni d'exemples de pays qui confirment qu'il s'agit d'une option qui est ouverte pour le Canada. De fait, il n'y a pas à regarder plus loin que le projet de loi , ici même au Canada, pour voir que les fonctionnaires canadiens reconnaissent qu'il s'agit d'une approche qui cadre avec les exigences de l'OMPI.
Deuxièmement, 13 années après le traité, les prétentions que le Canada devrait adopter une approche à l'américaine vont à l'encontre du parcours international émergent.
Avec le bénéfice de l'expérience, il se dessine clairement une tendance vers une plus grande flexibilité. Même les États-Unis ont récemment ajouté des exceptions pour « jailbreaker » les téléphones et déverrouiller les DVD pour certaines fins non commerciales.
Troisièmement, l'approche cadre parfaitement avec les objectifs du projet de loi . Elle nous permet de cibler les violeurs commerciaux de droit d'auteur qui profitent de leurs actions, étant donné que leurs contournements constitueraient toujours des violations de la loi. Dans l'intervalle, cela offrirait aux entreprises des protections juridiques pour les verrous que recherchent certains et maintiendrait l'équité pour les consommateurs en garantissant aux Canadiens que leurs droits de propriété personnels continueront d'être respectés.
Quatrièmement, il vaut la peine de souligner que la seule modification des nouvelles exceptions pour les consommateurs — changement de support et ainsi de suite — ne suffit pas. Par exemple, si la disposition en matière de verrouillage du changement de support était supprimée, les consommateurs se trouveraient toujours confrontés à la barrière de la disposition générale anti-contournement. Pour régler le problème, les deux articles doivent être modifiés pour préserver l'équilibre en ce qui concerne le droit d'auteur numérique.
Enfin, advenant que le comité souhaite plutôt envisager de nouvelles exceptions précises au verrouillage numérique, j'ai fourni à la greffière du comité une liste complète de réformes possibles, dont un grand nombre s'inspirent de règles en place dans d'autres pays.
J'envisage avec plaisir de répondre à vos questions.
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J'aimerais remercier le comité de m'avoir invité aujourd'hui pour participer à ses travaux sur le projet de loi .
Avant de vous faire ma déclaration, j'aimerais vous donner un peu de contexte. Ce n'est pas pour me vanter, mais je crois savoir que certains se sont dit préoccupés par le fait que j'ai un ou deux clients qui seraient touchés par la loi et craignent que leurs opinions sont en train de façonner ma perspective. Tel n'est pas le cas. Je suis avocat spécialisé dans ce domaine. Cela fait de nombreuses années que j'y travaille et y enseigne. Je suis un associé en exercice du droit du cabinet McCarthy Tétrault et je suis l'ancien dirigeant de son groupe sur la propriété intellectuelle. Je suis professeur auxiliaire en droit de la propriété intellectuelle à l'Osgoode Hall Law School. Je suis l'auteur de cinq ouvrages, dont un traité de fond sur le droit informatique et Internet. Je suis membre de plusieurs comités, dont des comités spécialisés en PI. Cela fait plusieurs décennies que je m'occupe, dans le cadre de mon exercice du droit, de questions de droit d'auteur pour des créateurs, des utilisateurs et des intermédiaires. J'ai témoigné dans le cadre de trois causes qui ont été entendues par la Cour suprême du Canada et qui ont établi des précédents, dont l'affaire CCH, qui a modernisé l'utilisation équitable au Canada, et l'affaire Tariff 22, portant sur la responsabilité des FSI. J'ai comparu pour les FSI face à un titulaire de droits, la SOCAN.
Je comparais ici à titre personnel et non pas pour représenter mes clients.
Lors du dépôt du projet de loi, le gouvernement a établi clairement que son but était de permettre au Canada d'avoir une loi en matière de droit d'auteur qui bénéficie au marché canadien. Le projet de loi a été rédigé pour créer des lois-cadres et permettre au Canada d'être un chef de file dans l'économie numérique, aux côtés de nos partenaires commerciaux. J'appuie ces objectifs. Il est, cependant, des domaines dans lesquels le projet de loi aura des conséquences imprévues ne cadrant pas avec ces objectifs. J'espère aider les membres du comité à comprendre ces questions, dont bon nombre sont de nature technique. Dans le temps limité dont je dispose pour traiter de ces questions, j'aimerais me concentrer sur plusieurs exemples de problèmes techniques qui doivent être corrigés.
Le gouvernement a dit que le projet de loi donnera aux titulaires de droit des outils légaux plus solides pour s'en prendre aux pirates en ligne qui facilitent les violations de droit d'auteur. Le ministre Clement a dit que le projet de loi vise les méchants, les destructeurs de richesse. Pour s'attaquer à ce problème, le projet de loi comporte un nouvel article sur la facilitation de la violation. Un problème technique est que, dans son libellé actuel, cet article serait probablement inefficace, du fait qu'il ne s'applique qu'aux services conçus principalement pour faciliter des actes de contournement. La plupart des sites de partage de fichiers, dont les sites poste à poste, BitTorrent et les sites de facilitation du piratage, ne sont pas principalement conçus pour faciliter des actes de violation, mais pour faciliter le partage d'information et de fichiers.
Il y a encore deux autres problèmes techniques. L'intention du gouvernement est que les FSI soient dégagés de toute responsabilité lorsqu'ils agissent strictement en tant qu'intermédiaire. D'un côté, le projet de loi a pour objet de veiller à ce que ceux qui facilitent la violation ne bénéficient pas des exceptions visant les FSI. Cependant, le libellé n'est pas clair en la matière. Seules deux des quatre exceptions le disent expressément. Étant donné les différences dans le libellé, un tribunal pourrait fort bien conclure qu'un site de facilitation de piratage jouit d'une exception FSI, même lorsque le site est responsable de facilitation. Ce ne peut être là l'intention de personne.
Enfin, le projet de loi exempt les facilitateurs commerciaux, les destructeurs de richesse, des dommages-intérêts préétablis, même lorsqu'ils facilitent la violation à des fins commerciales. Ce ne peut être l'intention de personne.
Le projet de loi renferme également une nouvelle exception permettant à un individu de prendre du contenu existant et de s'en servir pour créer du contenu généré par l'utilisateur. L'intention est de permettre au consommateur d'utiliser du contenu pour créer une vidéo domestique ou une application composite, un « mash-up » de vidéoclips. Il s'agit d'une exception qui, à ma connaissance, n'existe nulle par ailleurs dans le monde. D'un point de vue rédaction technique, cette exception est si vaste qu'elle violerait vraisemblablement les obligations qui reviennent au Canada en vertu de l'ADPIC de l'OMC. L'ADPIC stipule que les exceptions doivent résister à ce que l'on appelle à l'échelle internationale le « test en trois étapes ». L'exception, telle que rédigée, permettrait aux consommateurs de faire presque tout ce que pourrait faire d'une oeuvre son auteur, y compris créer des traductions, des suites, ou d'autres oeuvres dérivées, et à en publier le résultat sur Internet. Les consommateurs pourraient également créer des oeuvres composites ou des compilations d'oeuvres, comme par exemple le « best of » d'une série télévisée ou leur liste de diffusion iPod préférée, et les afficher sur Internet, et bien plus encore. Le résultat est que l'auteur perd sensiblement le contrôle sur les utilisations faites de son oeuvre, ce qui est un concept de droit d'auteur fondamental.
Outre tout cela, il pourrait y avoir de sérieuses conséquences financières pour l'auteur. L'intention est de permettre des utilisations qui n'auraient aucune incidence sur le marché pour l'oeuvre; cependant, le libellé permettrait un effet global sur le marché pour l'oeuvre, ce qui serait très dommageable et considérable.
D'autre part, l'utilisation faite par le consommateur de l'oeuvre CGU doit être non commerciale. Un exploitant de site Web peut facturer la diffusion de contenu généré par l'utilisateur, mais l'auteur ne touche aucune part de cette rémunération. Or, ce ne serait pas le cas dans d'autres pays, qui n'ont pas en place cette exemption, pays qui ont laissé les marchés résoudre le problème.
Le projet de loi comporte également d'autres éléments techniques qu'il y aurait lieu de revoir, mais, comme me l'a indiqué le président, le temps dont je disposais est écoulé.
J'aimerais remercier encore une fois le comité de m'avoir invité à comparaître. J'envisage avec plaisir de répondre à vos questions.
Merci.
Vous parlez d'un projet de loi soi-disant équilibré, et j'avoue ne pas du tout vous comprendre. Quand on le lit, on voit qu'il comporte un bon nombre d'exceptions. Le Bloc québécois, les artistes du Québec, toute une série d'organismes, que je pourrais vous nommer, du domaine de la culture ou des droits des consommateurs, de même que le Barreau du Québec, trouvent que ce projet de loi est déséquilibré. Savez-vous pourquoi?
Une des raisons est que nous analysons la question différemment. Notre approche n'est pas la même. En anglais, vous parlez de copyright, soit du droit de copier. En français, et selon nos valeurs québécoises, nous parlons du droit d'auteur et de la Loi sur le droit d'auteur, donc d'une loi qui porte sur les droits des auteurs. Nous sommes respectueux de ces droits. Chaque nouvelle exception incluse dans cette loi est donc pour nous une nouvelle violation des droits des auteurs. Ça fait toute la différence au monde, notamment au Québec, mais surtout dans le milieu artistique. Il s'agit d'une loi qui a pour rôle de défendre leurs droits, mais chaque fois qu'on inclut une exception, on leur enlève un de ces droits.
C'est tellement vrai que trois mesures de ce projet de loi vont priver les créateurs de contenu artistique de 74,8 millions de dollars. La non-modernisation du système de copie privée leur enlève 13,8 millions de dollars. Pour ce qui est de l'exemption relative à l'éducation, je tiens à vous dire que le non-respect des droits d'auteur est un très mauvais message à transmettre aux enfants et aux étudiants. En effet, parce qu'ils étudient, ils sont autorisés à ne pas payer de droits d'auteur. Je ne sais pas comment vous pouvez défendre un truc semblable. Demain matin, lorsque la loi aura été adoptée, on pourra copier allègrement ce magnifique livre que vous avez en prenant l'éducation pour prétexte. Ce sera peut-être même dans une auto-école.
Dans le cas de l'exemption relative à l'éducation, on parle de 40 millions de dollars de moins, et dans celui de l'abolition de l'enregistrement éphémère, de 21 millions de dollars de moins. À elles seules, trois de ces exceptions représentent une baisse de 74,8 millions de dollars. Monsieur a très bien décrit l'« exception YouTube », un peu plus tôt. On indique que c'est à des fins non commerciales, mais jamais auparavant on n'a octroyé à la population des droits d'utilisation qui n'exigeaient même pas le consentement de l'auteur.
Le fait que les dommages pré-établis soient plafonnés à 20 000 $ dans le cas des oeuvres musicales n'a aucun sens. Autrement dit, n'importe quel individu voulant pirater une oeuvre musicale n'a qu'à trouver la somme de 20 000 $ et à attendre les poursuites. Le verrou numérique, en revanche, est une mesure dont la grande entreprise a particulièrement besoin, notamment l'industrie du logiciel de jeux. Or une personne qui contourne un verrou numérique est passible de sanctions pénales d'une valeur d'un million de dollars et d'une peine d'emprisonnement de cinq ans. Voyez-vous la différence? Quand on viole des droits reliés à une oeuvre musicale, la sanction est de 20 000 $, mais quand on contourne un verrou numérique, il s'agit d'un million de dollars. Cette disposition du projet de loi est nettement à l'avantage de la grande entreprise. Deux poids, deux mesures.
Ce déséquilibre se ressent à plusieurs niveaux. Comme je veux vous laisser le temps de réagir — et de toute façon, il va y avoir un deuxième tour —, je vais tout de suite vous céder la parole.
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Madame Lavallée, je suis d'accord avec une grande partie de ce que vous dites, particulièrement lorsque vous évoquez la notion de droit d'auteur et son importance au Québec. Parfois, malheureusement, dans le Canada anglais, nous ne voyons pas les choses sous cet angle. Votre argument est très valide et le Bureau du droit d'auteur mentionne ce point.
On peut voir l'importance de ce concept relativement à l'exception CGU, où la notion fondamentale que l'auteur puisse contrôler l'utilisation faite de l'oeuvre, avec quoi elle est utilisée et avec quoi elle est associée, est absolument fondamentale. En l'occurrence, cette exception ne concerne pas que les petits mixages; elle est beaucoup plus large, ce qui aurait des ramifications réellement importantes sur le droit d'auteur.
Pour ce qui est de votre autre doléance, je conviens aussi que, vu la manière dont les exceptions sont formulées, elle conduirait à beaucoup de copies sans indemnisation, mais la disposition sur le changement de support, par exemple, est libellée de façon suffisamment large pour autoriser le téléchargement horizontal à partir de l'ordinateur d'autres personnes. Ce ne peut être voulu. Cela permettrait à une personne de copier tout le contenu de son iPod ou ordinateur sur l'ordinateur de quelqu'un d'autre, ce qui encore une fois n'est pas voulu. L'intention doit être de copier uniquement pour son propre usage, et non pas pour l'usage privé de quelqu'un d'autre.
Enfin, par rapport aux dommages-intérêts préétablis, vous présentez un excellent argument en parlant de l'interrelation entre les dommages-intérêts préétablis et le comportement. Par rapport aux dommages-intérêts préétablis, le projet de loi dit en substance aux gens qu'ils peuvent copier autant qu'ils veulent sur leur ordinateur ou iPod, peu importe combien de fois, car la peine maximale dont ils sont passibles est de 5 000 $. Une fois que l'on copie, pourquoi ne pas copier autant que possible?
Nos partenaires commerciaux s'efforcent d'envoyer des signaux pour signifier que ce genre de comportement n'est pas approprié. Les dommages-intérêts que nous établissons envoient le message précisément inverse aux consommateurs, à savoir qu'il n'est pas nécessaire d'acheter légalement. Autant copier le maximum, car si vous êtes pris, l'amende est plafonnée.
Monsieur Geist, vous et moi étions tous deux à la conférence de l'Université McGill à laquelle Bruce Lehman, l'auteur de la loi DMCA, a pris la parole. M. Lehman a choqué tout le monde car il a dit qu'il estime que la DMCA est un échec et il a exhorté le Canada à ne pas faire la même chose que lui.
Ensuite il a ajouté quelque chose que j'ai trouvé très troublant. Il a dit que nous étions en quelque sorte dans une ère post-droits d'auteur, en ce sens que lorsque des millions de personnes choisissent de totalement ignorer les droits d'auteur, ces derniers n'ont plus leur place.
Je ne crois personnellement pas cela, mais ce qui m'inquiète avec ce projet de loi, c'est que les gens vont continuer de faire ce qu'ils font de toute façon. Plusieurs personnes m'ont dit cela au sujet de la disposition sur le verrou numérique relativement à l'article 29.22 qui donne le droit de reproduire à des fins personnelles lorsqu'il n'y a pas de mesure technique de protection et à l'article 29.23 sur le droit d'écoute en différé lorsqu'il n'y a pas de mesure technique de protection, et relativement aux droits d'utilisation éducative.
Si les gens vont ignorer la loi, comment la faire respecter? C'est la question que je me pose: comment forcer les gens, par exemple, à détruire leurs notes de classe après 30 jours? Comment leur faire comprendre qu'ils ne peuvent pas garder toute une bibliothèque? Une fois que les gens voient cela comme une affaire sans importance, alors toute la légitimité du droit d'auteur est en péril.
Pensez-vous qu'il faudrait mieux orienter le projet de loi de façon à établir des règles claires sur la manière dont le droit d'auteur est appliqué et ne l'est pas, de telle façon que si la loi garantit des droits aux citoyens, ils puissent s'en prévaloir?
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Il y a là plusieurs choses. Premièrement, s'il s'agit d'un droit du citoyen et si nous allons admettre que des procédés comme l'écoute en différé ou le changement de support sont appropriés et moraux, alors la loi doit refléter cela et je ne pense pas qu'il soit approprié de dire que ce droit peut tout simplement disparaître du fait de l'existence d'un verrou numérique.
Si c'est un droit et une pratique conforme à la morale que nous sommes nombreux à épouser, alors il est approprié d'enregistrer une émission de télévision ou de transférer une vidéo sur un autre support. Si c'est bien le cas, alors la loi doit refléter cela et la notion que le droit puisse être perdu du fait de la seule existence d'un verrou numérique est fondamentalement erronée.
Mais permettez-moi de parler un instant du volet exécution. La question de l'exécution est importante car je pense qu'à bien des égards les verrous numériques punissent les gentils. Ceux qui veulent contrefaire, franchement, ne vont pas se priver, qu'il y ait un verrou ou non.
Ceux qui vont respecter les dispositions relatives au verrouillage sont les établissements d'enseignement, les enseignants et les étudiants faisant leurs devoirs. D'emblée ils signent des engagements éthiques qui indiquent ce qui est permis et ne l'est pas. Si vous êtes un chercheur et présentez une demande de subvention pour un projet impliquant un contournement, vous n'obtiendrez pas la subvention car vous violez la loi. Imposer des dispositions sur le verrouillage qui sont en contradiction avec les autres contrepoids que nous avons déjà dans le monde non numérique punit en fin de compte ceux qui cherchent à respecter la loi.
La vérité — et c'était là le propos de Lehman — est que l'expérience à l'étranger où ces règles ont été mises en place montre que les verrous numériques sont largement ignorés par les pirates et respectés par ceux qui veulent se conformer à la loi. Ces règles reviennent à punir ces gens-là.
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Merci de la question, monsieur Angus.
J'espère qu'ultérieurement j'aurai l'occasion de répondre à l'autre partie de votre question, celle dont le professeur Geist a traité, car je ne suis pas d'accord avec lui.
En ce qui concerne cette situation, je crois que les artistes perdent des revenus, comme vous l'avez dit. Le tarif de reproduction mécanique des diffuseurs est un exemple.
Est-ce une violation constitutionnelle? Je crois que la réponse est clairement non. Le Parlement a le pouvoir de légiférer en matière de droit d'auteur et, à mon avis, même à l'égard des MTP il possède le pouvoir constitutionnel de légiférer étant donné la manière dont la Loi constitutionnelle a été interprétée. Du moment que c'est le complément d'un régime de droit d'auteur, il a le pouvoir constitutionnel. Il ne fait aucun doute que les MTP sont dans ce cas.
Pour ce qui est de la reproduction mécanique, c'est une question de politique: est-ce une bonne ou une mauvaise mesure? Je pense que beaucoup ont été pris par surprise, franchement. Je crois que les ayants-droit n'ont rien vu venir. Le Parlement peut l'adopter s'il le veut, mais le devrait-il, c'est là une autre question.
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Merci, monsieur Lake. J'apprécie la question.
La première chose à mentionner est le fait que nous avons un projet de loi et qu'il est rendu en comité. Il est réellement essentiel pour l'économie canadienne que nous avancions avec ce projet de loi et aboutissions à un texte pouvant être adopté. On ne peut en sous-estimer l'importance pour les entreprises canadiennes, les emplois canadiens et les Canadiens eux-mêmes qui veulent créer de nouveaux modèles économiques et avancer, et le fait que nous fassions ce travail est bien en soi. Le projet de loi est un début.
Pour ce qui est des dispositions, j'en mentionnerai d'abord quelques-unes. Premièrement, le fait que nous mettions en oeuvre les traités de l'OMPI est un développement très positif. D'aucuns disent que les traités de l'OMPI sont désuets; ce n'est pas du tout vrai. Ce sont des traités tournés vers l'avenir. Ils sont utilisés avec succès par ceux de nos partenaires commerciaux qui les appliquent.
Les dispositions sur les mesures techniques de protection sont absolument essentielles aux nouveaux modèles économiques que l'on voit apparaître dans le monde. Ces modèles ne peuvent tout simplement pas être réalisés sans la protection légale des MTP.
L'autre disposition que je mentionnerai, simplement par manque de temps, est celle concernant la facilitation. Je pense que sa présence fera savoir clairement aux intermédiaires pirates qu'ils n'ont pas leur place au Canada. Nous ne sommes pas un pays où ces destructeurs de richesse seront les bienvenus. À condition que ces deux dispositions soient ajustées de façon appropriée, elles représentent un élément très important de cette loi.
J'aimerais répondre à quelques remarques du professeur Geist en réponse à la question de M. Angus. Je conviens qu'il nous faut un ensemble de règles très claires, mais je suis fondamentalement en désaccord avec la nature de ces règles. En outre, je ne pense pas qu'une personne qui achète un produit muni d'un verrou numérique devrait avoir le droit purement et simplement de contourner ce verrou et je ne crois pas que l'on puisse parler de préséance à cet égard.
Les MTP sur les produits existent pour rendre possible des modèles économiques et si vous regardez dans le monde, ces modèles économiques sont des modèles d'abonnement, des modèles de location-achat et des modèles d'acquisition qui ne peuvent exister sans la protection légale des MTP. Si une personne pouvait simplement acheter un produit à diverses conditions et ensuite contourner la MTP, il n'y aurait plus aucune incitation à lancer de tels produits ou, s'ils étaient lancés, il n'y a aucune raison de penser qu'ils seraient offerts à des prix plus bas pour le consommateur. Au contraire, les entreprises se sentiraient obligées de tarifer un produit pour l'usage maximum possible, ce qui pénaliserait le consommateur.
La dernière remarque que je ferais à ce sujet, si vous le permettez, monsieur Lake, est qu'il ne s'agit pas là que de l'intérêt du consommateur. Il y a aussi les entreprises canadiennes et nos emplois, et chaque fois qu'une copie est réalisée sans rémunération, comme le préconise le professeur Geist, quelqu'un se fait voler ou quelqu'un perd son emploi. J'estime que ce genre de politique pose un réel problème.
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Merci, monsieur le président, et merci aux témoins de leur présence. Nous avons longtemps attendu votre venue, dans mon cas c'est au moins depuis 2005. Je m'intéresse beaucoup à ce domaine, même si ce n'est pas depuis aussi longtemps que M. Geist.
Il y a récemment eu du nouveau concernant Pirate Bay, le plus grand site BitTorrent de partage illégal de fichiers de poste à poste. Vous verrez que c'est un thème que j'ai abordé avec les fonctionnaires la semaine dernière.
The Pirate Bay a récemment perdu un appel d'une condamnation pour violation de droit d'auteur en Suède. Le tribunal, comme vous le savez, a jugé que « The Pirate Bay a facilité le partage illégal de fichiers d'une manière créant une responsabilité criminelle pour ceux gérant le service ». Les trois fondateurs du site ont été condamnés à une peine de prison et une amende de 6,5 millions de dollars, je crois.
En 2008, les procureurs affirmaient que The Pirate Bay avait 2,5 millions d'utilisateurs inscrits, et atteignait une pointe de plus de 10 millions d'utilisateurs téléchargeant simultanément des fichiers, et gagnait 4 millions de dollars par an de recettes publicitaires. Il était clair que ce site était, en quelque sorte, une entreprise de haut volume et très lucrative.
J'aimerais vous poser la question à tous les trois. Comment le projet de loi empêcherait-il, pour autant qu'il le fasse, des sites similaires à The Pirate Bay — des sites qui facilitent la distribution massive de copies non autorisées d'oeuvres — de fonctionner ici au Canada.
Je vais commencer avec vous, monsieur Sookman, et passerai ensuite aux autres.
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Certainement, avec plaisir. Merci beaucoup.
Je commencerais peut-être par revenir sur une question posée au professeur Geist et sa réponse concernant le choix du créateur.
Bien entendu, différents modèles apparaissent, en grande partie grâce aux technologies qui les rendent possibles, mais parfois les auteurs n'ont pas de choix. Des procès sont intentés à cause de cela. Il y a, par exemple, la cause Robertson, en instance de jugement. Il existe des contrats standards qui manquent de clarté, qui sont couramment utilisés et que les auteurs sont contraints de signer. C'est particulièrement le cas des auteurs pigistes car il n'existe pas actuellement de cadre de droit d'auteur qui puissent répondre à ces problèmes.
Certaines des dispositions que nous rechercherions dans une loi favorable aux créateurs, en quelque sorte, sont celles que l'on retrouve plus fréquemment en droit civil. Le Québec est un exemple, et j'ai écrit un ouvrage à ce sujet. Je viens de publier un livre intitulé Copyright, Contracts, Creators: New Media, New Rules dans lequel je passe en revue et étudie ce problème, et je me penche sur les types de contrats de droit d'auteur qui pourraient aider les créateurs.
En un sens, le droit d'auteur ne vaut que ce que vaut le papier sur lequel il est rédigé. Si les créateurs perdent le contrôle de leur oeuvre, alors leur droit d'auteur ne vaut réellement rien, et c'est pourquoi il faut des dispositions plus robustes dans la Loi sur le droit d'auteur de façon à donner vie à ce droit et elles porteraient principalement sur les questions touchant les contrats de droit d'auteur.
Dans les juridictions de droit civil on rencontre une litanie de termes. Je vous en dresse une liste. Vous les voyez au Québec, et en Europe continentale il existe quantité de dispositions différentes, touchant notamment les règles de formation et d'interprétation des contrats, des règles sur les fins de l'octroi, des règles sur l'utilisation, la portée et la durée; des règles d'interprétation strictes; ainsi que des clauses de rémunération. On rencontre cela dans toute l'Europe continentale. Nous n'avons rien de tel ici, à cause de l'existence en common law de la notion de liberté contractuelle, et en un sens cela fait partie de cette recherche d'équilibre que l'on voit. On considère que les parties sont libres de contracter, mais ce n'est pas vrai pour tous les créateurs.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Ceci est une conversation fascinante mais je pense qu'il règne beaucoup de confusion. Premièrement, j'aimerais réagir à certaines choses que j'ai entendues, et ceci n'est pas ma question.
Monsieur Sookman, vous semblez dire que le projet de loi représente exactement ce que vous recherchiez, particulièrement en rapport avec les sites BitTorrent et ainsi de suite. Vous souhaitez quelques changements de formulation afin de ne laisser subsister aucune échappatoire. Peut-être pourriez-vous indiquer par écrit au comité quels amendements vous souhaiteriez, particulièrement concernant la facilitation de la violation.
Madame D'Agostino, pour abréger un peu ce que vous avez dit, il nous faut définir l'« éducation ». Si vous avez une recommandation précise à cet égard, j'aimerais l'avoir.
Monsieur Geist, il semble qu'il subsiste toujours beaucoup de malentendus du côté de l'opposition concernant la signification d'utilisation équitable, vu ce qu'ils proposent et qui ressemble beaucoup plus à l'utilisation gratuite. Ils semblent dire que l'utilisation équitable doit être forcément gratuite. Pour la gouverne de tout le monde ici, pourriez-vous, s'il vous plaît, expliquer la différence entre utilisation équitable et ce que l'on a appelé « utilisation gratuite », qui est ce que d'aucuns préconisent semble-t-il?
La notion d'utilisation gratuite est étrangère à notre Loi sur le droit d'auteur, et même étrangère à la plupart des lois sur le droit d'auteur que je connais. C'est la notion que quelqu'un a le droit illimité de copier sans verser la moindre rémunération. Un auteur peut choisir de rendre son oeuvre disponible de cette manière, mais ce n'est pas quelque chose que l'on trouve typiquement dans une loi sur le droit d'auteur.
La nôtre n'est pas différente. En substance, notre disposition sur l'utilisation équitable, comme je l'ai mentionné au début, crée un test à deux étapes. Elle établit d'abord les catégories précises d'utilisation que l'on peut potentiellement qualifier d'équitables. D'autres pays ont carrément renoncé à tout cela. Par exemple, aux États-Unis il n'y a pas de catégorie du tout. Tout peut potentiellement être une utilisation équitable, selon leurs termes. Au Canada, il faut d'abord se ranger dans l'une de ces catégories. Les modifications contenues dans le projet de loi ajoutent de nouvelles catégories, soit la parodie, la satire et l'éducation, mais il existe aussi une deuxième étape cruciale, qui vaut aux États-Unis et aussi chez nous.
Cette deuxième étape est une analyse complète du caractère équitable pour déterminer si l'acte de copier lui-même est équitable. C'est le test à six critères que la Cour suprême du Canada a établi, soit l'ampleur de l'utilisation, les solutions de rechange, l'impact économique ou l'effet de l'utilisation sur l'oeuvre. Voilà le test employé. Il en existe un similaire aux États-Unis.
Cela dit, nul ne prétend que, puisque les États-Unis n'ont pas de catégories d'utilisation équitable, il est parfaitement permis d'y faire toutes les copies que l'on veut. Il existe des limites claires à l'utilisation équitable, des limites fondées sur ce test.
Précisément la même situation existe au Canada, où les tribunaux ont établi des limites. Vous m'avez entendu dire que s'il existe des problèmes réels à cet égard, nous pourrions codifier ces limites dans la loi. Ces limites garantissent que des dizaines de millions de dollars ne seront pas perdus du fait d'un copiage sans entraves tel que les gens se diraient simplement: « Je suis admissible à une catégorie, et je peux donc copier autant que je veux. » Ils vont devoir veiller à ce que la reproduction elle-même soit équitable.
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Merci de cette occasion, monsieur le président. Je ferai valoir plusieurs choses.
La première est que le professeur Geist parle tout à fait de libre reproduction. Au titre de l'exception pour fins éducatives, on peut copier une partie substantielle d'une oeuvre sans qu'il y ait violation. Au-delà, la reproduction serait normalement assujettie à une autorisation et une indemnisation. Si vous introduisez l'utilisation équitable pour l'éducation, le facteur équité signifie une reproduction libre et non indemnisée.
Le deuxième point est l'exception relative au changement de support. Si l'on ouvre cela au point que quiconque peut faire du changement de support même en achetant une oeuvre dotée d'un verrou numérique, alors cela équivaut à une reproduction importante et non indemnisée qui ne fera que créer des difficultés sur le marché.
Le postulat derrière les remarques du professeur Geist est qu'il existe un problème. Lorsque j'achète un CD, je n'ai pas de problème. Je peux le charger dans un iPod. Ce n'est tout simplement pas un problème aujourd'hui. Ces lois sont en place en Europe depuis plus d'une décennie, et les problèmes qu'il annonce n'y existent tout simplement pas.
L'autre point à mentionner — et nous n'en avons pas traité — est qu'en raison de la façon dont les MTP sont structurés, il existe non seulement d'importantes exemptions, mais le gouvernement possède également des pouvoirs réglementaires très considérables pour résoudre tout problème: premièrement, il peut sanctionner les comportements anticoncurrentiels; deuxièmement, il peut créer de nouvelles exceptions chaque fois que nécessaire, notamment des exceptions requises pour l'exercice des droits d'utilisation équitable, lesquels englobent la recherche et l'étude privée et l'enseignement dans un contexte éducationnel; troisièmement, le projet de loi contient des dispositions permettant au gouvernement d'exiger des ayants-droit de mettre les oeuvres à disposition sur un support utilisable si les droits d'utilisation équitable ne peuvent être exercés autrement.
Il n'existe pas de problème et il n'y aura probablement pas de problème, mais s'il s'en posait un, il pourra être résolu étant donné la façon dont les dispositions relatives aux MTP sont structurées.
Je peux vous dire que la structure que nous avons est meilleure que celle des États-Unis, qui n'ont que le pouvoir de réglementation. Elle est meilleure que celle de l'UE, qui n'a que le pouvoir de rendre les oeuvres disponibles. Ceci est une combinaison, et avec tous ces éléments en place, je ne vois absolument pas quel serait le gros problème.
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J'aimerais réaffirmer certains points et en développer d'autres.
C'est toute une question d'équilibre, n'est-ce pas?
Lorsque nous regardons les droits des ayants-droit et des créateurs, ma crainte est que si l'on n'ajuste pas les exceptions actuellement prévues dans la loi, il y aura une érosion fortuite des droits des ayants-droits et des créateurs.
J'ai mentionné l'utilisation équitable et le contenu généré par l'utilisateur. En ce qui concerne la première, une chose dont je n'a pas parlé est ma propre analyse des six facteurs. Lorsque vous comparez le Canada au Royaume-Uni et aux États-Unis, vous voyez que la Cour dit qu'il y a plus ou moins six facteurs et qu'il pourrait y en avoir plus. Parallèlement, pour ce qui est de l'effet de l'utilisation sur les oeuvres — ce qui signifie les considérations concrètes relatives au marché, la substitution du marché — la Cour suprême du Canada dit que ce n'est pas le seul facteur ni le plus important.
Nous savons que tel n'est pas le cas au Royaume-Uni, ni aux États-Unis. Ce que nous avons au Canada avec l'arrêt CCH est une interprétation large et libérale tant de la nature de l'utilisation que du facteur d'équité. De la façon dont les choses se présentent actuellement, et si l'on ne change rien, si vous combinez l'exception pour l'éducation plus les facteurs CCH, vous vous retrouvez avec quelque chose de très large, à moins que l'on puisse définir exactement ce que nous entendons par chaque élément. Je propose une manière de le faire et je me ferais un plaisir de mettre cela également par écrit à votre intention.
Pour ce qui est du CGU, il serait bon de réfléchir aux utilisations transformatives. J'ai derrière moi l'un de nos étudiants d'Osgoode, qui tente de rédiger une disposition sur les utilisations transformatives, c'est-à-dire celles où on aboutit à une oeuvre nouvelle — une finalité, une identité, un message, un contexte nouveaux — qui pourrait vous aider à aménager et améliorer cette disposition.