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Bonjour à tous. La séance est maintenant ouverte.
Bienvenue à la 22e réunion du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Comité le 1er juin 2020, ce dernier se réunit pour étudier la Loi sur Investissement Canada.
La séance d'aujourd'hui se déroule par vidéoconférence, et les délibérations seront publiées sur le site Web de la Chambre des communes.
Je tiens à rappeler aux membres du Comité et aux témoins qu'ils doivent attendre que je les nomme avant de prendre la parole. Veuillez désactiver la sourdine de votre microphone lorsque vous êtes prêts à parler et la réactiver lorsque vous avez terminé votre intervention. Je vous prie de parler lentement et clairement afin que les interprètes puissent faire leur travail.
Comme j'ai l'habitude de le faire, je vous indiquerai avec un carton jaune qu'il vous reste 30 secondes pour terminer votre intervention, et avec un carton rouge que votre temps réservé aux questions est écoulé.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à nos témoins.
Aujourd'hui, nous avons M. Charles Burton, un agrégé supérieur du Centre for Advancing Canada's Interests Abroad du Macdonald-Laurier Institute.
M. Patrick Leblond est professeur agrégé d'affaires publiques et internationales de la Faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa.
M. Daniel Schwanen est vice-président de la Recherche à l'Institut C.D. Howe.
[Français]
Nous recevons également M. Willie Gagnon, directeur du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires.
[Traduction]
Chaque témoin fera un discours de huit minutes, puis nous passerons aux séries de questions.
Nous commençons par M. Burton.
Vous avez la parole pendant huit minutes.
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J'aimerais parler d'une des questions à l'étude, celle qui consiste à déterminer si le Canada devrait imposer un moratoire temporaire sur les acquisitions par des entreprises d'État de pays totalitaires. Comme mon champ d'expertise est la Chine, je vais parler des entreprises d'État chinoises.
En lisant la Loi sur Investissement Canada, j'ai constaté que le terme « entreprise d'État » est défini comme « une unité contrôlée ou influencée, directement ou indirectement, par un gouvernement ou un organisme », « un individu qui agit sous l’autorité d’un gouvernement ou d’un organisme » ou « sous leur influence, directe ou indirecte ».
À cet égard, je souligne que, selon les exigences de la Loi sur les sociétés de la République populaire de Chine, un comité du Parti communiste de la Chine dirigé par le secrétaire du parti doit être au sommet de la pyramide de gestion de toute entreprise de la République populaire de Chine. Selon notre définition, bien que la firme Huawei, par exemple, ne se déclare pas entreprise d'État de la République populaire de Chine, il est indubitable qu'elle est dirigée ultimement par le secrétaire général de l'aile Huawei du Parti communiste de la Chine, Zhou Daiqi, qui est tenu d'obéir aux directives provenant de Pékin. Ces règles de conduite s'appliquent à tous les membres du parti au sein de Huawei, y compris le PDG Ren Zhengfei. Selon moi, Huawei et en fait toutes les entreprises de la Chine correspondent à la définition canadienne d'une entreprise d'État pour l'application de la Loi sur Investissement Canada.
J'ajoute par ailleurs que le cheminement de carrière de la plupart des dirigeants des grandes entreprises d'État en Chine est déterminé par le département du comité central du Parti communiste chinois chargé de l'organisation. En général, le dirigeant d'une entreprise d'État est transféré par le parti dans un poste de gouverneur ou de secrétaire de parti d'une province, pour ensuite être nommé dans un poste important au sein d'une entité commerciale d'État de la République populaire de Chine.
Je souscris tout à fait au récent énoncé de politique sur l'examen des investissements étrangers et la COVID-19, où le gouvernement affirme que « certains investissements au Canada par des entreprises d'État pourraient être motivés par des motifs non commerciaux qui pourraient nuire aux intérêts économiques ou de sécurité nationale du Canada, un risque qui est amplifié dans le contexte actuel. »
À mon avis, il est bien évident que les entreprises d'État chinoises sont fortement intégrées aux objectifs politiques et stratégiques de la Chine communiste. Je signale que Roland Paris, ancien conseiller du premier ministre en matière d'affaires étrangères et de défense, a déclaré dans un article publié la semaine dernière que la République populaire de Chine « se sert de firmes dirigées par l'État et a recours à des récompenses et à des sanctions ciblées afin d'exercer un pouvoir sur d'autres pays. » Il s'agit d'une idée généralement admise.
Nous en avons été témoins lorsque la Chine a arbitrairement violé son contrat avec des fournisseurs canadiens de graines de canola. Il existe beaucoup d'autres exemples et je serai heureux d'en parler durant la période des questions si on me le demande.
En ce qui concerne le fait que ces entreprises sont différentes des sociétés dans les pays démocratiques, j'ajoute que de nombreux projets financés par la Chine dans le cadre de la fameuse initiative de la route de la soie, laquelle vise à restructurer des infrastructures partout dans le monde de manière à favoriser la Chine, font perdre de l'argent, mais servent néanmoins les intérêts géostratégiques de la République populaire de Chine. Nous assistons au phénomène de la « diplomatie du piège de la dette », qui a permis à la Chine d'acquérir des ports en remboursement des dettes élevées entraînées par ces projets infaisables et ruineux.
Le phénomène ne se produit pas seulement dans les pays en développement. L'acquisition par des compagnies associées à la République populaire de Chine de médias d'information de langue chinoise ici au Canada et des applications liées aux médias sociaux contrôlées par la République populaire de Chine, comme WeChat, vient asseoir les normes de censure du département de propagande du Parti communiste de la Chine dans des communications en territoire canadien. WeChat est censuré depuis Pékin, même si les communications ont lieu entièrement au Canada, par exemple, entre un député et des gens de sa circonscription qui se serviraient de l'application. Selon moi, cela est très troublant et constitue une menace à notre démocratie.
Au bout du compte, je pense que nous devrions évaluer les investissements de l'État chinois au Canada en appliquant le principe de réciprocité. Par exemple, le gouvernement de la Chine interdit aux entreprises étrangères d'acquérir des mines ou d'autres ressources naturelles du pays, dans le cadre de la constitution chinoise, pour des raisons de sécurité nationale. Les mêmes conditions s'appliquent aux acquisitions dans le secteur des télécommunications de pointe. Ces interdictions ne sont pas réciproques ici, au Canada. Ils peuvent acquérir des choses au Canada que nous ne pourrions pas acquérir en Chine.
Pour conclure, je suis d'avis que nos politiques de commerce et d'investissements devraient être basées sur les principes de réciprocité et d'équité. Nous ne pouvons pas nous contenter de défendre l'ordre international fondé sur des règles par de beaux discours: il faut agir.
Merci beaucoup. Je serai heureux de répondre aux questions et de poursuivre la discussion plus tard au cours de la réunion.
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La Loi a un double mandat. Premièrement, elle permet d'encourager les investissements au Canada, ce qui contribue à la croissance de l'économie et à la création d'emplois. Deuxièmement, elle vise à assurer la sécurité nationale. Cela est un élément plus récent.
Il est important de rappeler que la Loi ne peut atteindre son premier objectif que si les règles du jeu demeurent stables. Si l'on modifie la Loi à chaque récession ou à chaque pandémie — des situations que l'on peut considérer comme temporaires —, cela devient beaucoup plus difficile, vu le contexte d'incertitude, pour les investisseurs étrangers et les entreprises d'ici qui voudraient potentiellement vendre à des investisseurs canadiens ou internationaux.
Si l'on change continuellement les règles du jeu, ne risque-t-on pas de se priver d'investisseurs potentiels, d'un environnement plus concurrentiel? Cela pourrait nuire non seulement à la croissance économique et à la création d'emplois, mais aussi à la valeur de nos entreprises. En effet, s'il y a moins d'acheteurs et d'investisseurs au Canada, cela veut dire qu'il y a moins de capitaux, ce qui entraîne une réduction de la valeur des entreprises d'ici.
Il faut donc faire très attention et ne pas modifier une loi simplement parce qu'une situation temporaire survient. En principe, la Loi devrait répondre à ces changements de nature ponctuelle. C'est le premier élément que je voulais soulever.
Le deuxième élément dont je veux parler touche la définition d'« industrie canadienne stratégique », comme cela est énoncé dans la déclaration. Il faut se demander ce qu'est une industrie stratégique. Est-ce une industrie essentielle au bon fonctionnement de l'économie et de la société?
M. Burton a parlé des enjeux liés à la concurrence et des enjeux liés à la démocratie, par exemple. Qu'est-ce qui est essentiel? Le danger, c'est le fait que chacun puisse avoir sa propre définition de ce qui est essentiel.
Dans les régions côtières, tant du côté atlantique que du côté pacifique, l'industrie de la pêche est probablement considérée comme essentielle. Pourtant, cela ne veut pas dire qu'elle est essentielle au bon fonctionnement de l'économie canadienne dans son ensemble ou de la société. Un Torontois peut aussi bien manger du homard du Maine que du homard de la Nouvelle-Écosse ou des Îles-de-la-Madeleine, même si ces derniers sont meilleurs que ceux du Maine.
On pourrait dire la même chose de l'industrie minière au Québec, de l'industrie pétrolière en Alberta ou de l'industrie forestière en Colombie-Britannique. Ces industries sont-elles essentielles au bon fonctionnement de l'économie canadienne? Évidemment, d'un point de vue régional, la réponse est oui. Pour l'entreprise, c'est essentiel. Sur le plan de la création d'emplois, c'est essentiel. Pourtant, dans un tel cas, cela ne vient-il pas réduire la valeur de ce qui est essentiel?
Qui va décider qu'une industrie est essentielle et qu'une autre ne l'est pas? S'agira-t-il des députés de la Chambre des communes ou des fonctionnaires? Qui sera en mesure d'évaluer les différences entre les industries? Quels critères utilisera-t-on? La liste des industries canadiennes stratégiques pourrait être très longue, puisque chacun va vouloir que son industrie soit considérée comme stratégique.
Au Québec, les quincailleries sont soudainement devenues une industrie stratégique pour l'économie québécoise lorsqu'on a annoncé que l'entreprise Rona serait vendue à Lowe's. En France, par exemple, l'industrie du yogourt est une industrie stratégique. Le gouvernement français avait dit ne pas pouvoir permettre que l'entreprise Danone soit vendue.
Des industries qui, de prime abord, ne nous apparaissent pas vraiment stratégiques sur le plan de l'économie ou du fonctionnement deviennent rapidement stratégiques pour des raisons politiques. D'une certaine manière, on peut dire que si toutes les industries deviennent stratégiques, aucune industrie n'est vraiment stratégique.
On peut se demander s'il vaut la peine d'avoir une liste d'industries dites stratégiques. En effet, cela pourrait avoir des répercussions, dans le sens où il faudrait revoir chaque transaction potentielle. La question de la nécessité d'imposer des seuils se pose dans le cas d'une industrie stratégique. On pourrait alors imaginer la lourdeur du processus que cela représenterait.
Dans sa forme actuelle, la Loi offre une approche en matière de seuils, qu'il s'agisse de seuils réguliers, de seuils des sociétés d'État ou des cas où les seuils ne s'appliquent pas, comme lorsqu'il est question de sécurité nationale. Selon moi, la Loi, dans sa forme actuelle, suffit pour ce qui est de traiter des industries soi-disant stratégiques. En effet, ce qui est stratégique, c'est la sécurité nationale. Il n'est pas ici question de création d'emplois ou de croissance économique, car on soulèverait alors la notion du bénéfice net que le ministre doit bien sûr définir dans le contexte de toute acquisition.
Pour terminer, j'aimerais aborder la question des acquisitions effectuées par des sociétés d'État de pays totalitaires. Là encore, quel est l'objectif poursuivi? M. Burton a parlé de réciprocité: cela pourrait être un objectif, mais, selon moi, on en revient à la sécurité nationale.
Quelle est la différence entre une société d'État et une entreprise privée? Est-ce une question de performance économique? Dans la plupart des cas, les études démontrent qu'il n'y a pas vraiment beaucoup de différences entre la performance et la façon de fonctionner d'une entreprise privée par rapport à une entreprise étatique. S'il n'est pas question de sécurité nationale, est-ce qu'il y a une différence entre une société d'État d'un pays totalitaire et celle d'un pays démocratique? Là encore, je pense que la Loi suffit dans son état actuel et qu'elle n'a besoin que de lignes directrices pour encadrer son application.
Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré et je serai heureux de répondre à vos questions.
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Merci, madame la présidente. Je remercie le Comité de m'avoir invité.
Il serait facile de déterminer si les entreprises des industries stratégiques ont été dépréciées ou ont perdu de la valeur si on avait une meilleure idée de ce qui constitue une industrie « stratégique ». J'aimerais ici reprendre là où M. Leblond s'est arrêté.
Dans la même veine que ce que disait M. Leblond, il existe déjà des dispositions — ne l'oublions pas — pour examiner les investissements étrangers, quelle que soit leur taille, afin de déceler toute préoccupation en matière de sécurité nationale. On a déjà un seuil inférieur et des méthodes de calcul de la valeur différentes pour l'examen des entreprises étrangères détenues ou influencées par l'État, comme l'a dit M. Burton, que pour les investissements réalisés par des entreprises autres que les sociétés d'État. Évidemment, on a déjà mis en place des restrictions dans un certain nombre de secteurs que nous considérons comme stratégiques, qu'il s'agisse de la culture, des télécommunications, des transports et autres. C'est déjà le régime en place. Par conséquent, quand on dit « stratégique », on doit avoir à l'esprit une nouvelle définition qui signifie plus que cela. En fait, dans le contexte de la crise de la COVID-19, je conviens que l'approvisionnement en biens dont les Canadiens dépendent pour leur sécurité — par exemple, les fournitures médicales et les denrées alimentaires — est plus fragile que nous ne l'avions peut-être réalisé, et que, selon moi, permettre aux Canadiens d'examiner les investissements qui menacent ces fournitures et ces denrées devrait être considéré à juste titre comme un enjeu stratégique.
Les Canadiens ont également le sentiment que les nouvelles technologies seront à l'avant-garde de la reprise après la crise en cours. Les gouvernements qui ont soutenu la mise au point de nouvelles technologies par des subventions et le développement d'écosystèmes permettant la commercialisation de ces technologies à partir d'une base canadienne, ce qui est en fait l'objectif ultime de la politique, pourraient vouloir décourager les ventes sous l'effet de la panique par ces entreprises ou technologies dans le contexte actuel, ce qui pourrait mettre en péril cet objectif stratégique.
On peut penser à d'autres entreprises ou secteurs stratégiques dont la disparition pourrait déclencher une perte vraiment catastrophique des capacités de production canadiennes dans un certain nombre de secteurs. Le secteur de l'automobile a souvent été mentionné à cet égard. Je vous invite à prendre en considération les éléments suivants. La perte de ce type d'activité économique n'est pas la même chose que la vente d'une entreprise opérant dans ces secteurs à une entité étrangère. En général, les investissements étrangers directs sont très bons pour l'économie canadienne tant que les entreprises étrangères, qu'elles soient publiques ou non, suivent les règles et règlements canadiens. Pour moi, c'est vraiment le nœud du problème.
Cela dit, je ne perçois pas un mouvement généralisé de ventes sous l'effet de la panique, et, comme on l'a vu, le marché a rebondi. Ce que j'entends, c'est que, en général, les mesures de soutien des gouvernements et les prêteurs qui utilisent les liquidités, qui sont à leur tour soutenus par les gouvernements, bien sûr, et la Banque du Canada, appuient les clients et fournissent les mécanismes de sauvegarde qui procurent aux entreprises une certaine marge de manoeuvre et leur permettent de continuer à fonctionner malgré les fermetures d'urgence et la demande temporairement réduite.
Bien entendu, certaines entreprises ne survivront pas à la crise dans leur forme actuelle ou n'y survivront que si on leur permet de se restructurer et de se refinancer ou de devenir plus durables dans le cadre de modèles d'affaires modifiés, qui reflètent l'évolution de la demande et des exigences de sécurité et, en général, un profil risque-rendement perçu différemment par les investisseurs selon les secteurs. Je pense par exemple à l'industrie aérienne. Alors que les entreprises envisagent leur avenir et recherchent un financement plus sûr, ou que, dans certains cas, elles cherchent à se restructurer, l'investissement étranger peut à nouveau être un moyen très utile de fournir des capitaux à ces entreprises ou aux canaux par lesquels les capitaux sont fournis. De nouveau, je me garderais bien de réagir de manière impulsive contre les investissements étrangers directs en tant que tels.
Par ailleurs, les changements que vivent ces entreprises sont un phénomène mondial. Ce serait une chose qu'une seule compagnie aérienne canadienne éprouve des difficultés, mais ce sont toutes les compagnies aériennes de la planète qui traversent une période difficile. Les entreprises concurrentes des compagnies canadiennes n'ont donc pas nécessairement les moyens de fondre sur elles. Je le répète, l'imposition de nouvelles restrictions m'inquiète. Toutes les entreprises en arrachent, et même si certains investisseurs verront des occasions de consolidation et peut-être même des possibilités d'aubaines, attirer des capitaux, y compris des capitaux étrangers, n'est pas nécessairement une mauvaise chose pour ces entreprises tandis qu'elles restructurent leurs activités, à la condition que cela ne nuise pas aux objectifs en matière de politique publique.
Il faut se donner les outils qui nous permettront d'éliminer rapidement les investissements qui pourraient nuire aux intérêts canadiens tout en gardant la porte grande ouverte aux autres investissements. Dans le cours normal des affaires, les prises de contrôle devraient être autorisées, surtout que les conseils d'administration des sociétés faisant appel public à l'épargne ont maintenant davantage de marge de manœuvre en vertu des diverses réglementations provinciales en matière de valeurs mobilières afin d'étudier des solutions de rechange à une proposition de prise de contrôle. C'est assez récent.
Que devrait étudier ou recommander votre comité? Il devrait se pencher sur la clarté des critères concernant toute mesure de sécurité en sus des mesures existantes. Cette clarté pourrait consister en des exemples ou des lignes directrices concernant les types d'investissements ou d'investisseurs que le Canada pourrait juger problématiques dans la conjoncture actuelle ou pour l'avenir. Il ne devrait pas nécessairement s'agir de définitions rigides, mais par exemple de lignes directrices améliorées en matière de sécurité nationale.
Je recommanderais aussi des décisions rapides concernant les acquisitions proposées, ainsi que des lignes directrices très claires. La prise de décisions rapides est essentielle si on souhaite rester ouverts aux investissements étrangers directs — avec tous les avantages qu'ils comportent — tout en veillant à protéger l'intérêt public.
Cela dit, il serait selon moi très difficile — en tout cas certainement pas facile — de modifier rapidement les critères actuels de l'avantage net. Dans ce contexte, un outil clé consisterait à élargir les lignes directrices de l'examen relatif à la sécurité nationale afin d'inclure des questions stratégiques en matière de salubrité et de sécurité de l'approvisionnement ainsi que de perte systémique possible d'une activité économique canadienne autrement concurrentielle, comme je l'ai décrit de façon assez précise.
Enfin, nous songeons ici à des changements temporaires, mais je ne suis pas vraiment certain dans quelle mesure ces changements devraient effectivement être temporaires. Nous pourrions les rendre permanents. Je crois qu'il s'agirait d'une politique très utile pour l'avenir.
J'aimerais d'abord indiquer que nous sommes d'avis que la Loi sur Investissement Canada est une mesure absolument essentielle dans tout pays, aussi démocratique qu'il soit, mais elle n'est très certainement pas suffisante. Cette loi se trouve au bout d'une chaîne de dispositions qui devrait être beaucoup plus longue; elle est en aval de toute une série de mesures, dont deux servent principalement à protéger les sièges sociaux au pays.
Il s'agit essentiellement de l'existence des régimes d'actions à droit de vote multiple, ainsi que le seuil de 66 % nécessaire à l'achat d'une société. Tout le monde sait qu'en vertu du droit québécois et du droit canadien, dans le cas des sociétés ayant une charte canadienne, les deux tiers des actionnaires doivent voter en faveur d'une acquisition pour que celle-ci se concrétise. Ainsi, un actionnaire qui possède 40 % des actions sans, toutefois, être un actionnaire contrôlant, comme c'est le cas pour Saputo, peut bloquer l'achat d'une société.
L'autre mesure vise l'existence des actions à droit de vote multiple qui font qu'un actionnaire, qu'il soit minoritaire ou non, qui possède des actions à droit de vote multiple peut détenir la majorité des droits de vote d'une entreprise et, ainsi...
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Cela fait en sorte que, dans le cas d'une entreprise ayant des actions à droit de vote multiple, un actionnaire contrôlant qui détient des actions à droit de vote multiple peut bloquer l'achat de l'entreprise. Donc, la protection de l'entreprise repose sur les épaules d'un actionnaire qui, généralement, est le fondateur de l'entreprise.
Nous avons fait nôtre, depuis longtemps, le résultat du rapport du Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises. Publié en 2014, ce rapport s'intitule « Le maintien et le développement des sièges sociaux au Québec » et il comporte bon nombre de recommandations qui pourraient également être valables pour l'ensemble du pays.
Ce rapport reposait notamment sur un mémoire déposé par Me Martel, qui recensait des mesures déjà en place dans certains États américains, mesures que nous aurions avantage à importer ici pour protéger les entreprises. Il s'agit, par exemple, d'abolir temporairement les droits de vote de l'acquéreur pour une période donnée et de restreindre les opérations avec l'acquéreur, c'est-à-dire les business combinations. Mentionnons aussi les dragées toxiques, que tout le monde connaît, qui consistent à diluer les actions de l'acquéreur en permettant aux autres actionnaires d'acquérir des actions à un prix donné. De plus, les devoirs fiduciaires pourraient être inscrits dans le droit législatif des sociétés en faveur des parties intéressées. Les mandats décalés des membres des conseils d'administration permettent d'échelonner sur plusieurs années le renouvellement complet du conseil d'administration; cela complique les opérations d'acquisition, étant donné que cela prend plus d'une année pour renouveler l'ensemble des membres du conseil. En effet, cela peut parfois décourager les acquéreurs potentiels de procéder à l'acquisition.
Nous nous sommes penchés en particulier sur la question des devoirs fiduciaires des conseils d'administration, notamment en ce qui concerne le traitement des parties intéressées. Vous le savez peut-être déjà, mais en droit anglais, au Royaume-Uni, l'ensemble des devoirs fiduciaires relatifs aux parties prenantes sont décrits dans la loi, de même que la liste de l'ensemble des parties prenantes. Je me permets de citer directement certaines dispositions de la Companies Act de 2006 du Royaume-Uni:
[Traduction]
Un administrateur doit agir de la manière qui, selon son jugement et de bonne foi, aurait le plus de chances de promouvoir le succès de l'entreprise à l'avantage de l'ensemble de ses membres et, ce faisant, tenir compte, entre autres choses, de ce qui suit:
(a) les conséquences à long terme possibles de toute décision;
(b) les intérêts des employés de l'entreprise;
(c) le besoin d'encourager des relations d'affaires avec les fournisseurs, les clients et d'autres parties;
(d) les effets des activités de l'entreprise sur la communauté et l'environnement;
(e) le désir, pour l'entreprise, de maintenir une réputation de conduite commerciale rigoureuse;
(f) le besoin d'agir équitablement entre les membres de l'entreprise.
[Français]
Selon la loi, au Royaume-Uni, les administrateurs d'une société ont le devoir de tenir compte des intérêts et des droits de l'ensemble des parties prenantes, notamment de l'État et de l'environnement. Donc, toutes les questions soulevées précédemment par tous les autres intervenants au sujet de l'acquisition d'une société, soit par un État étranger qui serait un État dictatorial, soit par un État où les droits de la personne sont peu respectés, relèveraient des responsabilités juridique, judiciaire et fiduciaire des administrateurs des sociétés, si nous avions de telles dispositions au Canada. Ces questions n'auraient pas à percoler jusqu'à des mesures comme celle de la Loi sur Investissement Canada. L'état actuel des choses au pays fait en sorte que ces considérations relatives aux devoirs fiduciaires des administrateurs des sociétés relèvent de la jurisprudence.
Je vous renvoie à l'arrêt BCE de 2008, soit BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976. En voici un extrait:
[...] il peut également être opportun, sans être obligatoire, qu'ils [c'est-à-dire, les administrateurs], tiennent compte [...] des actionnaires, des employés, des fournisseurs, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l'environnement.
Ici, au Canada, ce n'est pas obligatoire et cela relève de la jurisprudence. Il y aurait tout intérêt à ce que la réflexion dépasse celle de ce comité sur ces questions, dépasse la Loi sur Investissement Canada et aille voir en amont ce qui se passe pour que des dossiers se retrouvent ensuite sous la coupe de cette loi.
Il y a aussi l'étude de 2016 de M. Allaire sur les sièges sociaux des grandes entreprises du Québec. Dans cette étude, on répertorie un ensemble d'entreprises qui sont susceptibles d'être achetées. Au Québec, elles ne bénéficient pas des protections qui sont déjà en place, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas d'actions à vote multiple et ne comportent pas de groupe d'actionnaires supérieur à 40 %. Il y a une liste de 16 entreprises exposées à ce danger, dont Metro, Gildan, SNC-Lavalin, Dollarama, Valeant et TransForce. Je vous laisse le soin de prendre connaissance de la liste.
L'une des difficultés présentées par la Loi dans sa forme actuelle, c'est que le ministère détermine si la transaction est à l'avantage net du Canada, mais il n'est pas tenu de révéler les raisons pour lesquelles c'est le cas. Il y aurait lieu d'avoir un peu plus de transparence à ce sujet, à notre avis.
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Je vous remercie, madame la présidente.
J'aimerais commencer par quelques commentaires généraux. J'ai entamé la présente étude avec l'esprit plutôt ouvert parce qu'elle porte sur un sujet dont on a abondamment parlé au cours des dernières semaines et des derniers mois. J'aimerais faire deux observations.
Premièrement, je crois que M. Leblond a tout à fait raison d'affirmer que le cadre réglementaire doit être cohérent si nous souhaitons attirer les investissements. Cela dit, il ne faut pas non plus se retrouver à brader le Canada simplement par attrait du gain à court terme. Je crois que tout est une question d'équilibre.
Le monde change, et c'est au Parlement de voir si cet équilibre entre les cadres législatif et réglementaire est atteint. Personnellement, je ne suis pas convaincue que nous y soyons tout à fait.
Sauf erreur, c'est aussi M. Leblond qui a souligné qu'à partir du moment où il n'y a pas de définition de ce qui constitue une « industrie stratégique », toutes les industries le sont, ce qui revient à dire qu'aucune ne l'est vraiment. Selon moi, si la souveraineté canadienne est menacée parce que des intérêts étrangers provenant d'un pays autoritaire prennent le contrôle d'une industrie donnée ou si celle-ci est vendue à un pays autoritaire, c'est que cette industrie est stratégique. Comme je ne suis pas convaincue que, à l'heure actuelle, la Loi sur Investissement Canada permette d'aller aussi loin dans les nuances, je crois que c'est là-dessus que je fonderai mes questions.
Je m'adresse à M. Burton.
À l'heure où on se parle, il existe un processus pour déterminer qui a besoin d'un visa pour entrer au Canada et qui peut en obtenir un. Tout est défini dans un cadre préétabli. Le Canada s'est doté d'une série de critères pour déterminer si les citoyens de tel ou tel pays ont besoin ou non d'un visa pour venir ici.
Existe-t-il un équivalent pour les investissements? Y a-t-il des critères, quelque chose, dans la législation actuelle, qui nous permette d'évaluer les investissements venant d'un pays donné — par exemple d'un pays autoritaire? Peut-on prendre les investissements provenant d'un pays, les comparer à une liste de critères et dire si, oui ou non, ces critères ont été remplis? Existe-t-il quelque chose du genre?
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Je ne pense pas que nous puissions dire que nous avons les choses bien en main, essentiellement à cause de la nature des investissements chinois. Tous les pays qui mènent des études comparables à la nôtre, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Inde et l'Australie, font mention de la Chine dans leur mandat.
Je crois qu'il ne faut pas oublier qu'assez souvent, les Chinois ne pensent pas juste aux profits quand ils investissent, ils ont aussi des visées stratégiques. C'est sûr qu'ils veulent faire de l'argent, mais il arrive assez souvent qu'ils n'en fassent pas, et il suffit de se rappeler la transaction entre la CNOOC et Nexen pour s'en convaincre. Bien souvent, les entreprises d'État chinoises ont recours à de multiples firmes qui font chacune de multiples investissements précisément dans le but de passer sous les seuils établis, alors que, dans les faits, elles vont à l'encontre de l'esprit de la loi canadienne.
Que je sache, le Canada n'a pas de processus permettant de s'intéresser aux personnes qui souhaitent venir au Canada pour y investir. Dans...
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Il ne reste que quelques minutes à mon temps de parole.
À mon avis, c'est un très bon point par rapport à la définition de ce qu'est une industrie canadienne stratégique. Nous savons pertinemment que des pays totalitaires ont établi des priorités stratégiques en ce qui concerne les investissements directs étrangers dans notre pays. Je crois que c'est aussi important de le noter.
Je prends au sérieux le témoignage indiquant que tout changement majeur ou toute refonte du régime nécessiterait du temps. Dans l'intervalle, j'aimerais vous poser deux questions, monsieur Burton.
À votre avis, un moratoire devrait-il être imposé à court terme sur les acquisitions par des entreprises d'État de pays totalitaires? Revient-il au Parlement de mener un examen plus approfondi de notre cadre sur les investissements directs étrangers compte tenu des changements dans le contexte mondial?
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins d'être là pour nous aider aujourd'hui à mener cette étude et répondre à nos questions.
Je comprends bien que les IDE sont, généralement, une bonne chose pour le Canada. Si nous sommes en mesure d'attirer des IDE, l'économie se porte mieux, évidemment, et la valeur de notre pays augmente. Si les IDE ont diminué dans le monde au cours des dernières années, au Canada, ils ont augmenté, ce qui est fantastique pour le Canada.
Monsieur Schwanen, vous avez dit que nous devrions décourager les entrepreneurs canadiens de vendre leurs entreprises précipitamment afin que les entreprises canadiennes restent au Canada et que nous restions solides. Si nous ne nous penchons pas plus sur les investissements étrangers pendant cette période et si nous ne consolidons pas la loi, que pouvons-nous faire d'autre pour décourager les entrepreneurs de vendre leurs entreprises dans un moment de panique pendant une période de crise comme celle que nous vivons en ce moment? Comment pouvons-nous nous assurer que les Canadiens ne vendent pas leurs entreprises à des investisseurs étrangers tout en recevant de l'aide de ces investisseurs, au besoin?
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Merci beaucoup de votre question.
Je vais aller au coeur de la question que j'ai essayé de soulever. J'ai perdu le fil de ma pensée pendant une minute.
Comme vous le savez, n'importe quel investissement peut faire l'objet d'un examen pour des raisons de sécurité nationale. Ce que je disais, c'est que, dans la situation actuelle, on peut ajouter des raisons supplémentaires. Il y a des lignes directrices publiées par le gouvernement. Peut-être pouvons-nous en publier de nouvelles. Dans la situation actuelle, et peut-être à l'avenir, voici ce que nous considérons comme relevant de la sécurité nationale: la chaîne agroalimentaire et la chaîne d'approvisionnement en fournitures médicales. Franchement, c'est de cela qu'il s'agit quand on parle des entreprises publiques étrangères aussi et de certaines des menaces qu'elles représentent, comme le vol de technologies canadiennes, par exemple. Nous pouvons régler ce genre de problèmes dès maintenant, en ajoutant de nouvelles lignes directrices. C'est cela que je voulais dire.
La meilleure défense, c'est d'avoir une économie vigoureuse au Canada et une évaluation juste des entreprises canadiennes. Je pense que certaines des politiques mises en place, l'aide de la Banque du Canada et notre système bancaire aident les entreprises à fonctionner sans être injustement sous-évaluées.
Enfin, il est possible qu'une entreprise canadienne ait besoin, de temps en temps, de l'aide d'investisseurs pour rester à flot et garder les emplois au Canada. Il ne faudrait pas fermer la porte à ce qui pourrait s'avérer d'excellents investissements étrangers, si on peut l'éviter.
C'était ce que j'avais à dire, essentiellement.
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Oui. Sur la question de définir ce qu'on entend par stratégique, je pense que la plupart des choses que l'on considérerait stratégiques relèvent probablement du domaine de la sécurité nationale, qu'il s'agisse, comme l'a mentionné M. Schwanen, de technologie ou qu'il s'agisse d'infrastructures. On peut penser à l'énergie, aux ports, aux routes, aux télécommunications, aux médias et à la culture. Des points de vue société et économie, ce sont toutes des choses qu'on considérerait comme stratégiques.
Dans le cadre de la définition plus générale de la sécurité nationale, et même de la question de menace pour la souveraineté, je pense comme M. Schwanen que les lignes directrices pourraient éventuellement être clarifiées sans qu'il ne soit nécessaire de modifier la loi elle-même. La souplesse nécessaire pour régler ces questions est là. Si on pense, par exemple, à exercer un certain contrôle ou à avoir une certaine souveraineté en ce qui concerne la production de matériel médical, d'équipement de protection individuelle ou de ce genre de choses, on parle ici d'une question de sécurité nationale, n'est-ce pas? La santé est une question de sécurité nationale. C'est la même chose quand on parle de cybersécurité pour la technologie ou la technologie à double usage.
Je pense qu'il est possible de régler la question de ce qu'on entend par « stratégique » avec la notion de sécurité nationale. Autrement, si on essaie de définir ce qui est stratégique, on risque que cela varie d'une région à l'autre du pays. Le terme finira par ne plus vouloir rien dire. Il ne sera utilisé qu'à des fins politiques. Certaines personnes vont vouloir savoir pour quelle raison telle ou telle entreprise ou industrie est protégée alors que la leur ne l'est pas. D'autres ne voudront pas que leur entreprise ou industrie soit protégée. Les actionnaires veulent pouvoir vendre une entreprise de manière à en maximiser la valeur et si leur industrie ou entreprise est considérée comme stratégique, cette valeur sera moindre et ils vont perdre de l'argent.
Je pense qu'il faut faire très attention au terme « stratégique ». Souvent, on veut dire « sécurité nationale », une question maintenant abordée dans la loi. Je pense que c'est un point très important.
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Il a été fondé en 1995 par un grand Québécois, d'ailleurs. Je vous remercie de prendre sa relève.
Dans votre exposé, vous avez dit d'entrée de jeu qu'il était assez clair que la Loi sur Investissement Canada était nécessaire et que tout pays le moindrement évolué va protéger certains de ses secteurs, essayer d'éviter une fuite de ses sièges sociaux et encadrer des secteurs qui lui sont chers.
La deuxième moitié de l'histoire du Québec, d'ailleurs, nous montre très bien l'importance d'avoir des leviers stratégiques, d'avoir des institutions qui agissent de concert avec les entreprises privées, en conservant toujours une stratégie étatique. Cela est moins clair dans le cas du Canada. Concernant la Loi sur Investissement Canada, vous nous dites que c'est bien, mais que c'est nettement insuffisant.
Puisque vous avez donné certains exemples de ce qui se fait dans le monde, notamment en Grande-Bretagne, j'aurais envie de vous demander ceci. Le Canada devrait-il examiner ce qui se fait aux États-Unis, ce grand foyer du libre marché?
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Je répète que cette loi est une mesure de dernier recours. C'est en fin de course que nous en avons besoin. Nous prétendons que bon nombre de mesures sont déjà sur la table et qu'elles devraient être mises en place. La difficulté à laquelle nous nous heurtons présentement a essentiellement trait à l'harmonisation. Le problème, quand vient le temps de mettre en place de telles mesures, c'est l'existence d'un régime hybride, ici, au Canada. Certaines sociétés sont enregistrées au fédéral et d'autres au provincial, mais aucun des deux paliers ne peut, à lui seul, agir sur tous les plans.
Les progrès les plus probants dans ce domaine sont attribuables à la collaboration entre les provinces, notamment par le truchement des Autorités canadiennes en valeurs mobilières, présentement présidées par le président de l'Autorité des marchés financiers. Cette association peut prendre plusieurs initiatives. La culture canadienne de la gestion des sociétés a connu plusieurs changements de comportement, par exemple, en raison des règles du TSX. Le Groupe TSX impose des règles aux entreprises, que la Loi n'impose pas nécessairement.
Il est grand temps que soit mis en place un chantier national qui explorera tous les problèmes que pose l'harmonisation. On devrait réviser tout cela et créer plusieurs étapes qui permettraient de protéger les entreprises canadiennes, non pas seulement une loi comme celle-là, mais un genre de bombe atomique. Soit dit en passant, les seuils fixés pour permettre à une entreprise de profiter de la protection de la Loi commencent à être très élevés pour certaines entreprises. Prenons l'exemple de Bombardier. Cette entreprise détient environ 2,5 milliards d'actions, qui valent environ 0,50 $ chacune, mais elle atteint tout juste le seuil établi pour être admissible aux mécanismes de protection de la Loi. Si, demain matin, quelqu'un voulait acheter Bombardier, il serait impossible de protéger l'entreprise au moyen de la Loi.
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Merci, madame la présidente, et merci à vous, témoins, de votre présence.
Quel sujet intéressant. Le comité de l'industrie s'est penché pour la première fois sur la question en 2002-2004, dans le contexte de la China Minmetals. À l'époque, nous n'avions aucun mécanisme de sécurité pour surveiller la Loi sur Investissement Canada. En fait, sur plus de 9 000 dossiers, aucun n'avait fait l'objet d'un examen ni n'avait été retiré du processus d'acquisition.
De nos jours, nous tenons cette discussion. Il faut qualifier les choses de manière à ce que les gens comprennent. Je prends l'exemple de Rona. À quel point cette transaction a-t-elle été avantageuse pour le Canada? Lowe's a fait l'acquisition de cette chaîne et a fermé des magasins, éliminant ainsi une partie de la concurrence dont bénéficiaient les consommateurs.
Parlons du détaillant Zellers. Zellers était rentable et offrait à ses travailleurs un salaire supérieur à ses concurrents. Target est arrivé des États-Unis et en a fait l'acquisition, puis s'est retiré du marché canadien, fermant tous les magasins Zellers. Résultat: une partie de la concurrence a été éliminée.
Eaton's a été acheté par Sears. Nous savons que Sears a fraudé le régime de pension de ses travailleurs canadiens, fraude à propos de laquelle le gouvernement n'est toujours pas intervenu à ce jour. Ce sont les gens de la classe ouvrière qui ont écopé. Or, cette transaction a été autorisée sous le régime de la Loi sur Investissement Canada.
D'autres exemples comprennent notamment Alcan, Inco, Falconbridge, Stelco et Electro-Motive, à London. Les transactions entourant MacDonald et Dettwiler posaient un problème. Nous nous y sommes opposés et les avons empêchées. Une prise de contrôle de la société de construction canadienne Aecon par des entreprises de construction chinoises a même été proposée à l'époque.
Ironiquement, alors que je lutte depuis 1998 pour l'aménagement d'un nouveau passage frontalier dans ma région, cette transaction aurait empêché Aecon de construire le nouveau pont international Gordie-Howe, car les États-Unis ne voulaient pas que le gouvernement chinois s'en mêle. Ce passage frontalier est en fait en train d'être aménagé à l'heure où l'on se parle. Quarante pour cent des échanges commerciaux quotidiens entre le Canada et les États-Unis passent par là, ce qui correspond à quelque 10 000 camions par jour, pour une valeur d'environ 1 milliard de dollars.
Si les Chinois avaient fait l'acquisition d'Aecon à l'époque, ce projet n'aurait jamais vu le jour. Du moins, la proposition d'Aecon aurait été refusée. Ainsi, sur les trois propositions obtenues à la suite de l'appel d'offres, il n'en serait resté qu'une seule. Encore une fois, cela élimine la concurrence.
Nous sommes incapables de refuser qui que ce soit sous prétexte que nous avons un libre marché et qu'il n'est pas vraiment dans notre intérêt de déterminer qui seront les gagnants et qui seront les perdants. Cette philosophie du laisser-faire ne fonctionne pas très bien pour les Canadiens.
Je pense au Régime de pensions du Canada, qui a investi dans les établissements privés de soins de santé destinés aux personnes âgées en Ontario et qui réalisait des profits alors que nous avons dû faire intervenir l'armée pour remettre les choses en ordre. Je pense à la Colombie-Britannique, où Anbang, qui, en réalité, appartient à l'État chinois, assure en ce moment la prestation de traitements et de soins à nos aînés parce que les Canadiens n'ont pas les moyens de le faire eux-mêmes ou parce que nous avons laissé à la discrétion de cette société les décisions entourant ses pratiques.
Je constate que cette discussion ne tient compte ni des conséquences réelles au chapitre de l'emploi ni de l'importance d'avoir une stratégie qui va de pair avec le fait de livrer concurrence sur le marché mondial.
C'est intéressant, surtout quand on sait que le Canada est l'un des rares États à ne pas avoir de stratégies sectorielles. Prenons l'exemple du secteur automobile, très actif dans ma région. Kia Motors, Volkswagen et d'autres qui se livrent concurrence au Canada sont fortement subventionnés par des gouvernements, soit par la voie d'investissements directs ou par l'entremise du régime de pensions de leurs employés. Sans compter les stratégies industrielles. D'ailleurs, même le Mexique, qui a récemment signé un accord avec les États-Unis — et on pourrait parler de Trump et de son attitude à l'égard de la réindustrialisation — est doté de stratégies nationales, notamment en matière de ressources. Pourtant, on s'attend à ce que nous oubliions tout cela et à ce que nous utilisions les pièces qui en proviennent.
Ma question s'adresse à l'ensemble des témoins. Nous parlons de la Chine, mais qu'en est-il des sociétés de capital-investissement privées? Y a-t-il un intérêt pour la divulgation des investissements des Canadiens? Ne devrait-il pas y avoir plus de divulgation publique par les municipalités, les provinces et le gouvernement fédéral? Je pense notamment aux titres de propriété, aux déductions fiscales, aux crédits pour l'innovation et la recherche, de même qu'aux subventions directes, ce qui inclut la réduction de l'impôt des sociétés. N'est-il pas dans notre intérêt de garantir que ces entreprises sont contrôlées, à tout le moins dans une certaine mesure, par des intérêts canadiens? En outre, ne devrait-on pas faire passer ce test aux sociétés de capital-investissement privées ainsi qu'à l'État chinois?
Si quelqu'un veut répondre, je serai heureux de l'écouter. Sinon, je peux poursuivre mon intervention parce que la situation actuelle est simplement inacceptable. Il est absurde que nous soyons le seul pays industrialisé, je crois, à avoir adopté une politique du laisser-faire, c'est-à-dire que nous nous déchargeons essentiellement de nos responsabilités parce que nous les jugeons trop complexes.
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Je tiens à dire que la propriété étrangère en soi n'est pas vraiment la source du problème. De nombreux investissements canadiens ont échoué par eux-mêmes, y compris dans d'autres pays. La liste est longue.
Il s'agit de savoir si l'investisseur canadien ou étranger suit les politiques, la réglementation et les lois canadiennes. Nous désirons tous que l'économie prospère. Il faut cependant déterminer si le fait d'être un investisseur étranger — par exemple, à cause de ceux qui sont à la tête de ces investisseurs — nuit réellement à la souveraineté du Canada et à sa capacité d'appliquer sa propre réglementation et ses lois du travail, entre autres, sur son territoire.
Si ce n'est pas le cas, je pense qu'il faudrait accueillir les investissements étrangers. Tous les investissements peuvent porter de très bons fruits, mais beaucoup ne fonctionnent pas bien, et ce, qu'ils soient canadiens ou non.
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C'est une excellente question.
J'estime que le levier économique préexistant dont dispose la Chine au Canada — d'importantes entreprises canadiennes font énormément de transactions commerciales avec des réseaux communistes chinois et par la même occasion influencent les décideurs, particulièrement, disons-le, au Cabinet du premier ministre — nuit à notre capacité d'examiner comme il se doit si certains investissements chinois chez nous seraient à l'avantage net du Canada. Cette situation donne notamment lieu à ce que le professeur Paris a qualifié de levier économique.
En Grande-Bretagne à l'heure actuelle, comme le gouvernement envisage de ne pas utiliser la technologie de Huawei pour la mise en place du réseau 5G, l'ambassade chinoise a brandi la menace du retrait d'investissements chinois dans le secteur nucléaire britannique. Par ailleurs, lorsque les Australiens ont suggéré la tenue d'une étude indépendante sur les origines de la COVID-19 et la réponse de la Chine à cette pandémie, le gouvernement chinois a menacé de limiter les exportations de vin australien vers la Chine. Les Chinois ont déjà imposé des limites sur les exportations d'orge et de viande en provenance d'Australie et menacent maintenant le secteur du charbon et laissent entendre que les touristes et les étudiants chinois seraient dorénavant moins enclins à aller en Australie.
Face à une situation dans laquelle, contrairement à d'autres États investisseurs, le gouvernement chinois utilise apparemment directement le levier économique des investissements qu'il possède déjà au Canada pour favoriser ses visées politiques, notre souveraineté est menacée. J'estime que cette menace vise également les investissements à venir et le processus d'examen pour savoir si nous devrions transférer à la Chine certaines technologies de pointe susceptibles d'avoir des applications militaires.
Le gouvernement chinois a imposé de très nombreuses conditions au Canada, de façon directe et indirecte, laissant entendre que si le Canada ne se plie pas à la volonté du gouvernement chinois en ce qui concerne ses intérêts au Canada, la Chine retirera ses investissements, ce qui menace ni plus ni moins l'emploi et la prospérité des Canadiens. Bien franchement, il est très dangereux de traiter avec les Chinois.
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Je crois effectivement que la sécurité nationale devrait être au cœur de la question.
Nous avons également affirmé, en fait, qu'en examinant les investissements proposés sous l'angle de la sécurité nationale, peu importe le montant de l'investissement — même la somme d'un dollar provenant de M. ou Mme Tout-le-Monde, ce qui englobe un grand nombre de situations potentielles —, nous avons des lignes directrices pour expliquer ce que signifie « sécurité nationale », « infrastructure essentielle » et ainsi de suite. Nous pourrions élargir ces lignes directrices et obtenir les pouvoirs dont nous avons besoin, si on veut, ou expliquer clairement aux investisseurs étrangers ce que nous entendons par « sécurité nationale ». Cela pourrait englober beaucoup de situations.
Cela explique pourquoi nous mettons l'accent sur la sécurité nationale et, de façon plus générale, sur la capacité du gouvernement du Canada — des gouvernements du Canada, en fait, puisqu'on inclut les gouvernements provinciaux — de veiller à ce que les investisseurs étrangers respectent nos lois, nos règlements et nos politiques, au même titre que les investisseurs canadiens. C'est la motivation derrière nos recommandations stratégiques.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Ma question s'adresse à M. Gagnon, du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires.
Vous avez mentionné dans votre intervention ce qui se fait à la Banque centrale européenne.
Est-ce que, concrètement, nous devrions inscrire dans la Loi les parties prenantes, c'est-à-dire les actionnaires, les employés, les fournisseurs, les créanciers, les consommateurs, les gouvernements et l'environnement, de sorte d'englober l'intérêt supérieur de ces parties?
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On dit que de telles mesures amèneraient un changement dans la culture et le bon déroulement des pratiques de gouvernance des entreprises et de celles du Canada. C'est ce qui fait en sorte que les lois sont les plus efficaces possible. On comprend qu'une loi ne sert à peu près à rien si personne ne la respecte.
On a compris au fil des ans que la Loi sur Investissement Canada a permis à l'État de refuser trois transactions depuis 2008. Ottawa a refusé la vente de MacDonald Dettwiler and Associates, de la Colombie-Britannique, à l'américaine Alliant Techsystems, Ottawa a refusé la vente de PotashCorp en 2010, et puis a refusé la vente d'Aecon en 2018.
Vous voyez, ce que fait cette loi, c'est essentiellement de servir les intérêts du ministère de la Défense. Quand la gouvernance d'entreprise se porte bien, ce genre de questions ne se retrouvent pas entre les mains de l'État; elles se règlent en amont. Par ailleurs, il y a un avantage à assainir nos mœurs de gouvernance d'entreprise: c'est le meilleur moyen d'avoir des résultats à long terme sur ces questions.
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Il est très difficile d'établir une équivalence entre les sociétés d'État chinoises ou les grandes entreprises associées au gouvernement de la Chine et tout ce qui existe dans les pays libéraux et démocratiques, car ces entreprises sont étroitement liées aux ministères de l'État chinois dont elles relèvent. Elles doivent être dirigées par la division du Parti communiste chinois dont elles relèvent. Quand on examine l'organigramme de n'importe quelle de ces sociétés, y compris Huawei, on constate que la division du Parti communiste se situe plus haut que le conseil d'administration dans la hiérarchie.
Selon cette perspective, ces entreprises visent généralement à répondre aux intérêts de l'État chinois, et elles sont donc en mesure de tirer profit de toutes les ressources à la disposition de ce dernier, y compris les renseignements militaires ou les autres ressources, afin de pouvoir s'adonner au cyberespionnage ou recueillir des renseignements sur la technologie et les activités économiques de leurs compétiteurs.
Par exemple, au Canada, BlackBerry ne pourrait pas faire appel au Centre de la sécurité des télécommunications pour l'aider à découvrir ce que fait Samsung. Or, dans le contexte de la Chine, c'est une pratique normale qui est déjà intégrée. Tous fonctionnent de la même façon.
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Vous n'avez pas à vous en excuser.
J'ai siégé à de nombreux conseils d'administration internationaux d'entreprises œuvrant au Canada. J'y étais l'administrateur canadien, celui qui disait ce qu'on pouvait ou ne pouvait pas faire au Canada, et qui expliquait que la mise en œuvre des politiques ne se fait pas nécessairement de la même manière au Canada et dans l'Union européenne. Dans bien des cas, le conseil répondait simplement: « D'accord, c'est une particularité canadienne, nous le comprenons, mais pour faire tout notre [...] comment pourrions-nous procéder dans le contexte canadien? »
Depuis le début de la séance d'aujourd'hui, nous avons beaucoup parlé de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et de la Loi sur Investissement Canada. Le Canada a des lois qui protègent les entreprises canadiennes et les empêchent de poser des gestes qui seraient illégaux au Canada. Pourriez-vous comparer rapidement la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi sur Investissement Canada, et nous dire comment elles peuvent être complémentaires?
C'est ce que vous avez mentionné quand il a été question de la clarté des critères et de lignes directrices améliorées. Nous en avons pris bonne note en ce qui concerne la Loi sur Investissement Canada.
Je passe maintenant à M. Leblond.
Nate Erskine-Smith a mentionné une entreprise chinoise du secteur de l'énergie solaire qui oeuvrait au Canada. Il faisait peut-être référence à Canadian Solar, qui est installée à Guelph. Elle est confrontée à des droits de douane imposés par les États-Unis qui sont beaucoup plus élevés que dans le cas de la Chine. Il y a une politique nationale concernant les enjeux de sécurité; les enjeux relatifs à l'énergie, notamment à l'énergie solaire, pourraient faire partie des points que nous examinons... Les entreprises canadiennes ont connu une dépréciation récemment. Comment pouvons-nous trouver un juste équilibre entre le désir d'attirer des investissements dans cette industrie et les enjeux relatifs à la sécurité ou aux droits de douane?
Il ne reste qu'une vingtaine de secondes, malheureusement.
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Les liens sont très étroits entre l'armée chinoise et Huawei, dont le PDG est un ancien militaire. Il y a lieu de se demander pourquoi le gouvernement de la Chine s'oppose autant à l'extradition de la directrice des finances de Huawei aux États-Unis. C'est peut-être parce qu'il craint qu'elle apporte la preuve au gouvernement étatsunien de l'interrelation entre Huawei, l'armée chinoise et l'appareil de sécurité de la Chine.
Nous redoutons qu'en installant un système, Huawei puisse apprendre des choses sur des infrastructures canadiennes névralgiques ou encore se servir de ses activités pour recueillir des données et se livrer au cyberespionnage, comme le gouvernement de la Chine l'a déjà fait en piratant le Conseil national de recherches et, auparavant, le Conseil du Trésor et divers ministères. Il y a vraiment de quoi s'interroger. Pour ma part, je n'aimerais absolument pas que Rogers soit rebaptisée Huawei.
Il y a aussi un autre problème: même dans le cas d'une prise de contrôle de premier plan, il est difficile de forcer l'entreprise d'État à respecter ses engagements. C'est ce qui s'est passé avec Nexen: après quelque temps, malgré l'engagement de maintenir en poste les cadres de Nexen, on a remplacé les Canadiens par des éléments communistes chinois. C'est tout un problème.
Vous avez demandé s'il faudrait laisser Huawei prendre le contrôle d'un grand fournisseur de services de télécommunications canadien. À cela je réponds non avec un grand n et plusieurs points d'exclamation.