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Je souhaite la bienvenue à la ministre, de même qu'à M. Anthony Housefather. Nous sommes heureux de vous accueillir au Comité aujourd'hui, monsieur Housefather.
Je vous souhaite la bienvenue à la 18e séance du Comité permanent de la condition féminine.
La séance d'aujourd'hui se tient selon notre formule hybride habituelle, conformément à l'ordre adopté par la Chambre le 25 janvier 2021. Les délibérations du Comité seront accessibles depuis le site Web de la Chambre des communes. C'est toujours la personne qui parle qui apparaîtra à l'écran, plutôt que le Comité au complet.
Je rappelle aux députés qui y participent par Zoom d'éteindre leur micro lorsqu'ils n'ont pas la parole.
En plus de la ministre Filomena Tassi, qui nous parlera aujourd'hui, nous accueillons des fonctionnaires du ministère de l'Emploi et du Développement social, soit Barbara Moran, sous-ministre adjointe intérimaire, et Lori Straznicky, directrice exécutive.
Nous donnerons d'abord cinq minutes à la ministre, après quoi il y aura une période de questions.
Madame Tassi, vous pouvez commencer.
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Merci, madame la présidente.
Bonjour. C'est fantastique de vous voir tous et toutes. Je tiens à commencer par vous remercier de tout le travail que vous faites.
Je veux aussi souligner que je me joins à vous depuis le territoire traditionnel des Haudenosaunee et des Anishinaabe, sur le territoire couvert par les traités du Haut-Canada de même que par l'entente wampum du « bol à une seule cuillère ».
Madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité, merci de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui pour parler des progrès que nous réalisons dans la mise en œuvre de la Loi sur l'équité salariale.
Comme vous le savez, nous avons présenté la Loi sur l'équité salariale dans le cadre du projet de loi en 2018.
[Français]
La Loi représente un grand pas dans nos efforts visant à remédier à l'écart salarial causé par la sous-évaluation du travail des femmes. Depuis que le projet de loi a reçu la sanction royale en décembre 2018, nous avons travaillé dur pour le mettre en oeuvre.
[Traduction]
Dans le cadre de ce processus, nous élaborons la réglementation connexe nécessaire pour faire appliquer la Loi.
L'ébauche du règlement sur l'équité salariale a été prépubliée dans la partie I de la Gazette du Canada en novembre 2020, pour la période de commentaires prévue de 60 jours. Habituellement, la période de commentaires est de 30 jours, mais le gouvernement a choisi de prolonger cette période pour s'assurer que les intervenants aient suffisamment de temps pour étudier le règlement proposé et soumettre leur rétroaction.
Ce sont les générations futures qui hériteront de l'équité salariale, si bien que nous faisons très attention pour bien faire les choses.
Les intervenants ont été généreux dans leurs commentaires sur le règlement proposé. En fait, nous avons reçu plus de 30 mémoires de la part d'employeurs, de syndicats, de groupes de défense et de particuliers. À l'heure actuelle, nous consultons avec soin tous les commentaires reçus afin de finaliser le règlement, dans le but d'instaurer un nouveau régime d'équité salariale proactif au cours de l'année.
Lorsque ce régime entrera en vigueur, un employeur aura trois ans pour élaborer un plan d'équité salariale et pour déterminer si le salaire d'employés doit être augmenté. Cela signifie que les plans d'équité salariale doivent être en place d'ici 2024 dans les milieux de travail visés par la Loi le jour de son entrée en vigueur et qu'à ce moment, les employés recevront immédiatement toute hausse de rémunération qui leur est due.
Je comprends que trois ans peuvent sembler longs, à première vue, mais permettez-moi de mentionner un certain nombre de choses à ce sujet.
Premièrement, soulignons que le Canada fait un travail de pionnier avec la mise en place de cette loi. Nous sommes convaincus que cette loi transformatrice est non seulement la bonne chose à faire, mais que c'est la chose intelligente à faire.
Deuxièmement, il faut comprendre qu'elle obligera les employeurs à bien comprendre eux-mêmes la valeur du travail et à comparer la valeur de différents types de travail. Ainsi, ils devront tenir compte de facteurs comme les compétences, l'effort, le degré de responsabilité et les conditions de travail. Tout ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Il faudra y mettre le temps pour faire les choses comme il faut.
Troisièmement, étant donné les circonstances actuelles et à cause de la pandémie de COVID-19, les ressources et les priorités des entreprises ont changé afin de répondre aux besoins urgents, de sorte qu'elles auront besoin d'un peu plus de temps pour s'adapter aux nouvelles exigences. Cette période permettra aux employeurs d'établir leurs plans et de faire ce qu'il faut pour bien instaurer l'équité salariale.
Aller de l'avant avec l'équité salariale demeure l'une des principales priorités du gouvernement du Canada. L'équité salariale constitue un changement profond dans la façon dont les gens sont rémunérés pour leur travail, et nous savons tous que ce changement systémique aurait dû être apporté depuis longtemps. La Loi sur l'équité salariale aidera à réduire l'écart salarial entre les sexes et nous rapprochera aussi de l'égalité entre les genres. Toutefois, l'atteinte de l'équité salariale est un enjeu complexe et nous devons prendre le temps nécessaire pour bien faire les choses.
Je peux vous assurer que pendant que le Canada continue à gérer les répercussions de la pandémie, l'équité salariale demeure une priorité et une pierre d'assise de notre reconstruction en mieux. Nous cherchons à créer une économie dans laquelle toutes les personnes pourront réaliser leur plein potentiel. Les travailleurs, les employeurs et l'économie canadienne en sortiront tous gagnants quand les femmes seront payées proportionnellement à la pleine valeur de leur travail.
Je serai heureuse de répondre à toute question du Comité.
Merci, madame la présidente.
Dans le budget de 2018 et l'énoncé économique de l'automne 2018, votre gouvernement a annoncé du financement pour l'établissement d'un nouveau cadre administratif de mise en œuvre de la Loi, mais aucun détail n'en a encore été dévoilé. Selon le directeur parlementaire du budget, son bureau a demandé les documents qui contiendraient l'information précise sur le nombre d'employés par groupe de classification et leur composition, pour déterminer si les femmes ou les hommes y sont plus nombreux. Le gouvernement a refusé de lui transmettre cette information sous prétexte qu'il s'agirait de renseignements confidentiels présentés au Cabinet ou à un comité du Cabinet pour discuter de cette loi.
Cependant, comme il ne s'agit que de données, le directeur parlementaire du budget a utilisé un exemple tout simple pour expliquer pourquoi il n'a pas cru à la réponse du gouvernement. Il a dit ce qui suit:
Si vous joignez un article du Globe and Mail à un mémoire au Cabinet, il s'agit bien sûr d'un document confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Cela ne veut pas dire que vous deviez retirer tous les articles de ce numéro du Globe and Mail ou de tel autre journal sous prétexte qu'on a discuté d'un article du Globe and Mail au Cabinet.
Le directeur parlementaire du budget était d'avis que le genre de renseignement qu'il a demandé entrait dans cette catégorie et que la communication de ces renseignements n'entacherait en rien la confidentialité des délibérations du Cabinet.
À la lumière de cette opinion, selon laquelle ces renseignements auraient dû être rendus accessibles, pouvez-vous s'il vous plaît nous expliquer pourquoi votre gouvernement a senti le besoin de camoufler les renseignements demandés par le directeur parlementaire du budget? Étiez-vous conscients qu'en refusant de transmettre ces documents au directeur parlementaire du budget, vous l'empêchiez de s'acquitter pleinement de son mandat législatif?
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Merci, madame la présidente.
Je vous remercie de vous joindre à nous aujourd'hui, madame la ministre, votre porte nous est toujours ouverte. Vous êtes la troisième ministre à comparaître devant nous, ce qui témoigne de l'importance de notre comité.
Pour avoir moi-même fait partie du comité sur l'équité salariale qui a adopté une recommandation en 2018, je suis très fière du bilan de notre comité sur les mesures de transparence et la Loi sur l'équité salariale.
Je pense qu'il vaut la peine de mentionner que notre gouvernement fédéral est le plus proactif jamais vu dans l'histoire en matière d'équité salariale et que c'est l'aboutissement de consultations robustes auprès des travailleurs, des employeurs et des diverses parties prenantes.
Madame la ministre, vous affirmez que nous laisserons l'équité salariale en héritage aux générations futures et que c'est une loi historique.
Ma première question concerne l'effet de cette loi sur notre économie.
Madame la ministre, de quelle manière une réglementation proactive sur l'équité salariale favorisera-t-elle la croissance de l'économie canadienne et la reprise économique après la pandémie de COVID-19?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je vous remercie, madame la ministre, d'être parmi nous.
C'est un plaisir de me joindre un peu in extremis à votre groupe pour poser quelques questions. La première concerne le plan que les employeurs vont devoir mettre sur pied. Pour y arriver, ils devront établir des catégories d'emploi qui regrouperont des postes selon certains critères, comme des fonctions ou des responsabilités semblables, un niveau de qualification semblable, le régime de rémunération ou le taux de salaire, par exemple.
Je fais un parallèle avec les unités d'accréditation dans le monde syndical. Lorsque, par exemple, quelqu'un considère qu'il ne fait pas partie de la bonne unité d'accréditation, un processus existe, et cette contestation peut se rendre devant les tribunaux. J'aimerais savoir s'il y a quelque chose de similaire dans ce cas-ci.
Quelles sont les options qui sont mises à la disposition des travailleurs qui considéreraient qu'ils ne font pas partie de la bonne catégorie?
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Merci, madame la présidente.
Merci à la ministre et aux représentantes de son ministère.
De toute évidence, il y a beaucoup de frustration. Il y a quelques mois à peine, nous célébrions le 50e anniversaire de la Commission royale d'enquête sur le statut de la femme. Il a alors été question d'équité salariale. En 1977, le principe de la parité salariale pour un travail équivalent a été enchâssé dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comme chacun sait, il nous a fallu attendre jusqu'en 2018 pour qu'un projet de loi sur l'équité salariale soit présenté. Nous avons depuis dû patienter pendant trois autres années pour l'entrée en vigueur du règlement d'application. On nous avait promis que cela serait fait en janvier. Lorsque j'ai posé la question en Chambre, on m'a répondu que ce serait plus tard à l'automne. C'est ce que l'on nous a répété aujourd'hui même.
Vous avez aussi indiqué que c'était nécessaire non seulement du point de vue moral, mais aussi dans une perspective économique. À mes yeux, il ne fait aucun doute que l'on continue ainsi de porter atteinte aux droits de la personne. Dans les milieux de travail sous réglementation fédérale, les femmes continuent de toucher une rémunération moindre pour un travail d'égale valeur.
En nous disant que cela se fera plus tard à l'automne, vous nous donnez un échéancier vague qui est extrêmement préjudiciable. N'auriez-vous pas une date plus précise à fournir à notre comité pour que nous sachions à partir de quand exactement vous allez cesser de porter atteinte à ces droits fondamentaux?
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Notre gouvernement est allé de l'avant en adoptant une loi sur l'équité salariale parce que nous croyons que c'est absolument essentiel.
Quant à l'échéancier de cette démarche, je vous dirais que nous n'avons pas cessé d'y travailler depuis notre accession au pouvoir. Je rappelle que nous avons créé ce comité spécial de la Chambre des communes en 2016. Nous avons mené des consultations et produit un « Rapport sur ce que nous avons entendu ». La même année, nous avons présenté le projet de loi et nous l'avons adopté. Pour répondre à vos préoccupations quant à l'avenir de ces femmes, je vous dirais que leur situation économique est sur le point de changer.
Nous allons désormais verser un salaire équitable à ces femmes, ce qui va effectivement majorer le montant de leurs pensions tout en bonifiant leurs avantages sociaux. C'est ainsi que cette loi va nous amener vers un ordre des choses totalement transformé.
C'est notre gouvernement qui a fait le nécessaire dans ce dossier, et j'en suis très fière.
La Loi a été adoptée en 2018. Nous sommes en plein coeur d'une pandémie, et cela ne nous empêche pas d'aller de l'avant. Pourquoi donc? Parce que nous avons la ferme conviction que cette loi est primordiale et qu'il nous faut continuer à intervenir dans ce sens-là.
C'est un élément parmi bien d'autres dans les efforts déployés par notre gouvernement pour faire en sorte que les femmes bénéficient de tout le soutien nécessaire en milieu de travail.
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Madame la ministre, je vais simplement surenchérir sur ce que disait ma collègue, Mme Mathyssen.
Selon le rapport du directeur parlementaire du budget, le manque à gagner serait dans certains cas de 3 $ l'heure. Lorsque cela s'accumule pendant toute une carrière, il y a un impact considérable sur le montant de la pension, comme le confirmait le directeur parlementaire du budget.
Étant donné que ce projet de loi a été adopté en 2018 — il y a trois ans déjà — et que les dispositions en question n'entreront en vigueur que dans trois ans, il en ressort que des femmes vont gagner 6 000 $ de moins par année pendant six ans, pour un total de 36 000 $.
Je vous rappelle, madame la ministre, que c'est la Loi mise de l'avant par votre gouvernement. Dans quelle mesure êtes-vous à l'aise de voir ces femmes être traitées comme des employées inférieures à leurs collègues masculins sous le règne de votre gouvernement?
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Madame la ministre, j'ai une autre question pour vous. Vous serez peut-être en mesure d'y répondre.
La Loi sur l'équité salariale a été adoptée en 2018, et puisque c'est un texte du parti ministériel, il aurait fait l'objet de discussions au sein du Cabinet, des comités et de la haute direction des ministères.
On présume également que le gouvernement aurait été tout à fait prêt à mettre en œuvre cette nouvelle loi.
N'oublions pas, comme ma collègue du Bloc l'a souligné, que le Québec a une loi provinciale semblable depuis 1996, ce qui veut dire que le gouvernement fédéral n'était pas forcément tenu de réinventer la roue.
Lorsque j'ai demandé au DPB si le gouvernement aurait dû agir plus tôt, il m'a répondu comme suit:
C'est une loi du gouvernement, et on devait donc s'y attendre. Je suis convaincu qu'on aurait pu rédiger et mettre en œuvre un règlement plus rapidement et faire entrer en vigueur la Loi plus tôt. Je ne sais pas pourquoi cela n'a pas été le cas.
Madame la ministre, pourquoi tellement de temps s'est-il écoulé? La Loi a été adoptée il y a plus de trois ans. Pourquoi est-il plus facile pour vous de dire que vous défendez les femmes sur les lieux de travail plutôt que de le faire?
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Merci, madame la présidente.
Je tiens à remercier la ministre et son équipe d'être venues comparaître devant le Comité. Merci pour tout votre travail sur ce dossier important.
Je suis très fière de faire partie d'un gouvernement qui reconnaît l'importance d'un salaire égal pour un travail de valeur égale.
Nous avons commencé à nous pencher sur ce dossier lorsque notre parti a été élu en 2015, alors que le gouvernement précédent n'avait rien fait en matière d'équité salariale. En 2018, nos collègues du NPD et du Parti conservateur ont voté contre le projet de loi , qui portait sur l'équité salariale.
Madame la ministre, merci pour tout le travail qui a été fait dans ce dossier au cours des dernières années.
Nous comprenons que bon nombre d'entreprises n'ont pas encore adopté de normes en matière d'équité salariale, bien qu'elles soient nombreuses à travailler là-dessus. Nous savons qu'il faut que les choses changent et nous unissons nos efforts pour que des pratiques plus équitables soient mises en place.
Madame la ministre, pouvez-vous nous parler des avantages pour les employeurs qui font la transition vers des normes en matière d'équité salariale? Comment les employeurs peuvent-ils évaluer leurs pratiques et leur culture d'entreprise aujourd'hui pour arriver à une meilleure équité sur les lieux de travail?
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Sauf votre respect, nous travaillons sur la mise en œuvre de la Loi depuis le début. Nous avons constitué le Comité spécial sur l'équité salariale et effectué des consultations. Nous devons absolument bien faire le travail.
Tout le monde veut que la Loi ait déjà été mise en œuvre, je le comprends bien, mais il faut saisir l'occasion, et c'est ce que nous faisons. Nous allons bien faire le travail parce que nos enfants et nos petits-enfants seront les bénéficiaires de la Loi.
Quant à votre question, les entreprises ont trois années pour dresser et publier un plan en travaillant avec leur comité respectif. Si les plans sont dressés et approuvés avant la date limite, le versement des paiements commencera à ce moment-là. Si les entreprises ont besoin de plus de temps, les paiements seront calculés à partir de l'échéance de trois ans.
Si l'entreprise doit engager des frais importants, elle a le temps de réunir les liquidités nécessaires, mais les paiements seraient calculés de façon rétroactive à partir de l'échéance de trois ans. Nous voulons conserver les emplois, pas les perdre. Nous voulons que les femmes puissent profiter de plus d'occasions et de plus de possibilités d'emplois.
Voilà le pourquoi de l'échéancier.
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C'est ce qui, je pense, explique les différences d'opinions. La complexité, j'espère... Mme Jensen en a donné une meilleure idée lorsqu'elle a témoigné.
Encore une fois, il ne s'agit pas de comparer deux emplois identiques. Il s'agit de prendre des emplois qui, de par leur nature, sont complètement différents, et, à l'aide de critères, déterminer quelle devrait être le salaire. Qu'est-ce que le travail de valeur égale? Cet élément de comparaison est complexe. Il s'agit d'obtenir des renseignements, de les présenter et de les étudier pour ce qui est des conditions de travail, de la valeur du travail. Il y a ensuite des exceptions, comme l'ancienneté ou des programmes spécifiques. De plus, il faut déterminer quels critères, quelle formule on utilisera. Deux formules différentes sont présentées et on doit les comprendre. Si elles ne fonctionnent pas, il faut en choisir une autre.
Ce n'est pas simple en ce sens qu'on ne peut pas le faire du jour au lendemain. Il nous incombe... et je prends cela très au sérieux. Nous devons faire les choses correctement. C'est une occasion unique, et nous allons y consacrer les ressources qu'il faut pour bien faire les choses.
Bonjour. Je remercie le Comité de me donner cette occasion.
Je vous salue de Niagara, en Ontario, le territoire traditionnel des peuples haudenosaunee et anishinabe. Ce territoire est couvert par les traités du Haut-Canada et il est protégé par l'entente de la ceinture wampum qui fait référence au concept du plat à une cuillère.
En plus d'exprimer ma gratitude et ma reconnaissance pour ce territoire, je veux également exprimer ma reconnaissance pour les soins prodigués durant cette pandémie. Dans cette salle virtuelle, bon nombre de personnes ont près d'elles un proche, qu'on ne voit pas à l'écran, qui a besoin de soins, d'attention et de soutien, ou certaines personnes peuvent participer à la réunion parce que quelqu'un d'autre fournit des soins, de l'attention et du soutien à ce proche. Le travail de prestation de soins — ses gloires, ses défis, ses limites et ses conséquences — a été vivement mis en lumière pendant la pandémie, et la façon dont nous le comprenons et le soutenons constitue notre sujet aujourd'hui.
Je m'appelle Kate Bezanson. Je suis professeure associée de sociologie et doyenne associée des sciences sociales à l'Université Brock. Mes champs d'expertise sont la politique sociale et familiale, le droit constitutionnel, l'économie politique et la reproduction sociale, ou ce qu'on appelle parfois « soins » ou « prestation de soins ».
Comme vous l'ont dit des collègues qui ont témoigné sur le sujet et sur les répercussions sexospécifiques de la COVID, il existe un lien profond et généralement sexospécifique entre les responsabilités de soins et la participation au marché du travail, l'avancement, les résultats et les risques de pauvreté. Au Canada, à l'exception du Québec, nous avons pour ainsi dire un modèle de conciliation travail-soins où les deux conjoints travaillent, mais la femme s'occupe des soins. Nos politiques familiales, qui étaient déjà relativement faibles et non coordonnées avant la pandémie, ont contribué à la situation fragile des soins que nous observons pendant la pandémie.
L'un des outils stratégiques les plus importants pour contrer la toute première récession des femmes au Canada consiste à mettre en place un système national d'éducation et de garde des jeunes enfants et à coordonner les efforts déployés à cet égard avec une révision des congés de maternité et des congés parentaux. J'espère que nous pourrons parler des deux sujets, et bien sûr de la reproduction sociale et des soins en général, mais je vais me concentrer sur la garde d'enfants, étant donné que mon temps est limité.
Il existe un fort consensus sur l'idée que la garde d'enfants est le levier magique pour résoudre la crise des soins au Canada; éviter une reprise économique régressive pour les femmes; stimuler une croissance économique durable; et renforcer l'égalité des sexes. Ce consensus est plus large que jamais: les chambres de commerce, les banques, la société civile et les organisations internationales demandent des investissements dans les services de garde d'enfants.
Plus tôt cette semaine, le gouverneur de la Banque du Canada a indiqué qu'investir dans les services de garde d'enfants permettrait d'amoindrir le risque de cicatrices économiques attribuables à la pandémie. Le gouvernement fédéral a affirmé qu'il entend bien mettre en place un système pancanadien à long terme et que le moment est venu de le faire.
L'obtention des résultats qui appuieront la reprise économique et produiront les retombées promises sur le plan de l'économie et de l'égalité des sexes repose, bien sûr, sur un certain nombre de variables, y compris, premièrement, s'attaquer à ce que j'appelle la « politique sociale du code postal », et deuxièmement, s'engager à élaborer de bonnes politiques.
Le Canada risque de se retrouver dans une situation où la capacité de participation au marché du travail sera inégale, une situation dans laquelle les femmes des provinces et des territoires qui disposent actuellement de meilleurs systèmes de garde d'enfants peuvent se remettre de la crise plus facilement, tandis que d'autres éprouveront des difficultés ou verront leur situation régresser. Cette politique sociale du code postal signifie que le lieu de résidence des Canadiens sera un facteur déterminant quant à la mesure dans laquelle leur situation se rétablira et leurs économies respectives prendront du mieux. Les conséquences économiques de cette inégalité touchent tous les ordres de gouvernement, et les risques politiques que pose l'inaction en matière de garde d'enfants sont partagés dans l'ensemble du pays. En termes simples, si la situation des femmes sur le marché du travail ne se redresse pas, l'économie ne peut pas rebondir, et ce risque immense ne connaît aucune frontière.
Bien entendu, le plan a un effet sur les résultats. Des investissements fédéraux dans les services de garde d'enfants, sans une vision pour établir un système, peuvent mener à une prestation de services de garde d'enfants inaccessible, inabordable, de qualité variable et favorisant l'inégalité à l'échelle provinciale et territoriale, avec l'utilisation d'une marge de manœuvre financière pour des choix politiques faibles et l'élargissement d'un ensemble hétérogène de services de garde d'enfants.
La démarche à suivre peut être résumée en un mantra pratique de trois mots: financer les services. Le financement fédéral devrait être versé directement aux provinces et aux territoires où l'investissement permettra de mettre en place un système de garde d'enfants de qualité. Il n'y a pas de raccourcis. Bien qu'il existe des visions divergentes de la politique familiale — et la politique familiale est un terrain difficile sur le plan politique —, l'élaboration d'un système n'inclut pas l'argent pour les soins, les crédits d'impôt ou les bons qui favorisent un marché du travail à bas salaire, féminin et précaire pour la garde d'enfants.
À chaque crise, le Canada a repensé sa fédération. Le fédéralisme pandémique a montré une compréhension renouvelée de la fragilité et de la résilience de notre fédération et de ses valeurs communes. L'élaboration d'une politique familiale solide et globale garantit un avenir qui sera mieux protégé contre les chocs sociaux et économiques. Le gouvernement fédéral a indiqué qu'il est prêt à financer ce qui est nécessaire pour établir un système, et l'appui de nombreux secteurs à la mise en place d'un système national de garde d'enfants n'a jamais été aussi solide. Le moment est, en effet, venu.
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J'ai fait des recherches sur l'histoire des mobilisations féministes pour la reconnaissance du travail ménager au Québec. J'ai aussi codirigé, avec la chercheuse Louise Toupin, un ouvrage collectif qui porte sur le travail invisible des femmes aujourd'hui.
Nous avons collaboré avec des militantes et des intellectuelles issues de plusieurs milieux. Chacune d'entre elles a apporté sa contribution dans le but de proposer des pistes d'action concrète. J'ai aussi offert des conférences et des ateliers, et participé à des consultations auprès de syndicats, d'organismes et de groupes communautaires au cours des dernières années. Cela a donné lieu à plusieurs conversations sur le terrain.
Ma présentation, aujourd'hui, s'inspire de ces expériences de recherche, qui ont été enrichies par la perspective d'autres femmes que j'ai rencontrées. Je tiens à le souligner.
C'est sans doute à partir de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, la commission Bird, qui a rendu son rapport en 1970, que l'État canadien s'est plus formellement intéressé au travail non rémunéré des femmes. Celui-ci était perçu comme un obstacle à leur pleine intégration au marché de l'emploi. On notait, en raison de la charge de travail ménager qui leur incombait, la présence d'importantes inégalités entre les hommes et les femmes sur le plan du salaire, de l'avancement et de la promotion, autant dans le secteur public que dans le secteur privé. Pour y remédier, certaines recommandations de la Commission ont été mises en vigueur, par exemple, l'octroi d'un premier congé de maternité en 1971, dans le cadre de l'assurance-chômage.
D’autres recommandations de la Commission n'ont toujours pas été réalisées ou sont en chantier, par exemple, la création d’un réseau public de garderies à l'échelle fédérale, la déconstruction des stéréotypes sexistes dans l'éducation ou encore l'octroi d'une pension personnelle aux ménagères en vertu du Régime de pensions du Canada ou du Régime de rentes du Québec.
Du côté des groupes féministes, du début des années 1970 à la moitié des années 1980, trois avenues ont été envisagées pour la reconnaissance du travail invisible des femmes, soit le salaire pour le travail ménager, la socialisation des services et les réformes gouvernementales. Je pourrai revenir sur chacune de ces propositions pendant la période de questions. En effet, elles sont quand même importantes et peuvent servir à comprendre les approches privilégiées dans le passé.
Dans le cadre de mes recherches, j'ai constaté que le travail non rémunéré des femmes a progressivement été délaissé comme enjeu politique à partir de la deuxième moitié des années 1980, à mesure que de plus en plus de femmes intégraient le marché de l'emploi.
Par contre, plusieurs problèmes ont été laissés en suspens, notamment les suivants: l'impossible conciliation famille-études-travail, alors que les femmes restent les principales responsables de l'éducation et du soin des enfants ainsi que des personnes vulnérables de leur entourage; la dévalorisation des emplois traditionnellement féminins, qui sont liés aux qualités généralement attendues des femmes dans la sphère privée; le fait de réduire le partage des tâches et des responsabilités familiales entre les conjoints à une question d'arrangements individuels — arrangements qui seraient déterminés selon les préférences de chacun et de chacune, et non comme une division relevant des rapports de genre, de classe et de race, entre autres; et l'accroissement des inégalités entre femmes, avec le recours croissant aux travailleuses migrantes, immigrantes et racisées pour combler le déficit du « care ». Je pourrai revenir sur ce concept plus tard.
Il faut dire que, lors de crises comme celle que nous traversons actuellement avec la COVID-19, tous ces problèmes sont exacerbés. Les mères font du télétravail tout en faisant l'école à la maison pour leurs enfants ou des femmes racisées se retrouvent au front dans des résidences pour personnes âgées et tombent malades en raison du manque d'équipement de protection individuelle ou du mouvement de personnel entre les établissements, une situation qui est particulièrement grave au Québec.
Tout cela nous amène à nous demander quels changements doivent être mis en œuvre pour que le travail invisible et non salarié des femmes soit davantage reconnu. Au sujet des approches à adopter, je vous fais part de quelques pistes tirées de la conclusion de notre livre Travail invisible.
Tout d'abord, l'État, le patronat et même certains mouvements sociaux ont tendance à percevoir les questions liées au travail invisible comme une série d'enjeux séparés, détachés les uns des autres, et, par conséquent, à envisager des solutions à la pièce.
Cependant, si nous voulons mettre en œuvre des changements concrets, il est impératif de saisir la pratique du travail invisible dans sa globalité. Cela touche à la fois le droit et les relations de travail, les politiques migratoires, l'éducation, les politiques familiales, le financement des services publics, l'accessibilité des garderies, le droit au logement et les prestations gouvernementales, notamment.
Je vous donne un cas de figure. Une jeune mère, à la fin de son congé de maternité, quitte un bon emploi syndiqué et à temps plein pour se tourner vers un emploi à temps partiel, parce qu'elle ne réussit pas à trouver une place en garderie. Cette femme assume aussi des responsabilités, par exemple, de proche aidante auprès de sa mère en perte d'autonomie, qui, elle, ne bénéficie pas de services de soins à domicile gratuits et qui n'a pas les moyens de s'offrir une chambre dans une résidence privée pour personnes âgées. Cette femme retournera peut-être au travail et engagera alors une aide familiale résidante pour s'occuper de son enfant et de sa mère, qui aurait emménagé chez elle.
Cette situation est quand même banale, mais je crois qu'elle démontre bien comment peuvent s'imbriquer différentes formes du travail invisible, salarié et non salarié, des femmes.
Il faut donc que les décideurs et les décideuses développent, dans les politiques publiques, une vision...
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les deux témoins. Je m'excuse pour les difficultés techniques. Ces jours-ci, nous en avons tous assez de Zoom, et notre matériel aussi. Je pense qu'il est temps pour moi d'avoir du nouveau matériel.
Je veux remercier les deux témoins de leur présence ce matin — c'est le matin, en Colombie-Britannique, mais bien entendu, c'est l'après-midi dans d'autres régions de notre grande nation.
J'ai jeté un coup d'œil au rapport de l'Organisation internationale du Travail, qui contient 526 pages. Bien sûr, je n'en citerai pas tout le contenu, ne vous inquiétez pas. Je vais parler au moins d'un passage. On y indique que la prestation de soins, qu'elle soit rémunérée ou non, est au cœur de l'humanité dans nos sociétés et que les économies dépendent de la prestation de soins pour survivre et prospérer.
Je pense que ce passage commence bien cette dernière partie de nos cinq jours d'études.
Pourquoi devrions-nous également nous pencher sur le scénario global? La situation n'est pas unique au Canada. C'est partout dans le monde maintenant. Nous examinons un cadre beaucoup plus large, dans lequel les aidants non rémunérés peuvent profiter des avantages de la prestation de soins sans avoir à payer de pénalités sociales et économiques.
Dans vos exposés, vous avez toutes les deux mentionné que de nombreux aidants familiaux — nous les appelons des aidants naturels — perdent en productivité. C'est le cas en particulier lorsqu'ils ont fait de bonnes études et occupent un emploi bien rémunéré, mais qu'ils doivent abandonner leur emploi pour travailler à temps partiel afin de pouvoir s'acquitter de leurs responsabilités d'aidants.
J'aimerais vous demander à toutes les deux quel rôle vous pensez que l'employeur peut jouer pour rendre ses employés aidants plus productifs, mais aussi pour leur apporter un meilleur soutien et créer un environnement de travail dans lequel les autres collègues comprennent que s'ils sont absents, ce n'est pas parce qu'ils sont paresseux. Très souvent, leurs collègues leur diront « Tu prends encore un congé, et je dois faire ton travail. »
J'aimerais que l'une d'entre vous nous explique un peu cet aspect.
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Bien sûr, il est toujours important de centrer notre conversation sur les soins non rémunérés dans un contexte global. Nous savons, bien entendu, que c'est le travail de prestation de soins — le travail de reproduction sociale et la production et la reproduction quotidiennes et générationnelles de la population — qui maintient tout le reste. C'est l'architecture qui rend possible toutes nos interactions sur le marché et toutes nos aspirations.
Votre question sur le rôle des employeurs est une bonne question. Bien sûr, il n'y a pas de rôle magique pour les employeurs, car nous avons des situations d'emploi qui varient quant à l'effectif, à l'échelle, au lieu, etc.
Je peux vous donner quelques exemples de ce qui est utile. Nous savons certainement — et il y a un thème dans ce que je vais dire — que le fait de parler haut et fort en faveur de l'établissement d'un système de garde d'enfants est d'une grande utilité pour les familles qui ont de jeunes enfants.
Toutefois, nous constatons également que les employeurs peuvent jouer un rôle important en soutenant les aidants et en créant une culture de partage des soins. Une question qui revient souvent est celle de savoir comment nous pouvons encourager les pères, par exemple, à prendre davantage de congés payés et à consacrer plus de temps à s'occuper des enfants. Cela peut commencer dès la première conversation qu'un futur parent a avec son employeur ou le service des ressources humaines, où l'employeur considère qu'il prendra le maximum de congés.
Dans ce cas-là, la personne qui souhaite prendre, par exemple, un congé parental ou un congé pour s'occuper des enfants n'estime pas devoir négocier la plus courte durée possible, car la conversation commence plutôt en présumant la durée maximale et en établissant une culture dans laquelle les soins sont partagés entre les employés. Cela peut grandement aider à infléchir les normes sexospécifiques dans les ménages et dans le domaine de la prestation des soins.
Il faut également faire preuve de prudence en ce qui concerne le travail à domicile et la flexibilité, car dans certains cas, cette initiative n'a pas eu le résultat voulu pour les femmes. En effet, le manque de rencontres en personne et l'absence d'occasions qui favorisent le type de conversation qui pourrait mener à une promotion signifient que les occasions ne sont pas nécessairement partagées de manière égale, et il faut donc prendre quelques précautions sexospécifiques dans ces cas-là aussi.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins qui nous ont donné de bonnes informations aujourd'hui.
Ma première question s'adresse à Mme Bezanson.
Madame Bezanson, vous avez parlé des pères et de la culture des congés parentaux partagés. Pour ma part, j'ai déjà mentionné au Comité les défis auxquels je me suis heurté à la naissance de mes filles, en 1994 et en 1997. J'ai quand même pris un petit congé parental, même si je n'y avais pas droit.
Pouvez-vous nous parler de ce que notre gouvernement fédéral a fait récemment quant aux congés parentaux partagés?
Avez-vous d'autres recommandations à nous faire afin que nous puissions faire une différence à cet égard et nous assurer que la garde des enfants est partagée dans le couple?
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Je pense que certains progrès très importants ont été réalisés à l'échelon fédéral grâce aux changements apportés au régime de congé parental et de congé de maternité. Depuis 2018, on offre un deuxième congé pour les soins aux enfants qui est perdu s'il n'est pas utilisé par l'autre parent. Si l'on se fonde sur l'expérience du Québec, cela peut représenter un incitatif important pour réfléchir à la répartition des soins aux enfants chez les couples qui deviennent parents, et ce, dès le tout début. Nous savons que jusqu'au moment où les couples deviennent parents, le travail non rémunéré tend à être partagé de manière plus égale dans les ménages. Cela change complètement lorsque les couples deviennent parents et lorsque les gens sont confinés dans des rôles et des responsabilités sexospécifiques. Il s'agit donc d'une étape importante.
Mais cela pose tout de même certains défis. L'un d'entre eux, c'est que les deux parents doivent avoir droit à un congé d'assurance-emploi pour pouvoir en profiter, et il ne s'agit donc pas d'un deuxième congé distinct pour les soins aux enfants ou d'un congé de paternité. Si on me demandait quels changements nous pourrions apporter au régime de congé parental et de congé de maternité au Canada, je répondrais que nous n'avons qu'à nous inspirer du Régime québécois d'assurance parentale. Il couvre beaucoup plus de personnes, il est beaucoup plus généreux, il est beaucoup plus utilisé et il a également transformé la répartition du temps du congé pour les soins aux enfants entre les hommes et les femmes.
Pour de nombreuses raisons, notamment le fait qu'il est plus généreux et qu'il vise beaucoup plus de mères, surtout dans les programmes de congés, je pense que nous pouvons nous tourner vers le Québec pour trouver quelques bons exemples, tant pour la garde d'enfants que pour le congé parental.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais tout d'abord remercier les deux témoins, Mmes Bezanson et Robert, de leurs témoignages très éclairants sur le travail invisible.
Madame Bezanson, je vous remercie de souligner la particularité québécoise tant pour les congés parentaux que sur la question des services de garde.
Nous avons bien compris qu'il y a un lien direct entre l'aide offerte aux femmes et leur accès au marché du travail. Une meilleure répartition du travail passe également par un meilleur partage des congés parentaux. Nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir.
Ma première question s'adresse à Mme Robert.
Vous avez ouvert la porte à trois avenues: la question du salaire, la question de la socialisation et la question des réformes gouvernementales. Vous avez dit que vous reviendriez sur ces points, alors j'aimerais vous entendre davantage sur ces sujets.
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Ces questions ont été énormément discutées dans les années 1970 et 1980.
Tous ces débats ont été un peu mis de côté, mais l'idée du salaire au travail ménager a également intéressé la chercheuse Louise Toupin, qui a produit un ouvrage en français, traduit en anglais, sur la revendication d'un salaire au travail ménager. Cette revendication est extrêmement intéressante parce qu'elle prévoyait de verser un salaire à la personne au foyer, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme.
Cette revendication a été un peu mise de côté, mais certaines mesures comme la PCU nous ont quand même offert un aperçu de ce que pourrait donner le fait de rémunérer des personnes pour qu'elles [difficultés techniques]. Malgré que cette mesure visait à remplacer un salaire, le fait de rester à la maison a quand même donné une bouffée d'air à beaucoup de familles et à beaucoup de femmes, notamment.
La question de la socialisation porte sur tous les services qui ont été mis en place de manière autonome par des usagers et des usagères. Par exemple, au Québec, dans les années 1970, avant que les centres de la petite enfance soient créés, il y a eu des garderies populaires. L'idée était de donner des ressources aux communautés pour qu'elles prennent elles-mêmes en charge les services de soins. C'est une idée tout à fait intéressante, à mon avis.
Finalement, il y a eu plusieurs suggestions sur la question des réformes, comme celles d'inclure dans la main d'œuvre active les personnes au foyer et d'offrir des prestations de vieillesse aux personnes ayant été au foyer pour essayer de diminuer la pauvreté en fin de vie ou en cas de divorce, par exemple. Il a été également suggéré de faciliter la reconnaissance des compétences professionnelles des femmes au moment de leur réinsertion dans le marché de l'emploi, après qu'elles ont eu des enfants.
Dans les années 1970 et 1980, plusieurs idées avaient donc été proposées par des organismes, des syndicats et des groupes de femmes.
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Je crois que cela se manifeste de plusieurs manières différentes. Par exemple, je m'apprête à retourner au travail, mais il n'y a pas de place au centre de la petite enfance. On idéalise beaucoup le réseau des garderies québécois, mais, dans les faits, il y a très peu de place. On peut même ne jamais en avoir, même si on s'inscrit sur les listes d'attente.
Voici un autre exemple. La femme qui va s'occuper de ma fille à la garderie est une femme racisée, une immigrante. Elle a perdu son emploi de professeure en mathématiques à cause de la loi 21, au Québec. Quand on s'intéresse aux divisions entre les femmes, on voit que cela se manifeste aussi dans les soins aux personnes à domicile ou en résidence, dans les garderies et dans l'enseignement.
Je n'ai pas de données précises, mais c'est une tendance croissante qu'on observe et qu'il faut garder en tête. En effet, je crois que la simple approche de permettre aux femmes d'accéder au marché de l'emploi s'adresse aux femmes qui sont particulièrement privilégiées, et il ne faut pas que cela se fasse en déléguant ce travail vers d'autres femmes. Je pense, au contraire, qu'il faut que cela se fasse par le truchement d'une plus grande prise en charge de l'État, des services publics, ainsi que le refinancement des soins à domicile et des garderies. Il est important de garder tout cela en tête.
J'aimerais conclure ma présentation en vous invitant à adopter l'approche différenciée entre les sexes avec une perspective intersectionnelle, et donc à toujours garder en tête qu'il ne faut pas déléguer ce travail de soins à d'autres femmes pour que seulement certaines d'entre elles s'émancipent.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Nous avons beaucoup parlé de ce sujet au sein de notre comité, car les soins aux enfants représentent manifestement une énorme partie du travail et de la vie des femmes.
J'aimerais revenir à l'approche à trois volets dont vous parliez, madame Bezanson.
Le gouvernement a annoncé qu'il s'engageait à l'égard d'un secrétariat national pour la garde d'enfants — nous n'avons pas encore vu les fonds, mais je pense que la nouvelle vient tout juste d'être annoncée —, ce que demandaient certainement les groupes de promotion des services de garde d'enfants et les parties intéressées pour le volet de l'abordabilité. Cependant, il y a deux autres volets. L'approche fragmentaire qui a été privilégiée est grandement liée à la cohérence du financement.
Pouvez-vous nous parler des conséquences du sous-financement de ce système fragmenté et des résultats obtenus? Je sais que les groupes nationaux de défense des intérêts ont demandé le versement immédiat de 2,5 milliards de dollars pour stabiliser le secteur des services de garde d'enfants, puis 10 milliards de dollars supplémentaires au cours des quatre années suivantes pour pouvoir faire le travail qui permettra d'offrir ces places en garderie.
Ces fonds ne sont pas apparus. Pourriez-vous nous parler des conséquences de cette situation?
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Certainement. C'est une très bonne question.
Je fais partie des personnes qui ont fortement insisté sur la nécessité de créer un secrétariat fédéral, en partie parce que les services de garde d'enfants ont besoin d'un organisme responsable pour que les politiques appropriées puissent être mises en œuvre et pour pouvoir atteindre les résultats en matière d'équité et d'égalité entre les sexes auxquels nous sommes nombreux à aspirer, et qu'un système de service de garde d'enfants pourrait nous permettre d'obtenir.
Vous avez tout à fait raison de dire que l'année dernière a été catastrophique pour le secteur des services de garde d'enfants. En effet, d'un bout à l'autre du pays, des centres de garde ont fermé pour de nombreuses raisons, notamment parce que les services de garde d'enfants ne font pas vraiment partie d'un système national. Il s'agit plutôt d'un marché fragmenté.
Nous savons, par exemple, que l'éducation sera là l'année prochaine pour nos enfants, car l'éducation est un droit de chaque enfant et une responsabilité de chaque province et territoire. Mais puisque les services de garde d'enfants représentent un marché, ils ne profitent pas d'une telle protection. La pandémie nous a donc révélé qu'il s'agit d'un secteur très fragile.
Quelques investissements ont été effectués. Je pense par exemple aux fonds liés à la relance sécuritaire qui ont été versés dans plusieurs secteurs de diverses provinces, y compris dans le secteur des services de garde d'enfants. Dans le cadre de mes conversations avec les intervenants du secteur de la garde d'enfants, ces derniers m'ont indiqué que des initiatives comme les subventions salariales ont été très importantes pour les aider à survivre, tout comme d'autres petits employeurs, mais qu'elles prendront fin avant que la pandémie soit terminée.
Si l'offre de services de garde d'enfants n'est pas suffisante et si nous émergeons de la pandémie avec moins de services que nous nous en avions au départ, nous nous exposerons à toutes sortes de désavantages qui ont été bien cernés par votre comité.
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Ce sont de très bonnes questions.
Je sais que le NPD, au début ou au milieu des années 2000, je crois, a proposé un projet de loi d'initiative parlementaire qui portait essentiellement sur cette question, c'est-à-dire la création d'une loi sur les services de garde d'enfants qui ressemblerait à la Loi canadienne sur la santé.
Je pense que la législation est une expression réellement importante de la façon dont nous protégeons et valorisons des secteurs de politiques particuliers. Je sais que le Québec a également des dispositions enchâssées dans la loi et qu'elles concernent aussi le droit des enfants de recevoir certains soins. Il y a de nombreuses raisons de faire cela.
Je me suis également interrogée sur l'invisibilité, en quelque sorte, des services de garde d'enfants dans nos programmes de dépenses fédérales. Nous avons le Transfert canadien en matière de programmes sociaux et le Transfert canadien en matière de santé. Traditionnellement, les services de garde d'enfants étaient assurés par l'entremise du Transfert canadien en matière de programmes sociaux, mais ils sont maintenant assurés par des négociations bilatérales avec les provinces.
Pourrait-on changer la donne si on accordait ce genre de visibilité à ces services et qu'on créait un transfert canadien en matière de garde d'enfants, en plus d'un cadre législatif qui pourrait leur donner le type de visibilité qui les protégerait, du moins symboliquement? C'est une question à laquelle il faut réfléchir.
Je sais qu'un grand nombre de prestataires de services de garde d’enfants en milieu familial réglementé et dans des centres de services de garde ont énormément de mal à survivre pendant la pandémie. Je pense que nous devons maintenant nous pencher sur les trois pattes du tabouret dont nous parlions plus tôt et réfléchir à la manière dont nous finançons ces services, afin de pouvoir aborder des questions comme le plafonnement des frais pour que les parents n'aient pas à débourser autant d'argent pour ces services et aussi le financement de la main-d'œuvre, c'est-à-dire les salaires, car ils représentent l'un des principaux facteurs de coûts dans les services de garde d'enfants. De plus…
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Je vous remercie beaucoup.
J'aimerais remercier les témoins de discuter avec nous aujourd'hui. Vous nous avez communiqué des réflexions et des renseignements précieux.
Puisqu'on a traditionnellement attribué aux femmes la responsabilité de s'occuper des enfants, cela a manifestement eu des répercussions sur leur capacité d'avoir accès à un plus grand nombre d'options en matière d'emploi. Nous avons entendu dire que les emplois occupés par les femmes sont dévalorisés et qu'une grande partie du travail des femmes est non rémunéré et invisible. Les services de garde d'enfants financés par l'État représentent une option que vous avez toutes les deux présentée, et nous l'avons souvent entendue ailleurs.
Nous avons aussi souvent entendu dire que certaines cultures ne veulent pas envoyer leurs enfants dans des centres de garde financés par l'État. De quelle manière le gouvernement fédéral pourrait-il aider à offrir ce genre d'options aux familles qui, pour des raisons culturelles, préfèrent que des membres de la famille, comme les grands-parents, s'occupent de leurs enfants?
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C'est une question intéressante à laquelle je ne m'étais pas préparée, et je vous suis donc reconnaissante de l'avoir posée.
Je pense certainement que la politique familiale représente l'un des domaines les plus difficiles à administrer, car il nous touche tous de très près. C'est un sujet très personnel. Lorsque nous élaborons ces politiques, nous devons penser à la façon de créer des politiques qui offrent aux gens d'excellents choix qui s'équivalent entre eux.
À mon avis, la meilleure façon de soutenir les personnes qui prennent soin des enfants consiste à mettre sur pied un système qui est accessible et abordable pour les personnes qui souhaitent l'utiliser. On ne parle absolument pas d'une quelconque forme de garde d'enfants obligatoire.
Pour de nombreuses familles, il est absolument important et viable qu'un grand-parent, une tante ou un membre de la famille s'occupe des enfants, et c'est souvent le meilleur choix pour ces familles. Nous tenons donc à soutenir cette approche.
D'une certaine manière, je pense que nous soutenons cela par d'autres moyens, notamment en améliorant des choses comme l'Allocation canadienne pour enfants, une stratégie de lutte contre la pauvreté qui a eu des résultats spectaculaires, mais qui a également été utilisée de manière importante dans le domaine de la garde d'enfants.
Je ne devrais pas parler autant, car Mme Robert peut également contribuer à la discussion.
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Selon moi, cela nous renvoie à la question du choix et de l'accessibilité. Il faut évidemment laisser le choix aux familles.
J'étais avec un groupe hier, et nous avons discuté des enfants en situation de handicap. Les prestations données aux familles pour prendre soin de ces enfants sont beaucoup moins élevées que les montants alloués lorsque les enfants sont pris en charge à l'extérieur.
Dans la mesure où de jeunes enfants sont à la maison, le gouvernement doit offrir des fonds à ces familles afin qu'il n'y ait pas d'impact économique important. Par contre, il ne faut pas imposer ce choix. Le gouvernement Harper avait déjà proposé d'allouer des montants d'argent aux familles qui décideraient de garder les enfants à la maison plutôt que de les envoyer à la garderie. Cela peut également être un piège, puisque, pour de nombreuses familles, notamment celles où il y a plusieurs enfants, l'idée de les garder à la maison peut s'imposer comme un choix économique, particulièrement dans les provinces où les frais sont assez élevés.
Il faut ouvrir la porte à cette possibilité, en offrant toujours le choix de garder ou non les enfants à la maison.
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D'accord, je vous remercie.
Je remercie nos deux témoins pour la discussion stimulante.
Je vais vous poser deux questions, et vous disposerez de deux minutes chacune pour y répondre.
Nous avons beaucoup parlé d'un modèle de système. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il assurer la reddition de comptes d'un système géré en collaboration avec les provinces et les territoires?
Madame Bezanson, j'ai bien aimé le lien que vous avez fait entre la politique sociale et le code postal.
Je suis ravie de faire partie d'un gouvernement qui considère tous les dossiers sous l'angle de l'analyse comparative entre les sexes plus. Pour ma part, j'ajoute la perspective rurale. Je représente une vaste circonscription rurale. Ma circonscription est plus grande que la Suisse, et elle compte 200 magnifiques petites villes.
J'ai une question sur la garde d'enfants. En vous fondant sur vos connaissances et votre expérience dans le domaine, quelles recommandations feriez-vous pour garantir qu'un système pancanadien fonctionne non seulement dans l'ensemble des provinces et des territoires, mais aussi dans diverses collectivités — tant dans les grands centres urbains que dans les très petites collectivités rurales, où la situation n'est pas la même?
Ces deux questions s'adressent à vous deux. N'importe qui peut commencer.
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Certes, nous vivons dans un vaste pays varié qui comprend des centres urbains densément peuplés et de grandes régions rurales.
Pour répondre à votre première question concernant un modèle de système, bien sûr, dans tous les secteurs de la politique sociale, il doit y avoir des critères et de la surveillance. Il faut porter attention à la manière dont les examens et les réexamens sont effectués et dont les objectifs sont établis. C'est d'autant plus important lorsqu'il est question des plus petits d'entre nous.
On emploie souvent des termes liés à la reddition de comptes, qui est associée surtout au domaine des finances. Il faut rendre compte des dépenses et des investissements, mais il faut aussi transformer un peu ce concept pour l'appliquer aux objectifs et aux critères communs, à l'accès universel aux services de garde d'enfants, à l'abordabilité et au développement des services, ainsi qu'à l'attention que les fournisseurs de services accordent aux besoins des communautés qu'ils servent.
Il y a une chose très intéressante; ma collègue, Susan Prentice, a écrit à ce sujet au Manitoba. Les services de garde d'enfants renforcent le marché du travail et stimulent le développement économique des collectivités rurales — les soins de longue durée aussi, d'ailleurs. Les services de garde d'enfants aident donc à mener à bien certaines stratégies de développement économique.
Il faut songer à élaborer une stratégie nationale et à offrir des services de garde d'enfants en milieu familial de grande qualité, des services réglementés qui répondent aux besoins des collectivités rurales, qui respectent leurs choix et qui surmontent les problèmes de transport.
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Je vous remercie de la question.
Pour ce qui est de l'obligation de rendre compte des provinces, je connais moins cet enjeu. Je ne me prononcerai donc pas là-dessus. Cependant, je crois que ce que vous soulignez à propos de l'accès à des services, notamment en contexte rural, est fondamental.
Au Québec, dans plusieurs régions éloignées, il y a des problèmes criants d'accès aux garderies. Je ne parle pas des centres de la petite enfance, les garderies publiques, mais des garderies privées ou des garderies en milieu familial. Ces dernières sont extrêmement difficiles d'accès.
Parfois, des enfants inscrits alors qu'ils étaient encore dans le ventre de leur mère n'auront pas de place avant d'avoir 24 mois. Dans ce cas, les mères devront prendre très souvent des congés sans solde pour rester à la maison avec leurs enfants et elles devront reporter à plus tard leur retour sur le marché de l'emploi.
Je n'ai pas de recommandation précise à faire, mais je crois que la question que vous soulevez est extrêmement importante.
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En fait, je voudrais continuer à parler de la reconnaissance accordée à la prestation de soins et au travail typiquement fait par des femmes — à ce qui est considéré comme du travail de femmes.
Des pressions importantes sont exercées sur le gouvernement fédéral pour qu'il instaure un salaire minimum fédéral. Je sais que ce dossier relève principalement des provinces, mais en prenant les rênes, le gouvernement fédéral pourrait aider à le faire avancer. En fait, un salaire horaire de 15 $ n'est même plus vraiment décent. D'après moi, il faut aller plus loin, mais pour que... Je vous demanderais votre avis à ce sujet.
Le droit du travail relève aussi principalement des provinces, mais nous avons le Code canadien du travail. Aviez-vous des dispositions en tête lorsque vous parliez de la conception du travail non rémunéré? Il faut uniformiser ou modifier les lois du travail, et il faut fournir des logements abordables. Certes, les néo-démocrates croient aux programmes universels qui aident à payer les coûts de la vie quotidienne. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, madame Robert?
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Absolument. Vous avez bien fait de le souligner.
Je remercie nos témoins de leur présence. Vos témoignages étaient excellents, comme on l'a déjà dit.
Avant de conclure, j'informe les membres du Comité que le 9 mars, nous recevrons des témoins dans le cadre de notre étude sur le travail non rémunéré. Nous consacrerons ensuite une heure aux travaux du Comité. Nous examinerons les motions déposées et les instructions de rédaction à donner aux analystes. Le 11 mars, la ministre de la Condition féminine se joindra à nous pour parler du Budget supplémentaire des dépenses, et peut-être aussi du Budget principal des dépenses s'il a été présenté. Vous devez soumettre vos opinions dissidentes à inclure dans le rapport sur la COVID-19 au plus tard le 12 mars.
Je vois que notre temps est écoulé. Plaît-il au Comité de lever la séance?
Très bien. Nous allons donc lever la séance.
Je vous souhaite une bonne semaine de relâche. Nous nous reverrons...