Soyez les bienvenus à la 25e séance du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes. De formule hybride, cette séance a lieu conformément à l'ordre de la Chambre du 25 janvier 2021. Le compte rendu sera publié sur le site Web de la Chambre des communes. La webémission montre toujours la personne qui a pris la parole plutôt que la totalité du Comité.
Aujourd'hui, le Comité poursuit son étude de l'inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes.
Permettez-moi quelques observations à l'intention des témoins. Quand vous êtes prêt à prendre la parole, veuillez cliquer sur l'icône de votre microphone pour l'activer. On adresse ses observations à la présidence. Pour entendre l'interprétation en vidéoconférence, un bouton, dans le bas de l'écran, permet de choisir entre l'anglais, le français ou la langue en train d'être parlée. Pour faciliter la tâche des interprètes, ayez un débit lent, une diction nette. Entre vos prises de parole, désactivez votre micro.
Accueillons maintenant notre témoin. Il s'agit du grand prévôt des Forces canadiennes, le brigadier-général Simon Trudeau.
[Français]
Je vous souhaite la bienvenue. Vous disposez de cinq minutes pour faire votre présentation, et vous pouvez commencer immédiatement.
:
Madame la présidente, bonjour. Je suis le brigadier-général Simon Trudeau, grand prévôt des Forces canadiennes et commandant du Groupe de la Police militaire des Forces canadiennes. J'occupe ce poste depuis mai 2018.
Je suis heureux de vous parler du rôle important que le grand prévôt joue dans les Forces armées canadiennes et du travail de mon organisation concernant le très important sujet d'étude de votre comité.
Je vous fournirai le plus de renseignements possible, tout en soulignant que je ne pourrai formuler aucune observation ni vous communiquer de détails sur les enquêtes en cours. Avec ses quelque 1 800 membres, le Groupe de la Police militaire compte parmi les 10 plus grands services de police du Canada. Il fournit des services professionnels de police, de sécurité et de détention au ministère de la Défense nationale et aux Forces armées canadiennes dans toute la gamme des opérations militaires menées au Canada et à l'étranger.
Je suis extrêmement fier des femmes et des hommes qui en font partie. Ce sont des agents de police professionnels, et je profite de l'occasion pour saluer les efforts remarquables qu'ils déploient afin de protéger nos bases et nos escadres partout au Canada et d'appuyer les opérations des Forces armées canadiennes dans le monde entier.
Le Service national des enquêtes des Forces canadiennes est une unité indépendante qui relève directement de moi; il lui incombe de mener une enquête, de faire rapport et de porter des accusations quand des infractions graves d'ordre militaire ou criminel sont commises et quand surviennent des affaires délicates à la Défense nationale, y compris des plaintes concernant l'inconduite sexuelle.
Comme tout service de police, nous nous adaptons aux circonstances, à la lumière des pratiques exemplaires et des recommandations d'experts de l'extérieur. Pour donner suite aux recommandations formulées dans le rapport Deschamps, le Service national d'enquête a mis sur pied des équipes d'intervention en cas d'infraction sexuelle, les EIIS. Depuis 2016, ces équipes d'enquêteurs dévoués fournissent des conseils d'experts sur l'exécution des enquêtes concernant les infractions sexuelles. Elles accroissent la capacité du Service national d'enquête de protéger et de soutenir les victimes d'inconduite sexuelle en identifiant les auteurs d'infractions sexuelles criminelles, en faisant enquête sur eux et en aidant à les poursuivre en justice.
Le Service national d'enquête mène aussi son propre programme de services aux victimes de crimes, pour les aider en les dirigeant vers les ressources appropriées et veiller à les tenir constamment informées de l'évolution des enquêtes et des procès. L'an dernier, nous avons décidé de doter ce programme de postes civils à temps plein pour garantir l'optimisation des services offerts aux victimes, pour qu'elles se sentent appuyées et en sécurité.
Bien que je relève du vice-chef d'état-major de la défense pour ce qui concerne la gestion globale du programme de la police militaire, nous menons nos enquêtes de façon indépendante pour garantir l'intégrité du processus d'enquête, tant pour les victimes que pour les prévenus. Le grand prévôt demeure un acteur indépendant au sein du système de justice militaire, et nous veillons à ce que les membres de la police militaire et du Service national d'enquête disposent des ressources et du soutien dont ils ont besoin pour remplir leur mandat fondamental d'agents de police.
À titre de chef de police, je tiens à assurer aux membres du Comité et tout le personnel du ministère de la Défense et des Forces armées canadiennes qu'ils peuvent avoir confiance dans l'indépendance de notre processus et dans les capacités professionnelles de la police militaire.
Notre organisation apprenante s'efforce constamment d'améliorer ses processus, de manière à mieux appuyer les victimes et mieux servir la collectivité de la Défense. Je tiens à encourager quiconque songe à se manifester à le faire en sachant que notre organisation veillera à l'application régulière de la loi.
Je vous remercie de votre invitation et je répondrai avec plaisir à vos questions.
:
Je vous remercie pour la question.
L'enquête, le Programme d'examen des agressions sexuelles, a été lancée en 2018. Elle faisait suite à des articles qui, je crois, avaient été publiés dans le Globe and Mail selon lesquels la police, ordinairement, codait mal les dossiers non fondés d'agression sexuelle.
Nous avons employé le modèle d'une équipe d'examen externe pour examiner nos dossiers. De 2010 à 2018, on avait attribué le code « non fondé » à 126 dossiers d'agression sexuelle. Nous avons monté une équipe externe pour les examiner de façon indépendante. L'équipe comprenait notamment l'avocat d'une victime, un procureur civil ayant l'expérience des agressions sexuelles, une infirmière spécialiste des soins en traumatologie, un représentant du Centre d'intervention sur l'inconduite sexuelle et un représentant de la GRC.
Pendant l'examen, l'équipe a observé que les enquêteurs avaient noué d'excellents rapports avec les victimes, ce qui a également validé, pour nous, la formation adoptée de son propre chef par le Service national des enquêtes, en 2016, pour des entrevues tenant compte des traumatismes subis.
L'examen externe a été pour nous un modèle couronné de réussite, et nous pouvons le répéter au besoin.
:
Merci, madame la présidente.
Je vous remercie, brigadier-général Trudeau, d'être parmi nous aujourd'hui dans le cadre de cette importante étude.
Au Comité permanent de la condition féminine, nous essayons de voir comment les victimes peuvent être mieux accompagnées. C'est le but de notre étude. D'un point de vue plus féministe, il s'agit de déterminer comment les femmes peuvent prendre leur place dans l'armée.
Vous avez parlé de processus, de collaboration et de communication. Comment la communication se fait-elle entre l'ombudsman des Forces armées ou la police militaire et vous-même, en tant que grand prévôt des Forces armées canadiennes? Comment peut-on établir la collaboration qu'il y a entre vous?
L'ombudsman peut-il venir vous voir lorsqu'il reçoit des plaintes pour inconduite sexuelle, par exemple?
:
Je vous remercie de votre question.
Je trouve très important, en tant que chef de police, que les membres des Forces armées et le ministère de la Défense nationale sachent où nous joindre et comment transmettre l'information. C'est pour cette raison que beaucoup de nos contacts se trouvent dans les pages Web. C'est facilement accessible.
J'en ai parlé longuement, mais je crois que nous aurions avantage, mon équipe et moi, à trouver des façons de communiquer encore plus et d'informer les membres de la communauté de la Défense sur les façons de nous joindre, que ce soit pour nous parler de leurs problèmes ou pour nous transmettre une plainte.
:
D'une perspective policière, lorsqu'une plainte est déposée, je veux d'abord et avant tout offrir un soutien aux victimes, et assurer l'intégrité de l'enquête et de la procédure établie pour toutes les personnes impliquées.
Nous avons notre propre programme de services aux victimes. Comme je l'ai indiqué, nous le dotons de postes civils à temps plein. Nous allons plancher sur des normes et des politiques. Nous allons les élaborer et nous améliorer à ce chapitre, car nous nous soucions d'aider les victimes et savons qu'il s'agit d'un volet important de la procédure.
Pour ce qui est des victimes, les services aux victimes ont notamment pour rôle de les tenir informées du processus d'enquête, et même des procédures judiciaires.
De plus, du côté de nos ordonnances, nous y avons intégré de manière proactive les dispositions du projet de loi et certains éléments de la Charte des droits des victimes. Le tout se trouve dans nos nouvelles ordonnances du programme de services aux victimes. Nous y avons intégré de façon proactive les obligations qui découlent du projet de loi C-77. Ces obligations consistent à tenir les victimes informées du processus afin qu'elles aient leur mot à dire tout au long de celui-ci et qu'elles en comprennent chaque étape, du dépôt d'une plainte jusqu'aux procédures judiciaires.
:
Je vous remercie infiniment, madame la présidente.
Je remercie le témoin d'être avec nous aujourd'hui.
J'aimerais si possible poursuivre sur le même sujet. Nous avons entendu le témoignage du commandant du SNEFC, et c'est maintenant à votre tour de comparaître. On dirait que vous voulez nous donner l'impression que tout fonctionne comme sur des roulettes, que le système est efficace et que les auteurs d'agressions sexuelles, d'inconduites sexuelles ou d'abus de pouvoir font l'objet d'enquêtes indépendantes, sont accusés puis sont tenus responsables selon la gravité de l'infraction commise.
Cependant, le général Vance, l'amiral McDonald et l'amiral Edmundson ont fait l'objet d'allégations, et d'autres victimes se sont manifestées. Nous constatons donc qu'une tendance se dégage, de sorte que les choses ne se passent probablement pas aussi rondement.
Pouvez-vous nous confirmer maintenant qu'à vos yeux, tout fonctionne exactement comme il se doit, et que rien n'aurait dû être fait différemment depuis mai 2018, selon vos mécanismes de reddition de comptes?
:
Je vous remercie de poser la question.
Je ne peux pas parler de l'ensemble du système, mais uniquement de ce que je connais, à savoir le Groupe de la police militaire. Vous avez abordé l'indépendance de l'unité. Je suis fonctionnellement indépendant de la chaîne de commandement. Lorsque nous recevons des renseignements et que nous menons une enquête, celle-ci est indépendante de la chaîne de commandement. Dans mon rôle de grand prévôt, je ne communique à personne les détails des enquêtes en cours qui sont liés aux fonctions de police.
Nous avons apporté quelques changements au processus. Nous avons modifié notre programme de services aux victimes en créant les équipes d'intervention en cas d'inconduite sexuelle, ou EIIS. Cet exemple découle directement du rapport Deschamps et vise à accroître la capacité, les connaissances et l'expertise relatives aux enquêtes sur les infractions sexuelles criminelles. Notre organisation tire des leçons, et nous avons apporté des changements aux politiques et aux programmes. Sur le plan de l'indépendance, je peux vous assurer que nos enquêtes sont menées de façon autonome.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Merci beaucoup, monsieur le grand prévôt, d'être avec nous aujourd'hui. Selon ce que vous dites, il y aurait des problèmes très limités. En fait, vous dites qu'il n'y en a pas vraiment et que votre ministère peut répondre et donner suite immédiatement à toutes les plaintes. C'est ce qu'on comprend de vos propos.
Alors, où est le problème, selon vous?
Par exemple, dans le cas de l'affaire Vance, si la victime était venue vous voir, est-ce que la cause aurait abouti?
:
Je vous remercie infiniment.
Vous avez dit qu'il y a bel et bien des problèmes dans le système. Vous voulez faciliter la tâche aux femmes qui veulent dénoncer, de façon à ce qu'elles connaissent mieux le système et qu'elles soient au courant de votre indépendance et des options qui s'offrent à elles.
Encore une fois, je veux revenir au témoignage que Mme Raymond a prononcé devant notre comité, étant donné que nous l'avons entendu récemment et qu'il était très percutant. Elle a dit que si elle a pu obtenir une justice convenable, c'est uniquement parce qu'elle a entamé des démarches en dehors de l'armée.
Si c'est vrai, pouvez-vous aider les victimes à suivre cette voie?
Merci de témoigner et de répondre à nos questions.
Vous avez mentionné le projet de loi dans une partie de votre témoignage. Je sais que certains disent qu'il n'est pas encore en vigueur, mais de nombreux éléments sont déjà en place. Vous en avez mentionné certains, y compris, bien sûr, l'objectif premier du projet de loi , qui est la Déclaration des droits des victimes.
Je me demandais si vous pouviez nous parler un peu de la façon dont le projet de loi est mis en œuvre et déployé, et des changements apportés en conséquence.
:
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.
J'enseigne l'histoire militaire canadienne au département d'histoire de l'Université Queen's. J'ai également enseigné à des officiers supérieurs au Collège des Forces canadiennes à Toronto. J'ai servi pendant 25 ans dans l'Aviation royale du Canada et les Forces armées canadiennes en tant que navigateur aérien.
Le chef d'état-major de la défense par intérim, le lieutenant-général Wayne Eyre, a déclaré que l'opération Honour était terminée et que les FAC allaient « [élaborer] un plan délibéré pour aller de l'avant ». Aujourd'hui, j'examinerai brièvement quatre mesures qui, selon le lieutenant-général Eyre, feraient partie de ce plan: l'exécution d'un examen externe des FAC et de leur culture, le renforcement de la formation, l'amélioration du recrutement et le rétablissement de la « confiance là où elle a été trahie ».
L'examen externe réalisé en 2015 par la juge Deschamps sur l'inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel au sein des FAC, les rapports du gouvernement et les nombreux articles et exposés universitaires ont nettement mis en évidence la nature des problèmes et leurs solutions. Il ne s'agit pas maintenant de cerner les problèmes au moyen d'un autre examen externe ou, comme l'a dit le lieutenant-général Eyre, d'écouter et d'apprendre, mais de s'attaquer réellement aux problèmes.
Le lieutenant-général Eyre a déclaré que les FAC renforceraient la formation jusqu'au point où les membres des FAC se feraient constamment rappeler la forme que prennent les droits. Cependant, selon l'évaluation réalisée par le vérificateur général en 2018 de la formation des FAC sur les comportements sexuels inappropriés:
Nous avons constaté que les séances d’information et de formation offertes par la chaîne de commandement n’avaient pas aidé les militaires à mieux comprendre comment intervenir auprès des victimes et leur venir en aide, mais qu’elles avaient plutôt suscité de la confusion, de la frustration et de la crainte, en plus d’avoir miné l’esprit de camaraderie.
Les récits personnels de femmes qui sont en ce moment ou qui ont déjà été membres des FAC ont confirmé ces constatations. Elles ont déclaré que la formation était souvent dispensée par des membres supérieurs non qualifiés de l'unité, qui en profitaient pour critiquer certains aspects de l'opération Honour et pour reprocher aux femmes de l'unité de causer des problèmes ou de nuire à la cohésion de l'unité.
Le lieutenant-général Eyre a également réitéré les engagements passés des FAC visant à améliorer les processus de recrutement afin d'augmenter le nombre de femmes dans les FAC, le dernier objectif étant que les femmes représentent 25 % des FAC d'ici 2026. Cependant, un rapport du vérificateur général de 2016 a noté qu'en l'absence d'objectifs ou de stratégie, les FAC avaient peu de chances d'atteindre cet objectif. Le rapport a également étayé des défaillances de longue date du système de recrutement et de maintien en poste des FAC, qui remontent à près de 20 ans et que les FAC ont négligé de corriger.
Enfin, le lieutenant-général Eyre a déclaré que de nouveaux efforts seraient déployés pour « rétablir la confiance là où elle a été trahie ». Cependant, l'un des objectifs de l'opération Honour était de « regagner la confiance de nos militaires ». Avec l'opération Honour, les FAC ont tenté de lutter contre l'inconduite sexuelle dans leurs rangs par un « engagement direct, délibéré et soutenu de la part des dirigeants des FAC et de toute la chaîne de commandement ». Les récentes révélations sur l'inconduite sexuelle de certains hauts dirigeants des FAC laissent penser qu'ils ont perdu la confiance de leurs subordonnés et qu'ils seront donc incapables d'apporter des changements à l'avenir sans une surveillance externe efficace.
En conclusion, les mesures qui doivent être prises pour lutter contre l'inconduite sexuelle au sein des FAC sont bien connues. Cependant, pour réussir, elles doivent faire l'objet de la surveillance soutenue et active d'un organisme véritablement indépendant. Cet organisme devrait être externe au ministère de la Défense nationale et aux FAC, car la haute direction du MDN comprend de nombreux anciens membres des FAC à la retraite qui ont fait partie des problèmes dans le passé. Si la planification détaillée et la mise en œuvre de solutions aux problèmes d'inconduite sexuelle dans les FAC doivent faire intervenir des membres des FAC, il faudrait que leurs actions soient soumises à l'examen d'un organisme indépendant ayant le pouvoir d'exiger le respect de ses directives.
Pendant cinq ans, les dirigeants des FAC n'ont pas eu la volonté ou la capacité de traiter efficacement les cas d'inconduite sexuelle dans leurs rangs. Par conséquent, une surveillance externe est la prochaine étape logique à franchir pour faire face à ce problème. Sinon, les FAC vont s'engager sur la même voie que celle qui les a menés à l'échec par le passé.
Merci.
:
Je vous remercie, madame la présidente. De nos jours, nous connaissons tous les plaisirs de la connectivité.
Je m'adresse à vous depuis Toronto, le territoire traditionnel des Mississaugas de Credit, des Chippewas et des Wendats.
Je travaille sur les questions de harcèlement dans les FAC depuis plus de 40 ans, à titre de membre et d'universitaire. À mes yeux, la version actuelle du film comprend des forces et des faiblesses.
Nous savons que l'opération Honour n'a pas donné les résultats escomptés; vous voulez savoir pourquoi. La raison tient à une compréhension incomplète des problèmes qui a conduit à l'élaboration de solutions incomplètes, sous-tendue par une réticence à analyser d'un œil critique certains aspects de la culture et de l'identité des FAC.
Au cœur du problème se trouve le fait qu'on en parle comme si c'était une question d'inconduite sexuelle. Il se peut bien que certains membres des Forces armées canadiennes en importunent d'autres en leur faisant des avances, mais le problème principal n'a rien à voir avec le sexe. Si je vous frappais avec une pelle, vous ne diriez pas que j'ai commis un acte de jardinage inapproprié. En réalité, c'est une question de pouvoir. Un langage codé sur le plan sexuel ou racial est employé pour établir et contrôler les hiérarchies sociales définissant qui est important et qui ne l'est pas.
Mille fois répété, ce supplice de la goutte porte atteinte à la confiance en soi, à l'identité et au sentiment d'appartenance. Comme vous l'avez entendu la semaine dernière, le traumatisme sexuel dans le contexte militaire constitue un préjudice moral grave.
La voie commence à élargir un peu le cadre du problème. Elle reconnaît l'existence de facteurs culturels pouvant multiplier les cas d'inconduite sexuelle. Toutefois, la porte n'est que légèrement ouverte. La principale omission est la réticence persistante à nommer le pouvoir et les masculinités militarisées. Pour cela, il faudrait faire une analyse attentive et critique de la façon dont l'armée conçoit le soldat, le marin et l'aviateur, sans oublier le chef et le commandant. Nous devons examiner les processus institutionnalisés et systémiques qui façonnent l'identité militaire et nous poser la question: quelle part de son identité une personne doit-elle abandonner pour réussir dans les FAC?
La majorité des dirigeants des Forces armées canadiennes n'ont jamais eu à réfléchir à cette question. Les gauchers savent qu'ils vivent dans un monde de droitiers, mais les droitiers, eux, l'ignorent. Lorsque le monde est conçu pour nous, nous ne le remarquons pas. La plupart des hauts gradés sont parfaitement à l'aise dans les FAC. Ils continuent donc d'utiliser des termes et de tenir des propos qui, selon eux, interpellent l'ensemble des effectifs, mais qui servent en fait à accentuer l'identité dominante, renforçant ainsi les hiérarchies sociales et donnant à certains le sentiment d'être isolés, ignorés ou non valorisés pour ce qu'ils sont.
Parmi les analyses effectuées, j'attire votre attention sur le rapport publié en 2016 par la commission américaine pour l'égalité des chances, dans lequel sont nommés 12 facteurs augmentant le risque de harcèlement en milieu de travail. Les FAC affichent un classement assez élevé pour plusieurs d'entre eux: de fortes disparités de pouvoir, l'incitation à la consommation d'alcool, un effectif jeune, l'utilisation d'un langage grossier, une culture dominée par un seul sexe et un effectif homogène. Seuls deux de ces facteurs sont abordés dans la voie actuelle.
Pour s'attaquer en bonne et due forme aux facteurs institutionnels et systémiques qui créent les conditions dans lesquelles un langage à caractère sexuel est utilisé pour rabaisser les autres, les Forces armées canadiennes doivent cesser de mettre l'accent sur la personne. Les cas de harcèlement et le fait qu'ils sont peu signalés ne sont pas dus à une ignorance de la définition de ce qui est inapproprié ou de la procédure à suivre pour faire un rapport. Ces conditions sont le fruit de facteurs sociaux bien ancrés qui ont été créés intentionnellement par les FAC. S'attaquer à ces facteurs signifie remettre en question certains principes fondamentaux de la profession, des éléments qui sont essentiels à la réussite, mais qui peuvent aussi créer des conditions malsaines, par exemple l'obéissance à l'autorité, le conformisme normatif, la loyauté envers le groupe, le recours au pouvoir et la pratique de juger les autres pour voir s'ils sont à la hauteur.
Enfin, il est maintenant clair que certains hauts gradés n'ont pas lutté de manière efficace contre les problèmes d'inconduite sexuelle. Certains se sont enfermés dans un mutisme éthique et moral, tandis que d'autres membres des FAC vivent dans un univers parallèle. Il y a des hommes qui ne comprennent véritablement pas ce que les femmes ou d'autres personnes vivent en ce qui concerne leur carrière, leur milieu de travail ou leurs collègues. Ils tiennent pour acquis que leur expérience est aussi celle de tous les autres. Ils n'ont jamais examiné d'un œil critique les questions de privilège et d'avantage. Ils n'ont jamais constaté la manière dont d'autres sont tenus à l'écart, marginalisés ou désavantagés. Ils ne voient pas les mécanismes sociaux informels que les victimes de harcèlement utilisent pour faire comprendre à l'idiot d'arrêter.
Il se peut que des hauts gradés apprennent qu'un incident est survenu à la cantine, mais que les deux parties ont eu une discussion et que le tout est réglé; ils croient donc qu'il n'y a eu ni préjudice ni faute. Ils ne reconnaissent pas que tout ce que la partie lésée peut espérer obtenir, ce sont des excuses faites à contrecœur qui ne répareront pas le préjudice moral subi et qui ne l'empêcheront pas de vivre dans la peur.
Certains hauts gradés affirment en toute honnêteté n'avoir jamais été témoins d'incidents d'inconduite sexuelle. La raison est qu'ils portent des œillères culturelles qui leur permettent de ne pas les voir. C'est là un des éléments principaux du changement culturel que les Forces armées canadiennes doivent entreprendre.
Ma question pour le Comité est la suivante: quels conseils allez-vous fournir aux dirigeants des Forces armées canadiennes pour faire en sorte qu'ils adoptent des mesures efficaces?
Je serai heureux de répondre à vos questions.
Je suis si fière d'être entourée d'historiens, car à l'époque où j'étais professeure, j'enseignais l'histoire mondiale et je faisais aussi beaucoup de recherche sur la culture. Je me trouve donc dans mon élément.
Monsieur English, le 26 février, vous avez comparu devant le Comité permanent de la défense nationale dans le cadre de son étude sur le harcèlement sexuel dans les FAC, à laquelle il a mis fin récemment. Durant la déclaration préliminaire que vous avez faite ce jour-là, vous avez souligné qu'au cours des 30 dernières années, les Forces armées canadiennes n'ont pas réussi à mettre en oeuvre un « changement culturel complet ».
L'opération Honour constitue la dernière tentative par les FAC d'apporter un tel changement. À votre avis, l'opération Honour a-t-elle été un succès? De quelle manière a-t-elle échoué? Vous avez abordé le sujet durant votre déclaration préliminaire, mais j'aimerais que vous nous fournissiez plus de détails.
Je vous remercie.
:
Je vous remercie. Je suis heureux d'être ici à titre d'historien. Je vais laisser M. Okros parler pour lui-même, mais il n'est pas historien.
Une députée: Ha, ha!
M. Allan English: Ce n'est pas grave.
L'opération Honour a échoué essentiellement juste... D'après la juge Deschamps, la cause principale de l'inconduite est la culture toxique et très sexualisée des Forces armées canadiennes, d'où sa recommandation de procéder à un « changement culturel complet ».
La première réaction a été celle du général Tom Lawson, qui était chef d'état-major de la défense à l'époque. Il a déclaré: « Je n'accepte pas les dires selon lesquels ce type de comportement fait partie de notre culture militaire ». Cette attitude est toujours présente aujourd'hui; elle est reflétée dans la dernière stratégie d'intervention en matière d'inconduite sexuelle, La voie vers la dignité et le respect, qui ne demande qu'un réalignement culturel, comme s'il s'agissait d'un problème mineur.
À mon avis, toutes les activités entreprises au cours des 30 dernières années ont échoué parce que les FAC ne sont pas prêtes à changer leur culture ou en sont incapables.
:
Je vous remercie pour la question. Je suis professeur d'histoire; je suis habitué aux questions ouvertes.
L'opération Minerva faisait partie d'un ensemble de mesures d'intervention mises en œuvre dans les années 1990 en vue de résoudre ce que Maclean's avait appelé la crise des viols dans les Forces armées canadiennes. Elle faisait également partie des mesures d'intégration des femmes dans les Forces canadiennes exigées par la Commission canadienne des droits de la personne. Un rapport sur l'opération Minerva publié par le chef du service d'examen est toujours disponible en ligne; il décrit les causes de l'échec de cette opération.
Ces causes sont presque exactement les mêmes que celles qui ont mené à l'échec de l'opération Honour. Les dirigeants supérieurs ne s'étaient pas réellement engagés à la mener à bien; les mesures prises étaient nombreuses, mais inefficaces; elle ne faisait pas l'objet d'un examen continu, ce qui a aussi été un énorme problème dans le cas de l'opération Honour. Au bout du compte, il s'est passé exactement la même chose qu'avec l'opération Honour: l'équipe originale mise sur pied pour la mettre en œuvre a été réintégrée dans l'organisation et dégradée peu à peu, jusqu'à ce qu'elle disparaisse.
Dans un rapport que j'ai préparé en 2016 à l'intention de l'équipe d'intervention stratégique en matière d'inconduite sexuelle, j'ai écrit qu'elle n'avait qu'à lire le rapport sur l'opération Minerva publié en 1998 par le chef du service d'examen pour savoir exactement quoi éviter. J'ignore si quelqu'un l'a lu, mais voilà la réponse courte.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je remercie les deux témoins de leur présence. Les informations dont vous nous faites part sont indéniablement précieuses.
Monsieur Okros, le Comité a une occasion unique d'étudier l'inconduite sexuelle en se fondant sur l'analyse comparative entre les sexes, ainsi qu'en adoptant une approche centrée sur les survivantes et axée sur les traumatismes. Vous avez beaucoup travaillé sur le dossier de l'amélioration de l'efficacité opérationnelle militaire en menant des recherches sur les femmes et la diversité.
Pouvez-vous nous expliquer quelles pourraient être les conséquences directes d'un changement de culture et de politique en matière d'inconduite sexuelle sur l'efficacité opérationnelle militaire?
:
Je vous remercie pour votre réponse, monsieur.
Monsieur English, vous avez mené des recherches sur la culture militaire du point de vue canadien. D'après vos constatations, qu'est-ce qu'une culture militaire? Aussi, quelles sont les différences entre les agressions sexuelles commises dans le milieu militaire et celles qui se produisent dans le contexte civil, et quelles mesures pouvons-nous prendre à l'égard des défis propres aux forces armées?
Finalement, qu'avez-vous découvert dans le cadre des recherches que vous avez menées du point de vue international sur les mesures de lutte contre les agressions sexuelles au sein des forces armées? Quels exemples en provenance d'autres pays pourraient orienter les changements de politiques à apporter dans les Forces armées canadiennes?
:
Je vais tenter d'être bref.
Je pourrais donner un séminaire de deux heures à ce sujet.
En gros, c'est la culture qui dicte la manière dont les choses devraient être faites. Il existe une culture officielle, soit les règles, la réglementation, etc., ainsi qu'une culture informelle. Quelqu'un a déjà dit que la culture ne fait toujours qu'une bouchée de la politique. Dans les faits, c'est la culture informelle qui dicte ce qui se passe au sein de l'organisation. Les dirigeants vous disent comment ils voudraient que les choses se passent, puis les autres vous disent comment elles se passent réellement. La clé est donc la culture informelle. Dans toute organisation, chacun apprend que l'approche officielle n'est pas celle qui est suivie.
La seule différence entre le milieu civil et la culture militaire, c'est le pouvoir de la hiérarchie et des individus. Un commandant a le droit, en vertu de la loi, d'ordonner à quelqu'un de mettre sa vie en péril. C'est la seule profession au Canada où ce droit existe; il s'agit d'un pouvoir remarquable.
Comme M. Okros l'a dit, il y a la nécessité de travailler en équipe, et comme la lieutenante-colonelle Eleanor Taylor l'a dit, les gens choisissent parfois de tolérer l'inconduite sexuelle parce que se faire rejeter par son équipe peut être pire.
Je vais m'arrêter là, sinon je parlerai trop longuement. J'espère que ces observations vous sont utiles.
:
Messieurs Okros et English, je vous remercie beaucoup de vos témoignages. Vos points de vue d'historiens nous rappellent que le problème, la culture et les cas d'agression sexuelle dans l'armée canadienne remontent déjà à très loin. Des choses ont été faites, mais la situation n'a pas bougé assez rapidement.
Il y aurait tellement de choses à dire. D'abord, monsieur Okros, vous avez parlé de la culture dans l'armée canadienne. J'aimerais vous en entendre parler en lien avec l'opération Honneur, La voie vers la dignité et le respect.
Quel est votre souci concernant les critères de sélection des dirigeants qui sont abordés dans La voie vers la dignité et le respect?
Parlez-nous du processus qui implique un changement de culture. Que pensez-vous de La voie vers la dignité et le respect?
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Comme je l'ai mentionné, je pense qu'il faut procéder à deux changements importants.
Il faut tout d'abord, comme je l'ai dit, procéder à un virage en faveur de l'inclusion. L'armée s'emploie vigoureusement à imprégner les gens d'une même identité, alors elle doit permettre et accepter d'avoir des équipes inclusives.
Il faut ensuite accorder plus d'importance à l'évaluation des capacités et de l'efficacité des dirigeants à créer des équipes solides. Dans certains cas, les dirigeants sont récompensés pour avoir accompli une tâche, mais on ne prend pas assez le temps d'en examiner le coût.
Certaines équipes sont laissées pour compte parce qu'elles sont épuisées et brisées et qu'elles n'arrivent plus à fonctionner. Je pense que les dirigeants devraient être tenus responsables des équipes qu'ils forment et des équipes qu'ils laissent derrière eux lorsqu'ils sont affectés à un nouveau poste.
:
Il y a donc l'obligation de rendre des comptes pour les dirigeants, mais il y a aussi la question de la formation.
J'aimerais revenir sur ce sujet.
Mme Julie S. Lalonde est venue témoigner devant le Comité.
Comment expliquez-vous ce qui lui est arrivé durant une formation qu'elle donnait au Collège militaire royal de Saint-Jean, où elle expliquait avoir reçu beaucoup de commentaires disgracieux de la part des gens en formation qui se trouvaient devant elle?
Êtes-vous surpris de la réaction des militaires pendant que Mme Lalonde essayait de les sensibiliser aux cas d'agression, entre autres?
:
La plupart de mes observations à ce sujet reposent sur le rapport du vérificateur général de 2016 sur le recrutement et la rétention. C'est celui qu'il faut consulter, je crois, car il comprend beaucoup de détails sur tout ce qui ne fonctionne pas dans le système de recrutement et de rétention des Forces canadiennes.
On mentionne également qu'on parle de ces mêmes problèmes depuis 2002 et que rien n'a changé. C'est pourquoi je suis d'avis qu'il est crucial d'avoir une surveillance externe. Les forces continuent de promettre qu'elles apporteront des changements, mais sans surveillance externe, rien ne se fait, et le vérificateur général ne peut faire que des recommandations. Il recommande, mais rien ne se fait. Selon les derniers chiffres que j'ai en main et qui datent de 2020, et suivant les objectifs de 2016, le pourcentage de femmes dans les Forces canadiennes devraient se situer à 19 %, alors qu'il est à 15,8 %, disons 16 %, aujourd'hui. Les Forces canadiennes tirent de l'arrière par 3 %, et selon le vérificateur général, sans plan, sans stratégie et dans un système qui ne fonctionne pas, elles n'y arriveront pas.
:
Je vous remercie beaucoup.
Lors du témoignage que nous avons entendu pendant la séance précédente, j'ai trouvé inquiétant d'entendre le brigadier-général du bureau du prévôt répéter qu'il était indépendant et que son bureau fonctionnait de façon totalement indépendante de la structure de commandement. Il ne semblait pas voir la nécessité de procéder à des changements.
Nous avons pourtant entendu dire à maintes reprises, par Mme Deschamps, par vous deux ici aujourd'hui, et dans toutes les études publiées par le vérificateur général que l'indépendance est la clé. Pouvez-vous nous parler de la contradiction entre ce que nous venons d'entendre et ce qu'on nous a répété tout au long de cette étude — et ce que vous nous avez dit vous-mêmes aujourd'hui — au sujet de l'indépendance de la seule entité au sein des Forces armées canadiennes qui pourrait porter des accusations et qui pourrait mener ces enquêtes criminelles sur les inconduites à caractère sexuel?
:
Madame la présidente, si vous le permettez, je vais commencer et céder ensuite la parole à mon collègue.
Suivant le témoignage du précédent témoin, je pense qu'il faut être conscient que ces situations ne se produisent pas en vase clos. Lorsqu'elles se produisent, il y a habituellement des témoins. Il y a des gens à qui les amis parlent. Lorsqu'une personne prend la décision de porter plainte officiellement, elle peut souvent le faire auprès de la chaîne de commandement. Des gens sont au courant de la situation avant que la plainte arrive au Service national des enquêtes des Forces canadiennes et qu'il y ait une enquête officielle.
Nous sommes aussi conscients que dès le début d'une enquête, malgré les mises en garde des enquêteurs, les gens vont parler à d'autres gens après avoir été interrogés. Un des problèmes qui en découle, ce sont les rumeurs. Cela ne peut jamais se faire totalement en vase clos.
Je ne dirais pas que le problème est lié aux processus internes. Je sais que la police militaire travaille fort pour s'assurer que ses enquêtes sont menées de façon très professionnelle, mais je pense qu'il faut être conscient qu'elles ne se déroulent pas en vase clos. Je pense au contexte plus large des collègues et des supérieurs qui peuvent être en partie au courant, qui sont disposés à parler de certaines choses... Très honnêtement, je dirais que nous avons vu dans l'opinion publique au cours des trois derniers mois moult conjectures au sujet des officiers supérieurs, même si l'enquête n'est pas encore terminée.
Il faut situer le tout dans un contexte social plus large, ce qui nous ramène à la culture. Il faut que le respect de la confidentialité fasse partie de la culture. Il faut que les gens comprennent qu'il n'est pas approprié d'en parler. Quand j'entends une rumeur juteuse, je ne vais pas en parler à mes amis et l'afficher sur Facebook. C'est ce genre de respect pour ses collègues qui doit faire partie de la culture afin de réduire les torts qui sont causés lorsque les gens s'expriment et dénoncent une situation.
Je vous remercie.
:
Mme Stéphanie Raymond nous a parlé notamment de l'idée voulant que ceux qui montent en grade deviennent bien vus. Ils sont protégés. On leur donne beaucoup de... Nous parlions de pouvoir aujourd'hui, mais ce pouvoir ne fait que continuer à croître. Cela se voit du bas jusqu'au haut de l'échelle. En tant que chef d'état-major de la défense, la personne qui occupe le poste est, selon ce à quoi on s'attend, celle qui a le plus de pouvoir, celle qui est le mieux vue, et ceux qui l'entourent — et espérons qu'un jour ce poste sera occupé par une femme — sont tous protégés.
Vous avez dit qu'il existe des influences culturelles formelles et informelles. Les dirigeants sont censés parler, du moins, des influences formelles, mais s'ils n'assument pas cette responsabilité, que se passe-t-il? J'aimerais aller plus loin pour parler, en fait, des dirigeants politiques qui n'assument pas la responsabilité de certaines actions.
Pouvez-vous me dire tous les deux ce que vous en pensez?
:
Je peux commencer par parler des influences formelles et informelles. Je ne suis pas un expert dans le domaine des dirigeants politiques, alors vous pourriez vouloir en parler avec des politicologues. Je vais m'en tenir au domaine militaire.
Dans l'armée, il existe aussi un leadership formel et informel, et les dirigeants bien vus possèdent beaucoup d'attributs qui sont conformes à la culture, alors si on est en présence d'une culture toxique et misogyne, les gens qui s'y conforment montent en grade et sont admirés.
Sans changement de culture, malheureusement, en présence de ces influences, les gens admirent ces dirigeants. Nous avons beaucoup d'exemples où les victimes sont intimidées. Pour les bonnes ou les mauvaises raisons, les gens admirent les dirigeants et les suivent. Sans changement de culture, il n'y aura guère d'autres changements, à mon avis.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je remercie les témoins également.
Vous avez parlé de changer la culture et ma question va dans ce sens. Nous avons entendu dire dans les médias et les témoignages au sein de notre comité et de celui de la défense nationale que des allégations d'abus de pouvoir et d'inconduite sexuelle contre des généraux et des amiraux demeurent non résolues. Vous avez parlé du pouvoir immense de la hiérarchie.
Selon vous, monsieur English, les futures tentatives d'apporter des changements culturels dans les Forces armées canadiennes risquent-elles d'être vouées à l'échec si les hauts dirigeants actuels ne sont pas tenus responsables de leurs infractions passées?
:
Je vais vous parler du point de vue d'un historien. Nous nous intéressons au passé. Je ne suis pas très doué pour le présent, alors vous pourriez vouloir poser la question à mes étudiants dans 20 ans lorsque tous les documents seront disponibles.
Une des méthodes de travail qu'utilisent les historiens, c'est d'examiner un dossier complet. À l'heure actuelle, malheureusement, nous n'avons que des récits incomplets des événements. Permettez-moi de remonter à une période où on a procédé à des changements réels dans les Forces armées canadiennes avec une surveillance externe. Cela s'est produit après l'affaire en Somalie.
Le ministre s'est impliqué directement dans les changements, et il s'est heurté à beaucoup de résistance de la part des hauts dirigeants des forces armées. Il a fait appel à un comité de surveillance du ministre, dont certains membres avaient siégé à la commission sur la Somalie. Ils l'ont conseillé directement et il a imposé les changements. À partir de cet exemple historique, que ce soit le ministre ou un organisme externe — et c'est sans doute pourquoi cet organisme doit être totalement extérieur au ministère de la Défense —, on peut voir que les changements passent, historiquement, par une personne qui veut procéder à des changements.
:
Je vous remercie. Je vais faire deux observations.
Je pense qu'il est important notamment de faire la distinction entre une enquête officielle sur une inconduite sexuelle — et je pense que vous avez reçu des recommandations claires voulant qu'il soit nécessaire d'avoir plus d'indépendance dans ces processus — et l'autre élément dont nous avons parlé, soit la culture.
Mettre en place des mécanismes pour permettre aux militaires, et en particulier aux subalternes, de le signaler s'il se passe quelque chose qui n'est pas correct, qu'il s'agisse d'un leadership toxique, d'un environnement de travail empoisonné ou malsain... Donner l'occasion aux gens de signaler que quelque chose ne va pas et de dire « venez voir ce qui se passe » permet de remonter à la source du problème et peut, en fait, nous amener à prévenir les torts dès le départ. D'autres mesures peuvent ensuite être mises en place et peuvent, je pense, accroître la confiance des victimes à aller de l'avant pour porter plainte.
:
Comme nous le savons, les masculinités et le patriarcat sont les modes de fonctionnement de nombreuses sociétés. Ils créent des systèmes et des structures qui privilégient les hommes et occasionnent des défis et des problèmes aux femmes, ainsi que des discriminations à leur égard.
Quant au concept des masculinités militarisées, il est pratiqué de manière très significative dans un contexte militaire. Encore une fois, il renvoie aux éléments dont nous avons parlé: la construction du prototype du soldat idéal, la manière dont le leadership et le commandement sont exercés et la façon dont le pouvoir et les privilèges sont accumulés et mis en pratique. Ces éléments sont différents et uniques dans un contexte militaire. Les nombreux écrits dans ce domaine nous disent que nous devons les remettre en question. Nous devons opérer des changements fondamentaux, en commençant par veiller à ce que ceux qui ont accumulé ces privilèges voient et comprennent ce qu'ils sont devenus et l'influence que cela a eue sur eux et sur leur vision du monde.
Mon dernier commentaire bref est que l'armée est l'une des professions les moins autoréflexives de toutes. Dans de nombreuses autres professions — dans le domaine de la médecine et de la religion organisée, par exemple —, les praticiens sont constamment encouragés à réfléchir à la manière dont leur pratique professionnelle influence leur vision du monde. Il serait utile que l'armée s'engage dans cette voie, de manière assez systématique.
:
Je vais aborder deux aspects.
Lorsque j'étais en uniforme, j'étais responsable de l'équipe qui a élaboré la doctrine de leadership actuelle, donc je la connais assez bien. Elle a été élaborée en 2003-2004. À l'époque, nous avons cherché à l'enrichir en utilisant les perspectives et la compréhension du genre, mais je dois dire qu'elle est incomplète.
Si nous examinons les écrits sur le leadership ces jours-ci, nous constatons que des travaux ont été réalisés sur le leadership authentique, le leadership inclusif, le leadership fondé sur le caractère et la compréhension de la nature sexuée des différences dans le leadership, à la fois dans la façon dont le leadership est exercé et dans la façon dont diverses personnes réagissent au leadership. Il y a beaucoup de travail à faire dans ces domaines, et très honnêtement, je pense que cela s'applique à ceux qui occupent des postes de haut niveau et ont le privilège d'assumer des charges publiques. Il devrait y avoir des mises à jour et des changements. Nous avons des traditions qui se perpétuent.
Le dernier commentaire succinct que je ferai est que la plupart d'entre nous apprennent à exercer le leadership en observant les dirigeants au fil de leur carrière. Lorsque les seuls modèles que vous pouvez voir sont des hommes qui exercent des formes de leadership très masculines, il n'est pas surprenant que les hommes et les femmes qui évoluent dans ce système reproduisent ces modèles de leadership.
Je pense que les Forces armées canadiennes travaillent avec beaucoup de diligence à former et à promouvoir non seulement les leaders féminins, mais aussi les personnes qui dirigent de différentes manières. Je pense que c'est une chose importante qui nécessite plus d'attention et plus de travail.
:
Merci, madame la présidente.
Merci aux deux témoins de s'être joints à nous aujourd'hui. En tant qu'ancien professeur d'anglais, j'apprécie vraiment la façon dont vous abordez cette question.
Pendant la période des questions au sein de mon comité, mais aussi au sein du comité de la défense... Comme vous le savez peut-être, les libéraux ont mis fin aux discussions au sein du comité de la défense, et cette situation me préoccupe.
Ce que je veux aborder avec vous deux aujourd'hui, c'est que nous tenons ces discussions parce qu'il y a manifestement un problème culturel qui traumatise à nouveau les femmes et les autres personnes vulnérables dans ce genre de situations. Il n'y a pas eu de changement, et je suis heureuse que vous parliez de changement culturel et de la manière dont il se produit réellement du côté de la culture non officielle.
Lorsque j'ai parlé au lors d'une réunion précédente, je n'ai cessé de revenir sur la question de savoir comment un changement culturel peut se produire s'il y a un manque d'honnêteté et de prise de responsabilité. Je pense que les discussions très importantes que nous menons aujourd'hui sont une occasion à saisir. C'est comme lorsqu'une personne atteinte d'un cancer subit une opération chirurgicale dans laquelle on lui enlève la tumeur avant de la recoudre. On lui enlève la tumeur cancéreuse pour qu'elle ait de meilleures chances de survie.
Lorsque ces choses sont mises au jour, il ne sert à rien d'avoir ces discussions si on recoud le patient sans lui enlever la tumeur cancéreuse. Ce cycle ne sera pas brisé. Je pense donc que les parties responsables ont de nombreuses occasions de s'expliquer.
Je sais qu'en tant qu'historiens, vous étudiez l'histoire pour éviter qu'elle ne se répète. C'est en partie la raison pour laquelle on étudie l'histoire, je pense, afin que la culture d'aujourd'hui ne se répète pas.
Pouvez-vous nous dire comment les dirigeants de ce pays, qu'il s'agisse du ou du , pourraient se montrer plus responsables dans ce processus et faire preuve d'humilité pour briser ce cycle et apporter ce changement culturel depuis le sommet de la hiérarchie?
La question s'adresse à vous deux. Merci.
Monsieur Okros, je suis très heureuse que vous ayez parlé du genre de discussions qui ont lieu en ce moment — les consultations, les groupes consultatifs et les consultations avec les survivants et les personnes touchées aux plus hauts niveaux. Je sais que, dès le début, l'opération Honour n'était qu'un point de départ. C'est une série de choses en constante évolution, dans laquelle s'inscrit la publication récente de « La voie vers la dignité et le respect » sur le changement de culture.
Nous avons entendu parler plus tôt aujourd'hui du projet de loi , qui instaure une déclaration des droits des victimes. Nous avons également entendu parler d'un examen de tous les cas d'inconduite sexuelle non fondés qui ont été présentés et d'un certain nombre de choses différentes, dont la moindre n'est pas, bien sûr, le comité consultatif que le ministre vient de mettre sur pied pour examiner le racisme, la discrimination, le sexisme et toute autre forme de discrimination et de préjugés.
Monsieur Okros, dans quelle mesure est-il important que ce soit un moyen en constante évolution de trouver des solutions? Je sais qu'on nous a dit que le est tout à fait ouvert à la recherche d'autres solutions et d'autres processus, et qu'il est aussi ouvert, en fait, aux recommandations de ce comité, fondées sur la trentaine de témoignages et les 25 heures que nous avons consacrées à l'étude, ainsi qu'à celles du comité de la défense. Dans quelle mesure est-il important que ce processus soit en constante évolution?
:
J'ai deux commentaires à formuler.
Tout d'abord, je suis tout à fait d'accord pour dire que c'est important, et je suis tout à fait d'accord sur l'évolution. L'un des défis de l'opération Honour était qu'il y avait une finalité. La société canadienne n'a jamais cessé d'évoluer et, par conséquent, les Forces armées canadiennes doivent continuellement évoluer. Je pense que ces processus seront utiles et nécessaires à l'avenir.
L'autre commentaire que je ferais est que, bien qu'on s'efforce de rejoindre les gens, il faut, encore une fois, comprendre les conséquences du traumatisme sexuel militaire. Il faut comprendre qu'il y a encore des personnes qui ne sont pas capables ou désireuses ou en position de se manifester et de parler. Je pense qu'une partie de ce travail doit consister à rejoindre les organisations et les collègues avec lesquels ces personnes sont disposées à parler, afin qu'elles puissent faire entendre leur voix.
Le dernier commentaire succinct que je ferai est que nous devons faire très attention aux personnes qui parlent au nom des autres. Je ne peux pas parler au nom des membres des forces armées, et je ne peux certainement pas parler au nom des femmes. Je pense que c'est préoccupant lorsque des personnes choisissent de parler au nom d'autres groupes.
:
Encore une fois, je voudrais faire deux brefs commentaires.
Cette démarche fait partie de la connaissance de soi et de la compréhension de soi. Je pense que plus nous pouvons prendre des mesures pour aider les gens... Je dois dire que je suis le meilleur exemple ici. Les vieux hommes blancs comme moi, en particulier, doivent vraiment ouvrir les yeux et commencer à apprendre. Nous devons également examiner les coutumes et les pratiques qui renforcent ces choses. On peut en observer un exemple simple dans ce comité. L'ordre des interventions et la durée des questions signalent une hiérarchie du pouvoir. Nous devons réfléchir au message qui est véhiculé. Qui est la personne la moins importante sur cet écran en ce moment? Quels sont les moyens par lesquels nous pouvons niveler ou aborder ces questions ou faire en sorte que ceux qui ont l'impression d'être les moins importants aient encore le pouvoir de s'exprimer et de dénoncer la situation?
C'est complexe. Toutes les organisations, toutes les institutions, la pratiquent. Il faut des communications ouvertes. La chose la plus importante à laquelle je veux revenir est qu'il faut que les voix les plus faibles puissent être entendues le plus possible.