Je tiens à rappeler à tous les membres du Comité qu'en raison de la nature délicate de ce dont nous parlons, et du fait que certaines situations font encore l'objet d'une enquête de la police militaire, il faudra faire preuve d'une grande sensibilité et de respect dans toutes nos questions. Je sais que nous le pouvons.
Je voudrais maintenant accueillir les témoins d'aujourd'hui.
Nous recevons la lieutenante Heather Macdonald, du Génie des systèmes de combat naval. Nous accueillons également Dawn McIlmoyle, qui est infirmière autorisée; Emily Tulloch, qui est technicienne en aéronautique; ainsi que MJ Batek, qui représente le Survivor Perspectives Consulting Group.
Chaque témoin aura cinq minutes pour son exposé. Je vais lever une petite carte lorsque le temps tirera à sa fin.
Nous allons commencer par la lieutenante Macdonald, qui a la parole pour cinq minutes.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Tout d'abord, je tiens à dire que cette question est trop importante pour que nous manquions notre coup.
Depuis de nombreuses années, nous nous efforçons d'en faire plus avec moins, en essayant de réaliser des gains d'efficience là où nous le pouvons. Je pense que nous en sommes essentiellement arrivés à un point où nous ne pouvons plus faire beaucoup plus avec beaucoup moins.
Nous commençons à épuiser notre personnel. Les militaires étaient déjà stressés, puis la pandémie nous a frappés, ce qui n'a rien arrangé. Si rien de bon ne découle de cette étude, qui soulève les passions et suscite l'intérêt, je crains que les gens en uniforme perdent espoir que tout autre enjeu puisse être résolu. La situation pourrait inciter plus de militaires à partir que notre organisation ne peut le supporter.
En deuxième lieu, la Marine est unique. Notre situation est particulière, qu'il s'agisse de notre environnement, de notre fonctionnement ou de la formation à suivre pour accéder aux grades subalternes. Cela signifie que toute solution trouvée pour nous aider à améliorer les choses devra pouvoir être adaptée à la Marine, sans quoi elle ne fonctionnera pas au sein des Forces navales.
Dans la société canadienne, il est généralement très difficile pour une femme d'obtenir justice en cas d'agression sexuelle. Il est encore plus laborieux d'y arriver dans l'armée, aux termes de la Loi sur la défense nationale, qui permet plus facilement de plaider coupable à une infraction moins grave ayant peu de conséquences pour l'auteur de l'agression.
C'est encore plus complexe dans la Marine, si l'incident se produit sur un navire en mer ou dans un port étranger. Il n'y a pas d'agent de police à bord du navire. Si une enquête est nécessaire, nous nous en remettons à nos capitaines d'armes et à nos chefs, qui s'occupent des enquêtes disciplinaires de l'unité. Voilà qui réduit considérablement les chances que des preuves admissibles soient recueillies et conservées pour aider la victime à obtenir justice devant un tribunal. La plupart du temps, les victimes subiront un revers plus important que les auteurs lorsqu'elles portent plainte, et c'est pourquoi la plupart hésitent à dénoncer.
Il faut remédier à la situation. Nous devons faire en sorte que ce milieu de travail soit plus accueillant et sécuritaire pour les femmes. Le mouvement #MoiAussi a vraiment mis au jour les problèmes d'égalité entre les sexes au sein de notre société. L'armée amplifie quelque peu ces enjeux étant donné que les femmes y sont aussi minoritaires. Notre minorité attire l'attention, de sorte que nous finissons plus souvent par être scrutées à la loupe qu'un homme matelot ou soldat.
En outre, les femmes de tous les grades doivent suivre une ligne de conduite très rigoureuse. Celles qui font preuve de trop d'empathie ou de sollicitude sont qualifiées de « maternantes », ce qui n'est pas un trait positif ou recherché. À l'inverse, celles qui sont trop fermes ou décisives se voient attribuer un autre terme péjoratif.
Il y a un phénomène que nous devons également comprendre, que certains appellent le club des vieux copains. La plupart du temps, les gens nient même son existence. Notre organisation est fondée sur la confiance la plus élémentaire envers son compagnon d'armes ou son collègue matelot. Lorsque nous nous trouvons dans des situations dangereuses, nous comptons sur les gens avec qui nous travaillons pour protéger nos arrières et nous garder en vie. Cette particularité crée des relations fortes et soudées, ce qui est souhaitable pour notre organisation.
Le problème survient lorsque ces relations sont maintenues en dehors du champ de bataille et que le principe est appliqué librement. Elles peuvent bouleverser davantage le rapport de force, de sorte qu'il est encore moins probable que les victimes obtiennent justice. Nous voulons que ces relations existent. Nous voulons les encourager, mais il faut aussi reconnaître à quel moment elles doivent être balisées. Nous devons mettre en place des mécanismes régulateurs pour éviter qu'elles ne finissent par empoisonner l'organisation. C'est toutefois impossible si nous ne reconnaissons même pas l'existence du phénomène.
Par ailleurs, tout système de signalement que nous mettons en place doit donner aux victimes le sentiment d'être libres d'agir, et susciter la confiance à l'égard du système et des procédures. Pour ce faire, le mécanisme doit être indépendant de la chaîne de commandement habituelle.
Nous devons vraiment admettre que tout n'est pas noir ou blanc, et qu'il y a toutes sortes de nuances. J'ai travaillé avec de nombreuses personnes exceptionnelles au cours de ma carrière, et je pense qu'il est très important de comprendre qu'en général, les gens honnêtes ne le voient pas nécessairement lorsqu'ils causent du tort ou contribuent à ce que du tort soit causé à autrui. Nous devons accepter que les bonnes personnes subissent les conséquences de leurs actes. Dans certains cas, la peine ne devrait pas toujours mettre fin à leur carrière.
Je ne suis pas certaine de savoir quoi faire à partir d'ici. Je n'ai pas les réponses, mais si je puise dans les compétences en gestion de projet que j'ai acquises au cours de ma carrière d'ingénieure, je dirais que nous devons faire une analyse poussée des options et présenter des solutions concrètes accompagnées des avantages et des inconvénients, afin de choisir celle qui permettra le mieux d'atteindre les objectifs de notre organisation et de servir les membres des Forces armées canadiennes.
Je vous remercie.
:
Lorsque j'ai quitté l'armée, je me suis sentie trahie, abandonnée et bafouée, et j'avais encore l'impression d'être à blâmer. Je n'arrivais pas à comprendre comment j'avais pu être accusée d'avoir été violée. Les autorités militaires ont retourné mes déclarations contre moi et m'ont obligée à me tenir aux côtés de mon agresseur.
Je ne saisissais pas comment j'avais pu être harcelée sur le navire, puis libérée directement de l'unité psychiatrique. J'ai donc continué à poser des questions.
J'ai réussi à faire changer le motif de ma libération. Par la suite, je me disais sans cesse que je ne devais pas être la seule. Lorsque j'ai trouvé une personne qui avait vécu la même chose que moi, nous avons alors décidé de dénoncer. Nous avons fait une déclaration publique dans le magazine Maclean's, après quoi d'autres personnes se sont manifestées. Nous avons alors cru que les choses allaient peut-être changer.
J'étais optimiste. Le bureau de l'ombudsman a été créé, et les gens en ont parlé. Or, tout a ensuite été relégué aux oubliettes.
J'ai lancé un numéro sans frais, puis j'ai invité les victimes à m'appeler pour qu'elles sachent qu'elles ne sont pas seules. J'ai failli perdre la raison à ce moment puisque j'avais deux jeunes enfants à la maison et un mari qui ne m'aidait pas. Lorsque je l'ai quitté, je me suis inscrite en sciences infirmières pour apprendre à aider véritablement les gens. Or, je ne voulais même pas dire aux gens qui j'étais par honte d'avoir dénoncé la situation publiquement. J'avais honte d'avoir publié une photo de mon visage dans l'article et d'avoir été violée dans l'armée.
Il y a des gens qui ont utilisé ce prétexte pour m'humilier et me dénigrer en affirmant que ce n'était même pas arrivé. Partout, des personnes m'ont dit que rien de tel ne s'était produit. Puisque je me connais, j'ai plutôt priorisé mon cheminement vers la guérison. J'ai entrepris mes études en infirmerie, alors que je travaillais à plein temps et que j'avais deux jeunes garçons. Je trouvais que j'avais échoué lamentablement parce que je n'ai obtenu que 65 %. Au contraire, c'est une réussite puisque j'ai obtenu mon diplôme tout en travaillant à plein temps et en m'occupant de mes deux garçons. Je ne dormais pratiquement jamais.
J'ai choisi un domaine où... Je prenais tout beaucoup trop à cœur. Je voulais aider les gens, mais je m'épuisais constamment parce que je ne savais pas que j'étais censée prendre soin de moi. J'étais totalement dévouée au service. J'ai toujours voulu aider les gens. C'est d'ailleurs pourquoi je me suis enrôlée dans l'armée.
J'ai dû sérieusement me porter un regard objectif, car lorsque j'ai quitté l'armée, je n'avais plus ni respect ni estime pour moi-même, ce que j'ai inculqué à mes garçons. J'ai ensuite eu une petite-fille, et j'ai compris que je devais changer afin d'améliorer les choses pour elle et pour mes garçons. Tout ce que je pouvais modifier, c'était moi.
J'ai consacré les derniers temps à... J'ai trouvé des personnes qui pensent comme moi. J'ai commencé ma guérison, puis j'ai pu voir que tout n'était pas un échec. J'ai modifié ma façon de penser.
Par ailleurs, j'ai suivi un nombre excessif de thérapies parce que tous les spécialistes savaient que je souffrais d'un trouble de stress post-traumatique et voulaient sans cesse me soigner par une thérapie. Rien ne m'aidait, car je n'étais pas disposée à entendre ce qu'ils avaient à dire. Ils m'ont même envoyée voir un pédopsychologue. Ils ne savaient pas quoi faire pour moi.
Je suis allée voir en 2016, lorsqu'elle a été nommée ministre de la Condition féminine. J'ai étalé devant elle tous les articles du Maclean's en lui disant que nous devions faire quelque chose pour améliorer la situation. Elle m'a simplement invitée à prendre un autre rendez-vous. Une de ses assistantes m'a dit de me joindre à une organisation et de rédiger une proposition. Je me suis dit... bon sang.
Je suis retournée sur les bancs d'école pour suivre des études autochtones, car je veux toujours apprendre et comprendre les différentes perspectives. Je peux maintenant regarder en arrière et constater les changements qui sont survenus. Des gens me remercient pour ce que j'ai fait. J'en suis totalement renversée, car pendant 20 années, j'ai cru que j'étais détestée et que j'avais posé un geste horrible en dénonçant publiquement la situation. Je commence maintenant à voir que je suis une référence temporelle que les responsables ne peuvent pas nier. Quoi qu'il arrive, ils ne peuvent pas dire qu'ils ne savaient pas ce qui se passait.
J'ai accepté le fait que... J'ai également vu des changements survenir. Je me suis adressée à des militaires de haut rang alors que j'étais très en colère. Au lieu de se fâcher à leur tour, ils ont vu ma frustration. Ils ont reconnu l'existence de ma blessure et de mon traumatisme, et ils m'ont dit: « Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait et pour votre préoccupation à l'égard de l'armée », puis « Gardez la tête haute », et des choses semblables. Ces mots m'ont aidée à continuer.
Malgré tout ce qui a été négatif, je m'accroche au bien des gens que j'ai rencontrés en cours de route. Je suis toujours la personne optimiste qui pense que les choses vont changer — même si je constate que le problème est minimisé, qu'il est politisé et que ces enjeux sont abordés sur une tribune qui ne leur convient vraiment pas.
La gauche est trop à gauche, et la droite est trop à droite. Le véritable enjeu est oublié. Chaque fois que la situation fait les manchettes, je me rappelle que j'ai porté plainte en 1998 et que personne ne m'a écoutée. C'est le cas aussi de bien d'autres victimes.
Beaucoup de gens veulent du changement. Ils voudraient tellement que les choses bougent. Les victimes voient des lueurs d'espoir, puis elles sont déçues, souffrent et se sentent dévalorisées, car rien n'est fait. Ce sont des paroles creuses, des promesses non tenues. Ce sont des copies d'une même lettre qui a été envoyée à d'autres victimes. Ce ne sont que des voeux pieux.
Je vous remercie.
:
Bonjour, madame la présidente. Je vous remercie de me donner aujourd'hui l'occasion de vous parler de mes expériences personnelles en matière d'inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes.
Je suis entrée dans les Forces armées canadiennes en juillet 2018. Depuis, j'ai l'impression d'avoir subi toute une vie d'agressions et d'inconduites sexuelles. Je suis ici aujourd'hui pour vous dire que j'ai été violée un mois seulement — un mois — après le début de mon instruction de base à Saint-Jean. J'ai également été agressée sexuellement pendant mon instruction à Borden. J'ai été tripotée et embrassée contre mon gré lors de fêtes d'équipage et d'activités au mess. Ces comportements dégradants sont plus courants que vous ne le pensez.
Pour couronner le tout, j'ai enduré des commentaires misogynes et sexistes tout au long de ma carrière. Je me suis fait dire que j'avais seulement été acceptée parce que je suis une fille. Il y a même un instructeur de Borden qui m'a dit ceci en me regardant droit dans les yeux: si ton papa faisait tout pour toi dans ta petite vie douillette, dis-le nous, et nous pourrons te donner un coup de main.
Je crois en l'importance de l'armée. J'espère poursuivre ma carrière et servir mon pays au meilleur de mes capacités. Cependant, mon expérience du système de justice militaire a été plutôt négative. Je me pose beaucoup de questions sur la façon dont la police militaire devrait mener ses enquêtes. J'ai eu trois entretiens avec la police militaire depuis que j'ai signalé une inconduite. Deux d'entre eux ont été franchement atroces et ressemblaient davantage à des interrogatoires. Pendant ces entretiens, j'ai eu l'impression que les enquêteurs ne me traitaient pas comme un être humain. Je n'étais qu'un autre dossier à leurs yeux. Ils n'avaient pas la moindre empathie ou compassion. C'était tellement frustrant que je suis partie avant la fin du deuxième entretien. J'avais l'impression de ne pas être entendue et d'être traitée comme une criminelle. Aucune personne ne devrait subir un tel traitement alors qu'elle est si vulnérable et qu'elle a besoin d'aide.
La police militaire doit améliorer sa formation sur la façon d'interroger les victimes d'agression sexuelle. Il faudrait concevoir un cours visant expressément à leur apprendre que les victimes ont besoin de compréhension et d'empathie. S'il existe déjà un cours, il faut s'en débarrasser et recommencer de zéro.
Je crois également que l'entretien doit être mené par un officier du même sexe que la victime. Dans mon cas, c'est seulement à la moitié de l'entretien qu'on m'a proposé de parler à une femme officière, lorsque j'ai commencé à pleurer. Là encore, la police militaire a dit que l'entretien allait devoir être reporté à la semaine suivante puisqu'aucune officière n'était disponible.
Au cours de l'instruction de base, les responsables tentent d'inculquer aux recrues les valeurs fondamentales des militaires, qui sont le devoir, la loyauté, l'intégrité et le courage. Elles sont enseignées à l'aide de présentations PowerPoint et de cahiers d'exercices. Or, ces valeurs passent entre les mailles du filet. C'est ce qui perpétue depuis si longtemps cette culture toxique. De toute évidence, les autorités militaires n'ont pas été en mesure d'appliquer les normes d'éthiques élevées en matière d'intégrité. Si les responsables ne sont pas capables de respecter les valeurs fondamentales et de donner l'exemple, comment peut-on s'attendre à ce que la majorité des soldats le fassent?
Pendant l'instruction de base, on nous montre un dessin animé qui simplifie à outrance le concept du consentement. À mon avis, cette vidéo est ridicule. Elle est amusante, mais le sujet de l'inconduite sexuelle n'a rien de drôle. Il devrait rendre les recrues suffisamment mal à l'aise pour qu'elles se rendent compte que c'est un problème réel devant être réglé.
Pour ce qui est de l'opération Honour, je crois qu'elle a atteint son but. Il est temps d'y mettre fin et de lancer une autre stratégie. L'opération Honour a bel et bien permis d'engager la conversation et d'améliorer les ressources et la formation offertes aux membres des FAC, mais les dirigeants ont délibérément ignoré le fait qu'elle est tournée en dérision depuis des années. Pour beaucoup d'entre nous, cette opération vieillit aussi mal que du lait caillé. Elle laisse un goût amer dans la bouche. Les militaires actifs subalternes se moquent constamment de l'opération et dénigrent son message. Cruelle ironie du sort, il semble que l'homme qui a créé toute l'opération fait maintenant l'objet d'une enquête pour le motif même qu'il avait juré enrayer, ce qui ne fait rien pour arranger les choses.
Je sais que l'organisation peut évoluer et que nous pouvons mettre fin au climat toxique qui règne dans l'armée, mais il faut d'abord changer les mentalités. La seule façon d'y parvenir consiste à avoir ces discussions, à écouter les histoires des victimes et à mettre fin à la stigmatisation des personnes qui portent plainte pour essayer de réparer cette injustice qui règne depuis bien trop longtemps.
Je tiens à vous remercier de m'avoir donné l'occasion de raconter ma vérité. Comme tout le monde le sait, le processus est loin d'être facile pour moi. Je vous remercie de m'avoir donné cette chance aujourd'hui.
:
Merci, madame la présidente.
Je témoigne en tant qu'ancienne combattante survivante de traumatismes sexuels dans le contexte militaire, survivante de violence conjugale dans le contexte militaire et représentante du Survivor Perspectives Consulting Group, appelé également SPCG.
Le SPCG a été formé récemment par un petit groupe de personnes qui ont survécu à des traumatismes sexuels dans le contexte militaire. Pendant des décennies, nous avons regardé ce qui se passait en silence, mais nous unissons maintenant nos efforts pour agir, pour faire en sorte que les voix des survivants soient entendues et pour trouver des solutions permettant de lutter contre cette crise.
Tout comme le gouvernement du Canada utilise l'analyse comparative entre les sexes plus, un outil qui va au-delà des sexes et du genre pour englober d'autres facteurs identitaires, comme la race, l'origine ethnique ou l'âge, les Forces armées canadiennes devraient tenir compte de la perspective des survivants de traumatismes sexuels dans le contexte militaire à chaque étape de l'élaboration de stratégies et de politiques.
Notre groupe est prêt à travailler à fournir cette perspective dans un cadre coordonné par des professionnels. Nous ne prétendons pas détenir toutes les réponses, car nous ne sommes pas des spécialistes en culture organisationnelle ou en justice militaire, mais nous sommes malheureusement spécialistes du traumatisme sexuel dans le contexte militaire en raison de ce que nous avons vécu.
Nous pouvons contribuer à définir le problème, dont on mesure encore mal l'ampleur. Nous pouvons signaler des lacunes et des problèmes précis. Par exemple, nous savons que le mécanisme de signalement interne laisse à désirer et que la mise en place d'un mécanisme de surveillance indépendant s'impose.
Nous pouvons aider à trouver et à élaborer des solutions — des solutions immédiates et des solutions à moyen ou à long terme —, car nous avons des idées. Nous avons des idées qui peuvent devenir des plans, des politiques et des programmes.
Par exemple, nous avons élaboré un atelier d'une journée qui peut être utilisé à court terme pour aider à amorcer le changement de culture dont l'organisation a désespérément besoin. Cette formation se base sur l'expérience d'une personne qui a survécu à un traumatisme et sur des pratiques exemplaires civiles élaborées précisément pour les Forces armées canadiennes.
L'atelier remettra en question les normes sociales et les préjugés inconscients des participants. Il ébranlera les fondements de ces normes et de ces préjugés et ouvrira l'esprit des participants, contrairement à tout ce que l'armée a fait auparavant. Nous pouvons fournir des observations et des suggestions sur les stratégies, les plans et les politiques à chaque étape du processus, qu'il s'agisse de l'élaboration, de la mise en œuvre ou du suivi.
Comme dans toute ACS+ de divers facteurs identitaires, nous voulons présenter la perspective des survivants de traumatismes sexuels dans le contexte militaire et de possibles solutions aux Forces armées canadiennes en tant que voix professionnelle, ainsi qu'à d'autres intervenants comme Anciens Combattants Canada.
Nous en sommes actuellement à l'étape de construction de notre organisation, mais nous voulons représenter divers facteurs identitaires, ce qui inclut les hommes, les Autochtones, les anciens combattants, les personnes LGBTQ+ et les civils, car le problème ne touche pas seulement les femmes. Oui, j'ai bien dit « civils », car il est important de souligner qu'une culture de sexualisation dans le contexte militaire n'a pas des répercussions que sur les militaires. Elle en a au-delà du périmètre du lieu de travail, soit sur la vie des familles, des conjoints et des enfants des militaires, ainsi que sur la collectivité dans son ensemble.
Dans de nombreux cas, une culture de sexualisation dans le contexte militaire peut mener à des actes de violence conjugale, de violence envers les enfants et d'agression sexuelle de civils. Non seulement cette culture offre-t-elle un endroit où les agresseurs peuvent se cacher et exister en étant protégés par un uniforme, mais elle apprend, malheureusement, aux victimes à tolérer l'intolérable, ce qui fait en sorte que des vies sont marquées par des problèmes de santé mentale, le risque de vivre dans l'itinérance et de futures relations de violence.
La survie de cette culture toxique a un coût social qui s'étend à la population canadienne, ce qui en fait un problème canadien, et les coûts financiers et sociaux réels touchent tous les contribuables.
Je conclurai en disant que lorsque le lieutenant-général Eyre a témoigné devant ce comité, le 23 mars dernier, il a expliqué que son approche pour changer la culture de sexualisation dans le contexte militaire se fondait sur deux éléments, dont le deuxième est l'écoute et l'apprentissage. C'est exactement dans quoi s'inscrit notre groupe.
Notre équipe peut fournir les perspectives nécessaires pour que chaque stratégie, chaque plan, chaque politique et chaque programme élaborés pour s'attaquer à cette crise soient examinés du point de vue des survivants.
Nous voulons participer à ces consultations sérieuses afin d'aider à faire des Forces armées canadiennes un meilleur endroit, un endroit plus sûr pour les personnes qui nous succéderont.
Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir donné cette occasion. Je suis disposée à répondre à vos questions.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie les témoins.
J'aimerais prendre un moment pour vous assurer que nous sommes nombreux, à ce comité et au comité de la défense, à savoir que nous incarnons le dernier moyen de défense. Nous sommes les représentants élus, et dans une démocratie, il nous incombe de veiller à ce que nos institutions et les gens qui servent avec honneur au sein de ces institutions soient protégés et que ces institutions reflètent nos valeurs. Nous ferons de notre mieux [Difficultés techniques] et nous avons échoué. Comme vous l'avez si bien dit, cela fait 25 ans que nous savons que ce problème existe. À l'époque où j'étais une recrue, au collège militaire, nous étions au courant. Le fait que nous n'avons pas fait ce qu'il fallait pour le régler est inadmissible.
Néanmoins, je vous remercie de continuer, de vous manifester et de veiller à ce que nous sachions ce qu'il nous faut savoir. Comme vous le dites, lieutenante Macdonald, cette question est beaucoup trop importante pour que nous manquions notre coup, et si nous ne faisons pas les choses correctement cette fois-ci, il y aura des répercussions partout, sur les forces canadiennes et sur notre capacité de protéger les valeurs de notre nation et de les incarner nous-mêmes. Il vous a fallu beaucoup de courage, et je vous remercie sincèrement.
Tout d'abord, madame Tulloch, quel courage vous avez de vous manifester. Bravo à vous! Ne renoncez pas. Vous méritez cette carrière. Ne lâchez pas.
Pouvez-vous m'expliquer un peu pourquoi c'est tourné en dérision? Pourquoi ne prend-on pas le harcèlement sexuel au sérieux? Pourquoi, à votre avis, les gens pensent-ils qu'il n'y a rien de mal à faire ce qu'ils font?
:
Nous sommes, en fait, cinq personnes à avoir cofondé le groupe, ce qui comprend des membres à la retraite, comme moi, et des membres actifs. Nous sentions que nous avions besoin de faire quelque chose en tant que personnes survivantes. Nous avons des blessures. Nous souffrons de stress post-traumatique. Il est donc difficile de faire du bénévolat au quotidien, mais nous avons constaté que c'était un moyen de donner en retour et de coordonner les choses officiellement quant au point de vue des survivants.
De nombreux groupes de soutien par les pairs existent, ce que notre groupe n'est pas. Ce n'est pas notre intention. Cependant, nous voulons évidemment collaborer avec le plus grand nombre de personnes possible de sorte que, si le besoin de créer un groupe de réflexion sur un facteur identitaire précis se fait sentir, nous puissions participer à cet effort. Nous pouvons trouver ces personnes, et nous pouvons avoir ces discussions. Les personnes qui se sont adressées à nous...
Honnêtement, c'est incroyable. Je suis entrée en contact avec des camarades de classe du Collège militaire royal à qui je n'avais pas parlé depuis 20 ans et qui se rendent compte que ce que nous avons vécu n'était pas correct. Nous ne pouvions pas parler à l'époque, car cela aurait mis fin à nos carrières, et on nous montait les uns contre les autres. C'est incroyable que nous soyons maintenant dans une situation où nous pouvons en parler et changer des choses, et c'est tout ce que nous voulons faire.
Encore une fois, nous avons des survivants qui sont des bénévoles présentement, mais nous voulons le faire dans un cadre coordonné par des professionnels. Cela permet de réunir toutes ces voix qui sont en colère et d'aller ensuite à l'essentiel, soit à la question de savoir quel est le problème, quels sont les liens et où sont les données. Nous n'avons pas ces données. Nous ne connaissons pas toute l'étendue du problème. Je pense que ce sont des éléments très importants si nous voulons être en mesure de combattre le problème. Nous devons savoir jusqu'où cela va.
:
Nous espérons que le programme de formation que nous avons élaboré, qui s'appuie sur, comme je l'ai dit, des pratiques exemplaires civiles, soit complètement différent de l'opération Honour. L'opération a connu des hauts, mais malheureusement, comme on l'a dit, il y a eu tellement de problèmes qu'elle est devenue une farce.
Cette formation est différente en ce sens qu'elle reprend ce qui a déjà été indiqué comme étant des pratiques exemplaires dans le monde civil pour l'appliquer dans le contexte militaire. Par exemple, dans l'atelier, nous parlons de situations réelles. Il ne s'agit pas de demander à quelqu'un, à qui l'on a remis le matériel le matin, de donner la formation et qui commence l'atelier en disant « finissons-en pour passer à autre chose », ce qui fait en sorte qu'immédiatement, tous les participants pensent que ce n'est pas sérieux et qu'ils n'ont qu'à participer pour la forme et en finir.
Non devons avoir des animateurs dûment formés pour ces cours, et nous voulons que des survivants les accompagnent pour donner ce point de vue. Si on a devant soi une personne qui a subi un viol, on est moins porté à faire des blagues et à la rabaisser, parce qu'elle est en face de soi.
Des personnes qui ont participé à la formation offerte dans le cadre de l'opération Honour nous ont dit qu'on ridiculisait complètement cette culture. Elles trouvaient très difficile d'y participer, car ce sont des survivantes et qu'elles ne pouvaient pas s'exprimer. Elles se sentaient abandonnées par tous les gens qui les entouraient qui ridiculisaient l'opération Honour et tout le reste. C'est insoutenable pour un survivant d'être dans cette situation.
Notre formation est complètement différente en ce sens qu'elle vise à changer les préjugés inconscients et les normes sociales, et nous travaillons à un programme pilote. Nous ne pouvons malheureusement pas en dire plus, mais les choses vont bon train.
:
Merci beaucoup, madame la présidente.
Mesdames Macdonald, Mcllmoyle, Tulloch et Batek, vos témoignages nous éclairent sur cette triste réalité que vivent les survivantes.
Mes premières questions porteront d'ailleurs sur ce sujet, qui est important pour moi.
Plusieurs d'entre vous ont abordé la question de l'état de stress post-traumatique. Nous savons maintenant que les Forces armées canadiennes ont évolué et qu'elles accompagnent les soldats souffrant de stress post-traumatique.
En tant que survivantes, considérez-vous que cet état de stress post-traumatique est traité de la même façon chez les victimes d'agression ou d'inconduite sexuelles?
Certaines d'entre vous ont abordé cette question. J'invite celles qui voudraient me répondre à le faire.
:
Je vais commencer à répondre à votre question. Je dirais que les choses ne sont pas considérées de la même façon parce que la personne ne reçoit pas ce diagnostic, alors elle n'obtient pas les mêmes services d'aide que quelqu'un qui reçoit un diagnostic de stress post-traumatique.
De plus, il y a une réticence à cet égard, car même si des progrès ont été faits et qu'on vous dit que vous pouvez encore avoir une promotion même si on vous attribue une catégorie médicale permanente, le système médical a été conçu à l'origine pour les problèmes physiques. Si vous avez une jambe cassée, on vous attribue une catégorie médicale temporaire, et pour que ce soit retiré, il faut qu'un médecin dise que vous êtes totalement guéri. Si vous avez un problème de santé mentale, il est très difficile d'être retiré un jour de la catégorie médicale temporaire, car il est impossible pour un médecin de dire que vous êtes totalement guéri. Très souvent, cela mène à une catégorie médicale permanente.
Il y a donc encore beaucoup de réticence à cet égard, si une personne fait l'objet d'une catégorie médicale permanente, en particulier dans le cas d'un problème de santé mentale, de stress post-traumatique. On ne veut pas vous placer dans des postes pouvant comporter beaucoup de stress ou qui pourraient... Cela nuira parfois à votre carrière. Premièrement, on ne traite pas cela de la même façon que le stress post-traumatique, ce qui vous ferme les portes de beaucoup de services d'aide offerts, et deuxièmement, il y a beaucoup d'inquiétudes à l'idée même de se voir attribuer une catégorie médicale permanente liée à la santé mentale, parce que notre système répond beaucoup mieux aux problèmes physiques qu'aux problèmes de santé mentale.
Il faut avoir deux systèmes distincts, afin que les problèmes de santé mentale soient traités par des professionnels en santé mentale et différemment des problèmes physiques. Les victimes d'agressions sexuelles devraient en outre avoir accès aux mêmes services d'aide que les personnes qui souffrent de stress post-traumatique.
:
Puis-je sortir un instant du contexte militaire pour vous parler du monde des anciens combattants?
J'ai découvert que dans beaucoup de programmes destinés aux personnes souffrant de stress post-traumatique, on ne vous acceptera pas si vous avez subi un traumatisme sexuel en milieu militaire. Il n'y a pas de fonds pour cela, alors même si vous recevez le même diagnostic, vous n'êtes pas admissible aux programmes.
Je rencontre beaucoup d'anciens combattants et j'ai découvert également que le stress post-traumatique est le même pour tous. C'est ce qui nous est arrivé qui est différent. Il faut, et on demande, qu'il y ait des programmes spécialisés ouverts aux victimes d'agression. J'ai tenté d'être admise au programme de soutien social aux victimes de stress opérationnel, et d'autres du genre, et on ne voulait pas m'accepter parce que je ne répondais pas à leur objectif. J'avais subi un traumatisme sexuel en milieu militaire, et non pas un stress opérationnel, et je n'avais pas été déployée. Je constate que souvent les responsables des programmes ne veulent rien savoir de moi parce que je n'ai pas été déployée.
On réclame donc que des programmes spécialisés soient mis en place, après le départ de l'armée, pour offrir du soutien à l'extérieur du contexte de stress post-traumatique.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
Je tiens à mentionner moi aussi à quel point je suis reconnaissante aux témoins d'avoir dénoncé ces situations. Ce n'est certainement pas facile, mais j'espère que les conclusions de notre étude vous aideront et aideront d'autres personnes.
Un élément qui revient constamment, séance après séance, c'est qu'il semble y avoir quelque chose qui cloche. Les gens qui ont servi ou qui sont en service ont un point de vue très différent sur ce qui se passe sur le terrain que ceux qui ont des postes de commandement. On semble dire que la situation est en train de changer, qu'il y a un mouvement en ce sens, mais je veux vous poser quelques questions qui portent précisément sur le traitement réservé aux personnes qui dénoncent ces situations.
Nous avons appris du grand prévôt — et également du Centre d'intervention en matière d'inconduite sexuelle — que les dénonciations sont tenues confidentielles au plus haut niveau.
Pourriez-vous nous dire si, dans les faits, la situation est différente? Que peut-on faire pour changer le système et assurer la confidentialité? Beaucoup de gens nous ont parlé de l'indépendance du système, mais comme la situation existe, quelles seraient vos suggestions?
:
C'était un très mauvais accueil au sein de l'armée.
Je pense que les options sont vraiment la formation et le recrutement.
Au sujet du Service national des enquêtes, c'est l'un des entretiens qui s'est mal passé pour moi. C'était une personne qui... J'ai eu l'impression de ne pas être entendue. Je pense qu'il faut prendre du recul et former à nouveau les gens qui sont censés prendre note de ce qui s'est passé, s'en occuper et faire enquête.
Ils doivent être formés à nouveau sur la façon d'être à l'écoute des gens. Je sais qu'ils doivent être impartiaux, mais lorsqu'une victime leur raconte qu'elle a été violée ou agressée sexuellement, même s'ils doivent être impartiaux, ils doivent la traiter comme une personne et non comme un numéro.
Pour ce qui est de la santé mentale, l'armée doit faire appel à des ressources externes très souvent. Je vois, par exemple, une thérapeute civile. Je pense que l'armée doit, honnêtement, prendre du recul pour tenter de recruter des officiers ou d'autres personnes qui sont des thérapeutes et des psychologues et qui sont professionnellement formées et diplômées pour traiter les diverses facettes d'une agression sexuelle et d'une inconduite sexuelle.
:
Je vous remercie, madame la présidente.
J'aimerais commencer par remercier énormément nos témoins de leur présence et de nous avoir fait part de ces récits pénibles et choquants. Il est terrible d'entendre dire que cela peut se produire au sein des Forces armées canadiennes. Vous avez tout à fait raison de dire que cela nous touche tous en tant que Canadiens — tous autant que nous sommes. Tous les membres du Comité vous remercient du fond du coeur. Il faut beaucoup de courage et de sagesse pour venir nous parler de vos expériences, en dépit de la façon dont vous avez été traitées et ignorées. Malgré les épreuves, vous êtes ici aujourd'hui. Vous êtes des femmes fortes. Vous êtes une source d'inspiration pour nous tous.
Vous avez traversé ces épreuves et vous continuez de vous battre. Vous avez un esprit invincible. Je vous remercie sincèrement des services rendus à notre pays.
Je m'excuse. Je suis très émue. Nous le sommes toutes. Je vois tous les visages de mes collègues à l'écran. Je vous remercie beaucoup. N'abandonnez jamais, s'il vous plaît. Nous sommes ici pour vous. Nous sommes ici pour vous comme politiciennes, comme ma collègue l'a mentionné, mais aussi comme membre de la communauté.
Madame Tulloch, j'aimerais commencer par vous, s'il vous plaît.
Pourriez-vous nous parler un peu de ce qu'il est important pour les gens de savoir, en particulier les femmes et les gens marginalisés qui entrent dans l'armée ou qui en font partie? Quel message aimeriez-vous leur transmettre?
:
Merci, madame la présidente.
Je suis Bernie Boland, lieutenant-colonel à la retraite, qui a servi honorablement dans les Forces armées canadiennes pendant plus de 30 ans. Ces 12 dernières années, j'ai été ingénieur dans la fonction publique. J'ai pris ma retraite en décembre 2020.
Lors de l'audience du Comité le 23 mars 2021, le a déclaré: « Je prends toute allégation, peu importe le rang ou le poste, très au sérieux », « Nous sommes résolus à faire la lumière sur toutes les allégations, sans égard au rang ou au poste occupé par les personnes visées », et « L'inconduite sexuelle, le harcèlement et toute forme de comportement inapproprié sont inacceptables. Appelons ces choses par leur nom: il s'agit d'abus de pouvoir. »
Mon témoignage présentera un exemple concret de la différence entre ce que le ministère de la Défense nationale pratique et ce qu'il prétend faire en matière d'inconduite.
Mon cas est documenté de manière exhaustive. La greffière du Comité possède plus de 30 documents qui relatent la manière systémique et aberrante dont les cadres supérieurs chargés d'éradiquer l'inconduite ne le font pas.
Pour que justice soit faite, j'ai suivi le processus prescrit. Les fonctionnaires de la Défense chargés de veiller à ce que la justice prévale m'ont privé de mon droit de plaider et m'ont refusé la possibilité de confronter le contrevenant dans le cadre d'un système juridique accusatoire qui soit équilibré et équitable pour tous.
En 2016, j'ai signalé des actes répréhensibles et des comportements répréhensibles lorsqu'une employée que j'avais le privilège de superviser m'a demandé de signaler le harcèlement et les violations des droits de la personne dont elle avait été victime de la part d'un cadre supérieur en ingénierie. J'ai fait le signalement. Cet homme a été promu. Nous avons subi des représailles.
Son dossier est maintenant devant le Tribunal canadien des droits de la personne, qui devra déterminer si elle a bien fait l'objet de discrimination et de traitement différentiel fondé sur l'âge, le sexe, l'origine ethnique et la religion — elle est musulmane.
Une fois que j'ai signalé l'inconduite, je suis devenu une menace pour l'organisation. En guise de représailles, et pour exonérer les personnes responsables et coupables de l'inconduite et des violations des droits de la personne que j'ai signalées, le ministère de la Défense nationale, dans une lettre ministérielle officielle à la Commission canadienne des droits de la personne, a secrètement fait de moi le bouc émissaire de l'inconduite. J'ai été mis au courant des actions subreptices du ministère de la Défense nationale par la femme victime de harcèlement.
Le fait que le ministère de la Défense fasse secrètement de moi un bouc émissaire était répréhensible, et j'ai protesté avec véhémence. Le 13 janvier 2021, j'ai officiellement déposé une plainte auprès de contre la sous-ministre, Jody Thomas, pour avoir toléré, en tant que comportement ministériel approprié, que le ministère de la Défense fasse secrètement de moi un bouc émissaire.
Le chef de cabinet du a accusé réception de ma plainte et m'a assuré qu'elle serait traitée conformément à la loi applicable. Jody Thomas est une personne nommée par la gouverneure en conseil. Aucun membre du Conseil privé n'a pris contact avec moi.
Pour m'assurer que ma plainte contre Jody Thomas ne tombe pas dans l'oubli, ou plus exactement qu'elle n'est pas ignorée par les institutions, j'ai envoyé au , le 7 février 2021, une lettre recommandée contenant ma plainte contre la sous-ministre, avec copie conforme à Katie Telford et au greffier du Conseil privé, Ian Shugart. La lettre a pour objet: « Les dirigeants de la Défense corrompent le processus de règlement des plaintes de harcèlement pour protéger le harceleur ».
Personne au Cabinet du premier ministre ou au Conseil privé n'a communiqué avec moi. Cependant, le sérieux et l'engagement du à traiter toutes les allégations, quel que soit le rang ou le poste occupé par les personnes visées, contre la sous-ministre, qui a été nommée par la gouverneure en conseil, ont été sommairement et arbitrairement rejetés sans enquête par M. Kin Choi, subalterne de la sous-ministre.
Bien qu'on m'ait assuré que la loi applicable serait respectée, la disculpation expéditive de M. Choi à l'égard de sa patronne, Jody Thomas, a enfreint la loi. M. Choi a plus précisément enfreint le règlement sur le harcèlement et la prévention de la violence au travail du projet de loi . M. Choi est responsable de la coordination et de la mise en œuvre du projet de loi C-65 au sein du ministère de la Défense nationale. Il est également l'autorité fonctionnelle du ministère pour la prévention et le règlement des cas de harcèlement. La conduite de M. Choi est entachée de conflits d'intérêts et de partialité.
Après que M. Troy Crosby, sous-ministre adjoint, Matériels, eut jugé qu'il soit approprié que le ministère de la Défense nationale fasse secrètement de moi un bouc émissaire auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, j'ai déposé une plainte officielle auprès du , car la sous-ministre n'a pas donné suite en temps opportun à ma plainte contre son subalterne, M. Crosby.
M. Choi, collègue de M. Crosby, a rejeté sommairement et arbitrairement ces allégations, sans mener d'enquête. M. Choi a également rejeté de façon sommaire et arbitraire mon grief contre M. Crosby pour non-respect de l'équité procédurale par ce dernier. Le directeur général qui a présenté la lettre à la Commission canadienne des droits de la personne en me désignant secrètement comme bouc émissaire relève directement de M. Choi.
En dépit de ce qui précède, l'aspect le plus sinistre de ce comportement ministériel, qui ne doit pas être négligé, est que le ministère de la Défense nationale sanctionne ouvertement un programme clandestin consistant à désigner secrètement des boucs émissaires à la Commission canadienne des droits de la personne afin de disculper les personnes responsables et coupables de harcèlement et de violations des droits de la personne. Cette situation est épouvantable. Il faut y mettre fin immédiatement. La Commission canadienne des droits de la personne et le tribunal des droits de la personne doivent en être informés.
Il existe un problème culturel au sein du ministère de la Défense, mais il y a une réticence institutionnelle à faire la distinction entre la cause approximative et la cause ultime de ce problème. De mon point de vue, la cause ultime est la rupture et l'échec des dirigeants à agir de manière éthique, moralement appropriée, déterminée et délibérée pour arrêter et éliminer l'inconduite. Au lieu de cela, ils la commettent et la tolèrent trop souvent.
Merci, madame la présidente.
:
Merci, madame la présidente.
Les Forces armées canadiennes traversent une crise. Malheureusement, il s'agit d'une crise de longue date qui remonte à plus de 20 ans. Dans quatre articles publiés en 1998, le magazine Maclean's a alerté le public canadien d'une crise profonde d'inconduite sexuelle endémique dans l'armée canadienne. Depuis ce temps, malheureusement, peu de choses ont changé. En réponse aux récits d'inconduite sexuelle de 1998, le Parlement, dans sa sagesse, a transféré aux militaires les pouvoirs d'enquête et de poursuite en matière d'agression sexuelle. Le Parlement a laissé aux militaires le soin de résoudre leur problème à l'interne. Ce fut une énorme erreur.
Au vu des récentes révélations, qui visent notamment le chef d'état-major de la défense en poste et son prédécesseur, ainsi que le commandant du commandement du personnel militaire, qui font l'objet d'une enquête pour inconduite sexuelle, il va sans dire qu'au lieu de s'améliorer, les choses ont empiré, et ce, considérablement. Les signes de la crise actuelle existent depuis des décennies, et ils n'auraient pas dû passer inaperçus.
En 2010, le colonel Russell Williams a avoué l'agression sexuelle d'au moins quatre femmes, le meurtre de deux femmes — une civile et une caporale-chef sous son autorité — et l'introduction par effraction dans les maisons et les chambres à coucher de plus de 80 de ses voisins. En 2014, les magazines Maclean's et L'actualité ont publié les résultats de leur enquête sur les violences sexuelles au sein de nos forces armées, avec Stéphanie Raymond, victime de l'inconduite sexuelle de l'un de ses supérieurs masculins, en page couverture. En 2015, la juge à la retraite Marie Deschamps a publié un exposé dévastateur concernant la culture sexualisée de l'armée. Son rapport contenait un certain nombre de recommandations, dont un certain nombre seront ignorées et restent ignorées par le ministère de la Défense nationale.
Ce n'est pas tout. Selon une enquête réalisée par Statistique Canada en 2018, environ 900 membres des forces régulières ont été victimes d'agressions sexuelles l'année précédente. Je vous laisse y réfléchir.
L'année suivante, l'enquête de 2019 de Statistique Canada a montré que 68 % des étudiants du Collège militaire royal ont été témoins ou victimes de comportements sexualisés non désirés en 2018. De même, elle a révélé que plus d'une étudiante sur sept a subi des agressions sexuelles en 2018, dont beaucoup n'ont pas été signalées.
En réponse à cette crise de longue date, l'équipe de la haute direction actuelle de la Défense nationale, menée par l'actuel , l'actuelle sous-ministre et le général Vance, ancien chef d'état-major de la Défense, ont uni leurs efforts pour mettre en place un programme sous le titre exagéré d'opération Honour comme moyen d'assurer la discipline, le respect fondamental et la sécurité des femmes dans l'armée. À vrai dire, l'opération Honour s'est avérée être fondée sur des conjectures et être surtout un exercice d'hyperbole. Elle ne fonctionne pas. Depuis l'annonce de cette opération, la crise s'est aggravée dans nos forces armées.
Compte tenu de mon intérêt de longue date pour cette question, j'ai souvent comparu devant des comités parlementaires au cours des dernières décennies. J'ai co-écrit plusieurs textes juridiques et formulé des commentaires à ce sujet dans lesquels j'ai proposé des réformes du système de justice militaire.
À la suite de ma comparution devant le Comité permanent de la défense nationale le 22 février dernier, en réponse aux commentaires du devant le même comité, et en l'absence de toute proactivité manifeste de la part des chefs de nos cinq partis politiques pour faire face à cette crise, je me suis senti obligé de co-écrire un livre intitulé Le système de justice militaire du Canada est en voie de s’effondrer: Est-ce que le gouvernement va agir? Ce livre proposait des réformes législatives précises pour faire face à cette crise. Il est produit en format bilingue et peut être téléchargé gratuitement à l'adresse www.mdlo.ca.
À la base, ce livre recommande deux choses.
Primo, compte tenu des preuves claires et convaincantes qui montrent que le ministère de la Défense nationale est incapable de faire face efficacement à la crise persistante de l'inconduite sexuelle et à la perte de confiance de plus en plus grande du public envers le haut commandement militaire, qui a été décimé par des allégations d'inconduite sexuelle, et en l'absence d'un leadership et d'une action substantiels de la part du gouvernement, le Parlement devrait modifier la Loi sur la défense nationale afin de rendre la compétence en matière d'agressions sexuelles aux tribunaux civils. La modification de l'article 70 de la Loi sur la défense nationale est le moyen le plus simple et le plus rapide d'y parvenir.
Secundo, le Parlement devrait nommer au poste d'inspecteur général des forces armées une personnalité civile qui lui fera rapport.
Mesdames, je me réjouis à la perspective de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir. Merci.
:
Il est le grand chef de l'institution en question, et il est en poste depuis cinq ans. Les médias ont répondu avec beaucoup de générosité en rapportant des cas d'inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes. Tout près de lui, certains de ses subalternes immédiats font eux-mêmes l'objet d'allégations. J'ai entendu le ministre témoigner que, parce que l'ombudsman n'avait pas dévoilé l'identité de la personne qui avait porté plainte, il ne pouvait rien faire dans ces circonstances.
Ce qu'il a dit va à l'encontre de toutes mes connaissances et de mon interprétation du rôle de leader, soit-il militaire, politique ou autre. Il arrive certainement que des personnes d'un certain âge ou de certaines professions reçoivent à l'occasion des plaintes qui sont formulées sur une base anonyme. Les policiers, les tribunaux et les avocats les reçoivent, tout comme, assurément, des fonctionnaires, ici et là dans la fonction publique. Une plainte faite de façon anonyme ne veut pas dire qu'elle est sans fondement. Elle ne veut pas dire que nous devons détourner le regard et l'ignorer. Il y a une certaine justice naturelle qui doit s'établir, car la personne qui fait l'objet de cette plainte doit en être informée et pourrait peut-être même y répondre. Il y a quelque chose que nous devons faire plutôt que de nous croiser les bras et de rester sans rien faire.
Cela m'a laissé sur mon appétit lorsque j'ai entendu le ministre dire qu'il ne pouvait rien faire devant une telle plainte. Jusqu'à maintenant, je n'ai toujours pas entendu le ministre, et ce, malgré le rosaire de plaintes que nous avons reçues et qui ont été faites contre plusieurs hauts gradés des Forces armées canadiennes, plaintes qui nuisent au moral, à la réputation — tant au Canada qu'à l'étranger — et à l'efficacité des Forces armées canadiennes.
Je n'ai pas entendu le ministre dire ce qu'il allait faire pour corriger le tir et mettre des mesures en place, afin de donner confiance aux victimes. Je n'ai absolument rien entendu jusqu'à maintenant. Nous attendons de voir ce qui se produira, ce qui sera décidé, soit par lui, soit par son gouvernement.
Je n'ai jamais dit que je demandais son licenciement ou sa démission. J'ai demandé qu'il prenne acte de ces plaintes, car cela est son rôle premier. En vertu de la loi, il responsable de la direction et du contrôle des Forces armées canadiennes.
:
Dans notre cas, c'est une société à l'intérieur d'une société. Il faut dire les choses comme elles sont. L'organisation militaire a son propre système de police, de santé, de justice, et ainsi de suite. Elle est complètement à l'abri des regards et de toute obligation de rendre des comptes. Seuls deux petits comités, sans pouvoir, jouent un peu le rôle de chien de garde. Il s'agit du Comité externe d’examen des griefs militaires et de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire.
Sinon, le ministère de la Défense nationale est fondamentalement intouchable. En définitive, il n'a pas à rendre de comptes à qui que ce soit au sein du Parlement. Comme je l'ai dit déjà, toute la situation entourant les inconduites sexuelles se perpétue depuis 30 ans. En 1998, le Parlement a décidé de transférer la juridiction des tribunaux civils aux autorités militaires, et les choses sont allées de mal en pis depuis ce temps.
Plusieurs pays, dont les États-Unis, l'Allemagne, la Hollande, l'Australie et plusieurs autres, ont institué une fonction nommée « inspecteur général ». Il s'agit d'une personne civile qui fait rapport au Parlement et qui a des pouvoirs d'enquête, un droit de regard et le pouvoir de demander des comptes à l'autorité militaire. Cette personne dispose du personnel nécessaire pour mener des enquêtes, porter des jugements et faire des recommandations. Son rôle principal est d'agir comme un agent du Parlement, donner des séances d'information, offrir des conseils aux parlementaires qui siègent à ces comités et rendre des comptes.
À l'heure actuelle, c'est une autre façon d'assurer aux victimes que leurs plaintes seront reçues, qu'elles donneront lieu à une enquête et qu'elles ne feront l'objet d'aucune ingérence. La lieutenante-colonelle à la retraite Boland a donné un exemple. C'est une façon de faire les choses. Il s'agit d'accroître la responsabilisation et l'obligation de rendre des comptes et, dans ces circonstances, de donner confiance aux victimes. Celles-ci, en majorité, ne rapportent pas le crime, ne font pas confiance au système de justice militaire et craignent les représailles.
C'est une chose que nous pouvons et que nous devrions faire. Elle a été recommandée par le juge Létourneau en 1997, lorsqu'il a rédigé son rapport dans le cadre de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie.
:
Merci, madame la présidente, merci, chers membres du Comité. Je vous présente mes excuses pour les problèmes de connexion que j'ai eus aujourd'hui.
Je m'appelle Maya Eichler. Je suis professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada à l'Université Mount Saint Vincent, à Halifax.
Au cours de la dernière décennie, mes recherches ont porté sur l'intégration des femmes et la violence sexuelle dans les Forces armées canadiennes. Je profite de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous faire part de mes deux principales recommandations sur la manière dont votre comité peut mieux contribuer à la lutte contre l'inconduite sexuelle dans les forces armées.
Je vous recommande premièrement de concentrer vos efforts sur le développement d'une culture militaire inclusive. Ma deuxième recommandation consiste à concentrer vos efforts sur la mise en place d'un mécanisme de contrôle externe en vue d'instaurer et de maintenir cette nouvelle culture militaire inclusive.
Je recommande de mettre l'accent sur la modification de la culture militaire, car c'est la seule façon de s'attaquer aux causes profondes de l'inconduite sexuelle dans le milieu de travail militaire. Le simple fait que nous soyons encore ici aujourd'hui à parler des mêmes problèmes qui ont été présentés à de nombreux comités parlementaires depuis de nombreuses années nous montre à quel point ce milieu continue de résister à la création d'une institution et d'une culture militaires plus inclusives. La situation actuelle n'est pas une nouvelle crise, et elle ne concerne pas uniquement l'inconduite sexuelle. Cette crise est le résultat de la conception institutionnelle historique de l'armée en tant que lieu de travail masculinisé par excellence.
Jusqu'à il y a 30 ans, tous les rôles et postes liés au combat étaient réservés aux hommes. L'infrastructure et les politiques mêmes de l'armée étaient conçues pour les hommes. Les salles de bains, les logements, les équipements, la conception des uniformes, la taille des véhicules, les cockpits des avions et les normes en matière de soins médicaux étaient fondés sur la taille, le poids, la force, la silhouette et la physiologie de l'homme moyen. Il en va de même pour les politiques relatives au personnel militaire qui ont également été conçues pour appuyer la vie, les besoins et les styles de leadership des hommes.
Par conséquent, l'institution militaire et sa culture privilégient les militaires masculins, en particulier les militaires blancs et hétérosexuels, ce qui crée des obstacles et des inégalités systémiques pour les femmes et pour d'autres personnes qui ne correspondent pas à « l'idéal » ou à « la norme » présumés, comme les membres de la communauté LGBTQ+, les militaires racialisés ou autochtones, ou les militaires handicapés. Il incombe à ces gens de consacrer le temps et l'énergie supplémentaires nécessaires pour trouver une façon de s'adapter à un système qui n'a pas été élaboré en pensant à eux.
Les tentatives antérieures de lutte contre l'inconduite sexuelle dans l'armée ont mis l'accent sur des solutions superficielles et simples, telles que la levée des obstacles juridiques, l'augmentation du nombre de recrues féminines ou l'ordre donné aux militaires de cesser de commettre des inconduites sexuelles. Jusqu'à maintenant, on n'a jamais tenté d'élaborer et d'appliquer une stratégie globale de changement de la culture militaire. Cela exigerait une refonte du milieu de travail militaire en vue de permettre une compréhension plus inclusive de ce que signifie le fait d'être un membre des Forces armées canadiennes.
Cela m'amène à mon deuxième point. Les 30 dernières années ont prouvé que l'on ne peut pas s'attendre à ce que l'armée parvienne par elle-même à procéder à la modification de sa culture et à la refonte institutionnelle nécessaires. C'est la raison pour laquelle je recommande vivement la mise en place d'un mécanisme de contrôle externe permanent et indépendant, non seulement pour assurer la refonte de la culture institutionnelle de l'armée, mais aussi pour veiller à ce que cette refonte soit maintenue à long terme.
Dans un récent article qui a paru le 12 mars dans la revue Policy Options et que j'ai coécrit avec Mme Karen Breeck, une ancienne combattante, j'ai énoncé trois principes clés à respecter pour déterminer ce à quoi devrait ressembler cette surveillance. Nous avons suggéré que le nouvel organisme ait un large mandat. Idéalement, il devrait ressembler au bureau de l'inspecteur général civil. Ce nouvel organisme doit relever directement du Parlement et doit être guidé par les commentaires relatifs aux expériences vécues par les personnes les plus touchées par la culture problématique de l'armée. Une surveillance efficace ne garantit pas que la culture militaire changera, mais je pense que c'est la condition préalable à ce changement la plus importante qui soit.
J'aimerais nous voir aller au-delà des solutions rapides et des enquêtes, au-delà d'une concentration étroite sur les inconduites sexuelles individuelles. Un véritable changement systémique de la culture militaire exigera des efforts à long terme en vue de remodeler l'institution militaire. Il nécessitera un engagement public et politique et, surtout, il nécessitera un organisme de surveillance ayant pour mandat de faire rapport au Parlement. Je ne vois pas d'autre moyen d'assurer la responsabilisation à l'égard d'un milieu de travail militaire sécuritaire et inclusif pour tous, et je ne vois pas d'autre moyen de nous assurer que nous ne nous retrouverons pas ici dans cinq ans en train d'avoir les mêmes conversations.
Pour le bien de tous les Canadiens, qu'ils portent l'uniforme ou non, je vous exhorte à saisir cette occasion d'apporter à l'armée un changement véritable et systémique.
Merci.
:
La conciliation de la famille et du travail militaire représente un énorme défi, d'après ce que m'ont dit les nombreuses anciennes combattantes que j'ai interrogées dans le cadre de mes recherches. Je pense que le fait que l'armée prenne si peu de mesures pour faciliter la vie de famille est certainement un facteur qui dissuade les femmes de s'enrôler, et c'est certainement une raison pour laquelle de nombreuses femmes quittent l'armée. Cela a été établi par des recherches externes ainsi que par les recherches menées par le MDN et les FAC. La difficulté de concilier la famille et le travail militaire est la raison pour laquelle les femmes quittent l'armée. Cela crée donc aussi un problème de rétention.
Nous savons qu'il est très difficile de trouver des services de garde d'enfants disponibles, surtout lorsque vous êtes réaffecté, car vous êtes souvent forcé de réinscrire votre nom sur une liste d'attente. Un autre défi consiste à trouver des services de garde d'enfants offerts 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Le travail militaire se déroule 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, et vous avez donc besoin de services de garde d'enfants propres à l'armée pour être en mesure de faire votre travail.
La dernière chose que je dirais, c'est que les politiques visant le personnel sont un exemple de politiques qui ont été conçues en pensant aux hommes. La norme est le militaire hétérosexuel de sexe masculin ayant une épouse civile, qui peut en quelque sorte prendre le relais. Bien sûr, si nous voulons que les femmes s'enrôlent, nous devons trouver des moyens de leur permettre d'être des parents, tout en étant de « bons soldats ». Quelle que soit la façon dont nous redéfinissons les politiques familiales, tous les hommes des Forces armées canadiennes en bénéficieront également. La garde des enfants est un fardeau qui incombe principalement aux femmes, mais le fait de trouver de bonnes solutions à ce problème profitera à tous les membres des Forces armées canadiennes.
Le dernier point que j'aimerais faire valoir, c'est que bon nombre de femmes dans les Forces armées canadiennes sont célibataires, mais un grand nombre d'entre elles font partie d'un couple de militaires, composé d'un homme militaire et d'une femme militaire. Cela crée un fardeau supplémentaire lorsque l'on s'attend à ce que deux membres de la famille soient disponibles pour l'armée 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. C'est un fardeau supplémentaire que je tiens à souligner. Le fait d'être une femme et une épouse militaire est un double fardeau sur lequel j'aimerais attirer votre attention.
:
Merci, madame la présidente. C'est agréable d'être de retour parmi vous. Bien sûr, il serait préférable que nous étudions un sujet différent qui ne soit pas si difficile à entendre.
Je tiens à remercier tous les témoins d'avoir participé à l'appel d'aujourd'hui, de s'être joints à nous et de nous avoir fait part de leur histoire et de leur point de vue. Notre conversation est très importante. Je suis heureuse d'avoir la chance d'entendre certains de ces témoignages.
Si vous me le permettez, j'aimerais commencer par interroger le lieutenant-colonel à la retraite Bernie Boland et par lui poser une série de questions.
Monsieur Boland, au cours de votre témoignage, vous avez indiqué que vous aviez adopté plusieurs approches pour tenter d'obtenir justice. Vous avez notamment soumis à la Cour fédérale du Canada une demande de contrôle judiciaire du rejet du grief par le MDN. Vous avez donné un avis au greffier du Tribunal canadien des droits de la personne pour être partie à l'audience du tribunal. Vous avez déposé auprès de la une plainte concernant la violation par le MDN de vos droits en vertu du projet de loi .
On nous dit qu'il y a des processus et des politiques en place. Cependant, les personnes chargées de faire respecter ces processus ne les suivent pas. Quelles mesures de surveillance recommanderiez-vous pour que ces processus soient effectivement suivis?
:
Je vous remercie beaucoup de la question particulière que vous m'avez posée. En ce qui me concerne, j'ai certainement été persistant. Selon mon point de vue, il ne fait aucun doute que l'une des approches de base du gouvernement est d'ignorer les requêtes qu'il reçoit.
Vous avez déterminé que j'ai déposé une plainte en vertu du projet de loi . J'attends fondamentalement que la accuse réception de ma correspondance. Comme elle ne l'a pas fait, je poursuis cette démarche.
Comme l'ont dit mes collègues, il faut que quiconque ayant le besoin ou l'obligation de déposer une plainte ait l'occasion de la défendre de façon indépendante et autonome et de l'aborder d'une manière juridiquement accusatoire et appropriée, de sorte qu'il puisse faire face à la personne qui a perpétré l'inconduite — le harcèlement, les violations des droits de la personne, le racisme et en particulier l'inconduite sexuelle — et de régler ces problèmes ainsi que de traiter avec ces personnes, au sein d'un système de responsabilisation.
Ces trois possibilités me sont refusées. Je suis capable de plaider ma cause, mais on m'a refusé le droit de le faire. Je suis prêt à affronter l'intimé, mais on me refuse ce droit. Il n'y a aucune responsabilité à cet égard. Il faut que ce processus soit distinct et indépendant.
Merci.
J'ai un partenariat de recherche avec le regroupement It's Just 700 dans le but précis de cerner certains des obstacles qui empêchent les anciens combattants d'avoir accès aux prestations et aux services auxquels ils ont droit. Nous avons réalisé ensemble une étude portant sur 10 années de jugements du Tribunal d'appel et révision des anciens combattants concernant des cas d'agressions sexuelles dans le contexte militaire. Nous avons pu constater des changements très positifs dans le travail de ce tribunal au cours des deux dernières années. Ces améliorations sont en fait attribuables aux revendications des survivantes d'un traumatisme sexuel dans le contexte militaire et, tout particulièrement, au travail du regroupement It's Just 700 et de Marie-Claude Gagnon. C'est aussi dans une large mesure une réaction au recours collectif qui a été intenté et à l'entente de règlement définitif qui est intervenue.
À mes yeux, cela démontre bien toute l'importance des pressions externes qui se sont exercées et des voix des survivantes qui ont pu s'exprimer. Nous voulons vraiment nous assurer que notre quête de solutions s'articulera également autour des voix de ces survivants, hommes et femmes, mais aussi de celles des militaires et des vétérans qui ont été victimes de discrimination et qui ont été longtemps considérés comme des membres à part au sein des institutions militaires. Je pense qu'il est vraiment primordial que nous allions de l'avant dans le sens de ces initiatives.
J'ose espérer que nous pourrons le faire en nous appuyant sur un solide mécanisme de surveillance indépendant. Je suis consciente qu'il faudra un certain temps pour élaborer un tel concept et en préciser tous les détails, mais j'ose espérer que les discussions initiales quant aux options à envisager et aux mesures à prendre pour donner suite aux recommandations des experts en la matière incluront d'emblée des consultations auprès des survivantes ainsi que des groupes défendant les intérêts des anciennes combattantes et des vétérans LGBTQ, comme Rainbow Veterans of Canada, mais aussi des vétérans autochtones et racisés.
:
Parmi les problèmes qui s'ajoutent à celui de l'inconduite sexuelle et dont nous n'avons pas discuté encore, il y a celui de notre système de justice militaire qui, parallèlement à tout le reste, se dégrade considérablement. La cour martiale est un mécanisme qui ne fonctionne tout simplement plus. Trois des quatre juges militaires ont déclaré ne pas pouvoir accomplir leur travail en toute indépendance, un critère essentiel pour quiconque remplit une fonction judiciaire, ce qui fait donc... J'ai pu moi-même l'observer. J'ai représenté un certain nombre de victimes d'agression sexuelle. Je peux vous parler d'un cas qui pourrait vous permettre de mieux comprendre.
La victime a été agressée sexuellement par l'un de ses collègues au collège militaire. Suivant la tradition des Forces canadiennes, la cour martiale se réunit dans l'unité de service de l'inculpé. Si vous êtes une victime — une cadette du collège militaire en l'espèce — et que vous portez plainte contre un autre cadet, la cour martiale tient des audiences publiques au collège militaire même. Qui d'après vous va assister à ces audiences? Ce seront les quelque 60 à 80 cadets sur place. Elle devra s'asseoir dans le fauteuil du témoin pendant quatre ou cinq jours pour révéler toutes sortes de détails intimes. Comment était-elle habillée, où a-t-il mis sa main, comment a-t-elle réagi, etc., tout cela sous le regard inquisiteur de ses quelque 60 collègues — des cadets de première, deuxième et troisième année — avec lesquels elle devra vivre et servir pendant le reste de sa carrière. Si elle va effectivement de l'avant, ce sera la seule fois qu'elle se prêtera à cet exercice pendant tout son passage dans les forces.
J'ai représenté une autre militaire qui a été agressée au sein d'une unité dans l'Ouest du Canada. La cour martiale a tenu ses audiences sur les lieux, soit à la cantine de l'établissement. Tous ses anciens subalternes — les sous-officiers et tous les autres — étaient présents. C'était une professionnelle de la santé. Elle a témoigné pendant trois jours. Elle ne savait plus où regarder.
C'est un régime de justice militaire qui permet de prononcer une condamnation en s'appuyant sur un mécanisme beaucoup moins rigoureux que celui des tribunaux civils. Le système ne fonctionne tout simplement pas.
C'est l'une des raisons pour lesquelles nous devons sortir les agressions du système militaire. Les militaires sont entraînés pour faire la guerre. Ce sont des gestionnaires de la violence. C'est leur métier. Ils ne sont pas formés pour régler les cas d'agression sexuelle, enquêter à ce sujet et mener des poursuites.
Pour assurer la sécurité, la dignité et l'intégrité de nos femmes militaires — et j'en ai moi-même épousé une —, nous voulons veiller à leur offrir une tribune pour signaler les crimes dont elles sont victimes de telle sorte qu'une enquête en bonne et due forme puisse être menée par un corps de police indépendant qui est formé à cette fin et possède l'expérience de la conduite d'affaires semblables devant un tribunal qui en est saisi régulièrement. Ce n'est pas comme ça que les choses se passent actuellement. Tant et aussi longtemps que des changements ne seront pas apportés, les victimes ne pourront pas faire confiance au système de justice militaire. Les crimes ne seront pas signalés et le problème perdurera.